samedi 22 janvier 2011

Sous les revues

Et elle remonta encore une fois là-haut.
Elles étaient soigneusement dissimulées sous la pile des revues automobiles. Tout au bout du grenier. Tout au fond. Elle les sortit. Elle les lut. Elle les relut. Elle les relut encore…
Revenue dans la chambre, elle pleura longtemps, assise au bord du lit, sans pensées ni retenue…
Puis, dans la salle de bains, devant la glace, la tête entre les mains, elle hurla un interminable cri…


Et elle reprit sa journée là où elle l’avait laissée… Avec les mêmes gestes que toujours… L’aspirateur à l’étage… La pleine panière de repassage… Et qu’est-ce qu’elle allait bien pouvoir faire à manger ce soir ?…


Quand il rentra – le roulement de la porte du garage, le crissement de son pas sur le gravier – il souriait, heureux, lèvres tendues… Et c’était si facile de ne pas savoir… Pas encore…
A table il raconta sa journée, détendu, volubile… Oui… Demain…
Monsieur Bonnaire et ses manies…
- Il lui a fallu deux heures pour remettre trois dossiers en ordre… Non, mais tu te rends compte ?…
Pourtant là-haut…
Mademoiselle Adnet et Guéret…
- Mais elle ne parle vraiment que de Guéret… C’est hallucinant, tu verrais ça !…
Comme avant… Comme toujours…


Après, dans la chambre, il voulut… Elle ne voulut pas… II voulut quand même… Et elle hurla son plaisir, agrippée à lui… Longtemps sans sommeil dans la nuit sans fin elle eut honte et elle pleura…


- Oui… Oui… Et si ça tombe… Je serai jamais prête pour quatre heures, moi !… Eh bien si ça tombe c’est déjà fini… C’est possible après tout… Parce que ton histoire de petits bouts de papier… Mais je l’avais il y a cinq minutes ce truc où il est passé ?… Il a peut-être oublié ça là depuis va savoir combien de temps… Toi, tu viens de les trouver, t’es toute retournée, forcément, et lui en réalité… Ah, le voilà, je savais bien… Lui, ça fait des mois qu’il y pense plus…
- Tu parles !… Le salaud, oui !…
- Tu vas tout remuer… Tu vas vous flanquer une pagaille monumentale… Et tout ça pour quoi ?… Tu sais même pas de quoi il retourne exactement… Alors j’ai pas de conseils à te donner, mais si j’étais toi, j’y regarderais quand même à deux fois avant de déclencher une catastrophe…


Un immense bouquet de roses rouges… Sans un mot qu’elle chercha partout… Mais il n’avait pas oublié… Toute l’après-midi elle les regarda dans le grand vase blanc sur la cheminée… Et…
Le soir il y avait de la tendresse dans ses yeux…
- Quelle main ?…
Il l’ouvrit sur un gros camée de laque noire au bout d’une chaîne… Au restaurant ils eurent une petite table à l’écart tout au fond… Avec des bougies torsadées assorties à la nappe… Ils prirent tout leur temps… A se sourire… A se parler… A se tenir la main… Comme à leurs tout débuts… Bien dans leurs mots… Bien dans leurs yeux… Bien dans leurs gestes… Et c’était impossible… Complètement impossible…
Il voulut rentrer par leur chemin à eux dans la douceur de mai…
- Dis, Marc…
- Oui ?…
- Rien… Non… Rien…


Il était à peine parti, le matin, qu’elle remontait les étaler autour d’elle… « Ce soir… Six heures… Tu peux ?… J’ai envie… Tellement… » « Ca marche pour demain… Tout est arrangé… T’embrasse » « Tu as eu mon mot d’hier ?… Alors ?… On fait quoi ?… » Dos de factures… Cartes publicitaires… Petits bouts de papier très vite… Déchiquetés… Arrachés… N’importe comment… « Impossible mardi… T’expliquerai… T’inquiète pas… » « Contrordre… Ne m’attends pas ce soir… » Entassés pêle-mêle dans la grande enveloppe blanche… Qui ?… « Si on partait un samedi tous les deux ?… Hein ?… Chiche… » Mais qui ?…


Le mardi non plus il ne rentra pas… Il était retenu…
- Mais oui, qu’est-ce tu veux, c’est comme ça…
Non… Non, il ne pouvait pas savoir… Pas la moindre idée… Avec eux quand ça commence… Tu les connais… Surtout qu’il y aura Breton… Et une fois qu’il est lancé pour l’arrêter Breton… Hein ?… Mais oui, bien sûr !… Ne m’attends pas!… Couche-toi !… Oui… Moi aussi… Moi aussi…


Elle se réveilla en nage…
- A cette heure-ci ?… Non, mais ça va pas !…
- J’en peux plus, Sandrine, j’en peux plus !… Il est avec elle… Je suis sûre qu’il est avec elle…
- Oh, écoute, je bosse, moi, demain… Alors tes petites histoires tu me les raconteras tant que tu voudras, mais une autre fois, pas au beau milieu de la nuit… Okay ?…


Quand il rentra dans le petit matin blanc elle ne s’était pas rendormie…
- Crevé… Je suis crevé… Ah, ils me la copieront, je t’assure !…


- Tu tiens à lui ?… Est-ce que tu tiens à lui ?… C’est ça la vraie question… Parce que… Tu vas mettre les pieds dans le plat… Bon… Et il va se passer quoi ?… Il va la quitter ?… Ben, voyons !… Il va te dire que oui, ça c’est sûr, te jurer que c’est fini… Et il va continuer à la voir en prenant mille précautions pour que tu t’aperçoives de rien… Seulement un jour ou l’autre… forcément… Tu vas lui faire une scène… Il va s’énerver… Toi aussi… Vous aurez des tas de scènes… De plus en plus de scènes… Et il ira de plus en plus souvent là-bas… Se consoler… Lui raconter que tu lui mènes la vie impossible… Une véritable emmerdeuse… Qu’il en peut plus… Qu’il va sûrement pas te supporter encore longtemps comme ça… Et elle aura plus qu’à le cueillir… Quand elle voudra… Comme elle voudra… Alors le mieux, pour le moment, tu laisses courir… C’est pas facile, je sais, je suis passée par là… Mais tu laisses courir… Tu t’es aperçue de rien… Et ça va finir tout seul… Tranquillement… A son heure… Les hommes… Dans trois mois il sera plus question de rien… Et tu me remercieras, tu verras… On parie ?…


- Encore !…
Réunions… Conseils… Séminaires…
- Depuis que les Japonais nous ont rachetés ça n’arrête pas on peut pas dire…
Séances de mises au point… De plus en plus souvent… De plus en plus longtemps… Il rentrait éreinté, les yeux cernés, le corps sage…
- Et dire qu’on s’est tapé dix heures de discussion pour rien !… Pour, finalement, se retrouver au pont de départ… Mais le plus beau – parce que tu sais pas le plus beau ?… Je te le donne en mille – le plus beau c’est qu’ils ont parlé d’un samedi à la fin du mois je sais pas trop où… Non, mais tu te rends compte ?… Ils sont complètement fous cette fois… En tout cas qu’ils comptent pas sur moi un samedi… Alors là ils peuvent toujours courir…


Ce fut le tout dernier samedi de Mai…
- Bon… Bon… Cette fois ça suffit !… J’en ai assez que tu me prennes pour une conne… Oui… Oh… S’il te plaît… Fais l’innocent… Ca te va bien… Je suis au courant, figure-toi !… Parfaitement !… Ah, tu t’attendais pas à ça, hein ?… Comment ?… Ca n’a pas d’importance comment… C’est pas la question comment… Seulement si tu imagines que je vais avaler ça sans rien dire eh bien alors là tu te trompes, mon cher !… Et tu vas me faire le plaisir de choisir… Tout de suite… Maintenant… C’est elle ou moi… A prendre ou à laisser… Et ne commence pas à noyer le poisson… Comme d’habitude… Oui, oh, je te vois venir… Je te connais… Eh bien ?… J’attends…
Dans la glace elle trouva qu’elle était vraiment très bien…


Il rentra le dimanche un peu avant midi…
- Oui, parce que finalement c’était pas plus mal de rester dormir sur place…
- Ecoute, Marc, il faut que je te parle… C’est important… Tu m’écoutes ?…
- Mais oui !…
- Je sais tout… Je suis au courant… Il releva la tête…
- Au courant ?… Mais au courant de quoi, grands dieux ?…
- Elle s’appelle comment ?…
- Hein ?… Qui ça ?… Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?…
- Oh, ne fais pas l’innocent, s’il te plaît… Tu sais très bien de quoi je veux parler…
- Alors ça !… Mais qui t’a raconté quoi ?… On peut savoir ?…
- Mais personne !… Personne !… Seulement c’est quoi tous ces petits mots là-haut dans tes revues ?… Hein ?… C’est quoi ?… Tu peux me dire ?…
- Quels ?… Les… Ah ben ça alors c’est la meilleure !… Non, mais c’est pas vrai que t’es allé t’inventer toute une histoire avec ça ?!… Si tu savais !… C’est à mourir de rire… Mais alors comme ça maintenant tu fouilles dans mes affaires !…
- Je fouille pas dans tes affaires !…
- Ah non ?!… T’appelles ça comment alors ?…


- Pourquoi pas après tout ?… Ca tient debout son histoire… Imagine… Suppose que moi j’aie quelqu’un et que je t’aie demandé de cacher des lettres pour que Lionel les trouve pas t’aurais fait quoi ?… Et ça tombe à l’eau du coup ton truc… Dès le début je te l’avais dit… Parce qu’à part tes petits bouts de papier qu’est-ce que tu peux bien trouver à lui reprocher ?… Hein ?… Franchement ?… Tu vas pouvoir enfin penser à autre chose… Et c’est pas trop tôt… Parce que ça finissait par tourner à l’obsession ton histoire…


Le week end suivant il voulut absolument aller à la mer…
- Hein ?… Comme ça ?… Maintenant ?… Mais pourquoi faire ?…
- Parce que… Pour être ensemble… T’as pas envie ?…
Ils roulèrent longtemps dans la nuit, déjeunèrent tout au bout de croissants et de pain frais dans un café à ancre marine et filets de pêche…
Puis, ils marchèrent le long des vagues, main dans la main, en laissant leurs empreintes dans le sable mouillé…
Quand le soleil fut haut ils mangèrent des moules à une terrasse dans l’odeur des lauriers-roses avec la mer en toile de fond…
Le soir, ils firent l’amour dans le petit hôtel de bois vert sombre enguirlandé d’ampoules et s’endormirent l’un contre l’autre dans la touffeur de la chambre… Heureux…


Il y eut encore deux soirs dans les tout premiers beaux jours de Juin… Coup sur coup… Sans la moindre explication… Un autre samedi… Une chemise neuve à carreaux rouges…
- Tiens, tu sors ça d’où ?…
Des coups de téléphone avec personne au bout… Un autre soir… Toute une nuit…
- Tu étais où ?… Mais j’étais morte d’inquiétude, moi, Marc, enfin !…
Son stylo perdu… Encore une autre nuit…La note Hôtel des Marronniers dans son portefeuille…


Véronique l’écouta jusqu’au bout. Sans l’interrompre une seule fois…
- Oui, mais enfin !… Enfin !… Elle a beau dire Sandrine et vouloir jouer les spécialistes, mais son Lionel il a quand même fini par se tirer au bout du compte… Alors moi je prétends pas avoir raison chaque fois que j’ouvre la bouche seulement si ça tombe plus ça va durer et moins il va pouvoir la quitter au contraire… Déjà depuis combien de temps ils sont ensemble t’en sais rien du tout… Ni ce qu’il y a vraiment entre eux… Et si ça doit être comme ça pendant des mois et des années tu vas faire quoi ?… Attendre ?… Rester là à attendre ?… A te dire qu’il est en train de se foutre de ta gueule avec une autre tu sais même pas qui ni où ni ce qu’ils peuvent être en train de mijoter… Peut-être de décider que bon cette fois il faut qu’il te parle… Que ça peut plus durer comme ça… Qu’il faut en finir… Une bonne fois pour toutes…


- Oh, ça va pas recommencer, écoute !…
- Oui, mais ça !… Ca !… Hein ?… Qu’est-ce que c’est que ça ?…
- Ben... une photo on dirait…
- C’est ça !… Fais de l’humour en plus… C’est le moment…Et tu peux me dire ce qu’elle fabrique dans le tiroir de ton bureau ?… Et qui c’est ?… Tu peux me dire qui c’est ?…
- Mais j’en sais rien, moi, qui c’est…
- C’est dans ton bureau et t’en sais rien !… Et tu veux me faire croire ça ?… Non, mais tu me prends pour une conne ?…
- J’en sais rien… Ben non… J’en sais rien… J’en reçois des dizaines des CV par jour, figure-toi !… Avec des photos… Est-ce que c’est ma faute à moi s’il y en a une qui a glissé ?… Et puis ça commence à me casser sérieusement les pieds tous tes petits soupçons sans arrêt… Où t’étais ?… Qu’est-ce tu faisais ?… Avec qui ?… Qu’est-ce que c’est que ça ?… Alors merde à la fin !… Merde !… Oui, j’ai quelqu’un puisque tu veux savoir… Oui… Pas cette poufiasse, non !… Mais j’ai quelqu’un… Voilà… Tu es contente ?… C’est ce que tu voulais ?…


- Quelle idiote !… Non, mais quelle idiote !…
- Mais enfin il t’a dit quoi au juste ?…
- Ben ça !… Qu’il avait quelqu’un… Tu vois bien qu’il avait quelqu’un… Et il est parti… Là-bas… Ben oui… Forcément là-bas… Mais je veux pas, moi, Sandrine !… Je veux pas… Je veux qu’il reste… Je veux qu’il revienne… Je veux… Je m’en fous qu’il aille la voir… Si il veut… Quand il veut… Mais qu’est-ce que je vais devenir, moi, sans lui ?… Jamais je pourrai… Jamais…
- Calme-toi enfin !… Calme-toi !… Ca t’avance à quoi de te mettre dans des états pareils ?… C’était tellement bien tous les deux… Hein que c’était bien ?… Tout ce qu’il voudra je ferai… Tout… Mais il a pas le droit… Ca il a pas le droit… Tu lui diras, toi, qu’il a pas le droit ?…


- Que tu es bête !… Non, mais alors là que tu es bête !…
Et il éclata de rire dans le soleil…
- Non, mais c’est pas vrai !… Qu’est-ce que tu es encore allé inventer ?…
Il la prit dans ses bras, serrée tout contre lui…
- Tu es folle !… Complètement folle…
Il sentait le bois scié, l’humus, les chemins chauds…
- Non !… Arrête !… Laisse-moi !…
- Mais il a jamais été question que je te quitte, voyons !…
Son front contre le sien…
- Mais elle alors, Marc ?… Elle ?…
- Fais-moi confiance…
- Tu la quitteras ?… Tu vas la quitter ?…
- Tu veux pas me faire confiance ?…
Et elle resta dans ses bras…


Du coup ils terminèrent la petite chambre du fond…
- C’est vrai, depuis le temps !…
Et finalement ce fut…
- Hein ?… Qu’est-ce t’en penses ?… Ca ira bien, non ?…
un papier jaune à motifs orangés légers qu’elle mit trois jours à encoller…
- C’est incroyable ce que ça éclaircit…
Pour les chaises et le fauteuil elle choisit un tissu plus foncé assorti, repoussa le lit de Verchalles contre le mur, suspendit deux tableaux retrouvés au grenier et disposa sur la commode un immense bouquet d’herbes sèches…
- Et tu sais ce qui le finirait bien ?… Le petit secrétaire qu’on a vu un jour, tu te rappelles ?… Mais si !… Chez l’antiquaire près de Lezoux… Si on y descendait un samedi, non ?…


- Tu sais pas ?… Non, mais tu sais pas quoi ?… Les yeux brillants… Dilatés… Heureux… Un gamin… Attendrissant…
- Non… Quoi ?… Qu’est-ce qu’il y a ?…
- Sormier… Tu sais bien Sormier… Eh bien il est muté… Depuis le temps qu’il le voulait… Et tu sais de qui on parle pour le remplacer ?…
- Non… Toi ?!…
- Moi…
- C’est pas vrai ?!…
- Eh si !… Pragnac m’a convoqué… Ca reste entre nous bien entendu il m’a fait… Parce que pour le moment il n’y a encore rien d’officiel… Mais vous pouvez considérer que c’est pratiquement acquis… Tu te rends compte ?… Et Pragnac dans deux ans il part à la retraite… Alors… Alors qui à sa place ?… Teissier ?… Même pas la peine d’en parler… Ludo ?… Tout le monde l’a dans le nez… Et alors il reste qui ?… Hein?… A ton avis il reste qui ?…


- Comme j’ai eu peur, Marc !… Si tu savais !… Comme j’ai eu peur !…
Par la fenêtre ouverte montait le soir de Juin… Avec ses odeurs et ses vols d’hirondelles bleues…
- J’ai vraiment cru que c’était fini nous deux… Qu’est-ce que je serais devenue, moi, sans toi ?… Tu imagines ?…
Il a souri, joint ses mains aux siennes par dessus la table, pris ses yeux…
- Tu sais tout ce que je t’ai dit… Expliqué…
- Oui… Oui… Mais dis, Marc, qui c’est ?…
- Qu’est-ce que ça peut bien faire qui c’est ?…
En bas monsieur Eyrein a appelé son chien… En longs sifflements brefs…
- Elle est mieux que moi ?…
- Que tu es bête !…
- Elle est comment ?… Qui c’est ?… Dis-moi, Marc !…
- Sandrine…
- Idiot !… Non… Sérieusement… Dis-moi !…
- Une fille au boulot…
- J’en étais sûre… Ah, ça, j’en étais sûre… Je la connais ?…
- Non…
- Quel âge elle a ?…
- Trente… Enfin presque… Mais arrête donc de…
- Et tu pourras la quitter, Marc ?… Tu es sûr que tu vas pouvoir la quitter ?…


- Alors ?!… Qu’est-ce que tu deviens ?…
Elle a jeté son sac sur le divan…
- Oh, mais ça a changé ici, dis donc !… Non, c’est vrai, on te voit plus…
- Ben rien tu vois…
- Marc ?…
- Oh, Marc, ça va… Il se passe plein de choses pour lui au boulot en ce moment… Il sait plus où donner de la tête… Tu veux boire quelque chose ?… Un thé ?…
- Oui, mais pas trop fort, tu sais, t’as l’habitude… Vous partez un peu ?…
- Sûrement… On sait pas… On a pas encore décidé… On verra…
- Merci…
Elle a tourné longuement la cuiller dans la tasse, l’a tapotée sur le bord de la soucoupe, reposée…
- Et cette fille ?…
- Quelle ?… Ah… Oh !… Elle !…
- C’est fini ?…
- Il la quitte…
- Ah !… Eh bien tu vois finalement !…
Elle a bu, tête renversée, jusqu’au fond de la tasse…
- Oui… Il la quitte… On s’est expliqués… On a énormément parlé tous les deux… Il la quitte… Il a juste besoin d’un peu de temps… Mais ça j’ai très bien compris… Je comprends très très bien… Le temps de la préparer… Le temps de…
Elle est allé déposer sa tasse dans l’évier, s’est retournée…
- Mais quand ?… Il t’a dit quand ?…


Ils retrouvèrent le même restaurant… Avec ses entrelacs de vignes… Ses gambas grillées… Et ses bacs de…
- Comment ils ont dit qu’elles s’appelaient déjà ces fleurs ?…
La plaine grillonnait à toute chaleur…
- Et on est à la même place, t’as vu ?…
En face, dans le soleil, les cosses des genêts éclataient en salves…
- Finalement… finalement je regrette pas qu’ils l’aient vendu… Ca aurait fait beaucoup trop chargé en fin de compte, tu trouves pas ?…
A l’autre bout un couple d’amoureux se souriait, les yeux dans les yeux…
- Dis, Marc, tu es déjà venu ici avec elle ?…
- Oh, mais tu peux pas lui fiche un peu la paix de temps en temps, non ?…
Un moineau a hésité, s’est approché du coin de l’œil…
- Tu vas où avec elle ?… Hein ?… Vous allez où ?… Vous avez des endroits à vous?… Oui… Vous en avez… C’est où ?…
Il s’est brusquement levé, chaise bousculée, renversée…
- Mais où tu vas, Marc ?… Où tu vas ?…


Et puis ce fut pareil… Exactement pareil… Aussi souvent…
- Tu sais ce qu’on a dit, Marc ?…
- Mais oui !…
De plus en plus souvent… De plus en plus longtemps…
- Parce que tu crois que c’est facile, toi ?… Que ça se fait comme ça en claquant des doigts ?…


Et puis un soir, fin Juillet, il annonça qu’il partait avec elle… Quelques jours… Deux trois jours…
- Ah, commence pas, écoute !… Tu veux qu’on s’en sorte, oui ou non ?… Alors c’est la seule solution… Il faut qu’on fasse le point, elle et moi… Qu’on voie où on en est… Tu peux comprendre ça, oui ?…
- Oui, mais alors tu me promets, Marc… Tu me promets… Après tu la quittes… Et vous allez où ?…
- On sait pas… On verra… On improvisera…


- Mais tu cautionnes enfin !… Tu vois pas que tu cautionnes ?…


Il appela le lundi… Ils étaient au Lavandou…
- On va rester un peu… Il faut qu’on parle encore… C’est le seul moyen…
Le lendemain aussi…
- Et elle fait quoi, elle, quand tu me téléphones ?… Hein ?… Elle est à côté de toi ?… Où alors?... Tu rentres demain, Marc, c’est sûr ?… Et vous avez décidé quoi ?… Ca y est ?… Alors ça y est ?… Tu la quittes ?…


- Mais où il veut en venir à la fin ?!… Je suis complètement perdue, moi !…
- Où il veut en venir ?… T’as toujours pas compris ?… Il veut vous garder toutes les deux, tiens !… Ménager la chèvre et le chou… Tu paries qu’il lui tient exactement le même discours à elle qu’à toi ?… Qu’il lui jure ses grands dieux qu’il va te quitter ?… Mais il lui faut du temps… Parce que t’es fragile… Parce qu’il faut qu’il te prépare… Parce que ceci… Parce que cela… Il trouve mille excuses…
- Tu crois ?…
- Je crois pas… Je suis sûre…
- Mais comment ça va finir tout ça alors ?…
- Ca va pas finir justement… Tu vas attendre qu’il la quitte et elle va attendre qu’il te quitte… Ca peut durer des années… Jusqu’à ce qu’il y en ait une de vous deux qui soit au bout du rouleau, qui n’en puisse plus, qui dise que bon cette fois ça suffit…


Ils eurent la deuxième semaine d’Août toute pour eux… A eux… En restaurants… En promenades… Eux deux… En longues soirées indéfiniment prolongées… Elle le regardait longtemps dans le halo de la lampe… Elle l’écoutait rêver tout haut, après, dans la touffeur de la chambre…
- Tu te rends compte ?… Et même Legrand après si ça tombe… Ca n’a rien d’impossible… Oui… Pourquoi pas Legrand après tout ?…


Mais si !… Si !… Il allait la quitter… Si !… Elle en était sûre… Il l’avait dit… Il l’avait promis… Mais… mais la carte postale d’Italie – FIRENZE 17 AGOSTO – ce soir-là dans la poche de sa veste… « Maman est ravie d’être avec moi… Tu la verrais… Elle est attendrissante… Et dire que c’est peut-être la dernière fois… Tu me manques… Si tu savais comme tu me manques… Il me tarde… Tellement… Je t’aime… Mille baisers tendres… Cécile. »


- Mais quand alors, Marc ?… Quand ?…
- Mais j’en sais rien, moi, quand !… J’en sais rien…
- T’en sais rien !… Mais ça peut pas durer une éternité comme ça, enfin !… C’est pas possible !…
- Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?…
- Quand… Que tu me dises quand tu vas la quitter… Je suis à bout, Marc… Il faut vraiment qu’on trouve une solution… Qu’on prenne une décision… Tu m’écoutes ?… Non, tu m’écoutes pas… Eh ben laisse ce truc tranquille alors !… C’est sérieux, Marc, enfin !… Est-ce que tu lui as seulement parlé ?… Est-ce que vous en avez seulement parlé ?… Eh bien réponds !… Bon… Alors écoute !… Ecoute-moi bien !… Je te donne jusque fin Septembre… Pas un jour de plus… Sinon…
- Sinon ?!… Sinon quoi ?…


- Ca se confirme… Sérieusement… Très sérieusement, tu sais… J’ai revu Pragnac… Qui m’a dit qu’il avait vu Legrand… Ils en ont parlé tous les deux… Et à moins d’un retournement imprévu de dernière minute je peux considérer que c’est fait… Là-haut personne n’a rien trouvé à y redire… Au contraire… Ils sont ravis que ce soit moi… Le seul problème c’est Tokyo… Comme d’habitude… Parce que nous ici on peut bien dire et faire ce qu’on veut si eux ils ont décidé de décider autre chose… Et tu vas voir qu’ils sont encore fichus de nous en envoyer un de là-bas… Comme si on en avait pas déjà assez comme ça… Tu peux pas faire dix mètres sans en rencontrer un…


- Les autres années…
- C’était les autres années… Et cette année je viens… Ca t’ennuie ?…
- Oh non !… Non… Bien sûr que non… Mais…
- Mais quoi ?…
- Non… Rien…
- Maintenant que tu vas monter en grade, devenir quelqu’un la situation a changé, reconnais !… Il faut bien que je fasse la connaissance de ton patron, des gens avec qui tu travailles… Et c’est l’occasion rêvée, non ?… Elle a tourné sur elle-même…
- Comment tu me trouves ?… Ca va comme ça ?… Je te plais ?…



- Vous êtes ravissante, petite Madame, absolument ravissante !…
C’était Legrand venu à sa rencontre aussitôt de l’autre bout de la salle… Il l’entraîna, lui tendit une coupe, une autre, la présenta de groupe en groupe… Elles se firent face, souriantes… Sans ciller ni baisser les yeux… Avec le regard des autres lourdement posé sur elles… Elle but… Elle rit… Elle but encore…


- Je vois franchement pas ce que t’attends !… Parce que parti comme c’est !… Tu crois pas qu’il s’est assez fichu de toi comme ça, non ?… Moi, à ta place – mais enfin je suis pas à ta place non plus – il y a longtemps que ce serait une affaire réglée…


- Allo… Oui, c’est moi… On est dans une patouille, mais une patouille, tu peux pas savoir !… C’est Renard… Dès qu’il met le nez dans un dossier tu peux être tranquille qu’il va en faire une… Le problème, c’est que demain on a les Tchèques et que si tout est pas nickel ça va nous passer sous le nez… J’ai plus qu’à tout reprendre à zéro… Avec Cécile qui m’a très gentiment proposé de m’aider… On en a pour la nuit…
- Vous restez là-bas alors ?!…
- Oui… Ou j’avais pensé… A la maison plutôt… On serait plus tranquilles…
- Ici ?… Chez nous ?… Non, mais ça va pas ?!… T’es vraiment pas bien, hein ?!…


Marc,

J’en peux plus… Je pars… Chez sandrine… Tu sauras où me trouver… Quand tu auras pris une décision… Si tu arrives à prendre une décision… Moi, de toute façon, je n’ai pas le choix… Ce n’est plus supportable… Si tu veux que je revienne il faut que tu la quittes… Il n’y a pas d’autre solution… A toi de voir… Tu es en train de tout gâcher, Marc… Tout… Tout ce qu’on a été… Tout ce qu’on a rêvé… A toi de voir ce que tu veux que ça devienne… C’était tellement bien nous deux… A bientôt, Marc… Je t’aime… ANNE


- Non… Oui… Elle est là… Avec moi… Pas très fort… Si tu pouvais passer… Je sais pas… Dès que tu pourras… Oui… Elle fait signe que oui… Oh, Séverine, tu sais… Tu la connais… On t’attend… On tâchera de faire quelque chose… De l’emmener quelque part… Pour lui changer les idées… Elle veut pas… On verra… On verra quand tu seras là… Non… Il a pas appelé… Non… Non, elle avait laissé un mot… Oui, mais au point où ils en sont tu sais !… On verra… On en parlera… Viens !… Viens !… On t’attend…


Au téléphone il était tranquille, enjoué…
- Alors ?… Ca va ?… Sandrine aussi ?… Vous faites quoi ?… Tu rentres quand ?…
- Tu as trouvé mon mot, Marc ?…
- Quoi ?… Ah oui… Oui… Tu sais que ça se précise de plus en plus au bureau ?…
- Tu as décidé quoi alors ?…
- Oh, ça va pas recommencer, écoute !…
- Mais enfin, Marc, qu’est-ce que tu veux à la fin ?…
- Moi ?… Rien… Absolument rien je te ferai remarquer… C’est toi qu’arrêtes pas de faire tout un tas d’histoires… Au pire moment… Parce que si tu as décidé de tout faire capoter au boulot il vaudrait mieux que tu le dises carrément… Au moins je saurais à quoi m’en tenir…
- Tu es d’une mauvaise foi !… Mais alors là d’une mauvaise foi !… Bon… Alors si je comprends bien tu la quitteras pas ?…
- Pas maintenant en tout cas… Il faut te le dire comment ?… Parce que tu en trouveras une autre, toi, qui connaisse aussi bien les dossiers et qui accepte de rester des heures et des heures le soir pour…
- Très bien, Marc… Très bien… Tu l’auras voulu…


Des deux pièces… Des studios… Des loggias… Des débarras… A nausées… Et elles… A l’entourer… A la conseiller…
- Là, ce qui serait pratique c’est les magasins juste en dessous…
- Là, par contre, avec les voisins ça doit être un de ces nids à histoires…
Celui dans le grand parc avec le balcon elles y retournèrent plusieurs fois…
- Bon… Alors qu’est-ce qu’on fait ?… Parce que si on se décide pas il a nous passer sous le nez ça c’est sûr… Tu trouveras pas mieux, tu sais !… Pour le prix tu trouveras pas mieux…


Oui… Mais enfin !… Elles peuvent bien dire ce qu’elles veulent… Tu peux bien tout retourner dans tous les sens pendant des heures t’es quand même bien obligée d’en arriver toujours à la même conclusion… C’est qu’elle t’a virée de chez toi en fin de compte… Et proprement… On peut pas dire le contraire…


- Tu es tout seul, Marc ?… Il faut qu’on parle… Il faut vraiment qu’on parle… Parce que j’en peux plus… J’en peux vraiment plus… C’est trop dur… Je peux pas me passer de toi… Je peux pas…
- Personne te l’a demandé…
- Mais essaie de comprendre, Marc, enfin !… Tu peux quand même pas me demander de supporter une situation pareille !…
- Mais enfin qu’est-ce qui te prend d’un seul coup ?… Ca fait des mois que t’es au courant, qu’on était bien d’accord pour dire que…
- Mais tu devais la quitter !… Et puis tu la ramènes ici… Chez moi… Chez nous…
- Pour travailler !… Pour travailler je te ferai remarquer… Et me dis pas que tu ne comprends pas quelle importance ça a en ce moment… Maintenant si tu préfères que j’aille chez elle ou bien qu’on se retrouve à l’hôtel, dis-le !… Moi, tu sais, je…
- Mais elle va pas être là comme ça tous les soirs, Marc, enfin, c’est pas possible !…
- Ah, parce que tu imagines que je vais continuer à bosser comme un malade comme ça pendant des mois ?… Oui, ben alors là ils peuvent toujours courir !… Dès que ce sera fait, dès que j’aurai la place, moi je…


- Oui… Bon… Alors finalement on a fait tout ça pour rien, quoi !… Mais enfin c’est toi qui vois, hein !… C’est toi qui décides… Enfin façon de parler…parce qu’il y en a plus que pour Séverine maintenant… Il suffit qu’elle ouvre la bouche et toi…


Il a passé la tête dans la nuit, silencieux…
- Tu dors pas encore ?… Ca va ?… Je suis rentré… Je suis là… Quelle soirée, non, mais quelle soirée !… Mais enfin ça se précise… On peut dire que c’est pratiquement fait… Je te raconterai… Par contre on a encore ramené un plein carton de boulot… Pas moyen d’y échapper… On en a pour… je sais pas trop… Un bon moment en tout cas… mais dors !… T’occupe pas de nous !… Dors !…


Elle a tendu l’oreille longtemps, redressée, aux aguets, bercée par le coulis chuchoté de leurs voix, sombrant de temps à autre dans le sommeil…
- C’est toi ?… Quelle heure il est ?… Et elle vint se lover contre lui…
- Elle est où, Marc ?… Elle est partie ?…
- Dors, dors, t’inquiète pas !…


Elle avait dormi dans la petite chambre jaune à côté…
- J’allais quand même pas la jeter dehors à quatre heures du matin !…
Toute la literie à la fenêtre… Aérée… Secouée dans le soleil… Les draps et la taie d’oreiller changés… Le ménage à fond… Les meubles… L’aspirateur… La table de nuit… En grand… En entier…


- Deux heures !… Deux heures il m’a reçu… Dans son bureau… Que je vous mette au courant… Pour l’essentiel… Parce que vous vous doutez bien qu’il y a un certain nombre de dossiers sensibles… Différents points qu’il faut qu’on aborde ensemble… Inutile de jouer au chat et à la souris : la décision est prise… Elle vous sera notifiée très prochainement… Ce n’est plus qu’une question de forme… Il y a – que voulez-vous ! – des susceptibilités à ménager… Vous savez aussi bien que moi que la machine est lourde… Et c’est un euphémisme… C’est à vous qu’il appartiendra de lui donner davantage de souplesse… D’essayer en tout cas… Parce que vous aurez fort à faire… Mais vous êtes jeune… Vous êtes plein de dynamisme, d’enthousiame…


- Tu l’as fini, Lamperec ?… Tu l’as mis où ?…
La fumée en filaments lents à travers le cône de l’abat-jour…
- Tu me passes le barême ?…
Sur l’écran, dans l’ombre du canapé, les images défilaient vaguement…
- Qu’est-ce que tu paries que c’est encore Renard qui nous a pondu ce torchon ?…
Leurs deux têtes penchées, studieuses…
- Je retrouve pareil… C’est dans la saisie qu’il a dû se planter… A tous les coups…
Grisette a sauté d’un bond entre eux sur la table…
- Il faudra vérifier dans le fichier… Tu t’en occupes ?…
A cherché sa place, queue levée, adopté le rond lumineux de la lampe…
- On n’a qu’à avancer les deux autres en attendant…
Elle s’est distendue de tout son long sur leurs papiers… Il lui a lâché une caresse distraite…
- Tu vois pas que tu nous gênes, non ?


Le car – personne de connu et c’était un autre chauffeur – la déposa au même endroit que toujours… Elle contourna le transfo, remonta le petit chemin dans les odeurs lourdes…
- Toi !… Toi !…
Dans ses bras…
- Toi !… Mais fallait prévenir !… On aurait… C’est la petite, Lucien !…
- Je le vois bien que c’est la petite…
La toile cirée à grands coups de torchon…
- Alors ?!.. Qu’est-ce que tu racontes ?… Et Marc ?…
Il voulut absolument descendre à la cave…
- Mais c’est pas la peine !…
- Juste une goutte… Après le voyage…
- Remonte aussi du pâté… Le bon… Et des cornichons…
Ils racontèrent le village depuis, dans la chaleur douce de la cheminée…
- Et ils ont fini par s’en aller ensemble… Tous les deux… T’aurais vu la tête du mari…
Elle dormit sans rêves dans la fraîcheur de son lit d’avant… Jusqu’à l’odeur du café le lendemain en bas…


Mains dans les poches elle reprit toutes les promenades de son enfance… Puis celles d’après… Et celles qu’ils avaient faites ensemble tous les deux quand elle lui faisait découvrir son domaine… Les feuilles se soulevaient et craquaient au rythme de ses pas… Et tout était plein d’eux… Au Ternay le brouillard coulait sur l’étang en longs effilochages…


- Et Marc ?…
- Oh, Marc, ça va… Il est complètement débordé en ce moment…
Au couteau, penchée, absorbée, à deux mains très vite… les oignons… la viande… les échalottes… le persil… tout mêlé…
- Tu es sûre ?…
Au dehors le soleil bas d’Octobre transperçait la brume…
- Sûre que quoi ?…
- Que tout va bien…
- Mais oui, maman, enfin !…



Bernadette la reçut en bas au milieu d’une tripotée de gamins…
- Ah, c’est toi !… Tu deviens quoi ?…
Elles s’embrassèrent…
- Tu m’excuses, mais je continue… Sinon…
Elles parlèrent debout… A aller et à venir… A balancer une torgnole… Une autre…
- Me dis pas qu’ils sont tous à toi !…
- Les trois là-bas… Les autres je les garde…
Elles se mirent aux souvenirs…
- Et le jour où sœur Gabrielle est montée sur le bureau pour… Sylvain !… Laisse ta sœur tranquille !… Tu vas t’en ramasser une, tu m’en diras des nouvelles !… Non, mais il a le diable dans la peau ce môme-là…
Elles eurent aussi, vers la fin, quelques fous rires de politesse…
- Tu restes un peu ?… Non ?!… Eh bien reviens alors !… Reviens quand tu veux…
- Je passerai, oui… Je passerai… Promis…


- Tu diras pas qu’on t’avait pas prévenue !…
- Ecoute, maman !…
- On s’est fait assez de souci avec ton père… Même si on préférait ne pas t’en parler… Ou le moins possible… Il y avait tout ce qu’on disait sur son compte… Seulement toi, tu n’as jamais voulu en tenir compte…
- Ce qu’on raconte, maman !…
- C’est vrai que souvent les gens parlent à tort et à travers… Mais c’est vrai aussi qu’au départ il faut bien qu’il y ait quelque chose… Autrement ils ne parleraient pas… Et puis quand ils sont arrivés ici personne n’était fichu de savoir d’où ils sortaient, tu me diras pas le contraire… Et la façon dont il arrêtait pas de tenir tête à ton père au début… A propos de tout et de rien ça le prenait… Rappelle-toi comment on était gênés chaque fois… Tu le disais toi-même… Seulement tu as absolument voulu… Tu as toujours été épouvantablement entêtée… Et maintenant…


Champagne…
- Ca y est !…
Il l’a embrassée, serrée dans ses bras…
- Ca y est !… ca y est !…
Champagne… Ils ont trinqué tous les trois, les yeux brillants…
- Et maintenant Duval n’a qu’à bien se tenir… A lui le tour… Quo non ascendam ?… comme disait le poète… Allez !… On se fait un petit gueuleton ce soir… Foie gras… Saumon… Coquilles Saint-Jacques… On a bien tout ça, non ?… C’est la fête ce soir… La fête… Champagne…
- Tu veux que je t’aide ?…
Elles se sont regardées… Mesurées… Tues… Et elles ont été en gestes ensemble dans la cuisine…


- Ben qu’est-ce tu fais là, toi ?…
Les cent pas… Les cent pas devant la porte de Bénédicte… Je sonne ?… Je sonne pas ?…
- Eh bien rentre !… Ca fait une éternité, dis donc !… Assieds-toi !… Alors ?…
- Alors rien !… Et toi ?… Damien ?…
- Oh, Damien... A force, tu sais…
- Vous êtes plus ensemble ?…
- Si !… Si !… Enfin… Comme ça… Ca dépend… Ca dépend des moments… Avec lui, tu sais !… Et puis il y a son Elise… Tu sais bien comment c’est… Comment ça a toujours été… Il la plaque… Il revient… Il repart… Il sait pas ce qu’il veut… Il a jamais su d’ailleurs… Et il saura jamais… Et toi ?… Comment il s’appelle déjà ?…
- Marc… Oh, nous, ça va… Ca va…


- Tu sais pas ce qu’ils veulent me faire ?…
Furieux il a bousculé la petite console de l’entrée, jeté la pile de dossiers sur le fauteuil…
- Ils veulent me la changer de service !… Non, mais tu te rends compte ?… Me l’envoyer à l’autre bout là-bas au contentieux… Au contentieux !…
Il a marché de long en large, déplacé le grand vase bleu, lissé le rebord du napperon…
- Parce que si je l’avais pas eue !…
Fait couler rageusement l’eau dans la cuisine…
- Et comme je leur ai dit : c’est ridicule !… Complètement ridicule… Voilà des mois et des mois qu’on fait équipe tous les deux… Qu’on obtient les résultats qu’on obtient… Parce qu’on obtient des résultats ils peuvent pas dire le contraire… Et ils ont rien trouvé de mieux… Oh, mais ils m’ont entendu !… Je peux te dire qu’ils m’ont entendu… Parce que s’ils s’imaginent que je vais la laisser partir là-bas…


- Allo… Anne ?… C’est Cécile… Ecoute !… Il y a eu un petit problème…
- Marc ?…
- Mais rien de grave, rassure-toi !… Rien de grave… Il a juste fait un malaise…
- Il est où ?…
- A l’hôpital… On est à l’hôpital… Ils ont préféré… Par précaution…


Il dormait… Pâle… Livide… Les joues creusées… Le goutte à goutte fiché dans la saignée du bras…
- Ce sera rien… Ils ont dit que ce serait rien, mais il nous a fait peur… Qu’est-ce qu’il nous a fait peur !…
Il y a eu des pas dans le couloir… Un chariot poussé… Des flacons entrechoqués…
- C’est Pragnac qui l’a trouvé… Il avait piqué du nez au milieu des dossiers… Il en faisait trop aussi ces derniers temps… Beaucoup trop…


- Non… Non… Il ne faut rien dramatiser, mais je ne vous cacherai pas que c’est quand même extrêmement sérieux… Il a eu beaucoup de chance… Il va falloir qu’il suive son traitement à la lettre… Je compte sur vous… Et puis surtout… surtout… c’est essentiel… Du calme… Du repos… De la tranquillité… Pas de soucis… Pas d’émotions… Pas de contrariétés… Si on veut éviter une rechute… Et cette fois…


Stores baissés il dormait dans la chaleur douce de la chambre, en longues heures silencieuses épuisées… Les bruits familiers de la maison… Ceux de la rue… Et elle l’avait à elle… Quand il ouvrait les yeux ils se prenaient la main en sourire, sans rien dire…


Tous les soirs, en sortant du travail, Cécile venait aux nouvelles… Elle la laissait sur le palier…
- Ca va, oui… Ca va… Il récupère tout doucement… Il est encore très faible… Oui… oui… Bien sûr… Repassez si vous voulez… Quand vous voulez…


Il allait mieux de jour en jour… Il reprenait vie, des couleurs…
- J’ai une de ces faims aujourd’hui !…
Dans l’après-midi Duprat passait l’ausculter, prendre sa tension…
- Il y a du mieux… Beaucoup de mieux…
- Mais oui !… C’est fini… Je vais très bien…
- Oh, ça !…


- C’était qui à la porte ?…
- Rien… Rien… Personne… Dors !…


- Je vais devenir fou, moi, ici !…
- Tu sais ce que Duprat a dit, Marc !…
- Duprat, tu parles !… Il a qu’une idée en tête Duprat c’est de me tenir cloué là le plus longtemps possible pour se remplir les poches…
- Les spécialistes…
- Mais évidemment !… Evidemment !… Ils s’entendent tous entre eux ces cocos-là… Seulement c’est pas eux qui feront le boulot à ma place !… C’est pas eux qu’auront les emmerdements si tout va de travers… Et lundi on a les Mexicains… C’est un marché énorme les Mexicains… Alors ils pourront bien dire ce qu’ils veulent, faire ce qu’ils veulent, moi, lundi je suis là-bas…


- Là… Il va dormir maintenant… J’ai mis la dose… Mais il faut pas le laisser se mettre dans des états pareils, hein !… Il est pas tiré d’affaire… Loin de là… Et, à la prochaine alerte, je réponds plus de rien…
- Je sais bien, docteur, je sais bien… Mais il n’arrête pas de penser à son travail, à là-bas… Ca le rend fou… Il imagine des tas de catastrophes… Que sans lui tout part à vau-l’eau… Ca prend des proportions énormes…
- Il y a pas quelqu’un ?… Un collègue de travail en qui il aurait toute confiance… Qui pourrait le rassurer, le tranquilliser… C’est indispensable parce que sinon…


- Alors, grand chef, tout baigne ?…
Il se soulevait… Elle tapotait les oreillers, les arrangeait …
- Quoi ?… Mais oui… Mais oui… Tout s’est très bien passé…
- Vous les avez décrochés alors ?…
- Evidemment !… Qu’est-ce que tu crois ?…
- Et les Gabonais ?… C’est toujours jeudi les Gabonais ?… Il vaudrait quand même mieux que je sois là, non, pour les Gabonais ?… Parce que si l’autre grand escogriffe…
- Ecoute, Marc, je connais tous les dossiers… Aussi bien que toi… Les Gabonais c’est moi qui l’ai monté…
- Oui, mais quand même !… Quand même !… Si…
- Je suis une incapable, quoi, c’est ça !… Dis-le carrément !…


Et elle fut là tous les soirs… Il étirait la journée jusque là, de chaîne en chaîne, sur le divan… - On paie combien pour ces âneries ?…
Dépliait son journal, se levait jusqu’à la fenêtre, le regard perdu, lui lâchait un baiser distrait au retour, somnolait un peu…


Elle arrivait… Il s’animait…
- Alors ?…
- Alors… Ben alors on a commencé à négocier les Argentins… Bien… On devrait les avoir… Konakry aussi c’est bien emmanché… Tu vois qu’il y a pas de raison de s’en faire…
Elle s’asseyait près de lui, lui racontait là-bas en fous rires partagés…
- Tu sais pas la dernière de Mélusier ?… Ils lui ont fait croire que la petite Anna était folle amoureuse de lui… Et lui, tu le connais, il a donné à fond dans le panneau… Il lui a écrit une lettre enflammée qu’elle a montrée partout… Je te dis pas l’ambiance…


Elle resta aussi manger…
- Qu’on discute encore !… Qu’elle me raconte… Tu peux pas savoir le bien que ça me fait…


Et puis dormir… Dans la petite chambre jaune à côté…
- On va quand même pas l’obliger à se taper une demi-heure de route supplémentaire tous les soirs !… Et une autre le lendemain matin… Surtout par un temps pareil !…


Début décembre Duprat voulut des examens, un bilan et il donna son feu vert…
- Mais alors en douceur, hein !… Il faut qu’il soit raisonnable… Qu’il tire pas trop sur la corde… Parce qu’autrement…


- Elle va partir alors maintenant, Marc ?!… Elle va rentrer chez elle ?…
- Hein ?… Ah oui… Oui… Mais pour le moment tant que je me sens encore pas trop d’aplomb je préfère qu’elle conduise… Qu’elle m’emmène… Qu’elle me ramène… C’est plus prudent…
- Tu la quitteras pas, Marc !… Tu la quitteras jamais !…
- Ah, il y avait longtemps !…
- Tu l’aimes, Marc !… Mais dis-le !… Dis-le !… Pourquoi tu restes avec moi ?… Par pitié ?… Pour pas me faire souffrir ?… Mais c’est encore pire !… C’est pire que tout !… Tu crois que c’est vivable pour moi de l’avoir là sans arrêt entre nous, de voir comment vous êtes tous les deux ?… C’est cruel, Marc, tu sais, c’est insupportable… Alors ça me ferait mal, très mal, mais je préférerais encore que tu me dises une bonne fois pour toutes que tu m’aimes plus et que…
- Mais je t’aime, merde !… Je t’aime !…
- Je te comprends pas… Je te comprends plus… Mais comment on a fait pour en arriver là ?…


Il écrasait le réveil, se penchait sur elle en baiser rapide effleuré…
- A ce soir !…
A côté elle ouvrait les volets, marchait, entrait dans sa journée… Réveillée, mains sous la nuque, elle écoutait… Il y avait le giclement de la douche… Les crachotements de la cafetière… Leurs rires… Le râclement des chaises… Le tintement des tasses… Leurs voix en chuchotements mêlés… La porte d’entrée… Par la fenêtre la voiture allait se perdre là-bas sur le boulevard derrière les arbres…


Deux collègues… De là-bas… A dîner… Avec leurs femmes… Et elle…
- Non… Non… Je suis pas d’accord avec toi… Parce que ça coûte plus cher à l’investissement, ça, c’est sûr… Un type formé au norvégien ou au finnois ça coûte… Seulement on s’y retrouve… Parce que pour acheter tu pourras toujours acheter en anglais ça pose aucun problème, mais pour vendre – et nous, c’est ça qu’on veut, c’est vendre – eh bien pour vendre c’est un sacré plus… Parce que c’est pas seulement que tu leur parles dans leur langue, c’est aussi que tu connais leurs bouquins, leur culture, leur façon de fonctionner… C’est aussi que tu sais par où tu peux les attraper…


Sur la petite table blanche, en contrebas, il y avait d’abord eu sa trousse de toilette, un flacon de shampooing, son parfum. Puis, sur la margelle du lavabo, un gant, sa crème Nivea, sa brosse à cheveux… Ensuite, sur la tablette, ses cotons-tiges, son lait démaquillant, sa crème dépilatoire… Chaque jour ça avançait un peu… Elle repoussait… Ca revenait… Ca s’étalait… Ca envahissait…


- Mais qu’est-ce qu’elle fout, bon Dieu, qu’est-ce qu’elle fout ?… Mais qu’est-ce tu fous, Cécile ?… T’as vu l’heure ?… On va être à la bourre, ça c’est sûr, on va être à la bourre… Et justement ce soir… Avec tous ceux de Stockolm… Et puis les Jaunes… Pas moyen d’y échapper à ceux-là… Ils se faufilent partout, s’incrustent partout… La corvée !… La vraie corvée !… Tu sais pas la chance que tu as, toi, Anne, de pouvoir échapper à ça… Parce que… mais tous les collaborateurs ils ont dit… Pas moyen de se défiler… S’il te plaît, Cécile, s’il te plaît… Tu te rends compte si on arrive après tout le monde ?…
- Deux secondes, Marc !… Ca y est !… Tu voudrais quand même pas que je débarque là-bas attifée n’importe comment ?…
- Mais dépêche-toi !… Pour l’amour du ciel, dépêche-toi !… pourvu que ça se passe bien !… Pourvu que tout se passe bien !…
Elle a traversé en petite culotte noire et soutien-gorge assorti pigeonnant jusqu’à la chambre… - Parce qu’on n’a pas les mêmes méthodes et il y a des moments où t’as vraiment l’impression qu’ils te prennent pour des imbéciles… Ce n’est tout de même pas parce qu’on…
Elle a reparu rouge profond…
- On y va ?…


- Pélissier on va le passer aux expéditions… Il sera très bien aux expéditions Pélissier…
- Oui, mais Lacombe alors tu vas en faire quoi ?…
- Lacombe il faudrait pouvoir s’en débarrasser… Il t’entretient un de ces sales esprits dans le service !… Seulement personne va en vouloir… Si je le propose à Leroy il va hurler… Je l’entends d’ici… Alors à moins de le coller avec Mélissier… Si tu fais ça il faut aussi déplacer Target…
- Hou là là !… Quel casse-tête !…
Ils découvraient l’heure très tard stupéfaits…
- Déjà !… Mais c’est pas possible !…


- Allo… Allo… C’est toi, Cécile ?…
- Ah non, non, c’est pas Cécile, non…
- Je me disais aussi : je reconnais pas la voix… Ca vous ennuierait de lui transmettre un message ?… De lui dire que Julien a appelé… Julien Sérestat… Parce qu’on aurait bien aimé les avoir, Marc et elle, samedi soir… Alors qu’elle m’appelle !… Dès qu’elle pourra… Je bouge pas…


- Ca peut plus durer comme ça, Marc !… J’ai bien réfléchi… Il faut qu’on en sorte… D’une façon ou d’une autre… Alors écoute !… Tu veux que je parte ?… Que je vous laisse ?…
- Mais qu’est-ce que tu vas encore chercher ?…
- Il faut être lucide… Même si c’est dur… Même si ça fait mal… C’est vous le couple maintenant… Vous avez vos projets… Vos amis… Vous faites tout ensemble… Et moi ?… Je suis quoi, moi, là-dedans ?… Elle est où ma place ?…
- Mais on vit ensemble !…
- A trois !… Ou pratiquement…
- C’est avec toi que je dors…
- Et c’est tout… Ce qui compte, ce qui est important, c’est avec elle que tu le vis… Tu l’aimes, Marc !… C’est elle que tu aimes… Et tu le sais très bien…
- C’est plus compliqué que ça…
- Non, c’est pas compliqué, non… Tu l’aimes… Et on peut pas aimer deux personnes à la fois…
- Pourquoi on pourrait pas ?…
- Mais parce que c’est pas possible, Marc, enfin !… On peut quand même pas rester dans une situation pareille… Comme ça… Tous les trois… Non, mais tu te rends compte ?… Ca n’existe pas des choses comme ça… Nulle part…
- Et alors ?!… On s’en fout !… On s’en fout de ce que pensent les gens…
- Mais c’est pas les gens, Marc !… C’est moi… Je pourrai pas… Je pourrai jamais…


Sandrine a levé les yeux au ciel…
- Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?… On en a déjà parlé dix mille fois… Ca tourne en rond ton truc… Ca tourne désespérément en rond… Partir t’y arrives pas et rester ça t’est insupportable… Alors à part danser indéfiniment d’un pied sur l’autre t’as pas vraiment de solution…
- Quelle parte, elle, je voudrais… Qu’elle disparaisse… Qu’elle ait jamais existé…
- Oui, mais ça… Ca dépend pas de toi… Les seules décisions que tu puisses prendre – qu’il faudra bien que tu finisses par prendre – ce sont celles qui dépendent de toi…


Heureux. Complices. Cheminant à pas lents tout au long de la rue des Acacias. Il s’est penché vers elle, lui a murmuré quelque chose à l’oreille. Elle a éclaté de rire, lui a déposé un rapide baiser dans les cheveux. A l’approche de la grille ils se sont lâché la main, ont levé la tête. Elle s’est reculée – vivement – dans l’ombre du rideau…


- Tu es toujours décidé, Marc ?…
- Décidé ?… Mais décidé à quoi ?…
- A ce qu’elle reste là… Entre nous…
- Ah… Il y avait longtemps…
- Mais faut bien qu’on trouve une solution enfin !…
- Faut surtout que tu compliques toujours tout, hein !… C’est plus fort que toi… Tu peux pas t’en empêcher…
- Quoi ?!… Mais je complique rien du tout enfin, Marc !… C’est toi qui…
- Ben voyons !… Ca va être de ma faute… Evidemment… Mais enfin tu attends quoi de moi ?… Que je me comporte comme le dernier des salopards, c’est ça ?… Parce que je te rappelle – une fois de plus – que si je l’avais pas eue je serais dans de beaux draps… Et toi avec par la même occasion…
- Oui, mais c’est fini ça maintenant… Tu es guéri… Tu n’as plus besoin de…
- C’est comme ça que tu vois les choses ?… Eh ben bravo !… Félicitations… En somme pour toi les gens ça se prend et ça se jette quand on n’a plus besoin d’eux…
- J’ai jamais dit une chose pareille…
- Non, mais ça revient à ça…
- On peut pas discuter avec toi… C’est pas la peine…
- Eh bien ne discute plus… C’est sûrement pas moi qui viendrai te le reprocher… Au contraire…
- Non, mais tu te rends compte de ce que tu dis ?…
- Parfaitement, oui…


- Quand je pense que des heures et des heures on passait à parler tous les deux… Parler… Parler… Parler… Sans jamais se lasser… Mais qu’est-ce qui a bien pu se passer ?… Il y a quelque chose qui m’échappe complètement…
- Tu joues avec le feu, là… A force de revenir sans arrêt là-dessus tu vas finir par l’exaspérer… Avec tous les risques que ça comporte pour toi…
- Ben oui… Oui… Mais je peux quand même pas accepter une situation pareille sans réagir !…
- Ca, c’est clair…
- Mais alors faudrait que je dise quoi ?… Que je fasse quoi ?… Et si je lui parlais à elle ?… Si on s’expliquait ?… Entre femmes ?… Hein ?… Qu’est-ce que t’en penses ?…
- Que tu vas t’humilier pour rien... Elle est dans la place et elle a pas le moins du monde l’intention d’en sortir…
- Il y a pas de solution, quoi, en fait…
- Si, il y en a une, si !… Et une seule… Que Marc tu fasses une croix dessus… Une bonne fois pour toutes… Parce qu’elle le lâchera pas… C’est clair comme de l’eau de roche…
- Faire une croix sur Marc ?… Mais comment tu veux ?… J’y arriverai jamais…
- Tombe amoureuse de quelqu’un d’autre… Et la question se posera même plus…
- Et puis quoi encore !… Non, mais t’as de ces idées, toi, par moments…


Elle est entrée sans frapper, s’est assise, d’autorité, sur le rebord de la baignoire…
- Je peux te parler ?…
- Maintenant que t’es là…
- Il va mal, Marc… Psychologiquement… Très mal…
- Il est pas le seul…
- Oui, mais lui il relève de maladie… Et de maladie grave…
- Je suis au courant, merci…
- Il a besoin de calme… De beaucoup de calme… Et de sérénité…
- Ce qui veut dire ?…
- Qu’il n’est peut-être pas nécessaire de lui imposer quotidiennement des discussions qui ne mènent à rien et qui le mettent dans un état d’excitation préjudiciable à sa santé…
- La faute à qui ?…
- Ecoute… Moi, ce qui m’importe avant tout c’est Marc… Le bonheur de Marc…
- Parce que tu crois que c’est pas ce qui m’importe à moi aussi ?…
- Marc a des sentiments pour toi… Et il en a pour moi… C’est comme ça… Et c’est pas facile à vivre pour lui…
- Et pour nous ça l’est peut-être ?…
- On n’a pas le droit d’être égoïstes… Pas dans les circonstances actuelles… Le moins que nous, de notre côté, nous puissions faire pour lui c’est de ne pas trop lui compliquer les choses… Et si chacune de nous deux y met un peu du sien…
- On va pas rester éternellement non plus dans une situation pareille !… C’est pas possible, ça, enfin !…
- Bien sûr que si c’est possible… Quand on aime vraiment tout est possible…


- Le ton sur lequel elle m’a dit ça !… Comme si Marc, moi, je ne l’aimais que tout juste à peine comme ça du bout du cœur alors qu’elle… Je la déteste… Tu peux pas savoir comme je la déteste…
- En attendant c’est sacrément bien manœuvré… Parce que t’es complètement coincée… Que tu rues dans les brancards de quelque façon que ce soit… Que tu bouges seulement le petit doigt… et ça y est !… Te voilà devenu un monstre d’indifférence et d’égoïsme qui met en danger la vie du mari qu’elle prétend adorer… Si tu pars tu le tues à petit feu… Si tu restes tu es réduite au silence… Il a obtenu ce qu’il voulait… Depuis le début… Vous avoir toutes les deux à demeure…Sans vagues et sans complications… Il te tient… Et il la tient… Il vous tient toutes les deux…
- Oui, mais enfin ce genre de chantage à la maladie ça n’aura forcément qu’un temps…
- Oh, alors ça !… On en reparlera…


- Tu viens pas te coucher, Marc ?…
- Non… Faut impérativement qu’on boucle ce dossier… Si c’est pas prêt pour demain… Mais vas-y, toi !… M’attends pas… Je te rejoins… On n’en a pas pour longtemps…
Ils y ont passé la moitié de la nuit…


- Tu vas voir !… Tu vas voir… Cécile le kougloff c’est sa spécialité… Tu nous en diras des nouvelles…
Et Cécile a occupé la cuisine. Toute la matinée. Ouvert les placards. Le réfrigérateur. Mis en marche le robot. Allumé le four. Chez elle…


- Alors comment tu trouves ?…
- C’est pas mauvais…
- C’est délicieux, tu veux dire, oui !… Et la choucroute !… Elle te mijote une de ces choucroutes !… C’est à se mettre à genoux devant… Tu nous en feras une dans la semaine, Cécile ?… Oh, s’il te plaît!…


Et puis un streusel… Des crêpes… Un gâteau Elise… Des…
- Elle a plus d’une corde à son arc, hein !… On croirait pas à la voir comme ça que c’est un aussi bon cordon bleu… Ca va te soulager un peu… Toi qui as toujours eu horreur de faire la cuisine…


Un gémissement. Un autre. Une plainte. Réveillée en sursaut elle a tâté l’absence à côté d’elle. Une salve de plaintes. Un cri de jouissance suffoqué. Elle a collé l’oreille à la cloison. Le silence. Un baiser claqué. Et puis sa voix chuchotée à elle…
- Désolée… J’ai pas pu… C’était trop intense… Elle a entendu, tu crois ?…
- Elle se la pose pas, elle, la question quand je suis avec elle… De toute façon va bien falloir qu’elle s’y fasse… Parce qu’on va sûrement pas continuer à aller se planquer comme des voleurs dans les endroits les plus invraisemblables chaque fois qu’on a envie…


- Tu crois pas que t’as assez bu ?…
- Non… Sur le toit je vais me mettre… Allez, hop !… Elle est vide la bourbonne ?… Eh ben on en commande une autre !… Eh !… Beau brun !… On a soif... La même chose !… Vas-y !… Verse !… Verse !… Bourreau, remplis ton office… Bourreau des cœurs… Avec les yeux que t’as je suis sûre qu’elles te tombent toutes dans les bras… C’est pas vrai peut-être ?… Oh, joue pas les modestes !… On me la fait pas à moi… Eh !… Où tu vas ?… Oui, mais tu reviens alors !… Promets !… Jure !… C’est vrai que je commence à être complètement pétée, moi !…
- Tu fais pas que commencer…
- A la tienne !… Et les deux autres, à ton avis, qu’est-ce qu’ils fabriquent pendant ce temps-là ?… Ils s’envoient en l’air ?… Oui… Evidemment qu’ils s’envoient en l’air… Qu’est-ce tu veux qu’ils fassent d’autre ?… Et elle peut brailler tant qu’elle veut… Il y a personne pour l’entendre… A moins que ce soit ça qui l’excite… Tu paries que c’est ça ?… Tordue comme elle est… Ah… Ils éteignent les lumières… C’est parce qu’on va baiser ?… Nous aussi ?…
- Ils ferment… On est les derniers… Finis vite ton verre… On y va…
- Non… Je veux baiser… Je veux baiser avec beau brun… Il a tout ce qu’il faut dans le pantalon… D’ailleurs on va vérifier… Où il est passé ?… Eh !… Beau brun !…
- Allez, viens, va !…
- Ah non, non !… Je ne sortirai d’ici que par la force des baïonnettes… Quand beau brun m’en aura mis un petit coup… Ah, le voilà !…
- On ferme, Mesdames…
- Oui, t’as raison… Ferme !… On sera plus tranquilles pour tirer notre coup… Tu vas assurer au moins ?… Tu l’as pas toute molle ?… Fais voir !… Oh, mais fais voir, quoi !… Hou la la !… Ca tourne, moi !… Non, mais comment ça tourne… Et les murs ils me tombent dessus… Tiens-moi, Sandrine !… Hou la la !… Tiens-moi !…


- T’as prévenu Marc hier soir ?…
- C’est elle que j’ai eue…
- Ah !… Et tu lui as dit quoi ?…
- Qu’on passait la soirée toutes les deux et que tu dormais à la maison…
- Et ?…
- Et rien… Elle a dit qu’elle transmettrait…
- Non, mais dans quel état je me suis mise…
- Je te le fais pas dire… Mais faut reconnaître qu’il y avait un peu de quoi aussi…
- C’était pas moi ça… Ca me ressemble pas…
- Tu t’es défoulée… Ca t’a fait du bien…
- Oui… Oh, si on veut… De toute façon va falloir qu’il se passe quelque chose… Je sais pas quoi, mais va falloir qu’il se passe quelque chose… Sinon je vais les accumuler les conneries… Et c’est pas une solution…


- Fais-toi belle !…
- Pourquoi ?… Qu’est-ce qu’il y a ?…
- Et elle demande ce qu’il y a !… Quel jour on est ?…
- Le… Ah, oui !… C’est mon anniversaire…
- C’est ton anniversaire, oui… Et je t’emmène au restaurant…
- Mais… Dis-moi, Marc, elle sera là, elle aussi ?… Elle vient avec nous ?…
- Ben bien sûr qu’elle vient !… Tu voudrais quand même pas qu’elle soit pas là un jour comme ça !…


- Mais le pire… Tu sais pas le pire ?… C’est que j’ai pas passé une mauvaise soirée… Lui, il était bien… Détendu… Il plaisantait… A propos de tout… Et de rien… Tu le sentais heureux… Et elle heureuse de son bonheur… Elle, c’est le genre de femme finalement dont je me dis que, dans d’autes circonstances, si la situation n’était pas ce qu’elle est, j’aurais parfaitement pu me faire une amie…


- Tu veux que je t’aide ?…
- Si tu veux, oui… Merci…
Elles ont épluché un long moment en silence…
- Il est bien, hein, en ce moment ?!…
- Ca va, oui !…
- En grande partie grâce à toi… Il te sent mieux… Moins écorchée vive… Moins à cran… Du coup son moral à lui est revenu au beau fixe… Et les risques de lui voir faire une rechute s’amenuisent de plus en plus…
Elle est restée le couteau en l’air, lui a souri…
- Tu vois que c’était pas la mer à boire finalement… Et qu’avec un peu de bonne volonté de part et d’autre…
- Oui, mais…
- Mais ?…
- C’est quand même pas le genre de situation qui peut se prolonger indéfiniment…
- Pourquoi ?…
- Ben parce que…
- Parce que quoi ?… Parce que ça se fait pas ?… Parce que pour tout le monde un couple c’est un homme et une femme… Parce qu’il faudrait qu’on reste prisonniers, tous les trois, des préjugés et des conventions ?… Et on devrait se crêper le chignon… Se battre à mort pour l’avoir ?… Lui rendre la vie impossible en exigeant qu’il choisisse… Ce qu’il est précisément incapable de faire… Est-ce qu’il n’y a pas une façon beaucoup plus intelligente de se comporter ?… Beaucoup plus adulte ?…


- Tu sais quoi ?… Eh bien ils sont en train de t’endormir là tous les deux… De t’engluer… Ca se voit comme le nez au milieu de la figure… Et si tu réagis pas là, maintenant, tout de suite, dans six mois tu en es incapable… Ils t’auront complètement à leur merci… T’es pas de mon avis ?…
- Ben si, si !… Mais je peux faire quoi ?…
- Te tirer… Et vite fait…
- Mais il y a Marc !… Jamais je pourrai vivre sans Marc…
- Dans ces conditions tu prends l’autre avec… T’as pas le choix…
- Mais oui, mais non…
- Il est pas irremplaçable Marc…
- Pour moi, si…
- Pas si tu tombes amoureuse de quelqu’un d’autre…
- Tu me l’as déjà dit… Je pourrai jamais…
- Bien sûr que si !… A moins que tu préfères supporter l’insupportable… Que ce soit ça qui te convienne… Dont tu aies besoin finalement…
- Bien sûr que non, mais…
- Mais ton mari a une maîtresse… Tu l’acceptes… Il la ramène chez toi… Elle vit sous ton toit… Personne accepterait ça… Personne… Toi, si !… Alors continue !… Continue !… Faites carrément et définitivement ménage à trois… Au point où t’en es !…


- Tu m’aimes, Marc ?… Est-ce que tu m’aimes ?… Au moins un peu… J’ai besoin de le savoir… J’ai besoin que tu me le dises…
- Evidemment que je t’aime !… Tu le vois bien, non ?… Tu vois bien que j’ai envie de toi… Souvent…
- Ca, oui… Mais ça fait pas tout… Et ça veut pas forcément dire…
- Qu’on passe beaucoup de temps ensemble…
- A trois… Presque toujours à trois…
- Oui, mais on le passe ensemble…
- Dis-moi, Marc… Tu l’aimes plus que moi ?…
- Oh, tu vas pas recommencer, écoute…
- Si tu devais choisir… Si tu devais vraiment choisir entre elle et moi tu ferais quoi ?…
- La question ne se pose pas…
- Oui, mais si elle se posait ?…
- J’ai pas du tout envie qu’elle se pose…
- Il y a jamais moyen de savoir avec toi… Il y a jamais moyen que tu répondes…


- Sandrine…
- Qu’est-ce qu’il y a ?… T’en fais une tête !…
- Rien… Enfin, si !… Tu sais pas ce que j’ai trouvé en faisant le ménage dans sa chambre ?…
- Ah, parce que c’est toi qui fais son ménage !?…
- Non… Si !… C’est arrangé comme ça… Elle, la cuisine et moi le ménage…
- Vous en êtes là !… De mieux en mieux…
- Non, mais c’est pas la question… Tu sais pas ce que j’ai trouvé ?… Deux livres… L’un, c’est… « Choisir le prénom de son enfant »… et l’autre… « Votre enfant et son signe astrologique »… C’est clair, non ?…
- Ca m’en a tout l’air…
- Et ils m’ont rien dit… Rien… Ni l’un ni l’autre… C’est toujours tout derrière mon dos… J’en ai marre, mais marre… Ils vont quand même pas m’obliger à vivre ça !…
- T’as déjà accepté tellement de choses qu’ils doivent se dire que t’es plus à ça près… Ou, si ça tombe, ils se posent même pas la question… Ils font ce qu’ils ont envie… Sans se préoccuper de toi…
- Oui, non, mais bon… Il y a quand même des limites…
- Je te le fais pas dire…
- Moi aussi, si c’est comme ça, je peux faire ce qui me passe par la tête… Sans me préoccuper d’eux… Mais t’allais sortir, là, non ?… T’allais où ?…
- En boîte… M’éclater un peu…
- Tu m’emmènes ?…
- Eh ben, allez !…


- Tu sais quoi ?… Eh ben c’est la première fois…
- La première fois que quoi ?…
- Que je couche avec quelqu’un d’autre que Marc depuis qu’on est ensemble tous les deux…
- Et tu culpabilises…
- Même pas, non… Il s’en prive pas, lui… Pourquoi il aurait le droit avec une autre et pas moi ?…
- En tout cas ça a donné… On a dû vous entendre jusqu’à trois étages au-dessus…
- C’est que…
- Je sais, oui…
- T’as couché avec, toi aussi ?…
- Non… Mais il a sa réputation Marco… Une fille qu’il branche elle peut être sûre qu’elle va pas s’ennuyer et qu’elle va y trouver sacrément son compte… Par contre faut pas qu’elle s’imagine que ça va durer et qu’elle va pouvoir faire la love story avec…
- Je m’imagine rien du tout…
- C’est pourtant ce qui pourrait t’arriver de mieux… Pas avec lui, non… Mais avec quelqu’un qui serait libre et sérieux… Ca te sortirait, une bonne fois pour toutes, de ce guêpier… Surtout au point où ça en est maintenant… Sinon… Tu sais ce qu’il va se passer sinon ?… Eh bien dans un an c’est toi la nourrice de leur gamin… Tu le garderas pendant qu’ils iront bosser ou passer le week end quelque part en amoureux…
- Et puis quoi encore ?…
- C’est pourtant ce qui te pend au nez…
- Ah non, non !… Mais là, non !…
- On verra…
- C’est tout vu…
- Oh, alors ça !… Je suis prête à prendre les paris que si il y a rien qu’a changé, que si vous êtes toujours tous les trois dans la même situation, que si tu t’es pas cassée d’ici là… Casse-toi !… Mais casse-toi !… Qu’est-ce que tu attends ?…
- Si tu crois que c’est facile !…
- Mais tu attends quoi ?… Tu espères quoi ?…
- Je sais pas…
- Un miracle ?… Il y aura pas de miracle… Il y a jamais de miracle…


- Je te dérange pas ?…
- Non… Assieds-toi…
Sur le bord du lit…
- Je voudrais te demander… Tu es enceinte ?…
- Non… Pourquoi tu me poses cette question ?…
- Parce que… A cause des livres, là…
- Ah… C’est vrai qu’on y pense, oui… Mais ce n’est pas forcément pour tout de suite… La santé de Marc est encore fragile et prendre un congé-maternité, dans les mois qui viennent, ne serait probablement, pour toutes sortes de raisons, une bonne idée… Mais, à mon tour, je peux te poser une question ?…
- Dis toujours…
- Tu n’en as jamais eu envie, toi ?…
- Si !… Bien sûr que si !…
- Mais ?…
- Mais il y avait rien qui pressait… On avait le temps… On verrait plus tard… On voulait profiter d’être tous les deux… Le plus longtemps possible…
- Et maintenant ?…
- Oh, maintenant, vu la situation, c’est plus d’actualité… Plus du tout…
- Ben pourquoi ?… Au contraire…


- Comme ça elle m’a sorti ça… Tranquillement… Non, mais elle est complètement ravagée cette pauvre femme… Ou bien alors il y a quelque chose qui m’échappe… J’arrive pas à la cerner… A voir où elle veut exactement en venir…
- Une chose est sûre en tout cas… C’est qu’elle te sort les vers du nez comme elle veut… C’est la dernière à qui aller faire tes confidences, non, tu crois pas ?… Et pourtant tu te précipites, tête baissée, dans tous les panneaux qu’elle te tend…


- Anne ?!…
Elle s’est retournée…
- Tu me reconnais pas ?…
Non, elle le reconnaissait pas, non, mais quelque chose, pourtant, dans le regard…
- J’ai changé tant que ça ?…
Et dans la bouche… La façon de la plisser… Cette petite moue au coin des lèvres…
- Mais non, je vois pas…
- Jérôme… Jérôme Tavernier… Le lycée Voltaire…
- Ah, Jérôme… Bien sûr !… Jérôme… On se fait la bise…
Jérôme qui lui avait obstinément fait la cour pendant des mois sans qu’elle lui ait jamais rien accordé… D’autorité il l’a prise par le bras…
- Et on va se boire un café… Qu’on évoque le bon vieux temps et que tu me racontes ce que tu deviens…


Elle était mariée, oui…
- Pas toi ?…
- Oh, moi !… Un vrai désastre ma vie sentimentale… Je dois pas être fait pour ça… Ou bien j’ai été trop amoureux dans ma jeunesse… Avec trop de passion… Et du coup tout le reste aujourd’hui m’apparaît d’une insupportable fadeur… Bon, mais et toi ?… Ca se passe bien ?… Tu es heureuse ?…
- Oh, oui !… Oui… De ce côté-là… Oui… Marc est un mari merveilleux… Jamais une dispute… Jamais un nuage… Rien…
- Tu as de la chance… Beaucoup de chance… Quand on voit tous ces couples qui se déchirent… Faut dire que rester fidèle toute sa vie à la même personne c’est pas forcément simple aujourd’hui … Il y a tant de tentations partout… Je sais pas si moi j’en serais capable… Mais qu’est-ce que tu as ?… Tu pleures ?… Ben si, si !… Tu pleures… J’ai dit quelque chose qui t’a blessée ?…
Elle lui a souri à travers ses larmes…
- Mais non, non, c’est pas toi !… Tu y es pour rien…
Il lui a pris la main par dessus la table. Elle la lui a laissée…


- Et tout est sorti… Tout… Je lui ai tout raconté… Deux heures ça a duré…
- Ca t’aura fait du bien…
- Oh, pour ça, oui… Il a une qualité d’écoute Jérôme… Que j’ai jamais rencontrée chez personne d’autre…
- Et maintenant ?…
- Oh, ben rien…
- Vous allez vous revoir?…
- Oh, sûrement, oui… Il m’a dit de l’appeler… Quand j’aurai besoin… Quand j’aurai envie…
- Et tu vas le faire…
- Je vois pas pourquoi je le ferais pas… C’était un bon copain… Je suis très contente de l’avoir retrouvé… Oh, mais va pas te mettre des trucs en tête, hein !…
- Moi ?… J’ai rien dit… J’ai absolument rien dit, je te ferai remarquer…


Il était là…
- Qu’est-ce qu’on fait ?… Qu’est-ce que t’as envie qu’on fasse ?…
- Qu’on parle… On marche un peu ?…
Et ils ont lentement remonté les boulevards. Evoqué leurs années de lycée…
- Tu l’as eu, toi aussi, Fortet ?… Qu’est-ce qu’il pouvait être bordélisé !…
Ont traversé le parc de la mairie…
- T’as revu personne du lycée alors depuis du coup ?…
- Personne, non, mais j’ai pas cherché non plus…
Se sont laissé glisser vers le chemin de halage. Ont cheminé dans le soleil en faisant crisser les feuilles sous leurs pas… Et elle lui a reparlé de Marc. De Cécile. Jusque tout au bout là-bas…
- Mais je t’embête avec mes histoires…
- Pas du tout… Non…
Ils se sont arrêtés. Il l’a doucement attirée contre lui. A posé ses lèvres sur sa tempe. L’a piquetée de petits baisers. Sur la pommette. La joue. Le menton. Le nez. Au-dessous. Ses lèvres. Elle ne s’est pas dérobée. Elle s’est pressée contre lui. L’a entouré de ses bras…
- Il y avait longtemps, si longtemps, que j’attendais ça…
Et ils ont fait demi-tour…


- Tu es toute seule ?… Marc n’est pas là ?…
- Non… Les grands pontes de Tokyo ont débarqué impromptu… Réunion en comité restreint… Très restreint… Ils ont même pas voulu de moi… J’en ai profité pour te cuisiner des Saint-Jacques… Je sais que t’adores ça…
- Excellente idée… Il y a du blanc au frais ?…
- J’en ai mis… Un petit Pouilly fumé de derrière les fagots… Tu m’en diras des nouvelles…
- Parfait…
- Qu’est-ce qui t’est arrivé ?…
- Rien… Pourquoi ?…
- Je sais pas… T’as l’air toute guillerette… T’es pas comme d’habitude en tout cas…
- Ah oui ?…
- Je préfère ça, tu sais… Et de loin… Parce que quand tu tires une tronche de dix kilomètres…
- Avoue qu’il y a quand même de quoi… Tu me piques mon mec…
- Je te l’ai pas piqué… Tu l’as toujours…
- Oui, mais enfin !…
- C’est difficile à admettre ça pour toi, hein ?…
- Plutôt, oui…
- Si je n’aimais pas Marc – profondément – si je n’aimais pas Marc jamais je n’aurais accepté de le partager avec toi… Ni avec qui que ce soit d’ailleurs…


- Je comprends ce qu’elle veut dire… Mais c’est pas pour autant que… En attendant s’il y a quelqu’un qui s’est rendu compte de quelque chose hier c’est elle… Pas Marc qui, en rentrant, n’était occupé que de sa réunion, de l’effet qu’il avait pu produire sur les uns et les autres et des avantages qu’il allait bien pouvoir en tirer… Il y a que son boulot qui compte vraiment pour lui… Ses promotions… sa carrière… Je me demande s’il me voit encore… s’il nous voit encore… parce que, de ce côté-là, elle est guère mieux lotie que moi… En attendant on a passé une excellente soirée toutes les deux… Presque meilleure – il faut bien l’avouer – que quand Marc est là…
- Ah oui ?!… Comment t’expliques ça ?…
- C’est que Marc il ramène toujours tout à lui… Il n’y a que ce qu’il vit, lui, qui a de l’importance… A ses yeux et – c’est ce qu’il s’imagine – à ceux des autres… Il est forcément le centre de toutes les conversations… Il n’imagine seulement pas qu’il puisse en aller autrement… Mais c’est en partie de ma faute… Quand tu es en adoration devant un mec… Quand tu ne vis plus que par lui… Si j’avais su montrer que j’existais, moi aussi… Si j’avais existé pour moi…
- Ce que tu commences à faire on dirait… Vous avez parlé de quoi du coup toutes les deux ?…
- De tout… De rien… Ca sautait sans arrêt d’un sujet à l’autre… Et tu sais ce que j’ai failli faire à un moment ?… Lui parler de Jérôme…
- C’est sûrement pas ce que t’aurais fait de mieux…
- Je sais, oui… N’empêche !… Comment j’étais tentée…
- Tu vas faire quoi maintenant avec lui ?…
- Oh, c’est un ami, Jérôme… C’est pas parce qu’on s’est embrassés… J’aurais pas dû… Mais je remettrai les choses au point… Dès qu’on se verra… C’est un ami… Et ça restera un ami… Qui peut m’apporter beaucoup… Enormément… Ne serait-ce qu’en m’écoutant… J’ai plus l’habitude qu’on m’écoute… Qu’on m’écoute vraiment… Qu’on reconnaisse que j’ai quelque chose à dire… Un homme en tout cas…
- Mais tu penses pas que lui il va avoir envie d’autre chose ?… Depuis le temps qu’il est amoureux de toi…
- Oui, mais ça !… C’est Marc que j’aime, moi !…
- Tu es sûre ?…
- Sûre et certaine…


- Tu pleures ?…
- Oui…
- Pardonne-moi !… Je suis désolé…
- C’est pas ta faute…
- Ben si !… Si !… Si, c’est ma faute…
- C’est tout autant la mienne… Je t’ai laissé faire… A aucun moment je ne t’ai dit « Stop »…
- Je suis idiot… Si j’avais eu une once de jugeotte…
- C’est pas un drame non plus… On a couché ensemble… Bon, ben voilà… Non… Ce qu’il y a… Ce qu’est difficile… Ce qui fait mal… C’est que j’étais sûre, depuis toujours, que ça n’arriverait jamais… Que je serais toujours fidèle à Marc… Qu’on serait éternellement fidèles l’un à l’autre… Et puis… Alors s’il y a un coupable à chercher quelque part… S’il faut absolument en trouver un… ce n’est ni de ton côté à toi ni du mien qu’il faut chercher… Je ne t’en veux pas, tu sais, Jérôme… Loin de là… Ca devait arriver… Les choses étant ce qu’elles sont ça devait forcément finir par arriver… Alors autant que ce soit avec toi qu’avec quelqu’un d’autre… Toi, je te connais… Tu es sincère… Tu ne triches pas… C’est important pour moi, tu sais… Très…


- C’était pas vraiment la première fois… Il y a eu le soir où… Avec Marco…
- Ca comptait pas ça… J’éprouvais rien du tout pour lui…
- Et maintenant ?…
- J’en sais rien…
- Mais si, tu le sais… Tu le sais très bien…
- Ce que je sais surtout c’est que j’ai besoin qu’on m’écoute… De compter vraiment pour quelqu’un… Et de ce côté-là Jérôme c’est Jérôme…


- Ca va trop vite, Jérôme… Ca va beaucoup trop vite… Tu trouves pas, toi, que ça va trop vite ?…
- En quoi trop vite ?…
- Comment on est en train de s’attacher l’un à l’autre…
- C’est sûrement pas moi qui vais m’en plaindre…
- Ca va aller où comme ça ?… Ca va déboucher sur quoi ?…
- On verra bien… Te pose pas tant de questions… Prends les choses comme elles viennent…
- Facile à dire… Mais je suis mariée, moi, Jérôme… Je suis pas libre…
- Là-dessus il y aurait beaucoup à dire, non, tu crois pas ?…
- Il n’empêche… Il n’empêche que je peux pas rayer tout ça d’un trait de plume…
- Personne te le demande…
- En attendant ce que je suis en train de faire, moi, c’est exactement ce que je lui reproche de faire depuis des mois…
- Ce n’est quand même pas tout-à-fait la même chose…
- Ben si !… Si !… D’une certaine façon, si !…


- Tu sais ce qu’il m’a fait ?…
- Qui ça ?… Jérôme ?…
- Non… Pas Jérôme, non !… Marc… Parce que attends !… Je téléphone pour dire que je rentre pas… Je tombe sur Cécile… Je donne pas d’explications… J’avais pas à en donner… Elle fait pas de commentaires… Elle avait pas à en faire… Là-dessus je passe toute la journée dehors… Et toute la nuit… Et encore toute la journée d’après… Et quand je rapplique enfin tu crois qu’il s’inquiète de savoir où j’étais passée ?… Pas le moins du monde… Il remet ça avec ses histoires de bureau… Qui me sortent par les yeux… Qui me sortent vraiment par les yeux… Je finis par l’interrompre… « - Tu me demandes pas où j’étais ?… - Hein ?… Oh, ben chez Sandrine sûrement… - J’étais pas chez Sandrine, non… - Ah non ?… T’étais où alors ?… »… Sur le ton de quelqu’un qui s’en fout complètement… Et il s’en fout d’ailleurs complètement…
- Tu lui as répondu quoi ?…
- Rien… Et il a pas insisté… Il est reparti dans son truc… Il y a que ça qui compte pour lui… Il y a que ça qu’est important…
- Peut-être qu’il se doute de quelque chose… Et qu’il préfère faire l’autruche… Ne pas regarder la réalité en face…
- Lui ?… Tu parles !… Non… Alors là c’est vraiment pas le genre de choses qui risque de lui venir à l’esprit… Que sa femme aille voir ailleurs ?… Inconcevable… Même pas envisageable… Comment est-ce que je pourrais seulement en avoir l’idée ?… Alors que j’ai la chance de l’avoir, lui ?…
- Tu avais bien envisagé de le quitter…
- Il y a jamais vraiment cru… Non… Pour lui je fais partie des meubles… Il me voit seulement plus… L’autre aussi d’ailleurs… C’est ce qu’est en train de lui arriver… Comme à moi… Pareil… Parce qu’il a beau en parler sans arrêt du boulot je sais pas trop ce qu’est en train de s’y passer vraiment, mais j’ai l’impression qu’il a nettement moins besoin d’elle… Ou bien alors qu’elle a pas les compétences suffisantes maintenant qu’il est monté en grade… J’en sais rien… Et j’m’en fiche… Elle, c’est pas mon problème… Mais alors là vraiment pas…
- Donc… tu étais avec Jérôme…
- Evidemment que j’étais avec Jérôme… Avec qui veux-tu ?…
- Et ?…
- J’aurais jamais dû… Marc je vois de plus en plus tous ses défauts…


- Encore !
- Encore, oui !…
- Peut-être qu’il en a une autre ?!… Une troisième…
- Qu’il va ramener ici avec nous…
Et elles ont été prises toutes les deux d’un gigantesque fou rire…
- J’en pleure, moi !…
- Ca fait du bien, tiens !…
- Non, mais sérieusement qu’est-ce qu’il trafique ?…
- On le mène en bateau… On lui fait miroiter un poste de directeur en Tchéquie…
- Hein ?… Mais il m’en a pas parlé…
- Oh, il y a encore rien de fait !… Il a beau ne pas ménager sa peine et en passer par tout ce qu’ils veulent – la preuve ! – il y a rien de fait… Et ça se fera jamais…
- Tu es sûre ?… Mais faut lui dire !…
- C’est ce que je me tue à faire… Mais tu le connais aussi bien que moi… Quand il a quelque chose dans la tête…
- Oui, alors si je comprends bien on va être amenées à en passer des soirées toutes seules !…
- Et pas seulement des soirées… Des week end aussi… Pour rien… C’est ça le pire… Absolument rien…


- Il voudrait carrément me jeter dans les bras de Jérôme qu’il s’y prendrait pas autrement… Parce qu’on passe un temps fou ensemble tous les deux du coup…
- Jérôme dont tu es de plus en plus amoureuse…
- Oui… Non… J’en sais rien en fait…
- Comment ça t’en sais rien ?…
- Je sais plus où j’en suis… Il est adorable Jérôme, tendre, attentionné et tout et tout, mais je me demande… Il y a quand même des trucs…
- Quels trucs ?…
- Tout un tas de petits détails qui m’agacent… Des habitudes de vieux garçon… Il a quasiment toujours vécu tout seul Jérôme… Il est plein de manies… Je sais bien que c’est pas important, que je devrais pas en tenir compte, mais je peux pas m’empêcher… Il y a des moments j’y arrive… Et il y en a d’autres je vois plus que ça… Et puis il y a beau y avoir eu tout ce qu’il y a eu – et ce qu’il y a encore ! – je me dégoûte de tromper Marc… Et pas qu’un peu…
- Parce que tu crois qu’il a ces scrupules, lui !…
- C’est pas une raison…
- Si on veut…
- Je suis complètement paumée, Sandrine… Complètement… Il y a des jours où je me dis qu’évidemment je l’aime Jérôme… Ca se voit comme le nez au milieu de la figure… Et qu’est-ce que j’attends pour en tirer toutes les conséquences ?… Et d’autres où je me dis que non… C’est Marc… C’est toujours Marc… Malgré tout ce que je peux dire… Malgré tous ses défauts… Malgré tout ce qu’il me fait vivre… Tout ce qu’il continue à me faire vivre…


- Tu as quelqu’un d’autre que Marc, hein ?…
- Je sais bien que t’es pas idiote…
- Tu passes des heures dans la salle de bains… Tu disparais des journées entières… Pas besoin de me faire un dessin…
- Je me doutais bien que t’avais compris… Et depuis un bon moment…
- Je voudrais pas me montrer indiscrète, mais… c’est du sérieux ?…
- Si seulement je le savais…
- Fais quand même attention à toi…
- Oui, oh…
- Et à Marc… Si tu devais le quitter il le prendrait très mal, tu sais… Il t’aime… Il t’aime vraiment…
- Ben on dirait pas…
- Si !… Même s’il est très maladroit… Même s’il se montre souvent incapable d’exprimer ce qu’il ressent…
- C’est quand même fabuleux !… Parce que n’importe quelle femme, à ta place, sauterait de joie à la perspective de me voir débarrasser le plancher… Elle pousserait à la roue… Et toi, c’est tout juste si tu me supplies pas de pas le plaquer…
- Je sais que c’est difficile à comprendre…
- C’est le moins qu’on puisse dire…
- Il t’aime… Il m’aime… Et je veux son bonheur…
- Mais moi aussi !… Moi aussi !… Seulement…
- Seulement ?…
- Est-ce que j’existe pour lui maintenant ?… Est-ce que j’existe vraiment ?…
- Bien sûr que oui !… Tu entendrais comment il parle de toi…
- Ca fait pas tout parler… Encore faudrait qu’il me le prouve un minimum… Qu’il ne consacre pas tout son temps à son travail…
- Je sais… Je sais… Tu crois que je n’en souffre pas, moi aussi ?… Mais c’est aussi un peu pour nous qu’il le fait, non, tu crois pas ?…
- Et c’est le meilleur moyen de nous perdre… Moi en tout cas…


- Tu vas peut-être – sûrement même – me trouver complètement folle, mais il y a quelque chose en moi qu’aurait presque envie de lui donner raison…
- A quel propos ?…
- A propos que je vois pas pourquoi on pourrait pas aimer plusieurs personnes à la fois finalement…
- Ben voyons !…
- Si, c’est vrai… C’est des conventions ces histoires d’un seul homme avec une seule femme… Ou d’une seule femme avec un seul homme… C’est des habitudes… Mais si tu regardes autour de toi tu te rends bien compte que c’est pas naturel… Que ça existe qu’en se forçant… Que tout le monde, à un moment ou à un autre, finit par tomber amoureux de quelqu’un d’autre… Rien que moi : jamais je serais allée m’imaginer que ça pourrait m’arriver un jour… Eh bien regarde dans quelle situation je suis !… Marc… Jérôme… Jérôme… Marc… S’il faut absolument que je choisisse je vais me bouffer la tête… Hésiter… Revenir en arrière… Rendre tout le monde malheureux pendant des semaines et des semaines… Et moi avec… Tu peux pas savoir comment ça m’apaise l’idée que ben non… non… au bout du compte il y a rien qui m’oblige à choisir vraiment… sauf que dans nos sociétés ça a toujours été comme ça… Un plus un… Point final… Seulement c’est pas parce que quelque chose dure depuis des siècles que ça doit continuer à durer… Qu’il faut pas le changer… Regarde tout le mal que ça a fait ça de pas se donner le droit d’écouter ce qu’on éprouve vraiment… Combien d’existences gâchées !… Eh ben ils auront pas la mienne… C’est comme… tu vas pas me dire… A quoi ça rime de devoir détester une autre femme sous prétexte qu’elle aime le même homme que toi ?… Ca tient pas debout si on y réfléchit bien… Au contraire… Ca devrait rapprocher…
- Ah !… T’en es là !… Eh ben dis donc !…


- Jérôme… Qu’est-ce tu crois pour nous ?… Qu’est-ce tu penses qu’il va se passer ?…
- Ca… J’en sais rien du tout… Je prends les choses au jour le jour… Je te vois… Je te parle… Je t’écoute… Je te serre dans mes bras… Je te fais l’amour… Même dans mes rêves les plus fous je n’avais pas imaginé que ça puisse arriver un jour… Alors j’en profite… Je savoure… Sans trop me préoccuper de quoi demain sera fait…
- Mais t’as bien une idée de la façon dont tu aimerais que les choses tournent quand même !…
- Ce que tu es en train de me demander en fait c’est si je voudrais que tu quittes Marc … Non ?… C’est pas ça ?…
- Non… C’est plutôt comment tu réagirais si je le faisais pas… Ou du moins pas tout de suite… Si ça traînait…
- Jamais je n’ai revendiqué quoi que ce soit…
- Je le sais bien, Jérôme, je le sais bien…
- Et je viens de te répondre… Je profite de tous les instants avec toi… A plein…


- Bon, les filles !… Vous m’écoutez ?… Qu’est-ce que vous diriez d’un petit week end à la mer ?…
- Là ?… Maintenant ?… Comme ça ?… Tout de suite ?…
- Ben oui… Tout de suite… Plus tôt on sera partis et plus tôt on sera arrivés… Et plus tôt on sera arrivés et plus on en profitera… Allez !… Vous avez un quart d’heure pour préparer vos affaires… Pas une minute de plus…


- Qu’est-ce qui lui prend ?…
- Il lui prend… Tu emportes ton séchoir ?… Pas la peine que je traîne le mien alors !… Il lui prend qu’on a eu une discussion tous les deux hier soir et que je lui ai démontré, par a plus b, qu’à agir comme il agit, qu’à ne vivre que par son travail, il était en train de te perdre… Ca l’a énormément affecté… Beaucoup plus encore que je ne l’imaginais… Et tu le connais… Tu sais ce qu’il peut avoir d’excessif par moments… Tiens, écoute-le qui s’impatiente…


- Bon… Qui c’est qui conduit ?… Cécile ?… T’as envie ?… Eh ben vas-y !… Allez, hop!… En route…
- Moi, je demande pas mieux… Mais… on va où ?…
- Prends l’avenue et roule tout droit… Vers l’Ouest… Je te dirai le moment venu… Que je suis con !… Non, mais qu’est-ce que je peux être con par moments !… Faut me secouer, hein, quand c’est comme ça !… Faut pas hésiter… Parce qu’il y a des fois je me rends pas compte… Je suis tellement dans mon truc que je vois plus rien de ce qui se passe autour… A droite, là, tourne à droite… Oh, mais ça va changer… Vous allez plus me reconnaître… Parce qu’ils m’ont eu une fois, mais ils m’auront pas deux… Comme je disais tout à l’heure à Tissandier : « - Faut quand même pas nous prendre pour des imbéciles… Ils nous ont roulé dans la farine… Aussi bien l’un que l’autre… A nous faire miroiter des trucs dont ils savaient pertinemment, dès le départ, que ça déboucherait pas… »… Seulement à malin malin et demi… A notre tour maintenant… Et celle qu’on leur réserve ils vont pas la voir venir… Oh, mais vous inquiétez pas !… En toute légalité ce sera… Ils pourront rien nous reprocher… Absolument rien…
- Dis, Marc, c’est pour nous parler boulot que tu nous emmènes en week end ?…


- Qu’est-ce qui lui prend ?…
- Oh, rien !… On voit que t’es encore jamais allée sur une plage avec lui… Il s’y supporte pas… Il va aller et venir comme ça tout l’après-midi… Une fois d’un côté une fois de l’autre… Parce qu’il veut faire l’effort de rester avec nous, mais en même temps il peut pas rester en place…
- Ca va vite devenir exaspérant…
- Il y a un moyen simple d’échapper à ça… Tu tiens absolument à faire le lézard ?…
- Pas vraiment, non…
- Eh bien on s’offre un petit shopping à Arcachon alors… Il suivra pas… Il a horreur de ça…
- Il va faire quoi ?…
- Aller sur son ordinateur… Sûrement…


- On n’est pas pressées… On se mange une glace, là, en terrasse ?… Ca a l’air sympa…
- Si tu veux… Oui… Si tu veux…
- Je suis très contente de mon après-midi… Très…
- Moi aussi… J’ai trouvé le petit haut dont je rêvais depuis longtemps… Et puis… Pourquoi tu ris ?…
- Je ris pas… Je souris… Je souris parce que je suis en train de me dire que si on n’était parties que toutes les deux, sans lui, ça n’aurait pas vraiment fait une grande différence…


Cécile l’a laissée en bas devant la porte de l’hôtel…
- Monte !… Je vous rejoindrai tout à l’heure… J’ai une course à faire…
Il a refermé précipitamment son ordinateur comme un petit garçon pris en faute, s’est levé, est venu à sa rencontre…
- Alors ?… Ca a été ?…
- Très bien, oui… Mais je me sens toute collante… Je vais prendre une douche…
Il l’y a rejointe, l’a prise contre lui…
- Tu t’entends bien avec elle, hein ?… De mieux en mieux…
- Disons qu’on a pas mal de points communs…
- Je suis heureux… Tu peux pas savoir comme je suis heureux…
Ses lèvres… Ses mains sur elle… Et puis lui… En elle… Elle a sangloté son plaisir dans son cou…


Au restaurant ils eurent une petite table un peu à l’écart, à l’extérieur, sous des guirlandes électriques multicolores…
- Qu’est-ce qu’il fait bon !… Qu’est-ce qu’on est bien tous les trois !…
Il leur a pris à chacune une main, les a gardées dans les siennes, portées ensemble à ses lèvres…
- Je me souviendrai longtemps de cette soirée… Très longtemps… Mais dites, vous me laissez pas recommencer, hein ?… Vous me promettez ?… Dès que vous voyez que je me relaisse complètement bouffer par mon boulot vous me tirez la sonnette d’alarme… Je tiens pas à vous perdre, moi !… De toute façon maintenant c’est souvent qu’on va s’en aller comme ça… A la mer ou ailleurs… Toutes les semaines… Ou presque…
- Faut pas tomber non plus d’un excès dans l’autre, Marc…


Elles déjeunèrent toutes les deux sur le balcon, face à la mer, en prenant tout leur temps…
- C’est idyllique !… Vraiment idyllique…
- Qu’est-ce qu’on fait ?… Parce que si on attend Marc…
- On peut attendre un moment… Il va en écraser toute la matinée…
- Faut dire qu’après moi hier après-midi et toi cette nuit… Surtout que vous avez pas fait semblant…
- J’ai bien essayé de… mais…
- Ca n’a pas d’importance… Ca n’en a plus… Tu as pris ton pied… C’est très bien comme ça… Bon, mais alors qu’est-ce qu’on fait ?…
- Un peu de plage ?… Tant qu’il dort…
- Moi, je serais bien retournée à Arcachon… Au magasin de déco, tu sais ?… C’était à la fin… On était fatiguées… J’ai pas eu le temps de bien voir… Mais j’ai l’impression qu’il y avait des trucs ils iraient super bien chez nous dans le séjour… Oui… D’ailleurs à ce propos je voulais te demander… Si on le refaisait de fond en comble le séjour ?… Dans des tons de gris et de rose… Quelque chose de subtil… De raffiné… Hein ?… Qu’est-ce que tu en dis ?…
- Ce que j’en dis ?… C’est que je suis ravie de t’entendre parler comme ça… Pour plein de raisons… Mais surtout parce que ça signifie, en filigrane, que tu vas rester… Que tu ne vas pas quitter Marc pour Jérôme…
- J’en ai de moins en moins l’intention…
- Et lui ?… Jérôme ?… Tu vas continuer à le voir ?…
- Il y a pas de raison… Il m’apporte beaucoup… Quelque chose de différent… Et puis reconnais quand même que ce serait dégueulasse de m’être accrochée à lui comme une sangsue quand j’avais besoin et de le jeter comme un malpropre maintenant qu’il m’est beaucoup moins nécessaire… Bon, mais allez, on y va à Arcachon ?…


- Il vous reste plus qu’à baiser tous les trois ensemble, quoi !…
- Mais non, mais…
- Mais si !… Partis comme vous êtes partis c’est ce qui va forcément finir par arriver… Non, mais tu te rends compte où vous en êtes arrivés ?…
- Tu voudrais quoi ?… Qu’on soit à couteaux tirés toutes les deux ?… Qu’on se fasse autant de mal que possible ?… Qu’on se livre un combat à mort jusqu’à ce qu’il y en ait une qui reste sur le carreau ?… J’en suis plus là…
- C’est toi qui vois… C’est ta vie… Moi, ce que j’en dis…
- C’est quelqu’un que j’ai appris à connaître Cécile… Que j’apprécie davantage de jour en jour… On aime le même homme ?… Ben oui… Oui… On aime le même homme… Oui… C’est comme ça…


- Tu me le tiens ?… Bien droit… C’est magnifique… Absolument magnifique… Non ?… Tu trouves pas ?…
- Faudrait vraiment être de très mauvaise foi pour prétendre le contraire…
- On a bien bossé, hein ?!… Je suis curieuse de savoir ce que Marc va en penser…
- S’il se rend seulement compte du changement…
- Oh, quand même !…
- Alors ça !… C’est pas gagné… Il est à nouveau dans son monde Marc… Repris par le boulot… Il y a plus que ça qui compte… Tu paries qu’il va s’apercevoir de rien ?…
- T’as peut-être raison… Sûrement même… Si on lui met pas le nez dessus… Ca a pas duré longtemps les bonnes résolutions, hein…
- C’est pas de la mauvaise volonté… C’est que… il est comme ça… Faut faire avec…
- Tu sais que je te croyais aussi fanatisée que lui au début ?…
- C’est vrai que j’aime beaucoup mon boulot… C’est vrai aussi qu’il y a eu un défi à relever… Que ça avait quelque chose d’enthousiasmant… Et de très stimulant… Mais de là à ne vivre que par ça… J’ai – Dieu merci ! – beaucoup d’autres intérêts dans la vie…
- Ce que je comprends pas, c’est qu’il a pas toujours été comme ça… Au début qu’on était ensemble on faisait plein de choses tous les deux et il y avait toutes sortes de trucs qui le passionnaient… L’architecture… L’Histoire… La généalogie… Et puis, au fil du temps, il y en a plus eu que pour son boulot… Et ça fait qu’empirer…
- A mon avis c’est pas tellement le boulot le fond du problème, c’est la reconnaissance qui va avec… Il a beaucoup à prouver Marc… C’est vital pour lui… Mais le jour où il aura prouvé tout ce qu’il a à prouver… Ou plutôt le jour où il aura compris qu’il peut bien prouver tout ce qu’il veut ça prouvera jamais rien… Pas plus à lui qu’aux autres… Ce jour-là… bien des choses vont changer…
- C’est pas demain la veille…
- Non… Non… Mais ça approche à grands pas… Il y a des signes précurseurs… De plus en plus de signes précurseurs, moi, je trouve…


- Il y a quand même des moments où j’ai l’impression qu’ils se foutent carrément de moi…
- Ca fait un moment que je te le dis, Marc…
- Parce que soi-disant la Tchéquie… Bon… Ca l’a pas fait… Mais la Slovénie c’était sûr… Sûr et certain… Mais maintenant non… La Slovénie non plus… Ce serait l’Estonie… L’Estonie c’est comme si c’était fait… Moi, je veux bien y croire, mais…
- Ce sera pas l’Estonie non plus… Et en attendant ils t’exploitent tant et plus…
- De toute façon qu’est-ce que tu veux qu’on aille faire dans tous ces pays-là , Marc ?… Où on connaît absolument personne… Et d’où, si ça tombe, il faudra redéménager dans trois mois…
- J’ai vraiment l’impression qu’on me mène en bateau…
- C’est pas une impression, Marc… C’est la réalité… Tout le monde le sait là-bas… Tout le monde en parle derrière ton dos…
- Oui, ben dans ces conditions… Qu’est-ce que c’est que ça ?…
- Quoi donc ?…
- Ben là autour… Les murs… Les rideaux… Et tout…
- Ah, enfin !… Ca y est !… T’as remarqué… Ca te plaît ?…
- Mais c’est génial… Absolument super…


- Et Jérôme ?… Tu le vois toujours ?… Tu m’en parles plus…
- Oui… Oui… Evidemment que je le vois…
- Mais ?…
- Mais rien… Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?…
- T’as l’air nettement moins enthousiaste…
- Non… Non… Il est toujours aussi adorable… On parle toujours autant… Mais… Mais je m’ennuie un peu avec lui maintenant… Non… C’est même pas vraiment ça… Je sais pas comment expliquer… Quand je suis avec je pense qu’à rentrer chez moi… Il y a que là que je me sens vraiment bien en fait… Du coup j’abrège… Autant que je peux… Comme je veux qu’il ait au moins ça on passe très vite au lit… Presque tout de suite… Et l’impression que ça finit par donner c’est que je suis venue juste pour tirer un coup… Et je m’en veux de l’image de moi que ça me renvoie… Et je lui en veux à lui…


- Il y a eu explication… Et je peux vous assurer que ça a donné… On a dû nous entendre trois étages en-dessous… Ca m’est égal… J’ai dit ce que j’avais à dire…
- Et le résultat de tout ça ?…
- Ils sont restés sur leurs positions… Et moi sur les miennes… Mais tu avais raison, Cécile… Ils me font miroiter des tas de trucs qui n’arriveront jamais…
- Depuis le temps que je te le dis…
- Oui, mais cette fois fini de jouer… Je ferai mes trente-cinq heures… Comme tout le monde… Et puis le reste du temps je vais vivre… On va vivre… Vous m’entendez ?… VIVRE…


Passionné… Ardent… En longues caresses arabesques… En baisers douceur éparpillés… Ils ont eu leur plaisir ensemble… Et il l’a gardée longtemps contre lui… Doux… Tendre… Amoureux…
- Je peux te demander quelque chose ?…
Il s’est lancé très vite…
- Tu as quelqu’un, hein ?…
- Pourquoi tu me demandes ça ?… On t’a dit quelque chose ?…
- Un coup de téléphone au boulot…
- Charmantes méthodes…
- Oui, mais tu m’as pas répondu… Tu as quelqu’un ?… Evidemment que tu as quelqu’un… Quel imbécile je fais… Ca fait des semaines et des semaines qu’il y a des tas de signes… J’ai rien vu… J’étais obnubilé par les autres imbéciles de là-bas… Je peux pas t’en vouloir… Manquerait plus que ça… Mais ça fait mal, tu sais !… Ca fait très très mal…
- Je sais, Marc… Je sais… Je suis bien placée pour…
- Je voudrais juste que tu me dises… Ca va pas tout remettre en question pour nous, hein ?… Tu vas pas t’en aller ?…
- Mais non, Marc, non… Il a jamais été question de ça…
- Tu es sûre ?…
- Certaine…


- Tu sais à quoi j’ai pensé au contraire sur le coup ?… A quitter Jérôme… C’était comme une évidence… Mais quand j’ai été dans ses bras… Quand j’ai été dans ses yeux… J’ai pas pu… Je pourrai pas… Il est beaucoup trop important pour moi Jérôme… Beaucoup plus que je ne le pensais…
- Marc te l’a pas demandé…
- Non, bien sûr que non, mais… Tu sais quoi, Sandrine ?… Je l’ai jamais aussi bien compris qu’en ce moment Marc… Tout ce qu’il a pu vivre… Comment il a pu se sentir déchiré entre elle et moi…
- Faut quand même pas non plus…
- Tu sais ce que je voudrais finalement ?… J’y ai pensé toute la nuit… Tu sais ce que ce serait l’idéal ?… C’est de les avoir tous les deux à demeure à la maison… Seulement ça malheureusement c’est pas possible…
- Pourquoi pas possible ?… Il l’a bien ramenée, elle, lui… Pourquoi toi, tu le ferais pas ?…
- Parce que… Je sais pas… Je serais bien trop mal à l’aise… Et puis de toute façon Jérôme il accepterait jamais un truc pareil…


- Pourquoi tu ris ?…
- Parce que… Parce que si on m’avait dit qu’un jour je serais à poil dans la salle de bains avec la maîtresse de mon mari en train de lui faire ses mèches…
- Quoique… en ce moment – même si j’ai ce mot en horreur – ce serait plutôt toi la maîtresse… Il y en a plus que pour toi… Tout juste s’il me regarde encore…
- Oui, mais ça, c’est…
- L’effet Jérôme… Je sais, oui… Ca me tracasse pas plus que ça… Mais lui, par contre, je peux te dire qu’il s’en pose des questions… Il arrête pas… « - Tu crois qu’elle va partir ?… Ben oui !… Forcément… Même qu’elle dise le contraire elle va partir c’est obligé… »…
- Je n’en ai pas du tout l’intention…
- Je le sais bien… Et c’est ce que je me tue à lui répéter… Mais tu le connais… Quand il s’est mis quelque chose en tête… Et ça le reprend de plus belle… « - Elle est très amoureuse de lui ?… Tu le sais ?… Elle t’en parle ?… Qu’est-ce qu’elle te dit ?… Et puis d’abord qui c’est ce type ?… Tu le connais ?… - Non, je le connais pas , Marc… Non… Je l’ai jamais vu… La seule chose que je sache, c’est que c’est quelqu’un qu’elle a connu au lycée… - Dont elle m’a jamais parlé… Comme par hasard… Je suis sûr qu’elle en était amoureuse folle… Qu’elle en est encore amoureuse folle… C’est bien ça… Il va suffire qu’il claque des doigts et elle va le suivre au bout du monde… Mais fais quelque chose, Cécile, enfin !… Toi qu’es une femme !… - Mais te mets pas dans des états pareils, Marc, enfin !… Ca t’avance à quoi ?… - T’en as de bonnes, toi !… Je voudrais t’y voir à ma place… Non… Tu sais ce qu’il faut ?… Tu sais la première chose à faire ?… C’est de voir à quoi il ressemble ce type… De le sonder… De voir ce qu’il a dans le ventre…


- Et si ?…
- Et si quoi, Marc ?…
- T’aurais pas envie ?…
- Mais envie de quoi, Marc ?…
- D’un enfant… Depuis le temps… Non ?… Tu voudrais pas ?…
- Ben si !… Non… Si !… J’en sais rien en fait… Tu me demandes ça comme ça, là… Faut que je réfléchisse… Faut qu’on réfléchisse…
- Réfléchir ?… Pour quoi faire réfléchir ?… Ca, c’est un sujet plus on réfléchit et moins on se décide… Faut foncer… Il y a pas d’autre solution… Faut foncer…


- Là-dessus il a pas tout à fait tort…
- Ca le prend comme ça d’un seul coup… Alors que ça fait des années que c’est un sujet qu’on n’évoque même plus…
- Il a senti le vent du boulet… Il est prêt à tout pour te garder…
- Oui… Ca, j’avais compris, Sandrine, merci…
- Tu vas faire quoi ?…
- Arrêter la pilule… Sûrement… Oh, je sais pas… Je sais plus… Je vais voir…


- Faut que je te dise quelque chose… Marc voulait pas que je t’en parle, mais je peux pas… Faut absolument que je vide mon sac…
- Eh ben vas-y !…
- J’ai vu Jérôme…
- Tu l’as vu ?… Où ça tu l’as vu ?…
- Chez lui… Marc a tellement insisté que j’ai fini par céder…
- Alors comme ça vous faites vos petits coups en douce derrière mon dos ?…
- C’est pas très joli joli, je sais…
- C’est le moins qu’on puisse dire… Bon… Mais alors c’était quoi le but de l’opération ?…
- Rassurer Marc sur les intentions de Jérôme…
- Ce qui n’a pas beaucoup de sens… Il peut bien raconter ce qu’il veut…
- Marc comptait beaucoup sur ma perspicacité pour démêler le vrai du faux…
- Et alors ?…
- On a longuement discuté tous les deux…
- Pour en arriver à quelle conclusion ?…
- Qu’il est très attaché à toi… Ca fait pas l’ombre d’un doute… Mais qu’il ne se fait guère d’illusions non plus… Il est persuadé que vous ne vivrez jamais ensemble… Et que tu finiras par le quitter…
- C’est le plus vraisemblable en effet… J’en sais rien en fait… Bon… Mais… Et Marc ?… Ca l’a rassuré ?…
- D’une certaine façon, oui… Et d’une autre pas du tout… Maintenant il veut le rencontrer… Pour se faire une idée par lui-même…
- Ben tiens !… Et puis quoi encore !…


- Tu crois qu’il va le faire ?…
- Ca fait pas l’ombre d’un doute… Il a envoyé Cécile en éclaireur pour être sûr de pas tomber sur un os, sur un sauvage qu’allait lui dévisser la tête, mais maintenant qu’il est rassuré de ce côté-là il va y aller…
- Pour lui demander quoi ?… De te quitter ?…
- Oh, non, non… Il est bien trop malin pour ça…
- Pour quoi faire alors ?…
- Pour essayer de se le mettre dans la poche Jérôme… C’est sa façon de fonctionner à Marc… En amadouant les gens, en les caressant dans le sens du poil, il se figure qu’il peut en obtenir tout ce qu’il veut… Sauf qu’en l’occurrence ça va pas lui servir à grand chose… Parce que je n’ai pas du tout l’intention de quitter Marc pour lui…
- Et de le quitter, lui, Jérôme ?…
- Non plus… Il m’apporte beaucoup… Infiniment… Et je ne compte pas y renoncer… Personne ne me le demande d’ailleurs… Et personne ne me le demandera… Ce serait quand même un comble, avoue…


- De toute façon il va te le dire…
- Qui ça ?… Quoi ?…
- Ton ami… Jérôme… Que je suis allé le voir…
- T’es allé le voir !… Mais pour quoi faire ?…
- Sa connaissance… Et je dois dire que j’ai été très agréablement surpris… C’est quelqu’un avec qui on peut parler… J’ai passé un excellent moment… Et ça va peut-être t’étonner, mais c’est quelqu’un que j’aimerais beaucoup revoir… Avec qui je suis sûr que j’aurais plein de choses à échanger… Avec qui je me trouverais, au fil du temps, une foule de points communs…
- Tu crois pas que tu en fais un peu trop, Marc ?…
- Un peu trop ?… En quoi un peu trop ?… J’ai beaucoup réfléchi, tu sais, ces derniers temps… A tout ce qu’on a vécu… A tout ce qui s’est passé… C’est un miracle qu’on ne se soit pas perdus… Que je ne t’aie pas perdue… Un vrai miracle… C’est à toi qu’on le doit… A la façon dont tu as su te comporter avec Cécile… Mais c’est pas gagné… Pas complètement… Pas définitivement… On peut encore se perdre… J’en ai parfaitement conscience… Alors à mon tour maintenant… A mon tour de savoir me comporter avec Jérôme… De savoir l’accepter… Pour que cela ne se produise pas…


- Tu sais ce qu’il m’a fait ?… Il a invité Jérôme au restaurant avec nous… Sans m’en parler avant… Soi-disant pour me faire la surprise…
- Et tu l’as mal pris…
- J’ai horreur qu’on me mette devant le fait accompli…
- Jérôme aussi aurait pu t’en toucher un mot avant, non ?… Histoire de savoir ce que t’en pensais…
- Il a sûrement pas été imaginer que je pouvais ne pas être au courant…
- Et alors ?… Ca a donné quoi la soirée ?…
- Ca a donné qu’ils ont parlé Formule 1 tous les deux pendant des heures…
- Et que Cécile et toi vous vous êtes somptueusement emmerdées…
- Oh non, non !… On a discuté toutes les deux de notre côté… C’est pas les sujets de conversation qui nous manquent… Mais enfin faut bien reconnaître que ça a quelque chose d’un peu surréaliste…
- Ca… Je te le fais pas dire…


- Personnellement je prendrais le paille… Mais, à mon avis, le parme convient mieux à ta couleur de peau…
- J’hésite…
- Il préférerait quoi Jérôme ?…
- Oh, alors là !… Si tu crois qu’il se préoccupe de la couleur de mes sous-vêtements… C’est le cadet de ses soucis…
- Prends les deux… Allez !… Prends les deux… L’autre je te l’offre…


- Ca devient une tradition notre petit glacier après le shopping…
- Ca t’ennuie ?…
- Oh non, non !… Au contraire… Ca nous permet d’être toutes les deux… De parler à cœur ouvert… Et justement… Tu en penses quoi, toi, de la façon dont les choses sont en train de tourner ?…
- A propos de… ?… Marc et Jérôme ?…
- Ben oui… Oui… Ils jurent plus que l’un par l’autre… Demain soir ils vont voir je ne sais trop quel match avec Marseille… Samedi c’est un rallye je sais plus trop où… La semaine prochaine ce sera encore autre chose… Jusqu’où ça va aller tout ça ?…
- Que Marc pense un peu à autre chose qu’à son travail c’est pas forcément plus mal…
- Vu comme ça, oui… Et puis jusqu’à présent je ne lui avais jamais connu d’amis… D’amis hommes je veux dire… Il a toujours été incapable de m’expliquer pourquoi… Que ça lui arrive enfin j’en suis ravie pour lui… Sauf qu’il faut que ça tombe, comme par hasard, sur Jérôme… Et ça…
- Faut reconnaître que ça ne simplifie pas les choses…
- C’est le moins qu’on puisse dire… L’important, pour moi, avec Jérôme, c’était que je pouvais me confier… Que je pouvais tout dire… Ca va devenir beaucoup plus difficile… Pratiquement impossible… Tu sais que je finis par me demander si c’est pas délibéré de la part de Marc… Si le but de la manœuvre c’est pas de nous éloigner l’un de l’autre Jérôme et moi finalement…
- Oh non, non !… Marc voit pas si loin… Il est pas si machiavélique… Non… Il est convaincu – il me le répète assez – que le meilleur moyen de te garder c’est d’accepter Jérôme… Complètement… De la même façon que tu m’as acceptée, moi…
- Sauf que ce n’est pas vraiment la même chose… Toi, il t’a imposée à moi… Chez moi… Moi, je n’ai jamais cherché à lui imposer Jérôme… Ni à lui ni à qui que ce soit…
- Il fait ce qu’il croit qu’il faut qu’il fasse pour ne pas te perdre… Ca a quelque chose d’émouvant, non ?…
- Et d’étouffant… Je me sens dépossédée… De quelque chose qui n’était qu’à moi… Qui aurait dû ne rester qu’à moi…
- Ca a aussi ses avantages… Pas besoin de te cacher… De mentir… De tricher…
- Je ne suis pas certaine de gagner vraiment au change…
- Peut-être quand même un peu, non ?…
- Il est toujours dans l’excès Marc… Pour tout… Il en fait trop… Beaucoup trop… Accepter Jérôme, c’était une chose… Se jeter dessus… S’en emparer… C’en est une autre…
- Il y a tout un tas de questions qu’il se pose pas Marc… Qu’il est hors d’état de se poser… Qu’il se posera jamais…


- Alors ?… Ce match ?…
- Bien… Oh oui, bien… Hein, Jérôme ?…
- Ah oui… Oui… La seule chose… On aurait dû gagner…
- Oui, mais t’as vu cet arbitre ?… Non, mais franchement… D’où ils nous ont sorti ça ?…
- En attendant deux points ça nous a fait perdre…
- On les rattrapera… Te casse pas la tête qu’on va les rattraper… Dès la semaine prochaine… A Saint-Etienne… Tu paries qu’on les rattrape ?… Et si on y allait ?… Hein ?… Ca vous ennuie pas, les femmes ?… Eh ben on y va alors…


- J’ai connu ça… Alors là j’ai connu ça… Trois fois… Et chaque fois ça m’a foutu mon couple en l’air… Ils sont comme ça les mecs !… Dès qu’ils ont des copains avec qui ils partagent un intérêt quelconque il y a plus que ça qui compte… Et à n’importe quel âge… Il y a plus rien d’autre qu’existe… Et surtout pas nous… Faut dire ce qui y est… Au jour d’aujourd’hui hommes et femmes on n’a pas grand chose en commun… Ce qui les passionne, eux, à nous ça nous paraît puéril… Et ce qui nous passionne, nous, à eux ça leur paraît futile… A partir de là…
- Il y a quand même des hommes avec qui tu peux discuter… Echanger vraiment…
- Oui, oh, alors ça !… Ca n’a qu’un temps… La preuve !…
- Quand même… Quand même… Avec Marc c’est pendant des années et des années qu’on a eu les mêmes goûts… Qu’on a tout fait ensemble…
- Tu en es si sûre que ça ?… Si ça l’avait vraiment pleinement contenté tu crois qu’il se serait passé ce qui s’est passé avec Cécile ?…
- Ca n’a rien à voir…
- En apparence… Ca traduisait à tout le moins une insatisfaction… De la nature de laquelle il n’avait pas forcément vraiment conscience… Et Jérôme ?… Qu’est-ce qui est le plus important maintenant pour lui ?… Passer des heures à parler avec toi ou passer des heures à regarder des milliardaires taper dans un ballon ?… Non !… Faut pas rêver… Tu vas les voir de moins en moins… L’un comme l’autre… D’autant moins qu’ils vont s’en faire d’autres des copains… Avec qui ils iront courir à droite et à gauche… Avec qui ils passeront le plus clair de leur temps… Avec qui ils vont rejouer leur adolescence…


- J’aime bien aller voir un film avec toi… Parce qu’après, quand t’en parles, je me rends compte qu’il y a plein de choses… j’étais passée complètement à travers… Et qu’étaient tellement évidentes pourtant… Je sais pas comment tu fais…
- C’est à force d’en voir et d’en voir…
- Moi aussi j’en ai vu… Plein…
- Pas le même genre…
- Oui, ça c’est vrai… Mais comment j’aimerais bien arriver à tout comprendre comme toi…
- Ca viendra… Avec le temps ça viendra…
- Bon, mais faudrait peut-être qu’on se rentre…
- Il y aura personne à la maison… Alors de toute façon…
- Tu crois ?…
- Je crois pas… Je suis sûre…
- Tu sais ce que je me dis des fois ?… C’est que c’est quand même fabuleux… Parce que j’ai un mari… J’ai un amant… Et j’y ai droit tous les tournants de comète… Faudrait peut-être que je m’en trouve un troisième ?…
- Qui, si ça tombe, aurait rien de plus pressé que d’aller rejoindre les deux autres…


- Vous êtes où, les femmes ?… Ah, vous êtes là… Qu’est-ce que vous faites ?…
- Eh bien tu vois on cuisine…
- Je mange pas là… Avec Jérôme on a décidé de se mettre au badminton… Et on a entraînement d’ici… quoi ?… Un quart d’heure… Ca vous ennuie pas ?…
- Au point où on en est…
- Non… Parce qu’on s’est dit que maintenant à notre âge ce serait quand même pas mal de faire un peu de sport… Si on veut pas se taper un infarctus prématurément… Et puis ça va nous donner l’occasion d’aller faire des tournois ici ou là… D’élargir notre horizon… De rencontrer du monde…


- Tu es malade ?…
- Oui… Si… Enfin non… Je suis enceinte…
- Tu es sûre ?…
- Certaine… J’ai fait le test… Tu vois, ça devait être toi… Et puis finalement c’est moi…
- Il en dit quoi Marc ?… Il doit être ravi, je suppose, non ?…
- Je lui ai pas encore annoncé… J’appréhende… Il a tellement la tête ailleurs que j’ai bien peur que ça lui fasse ni chaud ni froid…
- Oh, quand même !…
- De toute façon… tu imagines Marc papa en ce moment ?… Il a des préoccupations beaucoup plus essentielles…
- Ce qui veut dire ?… Que tu comptes pas le garder ?…
- Oh, si !… Si !… Je vois pas pourquoi je me priverais, moi, d’avoir un enfant sous prétexte que Marc est complètement immature…
- Ca, c’est sûr…
- Et toi ?…
- Quoi, moi ?…
- T’y pensais à un moment… Tu devrais… On les élèverait ensemble… Toutes les deux… Parce que plus ça va et plus tu sais ce que je me dis… C’est que Marc on va pas rester avec… Ni l’une ni l’autre…