jeudi 30 janvier 2020

Fessées punitives


FESSÉES PUNITIVES



1-




J’en ai essayé un deuxième de pantalon. Un troisième. Un autre encore. Sans parvenir à me décider.
– Je peux vous aider ?
Elle n’a pas attendu la réponse, la petite vendeuse. Elle a résolument soulevé le rideau, l’a laissé retomber derrière elle.
– Hou là ! Mais c’est que vous en avez pris une, on dirait…
J’ai piqué un fard monumental.
Ça se voyait encore ? C’est pas vrai que ça se voyait encore ! De trois jours ça datait pourtant. D’habitude, elles disparaissaient beaucoup plus vite les marques.
– Oui, hein, dites donc ! On vous a pas loupée.
Elle me fixait tranquillement le derrière dans la grande glace en pied de la cabine.
– Oh, mais vous êtes pas la seule, vous savez ! Tenez, regardez !
Et elle a soulevé sa robe. Le string laissait les fesses à nu. Des fesses d’un rouge flamboyant.
– Vous voyez, c’est tout frais. À ce matin ça remonte.
Elle m’a laissé tout le temps de contempler l’étendue des dégâts.
Et puis sa robe est retombée.
– Qui c’est qui vous le fait à vous ? Moi, c’est mon copain. Pour m’empêcher de déconner. On a passé un accord tous les deux. Ça donne des résultats. Enfin, pas tout le temps. La preuve ! Mais quand même, ça en donne. Oh, mais c’est pas l’endroit idéal pour parler de ça. On pourrait peut-être aller boire un coup, ce soir, plutôt, non ? On en discuterait. J’aimerais. Beaucoup.
– Je sais pas. Je…
– C’est comme vous voudrez. À sept heures, je finis. Je serai au café, celui qu’est juste en face. Alors si le cœur vous en dit…

Elle était attablée devant un verre de bière. Et m’a gratifiée d’un large sourire.
– Vous êtes venue. C’est sympa. Je pensais pas. Je me disais qu’à votre âge ça doit déjà pas être facile de recevoir encore des fessées. Alors en causer ! Surtout à une gamine de vingt ans comme moi. Or, justement, c’est ça, l’intérêt. Parce que, bon, je connais deux autres filles à qui ça arrive aussi. Mais c’est des jeunes. Moins que moi, mais c’est des jeunes quand même. Tandis que vous, qu’avez deux fois mon âge, et même peut-être un peu plus…
– J’ai cinquante ans.
– Justement… Vous avez forcément une façon complètement différente de voir les choses. Du recul. De l’expérience. Et sûrement plein de trucs à nous apprendre.
– Oui, oh !
– Ah, ben si, si ! Vous savez, pour être tout-à-fait franche avec vous, ça m’affole un peu qu’on vous en donne encore à votre âge. C’est qui, d’ailleurs ?
– Mon compagnon.
– Et il y a longtemps ?
– Quatre ans. Peut-être un peu plus.
– Ah, quand même ! Et que vous êtes avec ?
– Ça va faire huit ans.
– Oui. Ça me rassure un peu. Non, parce que je me disais : s’il y a trente ans qu’elle s’en ramasse, ça veut dire que ça n’a donné aucun résultat. Que ça sert à rien, quoi, en gros. Or, moi, si j’accepte qu’il m’en donne, Valentin, si je lui demande même, c’est pour qu’au bout du compte, j’arrête complètement mes bêtises. Qu’il soit plus obligé de me punir. Ça n’a pas d’intérêt sinon.
– Et c’est quoi, ces bêtises ?
– Vous êtes pressée ?
– Pas spécialement, non.
– Alors on pourrait peut-être aller dîner quelque part. Je vous invite.


2-


– On sera tranquilles, là…
Près d’une fenêtre. Un peu à l’écart.
Le garçon est venu prendre la commande. Charcuterie en entrée. Pour toutes les deux. Selle d’agneau pour elle. Et sole meunière pour moi.
– Et comme boisson ?
– Vous voulez du vin ?
Je n’y tenais pas spécialement, non.
– Alors de l’eau, s’il vous plaît.
Elle l’a laissé s’éloigner.
– Non, parce que je me connais. Si j’y mets le nez, j’aurai plus de limites. Après, ce sera un whisky. Un deuxième. Et une fois que je serai lancée… il y a plein de bars entre ici et chez moi. Je vais rentrer complètement torchée. Et ça, ce serait la fessée assurée. Là-dessus il est intransigeant, Valentin. Et il a bien raison. Parce que fallait voir comment je me mettais minable avant. Et pas seulement avec l’alcool. Avec plein d’autres trucs. Plus ou moins légaux. On me ramassait dans de ces états des fois… Je me détruisais. C’est pour ça : il m’a vite mis les points sur les i. Ça pouvait pas durer. Il le supporterait pas. Il me plaquerait si je continuais. Il l’a fait d’ailleurs. Un mois. Plus d’un mois. Je l’ai supplié de me reprendre. Je pouvais pas vivre sans lui. Et c’est là qu’on a trouvé cette solution. Ensemble. La fessée. Et ça marche. Enfin, pas complètement. Pas toujours. Il y a encore des rechutes des fois, il y a le petit démon qui se réveille, plus souvent qu’à son tour. La preuve : ce matin ! Mais par rapport à ce que c’était avant ! Et c’est de mieux en mieux. Alors peut-être bien qu’un jour, à force, j’arriverai à complètement m’en sortir.
– C’est tout le mal que je vous souhaite…
– Et vous savez pourquoi je pense que j’y arriverai, au bout du compte, à m’en débarrasser de cette sale habitude qui me pourrit la vie ? Parce que j’ai horreur de ça, la fessée. Mais vraiment horreur. Ça fait un mal de chien, je trouve. Alors la perspective d’en recevoir une, ça me calme. C’est radical. Surtout que Valentin, il y va pas de main morte. Quand il tape, il tape. Et vous pouvez toujours essayer de l’amadouer. Il y a rien à faire. D’ailleurs, à ce propos, un jour… Mais je parle, je parle. Je vous en laisse pas placer une.
– Mon tour viendra.
– En attendant, il y a tout un tas de filles qu’adorent ça, à ce qu’il paraît, la fessée. Je vois pas trop l’intérêt. Enfin, si ! Pour se faire plaisir. Mais côté efficacité, c’est sûrement pas le top. Moi, je sais que, si j’aimais ça, je picolerais trois fois plus pour en recevoir. Forcément. Résultat des courses : je continuerais à me bousiller la santé. Et il y a belle lurette que Valentin m’aurait larguée. Je serais perdante sur toute la ligne. Alors !
Son regard s’est longuement perdu par la fenêtre. Est revenu à moi.
– Vous aimez ça, vous, qu’on vous la donne ?
– Oh, que non ! J’ai horreur d’avoir mal. Tout comme toi. Et plus encore que d’avoir mal, j’ai horreur d’avoir honte. Et, de ce côté-là, comment il s’y entend pour trouver les mots, Julien. Elle me brûle pendant des jours et des jours, la honte, avec lui. Honte de ce que j’ai fait. Honte d’avoir trahi sa confiance. Honte de m’être mise dans la situation de recevoir la fessée, ou le martinet, ça dépend, comme une gamine de huit ans. Et je me jure bien de ne jamais recommencer. Jamais. C’était la dernière fois. Jusqu’au jour, qui arrive forcément, où je remets ça. C’est plus fort que moi.
– Je connais ça. Mais c’est quoi, si c’est pas indiscret, ce que vous recommencez ?
– Je joue. Au casino. Aux courses. En ligne. À tout et à n’importe quoi. Quand ça m’attrape, il y a plus rien d’autre qui compte. Je deviens folle. Et je nous mets financièrement en danger. Parce que je gagne, oui. Mais je perds bien plus souvent encore. Et beaucoup plus. Il y a six mois, j’ai emprunté vingt mille euros à une société de crédit. Pour assouvir ma passion. On en a pour des années à rembourser. Alors vous pensez bien qu’il y a eu explication. Et qu’il m’a mis le marché en mains. Ou j’arrêtais ou on en restait là tous les deux. Arrêter ? Complètement ? Définitivement ? Je m’en savais totalement incapable. Et c’est moi qui lui ai suggéré que peut-être la fessée… Je la redoutais tellement qu’elle pourrait bien, au bout du compte, s’avérer efficace. Elle l’est. Oh, pas complètement. Je joue encore. Ça m’attrape. Mais moins souvent. Beaucoup moins souvent. Et, surtout, des sommes beaucoup moins importantes.


3-


On avait échangé nos numéros.
Et elle n’a pas tardé à m’appeler.
– Je connais même pas votre prénom.
– Lucile. Et toi ?
– Océane. Oui, je voulais vous dire. J’ai parlé de vous à l’une de mes deux copines qui en reçoivent aussi, là. Et elle aimerait beaucoup faire votre connaissance.
– C’est quand elle veut. Tu me dis.
– Ce soir, ce serait possible ?
– Va pour ce soir.
– Ça lui fera le plus grand bien, je crois, de discuter avec vous. Parce qu’elle se pose des tas de questions. Elle se demande où ça va avec son mec. Si c’est pas en train de partir complètement en vrille.
– Comment ça ?
– Ben, elle a beau en être amoureuse comme une folle de son Clément, elle peut pas s’empêcher d’aller voir ailleurs. Dès qu’un mec lui plaît, faut qu’elle se le fasse, Bérengère, c’est plus fort qu’elle. Elle a toujours été comme ça. Depuis que je la connais. Et même avant, à ce qu’elle m’a dit. Sauf que lui, il apprécie pas vraiment. Ce qu’on peut comprendre. Ils ont eu des tas d’explications tous les deux, plus ou moins orageuses. Ils sont restés des jours et des jours sans se parler. Et, au bout du compte, ils ont décidé, d’un commun accord, d’avoir recours à la fessée. Chaque fois qu’elle irait voir ailleurs, elle s’en prendrait une. Carabinée. Ça a bien marché au début. Très bien même. Elle avait une telle horreur de se faire claquer le derrière que ça lui était quasiment passé. Et puis petit à petit, c’est revenu. Elle les appréhende toujours autant, les fessées, elle les déteste toujours autant, mais elles y font plus rien. Elle recouche autant qu’avant. Peut-être même pire qu’avant. Quitte à s’en ramasser des sacrées. Ça l’arrête plus.
– Je vois.
– Et son Clément, il vit tout ça très mal. Il est découragé. Il dit qu’ils y arriveront jamais. Que c’est pas la peine. Autant que chacun taille sa route. Ce qu’elle ne veut, elle, à aucun prix. Parce que d’un côté, elle tient à lui comme c’est pas possible, mais de l’autre…
– J’ai bien peur pour elle que…
– Oui, moi aussi…

Et j’ai donc fait, en compagnie d’Océane, la connaissance de cette Bérengère. Une petite brune qui ne payait pas de mine. À qui on aurait donné le bon Dieu sans confession.
Qui est presque tout de suite entrée, la mine défaite, dans le vif du sujet.
– Je crois que c’est mort.
– Si tu pars battue…
– C’est lui qui part battu. Et il a raison. Des dizaines et des dizaines, il m’en a donné des fessées. Ça a servi à rien. On en est toujours au même point. Dès qu’un type me fait les yeux doux, je peux pas m’empêcher de me demander comment il s’y prend. J’ai envie de l’essayer. Et j’y saute à pieds joints. Sur le moment, il y a plus rien d’autre qui compte. Même si, après, je dois m’en mordre les doigts. Je suis nulle.
– Mais non, t’es pas nulle…
– Ben si, la preuve ! Je gâche tout. Non, il a raison, Clément. On n’y arrivera jamais. Et c’est de ma faute. Complètement de ma faute.
J’ai suggéré.
– Et si vous essayiez autre chose ?
– Oui, mais quoi ?
– Ben si, par exemple, il vous la donnait devant quelqu’un la fessée ?
– Oh, non, non ! J’aurais bien trop honte.
– C’est peut-être justement ce qui la rendrait enfin efficace.
Océane a abondé dans mon sens.
– Mais oui, elle a raison. Ça te guérirait complètement si ça tombe. C’est une super idée, moi je trouve.
– Je sais pas, je…
– C’est peut-être votre dernière chance. Alors ça vaut le coup de la saisir, non ? Réfléchis-y au moins ! Discutez-en tous les deux…


4-


Océane m’appelait souvent. Presque tous les jours.
– On se voit ?
Et on se retrouvait quelque part quand elle avait fini sa journée.
– J’abuse, hein !
Je protestais.
– Mais pas du tout ! J’aime beaucoup discuter avec toi.
– Ah, pour ça, moi aussi ! Parce qu’on vit la même chose. On est punies. Du coup, on se comprend toutes les deux.
Elle s’animait.
– Et c’est pas souvent que ça arrive. Parce que des filles qu’en reçoivent des fessées, il y en a à la pelle, mais, le plus souvent, c’est juste un truc érotique. Histoire de s’exciter avant de s’envoyer en l’air. Ce qui n’a rien à voir.
– Rien du tout.
Elle s’inquiétait aussi.
– Il y trouve pas à redire, votre type, au moins, qu’on soit tout le temps fourrées comme ça ensemble ?
– Julien ? Oh, non, non ! Il trouve ça très bien au contraire. Pendant que je suis avec toi, je suis pas au casino. Ou ailleurs. En train de perdre des sommes fabuleuses.
– Il sait pour moi ?
– Que tu t’en prends aussi ? Oui. Je lui ai dit. Ça t’ennuie ?
– Oh, non, non ! Et il sait pourquoi ?
– Il sait.
– Moi, il avait un peu peur, Valentin, au début. Qu’on se voie dans les cafés, il était pas trop tranquille. Il avait peur que je sois tentée de picoler. Que je rentre dans des états pas possibles. Mais bon, maintenant il est rassuré. Il trouve même que vous avez une excellente influence sur moi. Et il aimerait bien vous connaître.
– Oui, oh, ben ça, c’est pas vraiment un problème. On peut s’organiser quelque chose, un de ces jours, tous les quatre. Julien aussi aimerait bien voir à quoi tu ressembles.

De temps à autre, Bérengère se joignait à nous. Rarement.
– C’est un peu compliqué, les filles, pour moi en ce moment. On a des tas de trucs à régler avec Clément.
Elle s’éclipsait vite.
– Bon, faut que j’y retourne. Qu’il aille pas encore s’imaginer je sais pas trop quoi.
Océane haussait les épaules.
– Ce qu’il y a surtout, c’est qu’elle a peur qu’on la tanne encore avec notre idée d’une fessée devant du monde. Elle veut pas en entendre parler. Et c’est dommage. Parce que je suis sûre que ça marcherait. Quand elle en aurait reçu deux ou trois en public, elle appréhenderait tellement que ça recommence que les autres mecs, elle aurait vraiment plus envie d’aller y remettre le nez. En tout cas, moi je sais qu’à sa place, ça me vaccinerait vite.
– Oui, ben justement ! Justement ! On est trop, nous, quand même, dans notre genre…
– Comment ça ?
– On l’envisage pour elle, mais absolument pas pour nous. Or, si ça doit être beaucoup plus efficace dans son cas à elle…
– Ça devrait l’être aussi dans le nôtre. Oui, vous avez raison. Vous avez sûrement raison.
– Et donc ?
– Ce que vous suggérez en somme, c’est que la prochaine fois que vous ou moi, on en mérite une…
– On se la fasse donner devant les trois autres. Voilà, oui.
– Et peut-être que Bérengère, du coup, verrait les choses d’un autre œil.
– Probable, en effet. En plus !


5-


Elle en avait parlé à son Valentin, Océane ?
– Oh, ben oui ! Oui. Évidemment ! Il est quand même concerné au premier chef, non ?
Et il en pensait quoi ?
– Qu’il y a toutes les chances que ça s’avère effectivement très efficace. Que la perspective de me prendre une bonne fessée déculottée devant mes copines pourrait bien me guérir, une bonne fois pour toutes, de mes addictions. Si seulement ça pouvait être vrai ! Je demande pas mieux, moi ! Et vous ? Julien ?
– Il est convaincu qu’il est plus que probable que j’éviterai dorénavant soigneusement de nous mettre financièrement en danger. « À cinquante ans… Devant des filles qui ont la moitié de ton âge… Tu vas y réfléchir à deux fois… » Il a pas tort.
Son regard s’est perdu par la fenêtre. Est revenu à moi.
– On peut plus reculer du coup, maintenant qu’on leur en a parlé.
– Et c’est peut-être pas plus mal.
– C’est pas plus mal, non. Ça va nous obliger, un peu plus encore, à rester dans les clous.

* *
*

Elle n’y est pas restée. Elle m’a appelée, catastrophée, le mercredi de la semaine suivante.
– J’en ai fait une.
– Comment ça ?
– Ben, il était parti en stage, Valentin. Normalement pour toute la semaine. Sauf qu’il y a des intervenants qu’ont fait faux bond. Que ça a été annulé. Et qu’il est revenu cette nuit.
– Et que t’avais profité de son absence pour…
– Oui, mais attendez ! Ça faisait des années que je les avais pas vus, eux. On se retrouvait. On était contents.
– Et un verre poussant l’autre…
– Ben oui ! Je pouvais pas savoir qu’il allait rentrer…
– Et tu y es allée de bon cœur.
– Je me suis carrément mise sur le toit, oui. Ils ont été obligés de me ramener. De me coucher.
– Ah, ben bravo !
– Je sais, oui. Je suis complètement idiote il y a des moments.
– Et quand il est arrivé…
– Je comatais complètement. Et il y avait du dégueulis partout.
– Il a dû apprécier…
– Il a rien dit. Pas un mot. Pas un reproche. Rien. Il est allé se coucher sur le canapé du salon. Et c’était pire que tout. Parce qu’en temps ordinaire, je me serais ramassé une fessée, là, aussi sec. Et de pas la recevoir je me sentais mal, mais mal ! Comme s’il en avait plus rien à foutre de moi.
– Tu te doutais bien que ça aller venir. Que c’était reculer pour mieux sauter.
– Oui, mais quand même ! Quand même ! C’était insupportable, ce silence. Surtout que ça a duré. Tout le matin. Et encore tout l’après-midi. Il m’ignorait. Il m’ignorait complètement. J’ai fini par craquer. « Mais dis quelque chose enfin ! Dis quelque chose ! » « Tu es fière de toi ? » « J’ai honte, Valentin ! J’ai honte. Si tu savais… » « Oui, ah, ben ça, tu peux ! Et sournoisement t’as fait ça en plus. Derrière mon dos. Ah, on voit ce qu’elles valent, tes promesses. » J’avais qu’une trouille, c’était qu’il me dise que cette fois ça suffisait. Que j’y avais été vraiment trop fort. Que j’avais dépassé les bornes. Qu’il pouvait plus me faire confiance. Et qu’il valait mieux qu’on en reste là tous les deux. Mais non. Non. À mon grand soulagement il a soupiré. « Enfin peut-être que devant tes copines… On sait jamais. On peut toujours essayer… » Tu parles que j’ai abondé dans son sens ! Et donc, ce sera dimanche…
– Si tard !
– Oui. Que j’aie le temps d’appréhender. De redouter. Ça fait partie de la punition. Comme d’avoir à vous l’annoncer. À vous, Lucile. À Bérengère. Et à Émilie.
– Émilie, que je ne connais pas encore.
– Elle est adorable, vous verrez !


6-


J’étais la première.
– Alors ? T’appréhendes pas trop ?
Oh, si, qu’elle appréhendait, Océane.
– Si ! À un point que vous imaginez même pas.
– Il y aura que nous. Et nous aussi, on s’en prend.
– Oui, mais quand même ! Entre savoir qu’on en reçoit et voir la donner, il y a une sacrée marge. Non, et puis ce qu’il y a, vous savez, Lucile, c’est que je suis pas courageuse. Quand il me flanque une fessée, Valentin, je crie, je pleure, je gigote dans tous les sens. Je peux pas m’empêcher. Et là, je suis sûre que, devant vous, il va taper encore plus fort que d’habitude. Pour que je me donne, malgré moi, en spectacle. Pour que j’aie honte d’être incapable de me maîtriser.
– Peut-être alors que du coup, cette fois, la leçon va réellement porter. Que tu ne te mettras jamais plus, tellement tu auras eu honte, en situation d’en recevoir. Que tu seras définitivement guérie. Et c’est ce qui peut t’arriver de mieux, non ?
– Je sais bien, oui ! Seulement…

Est arrivée Bérengère.
– Je sais pas comment tu fais. Moi, je serais allée me cacher dans un trou de souris.
Et puis Émilie.
– Salut !
Avec un grand sourire.
Elle est venue s’asseoir à mes côtés.

Valentin a presque aussitôt surgi.
– Bon. Je vois que tout le monde est là.
Il a tiré une chaise, s’est assis.
C’était un grand brun aux yeux clairs, bien bâti, tout en muscles. Effectivement, une fessée, de sa main, on devait la sentir passer.
– Et donc, puisque tout le monde est là, on peut commencer. Viens ici, Océane !
Elle s’est empressée de le faire.
Il lui a passé un bras autour de la taille.
– Tu vas tout d’abord, avant toute chose, expliquer à tes petites camarades pour quelle raison je vais te punir.
– Je… J’ai bu.
– Tu as bu, oui. Tu t’es même saoulée. En dépit de toutes les belles promesses que tu m’avais faites. Et en profitant de mon absence.
– Je le ferai plus. Je te promets.
– C’est une promesse que tu m’as faite des dizaines de fois. Et que, sur la durée, tu n’as jamais vraiment tenue.
– Oui, mais cette fois…
– Peut-être en effet… On n’est plus dans le même cas de figure. Espérons-le en tout cas. Parce que ma patience a des limites. Et tu sais ce qu’on a dit.
– Je sais, Valentin, je sais. Mais je veux pas. Je veux pas te perdre.
– Dans ces conditions…
Et il a passé ses main sous sa robe. Des deux côtés. Il a descendu la culotte. Il l’a accompagnée jusqu’en bas, sur les chevilles. Elle a levé un pied, puis l’autre, pour en sortir.
Il l’a attirée à lui, couchée en travers de ses genoux, bien calée. Il a relevé la robe. Haut. Très haut. Bien au-dessus des reins. Et il a pris possession de son postérieur. Il y a posé sa main. L’y a laissée.
– Mais quand est-ce que tu vas enfin te montrer raisonnable ? Hein ? Quand ?
Et il a tapé. En pluie. En grêle. Un véritable raz-de-marée de claques. À pleines fesses. Ça a rosi. Ça a rougi. Et Océane a crié. Et Océane a gigoté. Et Océane a essayé de se protéger de sa main, une main que Valentin lui a fermement ramenée dans le dos. Qu’il y a maintenue. Et ça a repris de plus belle.
Les yeux exorbités, le visage crispé, Bérengère s’agitait sur sa chaise.
– Oh, la vache ! Oh, la vache ! Oh, la vache !
Quant à Émilie, à mes côtés, les mains sur les genoux, le regard fixé, droit devant elle, sur le derrière d’Océane, elle restait absolument impassible.
Encore quelques claques. Lancées à pleine puissance. Qui ont fait hurler Océane.
– Pardon, Valentin ! Pardon ! Je le ferai plus.
Ça s’est arrêté.
– File dans ta chambre !


7-


À peine le pas d’Océane s’était-il estompé dans l’escalier que Bérengère s’est, elle aussi, éclipsée. Comme une voleuse. Sans dire au revoir à personne.
Valentin a hoché la tête.
– Ça l’a secouée, on dirait…
Ça avait l’air, oui.
– Vous voulez boire quelque chose ?
Non, non, merci. Une autre fois. On allait y aller. Il y aurait d’autres occasions.

Sur le trottoir, Émilie m’a proposé de me ramener.
– C’est sur ma route.
On a roulé quelques instants en silence. Et puis elle m’a coulé un regard de côté.
– Ça a pas fait semblant, hein !
– Oh, pour ça, non !
– Mais quand même… Je suis pas convaincue. Que, dans son cas, ce sera réellement efficace, je suis pas vraiment convaincue.
– Elle y croit pourtant.
– Et c’est tant mieux. N’y aurait-il qu’une toute petite chance… Mais il y a longtemps que je la connais, Océane. On a été cinq ans voisines. Elle est vraiment très très accro.
– On est toutes accro. On en serait pas réduites à ça sinon…
– Toi, c’est le jeu, elle m’a dit…
– C’est le jeu, oui. Et je ne souhaite à personne de tomber là-dedans. On vit l’enfer. Heureusement, j’ai Julien. Qui, dans ce domaine, ne me laisse rien passer.
– Et ça marche ?
– Il y a encore des rechutes. De moins en moins souvent. J’ai bon espoir d’être un jour définitivement guérie.
– C’est tout le mal que je te souhaite.

Et elle ? Si elle me parlait un peu d’elle ?
– Oh, moi, c’est une longue histoire. Une très longue histoire.
– Dis quand même…
– J’ai eu une scolarité chaotique, c’est le moins qu’on puisse dire. En fait, j’en avais strictement rien à foutre des études. Je sortais, je m’amusais, je baisais. Rien d’autre n’avait d’importance. Et, en plus, j’avais un poil dans la main long comme ça. Tant et si bien qu’à l’arrivée je me suis retrouvée sans le moindre diplôme. Même pas le brevet. Sauf qu’il a bien fallu que, bon gré mal gré, je me mette à bosser. J’ai enchaîné les boulots. Deux mois ici. Trois mois là. Quinze jours ailleurs. Je démissionnais à tour de bras. Rien ne me convenait. Tout m’ennuyait à mourir. J’ai sombré dans la déprime. Ça allait être ça, ma vie ? Cinquante ans durant ? Mieux valait en finir au plus vite. J’allais mal. De plus en plus mal. J’ai consulté. On m’a bourrée de cachets. Ce qui ne m’a pas empêchée d’avoir des angoisses. En pagaille. Des angoisses terrifiantes. Si terrifiantes qu’une nuit, à deux heures du matin, je suis sortie de chez moi. Il fallait que je voie quelqu’un. Que je parle à quelqu’un. Absolument. N’importe qui. Il y avait de la lumière sous une porte. J’ai sonné. Il m’a ouvert. Un type d’une cinquantaine d’années. Qui vivait au milieu des bouquins et des instruments de musique. Il était rassurant. Très. Il m’a parlé. Il m’a apaisée. Je ne l’ai quitté qu’au petit matin. Et je suis revenue le voir. Souvent. Je me suis confiée. J’ai vidé mon sac. Et, à force de discuter avec lui, j’ai fini par arriver à la conclusion que, si je voulais exercer un métier qui réponde à mes aspirations, il me fallait absolument reprendre mes études. Seulement… Seulement je me connaissais : j’étais d’une incorrigible paresse.
– Et pour te guérir de ta paresse…
– Oh, ça a pas été tout de suite. C’est tout doucement, petit à petit, qu’il m’a amenée à reconnaître et à accepter que, dans mon cas…
– Une bonne fessée, c’était encore la meilleure solution.
– Pas la meilleure, non. La seule. J’ai passé mon bac. En candidate libre. Je l’ai eu. Avec mention. Et maintenant, en parallèle avec un boulot de serveuse, je poursuis mes études. Ça se passe pas trop mal. Bien, même. En grande partie grâce à lui qui n’hésite pas, chaque fois que nécessaire, à me remettre dans les clous.
– Ce qui arrive souvent ?
– De moins en moins. Mais quand même. La paresse, ça a toujours été – et ça reste – mon plus grand défaut.



8-


Océane me mitraillait de questions.
– Et Bérengère ? Comment elle a réagi, Bérengère ? Ah, oui ? Elle avait mal pour moi, quoi, en somme ! Et Émilie ? Oui, oh, elle en pensait pas moins. Elle sait très bien ne rien laisser transparaître de ce qu’elle ressent quand elle veut, Émilie. Et vous, Lucile ? Et vous ? Comment vous l’avez vécu, tout ça ?
– Ça fait dix mille fois que tu me le demandes.
– C’est pour savoir… Parce que j’ai eu honte, oui, bien sûr que j’ai eu honte, mais pas tant que ça, finalement. Je m’attendais à pire. À bien pire. Et j’ai peur, du coup.
– Peur ? Et de quoi donc ?
– Je suis plus sûre du tout que ça va m’empêcher de replonger. Et là, si je recommence, il y a toutes les chances que, cette fois, Valentin, il baisse les bras. Qu’il considère que je suis définitivement irrécupérable. Je l’entends d’ici : « Si même devant tes copines, ça a pas réussi à te vacciner, il y a plus rien à faire. C’est pas la peine d’insister. » Et il va me larguer.
– Si t’en es si sûre que ça…
– À quatre-vingt-dix-neuf pour cent.
– Eh ben alors ! Fais ce qu’il faut pour que ça n’arrive pas.
– Oui, mais je me connais. Je vais tenir le coup un mois. Deux. Peut-être trois. Et puis ce sera plus fort que moi. Il y aura une tentation. À laquelle je finirai par céder, la peur au ventre. En me disant qu’avec un peu de chance il se rendra compte de rien. Et, à supposer que tout se soit bien passé, je recommencerai. De plus en plus souvent. En prenant de moins en moins de précautions. Jusqu’au jour où, forcément… Et là !

Elle a voulu qu’on passe voir Émilie.
– Elle est toujours de bon conseil, Émilie. Et c’est son jour de congé au bar. Elle doit être chez elle, à bosser ses cours.
Effectivement, elle y était. En plein travail sur son ordi.
– Et j’ai pas intérêt à m’écarter. Parce que, ce soir, il va tout passer au crible. Et il a l’œil. Alors, si je glande, pas besoin de vous faire un dessin…
Cela étant, elle pouvait quand même nous consacrer une petite demi-heure.
– C’est pas un bourreau non plus. Il sait faire la part des choses.
Et Océane a vidé son sac.
– Mouais… Si tu pars déjà du principe que tu tiendras pas le coup, tu le tiendras pas, c’est obligé, ça ! Maintenant, d’un autre côté, si tu le tiens pas, c’est pas la catastrophe non plus. Il y a toujours des issues de secours.
– Je vois vraiment pas lesquelles.
– Joue franc jeu ! Anticipe ! Dis-lui qu’elle t’a profondément mortifiée cette fessée que t’as reçue devant nous, d’autant plus mortifiée qu’elle était largement méritée. Alors sûrement qu’après une leçon pareille, elle allait t’être complètement passée l’envie de boire, mais que si, d’aventure, on savait jamais, elle te reprenait, alors là… Alors là… « Tu me jures que tu laisseras pas passer, hein, Valentin ? Que tu feras ce qu’il faut pour m’empêcher, que tu mettras la barre plus haut. »
– La barre plus haut ? C’est-à-dire ?
– Une correction non plus devant nous, cette fois, mais devant nos trois fesseurs réunis pour l’occasion.
– Hou là là !
– L’avantage pour toi, s’il accepte, c’est que tu retardes les échéances, c’est que tu introduis une nouvelle étape avant une éventuelle rupture.
– Il voudra peut-être pas.
– Si ! À condition que tu la joues fine et que t’arrives à le persuader qu’en réalité l’idée vient de lui…
– Oui, mais recevoir une fessée comme ça devant trois types !
– Ça vaut quand même mieux que d’être larguée, non ?
– Ah, ça, oui !
– Et tant mieux si cette perspective t’effraie. Elle sera dissuasive. C’est bien le but recherché au final, non ?
– Si !
– Eh ben alors !


9-


J’y jetais un coup d’œil, mais alors juste un coup d’œil, comme ça, vite fait, sur Internet. Un truc qu’un type avait mis au point pour gagner au Keno. À coup sûr. Sur le long terme, à ce qu’il disait, on rentrait largement dans ses frais. Et même, dans l’immense majorité des cas, on dégageait un coquet petit bénéfice. Pourquoi pas ? À voir. Je pouvais toujours tester. À blanc, bien sûr. Sans engager le moindre centime. Pour me faire une idée.
Une main s’est posée sur mon épaule. Celle de Julien. Que je n’avais pas entendu arriver.
– Tu fais quoi, là ?
J’ai précipitamment rabattu le capot de mon ordinateur.
– Rien.
– T’as la conscience tranquille, on dirait.
– Mais non, Julien. Non, je t’assure. Je regardais juste. Comme ça. Simple curiosité.
– Toi, tu finirais par y repiquer…
– Sûrement pas. Alors là, il n’en est pas question.
– Mouais…
– Si, c’est vrai, hein ! Il faut que tu me croies, Julien. Tu me crois ?
– Il a quel âge, le Valentin d’Océane ?
– Au juste, je sais pas. Dans les vingt-cinq. Par là. Pourquoi ?
– Et le Clément de Bérengère ?
– Je l’ai jamais vu. Mais à peu près pareil. Sûrement. Mais pourquoi tu me demandes tout ça ?
– Parce que je te connais et que je sais que la perspective d’être, à ton âge, fessée devant deux gamins n’a rien, pour toi, de particulièrement séduisant, c’est le moins qu’on puisse dire, et qu’il me paraît souhaitable de procéder, par précaution, à une petite piqûre de rappel.
– Je t’assure, Julien, que…
– Dans ton cas, et je préfère être très clair dès à présent là-dessus, si tu devais rechuter, il n’y aurait pas de passage par la case « Fessée devant les copines. » On irait directement à la case « Fessée devant les messieurs des copines. » Alors à bon entendeur…
– Tu n’as pas le moindre souci à te faire.
– J’espère. Parce que reconnais que j’ai été patient. Et de bonne composition. Beaucoup plus que de raison. Par ta faute, on est condamnés à vivre au ralenti. Sans pouvoir s’offrir quelque plaisir que ce soit. On ne part jamais en vacances. On ne peut pas. J’ai vendu ma moto. On roule dans une voiture qui affiche plus de deux cent mille kilomètres au compteur. Et on n’a pas les moyens de s’en payer une autre.
– Je sais tout ça, Julien, je sais tout ça. Je m’en veux assez.
– Alors si tu devais en rajouter une couche…
– Je ne le ferai pas. Il est hors de question que je le fasse.
– En es-tu si sûre ?
– Absolument !
– Tu es tout de même tentée. Tout à l’heure, à l’ordi…
– C’était juste… Je t’ai dit… N’importe comment, tu as visé en plein dans le mille, tu sais. Parce que, franchement, une fessée devant Valentin et les deux autres, là, comment ce serait humiliant. Je n’ai pas du tout la moindre intention de m’exposer à ça. D’ailleurs…
– D’ailleurs ?
– Tu veux être sûr, absolument certain, que je ne recéderai pas à la tentation ?
– Et comment !
– Eh bien, si jamais je le fais, si jamais je recommence, t’en parleras à Cynthia et Kevin.
– Cynthia et Kevin ? Nos amis ?
– Évidemment, eux. Qui tu veux d’autre ? Tu leur diras que tu es obligé de me fesser et tu leur diras pourquoi. Et alors là, je peux te dire que c’est, pour moi, une perspective totalement dissuasive. Tu le feras ?
– Je le ferai.
– Et, du coup, tu n’auras pas à le faire. Qu’ils sachent, eux, mais j’en mourrais de honte !


10-


Bérengère était aux anges.
– Ça marche, les filles ! Ça marche ! Ça en fait trois, coup sur coup, qui me draguent comme c’est pas possible. Et je donne pas suite. Et je résiste. Ils sont beaux pourtant ! Beaux comme c’est pas permis.
Elle avait besoin de nous voir. Souvent. Presque tous les jours.
– Ça me motive un max… Non, et puis rien qu’avoir Océane, là, à côté et repenser à la fessée qu’elle s’est prise l’autre jour, comment ça me calme, vous pouvez pas savoir.

Ça a duré trois semaines. Et puis, un soir, elle est arrivée catastrophée.
– Je suis nulle, mais nulle d’une force !
– Oh, toi, t’as replongé !
– Si ! Oui. Mais c’est pas ma faute. Enfin, pas vraiment. Pas complètement. Comment il était enjôleur ! Et puis alors, il a de ces yeux ! Tu peux pas ne pas craquer avec des yeux pareils. Vous aussi, les filles, vous lui seriez tombées dans les bras. C’est obligé ! Oh, mais rassurez-vous ! Pas question que je le revoie ! Parce qu’il a été très clair, Clément, la fois où on s’est pris la tête tous les deux. Très très clair. « Que tu tires un coup, comme ça, un soir, vite fait, parce que t’auras pas pu t’empêcher, à l’extrême rigueur je pourrais encore passer l’éponge. T’en serais quitte pour une bonne fessée devant tes copines. Mais si ça devait être une relation qui dure, alors là, non ! Non, non et non. Tout serait définitivement fini entre nous. » Et je veux pas le perdre, Clément, ah, non, alors ! Je pourrais pas vivre, moi, sans lui ! C’est même pas imaginable.

Elle a surgi en trombe deux jours plus tard, s’est affalée sur une chaise.
– Eh ben voilà ! Voilà. Ça y est ! Moi, de toute façon, dès qu’il y a une connerie à faire, vous pouvez être tranquilles que je la fais…
– C’est ce type, hein ?
– Évidemment que c’est lui ! Évidemment ! Il baise trop bien, aussi ! Ça devrait être interdit de baiser comme ça. Parce que j’oublie tout dans ses bras. Tout ce qui n’est pas lui. Et le plaisir qu’il me donne. Il y a plus rien d’autre qui compte. Seulement après…
– Tu culpabilises.
– Et pas qu’un peu. C’est dégueulasse ce que je fais. Il mérite pas ça, Clément. Surtout que je lui ai juré mille et mille fois mes grands dieux que je la trahirais plus jamais sa confiance. Seulement c’est plus fort que moi, j’y arrive pas. Et je vis plus. Parce que j’ose plus le regarder en face. Parce que j’arrête pas de me demander s’il va pas découvrir le pot-aux-roses. Et il le découvrira forcément. J’ai beau faire hyper attention, m’entourer de millions de précautions, c’est obligé qu’un jour ou l’autre ça finisse comme ça. Il arrive toujours un moment où on commet une erreur. Ou bien il y a le hasard qui s’en mêle. Et puis il est pas né de la dernière pluie non plus, Clément. Je suis bien tranquille qu’il reste en alerte. Qu’il me surveille en douce. Chat échaudé…
On était toutes les trois, Océane, Émilie et moi, du même avis. Il y avait effectivement de fortes probabilités pour qu’il se rende compte qu’elle le trompait. Et ce jour-là…
– Mais qu’est-ce que je peux faire alors ? Qu’est-ce que vous feriez, vous, à ma place ?
Nous ? On le quitterait, ce type. Et au plus vite.
– Non, mais alors ça, c’est juste pas possible. C’est au-dessus de mes forces.
– Dans ces conditions, il y a pas de solution.
Émilie, elle, elle pensait qu’il y en avait quand même peut-être une.
– Joue franc jeu !
– Comment ça ?
– Mets cartes sur table. Avoue tout ! Dis-lui les choses telles que tu viens de nous les dire, là. C’est ta seule chance.
– C’est quand même sacrément risqué.
– Pas tant que de le laisser découvrir, par lui-même, ce qui se trame derrière son dos.
– Peut-être… Je sais pas.
– Par contre, attends-toi à une fessée. Et carabinée.


11-


C’était Émilie au téléphone.
– Lucile ? Ça va ? Je te dérange pas ?
– Pas du tout, non. Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
– Tu pourrais te libérer ce soir ?
– Oh, oui. Sans problème. Pourquoi ?
– Parce que je vais y avoir droit. Devant vous trois. Comme convenu.
– Ah !
– Oui, oh, ça faisait un moment que ça me pendait au nez. Il y avait sacrément du laisser-aller depuis quelque temps. Et moi, quand c’est comme ça, faut me recadrer vite fait si on veut pas que ça parte complètement à la dérive. Il m’a pas prise en traître, je peux pas dire. Ça faisait près d’une semaine qu’il multipliait tant et plus les avertissements. « Attention, Émilie, attention ! Tu files un mauvais coton. » Je n’en ai tenu aucun compte. C’est tant pis pour moi.
– T’appréhendes pas trop ?
– Je suis comme vous toutes. J’ai horreur de ça, les fessées. C’est un très mauvais moment à passer. Pour plein de raisons. Mais je me sens tellement mieux après. Apaisée. Sereine. À nouveau en harmonie avec moi-même. Tout est rentré dans l’ordre. Et ils remontent en flèche, mes résultats, du coup. Alors…

C’est lui qui m’a ouvert. Un type à la soixantaine grisonnante. À la stature imposante. Au regard clair.
– Étienne. Vous êtes Lucile, j’imagine.
– En effet.
– Eh bien, entrez !
Il m’a fait asseoir.
– Elles sont là-haut. Elles vont descendre.
Il a pris place en face de moi. Il m’a fixée. Droit dans les yeux.
– Qu’à leur âge, elles se comportent en gamines écervelées, on peut encore, à la rigueur, le concevoir, mais au vôtre !
J’ai rougi. J’ai balbutié.
– Ça n’arrive plus. Ça n’arrivera plus.
– Oui, oh, alors ça !
Il s’est levé.
– Vous avez beaucoup de chance de ne pas avoir affaire à moi parce que je peux vous assurer que je vous ferais passer, une bonne fois pour toutes, l’envie de dilapider l’argent du ménage.
À mon grand soulagement, Émilie a fait son apparition en haut de l’escalier. Suivie d’Océane et de Bérengère.

Il lui a brandi une feuille sous le nez.
– C’est quoi, ça ?
– Mes résultats.
– Et ça ?
Elle y a jeté un rapide coup d’œil.
– L’historique de mon ordinateur.
– Qui est vraiment très instructif. Tu n’as vraiment rien d’autre à faire que de perdre ton temps, comme ça, en futilités ?
Elle a baissé la tête.
– Si !
– Déshabille-toi !
Elle a obéi. Elle a retiré ses vêtements, tous ses vêtements, un à un. Elle les a soigneusement pliés et déposés sur la petite table, près du radiateur.
Il l’a laissée là, entièrement nue devant nous, un long moment. Avant d’exiger d’un ton sec.
– Approche !
Il l’a saisie par le poignet, attirée en travers de ses genoux.


12-


Bérengère en était encore toute retournée.
– Comment elle a pris cher, Émilie ! Elle avait les fesses dans un état à la fin, mais dans un état ! Vous avez vu ça ? Un vrai brasier. Elle va pas pouvoir s’asseoir d’un moment, ce qu’il y a de sûr. Non, une comme ça, comment j’aurais pas aimé me la ramasser, moi ! Qu’est-ce qu’elle a braillé, en plus, en attendant ! Du bout de la rue, on devait l’entendre. Et l’autre, là, son Étienne, vraiment aucune pitié, hein ! Au contraire. Plus elle s’époumonait et plus il la martelait fort, on aurait dit.
– C’était pas qu’une impression…
– Je me disais bien aussi… Et puis alors qu’est-ce qu’elle a gigoté ! Oh, mais je l’incrimine pas, hein ! Sûrement qu’à sa place j’aurais fait pareil. Mais n’empêche qu’à battre des jambes et à tressauter du derrière à tout-va, comme elle faisait, t’ignorais plus rien du tout de comment elle était faite. S’il y avait eu des mecs…
– Il y en avait pas.
Mais le pire, ce qu’elle avait trouvé de pire…
– C’est quand il l’a envoyée au coin, les mains sur la tête. Rester comme ça, toute nue, les fesses cramoisies devant tout le monde, j’aurais pas pu, moi ! Je serais morte de honte. Et c’est que ça a duré en plus ! Au moins une heure, non ?
– Presque.
– Pendant qu’il discutait avec nous, tranquille, l’autre. Et après ! Quand il l’a obligée à réciter ce truc en anglais, là, tournée vers nous ! Qu’elle en savait pas la moitié. Qu’elle trébuchait sur tous les mots. Qu’elle pataugeait lamentablement. Et qu’il lui a dit qu’il lui laissait jusqu’à demain pour savoir tout ça sur le bout des doigts. Que, sinon, il lui en remettrait une couche. Là aussi…
Elle a longuement farfouillé dans son sac, en a sorti un petit miroir, a vérifié l’état de son rouge à lèvres.
– J’espère en tout cas que personne n’aura la lumineuse idée d’aller raconter cette petite séance à Clément.
– Qui tu veux ? Sûrement pas elle.
– Et pas nous non plus.
– Non, parce que je le connais. D’ici à ce que ça aille lui donner des idées.
À propos, tiens, d’ailleurs, elle lui avait parlé ? Elle lui avait dit pour ce type ?
Elle a poussé un profond soupir.
– Pas encore, non. C’est pas facile.
– Tarde pas trop ! Parce que si c’est lui qui découvre…
– Je sais bien, oui.

On l’a regardée s’éloigner sur le trottoir.
– Elle le fera pas.
C’était bien aussi mon avis.
– Elle va reculer les échéances au maximum. Quitte à prendre des risques insensés. Tant la fessée la terrifie.
Océane a souri.
– Moi, je crois que ce qui la terrifie surtout, c’est de devoir la recevoir devant nous. Parce qu’il va lui falloir admettre ce qu’elle soupçonne depuis un bon moment déjà. Sans vouloir vraiment se l’avouer. C’est qu’elle aime ça.
– Oh, tu crois ?
– Pas vraiment la fessée en elle-même, non, mais la honte qui va avec. Tu l’as bien entendue tout à l’heure. Ce qui la fascinait, c’était qu’il l’ait mise au coin, Émilie, qu’il l’y ait laissée, qu’il l’ait humiliée devant nous en lui faisant réciter ses leçons comme une gamine de sept ans. T’as pas fait attention, toi, là-bas, sur le moment, mais moi, si ! Je l’ai pas quittée des yeux. Et je peux te dire qu’elle était aux anges.
– Ce qui ne signifie pas forcément qu’elle aimerait être à sa place.
– Je suis bien convaincue que si. Même si elle ne le sait pas encore.


13-


Il n’empêche que ça marchait. Ça marchait vraiment sa méthode au type, sur Internet, pour gagner au Keno.
Océane se voulait sceptique.
– Ouais ! Et le jour où tu voudras jouer pour de bon, tu te ramasseras en beauté.
Non, mais elle avait rien compris, là. Il était absolument hors de question que j’aille miser, ne fût-ce qu’un seul centime, sur quoi que ce soit. Je savais trop bien à quoi je m’exposais et je n’avais pas la moindre envie d’aller tenter le diable.
Dans ces conditions, effectivement…
Et elle s’est penchée, avec moi, sur les savants calculs qui permettaient à cet ingénieur de profession de faire de si substantiels bénéfices.
– C’est quand même impressionnant !
– Quand je te le disais !

Elle a fini par constituer tout un dossier.
– Regarde ! Non, mais regarde ! En jouant dix euros par jour, sur un mois, c’est quatre-vingts euros qu’on se serait mis dans la poche. Et sur trois mois quasiment quatre cents. Tu te rends compte ?
Bien sûr que je me rendais compte. J’étais bien placée pour.
– Et si ?
– Oh, non, Océane, non. J’ai promis à Julien de jamais y retoucher. Jamais.
– Il le saura pas. Comment tu veux ? Suffit qu’on mette une petite somme au départ. Disons cinquante euros chacune. Ça va pas chercher bien loin. On risque pas grand-chose.
J’ai résisté.
– Non, Océane, non.
Plus d’une semaine. Et puis…
Et puis j’ai craqué. On a joué. Un mois durant. Un mois au terme duquel on n’avait ni perdu ni gagné. Où on s’était contentées de récupérer nos mises.
Océane jubilait.
– Tu vois ! Tu vois ! Il s’aperçoit de rien. Et ça se passe pas si mal finalement. J’en étais sûre. Le mois prochain, on est bénéficiaires. C’est comme si c’était fait.

Et j’y ai repris goût. J’ai repris goût à cette impatience si particulière, si jubilatoire de l’attente du résultat. À ces poussées d’adrénaline quand il est là, à portée de main, qu’il ne s’en faut plus que de quelques secondes pour qu’il soit dévoilé, pour qu’on sache. À cette exaltation qui s’empare de vous quand vous réalisez que oui, ça y est, vous avez gagné.
Alors… Alors trois fois je suis passée devant. Trois fois. Et, la quatrième, je suis entrée. En me traitant de folle. En me jurant que c’était exceptionnel. Que ça le resterait. Et j’ai couru tout droit, le cœur battant, à la table de roulette. J’y ai passé deux heures. Deux heures de pur bonheur.

J’y suis retournée le lendemain. Et le surlendemain. Et les deux jours suivants.
Je n’ai pas osé demander à Océane. Qui m’aurait soufflé dans les bronches.
Et j’ai sollicité Émilie.
– Tu pourrais pas me prêter trois cents euros ? Juste pour quelques jours. Je te les restituerai mardi. Sans faute.
Elle n’a pas été dupe. Elle a refusé.
– Ce serait te rendre le plus mauvais des services.
Je n’ai pas pu non plus convaincre Bérengère.
– Désolée, mais je suis vraiment ric-rac en ce moment.
J’allais me tourner, en désespoir de cause, et avec un profond sentiment de culpabilité, vers une société de crédit quand, le soir même…
– Dis-moi, Lucile, tu faisais quoi au casino jeudi dernier ?
– Au casino ? Jeudi ? Mais rien, Julien, rien, je t’assure…
– Quelqu’un t’a vu pourtant.
– Quelqu’un ? Qui, ça ?
– Ça n’a pas d’importance qui.
J’ai rendu les armes. En minimisant.
– C’était juste une fois. Comme ça.
– Tu sais ce qui t’attend.
Je savais, oui.


14-


Ça n’a pas été tout de suite.
– Le temps de trouver un créneau qui leur convienne à tous les trois. Et…
Il m’a posé une main sur l’épaule. M’a souri.
– Et aussi le temps que tu réfléchisses. Que tu appréhendes. Beaucoup. Longtemps. Dans ton cas c’est encore ce qui sera le plus efficace.
Pour appréhender, j’appréhendais, ça ! Être déculottée et fessée devant trois hommes dont deux avaient à peine la moitié de mon âge. J’appréhendais mais, en même temps, je me sentais soulagée. Il m’arrêtait. Il m’arrêtait à temps. Je savais trop bien sur quelle pente savonneuse je m’étais une nouvelle fois engagée. Je savais trop bien qu’une fois lancée, seule, j’aurais été incapable de m’arrêter. Et que je nous aurais mis financièrement gravement en danger.

Les filles me plaignaient.
– Tu vis ça comment ?
Je haussais les épaules.
– Comme vous toutes, j’imagine.
Océane s’en voulait.
– C’est ma faute, tout ça ! C’est ma faute.
Je la rassurais. Comme je pouvais.
– J’aurais replongé de toute façon. J’essayais de me le faire croire mais je savais bien, tout au fond de moi, que je n’étais pas complètement guérie.
En attendant, il y en avait un qui l’agaçait. Qu’est-ce qu’il pouvait l’agacer !
– Ton Valentin ?
– Valentin, oui. Parce qu’il joue les indifférents. « C’est jamais qu’une fessée. », mais en réalité comment il a hâte de te voir la recevoir. Ça l’excite. Ça l’excite d’une force ! Deux fois hier il a fallu que je passe à la casserole. Et déjà une fois ce matin. Il peut pas s’empêcher d’en parler. À tout bout de champ. Il essaie bien, mais il y arrive pas. Il parle plus que de ça. Et sa grande hantise, c’est que ça n’ait finalement pas lieu. Que tu réussisses à convaincre Julien de renoncer à te la donner devant eux. « On sait jamais ! Les femmes, c’est jamais à bout d’arguments. » Tu peux être sûre en tout cas qu’il va ouvrir tout grand les yeux et qu’il en perdra pas une miette. Quant à moi, faudra que j’assure quand il va rentrer. Ça, je m’y attends.

Le Clément de Bérengère, c’était le seul que je ne connaissais pas, que je n’avais jamais vu.
– Oui, ben justement ! Justement ! Il trouve la situation des plus cocasses, lui. Et des plus improbables. « T’imagines ? Je sais même pas à quoi elle ressemble et j’aurai à peine le temps de lui dire bonjour qu’elle va se retrouver les fesses à l’air devant moi. Et gigoter du croupion. Avoue quand même que c’est pas banal. » Et il arrête pas de me harceler de questions. T’es comment ? Brune ? Blonde ? Et tes yeux ? Ils sont de quelle couleur, tes yeux ? T’es plutôt enveloppée ou longiligne ? Et ta poitrine ? Elle déborde de partout ou bien elle est toute menue ? Mais dès que j’esquisse le moindre début de commencement de réponse, il me fait taire. « Non, non, dis rien ! Dis rien ! Je préfère avoir la surprise. »

Celui que j’appréhendais le plus, c’était, et de loin, l’Étienne d’Émilie. Vu la sortie qu’il m’avait faite, chez lui, le jour où il l’avait fessée…
– Il réagit comment ? Il dit quoi ?
Elle a haussé les épaules.
– Pas grand-chose. Rien. Il a pas fait vraiment de commentaires. Juste qu’il espérait que Julien te ménagerait pas. « Parce qu’il y a des choses qu’on peut vraiment pas laisser passer. »


15-


– Alors ? Prête ? C’est le grand jour.
– Julien…
– Oui ?
– Non. Rien.
Il m’a prise contre lui.
– C’est pour ton bien.
– Je sais, oui.
– Pour que tu cesses enfin de te mettre en danger. De nous mettre en danger. Il n’y a que comme ça que…
– Oui. Oui. On a toujours été d’accord là-dessus. Mais quand même… Quand même… C’est pas facile, tu sais !
– Moins ce sera facile et plus ce sera efficace, non ?
J’ai soupiré.
– Si !
– Ah, tu vois !

On a sonné. J’ai sursauté.
– Notre premier invité. Tu bouges pas de là. Tu attends. Je viendrai te chercher.
Je me suis approchée de la porte. J’ai tendu l’oreille. Une voix grave. Posée. Étienne, sûrement. Des paroles. Incompréhensibles.
Un autre coup de sonnette. Un autre encore. Presque aussitôt. Leurs voix entremêlées. Un rire. Celui de Valentin. Encore leurs voix.
Ça a duré. Duré. Ça s’est animé. Et puis le silence. Un silence lourd. Pesant. La porte.
– Tu peux venir ?
J’ai respiré. Un grand coup. Et je me suis bravement lancée.
Ils étaient assis tous les trois, côte à côte, sur le canapé.
– Bonjour !
Sans regarder personne.
– Ah, mais non ! Non ! Pas comme ça !
Il m’a prise par le bras, obligée à aller les saluer individuellement. L’un après l’autre.
– C’est la moindre des politesses.
Le sourire gourmand, un peu narquois, de Valentin.
– Ben, fais-lui la bise à lui ! Tu le connais.
Le regard inquisiteur de Clément.
– Qui brûlait de l’envie de te rencontrer.
Et le visage dur, réprobateur, d’Étienne.
– Vous avez plein de points communs en fait tous les deux. Si, si, je t’assure ! Tu verras.

Il a tiré une chaise.
– Bon. Inutile de se perdre en discours interminables. Et superflus. Tout le monde sait de quoi il retourne.
L’a placée de telle manière que je sois disposée dos à eux. Fesses à eux.
Il s’est assis, m’a fait signe d’approcher, de m’étendre en travers de ses genoux, m’y a bien calée, a relevé ma robe. Haut. Très haut.
– Maintiens-la comme ça.
Il a glissé les pouces, de chaque côté, sous l’élastique de ma culotte. Qu’il a tirée. Fait descendre. Lentement. Très lentement.
– Soulève-toi !
Qu’elle puisse passer. Elle m’est tombée sur les chevilles.
Il m’a posé une main sur les fesses. J’ai serré les dents. Ne pas crier. Ne pas leur faire ce plaisir. Et surtout ne pas me contorsionner. Ne pas gigoter. Qu’ils n’en voient pas plus que nécessaire.
– C’est parti !
Et la première claque est tombée.


16-


Impossible de dormir. Même couchée sur le ventre. Ça me cuisait trop. Ça me lançait trop. Mais, surtout, il y avait la honte. Qui ne me lâchait pas. Qui me rongeait. Une honte ravageuse, lancinante. Je la revivais en boucle, cette fessée. Interminablement. J’en revisitais, au ralenti, chaque moment. Pour ma plus grande mortification. Je m’étais avérée totalement incapable de tenir mes belles résolutions. J’avais crié. Je m’étais époumonée. Sans la moindre retenue. J’avais, sous l’effet de la douleur, battu des jambes, bondi du derrière. Sans la moindre pudeur. Quel spectacle j’avais offert à ces trois hommes ! On avait pu voir tout ce qu’on avait voulu. Absolument tout. Et, à la fin, quand je m’étais relevée, qu’il avait fallu que je…
Ne pas y penser. Ne plus y penser. Je me suis tournée. Retournée. D’un côté. De l’autre. J’ai soupiré. J’ai gémi.
Julien m’a posé une main, légère, au creux des reins.
– Tu as mal ?
Oh, oui, j’avais mal, oui ! Comment il avait tapé fort !
– Il le fallait. Si on voulait que ça porte vraiment.
– Je sais bien, Julien ! Je sais bien. Je te reproche pas. Je te reproche rien. Mais c’était tellement dur avec eux qui regardaient. Tellement. Surtout après, à la fin, quand tu as arrêté et que tu as voulu que je reste là debout, sans bouger.
Il m’a caressé doucement la joue.
– Et pourquoi à ton avis ?
– Je suis pas idiote. J’ai bien compris.
– Dis-le quand même ! Dis-le ! Que ça rentre bien…
– Pour m’ôter à tout jamais l’envie de recommencer. Plus ce serait dur et moins je voudrais me mettre en situation de le revivre.
Il a continué à me caresser. Le cou. Les épaules.
Et j’ai été prise, à son égard, d’un immense élan de reconnaissance. Je l’avais mis en danger. Je nous avais mis en danger. Par ma faute, à cause de mes sottises, on vivait à l’étroit. On devait faire attention à tout. On se privait en permanence. Alors, qu’à force de me voir systématiquement rechuter, il ait fini par baisser les bras, il ait voulu poursuivre sa route sans moi, comment aurais-je pu le lui reprocher ? Mais il ne le faisait pas. Il mettait au contraire tout en œuvre pour que je me comporte enfin de façon responsable et, ce faisant, il me sauvait de moi-même. Parce que seule, sans lui, sans garde-fou, j’aurais été incapable de m’imposer des limites, je le savais. J’aurais été prise dans un vertige de casinos, de champs de courses et de jeux en ligne. Et j’aurais couru à la catastrophe absolue. Interdite bancaire. Banque de France. Et tutti quanti.
Je me suis serrée fort contre lui.
– Je t’aime, Julien.
– Mais moi aussi, je t’aime. Si seulement…
Je l’ai fait taire d’un baiser.
– Chut ! Dis rien ! Je te promets ! Je te promets !
On s’est enlacés. Nos lèvres se sont jointes. Les pointes de mes seins se sont dressées et je me suis pressée contre lui. Et il a été tout dur contre moi.
– Je t’aime, Julien ! Je t’aime !
Et c’est moi qui… Sur lui.
– Je veux ! Je veux !
Je me suis emparée de lui. Je l’ai chevauché. Et je me suis élancée à la conquête de mon plaisir. Éperdument.
Il a posé ses mains sur mes fesses brûlantes. Et ça a déferlé. Ça m’a emportée. Chavirée. J’ai éperdument hurlé. Une deuxième vague presque aussitôt que je lui ai psalmodiée à l’oreille. Et il s’est répandu en moi.
– Ne bouge pas ! Reste comme ça !
J’étais bien. Si bien.
Et je me suis endormie, la tête sur sa poitrine.


17-


À la première heure, le lendemain, Océane m’a appelée.
– Parce que tu dois te demander comment ça a réagi hier soir, j’imagine, non ?
– Un peu, oui.
Valentin lui avait fait un rapport circonstancié. Plus d’une heure durant.
– Il ne m’a fait grâce d’aucun détail. Et tu te doutes bien que ça s’est terminé en feu d’artifice, mais ça, je m’y attendais.
Elle ne s’en plaignait pas. Bien au contraire.
– Une bonne partie de jambes en l’air, moi, je suis toujours partante. Plutôt deux fois qu’une. Surtout que lui, quand il en est, il en est. T’y trouves sacrément ton compte.
Ça l’amusait également beaucoup.
– Parce que si tu l’écoutes, ça n’a rien à voir avec toi ni avec la fessée que tu as reçue, ce brusque regain d’ardeur à mon égard. Rien du tout. Tu parles ! Prends-moi bien pour une idiote ! Mais bon, je vais pas le lui reprocher. Moi aussi, des fois, il y a des trucs qui me mettent en appétit sans qu’il y soit pour rien. Et je suis bien contente alors de l’avoir sous la main. Enfin, bref ! Tout ça pour arriver à cette conclusion que tu lui as fait sacrément de l’effet.
– Il a dit quoi au juste ?
– D’abord que t’es sacrément bien foutue. Il en revenait pas. « C’est impressionnant ! Pour dire qu’elle a l’âge qu’elle a ! » Mais il s’est pas trop étendu là-dessus. Il sait que ça m’agace quand il vante un peu trop les charmes des autres nanas. Il en pensait pas moins, n’empêche. Et, à mon avis, il espère ardemment que tu vas pas tarder à en mériter une autre. Parce que t’aurais entendu toutes ces questions qu’il m’a posées. Mine de rien. Sans avoir l’air d’y toucher. « Ça la tient, non, la passion du jeu ? » Pour autant que j’avais pu en juger, t’étais pas mal accro, oui. « Il y a des chances qu’elle remette ça alors ? » Peut-être. Et puis peut-être pas. Qu’est-ce qu’il voulait que j’en sache ? « À un moment vous avez bien joué ensemble toutes les deux, non ? » Il a pas vraiment insisté, il a pas osé, mais le message était clair. Si seulement je pouvais avoir la bonne idée de jouer les démons tentateurs…
– Oui, ben ça ! Dans ses rêves. Que dans ses rêves. Tu pourrais bien les jouer tant que tu veux, les démons tentateurs, il y a plus le moindre risque que je rechute. Alors là ! Pourquoi tu souris ?
– Parce que j’ai déjà entendu ça. Et que je l’ai déjà dit, moi aussi.
– Oui, mais cette fois…
– C’est tout le mal que je te souhaite…
– Non, mais tu sais pas ce que c’est, toi, Océane, de se faire fesser devant trois types qui se repaissent tant et plus du spectacle que tu leur offres.
– Et j’espère bien ne jamais le savoir. Surtout que…
– Que quoi ?
– Tu sais jamais ce qu’ils vont bien pouvoir aller imaginer, les types. Ce qu’ils vont aller se mettre dans la tête.
– Comment ça ?
– Ben, je suis passée vite fait chez Bérengère, hier soir. Et il y a Clément qu’est arrivé. Il revenait de chez toi. Il venait d’assister. Du coup, il en a parlé, évidemment, tu penses bien ! D’autant qu’elle voulait savoir, Bérengère. Qu’elle s’est mise à le presser de questions.
– Et alors ?
– Et alors il est persuadé que tu le faisais exprès de gigoter dans tous les sens. Pour bien tout montrer. « Elle est exhib ! Et pas qu’un qu’un peu ! On m’ôtera pas de l’idée qu’elle est exhib, alors là ! »
– Non, mais je voudrais l’y voir, lui ! S’il croit que c’est facile, quand on s’en prend une sévère, de rester impassible, cuisses et genoux bien serrés. C’est pas possible. Même avec la meilleure volonté du monde, il arrive un moment où c’est pas possible.
– C’est bien ce que je lui ai dit. Mais il y a jamais eu moyen de lui faire entendre raison.


18-


J’ai raccroché, ulcérée. Non, mais pour qui il se prenait ce Clément ? C’était la première fois qu’il me voyait, il me connaissait pas et il se permettait de porter sur moi des jugements péremptoires et définitifs. Quel imbécile !
J’étais en train de fulminer contre lui quand on a sonné. Bérengère. Qui venait aux nouvelles. Ah, elle tombait bien, elle, tiens !
Elle a attaqué d’emblée, d’un petit air compatissant.
– T’as pris cher, à ce qu’il paraît, hier soir.
– Ben justement, à ce propos, ton Clément…
– Oui, il m’a raconté. Comment t’as dû avoir honte !
– À ce qu’il paraît qu’il a décidé que j’étais exhibitionniste…
– Oui, oh, Clément, tu sais ! Faut en prendre et en laisser avec lui. À ses yeux, n’importe comment, on est toutes comme ça. On pense qu’à se faire reluquer. C’est une obsession chez lui. Limite si, quand un coup de vent te fait voltiger ta robe, tu l’as pas fait exprès. J’ai l’habitude depuis le temps. J’y prête plus vraiment attention. Bon, mais parlons de toi plutôt. Ça a pas dû être facile quand Julien t’a obligée à rester comme ça devant eux, non ?
– Ce le serait pour personne.
– Ah, ça, moi je sais que j’aurais du mal à m’en remettre. Mais si tu me racontais ? Il s’est passé quoi au juste ?
– Clément t’a déjà dit, je suppose.
– Oui, oh, Clément… Il a vu ça à sa façon à lui. C’est un mec. Il était beaucoup plus préoccupé par ce que t’avais à montrer que par tes réactions à toi. Il en avait rien à foutre de si t’avais honte ou pas. De si ça se voyait. De comment tu te comportais. Non, il matait. Fallait pas lui en demander beaucoup plus. N’empêche que t’as dû passer un sacré sale quart d’heure.
– Non ! Tu crois ?
Ce qu’elle pouvait être lourde quand elle s’y mettait !
– Déjà qu’Océane et Émilie, ça se voyait que c’était vraiment pas une partie de plaisir. Et pourtant on était qu’entre nanas. Alors devant des mecs ! Ah, non, j’aurais pas pu, moi ! J’aurais vraiment pas pu. Je sais pas comment t’as fait.
Elle a eu un petit rire.
– C’est trop drôle, avoue ! Parce que, de nous quatre, c’est moi qui la mérite le plus, la fessée et il y a que moi qui l’ai pas reçue. Et qui la recevrai pas.
– T’es bien sûre de toi…
– Oh, pour ça, oui !
– Parce que ? T’as mis un terme avec ce type, là ?
– Sûrement pas ! On s’éclate trop, tous les deux. Non, j’en ai même pris un autre pour faire bonne mesure. Je sais pas comment je me débrouille, mais je tombe toujours sur des mecs qui baisent comme des dieux. À croire que je les attire.
– Mais alors…
– Clément ? S’il avait vraiment voulu me gauler, il y a longtemps qu’il l’aurait fait. Non. En fait ça fait un petit moment qu’il s’occupe plus vraiment de ce que je fabrique derrière son dos, je crois bien. Fessée ou pas, il sait que de toute façon j’irai voir ailleurs. Que je peux pas m’en empêcher. Il en a pris son parti. Me plaquer ? Il veut pas. Il veut plus. Il a bien trop peur de rester tout seul. Alors il fait l’autruche. Il s’aperçoit de rien. Théoriquement, notre pacte tient toujours : je le trompe, ou on en reste là tous les deux ou il me flanque une fessée. Mais pratiquement je ne cours plus le moindre risque. Il préfère ne pas voir. Et ne pas savoir.
– Méfie-toi quand même ! Il y a des retours de bâton des fois.
– Oh, mais pas là ! Pas là ! Surtout maintenant que vous avez décidé que c’est devant les maris ou copains qu’elles auraient lieu les fessées. Parce que voir les autres nanas en recevoir, ça, il dira pas non. Il en redemandera même. Par contre, mettre publiquement à l’air le cul de la sienne, pas question… Elle peut bien aller voir ailleurs si elle veut, mais ça, non. Non.

Océane à qui j’ai rapporté notre conversation a levé les yeux au ciel.
– Elle croit ce qui l’arrange, mais j’ai bien peur qu’elle tombe de haut. Et bien plus vite qu’elle ne l’imagine.


19-


Restait Étienne. C’était le seul, quand j’avais dû rester debout, nue, face à eux, sur lequel je n’avais pas pu m’empêcher de lever les yeux, à deux ou trois brèves reprises. Il me fixait, impassible. Qu’avait-il pensé ? Quel jugement portait-il sur ce qui s’était passé ? Sur la façon dont je m’étais comportée ? Il n’y avait que lui, au fond, dont l’opinion m’importait vraiment. Et, pour la connaître, je n’avais pas d’autre solution que d’aller interroger Émilie. J’ai mis quatre jours à m’y décider tant j’appréhendais la réponse.
Une réponse qu’elle s’est avérée incapable de me donner.
– Il en a pas parlé ?
– Pas du tout, non.
– Et tu lui as pas demandé ?
– C’est pas quelqu’un à qui on pose des questions, Étienne.

Elle avait été d’autant moins tentée de lui en poser que, le surlendemain, c’est elle qui y avait attrapé.
– Ça m’arrive encore, de temps à autre, les méga crises de paresse. De moins en moins souvent, mais n’empêche que ça m’arrive. Et il laisse pas passer. Ce en quoi il a parfaitement raison d’ailleurs.
– Tu y as attrapé, mais… devant eux ? Ils étaient là ?
– Ah, ben oui ! Oui ! Évidemment qu’ils étaient là. Comme convenu.
– Julien aussi ?
– Julien aussi. Tous les trois.
– Et c’était quand, tu dis ?
– Avant-hier.
– Il m’a rien dit.
– Ça, peut-être. Mais je peux t’assurer qu’il y était.
– Et il a réagi comment ?
– Franchement, j’en sais rien. C’est vraiment pas le genre de situation où t’as envie d’aller les regarder sous le nez, les types. Tu penses qu’à une chose, c’est oublier qu’ils sont là.

– T’as rien à me dire ?
Il a levé sur moi un regard surpris.
– Non. Quoi ?
– Elle est bien fichue Émilie ? Elle t’a plu ?
– Ah, c’est donc ça ! Elle marque vite, ce qu’il y a de sûr. Et beaucoup.
– Pourquoi tu m’as rien dit ?
– Parce qu’il y avait pas d’urgence. Qu’on aurait bien le temps d’en parler, le moment venu.
– Mouais. Et alors ? Ça s’est passé comment ?
– Comme une fessée. Il lui a baissé sa culotte et il a tapé. Fort. Et longtemps.
– Elle a crié ? Elle a gigoté ?
– Un peu, mais pas tant que ça ! On voyait qu’elle avait décidé de prendre sur elle.
– Et après ?
– Il l’a envoyée au coin, jupe relevée et culotte sur les chevilles.
– C’est son truc, ça, le coin, j’ai l’impression. Il l’y a laissée longtemps ?
– Une demi-heure, à peu près. Et puis il l’a envoyée dans sa chambre. On est restés à discuter entre nous. Et on s’est désolés : ce n’est pas si efficace que ça, finalement, les fessées qu’on vous donne. Ça ne vous guérit pas complètement, les unes comme les autres, de vos sales habitudes.
– Un peu quand même ! Ce serait pire sinon.
– Du coup, on a envisagé d’autres solutions. Une en particulier.
– Ah, oui ? Laquelle ?
Il a souri, mis un doigt sur ses lèvres.
– Ce que tu peux être chiant quand tu t’y mets !


20-


Elle savait, Océane. Il lui avait dit, Valentin. Elle savait ce qu’ils avaient envisagé comme solution.
– Ah ! Et c’est quoi ?
– Un tour de rôle.
– Comment ça ?
– Ben, désormais, quand on en aura mérité une, c’est pas celui avec qui on est en couple qui la nous la donnera, mais l’un des trois autres. Devant eux tous, ça aura lieu. Et devant nous toutes. Pour que ça porte plus.
– Et c’est qui qu’a eu une idée pareille ?
– Alors ça ! Oh, mais à mon avis ça vient ou de ton Julien ou de l’Étienne d’Émilie. Parce que Valentin ou Clément, je les vois vraiment pas dans le rôle. Ce qui les empêchera pas de profiter tant et plus de l’aubaine. En tout cas, je sais pas toi, mais moi, c’est une perspective qui va me faire me tenir à carreau. Et comment !
Moi aussi. Évidemment que moi aussi. Parce que quelle humiliation ce serait que de me faire claquer le derrière par des gamins qui avaient à peine la moitié de mon âge ! Quant à Étienne, ce serait pire. Mille fois pire. Il avait une telle façon de me faire me sentir coupable. Rien qu’en me regardant. Ou son ton en me parlant. Et ses mots. Alors s’il devait me punir…

Émilie aussi, elle savait. Elle avait même des informations complémentaires.
– Ce qu’ils envisagent, c’est ou bien de tirer au sort ou bien de constituer des binômes. Ils sont pas encore trop décidés.
– Des binômes ?
– Oui. Par exemple, Valentin te corrigerait chaque fois que nécessaire. Et Julien corrigerait Océane. Mais ce n’est qu’un exemple.
– Ils sont trop quand même, dans leur genre. Parce qu’on aurait peut-être notre mot à dire, non, vous croyez pas ?
Elle croyait pas, Océane, non.
– J’en passerai par où il veut. Parce que j’ai pas du tout envie qu’il mette un terme, nous deux. Mais alors là, pas du tout. Et puis c’est pour mon bien : faut absolument que j’arrive à me débarrasser de cette sale habitude. Alors si ça doit être plus efficace comme ça !
Émilie était de son avis.
– Moi, ce que je vois, c’est que si on est pas sans arrêt derrière moi, je suis incapable d’y arriver. Et il y a que les fessées qui y font. Après, que ce soit Paul, Jacques, Pierre ou André qui me la donne, ça m’est un peu égal. Enfin non. Non. Ça m’est pas complètement égal. Parce que ce sera bien plus vexant, quelqu’un d’autre.

Quant à Bérengère, avec cette nouvelle donne, elle était un peu plus convaincue encore qu’elle y échapperait.
– Parce que déjà, m’en mettre une devant du monde, pour lui c’était tout juste pas possible, mais en plus que ce soit quelqu’un d’autre qui me le fasse, alors là ! Non. Non. Je suis bien tranquille…
Ce qu’elle se demandait par contre, c’est laquelle d’entre nous trois il serait amené à fesser.
– Parce que vous, vous allez y avoir droit, c’est obligé.
On s’est récriées. Ah, mais non ! Non ! Pas du tout. On avait bien l’intention de faire en sorte que ça n’arrive plus.
Elle a eu un petit sourire en coin.
– Sauf que vous replongerez. Ça mettra le temps que ça mettra, mais un jour ou l’autre vous replongerez, c’est obligé. Et vous le savez très bien.
– T’es encourageante, toi, dis donc !
– Mais non, mais ça sert à rien de se voiler la face.
Ce qu’elle se demandait aussi, c’est laquelle d’entre nous il aurait préféré que le sort lui attribue.
Elle lui avait même posé la question.
– Il a éludé, vous pensez bien ! Il a pas envie que je sache. Mais j’ai quand même ma petite idée.
Qui était ?
Elle a levé les yeux sur moi.
– Lucile…
– Moi ! Ben, voyons !


21-


Bérengère voulait nous voir. De toute urgence.
– Qu’est-ce qu’il se passe ?
Elle était aux quatre cents coups. Et avait de toute évidence pleuré.
– Je suis conne ! Non, mais qu’est-ce que je peux être conne quand je m’y mets !
– Si tu nous expliquais au lieu de te lamenter ?
– Je me suis fait gauler. Et en beauté. Sur le fait il m’a prise. J’étais au lit avec un mec. Va nier, toi, après ça !
– On t’avait dit de faire gaffe. On te l’avait pas dit ?
– Je sais, oui, mais bon… Je croyais, moi, j’étais sûre qu’il préférait rien voir. Qu’il en avait pris son parti. Oui, ben, t’as qu’à y croire ! Comment ils peuvent être sournois, les types, n’empêche, quand ils s’y mettent ! Et hypocrites d’une force !
– Il a réagi comment ?
– À ton avis ? Hyper mal ! Il me quitte.
– Oh, mais il y a peut-être moyen de…
– De rien du tout. Il a embarqué ses affaires et il est parti s’installer chez sa sœur.
– Ah !
– Et la fessée ? Tu y as pensé ? Tu lui en as parlé ?
– Vous pensez bien que oui ! Il a rien voulu entendre. Il a dit que ça y avait jamais rien fait. Et qu’il y avait aucune espèce de raison pour que ça se mette à marcher comme ça, d’un coup, comme par enchantement. Non, cette fois, c’est cuit. Et bien cuit. Il s’est montré on ne peut plus clair.
– Et si on allait lui parler ?
– Vous ? Je crois pas que ça serve à grand-chose. Remonté comme il est.
– On peut toujours essayer.
– Oh, si vous voulez ! Au point où j’en suis n’importe comment.

On a d’abord envisagé d’y aller toutes les trois. En force. Mais, à la réflexion, ce n’était pas forcément une bonne idée.
– Il risque de se sentir agressé. Il va se braquer.
Et on a décidé de lui envoyer Océane.
– Elle est de son âge, Océane. Et puis, elle est diplomate. Elle saura comment le prendre.

Elle n’est revenue que deux heures plus tard.
– Alors ?
– Oh, ben alors, ça a pas été sans mal. Mais ça devrait être bon.
– Ça devrait être ou ça l’est ?
– Ça l’est. À condition qu’il y ait fessée, évidemment.
– Oui, ben ça, fallait s’y attendre.
– Et que ce soit Valentin qui la lui donne.
– Valentin ? Pourquoi Valentin ?
– Je sais pas, mais il a énormément insisté là-dessus.
– Ça l’excite, faut croire…
– Quel salaud ! Non, mais quel salaud ! Et moi qui croyais qu’il supporterait pas de me voir fessée par un autre !
– On connaît jamais vraiment un mec.
– Surtout quand c’est le sien !
– Oui, oh, faut pas se faire d’illusions, moi, je crois ! Ils sont tous plus ou moins copie conforme en fait.
– J’ai la trouille, les filles ! Vous pouvez pas savoir comment j’ai la trouille. Jamais je vais arriver à supporter. J’aurai bien trop honte. Et puis il tape fort en plus, Valentin.
– Faudrait savoir ce que tu veux !
– Je veux pas qu’il me quitte, Clément. Je veux pas.
– Eh bien alors !


22-


– Ah, c’est toi !
Océane.
– Ben, entre ! Assieds-toi ! Qu’est-ce qu’il se passe ?
– Il se passe qu’ils sont d’un compliqué, Bérengère et Clément, mais d’un compliqué !
– Elle a changé d’avis ?
– Non.
– C’est lui alors…
– Non plus, non ! Enfin pas vraiment. Mais il est vraiment très très remonté contre elle. Et il veut qu’avant la fessée à laquelle elle va avoir droit de la main de Valentin samedi, elle vienne rendre une petite visite, qu’il appelle de courtoisie, à chacun des mâles, qui y assisteront.
– Je vois. Il est décidé à lui en faire baver, quoi ! Et elle prend ça comment ?
– Pas bien du tout, tu la connais. Elle est dans la voiture, là. Elle attend. Il est là, Julien ?
– Là-haut, oui, je vais le chercher.
– Et moi, je vais chercher Bérengère.

Qui s’est avancée vers lui, tête basse.
Il la lui a fait relever, du bout du doigt.
– Assume ! Il faut toujours assumer les conséquences de ses actes. Toujours !
Elle lui a lancé un bref regard éploré.
– Oh, ce sera un mauvais moment à passer, oui, mais pas si terrible que ça finalement, tu verras… Et puis tu te sentiras tellement mieux après. Soulagée d’avoir payé ta dette.
J’ai proposé, pour dédramatiser la situation…
– Vous voulez boire quelque chose ?
Elle n’avait pas soif, Bérengère, mais Océane, si, oui, c’était pas de refus.
– Une petite bière, si t’as.
Que Julien est allé lui chercher. Qu’il lui a tendue en la menaçant du doigt.
– Tu prends tes responsabilités…
– Oh, c’est pas pour une !
– Ça, c’est toi qui vois ! Tout ce que je peux te dire, c’est que si jamais tu rechutes, si tu files à nouveau un mauvais coton de ce côté-là, c’est moi qui te mettrai la fessée. Et je ferai pas semblant.
– Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
J’ai suggéré.
– Tu paries qu’ils se sont réparti les rôles ?
– Exactement ! Et c’est Océane qui m’est échu. Ça aurait pu plus mal tomber. Pour elle comme pour moi.
– Non, mais comment ils font leurs petits coups en douce !
– Cela étant, rassure-toi ! C’est pas pour autant que je vais te pousser à boire. Je suis quelqu’un de très bien. De très droit.
– Oh, mais ça, personne n’en a jamais douté…
Il s’est tourné vers moi.
– Quant à toi, ma chérie…
– Je sais ce que tu vas dire. Je le sais.
– Ah, oui ?
– Oui. Moi, ce sera Étienne, je suppose…
– Bingo. On a estimé, à l’unanimité, que ce serait une perspective qui te dissuaderait à tout jamais de vouloir inconsidérément nous ruiner en jeux d’argent.
Étienne ! Je n’ai rien dit. J’ai frissonné. Mais Étienne !
Il a cherché mon regard.
– On se trompe ?
Ils ne se trompaient pas, non.
– Reste Émilie. Dont Clément s’occupera le cas échéant.
– Clément, mais !
Elle a voulu dire quelque chose, Bérengère. Elle s’est ravisée. Elle s’est tue.


23-


Émilie voulait nous voir, Océane et moi.
– Non, parce qu’ils se sont encore réunis à la maison, là, tous les quatre, hier soir. Et il est sérieusement question qu’ils exigent qu’avant de recevoir sa fessée, Bérengère serve d’abord l’apéro à poil.
Océane a écarquillé les yeux.
– Ah, oui ! Carrément !
J’ai haussé les épaules.
– Ce serait encore une idée d’Étienne, ça, que ça m’étonnerait même pas.
Émilie m’a aussitôt reprise.
– Ah, non, non ! Il y est pour rien sur ce coup-là. C’est son Clément en personne qu’a suggéré ça.
– Eh ben dis donc ! Et elle qui était persuadée que jamais il n’accepterait que d’autres types la voient à poil !
– Oui, mais ça, comme on disait l’autre jour, on les connaît jamais vraiment, les mecs.
Ce qu’elle pensait Océane, elle, c’était que de nous avoir vues la recevoir toutes les trois, la fessée, ça lui avait sûrement fait considérer les choses d’un autre œil.
– Et peut-être même que ça lui a donné envie de rajouter un petit plus.
Oui, enfin, la question maintenant, c’était surtout de savoir comment Bérengère allait réagir…
– Faudrait la prévenir ! Et sans tarder. Qu’elle soit pas prise de court.
Elle ne pouvait pas, Océane.
– C’est le coup de feu au magasin en ce moment. Et j’ai déjà pas mal manqué la semaine dernière. Alors !
Émilie non plus.
– Les cours en ce moment, c’est vraiment pas de la tarte. Et si je perds pied…
Il ne me restait plus qu’à me dévouer.
– Mais tu nous raconteras, hein !

Elle m’a accueillie avec un grand sourire.
– Lucile ! Oh, ça me fait plaisir de te voir ! Quel bon vent t’amène ?
Bon vent. Ce n’était pas vraiment le mot.
– Écoute, Bérengère, faut que je te dis un truc. Pour la fessée que Valentin doit te donner, là…
Elle m’a coupé la parole.
– Je sais, oui. Clément m’a dit.
Il lui avait dit quoi ? Que…
– Oui, ça ! Oh, il m’en veut, Clément. Énormément. Faut dire aussi que je le comprends dans un sens. Parce que vu comment je l’ai fait cocu ! J’étais complètement dans ma bulle. Il y avait plus que ça qui comptait : m’envoyer en l’air. Encore et encore. Et je l’ai fait passer pour un con. Je m’en rends bien compte maintenant. Je l’ai humilié. Alors qu’il veuille me rendre la pareille, je peux pas lui en vouloir. Peut-être, sûrement même, que c’est le seul moyen qu’il ait pour arriver à passer l’éponge et à me pardonner. Alors si c’est le prix à payer… Parce que je ne veux qu’une chose, moi maintenant, je n’aspire qu’à une chose, c’est que tout soit oublié, c’est que tout soit à nouveau comme avant entre nous. Comme s’il n’y avait jamais rien eu.
Elle a soupiré.
– Tu comprends ? Je sais pas. C’est pas facile à expliquer. En tout cas, ce qu’il y a de sûr, c’est que ça va pas être une partie de plaisir pour moi. Je vais sacrément morfler. Rien que d’y penser…

Océane, à qui je suis allée, en sortant, rendre aussitôt compte de notre conversation, a haussé les épaules.
– Oui, oh, alors ça, que ce ne soit pas une partie de plaisir pour elle, moi, je n’en suis pas si sûre. Enfin si ! Si ! Évidemment ! Et on aurait l’air d’en douter qu’on la mettrait en fureur. Mais moi, je suis bien persuadée que ce n’est pas si simple et que, même si elle ne l’avouerait et ne se l’avouerait pour rien au monde, tout au fond d’elle-même être humiliée ne lui déplaît pas tant que ça.


24-


On était tous là. Assis dehors Sous la tonnelle. Il y avait Océane et Valentin. Émilie et Étienne. Julien et moi. Et puis Clément. Mais pas Bérengère.
– Ben non, elle se prépare. Et elle nous prépare l’apéro.
Il nous a fixées à tour de rôle, Clément. Nous, les femmes. Toutes les trois. Que nous.
– Et, bien sûr, vous, vous étiez au courant. Depuis le début. Et personne n’a jugé bon de me prévenir. J’étais cocu jusqu’aux blanc des yeux et c’était la conspiration du silence. Solidarité féminine, j’imagine. En tout cas…
Il s’est tourné vers Émilie.
– En tout cas, toi, t’as tout intérêt à filer droit. Et à te tenir à carreau. Parce que si jamais je suis amené, comme c’est convenu, à te flanquer une fessée, je peux te dire que tu vas la sentir passer. Tu paieras pour tout le monde.
Océane a voulu prendre notre défense.
– On n’est pas des balances.
– Je l’attendais, celle-là !
Il l’a contrefaite.
– On n’est pas des balances… Va voir ce qu’elle fabrique, tiens, plutôt ! Puisque vous êtes si bonnes copines.

Elles sont revenues toutes les deux, portant chacune un plateau. Bérengère était nue. Entièrement nue. Elle a posé le sien sur la table, sans oser regarder personne.
– Tu nous fais le service, ma chérie ?
Elle a demandé à chacun, tour à tour, ce qu’il souhaitait boire, a rempli les verres, les a portés à domicile.
– Bon, ben à la vôtre ! Santé !
Tout le monde a trinqué.
Clément l’a appelée.
– Viens voir là !
Il l’a fait asseoir sur ses genoux. Ils se sont chuchoté quelque chose à l’oreille. Un bon moment. Et puis il l’a fait relever.
– Allez, va vite !
Elle a trottiné jusqu’à Valentin. Devant qui elle s’est plantée.
– Je suis prête.
– À quoi ?
– À recevoir la fessée que j’ai méritée.
Et elle s’est d’elle-même courbée, allongée en travers des genoux de Valentin. Qui a pris possession de ses fesses. Qui y a négligemment posé une main.
Océane s’est penchée à mon oreille.
– Tu paries qu’il bande ?
– Il se rince copieusement l’œil, ce qu’il y a de sûr.
Il a lancé une première claque. Pas très fort. A fait longuement attendre la suivante. Une deuxième. Une troisième. Et puis ça a pris sa vitesse de croisière. Fermement appliqué. Régulier. Sonore. Une fesse après l’autre.
Elle, elle restait les yeux obstinément fixés au sol et ponctuait chaque coup d’un petit grognement de fond de gorge.
Bras croisés, profondément attentif, Clément regardait, impassible, le derrière de sa compagne s’empourprer.
Julien, lui, avait ce petit tressautement involontaire de la cuisse que je connaissais si bien et qui s’emparait de lui chaque fois que quelque chose le troublait.
Quant à Étienne, il cherchait ostensiblement mon regard que je ne parvenais pas toujours, malgré tous mes efforts, à lui dérober. Et ce que j’y lisais alors, c’était une menace sans la moindre équivoque : « Toi, ma petite, quand tu vas me tomber entre les griffes, et tu vas forcément y tomber un jour ou l’autre, je peux te dire que je vais tout particulièrement te soigner. » Et je rougissais comme une imbécile. Je m’agitais sur ma chaise. Je m’efforçais désespérément de lui échapper. Sans succès. Et je me maudissais.


25-


– Ben, dis donc !
Océane me considérait d’un œil amusé.
– Quoi ?
– Il te plaît bien, Étienne, non ?
– Ça va pas ? T’es pas bien ? Sûrement pas, non, alors là !
– Je sais pas, mais vu comment t’as pas arrêté de le boire des yeux tout au long de la fessée de Bérengère…
– N’importe quoi !
– Ah, si, si, je t’assure ! Et avec une insistance !
– C’est lui qui… Alors forcément, quand t’as quelqu’un qu’arrête pas de te fixer, tu te demandes ce qu’il te veut.
– Oui. Eh ben, je peux te dire que, vu de l’extérieur, c’est vraiment pas l’impression que ça donnait… Et Émilie a eu exactement la même.
– Émilie !
– Émilie, oui.
– Elle s’imagine pas que j’ai des vues sur lui au moins ?
– Je crois pas, non. Et puis, de toute façon, il y a rien entre eux. C’est juste qu’il la punit quand sa paresse reprend le dessus, quand elle laisse aller ses études à vau-l’eau. C’est tout. Après, peut-être qu’elle est quand même un peu amoureuse de lui en arrière-fond, ça, va savoir ! Mais en tout cas, la version officielle, c’est que non. Pas du tout.
– Et Bérengère ? Elle l’a cru aussi, elle, que je…
– Oh, ça, j’en sais rien du tout. Elle m’en a pas parlé. Mais Bérengère…
– Quoi donc, Bérengère ?
– Disons que je me pose des questions. Parce qu’elle a déboulé chez moi, ce matin, à la première heure. Elle voulait que je lui dise « Mais alors franchement, hein ! » si elle en avait vraiment montré tant que ça. « C’est ce qu’il prétend, Clément. Mais bon, il exagère toujours, Clément ! » Qu’est-ce tu voulais que je lui dise ? Sûr qu’à gigoter comme elle gigotait, à battre des jambes dans tous les sens comme elle le faisait, ça ouvrait tout un tas de perspectives intéressantes. On pouvait voir tout ce qu’on voulait en fait. Toi, tu t’en es peut-être pas rendu compte, parce que t’étais pas du bon côté et que, de toute façon, Étienne accaparait toute ton attention, mais je peux t’assurer que pour dévoiler, elle dévoilait, alors là ! Elle était horrifiée. « C’est vrai que j’en ai fait voir tant que ça ? Oh, là là, mon Dieu ! Mais qu’est-ce qu’ils ont dû penser, les autres ? Que je le faisais exprès si ça tombe. » Ben, justement, moi, je crois que oui. Peut-être pas qu’elle l’a fait consciemment exprès sur le moment, non, – quoique, au fond, j’en sais rien du tout – mais en tout cas qu’a posteriori ça lui a pas déplu tant que ça de l’avoir fait.
– Oh, tu crois ?
– Je me demande. D’autant que tu l’aurais vue pendant qu’on en parlait ce matin. Ils brillaient d’une force, ses yeux ! Et puis toutes ces questions qu’elle me posait sans relâche. Il avait dit quoi, Valentin ? Il avait pensé quoi ? Oui, ben il avait autre chose à faire qu’à penser, Valentin. Il profitait de l’aubaine. Comme l’aurait fait n’importe quel type à sa place. Un petit cul qui se tortillait sous ses claques, qui s’entrouvrait généreusement sous ses yeux, il allait sûrement pas bouder son plaisir.
– Tu lui as dit ?
– Évidemment que je lui ai dit. C’est ce qu’elle crevait d’envie d’entendre. Même si elle ne l’aurait admis pour rien au monde.
– Et elle l’a pris comment ?
– Dans le registre… « Oh là là ! C’est pas vrai que j’ai fait ça ! Je me suis pas rendu compte. Non, mais comment j’ai honte. » Et patati et patata. Mais alors les autres ? Julien ? Étienne ? Ils avaient réagi comment ? Qu’est-ce qu’elle voulait que j’en sache ? Le mieux, c’était encore qu’elle aille vous le demander. Et donc… Donc tu peux t’attendre à la voir débarquer chez toi d’un instant à l’autre.


26-


Ce qui n’a pas loupé.
Une heure après, elle était là, Bérengère.
– Je te dérange pas ?
– Non. Bien sûr que non. Tu veux un café ?
Elle a ignoré la question. Ou ne l’a pas entendue.
– Tu trouves, toi aussi ?
– Je trouve que quoi ?
– Que j’en ai énormément montré.
– On montre toutes dans ces cas-là. Le moyen de faire autrement ? Ça fait partie de la punition n’importe comment.
– Oui, mais moi, à ce qu’il paraît qu’il y en a qui pensent que je l’ai fait exprès de montrer. Et d’en montrer le plus possible.
– Ton Clément ? Il a pensé exactement la même chose de moi, rappelle-toi !
– Non, pas Clément. Enfin si, oui ! Je lui ai pas demandé, mais oui, lui, forcément. Il nous voit toutes comme ça n’importe comment. Non, mais les autres. Julien, par exemple. Il t’a dit quelque chose, Julien ?
– Que t’étais bien foutue. Ce qui, pour rien te cacher, l’a mis en appétit. Ben, oui ! On pourra jamais empêcher un mec d’être un mec. Ils allaient pas garder leurs yeux dans leurs poches non plus. Tous autant qu’ils sont. Et je suis bien tranquille que le Valentin d’Océane, lui aussi… D’autant qu’il était aux manettes…
– Je sais, oui. Il a pas arrêté de bander tout le temps qu’il me l’a donnée, la fessée. J’ai eu tout du long son truc tout dur contre ma cuisse.
– Ah, tu vois bien ! Et Clément, me dis pas que le soir quand vous êtes rentrés…
– Ben si, oui…
– Et même Étienne, je suis sûre. Il a beau jouer les imperturbables, faire celui qui prend tout ça de haut, tu penses bien qu’une fois réfugié dans sa chambre, il est pas resté les deux mains sagement posées sur les couvertures. Ben, oui, c’est comme ça ! Faut se faire une raison. Après, qu’ils aillent s’imaginer tout un tas de trucs, qu’on fait exprès d’en montrer tant et plus ou je sais pas trop quoi, il faut te dire et te répéter que… et d’un ils auront jamais de certitude absolue là-dessus. Et de deux, que c’est leur problème, pas le nôtre. Le nôtre, c’est de savoir si ces punitions qu’on reçoit sont efficaces ou pas, si elles nous empêchent de courir à la catastrophe ou pas. En ce qui me concerne, la réponse est claire et nette. C’est oui. S’il y avait pas ça, je jouerais jusqu’à notre dernier sou, je me connais. Et il y a belle lurette qu’on serait à la banque de France et dans les pires galères. Sans compter que Julien m’aurait très certainement larguée. Personne n’a envie de vivre dans la misère. Et je serais très probablement à la rue. Alors moi, je les bénis, ces fessées. Et je les veux. Parce qu’il y a qu’elles qui peuvent me recadrer et m’empêcher de rechuter. Quand mes petits démons se manifestent, qu’ils se mettent à insister à tout-va, il me suffit d’y penser, de me dire que, si je flanche, ça va me valoir une humiliante fessée déculottée devant vous et c’est radical : elle me passe aussitôt l’envie d’aller faire un tour au casino ou d’aller craquer des cents et des mille en ligne. Surtout maintenant qu’il a été décidé qu’au moindre faux pas de ma part, ce serait Étienne qui me le ferait. J’aurais bien trop honte avec lui. Rien que d’y penser… Je sais pas pourquoi, mais alors il m’impressionne d’une force, ce type !
– C’est sa façon de regarder peut-être. De te faire te sentir en faute même quand t’as rien fait. Moi aussi, il me met mal à l’aise. N’empêche qu’ils les ont pas choisis au hasard, les binômes, hein ! Ils savaient très bien ce qu’ils faisaient. Parce que moi, comment ça m’a vexée, que ce soit Valentin qui me la donne la fessée ! Depuis le temps qu’on est amies, Océane et moi, tu parles si je le connais, lui ! Et jamais, au grand jamais, je serais allée m’imaginer qu’un jour je me retrouverais les fesses à l’air en travers de ses genoux. Et que ce serait mérité. Non, parce que comment j’ai déconné ! C’est pas possible de déconner comme ça. J’ai honte, tu peux pas savoir ce que j’ai honte. Ah, il a eu de la constance, faut avouer, Clément !
Elle s’est levée.
– Va falloir que j’y aille ! Mais n’empêche…
Elle a repris son sac.
– N’empêche que depuis qu’il y a eu ça, hier, je me sens mille fois plus amoureuse de lui. C’est bizarre, non, tu trouves pas ?
– Oh, non ! Non, c’est pas bizarre, non.


27-


J’ai longuement hésité. Et puis j’ai fini par appeler Émilie.
– Faut que je te demande un truc…
– Je t’écoute.
– C’est rapport à Étienne. Parce que l’autre jour, pendant la fessée de Bérengère…
– Tu l’as pas quitté des yeux. Je sais, oui. J’ai vu. Ce qui peut se comprendre. Parce que c’est Étienne qui sera amené à te fesser si jamais tu récidives. Alors que tu sois tout particulièrement attentive à lui, à ses réactions, dans ce genre de situation, ça me paraît complètement normal. Tu crois que je l’ai pas eu dans le collimateur, moi, Clément, pendant ce temps-là ? Puisque c’est à lui que j’aurai affaire si je dysfonctionne encore. Même si je me suis certainement montrée beaucoup moins insistante que toi. Et s’il ne s’est rendu compte de rien, tout occupé qu’il était à regarder sa dulcinée gigoter sous les claquées de Valentin.
– Il t’a rien dit, Étienne ?
– À propos ? De ton attitude ? Rien. Pas un mot. Mais peut-être que ça ressortira un jour ou l’autre. Avec lui on peut pas savoir. On peut jamais savoir. Non, la seule dont il ait été question, c’est Bérengère. Mais c’est elle qui était sous le feu des projecteurs après tout.
– Tu crois, toi aussi ?
– Que ?
– Océane, elle pense que ça lui était pas si désagréable que ça, tout compte fait, de la recevoir, la fessée. Et qu’on la voie la recevoir.
Elle a marqué un long temps d’arrêt.
– Tu sais, après, juste après, quand ça a été terminé, qu’on est tous restés à discuter dehors…
– Oui. Eh bien ?
– J’ai voulu aller aux toilettes. C’était occupé. Par Bérengère justement. Et, de là-dedans, me sont parvenus des gémissements étouffés qui ne laissaient planer aucun doute sur la nature de l’activité à laquelle elle était en train de se livrer.
– Ah, ben d’accord !
– Comme tu dis…
– Elle s’est rendu compte ? Que t’étais là ? Elle s’en est aperçue ?
– Pas sur le moment, non. Je me suis discrètement éclipsée. Et puis, après réflexion, j’ai décidé de lui en parler. Ce que j’ai pas regretté finalement, parce que ça nous a permis de nous dire plein de choses toutes les deux. Des choses que ça te soulage et te rassure de te dire que tu n’es pas toute seule à les éprouver. Parce que je sais pas toi, mais moi, c’est très compliqué ce que je ressens quand je la reçois, la fessée. Et très ambigu. D’un côté, je trouve ça incroyablement mortifiant d’être déculottée et corrigée comme une gamine. Mais c’est aussi ce qui fait que c’est efficace. C’est ce qui me dissuade, la plupart du temps, de me laisser aller. Qui me pousse à me mettre sérieusement au travail quand j’aurais plutôt envie d’aller m’affaler devant une bonne série. Mais, en même temps, d’un autre côté, quand ça m’arrive, je ne peux pas m’empêcher d’éprouver, en arrière-fond, une certaine forme de plaisir. Bien sûr, il y a le fait que c’est une région particulièrement érogène par là. Ça compte. Ça ne peut pas ne pas compter. Mais il y a pas que ça. C’est pas ça, l’essentiel. Non, c’est quelque chose de beaucoup plus cérébral. En rapport étroit avec l’humiliation. Tu es profondément honteuse de ce qui t’arrive, mais en même temps, cette honte, elle a quelque chose d’incroyablement fascinant. Et de très agréable. Plus elle est forte, plus tu te sens délicieusement troublée. Plus tu te sens troublée et plus tu as honte de l’être. En spirale. À l’infini. Et tu vois, le paradoxe, c’est que ce plaisir, parce que tu en as honte justement, il participe à la punition. Il te la fait appréhender un peu plus encore. Et il contribue à t’inciter, au bout du compte, à rester dans les clous.
Elle a poussé un profond soupir.
– On est compliqués, nous, les humains, hein, finalement !
Il y a eu un long silence. Un très long silence.
– Je t’ai choquée ?
– Oh, non, non, pas du tout…
– Mais ça te fait te poser tout un tas de questions.
– Un peu, oui.


28-


Océane avait quelque chose à m’annoncer.
– Tu sais pas l’idée qu’ils ont eue ?
– Non ? Quoi ?
– Ils veulent qu’on aille au restaurant tous ensemble. Tous les huit.
– Oh ben, pourquoi pas ?
– Tous ensemble, oui, mais à quatre tables différentes. Et éloignées les unes des autres. Ils veulent que chacune d’entre nous fasse plus ample connaissance avec celui qui est appelé à devenir son fesseur attitré.
– Ah ! Ce qui veut dire…
– Que tu vas déjeuner en tête-à-tête avec Étienne. Et moi avec ton mari. Pareil pour les deux autres. Clément avec Émilie. Et mon Valentin avec Bérengère.
Me défiler ? J’y ai songé. Mais il n’en était, à la réflexion, absolument pas question. Ç’aurait été faire preuve de faiblesse et lui donner un peu plus encore barre sur moi à Étienne. Alors non ! Non. J’allais l’affronter.

Et j’ai pris sur moi-même pour, d’emblée, dès qu’on a été assis l’un en face de l’autre, m’efforcer de mettre les choses au clair.
– Il faut que je vous dise tout de suite, pour qu’il n’y ait pas de malentendu entre nous : vous n’aurez pas l’occasion de…
Ils me fouillaient ses yeux. Ils me transperçaient. Ils attendaient. Et je me suis littéralement liquéfiée. J’ai perdu complètement contenance.
– De… Il ne faut pas… N’allez pas imaginer…
Il m’a laissée m’enfoncer, imperturbable. Balbutier. Bafouiller lamentablement.
Et il a repris la main.
– Je n’aurai pas l’occasion de quoi ?
– Ben, de…
– Vous flanquer une bonne fessée ? Bien sûr que si !
J’ai perdu pied.
– Non ! Non ! Je vous assure. Je ne jouerai plus. À quoi que ce soit. J’en suis absolument certaine.
– Ce qui prouve, s’il en était besoin, qu’une sévère correction débouche, dans l’immense majorité des cas, sur des résultats extrêmement satisfaisants. Non ?
Je me suis agitée sur ma chaise.
– Non ?
– Si !
Du bout des lèvres.
– Bon ! Mais que vous soyez désormais guérie de ce vice, j’en suis ravi pour vous. Seulement, il y a tout le reste.
Le reste ? Quel reste ? Qu’est-ce qu’il voulait dire ?
J’ai désespérément cherché un hypothétique secours autour de moi. Là-bas, Julien était en conversation animée avec Océane. De l’autre côté, une Bérengère que Valentin semblait en train de sermonner, pleurait à petits coups, le nez dans son mouchoir. Quant à Clément et Émilie, ils étaient trop loin et masqués.
– Vous m’écoutez ?
– Pardon ! Oui.
– Parce que le vice du jeu, c’est une chose répréhensible, certes, mais il y a plus grave. Beaucoup plus grave. Vous voyez de quoi je veux parler, j’imagine ?
Non. Pas du tout. Et en même temps, si ! Je sentais qu’il y avait en moi quelque chose de terrifiant, dont j’avais toujours plus ou moins soupçonné la présence, dont je ne pouvais qu’avoir immensément honte, dont je devais me sentir profondément coupable, mais sur quoi j’étais totalement incapable de mettre un nom. Quelque chose qui sommeillait au plus profond de moi depuis toujours. Quelque chose que lui avait vu. Débusqué. C’était quoi ? Je tremblais de peur à l’idée de le savoir. J’ai pourtant levé sur lui un regard interrogateur.
Il a souri.
– C’est à vous de le découvrir. Et de me demander, le moment venu, de vous punir pour ça.


29-


Julien s’est installé au volant. A démarré.
– Alors ?
– Alors, quoi ?
– Cette soirée avec Étienne. T’en as retiré quoi ?
– Je sais pas. C’était bizarre. Il m’a complètement déstabilisée en fait.
– Ce qui n’est pas forcément un mal.
– Je me demande. Parce que chercher quelque chose quand tu sais pas ce que tu cherches au juste…
– Ça finira par affleurer, tu verras. Pour toi comme pour Océane. Qui est tout près, mais vraiment tout près, de mettre le doigt dessus.
– Ah, alors si je comprends bien…
– C’était une action concertée, oui. On a décidé, tous les quatre, de vous bousculer un peu. Parce que l’essentiel, c’est rarement ce qui saute aux yeux.
– Et c’est quoi alors, pour moi, selon toi, l’essentiel ?
– Je n’en sais fichtre rien. C’est à toi de le découvrir.
– C’est exactement ce que m’a dit Étienne tout à l’heure.
– Ah, ben tu vois !
– Et tu dis qu’Océane…
– A fait un grand pas en avant, oui. Mais c’est à elle de t’en parler. Si elle en a envie.

On venait tout juste de se coucher quand la sonnette de la porte d’entrée a retenti.
– À cette heure-ci ? Qui ça peut être ?
C’était Océane.
– Qu’est-ce qui t’arrive ?
– Rien. Enfin, si ! Je… Je pourrais pas dormir ici ?
– Tu t’es disputée avec Valentin, je parie…
– Oh, non ! Non ! Seulement on avait pris chacun notre voiture. Elle est en bas, la mienne et…
Julien a constaté.
– Tu pues l’alcool à plein nez.
– Oh, mais je suis pas saoule, hein ! Seulement c’est plus prudent que je la prenne pas. Je dois être limite. Et si je tombe sur les flics…
– Limite ? Plus que limite tu veux dire, oui ! Bon, mais on réglera ça ! Comme convenu. Dès que possible… Le temps de prévenir et de réunir tout le monde.
– C’est pas de ma faute !
– Ben, voyons !
– Si, c’est vrai, hein ! C’est à cause de tout ce qu’on a parlé tout à l’heure, à table. Comment ça m’a remuée ! J’avais besoin d’y réfléchir avant de rentrer, du coup…
– On peut réfléchir sans boire…
– Je sais bien, oui ! Seulement…
– Bon, mais on verra tout ça demain ! Il est tard. Alors, pour le moment, dodo !

Dans la chambre d’amis, de l’autre côté de la cloison, elle a reniflé, s’est bruyamment mouchée.
– Elle pleure, non ?
– On dirait, oui.
J’ai tendu la main vers lui.
– Comment c’est trop bien, nous deux, hein, Julien ! On se le dit pas assez souvent, moi, j’trouve !
Je lui ai doucement caressé le ventre. Je suis descendue. J’ai pris sa queue dans ma main. Elle s’est aussitôt dressée. Il s’est tourné vers moi, l’a calée contre ma cuisse. Il m’a suçoté les seins, pétri les fesses. Je me suis ouverte, tendue vers lui.
– Viens, Julien ! Viens ! J’ai trop envie.
Et ça a été un plaisir intense. Majeur. Que j’ai sangloté à pleins poumons. Qui s’est indéfiniment prolongé.
Je me suis réfugiée contre lui.
– Elle a entendu, tu crois ?
– Ah, ça, pour pas entendre ! Vu comment tu t’es lâchée…


30-


Je suis allée la secouer.
– Océane !
Elle a grogné.
– Oui. Quoi ?
– Il est neuf heures. Et tu bosses aujourd’hui, non ?
– J’irai pas. J’ai pas envie. J’appellerai.
Elle s’est redressée, a bâillé à se décrocher la mâchoire.
– Je suis pas en état de toute façon. Non, mais comment j’ai la tête dans le cul !
Et elle a brusquement proclamé, d’un ton péremptoire.
– Mais j’étais pas saoule hier soir, hein, faut pas croire !
– Saoule, non ! Mais bien entamée, oui. Ce qui revient finalement au même. Tu vas y avoir droit, ce qu’il y a de sûr. Et Julien ne va pas te ménager.
– Je sais, oui !
– Ce que je comprends pas… T’aurais pu y échapper. Tu serais allée à l’hôtel, t’aurais tranquillement cuvé et on n’y aurait vu que du feu. Mais non ! Il a fallu que tu viennes te jeter en direct dans la gueule du loup.
– Me défiler ? Pour traîner ma culpabilité pendant des semaines et des semaines ? Ah, non, non ! C’est moi qui ai demandé, et ce sans la moindre ambiguïté, à être punie, dans mon propre intérêt, chaque fois que je repiquerais à l’alcool. C’est la seule chose qui soit réellement efficace avec moi. Une bonne fessée. Pas le moindre doute là-dessus. Alors si je veux arriver à finir par complètement en sortir…
Elle s’est perdue quelques instants dans ses pensées.
– Non. Et puis il y a pas que ça. Il y a pas que pour avoir bu qu’il va me punir, ce coup-ci, Julien. Il y a autre chose. De beaucoup plus grave. Sur quoi il m’a fait mettre le doigt. Il est redoutable, ton mari, quand il veut. Il sait appuyer là où ça fait mal. Et il te lâche pas. Jusqu’à ce que t’aies le nez dessus. Et dedans. Alors personne le saura, personne s’en doutera, peut-être même pas lui, mais, dans ma tête à moi, c’est pour quelque chose de complètement différent que je vais la recevoir, la fessée.
– Je voudrais pas être indiscrète, mais si ça peut te faire du bien d’en parler…
– Ce qui me sidère, ce qui me sidère complètement, c’est qu’on peut faire des trucs, systématiquement, obstinément, pendant des années et des années, sans même s’apercevoir qu’on les fait.
– Quels trucs ?
– Je supporte pas que les autres soient en couple en fait. Dès que j’en ai un dans les parages, je fais tout pour le détruire. Systématiquement. Je me rendais pas compte, mais si, oui. Maintenant que j’ai le nez dessus, c’est une évidence. Et je peux être très très retorse si je veux. C’est à la nana que je m’en prends. Jamais au mec. Ça me sauterait trop aux yeux sinon ce que je suis en train de faire. J’aurais trop ouvertement l’air de la petite salope briseuse de ménages. Alors non. Je fais amie-amie avec la femme. J’entre en confidences. Réelles ou inventées. Je la pousse à s’épancher à son tour. À me parler de son compagnon. Et je cherche la faille. Il y en a toujours une. Un défaut, une manie chez lui qui la hérisse. Je monte ça en épingle. J’en rajoute une couche. J’en débusque d’autres, des défauts. De toute sorte. Elle le défend. Mollement. Avec moins en moins de conviction. Peu à peu, au fil de nos échanges, il lui apparaît sous un jour radicalement différent, fort peu séduisant. Et elle s’interroge. Non, mais comment est-ce qu’elle a pu aller s’enticher d’un type pareil ? Qu’est-ce qu’elle a bien pu lui trouver ? Comment elle arrive à le supporter ? Plus rien de ce qu’il dit, plus rien de ce qu’il fait ne trouve grâce à ses yeux. La séparation est toute proche. Ce n’est plus qu’une question de semaines, voire de jours.
– Mais à toi, ça t’apporte quoi, ça, à toi ?
– Je me le suis aussi demandé. Toute la soirée d’hier. Et j’ai fini par trouver. C’est qu’un type avec une nana, il est pas disponible pour moi. Et ça, je supporte pas. Ce que je voudrais, au fond, c’est qu’ils soient tous célibataires, sans attaches, que je puisse puiser à ma guise dans le tas, si j’ai envie.
– Eh, ben dis donc !
– Je sais oui, c’est pas très joli, tout ça ! Et j’ai honte maintenant que je sais, que j’ai réalisé. Tu peux pas savoir comment j’ai honte…


31-


C’est moi qui me suis chargée de contacter tout le monde.
Et de prévenir Océane.
– C’est pour ce soir…
– Déjà ! Mais que c’est que ça m’arrange pas, moi, ce soir !
– Parce que ?
Il y a eu un long silence.
– Allô… T’es toujours là ?
Elle était là, oui. Et elle a soupiré.
– Ça sert à rien de reculer n’importe comment. Vu que de toute façon faudra que j’y passe…
– Effectivement. Alors le plus tôt sera le mieux.

Julien a voulu que ce soit elle, Océane, qui dispose les chaises.
– De façon à ce que tout le monde puisse en voir le plus possible. Et dans les meilleures conditions.
On s’est assis.
Étienne à ma droite. Qui a voulu savoir si j’avais réfléchi.
– Un peu, oui, mais je n’ai rien trouvé.
Il a souri d’un air entendu.
– Ça viendra.
Et Valentin à ma gauche.
– Je devrais avoir le droit de filmer, moi, j’trouve ! Vu que c’est ma femme qui y attrape. Je pourrais lui repasser la séance comme ça. Peut-être que ça l’aiderait à arrêter de boire. Sûrement même ! C’est une idée, ça ! Faudra que je leur en parle aux autres quand on se verra uniquement entre nous.

Julien s’est installé. Face à nous. Et le silence s’est fait.
Un signe de lui. Et Océane s’est approchée.
– Plus près ! Encore ! Allez, encore !
Elle a obéi. Il lui a saisi les poignets. Les lui a emprisonnés.
– Tu as recommencé. Regarde-moi ! Tu as recommencé.
– Oui.
La tête basse.
– Tu n’as pas quelque chose à demander, du coup ?
– Si ! Qu’on me punisse ! Je l’ai mérité. Que ça me serve de leçon…
Il a passé les mains sous sa jupe. Des deux côtés. Il a descendu la culotte. Qui lui est tombée sur les chevilles.
– Retire-la ! Complètement. Que tu puisses gigoter tout à ton aise.
Elle l’a fait. Un pied après l’autre.
– Allez !
Il l’a saisie par la taille, fait basculer en travers de ses genoux. Elle s’y est docilement laissé allonger, caler.
Il lui a relevé la jupe au-dessus de la taille. Les fesses à découvert. Il en a pris possession, d’une main distraite.
– Prête ?
Il n’a pas attendu la réponse. Il a tapé. Une grêle de claques. Vigoureusement assénées. À un rythme soutenu.
– Je peux te dire que celle-là, tu vas t’en souvenir et qu’elle va te faire passer à tout jamais l’envie de boire quoi que ce soit.
Il n’y avait pas que ça. Il y avait aussi ce qu’elle et moi on était les seules à savoir. C’était pour ça aussi qu’elle était punie. C’était pour ça surtout que ses fesses étaient en train de virer au rouge incandescent. Que ses jambes étaient en train de battre désespérément l’air. Qu’elle gémissait comme une perdue.
Est-ce qu’elle avait également envisagé de me séparer de Julien ? Oui. Évidemment. Comme elle l’avait fait pour toutes les autres. Sale petite garce ! Qu’il tape ! Plus fort ! Encore ! Encore ! Là… Comme ça, oui.
Elle a crié.
Et ça a été tout mouillé entre mes cuisses.


32-




Ça l’avait excité, Julien, de fesser Océane. Est-ce qu’il pouvait en être autrement ? Bien sûr que non ! Je n’étais pas complètement idiote. Aussi n’ai-je pas été surprise qu’il n’ait rien eu de plus pressé, une fois tout le monde parti, que de m’attirer contre lui, son désir déployé contre ma cuisse. De m’entraîner dans la chambre, de me pousser vers le lit et de me faire fougueusement l’amour. J’ai joui, heureuse, dans ses bras. Il était à moi. À moi ! Et à personne d’autre. Elle était à moi, sa queue. C’était en moi qu’elle se déversait. C’était en moi que cheminait sa semence.

Je n’ai pas réussi à m’endormir. Il était à moi, oui, mais Océane, de son propre aveu, s’ingéniait à briser les couples, s’y employait avec délectation. Alors est-ce qu’on y avait eu droit, nous aussi ? Est-ce qu’elle s’était efforcée de nous séparer, Julien et moi ? Si j’y réfléchissais tranquillement maintenant, à tête reposée ? Il m’est peu à peu revenu des conversations qu’on avait eues, des propos qu’elle avait tenus. Et oui. Oui. Pas le moindre doute possible. Oui. Et moi qui lui faisais confiance ! Quelle petite saloperie ! Ah, elle l’avait méritée, sa fessée, ah, oui, alors ! Et je me la suis repassée, bien en détail, avec délectation. Comment ils s’imprimaient bien en profondeur sur son derrière les doigts de Julien. Comment elle le trémoussait en cadence son petit croupion. Et ce rouge ardent dont il se colorait délicieusement ! C’était du plus bel effet vraiment ! Je me suis complaisamment attardée sur ces images. Je les ai fait revenir inlassablement. Encore et encore. Voluptueusement. Tant et si bien que c’est redevenu lancinant entre mes cuisses. Que je n’ai pas pu me retenir. Que j’y ai laissé s’aventurer un doigt. Qui y a clapoté. Qui a voulu s’aventurer plus loin. Qui s’est fait exigeant. Au risque de réveiller Julien.

Je me suis levée sans bruit. Je me suis rendue, à pas de loup, jusqu’à la salle de bains, assise, dans l’obscurité, sur le rebord de la baignoire. Et j’ai reconvoqué Océane. Je lui ai remis les fesses à l’air. Il les a à nouveau claquées, Julien. Avec conviction. Oui ! Qu’il tape ! Encore ! Plus fort ! Elle méritait. Comment elle méritait ! Vouloir nous séparer, lui et moi ! Non, mais quelle infâme petite ordure elle faisait ! Les claques s’abattaient. Avec force. Quel plaisir j’ai pris à voir rougir son cul. Qui s’agitait. Qui ondulait. Qui se tortillait. Qui ne laissait rien ignorer de ses secrets les plus intimes. Quel spectacle réjouissant c’était que de les voir ainsi exposés à la vue de tous. Comment elle devait avoir honte ! « T’arrête pas, Julien, hein, surtout ! Tape ! Le plus fort que tu peux. Tape ! Fais-la brailler ! Fais-la hurler ! Fais-la supplier ! » Lui, il ne demandait pas mieux. Au contraire. Et il a donné sa pleine mesure. Et elle s’est égosillée. Elle a bramé. Elle a meuglé. Elle a rugi. Moi aussi. J’ai feulé mon plaisir. À pleine gorge. Je l’ai déferlé sans la moindre retenue.

Je me suis immobilisée. J’ai retenu mon souffle. J’ai écouté. Aucun bruit en provenance de la chambre. De toute façon, Julien, lui, quand il dormait, la maison aurait bien pu s’effondrer que ça ne l’aurait pas réveillé.
Je suis restée assise sur le rebord de la baignoire. Maintenant que les ondes de mon plaisir s’étaient estompées, que j’avais recouvré mes esprits, je ne pouvais me défendre d’un certain sentiment de malaise. J’avais éprouvé une satisfaction intense à voir Julien fesser Océane. Et pire encore, je m’étais donné du plaisir en évoquant la scène. En la revivant. Ce n’était pas moi, ça. Ça ne me ressemblait pas. Et pourtant…
J’ai tenté de me rassurer. C’était parce qu’Océane avait envisagé de me séparer de Julien, tout ça. C’était humain comme réaction. Jamais par ailleurs… Jamais, lors des fessées qu’avaient reçues Émilie ou Bérengère, je n’avais éprouvé quoi que ce soit de cette nature. Jamais ? Une petite voix en moi, lancinante, n’en était pas si sûre, prétendait qu’il ne s’en était fallu d’un rien et que sûrement la prochaine fois, maintenant qu’un verrou avait sauté…
J’ai haussé furieusement les épaules. Oh, et puis zut ! Zut !
Et je suis retournée me coucher.


33-


Dans un demi-sommeil, j’ai vaguement perçu qu’il faisait jour, que Julien se levait sans bruit, qu’il se douchait, qu’il venait me déposer un rapide baiser sur les lèvres.
‒ À ce soir, amour !
J’étais bien. J’ai longuement somnolé. Des images me sont venues. Revenues. Les mêmes que la veille au soir. Océane. Océane, le cul à l’air, se faisant copieusement fesser par Julien. Océane criant sous les claquées. Océane se tortillant de douleur et ne laissant rien ignorer de la façon dont elle était faite. Je les ai longuement caressées, ces images. Je m’en suis délectée. Je m’en suis repue.
Et puis, c’est Bérengère qui a voulu venir prendre sa place. Je l’ai repoussée avec agacement. Qu’est-ce qu’elle venait fiche là, elle ? Que j’aie du plaisir à évoquer la fessée d’Océane, oui, rien de plus légitime. Elle avait tenté de me séparer de Julien. Mais Bérengère ! Elle ne m’avait rien fait, Bérengère. Et pourtant ! Ça a insisté. Ça a absolument venu s’imposer. Mes doigts se sont égarés à la recherche de moi-même. Je me suis secouée.
‒ Tu es folle, ma pauvre fille ! Tu es complètement folle !
Je me suis levée. Je me suis activée. La lessive. Le ménage. Mais c’est resté là toute la matinée en arrière-fond. Une interrogation. Une inquiétude. Est-ce que j’étais détraquée ? Ou pire, perverse ?

C’est en tout début d’après-midi que je me suis décidée à aller voir Émilie. C’était la seule à qui je pouvais parler de tout ça à cœur ouvert. Océane ? Il n’en était évidemment pas question. Quant à Bérengère, c’était Bérengère. Et mes états d’âme risquaient de lui passer à cent mille lieues au-dessus de la tête.
Émilie m’a écoutée avec beaucoup d’attention. A souri.
‒ Tu crois que j’ai fait quoi, moi, hier soir, juste après ? Eh bien, je suis allée voir mon copain Alex. Qu’est super. Qui pose pas de questions. Et qui me dépanne quand j’ai impérieusement besoin d’un mâle. C’est normal que ça excite d’assister à une fessée, attends ! Moi, en tout cas, ça me le fait à chaque fois. Mais c’est pas pour autant que j’ai recours à Alex à chaque fois, hein ! Ça dépend. De plein de trucs. Et toute seule, comme t’as fait, toi, là, c’est pas mal non plus.
‒ Mais je croyais que… Tu m’avais dit…
‒ Que c’était la recevoir qui m’excitait. Aussi, oui. C’est pas incompatible. Ça t’étonne ?
‒ Oui. Non. Je sais pas. Je suis un peu paumée.
‒ C’est les deux côtés de la même médaille en fait. Et maintenant que tu as goûté à celui-là, il y a toutes les chances que tu sois tentée par l’autre.
‒ Tu veux dire que ça va me plaire d’en recevoir ?
‒ En quelque sorte, oui.
J’ai fait la moue.
‒ Je me vois vraiment pas dans le rôle.
‒ C’est sans certitude absolue non plus, mais suppose que tu doives en recevoir une demain Comme ça t’a remuée d’assister à celle d’Océane hier et, rétrospectivement, à celle de Bérengère, l’autre jour, qu’est-ce que tu vas te dire ? Ben, que peut-être bien que les autres, elles vont ressentir la même chose que toi. Probable, même. Qu’elles vont prendre un certain plaisir à te voir en ramasser une. Moi, ce sera le cas, ce qu’il y a de sûr. Et ça va déclencher quoi, chez toi, de savoir ça ? Tu vas avoir honte. Encore plus honte que les autres fois, oui. Mais, en même temps, l’idée que, grâce à toi, elles éprouvent une certaine jouissance, est-ce que ça va te laisser indifférente ? Est-ce que ça ne va pas provoquer chez toi, en retour
‒ Oui. Je comprends. Ça se tient ce que tu dis là. Ça se tient.
‒ Après, tu verras par toi-même. Parce que les expériences des unes ne coïncident pas forcément exactement avec les expériences des autres.
‒ Oui, mais alors si ça devient aussi jouissif que ça d’en recevoir…
‒ Ça ne sera plus dissuasif ? On va délibérément chercher à en mériter ? Oui, eh bien alors là, détrompe-toi ! Pas du tout ! Au contraire. Parce que la honte qui va avec ces sensations-là, aussi agréables soient-elles, elle est d’une telle intensité, elle est si bousculante que t’as pas la moindre envie d’aller volontairement la chercher.


34-


‒ On déjeune ensemble ?
Oh, elle demandait pas mieux, Océane. Elle demandait pas mieux. Au contraire.
Et, à midi, je suis passée la chercher au magasin.
L’arrière-salle du petit restaurant derrière la mairie. On s’est attablées. On a commandé. Et elle a froncé les sourcils.
‒ Qu’est-ce t’as ? Tu fais la gueule ?
‒ Il y a de quoi, non ?
Elle m’a jeté un regard interrogateur.
‒ De quoi ! Je vois pas. Explique-toi !
‒ Tu vois pas ! T’as pas essayé de me séparer de Julien peut-être ?
‒ Mais non !
‒ Arrête ! Je t’en prie, arrête ! Tu me l’as pas débiné tant que tu pouvais. Qu’il était prétentieux. Qu’il était pas fiable. Que sûrement c’était quelqu’un qui faisait ses petits coups en douce. J’en passe et des meilleures.
‒ Je t’ai expliqué. C’est avec tout le monde que je suis comme ça. Je vous ai pas particulièrement visés, Julien et toi.
‒ Ce qui change pas grand-chose au problème.
‒ Ça arrivera plus. Maintenant que j’en ai pris conscience. Et que c’est pour ça, entre autres, que j’ai été punie l’autre jour.
‒ Ce qui t’empêchera sûrement pas de recommencer.
‒ Je te jure que non.
‒ N’empêche que ça me reste en travers de la gorge. Et que ça pourra plus jamais être comme avant maintenant, toutes les deux.
‒ Tu m’en veux tant que ça ?
‒ Franchement, oui.
‒ Mais c’est pas possible, enfin ! On est amies. Je veux qu’on le reste. Absolument. J’en ai besoin, moi. Qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Dis-moi ! Tu veux me punir ? De ta main ? Fais-le !
‒ Ça me défoulerait à défaut d’autre chose.
‒ Eh bien, allez alors ! Allez ! Je pose mon après-midi.

Et on s’est retrouvées toutes les deux chez moi.
‒ Déshabille-toi !
Elle l’a fait. Sans un mot. Complètement. Entièrement. Et elle est restée là, nue, tête basse, à attendre.
‒ Tu n’as rien à me dire ?
‒ Si ! C’est moche ce que je t’ai fait. Très moche. Je regrette. Je te demande pardon.
Je l’ai saisie par la nuque, entraînée jusqu’au canapé, fait s’agenouiller, se pencher en avant.
Les marques de la fessée que Julien lui avait donnée étaient encore bien présentes. En pourpre. En rouge grenat. Et en jaunâtre par endroits. Ou en bleuâtre.
Je les ai longuement contemplées. Avec un intense sentiment de satisfaction dont je ne me suis pas défendue. Que j’ai, au contraire, accueilli sans en éprouver, cette fois, la moindre culpabilité.
J’ai passé mon doigt sur toute la surface de son derrière meurtri. Je l’y ai enfoncé par endroits.
‒ Ça fait mal ?
Elle gémissait.
‒ Oui.
‒ Et là ?
‒ Aïe ! Aussi. Pire.
Je lui ai susurré à l’oreille.
‒ C’était rien, ça. Rien du tout. C’est à la ceinture, maintenant, que je vais te le faire. Une ceinture de Julien. Comme il se doit.
Elle a frémi. Elle s’est crispée. Et elle a murmuré.
‒ Fais ce que tu veux ! J’ai mérité que tu me punisses.


35-


C’est la dernière personne à laquelle j’aurais imaginé avoir un jour recours. C’est pourtant lui que j’ai appelé. Étienne. Aussitôt Océane partie. Parce que j’avais éprouvé un tel plaisir à la cingler que j’en étais absolument terrifiée.
Il m’a écoutée lui exposer tant bien que mal la situation au téléphone. Sans jamais m’interrompre.
Il s’est contenté, quand j’ai eu terminé, d’un « Venez ! Je vous attends ! » péremptoire.
Et j’ai pris la route, regrettant déjà mon initiative. « T’as de ces idées, ma pauvre fille ! Tu vas en prendre plein la gueule pour pas un rond. Et, si ça tombe, déclencher des catastrophes en série dont tu n’as pas la moindre idée. T’aurais bien mieux fait de te tenir tranquille. » Mais il était trop tard pour reculer.

Il m’a avancé un fauteuil.
‒ Asseyez-vous !
A pris place en face de moi, m’a fixée un interminable moment sans rien dire. J’ai croisé, décroisé, recroisé les jambes, encombrée de moi-même. J’ai fini par me résoudre à prendre la parole.
‒ Si je suis venue…
Il m’a sèchement coupée.
‒ C’est que vous avez pris un pied pas possible à fouetter Océane. Et que ça vous a complètement déstabilisée. J’ai bien compris, oui. De quel droit ?
Je me suis troublée.
‒ C’est parce que… La façon dont elle s’est comportée… Par rapport à Julien… Elle a cherché à nous séparer.
‒ Et alors ! C’est pas une raison.
J’ai bafouillé.
‒ Je l’ai pas forcée non plus. Elle était d’accord. C’est même elle qu’a demandé. Pour que je lui pardonne. Pour que ça redevienne comme avant toutes les deux.
‒ En somme, ce qu’il s’est passé, c’est que vous avez fait votre petite soupe, toutes les deux, sans en parler à personne. Derrière notre dos à tous. C’est bien ça ?
‒ Non. Enfin, si ! Oui, mais…
‒ Vous avez joué avec le feu, Lucile. Ce n’était absolument pas à vous de punir Océane. Il fallait nous en parler à nous. Nous aurions avisé et pris, le cas échéant, la décision qui convenait. Vous ne pouvez pas être à la fois juge et partie.
‒ Je croyais… J’ai cru…
‒ Eh bien, vous avez eu tort. Vous n’aviez pas, vous n’avez pas à punir qui que ce soit. Ou pas encore. Cela viendra peut-être. En son temps. Mais, pour l’heure, c’est à tout le moins prématuré. Alors pas étonnant que vous vous sentiez aussi désorientée, aussi perturbée. Vous avez cru bon d’endosser un rôle qui ne pouvait pas, qui n’avait pas à être le vôtre. Et vous avez mérité d’être punie pour ça. Non ?
Hein ? Je croyais pas, non. Peut-être. Je savais pas en fait.
‒ Bien sûr que si que vous savez. C’est même pour ça que vous êtes venue me trouver. Pour que je vous punisse d’avoir pris cette initiative malheureuse. Et d’en avoir éprouvé une satisfaction intense. Parce que vous êtes parfaitement convaincue, tout au fond de vous-même, qu’il n’y a guère qu’une bonne fessée qui puisse vous débarrasser, au moins partiellement, du sentiment de culpabilité qui vous a investie depuis. Et qui vous ronge. Je me trompe ?
Non. Non, il ne se trompait pas. Ça m’est brusquement apparu comme une évidence absolue. J’en avais besoin de cette fessée. Un besoin impérieux. Pour me retrouver en accord avec moi-même. Pour arriver à me pardonner. Oui, il me la fallait. De toute urgence.
Je me suis levée. Je me suis approchée de lui.
‒ Punissez-moi !
Il m’a fait relever.
‒ Vous le serez. Promis ! Bientôt. Très bientôt. Mais pas ici. Pas maintenant. Là-bas. Chez vous. Devant tout le monde.


36-


‒ Tout le monde est là ?
Tout le monde était là, oui. Dans la salle de séjour.
‒ Alors on va pouvoir commencer…
Et Julien m’a prise par le bras. Fermement. Entraînée dans notre chambre.
‒ Mais qu’est-ce qu’il t’a pris ? Qu’est-ce qu’il t’est passé par la tête de faire une chose pareille ?
‒ Elle a voulu nous séparer, Julien. Si, c’est vrai, tu sais, hein !
‒ Tu te le seras imaginé.
‒ Non. Non. Je t’assure. Quand j’y repense, il y a des tas de trucs qui me reviennent. Des trucs qu’elle a dits. Qu’elle a faits.
‒ C’est possible ?
‒ Quoi donc ?
‒ Qu’on puisse arriver à nous séparer.
‒ Oh, non, Julien, non !
‒ Bien sûr que si ! Ça t’aurait pas fait aussi peur sinon. Et ce que tu as voulu, en réalité, c’est punir Océane des doutes que tu éprouves sur tes sentiments à mon égard. Tu t’es trompée de personne, Lucile. C’est toi qu’en réalité tu avais l’intention de punir. Bon, mais on va remettre les choses dans le bon sens. Déshabille-toi !
‒ Julien…
‒ Oui ?
‒ J’ai honte. De ce que j’ai fait à Océane. J’ai vraiment honte, tu sais. Tellement.
Et j’ai commencé à me déshabiller.
‒ J’ai mérité. Je mérite.
Il n’a rien dit. Il m’a regardée faire. Retirer un à un mes vêtements. Les replier. Les poser soigneusement sur le lit.
Quand j’ai été nue, il m’a reprise par le bras.
‒ Allez !
Ramenée dans la salle de séjour.

Tous les regards ont convergé vers nous.
Il m’a conduite jusque devant Océane. M’a fait agenouiller devant elle.
‒ Pardon, Océane ! Je te demande pardon !
Et il m’a confiée à Étienne qui, sans un mot, m’a courbée, couchée en travers de ses genoux. Et qui a tapé. De grandes claques. Puissantes. Sonores. Cuisantes.
J’ai relevé la tête. Les yeux de Clément étaient intensément fixés sur moi. Valentin, lui, arborait, en arrière-fond, un petit sourire en demi-teinte. Émilie était impassible, mais terriblement attentive. Bérengère aussi. Quant à Océane, elle était hors de mon champ de vision. Sans doute derrière moi.
C’est venu très vite sous les claquées. Une sorte de sentiment d’apaisement. Qui a pris corps. Qui s’est progressivement installé. Je payais. J’étais en train de payer. La chape de culpabilité qui s’était abattue sur moi était en train de se dissoudre. De s’évanouir. Plus les coups tombaient, plus ils s’intensifiaient, plus ils se faisaient insupportables et plus, paradoxalement, je me sentais légère. Un sentiment de sérénité m’a envahie. Emplie toute. Très vite il s’est métamorphosé en vagues de bien-être. Un bien-être que j’ai longuement savouré à petites lampées gourmandes. J’étais punie pour ce que j’avais fait. J’étais pardonnée. J’étais bien.
Étienne continuait à me fesser. Inlassablement. Je n’avais plus qu’une envie, c’est qu’il continue. Encore et encore. Que ça ne s’arrête pas. Que ça ne s’arrête jamais. Et j’ai brusquement pris conscience que ça allait venir. Que ça allait me déborder. Que je ne pourrais rien empêcher. Que je n’aurais pas envie d’empêcher quoi que ce soit. Et c’est monté. Et c’est venu. Un orgasme de folie que j’ai accueilli avec un bonheur fou, que j’ai clamé tant et plus sans la moindre pudeur. Sans la moindre retenue. Les yeux dans leurs yeux à eux. Dans leurs yeux à tous.
Étienne m’a aidée à me relever.
‒ Eh ben, dis donc !


37-


Émilie a éclaté de rire.
‒ T’as de ces questions, toi !
‒ Te moque pas ! Dis-moi !
‒ Non, mais attends ! Tu jouis comme une petite folle. Tu brames à en faire trembler les murs. Et tu me demandes si on s’est rendu compte ? Mais faudrait être sourd. Et aveugle.
‒ On aurait pu croire…
‒ Quoi ? Que c’était des cris de douleur ? Mais bien sûr ! Prends-les bien pour des lapins de trois semaines ! Quand on jouit, on jouit. Et ça ressemble à rien d’autre. Sans compter que t’avais une façon de gigoter de la croupe qui ne laissait planer absolument aucun doute.
‒ Ils ont dû…
‒ Ah, ben ça ! Tu penses bien que tout le monde s’est régalé. Surtout les mecs. Les mecs, ce sera toujours des mecs.
‒ Ils te l’ont dit ?
‒ Pas directement, non. Évidemment. Mais j’ai eu des échos par Bérengère et Océane.
‒ Et Étienne ? Il a réagi comment ?
‒ Il m’a rien dit. Et il me dira rien. Lui, de toute façon, pour savoir ce qu’il pense. Mais il donnait pas vraiment l’impression de s’ennuyer. D’autant qu’il était à la manœuvre.
‒ Quand j’y pense… Non, mais j’ai honte. Comment j’ai honte !
‒ Et t’adores ça.
‒ Hein ? Oh, non, Émilie, non !
‒ Tu peux le dire, tu sais ! Ça me choque pas.
‒ Oui, mais quand même, non !
‒ T’en es si sûre que ça ?
‒ Oui.
‒ C’est un oui qui manque sacrément de conviction…
‒ Je t’assure…
‒ Dis-moi, Lucile, qu’est-ce que tu vas faire aujourd’hui ?
‒ Aujourd’hui ? Je sais pas.
‒ Moi, si ! Tu vas aller trouver, tour à tour, Océane et Bérengère. Pour leur reposer exactement la même question que celle que tu viens de me poser. Pour avoir un autre son de cloche ? Non. Tu la connais la réponse. Tu sais très exactement ce qu’il en est. Non. Pour la réactiver ta honte. Et pour avoir honte d’aimer avoir honte.
‒ Tu…
‒ Ça te déstabilise complètement. C’est normal. C’est tout nouveau. C’est quelque chose que tu n’avais encore jamais éprouvé. Qui est forcément un peu effrayant au début, mais quand tu te seras habituée, quand tu auras accepté que ce soit en toi, tout t’apparaîtra d’une façon complètement différente, tu verras.
‒ Tu crois ?
‒ Non. Je suis sûre. Ferme les yeux !
‒ Pourquoi ?
‒ Allez, ferme les yeux, j’te dis ! Et imagine ! Il y a un café, à côté de la fac, où j’ai mes habitudes. Où il n’y a que des étudiants. Ou pratiquement. Je t’y emmène. On est une dizaine, là, à la même table. Je te présente. « C’est Lucile. Une amie. Elle vient de se prendre une de ces fessées ! » Tous les regards convergent vers toi. Il y a des sourires. Ironiques. Des rires. Des filles chuchotent aux oreilles les unes des autres. J’enfonce le clou. « Non, parce que j’aime pas qu’on me prenne pour une imbécile. » Tu es morte de honte, toi, la femme mûre, devant tous ces petits jeunes qui ricanent. Qui se moquent. Et qui salivent. « On pourrait pas voir le résultat ? » Imagine ! Tu ressentirais quoi ?
‒ Je…
‒ Oui ?
‒ C’est horrible. Effrayant.
‒ Et tellement jouissif. Non ?
‒ Si !
‒ Alors imagine le jour où ce sera pour de bon !


38-


‒ On pourra plus, Julien.
‒ On pourra plus quoi ?
‒ Ben, t’as bien vu ce qu’elle m’a fait la fessée, l’autre jour. Dans quel état ça m’a mise.
‒ Ah, ça pour voir, j’ai vu, oui. Et je suis pas le seul.
‒ Alors du coup…
‒ Du coup ça risque de plus être aussi efficace que ça l’a été. De plus l’être du tout.


Julien voulait qu’on parle.
‒ Parce que ça change singulièrement la donne, tout ça, non ?
Je croyais pas, moi. Non. Pas vraiment.
‒ Ah, tu trouves, toi ? Tu penses vraiment, maintenant que les fessées te font monter au septième ciel, tu penses vraiment que c’est elles qui vont te dissuader de dépenser tout ce qu’on a au jeu ?
‒ C’est arrivé qu’une fois. Ça se reproduira peut-être plus.
‒ Ben, voyons ! T’es sérieuse, là ?