dimanche 16 septembre 2018

Détournements coquins (2)


LA JEUNE MADAME


Vallotton. Die Kranke, 1892

– Alors ? Comment elle va, notre jeune Madame, ce matin ? Mieux ?
Elle fait de la place, sur la table de nuit, pour pouvoir y déposer la tasse qu’elle apporte.
– Un peu. Je ne vomis plus, non, mais j’ai toujours des nausées. La tête qui tourne. Et de la fièvre, sûrement.
Vous savez ce que le docteur a dit. Il vous faut être patiente. Bien prendre vos remèdes. Et vous reposer. Vous reposer le plus possible.
– Ah, je m’en souviendrai, Bénédicte, de mes vingt ans ! Au lit, je les fête. Au lit !
– Vous êtes jeune. Vous en aurez d’autres, des anniversaires. Beaucoup d’autres.
– Oui, mais vingt ans, ce n’est pas un anniversaire comme les autres. Et Norbert qui n’est pas là. En plus !
Bénédicte redresse l’oreiller, remet la courtepointe en place.
– La mère de votre époux est au plus mal. Sa place, à lui, est tout naturellement à son chevet.
– Je sais, Bénédicte, je sais, mais avoue que tout semble se liguer contre nous en ce moment.
– Il ne sert à rien de broyer du noir.
Elle lui tend la tasse.
– Allez, avalez-moi ce breuvage tant qu’il est chaud. Et puis nous ferons un brin de toilette.
– Demain, Bénédicte, demain. Attendons demain. J’irai mieux demain.
– C’est ce que vous avez déjà dit hier. Non, non. Une toilette s’impose. Je reviens. Je vais chercher ce qu’il nous faut.

* *
*

Elle ramène la chaise au bord du lit, y dépose broc, cuvette et serviettes.
– Allez, on retire cette petite chemise.
– Demain, Bénédicte, va !
– Pas demain, non. Aujourd’hui. Ce n’est pas parce qu’on est malade qu’on doit se négliger. Allez, hop !
Elle repousse draps et couvertures.
– Soulevez-vous !
Et s’empare, d’autorité, des rebords de la chemise qu’elle lui fait passer par-dessus la tête.
– Là ! D’abord le dos. Tournez-vous ! Sur le ventre. Et laissez donc ce drap tranquille ! Qu’est-ce que c’est que ça ? Faites voir ! Ah, si, si, faites voir ! Lâchez ! Oh, là là ! Vous avez le derrière dans un état, mais dans un état !
Elle fronce les sourcils.
– Qui, mais qui vous a arrangée de cette façon-là ? Ni Monsieur votre père ni Madame votre mère, assurément. Jamais ils ne lèveraient la main sur vous.
– Leur dis pas, Bénédicte ! Tu vas pas leur dire, hein !
– Quant à Monsieur votre époux, il est, depuis plus d’une semaine, à des centaines de kilomètres d’ici. Alors qui ?
– Je veux pas qu’on sache.
– Eh bien alors, expliquez-moi !
– C’est à cause de l’an dernier, au couvent.
– Au couvent !
Elle s’assied, à ses côtés, au bord du lit.
– Oui, parce qu’avec deux autres filles, un jour, là-bas, en cachette, on s’est amusées à se donner la fessée.
– Et ça vous a plu.
– Un peu.
– Et vous avez recommencé. Souvent ?
– Quelquefois.
– Tant et si bien que, maintenant, vous ne pouvez plus vous en passer.
Elle lui soulève le menton. Du bout du doigt.
– Regardez-moi ! Et répondez-moi ! C’est ça, hein ?
– Oui.
– Et à qui demandez-vous donc de bien vouloir vous corriger ? Certainement pas à votre époux. Il en serait scandalisé, le pauvre jeune monsieur. Et, de toute façon, il est absent. Alors à qui ?
– À personne. Je m’arrange.
– Toute seule ? Et vous y trouvez vraiment votre compte ?
– J’essaie, mais…
– Si je puis me permettre…
– Oui, Bénédicte ?
– Au cas où la jeune Madame souhaiterait que je lui rende ce menu service, il lui suffirait de l’exiger de moi.
– Et tu me garderais le secret ?
– Le plus absolu.
– Alors vas-y !
– Maintenant ?
– Maintenant, oui. Par-dessus l’autre. Et tape, hein ! Fais pas semblant.
– Oh, pour ça, la jeune Madame peut me faire confiance. Elle va s’en souvenir.
Et elle lance une première claque. À toute volée.


RENDEZ-VOUS



Louis-Abel Truchet Le chalet du château de Madrid. Bois de Boulogne (vers 1900)

– J’avoue que vous m’avez surpris, chère amie. Vouloir que nous nous retrouvions ici, au Bois, alors que nous disposons d’un lieu bien à nous où je peux, en toute discrétion, vous administrer les retentissantes fessées auxquelles vous aspirez.
– Peut-être ai-je mes raisons ?
– Sans doute… Sans doute…
– Que vous connaîtrez, soyez-en sûr, en temps opportun.
– Serait-ce parce que votre ravissante croupe d’albâtre conserve des preuves manifestes de la dernière correction qui lui a été infligée ?
– Elle en conserve, assurément. Et d’éclatantes.
– En sorte que vous ne souhaitez pas que je la martyrise davantage.
– Vous savez bien, d’expérience, que cela n’a jamais été pour me déplaire. Bien au contraire.
– En effet. Serait-ce alors que la présence de tous ces gens, autour de nous, qui ne savent pas, qui ne se doutent pas, fait naître en vous de délicieuses sensations ?
– Ce n’est pas vraiment désagréable, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit non plus.
– Vous mettez ma curiosité au supplice.
– Mon pauvre ami, que je vous plains !
– Moquez-vous, cruelle !
– Cruelle, moi ! Comment vous y allez ! Cruelle ? Alors que je m’abandonne, sans retenue et sans la moindre protestation, aux châtiments que vous jugez bon de m’imposer chaque fois que vous estimez que je les ai mérités.
– Il est vrai.
– Et c’est souvent.
– Je n’en disconviens pas. À ce propos, d’ailleurs, comment diable vous y prenez-vous pour que votre époux ne s’avise jamais de rien ?
– Une femme sait user de toutes sortes de subterfuges.
– Puis-je les connaître ?
– Certes, non. Contentez-vous de savoir qu’il est hautement improbable qu’il découvre jamais à quels traitements vous m’exposez.
– Comme vous voudrez.
– Eugène…
– Oui ?
– J’étais ici avec lui dimanche dernier.
– C’était donc cela !
– À cette même table où je me trouve présentement avec vous. Ce n’est pas bien, n’est-ce pas ?
– C’est même très mal.
– Vous allez me punir ?
– D’une monumentale fessée que vous viendrez ici même asseoir, demain dimanche, en sa compagnie.
– C’est bien ainsi que je l’entendais.
– Alors allons, Madame, allons !




LA PESTE


John William Waterhouse Consulting the Oracle. Tate Britain.

Caïus fait la moue.
– Ça marchera jamais…
– Bien sûr que si !
– Tu crois ?
– Je crois pas. Je suis sûre. Allez, file ! Qu’elles te trouvent pas là en arrivant. Je t’appellerai, le moment venu.

– Bon, allez, tout le monde est là ?
– Il manque Julia. Elle viendra pas. Ça lui fait bien trop peur ce qu’ils vont dire les dieux.
– Et Octavie. Mais elle voudrait quand même savoir pour son bébé.
– Alors, on commence. S’il y en a qui ont des questions…
Elles en ont. Toutes.
– Est-ce que je vais enfin tomber enceinte ?
– Est-ce que mon père va guérir ?
– Mon mari, avec cette autre femme ?
– Mon voyage ? Ça se passera bien ?
– Et les élections pour Clodius ?
– Et mon fils ? Il sera décurion ?
– Holà ! Pas toutes en même temps. Sinon…
Elle s’assied sur ses talons, se concentre, les yeux clos, les mains bien à plat sur les genoux.
Elles se taisent. Les fumées de l’encens planent au-dessus de leurs têtes, en volutes entêtantes. Le silence se fait lourd. Compact. Une ombre passe sur son visage.. Elles échangent des regards inquiets. Une autre. De plus en plus inquiets. Elle fronce les sourcils, esquisse une grimace, semble contempler quelque chose, très loin, avec épouvante.
Antonia n’y tient plus.
– Il y a quelque chose qui va pas ?
D’un geste impérieux, elle lui intime l’ordre de se taire.
Elle se lève, s’approche du rideau sacré, tend l’oreille. Un long moment. Et puis se tourne vers elles.
– Les dieux ne veulent pas répondre à vos questions.
– Hein ? Mais pourquoi ?
– Parce que…
Elle hésite.
– Mais vas-y ! Dis-le !
– Parce qu’ils estiment qu’au regard des grands malheurs qui nous attendent, vos petites préoccupations sont dérisoires.
– Qui nous attendent ! Mais qui attendent qui au juste ?
– Nous tous…
– Et c’est quoi ?
Elle baisse les yeux. Et la voix.
– La peste.
– Comme sous Titus ?
– En pire. En bien pire. C’est par dizaines de milliers que se compteront les morts.
Elles crient, horrifiées. Elles se frappent la poitrine. Elles s’arrachent les cheveux.
– Mais pourquoi ? Pourquoi ?
– Les dieux sont profondément irrités contre les humains. Qui ont mérité, selon eux, un châtiment exemplaire. Attendez ! Chut ! Écoutez…
Elle hoche la tête, plusieurs fois, en signe d’assentiment.
– Ils disent…
Elle les fait attendre. Un long moment.
– Quoi ? Mais parle à la fin !
– Ils disent que la peste épargnera celles qui accepteront, de leur plein gré, un châtiment d’un autre ordre.
– Quel châtiment ?
– Le fouet. Vigoureusement administré par une main masculine. Celle de Caïus en l’occurrence.
Un long silence. Presque aussitôt suivi d’un immense brouhaha. Qui dure. Qui s’éternise. Qu’elle finit par interrompre.
– Les dieux attendent une réponse.
– Est-ce qu’on a vraiment le choix ?
– Si vous voulez rester en vie, non.
Elles ne veulent pas mourir. Ah, non ! Non… Elles vont en passer par là. Même si… Elles en passeront par là. Bien obligées. Elles le lui confirment. Toutes. Les unes après les autres.
– Ce sera quand ?
– Maintenant.
Leurs regards s’affolent.
– Maintenant !
– C’est à prendre ou à laisser.
Elles soupirent, se lamentent, supplient les dieux de leur accorder des délais.
– Ils s’impatientent. Ne les laissez pas changer d’avis…

C’est Livia qui commence. Elle laisse tomber sa toge. Lentement. Avec un profond soupir. Les autres suivent son exemple. Elles ôtent leurs vêtements. Tous leurs vêtements. Toutes. Toutes ensemble.

Elle passe la tête.
– Tu peux venir, Caïus. C’est mûr. Elles sont nues. À toi de jouer. Et ne les ménage pas !

Il surgit. Le fouet claque et s’abat en sifflant, avec force, sur la première croupe qui se présente. Celle d’Antonia.

FÂCHEUSE FESSÉE



Jose Jimenez Aranda Bajo los naranjos


Récit d’Amanda

– Tu sais quoi, Anne ? Je l’ai vu.
– Qui ça ?
– Ben, José, tiens ! Le type de l’autre soir au bal. Même qu’on a passé l’après-midi ensemble.
– C’est pas vrai ! Et alors ?
– Quand je pense que, pendant des semaines et des semaines, j’ai pris des tas d’itinéraires compliqués pour essayer de lui tomber dessus sans jamais y arriver, et que là, sans le faire exprès, paf, on se trouve nez à nez.
– Il t’a reconnue ?
– Tu parles s’il m’a reconnue ! Il m’ a foncé droit dessus, oui ! Avec un grand sourire. « Ben alors ! Vous avez filé comme une voleuse, l’autre soir ! Et moi qui me faisais une telle fête de vous inviter à danser !»
– Ah, ben d’accord ! Et qu’est-ce que tu lui as répondu ?
– Rien. J’étais plantée là, à le regarder comme une imbécile, sans pouvoir sortir le moindre mot. Il m’a prise doucement par le bras. « On marche un peu ? Vous voulez bien ? » Tu parles si je voulais bien ! On a pris un sentier sous les arbres et il m’a dit des tas de choses. Qu’il m’avait remarquée tout de suite, l’autre soir, dès que j’étais entrée dans la salle. Que je lui avais fait un effet, mais un effet ! Que j’avais un visage bouleversant. C’est le mot qu’il a employé. Bouleversant. Non, mais tu te rends compte ? « Laisse-moi le regarder ! S’il te plaît ! » On s’est arrêtés. On s’est fait face. Et alors ses yeux ! Oh, là là, ses yeux ! Ils étaient tellement tout pleins de moi, ses yeux. De son envie de moi. Et ses mains ! Il les a approchées. Il me les a délicatement posées sur les tempes. Qu’il a caressées, du bout du pouce. Et puis, après, les paupières, les joues, les lèvres. Ça me rendait folle. Il me rendait folle.
– Déjà que tu flashais complètement dessus avant.
– Il s’est penché. Plus près. Encore plus près.
– Et il t’a embrassée.
– Voilà, oui. Et alors là, si tu savais !
– Non, mais j’imagine… Bon, et je suppose que, vu que vous en creviez d’envie autant l’un que l’autre, vous vous êtes trouvé un petit coin tranquille et que vous vous êtes envoyés en l’air.
– Oui. Enfin, non. Ça s’est pas vraiment passé comme ça.
– Ah…
– Non, parce que… Bon, c’est vrai qu’au bout d’un moment, à force de s’embrasser sans arrêt, tous les trois mètres, on a fini par aller s’asseoir à l’ombre. Et là, forcément, il a commencé à vouloir aller plus loin.
– Ce qui n’était pas pour te déplaire, avoue !
– Surtout que comment il sait y faire !
– Et vous êtes pas allés jusqu’au bout ? Je comprends pas tout, là…
– C’est que… Je t’ai bien raconté…
– Quoi donc ?
– Les fessées.
– Ah ! Et t’en avais reçu une.
– Hier soir.
– Oh, zut !
– Je serais morte de honte s’il s’était rendu compte. Et, vu comment ça se passait, il s’en serait forcément rendu compte. Surtout que j’ai le derrière dans un état ! Ç’aurait été des tas de questions du coup. En plus !
– Comment tu t’es tirée d’affaire ?
– En lui disant que c’était pas prudent. Que quelqu’un pouvait passer et nous surprendre.
– Il a pas insisté ?
– Oh, si ! Et pas qu’un peu ! Mais j’ai tenu bon. Et fini par avoir gain de cause. À condition de lui jurer qu’on se reverrait bientôt. Très bientôt. Quelque part où on serait tranquilles.
– Tu l’as fait ?
– Évidemment ! D’autant qu’il est amoureux de moi.
– Oh, tu crois ?
– Je crois pas. Je suis sûre. Il y a des signes qui ne trompent pas. Je suis heureuse. Si tu savais !


Récit de José

– Tu sais que je l’ai revue, la petite caille du bal ?
– Ah, oui ? Et alors ? C’était quoi la raison pour qu'elle disparaisse, comme ça, au bout d’à peine une heure ?
– Je lui ai pas demandé.
– Je vois… Vous aviez mieux à faire.
– Oui. Enfin, disons que j’ai posé des jalons. Parce que ça tombait plutôt mal.
– Mal ?
– J’avais passé la nuit avec Inès. Et tu la connais. Faut pas lui en promettre à elle.
– Ah, ça ! Elle te met carrément sur les rotules, oui. Je suis bien placé pour le savoir.
– Sauf que des petits lots comme Amanda, c’est pas tous les jours que t’as l’occasion. Faudrait être idiot pour la laisser passer.
– Et t’as trop présumé de tes forces.
– Je me suis pas posé la question en fait. J’ai foncé.
– Pour te prendre le mur en pleine tronche.
– C’est la première fois que ça m’arrive. En tout cas à ce point-là. Au début je m’affolais pas trop. Bien roulée comme elle était. Et une fille que j’avais encore jamais eue en plus. Ça allait forcément finir par venir. Oui, ben t’as qu’à y croire ! Il y avait strictement rien à faire. J’ai eu beau farfouiller tant et plus dans son corsage, lui mettre les nénés à l’air. Des nénés bandants que le diable en plus. Tout juste comme je les aime. Pas trop gros. En pente douce. Avec de larges aréoles brunes. Le rêve, quoi ! Eh, bien rien ! Pas le plus petit début de commencement de bandaison. Mais c’était pas possible, ça, merde !
– Et plus tu te concentrais dessus, plus tu voulais que ça vienne et moins ça le faisait. Classique.
– Peut-être que si elle me l’avait prise en main… mais la première fois, c’est rare qu’une fille, elle ose. Et puis même… T’imagines que je lui sois resté tout flasque entre les doigts ? Oh, la honte !
– Faut reconnaître que c’est le genre de situation…
– Ça m’obligeait à des tas de contorsions en plus. Pour qu’elle se colle pas à moi. Qu’elle sente pas qu’il y avait peau de zob, c’est le cas de le dire.
– Et tu t’en es sorti comment ?
– C’était bien là tout le problème. Comment m’en sortir ? Sans la froisser. Et sans passer pour une bille. Je voyais pas vraiment de solution. Alors je continuais. La fuite en avant. Je me suis faufilé sous sa robe. J’ai entrepris une lente ascension de sa cuisse. En me disant, sans y croire vraiment, qu’avec un peu de chance, quand j’arriverais là-haut, je retrouverais peut-être enfin tous mes moyens. Elle m’a pas laissé terminer l’escalade. Elle m’a arrêté. Repoussé. Soi-disant qu’elle avait peur qu’on nous surprenne. Tu parles ! Il passe jamais personne là-bas.
– Et c’était quoi la vraie raison alors ?
– Je suppose qu’elle voulait pas que je la prenne pour une fille facile. Qui couche au bout d’une demi-heure. Ça m’arrangeait, moi ! Pour une fois, ce que ça pouvait m’arranger ! Ce qui m’a pas empêché de jouer les désolés. De me montrer insistant. Un peu. Pas trop. J’avais vraiment pas l’intention d’obtenir gain de cause. C’était pas le jour.
– Va falloir que t’assumes maintenant.
– Que j’assume ? Que j’assume quoi ?
– Quand une nana demande à un mec de pas coucher, ou du moins pas tout de suite, et qu’il accepte, il y a neuf chances sur dix qu’elle en tombe.


DOUCE SOIRÉE




Delphin Enjolras. Elegant ladies taking tea.


– À la voir, comme ça, jamais on n’irait imaginer une chose pareille.
– Et pourtant…
– Est-ce si sûr ? Il se dit tant de choses.
– Les femmes de chambre, entre elles, en font des gorges chaudes.
– Oui, oh, mais les femmes de chambre…
– Sont les mieux placées pour être au fait des petits – ou des grands – secrets de leurs maîtresses. Et là, elle a le fessier dans un état, paraît-il. Et c’est loin d’être la première fois.
– Ce qui ne l’empêche pas d’arborer ses grands airs.
– Ah, ça ! On ne se refait pas.
– Faut-il qu’elle l’ait poussé à bout son pauvre comte de mari pour qu’il en arrive à des extrémités pareilles ! Un homme si calme… Si doux…
– Qui vous dit que ce soit lui ?
– Comment cela ?
– Ça s’entend une fessée. Quand bien même on s’efforce d’être discret. Or, personne jamais…
– Mais alors…
– Comme vous dites, oui. Mais alors…
– Son confesseur ?
– Le père Chatel ! Vous plaisantez ! Vous imaginez vraiment le père Chatel infligeant à ses pénitentes des peines de cette nature ?
– Pas vraiment, non ! Mais qui alors ?
– C’est bien là toute la question.
– Elle n’aurait quand même pas…
– Quoi donc ? Un amant ? J’y ai pensé aussi. D’autant qu’avec son mari il y a belle lurette qu’ils font chambre à part.
– Je ne voudrais pas l’enfoncer, la pauvre, mais je me demande quand même si ce ne serait pas le genre à ça.
– Pourquoi diable un amant irait-il administrer des fessées à sa maîtresse ?
– À moins que…
– Ça lui plaise ? Oh, quand même !
– Avec elle, malheureusement, je crois qu’on peut s’attendre à tout. Vous vous souvenez de ce qui s’est raconté, à son sujet, il y a deux ans ?
– Si je m’en souviens ! S’il ne tenait qu’à moi, c’est quelqu’un que je tiendrais soigneusement à distance. Mais bon ! On est parfois contraint de fréquenter des gens que l’on ne voudrait pas.
– À qui le dites-vous ! Non, faut bien reconnaître… Si de bonnes fées ne s’étaient pas penchées sur son mariage…
– Ah, ça, c’est sûr ! Et vous pensez bien que l’existence qu’elle a menée auparavant…
– Ne devait pas être des plus rangées, là-dessus nous sommes bien d’accord.
– Alors sans doute que ces fessées prennent racine, d’une façon ou d’une autre, dans un passé peu avouable.
– Sur lequel il vaut sans doute mieux éviter de se pencher.
– En effet… Nous serions à coup sûr amenées à patauger dans des eaux nauséabondes.
– Ce qui ne nous convient ni à l’une ni à l’autre.
– Assurément…
– Là voilà qui revient…
– Oh, mais quel magnifique bouquet vous avez cueilli là, ma chère ! Il est à votre image. D’une angélique beauté.




FESSÉE DE RÉVEILLON



– Tu devrais pas tant boire, Silvia.
– Oh, toi ! Tout de suite ! Mais c’est le réveillon ! Le nouvel an ! 2018 ! Si on se lâche pas un peu pour une occasion pareille, on le fera jamais.
– Tu tiens pas l’alcool… Alors si tu veux pas que…
Elle m’a tiré la langue.
– Oui, maman !
Et est allée rejoindre, son verre à la main, le groupe qui parlait fort, là-bas, près de l’entrée.
J’ai haussé les épaules. Moi, ce que j’en disais… Après tout, si elle avait envie de se mettre sur le toit, grand bien lui fasse. Elle était grande, majeure et vaccinée. Et rien d’autre pour moi qu’une copine, certes de longue date, mais une simple copine.

À minuit, elle est venue se pendre à mon cou.
– Ah, Estelle, je te cherchais. Bonne année !
– Bonne année à toi aussi…
– Je t’aime, tu sais ! Même que souvent on soit pas d’accord. Tu m’en veux pas ?
– Bien sûr que non ! Pourquoi je t’en voudrais ?
– Parce que… Oh là là ! Comment ça tourne, moi ! Oh, là là !
Elle s’est agrippée à mon épaule.
– Ça tangue, mais ça tangue !
– Tu veux que je te ramène ?
– Sûrement pas, non ! Je m’amuse trop.
Et elle est retournée, vaille que vaille, vers ses amis d’un soir.

Au fil des heures, la salle se vidait. Les bouteilles aussi. Mais pas question, pour elle, de rentrer.
– On a le temps ! On bosse pas n’importe comment demain.
Il ne restait plus qu’une douzaine de personnes quand, sur le coup de cinq heures du matin, elle a brusquement proclamé.
– C’est mon anniversaire ! Et tout le monde s’en fout. Personne me le souhaite. Ils en ont tous que pour ce putain de nouvel an.
– C’est pas ton anniversaire. T’es née en juin.
– C’est mon anniversaire, si je veux ! J’ai quand même encore le droit de décider quand c’est mon anniversaire, non ? Manquerait plus que ça ! Eh, écoutez ! Écoutez tous ! C’est mon anniversaire…
Cinq ou six verres se sont levés dans sa direction.
– Joyeux anniversaire !
– Oui ! Bon anniversaire !
Une fille a réclamé le silence.
– Eh, vous savez quoi ? Il y a toujours une fessée pour un anniversaire. Une fessée d’anniversaire.
– T’es pas con, toi ! C’est vrai ! Je l’ai vu aussi. Même que ça porte chance. Je veux une fessée !
Quatre ou cinq types – et une fille – se sont aussitôt portés volontaires.
– Moi !
– Moi !
– Non, moi !
– Vous battez pas ! Il y en aura pour tout le monde.
Et elle leur a tendu son derrière.
Les garçons se sont relayés pour lui lancer, sur les fesses, par-dessus la robe, trois ou quatre claques chacun. Plus ou moins appuyées. Plus ou moins hésitantes.
La fille a fait la moue.
– C’est pas une vraie fessée, ça ! C’est cul nu, une vraie fessée.
Les garçons ont fait chorus.
– Ben oui, elle a raison.
– Allez, cul nu !
Silvia s’est retournée, l’index pointé en l’air.
– Parce que vous croyez que je suis pas capable ?
J’ai voulu couper court.
– Bon, allez, viens maintenant ! On rentre. Je suis crevée.
– Oh, toi, ta gueule ! Depuis le début de la soirée tu m’emmerdes. T’arrêtes pas. Je rentrerai quand j’aurai envie. Mais casse-toi, toi, si tu veux. Ça nous fera des vacances. Bon, alors qu’est-ce qu’on disait, nous ?
La fille a saisi la balle au bond.
– Que t’allais te déculotter. Qu’on puisse te mettre une vraie fessée.
– Ah, oui, c’était ça.
Et elle a entrepris de se débarrasser de sa culotte.
– Silvia !
Elle m’a ignorée. A dû se raccrocher à l’un des types pour ne pas tomber. A repris tant bien que mal son équilibre. A passé une jambe. L’autre. Et a relevé haut sa robe.
– Silvia !
– Toi, la ferme !
Il y en a un qui a sifflé, admiratif.
– Wouah ! Ce cul !
Mais c’est la fille qui a tapé. À grandes claques qui lui ont rebondi sur le derrière. Qui le lui ont très vite rougi.
Il y en a un qui a protesté.
– Et nous ?
– Mais oui ! C’est vrai, ça ! Pas toujours la même.
Elle leur a cédé la place. À regret.


* *
*


Dans la voiture, elle a été prise d’une longue crise de fou rire.
– T’as vu ça ? Non, mais t’as vu ça ? Je me suis pris une fessée. Et carabinée en plus ! Ah, ils y sont pas allés de main morte. C’est tout chaud. Tiens, touche !
– Je peux pas, Silvia. Je conduis.
– Celui-là, en tout cas, de réveillon, je m’en souviendrai.
– Ah, ça, moi aussi !
– Tu la connaissais, cette fille ? C’était qui ?
– Je n’en ai pas la moindre idée.
– Elle doit avoir l’habitude d’en donner des fessées. Comment elle tapait fort !
– Vaudrait peut-être mieux que tu dormes chez moi, non ? Parce que si je te ramène chez tes parents dans cet état-là…
– Chez toi, oui… C’est plus près n’importe comment ! Et je suis tellement fatiguée.

Chez moi. Où elle s’est affalée sur le canapé et aussitôt endormie.




Edmund Tarbell Dos nu, 1898



AU JARDIN D’ACCLIMATATION



Daniel Hernandez Morillo, El admirador, 1883

– Ça t’ennuierait qu’on retourne aux lions ?
– Encore ! Mais ça fait déjà trois fois !
– Elles me fascinent ces grosses bêbêtes, qu’est-ce tu veux !
– Bon, mais une dernière fois alors ! Après on rentre.

– T’as vu ? On dirait qu’il nous attendait, celui-là. Qu’il savait qu’on allait revenir. Non, mais comment il nous regarde ! Surtout moi ! C’est de la folie ! Ça ferait presque peur. Tu crois qu’ils savent qu’on est des femmes dans leurs têtes d’animaux ?
– C’est vrai qu’on serait en droit de se poser la question.
– J’en ai vu faire un, un jour, avec une lionne. Il lui mordait la nuque en même temps. Ce qu’avait pas l’air de lui déplaire du tout à elle. Pourquoi tu ris ?
– Pour rien.
– Mais si, dis !
– Parce que c’est quelque chose qu’il me fait aussi quelquefois pendant, Victor.
– Il te mord !
– Oui, enfin, pas comme un sauvage non plus ! Il me soulève les cheveux et il me prend la nuque entre ses dents. Et puis il serre. Un peu. Pas trop. Enfin, ça dépend.
– Ce qui veut dire qu’il se met derrière toi, alors, quand vous le faites !
– Ça, forcément ! Oh, mais pas toujours, hein ! On s’y prend aussi autrement. On a des tas de façons en fait.
– Oui, oh, ben nous, avec Louis, ça se passe toujours pareil.
– Lui dessus et toi dessous, j’parie ! Je pourrais pas, moi ! Je m’ennuierais trop. Tu t’ennuies pas ?
– Un peu quand même, si, mais bon !
– Dis-lui !
– Je m’y risquerais pas. Il a des principes, Louis. Et des conceptions très arrêtées. Sur tout. Mais sur ça en particulier. Je te dis pas quelle opinion il aurait de moi après !
– Franchement, je préfère être à ma place qu’à la tienne. Et de loin !
– Il a quand même plein de qualités. Et puis il est gentil.
– Victor aussi, il est gentil ! Ça l’empêche pas d’avoir toutes sortes d’idées. Et de m’en faire profiter.
– Quoi, par exemple ?
– Il y a quelque chose, surtout, mais ça va te paraître bizarre.
– Dis !
– Je sais pas.
– Mais si, dis !
– Il me donne des claques. Sur les fesses.
– Des fessées, quoi ! Fort ?
– Encore assez, oui.
– Et ça te fait quoi ?
– Du mal. Et du bien en même temps. Du bien parce que ça fait mal justement. Et ça me donne envie de lui. Beaucoup plus que n’importe quoi d’autre.
– C’est drôle que tu me dises ça ! Parce que moi, il y a un rêve que j’arrête pas de faire. Presque toutes les nuits. Plusieurs fois par nuit, même, souvent.
– Eh bien, raconte !
– Je suis au cirque. Dans les tout premiers rangs. Il y a un jongleur, dans une cage, qui fait grimper trois lions sur des escabeaux. Qui les fait passer dans des cercles de feu. Qui met sa tête dans leur gueule. Qui réclame, à un moment, qu’un spectateur vienne le rejoindre. Personne ose. Mais moi, si ! J’y vais. Dans la cage. Avec les lions. Que je vois de tout près. Ils sont beaux. Ils sont forts. Lui, il brandit son fouet. Il le fait claquer dans ma direction. Il veut que je me mette toute nue, là, devant tout le monde. J’ai honte, j’ai horriblement honte, mais j’obéis. Je le fais quand même. Alors, il me fouette. Pour me punir. Il me traite de dévergondée, de sale petite vicieuse. Et il cingle. De plus en plus fort. Ça me fait danser sur place. Ça me fait crier. Tout le monde me regarde. Tout le monde m’entend. Il y a des gens qui rient. D’autres qui font des réflexions tout fort. Et j’ai peur. J’ai peur qu’on se rende compte que c’est en train de venir. Qu’il monte mon plaisir. Qu’il va me submerger. Ça me réveille. En sursaut. Je suis toute moite. Je suis toute trempée. Avec le cœur qui bat à toute allure.
– Et ?
– Et… Ben, oui ! Et… Il dort comme un sonneur, Louis. Rien le réveille jamais.







EMBARQUEMENTS



James Tissot. Room Overlooking the Harbour. (entre 1876 et 1878)

On m’a saisi le bras au passage.
– Tu me reconnais pas ?
– C’est pas vrai ! Clotilde ! Mais qu’est-ce que tu fais là ?
– La même chose que toi, j’imagine ! J’embarque pour les États-Unis. Bon, mais reste pas planté comme ça ! Assieds-toi ! Qu’on discute un peu.
Clotilde ! Si je m’étais attendu… Clotilde !
– Qu’est-ce tu vas faire là-bas si c’est pas indiscret ?
– Rejoindre mon mari. Qui est américain. On habite Philadelphie. Et toi ?
– La société pour laquelle je travaille a son siège à New York. Je fais l’aller et retour plusieurs fois par an.
Clotilde ! Je ne savais jamais quand j’allais la voir surgir chez moi, à l’époque, mais j’en connaissais toujours la raison : elle venait chercher sa fessée. En toute discrétion.
– Il y a combien de temps qu’on s’est pas vus ?
– Oh, pas loin de dix ans !
Elle frappait. Elle entrait. On ne parlait pas. On ne parlait jamais. Rien. Pas un mot. Ce qu’elle voulait, c’était que je fonde sur elle, que je l’empoigne, que je la trousse, que je lui mette le derrière à l’air et que je lui flanque une vigoureuse fessée. Sans autre forme de procès. Elle gémissait, elle criait, elle battait des jambes, mais elle ne protestait pas. Elle ne protestait jamais. Elle se laissait docilement faire. Aussi longtemps que je le souhaitais. Quand j’en avais fini, elle se relevait, elle se rhabillait « Merci ! » Et elle repartait comme elle était venue.
– T’es retourné là-bas ?
– Pas depuis la mort de mon père, non.
Là-bas… Les bals. Les garden-parties. Les ventes de charité. Les interminables parties de whist. Et Édouard, son promis, qui la suivait comme son ombre.
– Tu l’as pas épousé finalement !
– C’était à deux doigts. Mais non, non, Dieu merci !
J’ai laissé longuement traîner mon regard sur le port, les vergues des bateaux, les vols planés des mouettes.
– À quoi tu penses, Jean ?
– À la même chose que toi, je suppose.
– Quand même… Quand même… Fallait que j’aie sacrément confiance en toi, avoue !
– Une confiance que je n’ai jamais trahie. Ce que je n’ai jamais su, par contre, ce que tu n’as jamais voulu me dire, c’est pourquoi ces fessées.
– Je méritais d’être punie. J’en avais besoin.
– Parce que ?
– Ça ne regarde que moi.
– Et, maintenant, ça n’a plus de raison d’être ?
– Oh, que si ! Plus que jamais !
Elle a plongé ses yeux dans les miens.
– Tu disais que tu viens souvent à New York alors ?
– Tous les deux-trois mois…
– C’est bizarre que le destin nous remette comme ça en contact, non ? Tu trouves pas ?
– Oui. Un peu comme s’il attendait de nous qu’on reprenne les choses là où on les a jadis laissées.
– Ce qui est très certainement le cas.
– Et on ne contrarie pas le destin.
– Jamais.
Elle s’est levée.
– On commence par un petit acompte ?
J’ai laissé passer une dizaine de minutes et je suis allé la rejoindre dans sa cabine.






EMBARQUEMENTS (2)



James Tissot The Gallery of HMS Calcutta (Portsmouth) (vers 1876) Souvenir d’un bal à bord.


Pour le bal de bienvenue du capitaine elle avait revêtu une superbe robe blanche ornée de gros nœuds jaunes.
Et j’ai, bien sûr, été le premier à l’inviter à danser.
– Tu es absolument ravissante.
– Merci.
– Et je suis aux anges de pouvoir faire cette traversée avec toi.
– Ce qui m’expose, j’en ai bien peur, à huit jours de fessées quasi quotidiennes.
– Peur ?
– C’est une façon de parler.
– Celle d’hier soir ne semble pas t’avoir vraiment déplu.
– Veux-tu bien te taire !
– Tu t’es montrée très expressive.
– On a entendu, tu crois ?
– Tes voisins les plus proches, ça ne fait pas l’ombre d’un doute.
– Lesquels voisins sont d’ailleurs, pour l’heure, accoudés là-bas, au bastingage.
– En effet.
– Nous sommes suffisamment à l’aise ensemble, toi et moi, et ce depuis suffisamment longtemps, pour que je puisse me permettre de te demander une faveur.
– Je t’écoute.
– Je vais aller prendre place à leurs côtés et jouer les belles indifférentes, dissimulée derrière mon éventail. Et toi, pendant ce temps-là…
– Compris. Va vite…

Ils l’ont d’abord poliment ignorée. Et puis ils se sont enhardis. Elle d’abord. Qui lui a jeté de brefs regards, à plusieurs reprises. Qui a murmuré quelque chose, en riant, à l’oreille de son compagnon. Son regard s’est attardé sur son dos, sur ses reins, et puis, plus longuement sur sa croupe. Elle a encore chuchoté, toujours en riant. Lui aussi a ri. Plus ouvertement. Et s’est goulûment et longuement repu de ses fesses sous la robe.

Elle est revenue et on est retourné danser.
– Alors ?
Elle m’a écouté avec infiniment d’attention.
– Et c’est tout ?
– C’est pas si mal, non ? Ce qu’il y a de sûr, en tout cas, c’est qu’ils vont désormais être très attentifs à ce qui se passe dans ta cabine. Surtout quand je viendrai t’y rejoindre. Et ils ne seront sans doute pas les seuls d’ailleurs. D’autres aussi, ici ou là, ont dû entendre. Ou entendront.
Elle s’est laissée aller contre moi.
– Et c’est une situation qui ne semble pas faite pour te déplaire, avoue !
– Tu ne devrais pas être censé t’en apercevoir.
On a valsé un long moment en silence, les yeux dans les yeux.
– Je peux te poser une question ?
– Dis toujours…
– Une question à laquelle, jusqu’à présent, tu n’as jamais voulu répondre.
– Oh, toi, je te vois venir.
– Ces fessées, de ma main, que tu sollicitais si obstinément jadis, elles avaient pour but de te punir de quoi ?
– Tu veux vraiment savoir ?
– Puisque je te le demande…
– Tu me punissais d’être amoureuse de toi. Alors que je n’en avais pas le droit. Que j’étais fiancée à un autre.
– Et aujourd’hui ? Je te punis de quoi ? De la même chose ? Tu n’as toujours pas le droit. Tu es mariée cette fois. À moins que…
– Tais-toi ! Je t’en supplie, tais-toi !




RÊVERIE



Franciszek Zmurko In delightful dream

Il est là, derrière elle. Au-dessus d’elle. Tout près.
Et il y a sa voix. Grave. Posée. Chaude. Envoûtante.
– Vous pouvez vous occuper de ce dossier, Mélanie ?
Sa voix qui la saisit aux épaules. Qui lui ruisselle le long de l’échine. Qui va se perdre au creux de ses reins.
– Mais certainement, monsieur.
Il y a ses mains, qui déposent les documents devant elle. Ses mains à la peau tannée par le soleil. Aux longs doigts effilés. Ses doigts…
Et aussi son parfum, âcre, entêtant, qu’elle aspire à pleines narines et dont l’air, autour d’elle, reste longtemps imprégné.

Il va. Il vient. Il donne ses ordres. Il lui en donne à elle. Il en donne à Jasmine. À Clotilde. À Émilie. À elles toutes. Des ordres qui sont tout aussitôt exécutés. Avec empressement. Des ordres qu’il ne viendrait à l’idée de personne de discuter. Il décide. Il choisit. Il impose. C’est rassurant. C’est apaisant.

De temps à autre, elle lève la tête. Le suit des yeux. Et les baisse aussitôt qu’elle rencontre les siens.

* *
*

Elle est seule. Dans sa chambre.
Elle est seule mais, malgré tout, il est là. Avec elle.
– Qu’est-ce que c’est que ce torchon que vous m’avez pondu, Mélanie ?
– Je…
– Vous, quoi ? Vous vous fichez carrément du monde, oui !
– Mais non, mais…
– Vous n’êtes pas à ce que vous faites. Vous avez constamment la tête ailleurs. Alors évidemment…
Elle ne répond pas.
– Regardez-moi quand je vous parle.
Elle relève la tête.
– Et reconnaissez que votre travail, depuis un bon moment déjà, laisse énormément à désirer.
– Je suis désolée.
Il hausse les épaules.
– Vous êtes désolée… Vous êtes désolée… Et vous vous imaginez vraiment que je vais me contenter d’une excuse comme celle-là ?
Il pose ses mains sur ses épaules. Les y laisse.
– Non, Mélanie, non ! Vous en prenez beaucoup trop à votre aise ces derniers temps. Des sanctions s’imposent à l’évidence. Dans l’intérêt de l’entreprise, mais, également, dans votre intérêt à vous. Non ? Vous ne croyez pas ?
Elle plante brièvement ses yeux dans les siens.
– Si !
Dans un souffle.
– Ah, vous voyez ! Et, dans votre cas, une bonne fessée déculottée serait, à n’en pas douter, le châtiment le plus approprié. Non ?
Elle frémit. Il l’a dit. Il a dit le mot. Son souffle s’accélère. Ses mains se font moites.
– Eh bien ? Répondez !
– Je ne sais pas.
– Bien sûr que si ! Évidemment que vous savez ! Et je veux l’entendre. De votre bouche.
Elle se trouble. Elle balbutie.
– J’ai mérité.
Ses mains descendent s’installer sur ses hanches. Se les approprient. Elle frissonne.
– Tu as mérité quoi ?
Il la tutoie. Il l’a tutoyée. Elle chancelle.
– Une fessée.
– Une fessée comment ?
– Cul nu.
– Cul nu, oui.
Et il se glisse sous l’élastique de la culotte. Il la descend. Lentement. Si lentement. Ses doigts se précipitent à la rencontre des siens. Les rejoignent. S’enlacent à eux.
– Oh, c’est bon… C’est si bon !
C’est trop. Elle ne peut pas attendre. Elle ne peut plus. Tout chavire. Ça la traverse. Ça la transperce. Ça la transporte. Un plaisir comme jamais.





RÊVERIE (2)



Franciszek Zmurko. Wspolczesne malarstwo polskie

Jasmine ne lui laisse pas le temps d’arriver jusqu’à sa place, de s’asseoir.
– Ben, qu’est-ce que t’as ce matin ?
– Hein ? Mais rien. Rien. Pourquoi ?
Émilie et Clotilde font aussitôt chorus.
– Ah, si ! Si ! T’as quelque chose, si ! Tu fais tout heureuse. Tout épanouie. T’as rencontré le grand amour ou quoi ?
Lui, là-bas, il a levé la tête. Il sourit. Il s’approche. Il plonge ses yeux dans les siens.
– En tout cas, quoi que ce soit qui vous ait mise dans cet état-là, Mélanie, cela vous va à ravir.
Elle se trouble. Il fixe ses mains qu’elle ne parvient pas à empêcher de trembler.

Ça a eu lieu. C’est là, tandis qu’elle se penche sur ses dossiers, plus présent encore que si ça avait vraiment eu lieu. C’est là, entre elle et lui. Il l’a vraiment grondée. Il a vraiment glissé ses doigts sous l’élastique de sa culotte. Il la lui a vraiment descendue. Elle lève les yeux sur lui. Il sait, elle en est sûre. Ils savent. C’est leur secret. Si humide et si chaud entre ses cuisses.

* *
*

Elle se fait longuement attendre avant de le laisser enfin venir. Pousser la porte de sa chambre. S’avancer. Se planter devant elle, assise sur le bord de son lit.
– Tu pourrais au moins te lever, non ?
Elle obtempère aussitôt.
– Ah, oui. Oui. Pardon. Je suis désolée.
Du bout de l’index, il lui soulève le menton, l’oblige à le regarder.
– Tu t’es soustraite à ta punition hier soir.
– Non. Enfin si, oui, mais c’est parce que…
– Je me fiche pas mal de savoir pourquoi. Le fait est que tu t’y es soustraite. Oui on non ?
– Oui.
– Pour ça aussi tu vas devoir payer.
– Je le ferai plus.
– Et cher. Déshabille-toi !
Elle obéit.
– Tout ! T’enlèves tout. Je te veux nue comme au premier jour.
Elle se dévêt et elle reste là, bras ballants devant lui. Lui, qui prend tout son temps pour la détailler. Des pieds à la tête et de la tête aux pieds. En s’attardant sur les seins qu’il soupèse du regard. En scrutant, sans la moindre vergogne, la douce encoche ciselée sous la fine résille ajourée.
Il la fait doucement tourner sur elle-même.
– Mais ce n’est pas ce côté-là, aussi enchanteur soit-il, qui nous importe aujourd’hui.
Une main se pose sur ses reins. Y louvoie. S’empare de l’une de ses fesses. Qu’il palpe. Qu’il s’approprie. De l’autre.
– Prête ?
Elle fait signe que oui. Oui.
Il la cale contre sa cuisse, il passe un bras autour de sa taille et il lance une première claque. À toute volée. Tout aussitôt suivie d’une multitude d’autres. Comme ça, debout. De plus en plus vite. De plus en plus fort. Ça fait mal. Ça brûle. Ça mord. Elle sanglote. Elle crie.
– Arrêtez ! S’il vous plaît ! Je vous en supplie ! Arrêtez !
Elle ne veut pas. Qu’il arrête. Elle ne veut pas.
C’est pourtant ce qu’il finit par faire.
– Là ! Mais ce n’était qu’une simple mise en bouche. Maintenant on passe aux choses sérieuses.
Il la pousse vers le lit. Il l’y fait allonger. Il décroche sa ceinture. Il la lui promène tout au long des cuisses. Il la lève. Elle ferme les yeux. Il l’abat. Elle les rouvre. Et elle jouit dans les siens.