FESSÉES
PUNITIVES
1-
J’en
ai essayé un deuxième de pantalon. Un troisième. Un autre encore.
Sans parvenir à me décider.
– Je
peux vous aider ?
Elle
n’a pas attendu la réponse, la petite vendeuse. Elle a résolument
soulevé le rideau, l’a laissé retomber derrière elle.
– Hou
là ! Mais c’est que vous en avez pris une, on dirait…
J’ai
piqué un fard monumental.
Ça
se voyait encore ? C’est pas vrai que ça se voyait encore ! De
trois jours ça datait pourtant. D’habitude, elles disparaissaient
beaucoup plus vite les marques.
– Oui,
hein, dites donc ! On vous a pas loupée.
Elle
me fixait tranquillement le derrière dans la grande glace en pied de
la cabine.
– Oh,
mais vous êtes pas la seule, vous savez ! Tenez, regardez !
Et
elle a soulevé sa robe. Le string laissait les fesses à nu. Des
fesses d’un rouge flamboyant.
– Vous
voyez, c’est tout frais. À ce matin ça remonte.
Elle
m’a laissé tout le temps de contempler l’étendue des dégâts.
Et
puis sa robe est retombée.
– Qui
c’est qui vous le fait à vous ? Moi, c’est mon copain. Pour
m’empêcher de déconner. On a passé un accord tous les deux. Ça
donne des résultats. Enfin, pas tout le temps. La preuve ! Mais
quand même, ça en donne. Oh, mais c’est pas l’endroit idéal
pour parler de ça. On pourrait peut-être aller boire un coup, ce
soir, plutôt, non ? On en discuterait. J’aimerais. Beaucoup.
– Je
sais pas. Je…
– C’est
comme vous voudrez. À sept heures, je finis. Je serai au café,
celui qu’est juste en face. Alors si le cœur vous en dit…
Elle
était attablée devant un verre de bière. Et m’a gratifiée d’un
large sourire.
– Vous
êtes venue. C’est sympa. Je pensais pas. Je me disais qu’à
votre âge ça doit déjà pas être facile de recevoir encore des
fessées. Alors en causer ! Surtout à une gamine de vingt ans
comme moi. Or, justement, c’est ça, l’intérêt. Parce que, bon,
je connais deux autres filles à qui ça arrive aussi. Mais c’est
des jeunes. Moins que moi, mais c’est des jeunes quand même.
Tandis que vous, qu’avez deux fois mon âge, et même peut-être un
peu plus…
– J’ai
cinquante ans.
– Justement…
Vous avez forcément une façon complètement différente de voir les
choses. Du recul. De l’expérience. Et sûrement plein de trucs à
nous apprendre.
– Oui,
oh !
– Ah,
ben si, si ! Vous savez, pour être tout-à-fait franche avec vous,
ça m’affole un peu qu’on vous en donne encore à votre âge.
C’est qui, d’ailleurs ?
– Mon
compagnon.
– Et
il y a longtemps ?
– Quatre
ans. Peut-être un peu plus.
– Ah,
quand même ! Et que vous êtes avec ?
– Ça
va faire huit ans.
– Oui.
Ça me rassure un peu. Non, parce que je me disais : s’il y a
trente ans qu’elle s’en ramasse, ça veut dire que ça n’a
donné aucun résultat. Que ça sert à rien, quoi, en gros. Or, moi,
si j’accepte qu’il m’en donne, Valentin, si je lui demande
même, c’est pour qu’au bout du compte, j’arrête complètement
mes bêtises. Qu’il soit plus obligé de me punir. Ça n’a pas
d’intérêt sinon.
– Et
c’est quoi, ces bêtises ?
– Vous
êtes pressée ?
– Pas
spécialement, non.
– Alors
on pourrait peut-être aller dîner quelque part. Je vous invite.
2-
– On
sera tranquilles, là…
Près
d’une fenêtre. Un peu à l’écart.
Le
garçon est venu prendre la commande. Charcuterie en entrée. Pour
toutes les deux. Selle d’agneau pour elle. Et sole meunière pour
moi.
– Et
comme boisson ?
– Vous
voulez du vin ?
Je
n’y tenais pas spécialement, non.
– Alors
de l’eau, s’il vous plaît.
Elle
l’a laissé s’éloigner.
– Non,
parce que je me connais. Si j’y mets le nez, j’aurai plus de
limites. Après, ce sera un whisky. Un deuxième. Et une fois que je
serai lancée… il y a plein de bars entre ici et chez moi. Je vais
rentrer complètement torchée. Et ça, ce serait la fessée assurée.
Là-dessus il est intransigeant, Valentin. Et il a bien raison. Parce
que fallait voir comment je me mettais minable avant. Et pas
seulement avec l’alcool. Avec plein d’autres trucs. Plus ou moins
légaux. On me ramassait dans de ces états des fois… Je me
détruisais. C’est pour ça : il m’a vite mis les points sur
les i. Ça pouvait pas durer. Il le supporterait pas. Il me
plaquerait si je continuais. Il l’a fait d’ailleurs. Un mois.
Plus d’un mois. Je l’ai supplié de me reprendre. Je pouvais pas
vivre sans lui. Et c’est là qu’on a trouvé cette solution.
Ensemble. La fessée. Et ça marche. Enfin, pas complètement. Pas
toujours. Il y a encore des rechutes des fois, il y a le petit démon
qui se réveille, plus souvent qu’à son tour. La preuve : ce
matin ! Mais par rapport à ce que c’était avant ! Et c’est
de mieux en mieux. Alors peut-être bien qu’un jour, à force,
j’arriverai à complètement m’en sortir.
– C’est
tout le mal que je vous souhaite…
– Et
vous savez pourquoi je pense que j’y arriverai, au bout du compte,
à m’en débarrasser de cette sale habitude qui me pourrit la vie ?
Parce que j’ai horreur de ça, la fessée. Mais vraiment horreur.
Ça fait un mal de chien, je trouve. Alors la perspective d’en
recevoir une, ça me calme. C’est radical. Surtout que Valentin, il
y va pas de main morte. Quand il tape, il tape. Et vous pouvez
toujours essayer de l’amadouer. Il y a rien à faire. D’ailleurs,
à ce propos, un jour… Mais je parle, je parle. Je vous en laisse
pas placer une.
– Mon
tour viendra.
– En
attendant, il y a tout un tas de filles qu’adorent ça, à ce qu’il
paraît, la fessée. Je vois pas trop l’intérêt. Enfin, si !
Pour se faire plaisir. Mais côté efficacité, c’est sûrement pas
le top. Moi, je sais que, si j’aimais ça, je picolerais trois fois
plus pour en recevoir. Forcément. Résultat des courses : je
continuerais à me bousiller la santé. Et il y a belle lurette que
Valentin m’aurait larguée. Je serais perdante sur toute la ligne.
Alors !
Son
regard s’est longuement perdu par la fenêtre. Est revenu à moi.
– Vous
aimez ça, vous, qu’on vous la donne ?
– Oh,
que non ! J’ai horreur d’avoir mal. Tout comme toi. Et plus
encore que d’avoir mal, j’ai horreur d’avoir honte. Et, de ce
côté-là, comment il s’y entend pour trouver les mots, Julien.
Elle me brûle pendant des jours et des jours, la honte, avec lui.
Honte de ce que j’ai fait. Honte d’avoir trahi sa confiance.
Honte de m’être mise dans la situation de recevoir la fessée, ou
le martinet, ça dépend, comme une gamine de huit ans. Et je me jure
bien de ne jamais recommencer. Jamais. C’était la dernière fois.
Jusqu’au jour, qui arrive forcément, où je remets ça. C’est
plus fort que moi.
– Je
connais ça. Mais c’est quoi, si c’est pas indiscret, ce que vous
recommencez ?
– Je
joue. Au casino. Aux courses. En ligne. À tout et à n’importe
quoi. Quand ça m’attrape, il y a plus rien d’autre qui compte.
Je deviens folle. Et je nous mets financièrement en danger. Parce
que je gagne, oui. Mais je perds bien plus souvent encore. Et
beaucoup plus. Il y a six mois, j’ai emprunté vingt mille euros à
une société de crédit. Pour assouvir ma passion. On en a pour des
années à rembourser. Alors vous pensez bien qu’il y a eu
explication. Et qu’il m’a mis le marché en mains. Ou j’arrêtais
ou on en restait là tous les deux. Arrêter ? Complètement ?
Définitivement ? Je m’en savais totalement incapable. Et c’est
moi qui lui ai suggéré que peut-être la fessée… Je la redoutais
tellement qu’elle pourrait bien, au bout du compte, s’avérer
efficace. Elle l’est. Oh, pas complètement. Je joue encore. Ça
m’attrape. Mais moins souvent. Beaucoup moins souvent. Et, surtout,
des sommes beaucoup moins importantes.
3-
On
avait échangé nos numéros.
Et
elle n’a pas tardé à m’appeler.
– Je
connais même pas votre prénom.
– Lucile.
Et toi ?
– Océane.
Oui, je voulais vous dire. J’ai parlé de vous à l’une de mes
deux copines qui en reçoivent aussi, là. Et elle aimerait beaucoup
faire votre connaissance.
– C’est
quand elle veut. Tu me dis.
– Ce
soir, ce serait possible ?
– Va
pour ce soir.
– Ça
lui fera le plus grand bien, je crois, de discuter avec vous. Parce
qu’elle se pose des tas de questions. Elle se demande où ça va
avec son mec. Si c’est pas en train de partir complètement en
vrille.
– Comment
ça ?
– Ben,
elle a beau en être amoureuse comme une folle de son Clément, elle
peut pas s’empêcher d’aller voir ailleurs. Dès qu’un mec lui
plaît, faut qu’elle se le fasse, Bérengère, c’est plus fort
qu’elle. Elle a toujours été comme ça. Depuis que je la connais.
Et même avant, à ce qu’elle m’a dit. Sauf que lui, il apprécie
pas vraiment. Ce qu’on peut comprendre. Ils ont eu des tas
d’explications tous les deux, plus ou moins orageuses. Ils sont
restés des jours et des jours sans se parler. Et, au bout du compte,
ils ont décidé, d’un commun accord, d’avoir recours à la
fessée. Chaque fois qu’elle irait voir ailleurs, elle s’en
prendrait une. Carabinée. Ça a bien marché au début. Très bien
même. Elle avait une telle horreur de se faire claquer le derrière
que ça lui était quasiment passé. Et puis petit à petit, c’est
revenu. Elle les appréhende toujours autant, les fessées, elle les
déteste toujours autant, mais elles y font plus rien. Elle recouche
autant qu’avant. Peut-être même pire qu’avant. Quitte à s’en
ramasser des sacrées. Ça l’arrête plus.
– Je
vois.
– Et
son Clément, il vit tout ça très mal. Il est découragé. Il dit
qu’ils y arriveront jamais. Que c’est pas la peine. Autant que
chacun taille sa route. Ce qu’elle ne veut, elle, à aucun prix.
Parce que d’un côté, elle tient à lui comme c’est pas
possible, mais de l’autre…
– J’ai
bien peur pour elle que…
– Oui,
moi aussi…
Et
j’ai donc fait, en compagnie d’Océane, la connaissance de cette
Bérengère. Une petite brune qui ne payait pas de mine. À qui on
aurait donné le bon Dieu sans confession.
Qui
est presque tout de suite entrée, la mine défaite, dans le vif du
sujet.
– Je
crois que c’est mort.
– Si
tu pars battue…
– C’est
lui qui part battu. Et il a raison. Des dizaines et des dizaines, il
m’en a donné des fessées. Ça a servi à rien. On en est toujours
au même point. Dès qu’un type me fait les yeux doux, je peux pas
m’empêcher de me demander comment il s’y prend. J’ai envie de
l’essayer. Et j’y saute à pieds joints. Sur le moment, il y a
plus rien d’autre qui compte. Même si, après, je dois m’en
mordre les doigts. Je suis nulle.
– Mais
non, t’es pas nulle…
– Ben
si, la preuve ! Je gâche tout. Non, il a raison, Clément. On n’y
arrivera jamais. Et c’est de ma faute. Complètement de ma faute.
J’ai
suggéré.
– Et
si vous essayiez autre chose ?
– Oui,
mais quoi ?
– Ben
si, par exemple, il vous la donnait devant quelqu’un la fessée ?
– Oh,
non, non ! J’aurais bien trop honte.
– C’est
peut-être justement ce qui la rendrait enfin efficace.
Océane
a abondé dans mon sens.
– Mais
oui, elle a raison. Ça te guérirait complètement si ça tombe.
C’est une super idée, moi je trouve.
– Je
sais pas, je…
– C’est
peut-être votre dernière chance. Alors ça vaut le coup de la
saisir, non ? Réfléchis-y au moins ! Discutez-en tous les deux…
4-
Océane
m’appelait souvent. Presque tous les jours.
– On
se voit ?
Et
on se retrouvait quelque part quand elle avait fini sa journée.
– J’abuse,
hein !
Je
protestais.
– Mais
pas du tout ! J’aime beaucoup discuter avec toi.
– Ah,
pour ça, moi aussi ! Parce qu’on vit la même chose. On est
punies. Du coup, on se comprend toutes les deux.
Elle
s’animait.
– Et
c’est pas souvent que ça arrive. Parce que des filles qu’en
reçoivent des fessées, il y en a à la pelle, mais, le plus
souvent, c’est juste un truc érotique. Histoire de s’exciter
avant de s’envoyer en l’air. Ce qui n’a rien à voir.
– Rien
du tout.
Elle
s’inquiétait aussi.
– Il
y trouve pas à redire, votre type, au moins, qu’on soit tout le
temps fourrées comme ça ensemble ?
– Julien ?
Oh, non, non ! Il trouve ça très bien au contraire. Pendant que
je suis avec toi, je suis pas au casino. Ou ailleurs. En train de
perdre des sommes fabuleuses.
– Il
sait pour moi ?
– Que
tu t’en prends aussi ? Oui. Je lui ai dit. Ça t’ennuie ?
– Oh,
non, non ! Et il sait pourquoi ?
– Il
sait.
– Moi,
il avait un peu peur, Valentin, au début. Qu’on se voie dans les
cafés, il était pas trop tranquille. Il avait peur que je sois
tentée de picoler. Que je rentre dans des états pas possibles. Mais
bon, maintenant il est rassuré. Il trouve même que vous avez une
excellente influence sur moi. Et il aimerait bien vous connaître.
– Oui,
oh, ben ça, c’est pas vraiment un problème. On peut s’organiser
quelque chose, un de ces jours, tous les quatre. Julien aussi
aimerait bien voir à quoi tu ressembles.
De
temps à autre, Bérengère se joignait à nous. Rarement.
– C’est
un peu compliqué, les filles, pour moi en ce moment. On a des tas de
trucs à régler avec Clément.
Elle
s’éclipsait vite.
– Bon,
faut que j’y retourne. Qu’il aille pas encore s’imaginer je
sais pas trop quoi.
Océane
haussait les épaules.
– Ce
qu’il y a surtout, c’est qu’elle a peur qu’on la tanne encore
avec notre idée d’une fessée devant du monde. Elle veut pas en
entendre parler. Et c’est dommage. Parce que je suis sûre que ça
marcherait. Quand elle en aurait reçu deux ou trois en public, elle
appréhenderait tellement que ça recommence que les autres mecs,
elle aurait vraiment plus envie d’aller y remettre le nez. En tout
cas, moi je sais qu’à sa place, ça me vaccinerait vite.
– Oui,
ben justement ! Justement ! On est trop, nous, quand même, dans
notre genre…
– Comment
ça ?
– On
l’envisage pour elle, mais absolument pas pour nous. Or, si ça
doit être beaucoup plus efficace dans son cas à elle…
– Ça
devrait l’être aussi dans le nôtre. Oui, vous avez raison. Vous
avez sûrement raison.
– Et
donc ?
– Ce
que vous suggérez en somme, c’est que la prochaine fois que vous
ou moi, on en mérite une…
– On
se la fasse donner devant les trois autres. Voilà, oui.
– Et
peut-être que Bérengère, du coup, verrait les choses d’un autre
œil.
– Probable,
en effet. En plus !
5-
Elle
en avait parlé à son Valentin, Océane ?
– Oh,
ben oui ! Oui. Évidemment ! Il est quand même concerné au
premier chef, non ?
Et
il en pensait quoi ?
– Qu’il
y a toutes les chances que ça s’avère effectivement très
efficace. Que la perspective de me prendre une bonne fessée
déculottée devant mes copines pourrait bien me guérir, une bonne
fois pour toutes, de mes addictions. Si seulement ça pouvait être
vrai ! Je demande pas mieux, moi ! Et vous ? Julien ?
– Il
est convaincu qu’il est plus que probable que j’éviterai
dorénavant soigneusement de nous mettre financièrement en danger.
« À cinquante ans… Devant des filles qui ont la moitié de ton
âge… Tu vas y réfléchir à deux fois… » Il a pas tort.
Son
regard s’est perdu par la fenêtre. Est revenu à moi.
– On
peut plus reculer du coup, maintenant qu’on leur en a parlé.
– Et
c’est peut-être pas plus mal.
– C’est
pas plus mal, non. Ça va nous obliger, un peu plus encore, à rester
dans les clous.
*
*
*
Elle
n’y est pas restée. Elle m’a appelée, catastrophée, le
mercredi de la semaine suivante.
– J’en
ai fait une.
– Comment
ça ?
– Ben,
il était parti en stage, Valentin. Normalement pour toute la
semaine. Sauf qu’il y a des intervenants qu’ont fait faux bond.
Que ça a été annulé. Et qu’il est revenu cette nuit.
– Et
que t’avais profité de son absence pour…
– Oui,
mais attendez ! Ça faisait des années que je les avais pas vus,
eux. On se retrouvait. On était contents.
– Et
un verre poussant l’autre…
– Ben
oui ! Je pouvais pas savoir qu’il allait rentrer…
– Et
tu y es allée de bon cœur.
– Je
me suis carrément mise sur le toit, oui. Ils ont été obligés de
me ramener. De me coucher.
– Ah,
ben bravo !
– Je
sais, oui. Je suis complètement idiote il y a des moments.
– Et
quand il est arrivé…
– Je
comatais complètement. Et il y avait du dégueulis partout.
– Il
a dû apprécier…
– Il
a rien dit. Pas un mot. Pas un reproche. Rien. Il est allé se
coucher sur le canapé du salon. Et c’était pire que tout. Parce
qu’en temps ordinaire, je me serais ramassé une fessée, là,
aussi sec. Et de pas la recevoir je me sentais mal, mais mal !
Comme s’il en avait plus rien à foutre de moi.
– Tu
te doutais bien que ça aller venir. Que c’était reculer pour
mieux sauter.
– Oui,
mais quand même ! Quand même ! C’était insupportable, ce
silence. Surtout que ça a duré. Tout le matin. Et encore tout
l’après-midi. Il m’ignorait. Il m’ignorait complètement. J’ai
fini par craquer. « Mais dis quelque chose enfin ! Dis quelque
chose ! » « Tu es fière de toi ? » « J’ai honte,
Valentin ! J’ai honte. Si tu savais… » « Oui, ah, ben ça,
tu peux ! Et sournoisement t’as fait ça en plus. Derrière mon
dos. Ah, on voit ce qu’elles valent, tes promesses. » J’avais
qu’une trouille, c’était qu’il me dise que cette fois ça
suffisait. Que j’y avais été vraiment trop fort. Que j’avais
dépassé les bornes. Qu’il pouvait plus me faire confiance. Et
qu’il valait mieux qu’on en reste là tous les deux. Mais non.
Non. À mon grand soulagement il a soupiré. « Enfin peut-être
que devant tes copines… On sait jamais. On peut toujours essayer… »
Tu parles que j’ai abondé dans son sens ! Et donc, ce sera
dimanche…
– Si
tard !
– Oui.
Que j’aie le temps d’appréhender. De redouter. Ça fait partie
de la punition. Comme d’avoir à vous l’annoncer. À vous,
Lucile. À Bérengère. Et à Émilie.
– Émilie,
que je ne connais pas encore.
– Elle
est adorable, vous verrez !
6-
J’étais
la première.
– Alors ?
T’appréhendes pas trop ?
Oh,
si, qu’elle appréhendait, Océane.
– Si !
À un point que vous imaginez même pas.
– Il
y aura que nous. Et nous aussi, on s’en prend.
– Oui,
mais quand même ! Entre savoir qu’on en reçoit et voir la
donner, il y a une sacrée marge. Non, et puis ce qu’il y a, vous
savez, Lucile, c’est que je suis pas courageuse. Quand il me
flanque une fessée, Valentin, je crie, je pleure, je gigote dans
tous les sens. Je peux pas m’empêcher. Et là, je suis sûre que,
devant vous, il va taper encore plus fort que d’habitude. Pour que
je me donne, malgré moi, en spectacle. Pour que j’aie honte d’être
incapable de me maîtriser.
– Peut-être
alors que du coup, cette fois, la leçon va réellement porter. Que
tu ne te mettras jamais plus, tellement tu auras eu honte, en
situation d’en recevoir. Que tu seras définitivement guérie. Et
c’est ce qui peut t’arriver de mieux, non ?
– Je
sais bien, oui ! Seulement…
Est
arrivée Bérengère.
– Je
sais pas comment tu fais. Moi, je serais allée me cacher dans un
trou de souris.
Et
puis Émilie.
– Salut !
Avec
un grand sourire.
Elle
est venue s’asseoir à mes côtés.
Valentin
a presque aussitôt surgi.
– Bon.
Je vois que tout le monde est là.
Il
a tiré une chaise, s’est assis.
C’était
un grand brun aux yeux clairs, bien bâti, tout en muscles.
Effectivement, une fessée, de sa main, on devait la sentir passer.
– Et
donc, puisque tout le monde est là, on peut commencer. Viens ici,
Océane !
Elle
s’est empressée de le faire.
Il
lui a passé un bras autour de la taille.
– Tu
vas tout d’abord, avant toute chose, expliquer à tes petites
camarades pour quelle raison je vais te punir.
– Je…
J’ai bu.
– Tu
as bu, oui. Tu t’es même saoulée. En dépit de toutes les belles
promesses que tu m’avais faites. Et en profitant de mon absence.
– Je
le ferai plus. Je te promets.
– C’est
une promesse que tu m’as faite des dizaines de fois. Et que, sur la
durée, tu n’as jamais vraiment tenue.
– Oui,
mais cette fois…
– Peut-être
en effet… On n’est plus dans le même cas de figure. Espérons-le
en tout cas. Parce que ma patience a des limites. Et tu sais ce qu’on
a dit.
– Je
sais, Valentin, je sais. Mais je veux pas. Je veux pas te perdre.
– Dans
ces conditions…
Et
il a passé ses main sous sa robe. Des deux côtés. Il a descendu la
culotte. Il l’a accompagnée jusqu’en bas, sur les chevilles.
Elle a levé un pied, puis l’autre, pour en sortir.
Il
l’a attirée à lui, couchée en travers de ses genoux, bien calée.
Il a relevé la robe. Haut. Très haut. Bien au-dessus des reins. Et
il a pris possession de son postérieur. Il y a posé sa main. L’y
a laissée.
– Mais
quand est-ce que tu vas enfin te montrer raisonnable ? Hein ?
Quand ?
Et
il a tapé. En pluie. En grêle. Un véritable raz-de-marée de
claques. À pleines fesses. Ça a rosi. Ça a rougi. Et Océane a
crié. Et Océane a gigoté. Et Océane a essayé de se protéger de
sa main, une main que Valentin lui a fermement ramenée dans le dos.
Qu’il y a maintenue. Et ça a repris de plus belle.
Les
yeux exorbités, le visage crispé, Bérengère s’agitait sur sa
chaise.
– Oh,
la vache ! Oh, la vache ! Oh, la vache !
Quant
à Émilie, à mes côtés, les mains sur les genoux, le regard fixé,
droit devant elle, sur le derrière d’Océane, elle restait
absolument impassible.
Encore
quelques claques. Lancées à pleine puissance. Qui ont fait hurler
Océane.
– Pardon,
Valentin ! Pardon ! Je le ferai plus.
Ça
s’est arrêté.
– File
dans ta chambre !
7-
À
peine le pas d’Océane s’était-il estompé dans l’escalier que
Bérengère s’est, elle aussi, éclipsée. Comme une voleuse. Sans
dire au revoir à personne.
Valentin
a hoché la tête.
– Ça
l’a secouée, on dirait…
Ça
avait l’air, oui.
– Vous
voulez boire quelque chose ?
Non,
non, merci. Une autre fois. On allait y aller. Il y aurait d’autres
occasions.
Sur
le trottoir, Émilie m’a proposé de me ramener.
– C’est
sur ma route.
On
a roulé quelques instants en silence. Et puis elle m’a coulé un
regard de côté.
– Ça
a pas fait semblant, hein !
– Oh,
pour ça, non !
– Mais
quand même… Je suis pas convaincue. Que, dans son cas, ce sera
réellement efficace, je suis pas vraiment convaincue.
– Elle
y croit pourtant.
– Et
c’est tant mieux. N’y aurait-il qu’une toute petite chance…
Mais il y a longtemps que je la connais, Océane. On a été cinq ans
voisines. Elle est vraiment très très accro.
– On
est toutes accro. On en serait pas réduites à ça sinon…
– Toi,
c’est le jeu, elle m’a dit…
– C’est
le jeu, oui. Et je ne souhaite à personne de tomber là-dedans. On
vit l’enfer. Heureusement, j’ai Julien. Qui, dans ce domaine, ne
me laisse rien passer.
– Et
ça marche ?
– Il
y a encore des rechutes. De moins en moins souvent. J’ai bon espoir
d’être un jour définitivement guérie.
– C’est
tout le mal que je te souhaite.
Et
elle ? Si elle me parlait un peu d’elle ?
– Oh,
moi, c’est une longue histoire. Une très longue histoire.
– Dis
quand même…
– J’ai
eu une scolarité chaotique, c’est le moins qu’on puisse dire. En
fait, j’en avais strictement rien à foutre des études. Je
sortais, je m’amusais, je baisais. Rien d’autre n’avait
d’importance. Et, en plus, j’avais un poil dans la main long
comme ça. Tant et si bien qu’à l’arrivée je me suis retrouvée
sans le moindre diplôme. Même pas le brevet. Sauf qu’il a bien
fallu que, bon gré mal gré, je me mette à bosser. J’ai enchaîné
les boulots. Deux mois ici. Trois mois là. Quinze jours ailleurs. Je
démissionnais à tour de bras. Rien ne me convenait. Tout m’ennuyait
à mourir. J’ai sombré dans la déprime. Ça allait être ça, ma
vie ? Cinquante ans durant ? Mieux valait en finir au plus vite.
J’allais mal. De plus en plus mal. J’ai consulté. On m’a
bourrée de cachets. Ce qui ne m’a pas empêchée d’avoir des
angoisses. En pagaille. Des angoisses terrifiantes. Si terrifiantes
qu’une nuit, à deux heures du matin, je suis sortie de chez moi.
Il fallait que je voie quelqu’un. Que je parle à quelqu’un.
Absolument. N’importe qui. Il y avait de la lumière sous une
porte. J’ai sonné. Il m’a ouvert. Un type d’une cinquantaine
d’années. Qui vivait au milieu des bouquins et des instruments de
musique. Il était rassurant. Très. Il m’a parlé. Il m’a
apaisée. Je ne l’ai quitté qu’au petit matin. Et je suis
revenue le voir. Souvent. Je me suis confiée. J’ai vidé mon sac.
Et, à force de discuter avec lui, j’ai fini par arriver à la
conclusion que, si je voulais exercer un métier qui réponde à mes
aspirations, il me fallait absolument reprendre mes études.
Seulement… Seulement je me connaissais : j’étais d’une
incorrigible paresse.
– Et
pour te guérir de ta paresse…
– Oh,
ça a pas été tout de suite. C’est tout doucement, petit à
petit, qu’il m’a amenée à reconnaître et à accepter que, dans
mon cas…
– Une
bonne fessée, c’était encore la meilleure solution.
– Pas
la meilleure, non. La seule. J’ai passé mon bac. En candidate
libre. Je l’ai eu. Avec mention. Et maintenant, en parallèle avec
un boulot de serveuse, je poursuis mes études. Ça se passe pas trop
mal. Bien, même. En grande partie grâce à lui qui n’hésite pas,
chaque fois que nécessaire, à me remettre dans les clous.
– Ce
qui arrive souvent ?
– De
moins en moins. Mais quand même. La paresse, ça a toujours été –
et ça reste – mon plus grand défaut.
8-
Océane
me mitraillait de questions.
– Et
Bérengère ? Comment elle a réagi, Bérengère ? Ah, oui ?
Elle avait mal pour moi, quoi, en somme ! Et Émilie ? Oui, oh,
elle en pensait pas moins. Elle sait très bien ne rien laisser
transparaître de ce qu’elle ressent quand elle veut, Émilie. Et
vous, Lucile ? Et vous ? Comment vous l’avez vécu, tout ça ?
– Ça
fait dix mille fois que tu me le demandes.
– C’est
pour savoir… Parce que j’ai eu honte, oui, bien sûr que j’ai
eu honte, mais pas tant que ça, finalement. Je m’attendais à
pire. À bien pire. Et j’ai peur, du coup.
– Peur ?
Et de quoi donc ?
– Je
suis plus sûre du tout que ça va m’empêcher de replonger. Et là,
si je recommence, il y a toutes les chances que, cette fois,
Valentin, il baisse les bras. Qu’il considère que je suis
définitivement irrécupérable. Je l’entends d’ici : « Si
même devant tes copines, ça a pas réussi à te vacciner, il y a
plus rien à faire. C’est pas la peine d’insister. » Et il va
me larguer.
– Si
t’en es si sûre que ça…
– À
quatre-vingt-dix-neuf pour cent.
– Eh
ben alors ! Fais ce qu’il faut pour que ça n’arrive pas.
– Oui,
mais je me connais. Je vais tenir le coup un mois. Deux. Peut-être
trois. Et puis ce sera plus fort que moi. Il y aura une tentation. À
laquelle je finirai par céder, la peur au ventre. En me disant
qu’avec un peu de chance il se rendra compte de rien. Et, à
supposer que tout se soit bien passé, je recommencerai. De plus en
plus souvent. En prenant de moins en moins de précautions. Jusqu’au
jour où, forcément… Et là !
Elle
a voulu qu’on passe voir Émilie.
– Elle
est toujours de bon conseil, Émilie. Et c’est son jour de congé
au bar. Elle doit être chez elle, à bosser ses cours.
Effectivement,
elle y était. En plein travail sur son ordi.
– Et
j’ai pas intérêt à m’écarter. Parce que, ce soir, il va tout
passer au crible. Et il a l’œil. Alors, si je glande, pas besoin
de vous faire un dessin…
Cela
étant, elle pouvait quand même nous consacrer une petite
demi-heure.
– C’est
pas un bourreau non plus. Il sait faire la part des choses.
Et
Océane a vidé son sac.
– Mouais…
Si tu pars déjà du principe que tu tiendras pas le coup, tu le
tiendras pas, c’est obligé, ça ! Maintenant, d’un autre côté,
si tu le tiens pas, c’est pas la catastrophe non plus. Il y a
toujours des issues de secours.
– Je
vois vraiment pas lesquelles.
– Joue
franc jeu ! Anticipe ! Dis-lui qu’elle t’a profondément
mortifiée cette fessée que t’as reçue devant nous, d’autant
plus mortifiée qu’elle était largement méritée. Alors sûrement
qu’après une leçon pareille, elle allait t’être complètement
passée l’envie de boire, mais que si, d’aventure, on savait
jamais, elle te reprenait, alors là… Alors là… « Tu me jures
que tu laisseras pas passer, hein, Valentin ? Que tu feras ce qu’il
faut pour m’empêcher, que tu mettras la barre plus haut. »
– La
barre plus haut ? C’est-à-dire ?
– Une
correction non plus devant nous, cette fois, mais devant nos trois
fesseurs réunis pour l’occasion.
– Hou
là là !
– L’avantage
pour toi, s’il accepte, c’est que tu retardes les échéances,
c’est que tu introduis une nouvelle étape avant une éventuelle
rupture.
– Il
voudra peut-être pas.
– Si !
À condition que tu la joues fine et que t’arrives à le persuader
qu’en réalité l’idée vient de lui…
– Oui,
mais recevoir une fessée comme ça devant trois types !
– Ça
vaut quand même mieux que d’être larguée, non ?
– Ah,
ça, oui !
– Et
tant mieux si cette perspective t’effraie. Elle sera dissuasive.
C’est bien le but recherché au final, non ?
– Si !
– Eh
ben alors !
9-
J’y
jetais un coup d’œil, mais alors juste un coup d’œil, comme ça,
vite fait, sur Internet. Un truc qu’un type avait mis au point pour
gagner au Keno. À coup sûr. Sur le long terme, à ce qu’il
disait, on rentrait largement dans ses frais. Et même, dans
l’immense majorité des cas, on dégageait un coquet petit
bénéfice. Pourquoi pas ? À voir. Je pouvais toujours tester. À
blanc, bien sûr. Sans engager le moindre centime. Pour me faire une
idée.
Une
main s’est posée sur mon épaule. Celle de Julien. Que je n’avais
pas entendu arriver.
– Tu
fais quoi, là ?
J’ai
précipitamment rabattu le capot de mon ordinateur.
– Rien.
– T’as
la conscience tranquille, on dirait.
– Mais
non, Julien. Non, je t’assure. Je regardais juste. Comme ça.
Simple curiosité.
– Toi,
tu finirais par y repiquer…
– Sûrement
pas. Alors là, il n’en est pas question.
– Mouais…
– Si,
c’est vrai, hein ! Il faut que tu me croies, Julien. Tu me
crois ?
– Il
a quel âge, le Valentin d’Océane ?
– Au
juste, je sais pas. Dans les vingt-cinq. Par là. Pourquoi ?
– Et
le Clément de Bérengère ?
– Je
l’ai jamais vu. Mais à peu près pareil. Sûrement. Mais pourquoi
tu me demandes tout ça ?
– Parce
que je te connais et que je sais que la perspective d’être, à ton
âge, fessée devant deux gamins n’a rien, pour toi, de
particulièrement séduisant, c’est le moins qu’on puisse dire,
et qu’il me paraît souhaitable de procéder, par précaution, à
une petite piqûre de rappel.
– Je
t’assure, Julien, que…
– Dans
ton cas, et je préfère être très clair dès à présent
là-dessus, si tu devais rechuter, il n’y aurait pas de passage par
la case « Fessée devant les copines. » On irait directement à
la case « Fessée devant les messieurs des copines. » Alors à
bon entendeur…
– Tu
n’as pas le moindre souci à te faire.
– J’espère.
Parce que reconnais que j’ai été patient. Et de bonne
composition. Beaucoup plus que de raison. Par ta faute, on est
condamnés à vivre au ralenti. Sans pouvoir s’offrir quelque
plaisir que ce soit. On ne part jamais en vacances. On ne peut pas.
J’ai vendu ma moto. On roule dans une voiture qui affiche plus de
deux cent mille kilomètres au compteur. Et on n’a pas les moyens
de s’en payer une autre.
– Je
sais tout ça, Julien, je sais tout ça. Je m’en veux assez.
– Alors
si tu devais en rajouter une couche…
– Je
ne le ferai pas. Il est hors de question que je le fasse.
– En
es-tu si sûre ?
– Absolument !
– Tu
es tout de même tentée. Tout à l’heure, à l’ordi…
– C’était
juste… Je t’ai dit… N’importe comment, tu as visé en plein
dans le mille, tu sais. Parce que, franchement, une fessée devant
Valentin et les deux autres, là, comment ce serait humiliant. Je
n’ai pas du tout la moindre intention de m’exposer à ça.
D’ailleurs…
– D’ailleurs ?
– Tu
veux être sûr, absolument certain, que je ne recéderai pas à la
tentation ?
– Et
comment !
– Eh
bien, si jamais je le fais, si jamais je recommence, t’en parleras
à Cynthia et Kevin.
– Cynthia
et Kevin ? Nos amis ?
– Évidemment,
eux. Qui tu veux d’autre ? Tu leur diras que tu es obligé de me
fesser et tu leur diras pourquoi. Et alors là, je peux te dire que
c’est, pour moi, une perspective totalement dissuasive. Tu le
feras ?
– Je
le ferai.
– Et,
du coup, tu n’auras pas à le faire. Qu’ils sachent, eux, mais
j’en mourrais de honte !
10-
Bérengère
était aux anges.
– Ça
marche, les filles ! Ça marche ! Ça en fait trois, coup sur
coup, qui me draguent comme c’est pas possible. Et je donne pas
suite. Et je résiste. Ils sont beaux pourtant ! Beaux comme c’est
pas permis.
Elle
avait besoin de nous voir. Souvent. Presque tous les jours.
– Ça
me motive un max… Non, et puis rien qu’avoir Océane, là, à
côté et repenser à la fessée qu’elle s’est prise l’autre
jour, comment ça me calme, vous pouvez pas savoir.
Ça
a duré trois semaines. Et puis, un soir, elle est arrivée
catastrophée.
– Je
suis nulle, mais nulle d’une force !
– Oh,
toi, t’as replongé !
– Si !
Oui. Mais c’est pas ma faute. Enfin, pas vraiment. Pas
complètement. Comment il était enjôleur ! Et puis alors, il a de
ces yeux ! Tu peux pas ne pas craquer avec des yeux pareils. Vous
aussi, les filles, vous lui seriez tombées dans les bras. C’est
obligé ! Oh, mais rassurez-vous ! Pas question que je le
revoie ! Parce qu’il a été très clair, Clément, la fois où
on s’est pris la tête tous les deux. Très très clair. « Que
tu tires un coup, comme ça, un soir, vite fait, parce que t’auras
pas pu t’empêcher, à l’extrême rigueur je pourrais encore
passer l’éponge. T’en serais quitte pour une bonne fessée
devant tes copines. Mais si ça devait être une relation qui dure,
alors là, non ! Non, non et non. Tout serait définitivement fini
entre nous. » Et je veux pas le perdre, Clément, ah, non, alors !
Je pourrais pas vivre, moi, sans lui ! C’est même pas
imaginable.
Elle
a surgi en trombe deux jours plus tard, s’est affalée sur une
chaise.
– Eh
ben voilà ! Voilà. Ça y est ! Moi, de toute façon, dès qu’il
y a une connerie à faire, vous pouvez être tranquilles que je la
fais…
– C’est
ce type, hein ?
– Évidemment
que c’est lui ! Évidemment ! Il baise trop bien, aussi ! Ça
devrait être interdit de baiser comme ça. Parce que j’oublie tout
dans ses bras. Tout ce qui n’est pas lui. Et le plaisir qu’il me
donne. Il y a plus rien d’autre qui compte. Seulement après…
– Tu
culpabilises.
– Et
pas qu’un peu. C’est dégueulasse ce que je fais. Il mérite pas
ça, Clément. Surtout que je lui ai juré mille et mille fois mes
grands dieux que je la trahirais plus jamais sa confiance. Seulement
c’est plus fort que moi, j’y arrive pas. Et je vis plus. Parce
que j’ose plus le regarder en face. Parce que j’arrête pas de me
demander s’il va pas découvrir le pot-aux-roses. Et il le
découvrira forcément. J’ai beau faire hyper attention, m’entourer
de millions de précautions, c’est obligé qu’un jour ou l’autre
ça finisse comme ça. Il arrive toujours un moment où on commet une
erreur. Ou bien il y a le hasard qui s’en mêle. Et puis il est pas
né de la dernière pluie non plus, Clément. Je suis bien tranquille
qu’il reste en alerte. Qu’il me surveille en douce. Chat échaudé…
On
était toutes les trois, Océane, Émilie et moi, du même avis. Il y
avait effectivement de fortes probabilités pour qu’il se rende
compte qu’elle le trompait. Et ce jour-là…
– Mais
qu’est-ce que je peux faire alors ? Qu’est-ce que vous feriez,
vous, à ma place ?
Nous ?
On le quitterait, ce type. Et au plus vite.
– Non,
mais alors ça, c’est juste pas possible. C’est au-dessus de mes
forces.
– Dans
ces conditions, il y a pas de solution.
Émilie,
elle, elle pensait qu’il y en avait quand même peut-être une.
– Joue
franc jeu !
– Comment
ça ?
– Mets
cartes sur table. Avoue tout ! Dis-lui les choses telles que tu
viens de nous les dire, là. C’est ta seule chance.
– C’est
quand même sacrément risqué.
– Pas
tant que de le laisser découvrir, par lui-même, ce qui se trame
derrière son dos.
– Peut-être…
Je sais pas.
– Par
contre, attends-toi à une fessée. Et carabinée.
11-
C’était
Émilie au téléphone.
– Lucile ?
Ça va ? Je te dérange pas ?
– Pas
du tout, non. Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
– Tu
pourrais te libérer ce soir ?
– Oh,
oui. Sans problème. Pourquoi ?
– Parce
que je vais y avoir droit. Devant vous trois. Comme convenu.
– Ah !
– Oui,
oh, ça faisait un moment que ça me pendait au nez. Il y avait
sacrément du laisser-aller depuis quelque temps. Et moi, quand c’est
comme ça, faut me recadrer vite fait si on veut pas que ça parte
complètement à la dérive. Il m’a pas prise en traître, je peux
pas dire. Ça faisait près d’une semaine qu’il multipliait tant
et plus les avertissements. « Attention, Émilie, attention !
Tu files un mauvais coton. » Je n’en ai tenu aucun compte.
C’est tant pis pour moi.
– T’appréhendes
pas trop ?
– Je
suis comme vous toutes. J’ai horreur de ça, les fessées. C’est
un très mauvais moment à passer. Pour plein de raisons. Mais je me
sens tellement mieux après. Apaisée. Sereine. À nouveau en
harmonie avec moi-même. Tout est rentré dans l’ordre. Et ils
remontent en flèche, mes résultats, du coup. Alors…
C’est
lui qui m’a ouvert. Un type à la soixantaine grisonnante. À la
stature imposante. Au regard clair.
– Étienne.
Vous êtes Lucile, j’imagine.
– En
effet.
– Eh
bien, entrez !
Il
m’a fait asseoir.
– Elles
sont là-haut. Elles vont descendre.
Il
a pris place en face de moi. Il m’a fixée. Droit dans les yeux.
– Qu’à
leur âge, elles se comportent en gamines écervelées, on peut
encore, à la rigueur, le concevoir, mais au vôtre !
J’ai
rougi. J’ai balbutié.
– Ça
n’arrive plus. Ça n’arrivera plus.
– Oui,
oh, alors ça !
Il
s’est levé.
– Vous
avez beaucoup de chance de ne pas avoir affaire à moi parce que je
peux vous assurer que je vous ferais passer, une bonne fois pour
toutes, l’envie de dilapider l’argent du ménage.
À
mon grand soulagement, Émilie a fait son apparition en haut de
l’escalier. Suivie d’Océane et de Bérengère.
Il
lui a brandi une feuille sous le nez.
– C’est
quoi, ça ?
– Mes
résultats.
– Et
ça ?
Elle
y a jeté un rapide coup d’œil.
– L’historique
de mon ordinateur.
– Qui
est vraiment très instructif. Tu n’as vraiment rien d’autre à
faire que de perdre ton temps, comme ça, en futilités ?
Elle
a baissé la tête.
– Si !
– Déshabille-toi !
Elle
a obéi. Elle a retiré ses vêtements, tous ses vêtements, un à
un. Elle les a soigneusement pliés et déposés sur la petite table,
près du radiateur.
Il
l’a laissée là, entièrement nue devant nous, un long moment.
Avant d’exiger d’un ton sec.
– Approche !
Il
l’a saisie par le poignet, attirée en travers de ses genoux.
12-
Bérengère
en était encore toute retournée.
– Comment
elle a pris cher, Émilie ! Elle avait les fesses dans un état
à la fin, mais dans un état ! Vous avez vu ça ? Un vrai
brasier. Elle va pas pouvoir s’asseoir d’un moment, ce qu’il y
a de sûr. Non, une comme ça, comment j’aurais pas aimé me la
ramasser, moi ! Qu’est-ce qu’elle a braillé, en plus, en
attendant ! Du bout de la rue, on devait l’entendre. Et
l’autre, là, son Étienne, vraiment aucune pitié, hein ! Au
contraire. Plus elle s’époumonait et plus il la martelait fort, on
aurait dit.
– C’était
pas qu’une impression…
– Je
me disais bien aussi… Et puis alors qu’est-ce qu’elle a
gigoté ! Oh, mais je l’incrimine pas, hein ! Sûrement
qu’à sa place j’aurais fait pareil. Mais n’empêche qu’à
battre des jambes et à tressauter du derrière à tout-va, comme
elle faisait, t’ignorais plus rien du tout de comment elle était
faite. S’il y avait eu des mecs…
– Il
y en avait pas.
Mais
le pire, ce qu’elle avait trouvé de pire…
– C’est
quand il l’a envoyée au coin, les mains sur la tête. Rester comme
ça, toute nue, les fesses cramoisies devant tout le monde, j’aurais
pas pu, moi ! Je serais morte de honte. Et c’est que ça a
duré en plus ! Au moins une heure, non ?
– Presque.
– Pendant
qu’il discutait avec nous, tranquille, l’autre. Et après !
Quand il l’a obligée à réciter ce truc en anglais, là, tournée
vers nous ! Qu’elle en savait pas la moitié. Qu’elle
trébuchait sur tous les mots. Qu’elle pataugeait lamentablement.
Et qu’il lui a dit qu’il lui laissait jusqu’à demain pour
savoir tout ça sur le bout des doigts. Que, sinon, il lui en
remettrait une couche. Là aussi…
Elle
a longuement farfouillé dans son sac, en a sorti un petit miroir, a
vérifié l’état de son rouge à lèvres.
– J’espère
en tout cas que personne n’aura la lumineuse idée d’aller
raconter cette petite séance à Clément.
– Qui
tu veux ? Sûrement pas elle.
– Et
pas nous non plus.
– Non,
parce que je le connais. D’ici à ce que ça aille lui donner des
idées.
À
propos, tiens, d’ailleurs, elle lui avait parlé ? Elle lui
avait dit pour ce type ?
Elle
a poussé un profond soupir.
– Pas
encore, non. C’est pas facile.
– Tarde
pas trop ! Parce que si c’est lui qui découvre…
– Je
sais bien, oui.
On
l’a regardée s’éloigner sur le trottoir.
– Elle
le fera pas.
C’était
bien aussi mon avis.
– Elle
va reculer les échéances au maximum. Quitte à prendre des risques
insensés. Tant la fessée la terrifie.
Océane
a souri.
– Moi,
je crois que ce qui la terrifie surtout, c’est de devoir la
recevoir devant nous. Parce qu’il va lui falloir admettre ce
qu’elle soupçonne depuis un bon moment déjà. Sans vouloir
vraiment se l’avouer. C’est qu’elle aime ça.
– Oh,
tu crois ?
– Pas
vraiment la fessée en elle-même, non, mais la honte qui va avec. Tu
l’as bien entendue tout à l’heure. Ce qui la fascinait, c’était
qu’il l’ait mise au coin, Émilie, qu’il l’y ait laissée,
qu’il l’ait humiliée devant nous en lui faisant réciter ses
leçons comme une gamine de sept ans. T’as pas fait attention, toi,
là-bas, sur le moment, mais moi, si ! Je l’ai pas quittée
des yeux. Et je peux te dire qu’elle était aux anges.
– Ce
qui ne signifie pas forcément qu’elle aimerait être à sa place.
– Je
suis bien convaincue que si. Même si elle ne le sait pas encore.
13-
Il
n’empêche que ça marchait. Ça marchait vraiment sa méthode au
type, sur Internet, pour gagner au Keno.
Océane
se voulait sceptique.
– Ouais !
Et le jour où tu voudras jouer pour de bon, tu te ramasseras en
beauté.
Non,
mais elle avait rien compris, là. Il était absolument hors de
question que j’aille miser, ne fût-ce qu’un seul centime, sur
quoi que ce soit. Je savais trop bien à quoi je m’exposais et je
n’avais pas la moindre envie d’aller tenter le diable.
Dans
ces conditions, effectivement…
Et
elle s’est penchée, avec moi, sur les savants calculs qui
permettaient à cet ingénieur de profession de faire de si
substantiels bénéfices.
– C’est
quand même impressionnant !
– Quand
je te le disais !
Elle
a fini par constituer tout un dossier.
– Regarde !
Non, mais regarde ! En jouant dix euros par jour, sur un mois,
c’est quatre-vingts euros qu’on se serait mis dans la poche. Et
sur trois mois quasiment quatre cents. Tu te rends compte ?
Bien
sûr que je me rendais compte. J’étais bien placée pour.
– Et
si ?
– Oh,
non, Océane, non. J’ai promis à Julien de jamais y retoucher.
Jamais.
– Il
le saura pas. Comment tu veux ? Suffit qu’on mette une petite
somme au départ. Disons cinquante euros chacune. Ça va pas chercher
bien loin. On risque pas grand-chose.
J’ai
résisté.
– Non,
Océane, non.
Plus
d’une semaine. Et puis…
Et
puis j’ai craqué. On a joué. Un mois durant. Un mois au terme
duquel on n’avait ni perdu ni gagné. Où on s’était contentées
de récupérer nos mises.
Océane
jubilait.
– Tu
vois ! Tu vois ! Il s’aperçoit de rien. Et ça se passe
pas si mal finalement. J’en étais sûre. Le mois prochain, on est
bénéficiaires. C’est comme si c’était fait.
Et
j’y ai repris goût. J’ai repris goût à cette impatience si
particulière, si jubilatoire de l’attente du résultat. À ces
poussées d’adrénaline quand il est là, à portée de main, qu’il
ne s’en faut plus que de quelques secondes pour qu’il soit
dévoilé, pour qu’on sache. À cette exaltation qui s’empare de
vous quand vous réalisez que oui, ça y est, vous avez gagné.
Alors…
Alors trois fois je suis passée devant. Trois fois. Et, la
quatrième, je suis entrée. En me traitant de folle. En me jurant
que c’était exceptionnel. Que ça le resterait. Et j’ai couru
tout droit, le cœur battant, à la table de roulette. J’y ai passé
deux heures. Deux heures de pur bonheur.
J’y
suis retournée le lendemain. Et le surlendemain. Et les deux jours
suivants.
Je
n’ai pas osé demander à Océane. Qui m’aurait soufflé dans les
bronches.
Et
j’ai sollicité Émilie.
– Tu
pourrais pas me prêter trois cents euros ? Juste pour quelques
jours. Je te les restituerai mardi. Sans faute.
Elle
n’a pas été dupe. Elle a refusé.
– Ce
serait te rendre le plus mauvais des services.
Je
n’ai pas pu non plus convaincre Bérengère.
– Désolée,
mais je suis vraiment ric-rac en ce moment.
J’allais
me tourner, en désespoir de cause, et avec un profond sentiment de
culpabilité, vers une société de crédit quand, le soir même…
– Dis-moi,
Lucile, tu faisais quoi au casino jeudi dernier ?
– Au
casino ? Jeudi ? Mais rien, Julien, rien, je t’assure…
– Quelqu’un
t’a vu pourtant.
– Quelqu’un ?
Qui, ça ?
– Ça
n’a pas d’importance qui.
J’ai
rendu les armes. En minimisant.
– C’était
juste une fois. Comme ça.
– Tu
sais ce qui t’attend.
Je
savais, oui.
14-
Ça
n’a pas été tout de suite.
– Le
temps de trouver un créneau qui leur convienne à tous les trois.
Et…
Il
m’a posé une main sur l’épaule. M’a souri.
– Et
aussi le temps que tu réfléchisses. Que tu appréhendes. Beaucoup.
Longtemps. Dans ton cas c’est encore ce qui sera le plus efficace.
Pour
appréhender, j’appréhendais, ça ! Être déculottée et
fessée devant trois hommes dont deux avaient à peine la moitié de
mon âge. J’appréhendais mais, en même temps, je me sentais
soulagée. Il m’arrêtait. Il m’arrêtait à temps. Je savais
trop bien sur quelle pente savonneuse je m’étais une nouvelle fois
engagée. Je savais trop bien qu’une fois lancée, seule, j’aurais
été incapable de m’arrêter. Et que je nous aurais mis
financièrement gravement en danger.
Les
filles me plaignaient.
– Tu
vis ça comment ?
Je
haussais les épaules.
– Comme
vous toutes, j’imagine.
Océane
s’en voulait.
– C’est
ma faute, tout ça ! C’est ma faute.
Je
la rassurais. Comme je pouvais.
– J’aurais
replongé de toute façon. J’essayais de me le faire croire mais je
savais bien, tout au fond de moi, que je n’étais pas complètement
guérie.
En
attendant, il y en avait un qui l’agaçait. Qu’est-ce qu’il
pouvait l’agacer !
– Ton
Valentin ?
– Valentin,
oui. Parce qu’il joue les indifférents. « C’est jamais
qu’une fessée. », mais en réalité comment il a hâte de te
voir la recevoir. Ça l’excite. Ça l’excite d’une force !
Deux fois hier il a fallu que je passe à la casserole. Et déjà une
fois ce matin. Il peut pas s’empêcher d’en parler. À tout bout
de champ. Il essaie bien, mais il y arrive pas. Il parle plus que de
ça. Et sa grande hantise, c’est que ça n’ait finalement pas
lieu. Que tu réussisses à convaincre Julien de renoncer à te la
donner devant eux. « On sait jamais ! Les femmes, c’est
jamais à bout d’arguments. » Tu peux être sûre en tout cas
qu’il va ouvrir tout grand les yeux et qu’il en perdra pas une
miette. Quant à moi, faudra que j’assure quand il va rentrer. Ça,
je m’y attends.
Le
Clément de Bérengère, c’était le seul que je ne connaissais
pas, que je n’avais jamais vu.
– Oui,
ben justement ! Justement ! Il trouve la situation des plus
cocasses, lui. Et des plus improbables. « T’imagines ?
Je sais même pas à quoi elle ressemble et j’aurai à peine le
temps de lui dire bonjour qu’elle va se retrouver les fesses à
l’air devant moi. Et gigoter du croupion. Avoue quand même que
c’est pas banal. » Et il arrête pas de me harceler de
questions. T’es comment ? Brune ? Blonde ? Et tes
yeux ? Ils sont de quelle couleur, tes yeux ? T’es plutôt
enveloppée ou longiligne ? Et ta poitrine ? Elle déborde
de partout ou bien elle est toute menue ? Mais dès que
j’esquisse le moindre début de commencement de réponse, il me
fait taire. « Non, non, dis rien ! Dis rien ! Je
préfère avoir la surprise. »
Celui
que j’appréhendais le plus, c’était, et de loin, l’Étienne
d’Émilie. Vu la sortie qu’il m’avait faite, chez lui, le jour
où il l’avait fessée…
– Il
réagit comment ? Il dit quoi ?
Elle
a haussé les épaules.
– Pas
grand-chose. Rien. Il a pas fait vraiment de commentaires. Juste
qu’il espérait que Julien te ménagerait pas. « Parce qu’il
y a des choses qu’on peut vraiment pas laisser passer. »
15-
– Alors ?
Prête ? C’est le grand jour.
– Julien…
– Oui ?
– Non.
Rien.
Il
m’a prise contre lui.
– C’est
pour ton bien.
– Je
sais, oui.
– Pour
que tu cesses enfin de te mettre en danger. De nous mettre en danger.
Il n’y a que comme ça que…
– Oui.
Oui. On a toujours été d’accord là-dessus. Mais quand même…
Quand même… C’est pas facile, tu sais !
– Moins
ce sera facile et plus ce sera efficace, non ?
J’ai
soupiré.
– Si !
– Ah,
tu vois !
On
a sonné. J’ai sursauté.
– Notre
premier invité. Tu bouges pas de là. Tu attends. Je viendrai te
chercher.
Je
me suis approchée de la porte. J’ai tendu l’oreille. Une voix
grave. Posée. Étienne, sûrement. Des paroles. Incompréhensibles.
Un
autre coup de sonnette. Un autre encore. Presque aussitôt. Leurs
voix entremêlées. Un rire. Celui de Valentin. Encore leurs voix.
Ça
a duré. Duré. Ça s’est animé. Et puis le silence. Un silence
lourd. Pesant. La porte.
– Tu
peux venir ?
J’ai
respiré. Un grand coup. Et je me suis bravement lancée.
Ils
étaient assis tous les trois, côte à côte, sur le canapé.
– Bonjour !
Sans
regarder personne.
– Ah,
mais non ! Non ! Pas comme ça !
Il
m’a prise par le bras, obligée à aller les saluer
individuellement. L’un après l’autre.
– C’est
la moindre des politesses.
Le
sourire gourmand, un peu narquois, de Valentin.
– Ben,
fais-lui la bise à lui ! Tu le connais.
Le
regard inquisiteur de Clément.
– Qui
brûlait de l’envie de te rencontrer.
Et
le visage dur, réprobateur, d’Étienne.
– Vous
avez plein de points communs en fait tous les deux. Si, si, je
t’assure ! Tu verras.
Il
a tiré une chaise.
– Bon.
Inutile de se perdre en discours interminables. Et superflus. Tout le
monde sait de quoi il retourne.
L’a
placée de telle manière que je sois disposée dos à eux. Fesses à
eux.
Il
s’est assis, m’a fait signe d’approcher, de m’étendre en
travers de ses genoux, m’y a bien calée, a relevé ma robe. Haut.
Très haut.
– Maintiens-la
comme ça.
Il
a glissé les pouces, de chaque côté, sous l’élastique de ma
culotte. Qu’il a tirée. Fait descendre. Lentement. Très
lentement.
– Soulève-toi !
Qu’elle
puisse passer. Elle m’est tombée sur les chevilles.
Il
m’a posé une main sur les fesses. J’ai serré les dents. Ne pas
crier. Ne pas leur faire ce plaisir. Et surtout ne pas me
contorsionner. Ne pas gigoter. Qu’ils n’en voient pas plus que
nécessaire.
– C’est
parti !
Et
la première claque est tombée.
16-
Impossible
de dormir. Même couchée sur le ventre. Ça me cuisait trop. Ça me
lançait trop. Mais, surtout, il y avait la honte. Qui ne me lâchait
pas. Qui me rongeait. Une honte ravageuse, lancinante. Je la revivais
en boucle, cette fessée. Interminablement. J’en revisitais, au
ralenti, chaque moment. Pour ma plus grande mortification. Je m’étais
avérée totalement incapable de tenir mes belles résolutions.
J’avais crié. Je m’étais époumonée. Sans la moindre retenue.
J’avais, sous l’effet de la douleur, battu des jambes, bondi du
derrière. Sans la moindre pudeur. Quel spectacle j’avais offert à
ces trois hommes ! On avait pu voir tout ce qu’on avait voulu.
Absolument tout. Et, à la fin, quand je m’étais relevée, qu’il
avait fallu que je…
Ne
pas y penser. Ne plus y penser. Je me suis tournée. Retournée. D’un
côté. De l’autre. J’ai soupiré. J’ai gémi.
Julien
m’a posé une main, légère, au creux des reins.
– Tu
as mal ?
Oh,
oui, j’avais mal, oui ! Comment il avait tapé fort !
– Il
le fallait. Si on voulait que ça porte vraiment.
– Je
sais bien, Julien ! Je sais bien. Je te reproche pas. Je te
reproche rien. Mais c’était tellement dur avec eux qui
regardaient. Tellement. Surtout après, à la fin, quand tu as arrêté
et que tu as voulu que je reste là debout, sans bouger.
Il
m’a caressé doucement la joue.
– Et
pourquoi à ton avis ?
– Je
suis pas idiote. J’ai bien compris.
– Dis-le
quand même ! Dis-le ! Que ça rentre bien…
– Pour
m’ôter à tout jamais l’envie de recommencer. Plus ce serait dur
et moins je voudrais me mettre en situation de le revivre.
Il
a continué à me caresser. Le cou. Les épaules.
Et
j’ai été prise, à son égard, d’un immense élan de
reconnaissance. Je l’avais mis en danger. Je nous avais mis en
danger. Par ma faute, à cause de mes sottises, on vivait à
l’étroit. On devait faire attention à tout. On se privait en
permanence. Alors, qu’à force de me voir systématiquement
rechuter, il ait fini par baisser les bras, il ait voulu poursuivre
sa route sans moi, comment aurais-je pu le lui reprocher ? Mais
il ne le faisait pas. Il mettait au contraire tout en œuvre pour que
je me comporte enfin de façon responsable et, ce faisant, il me
sauvait de moi-même. Parce que seule, sans lui, sans garde-fou,
j’aurais été incapable de m’imposer des limites, je le savais.
J’aurais été prise dans un vertige de casinos, de champs de
courses et de jeux en ligne. Et j’aurais couru à la catastrophe
absolue. Interdite bancaire. Banque de France. Et tutti quanti.
Je
me suis serrée fort contre lui.
– Je
t’aime, Julien.
– Mais
moi aussi, je t’aime. Si seulement…
Je
l’ai fait taire d’un baiser.
– Chut !
Dis rien ! Je te promets ! Je te promets !
On
s’est enlacés. Nos lèvres se sont jointes. Les pointes de mes
seins se sont dressées et je me suis pressée contre lui. Et il a
été tout dur contre moi.
– Je
t’aime, Julien ! Je t’aime !
Et
c’est moi qui… Sur lui.
– Je
veux ! Je veux !
Je
me suis emparée de lui. Je l’ai chevauché. Et je me suis élancée
à la conquête de mon plaisir. Éperdument.
Il
a posé ses mains sur mes fesses brûlantes. Et ça a déferlé. Ça
m’a emportée. Chavirée. J’ai éperdument hurlé. Une deuxième
vague presque aussitôt que je lui ai psalmodiée à l’oreille. Et
il s’est répandu en moi.
– Ne
bouge pas ! Reste comme ça !
J’étais
bien. Si bien.
Et
je me suis endormie, la tête sur sa poitrine.
17-
À
la première heure, le lendemain, Océane m’a appelée.
– Parce
que tu dois te demander comment ça a réagi hier soir, j’imagine,
non ?
– Un
peu, oui.
Valentin
lui avait fait un rapport circonstancié. Plus d’une heure durant.
– Il
ne m’a fait grâce d’aucun détail. Et tu te doutes bien que ça
s’est terminé en feu d’artifice, mais ça, je m’y attendais.
Elle
ne s’en plaignait pas. Bien au contraire.
– Une
bonne partie de jambes en l’air, moi, je suis toujours partante.
Plutôt deux fois qu’une. Surtout que lui, quand il en est, il en
est. T’y trouves sacrément ton compte.
Ça
l’amusait également beaucoup.
– Parce
que si tu l’écoutes, ça n’a rien à voir avec toi ni avec la
fessée que tu as reçue, ce brusque regain d’ardeur à mon égard.
Rien du tout. Tu parles ! Prends-moi bien pour une idiote !
Mais bon, je vais pas le lui reprocher. Moi aussi, des fois, il y a
des trucs qui me mettent en appétit sans qu’il y soit pour rien.
Et je suis bien contente alors de l’avoir sous la main. Enfin,
bref ! Tout ça pour arriver à cette conclusion que tu lui as
fait sacrément de l’effet.
– Il
a dit quoi au juste ?
– D’abord
que t’es sacrément bien foutue. Il en revenait pas. « C’est
impressionnant ! Pour dire qu’elle a l’âge qu’elle a ! »
Mais il s’est pas trop étendu là-dessus. Il sait que ça m’agace
quand il vante un peu trop les charmes des autres nanas. Il en
pensait pas moins, n’empêche. Et, à mon avis, il espère
ardemment que tu vas pas tarder à en mériter une autre. Parce que
t’aurais entendu toutes ces questions qu’il m’a posées. Mine
de rien. Sans avoir l’air d’y toucher. « Ça la tient, non,
la passion du jeu ? » Pour autant que j’avais pu en
juger, t’étais pas mal accro, oui. « Il y a des chances
qu’elle remette ça alors ? » Peut-être. Et puis
peut-être pas. Qu’est-ce qu’il voulait que j’en sache ?
« À un moment vous avez bien joué ensemble toutes les deux,
non ? » Il a pas vraiment insisté, il a pas osé, mais le
message était clair. Si seulement je pouvais avoir la bonne idée de
jouer les démons tentateurs…
– Oui,
ben ça ! Dans ses rêves. Que dans ses rêves. Tu pourrais bien
les jouer tant que tu veux, les démons tentateurs, il y a plus le
moindre risque que je rechute. Alors là ! Pourquoi tu souris ?
– Parce
que j’ai déjà entendu ça. Et que je l’ai déjà dit, moi
aussi.
– Oui,
mais cette fois…
– C’est
tout le mal que je te souhaite…
– Non,
mais tu sais pas ce que c’est, toi, Océane, de se faire fesser
devant trois types qui se repaissent tant et plus du spectacle que tu
leur offres.
– Et
j’espère bien ne jamais le savoir. Surtout que…
– Que
quoi ?
– Tu
sais jamais ce qu’ils vont bien pouvoir aller imaginer, les types.
Ce qu’ils vont aller se mettre dans la tête.
– Comment
ça ?
– Ben,
je suis passée vite fait chez Bérengère, hier soir. Et il y a
Clément qu’est arrivé. Il revenait de chez toi. Il venait
d’assister. Du coup, il en a parlé, évidemment, tu penses bien !
D’autant qu’elle voulait savoir, Bérengère. Qu’elle s’est
mise à le presser de questions.
– Et
alors ?
– Et
alors il est persuadé que tu le faisais exprès de gigoter dans tous
les sens. Pour bien tout montrer. « Elle est exhib ! Et
pas qu’un qu’un peu ! On m’ôtera pas de l’idée qu’elle
est exhib, alors là ! »
– Non,
mais je voudrais l’y voir, lui ! S’il croit que c’est
facile, quand on s’en prend une sévère, de rester impassible,
cuisses et genoux bien serrés. C’est pas possible. Même avec la
meilleure volonté du monde, il arrive un moment où c’est pas
possible.
– C’est
bien ce que je lui ai dit. Mais il y a jamais eu moyen de lui faire
entendre raison.
18-
J’ai
raccroché, ulcérée. Non, mais pour qui il se prenait ce Clément ?
C’était la première fois qu’il me voyait, il me connaissait pas
et il se permettait de porter sur moi des jugements péremptoires et
définitifs. Quel imbécile !
J’étais
en train de fulminer contre lui quand on a sonné. Bérengère. Qui
venait aux nouvelles. Ah, elle tombait bien, elle, tiens !
Elle
a attaqué d’emblée, d’un petit air compatissant.
– T’as
pris cher, à ce qu’il paraît, hier soir.
– Ben
justement, à ce propos, ton Clément…
– Oui,
il m’a raconté. Comment t’as dû avoir honte !
– À
ce qu’il paraît qu’il a décidé que j’étais exhibitionniste…
– Oui,
oh, Clément, tu sais ! Faut en prendre et en laisser avec lui.
À ses yeux, n’importe comment, on est toutes comme ça. On pense
qu’à se faire reluquer. C’est une obsession chez lui. Limite si,
quand un coup de vent te fait voltiger ta robe, tu l’as pas fait
exprès. J’ai l’habitude depuis le temps. J’y prête plus
vraiment attention. Bon, mais parlons de toi plutôt. Ça a pas dû
être facile quand Julien t’a obligée à rester comme ça devant
eux, non ?
– Ce
le serait pour personne.
– Ah,
ça, moi je sais que j’aurais du mal à m’en remettre. Mais si tu
me racontais ? Il s’est passé quoi au juste ?
– Clément
t’a déjà dit, je suppose.
– Oui,
oh, Clément… Il a vu ça à sa façon à lui. C’est un mec. Il
était beaucoup plus préoccupé par ce que t’avais à montrer que
par tes réactions à toi. Il en avait rien à foutre de si t’avais
honte ou pas. De si ça se voyait. De comment tu te comportais. Non,
il matait. Fallait pas lui en demander beaucoup plus. N’empêche
que t’as dû passer un sacré sale quart d’heure.
– Non !
Tu crois ?
Ce
qu’elle pouvait être lourde quand elle s’y mettait !
– Déjà
qu’Océane et Émilie, ça se voyait que c’était vraiment pas
une partie de plaisir. Et pourtant on était qu’entre nanas. Alors
devant des mecs ! Ah, non, j’aurais pas pu, moi !
J’aurais vraiment pas pu. Je sais pas comment t’as fait.
Elle
a eu un petit rire.
– C’est
trop drôle, avoue ! Parce que, de nous quatre, c’est moi qui
la mérite le plus, la fessée et il y a que moi qui l’ai pas
reçue. Et qui la recevrai pas.
– T’es
bien sûre de toi…
– Oh,
pour ça, oui !
– Parce
que ? T’as mis un terme avec ce type, là ?
– Sûrement
pas ! On s’éclate trop, tous les deux. Non, j’en ai même
pris un autre pour faire bonne mesure. Je sais pas comment je me
débrouille, mais je tombe toujours sur des mecs qui baisent comme
des dieux. À croire que je les attire.
– Mais
alors…
– Clément ?
S’il avait vraiment voulu me gauler, il y a longtemps qu’il
l’aurait fait. Non. En fait ça fait un petit moment qu’il
s’occupe plus vraiment de ce que je fabrique derrière son dos, je
crois bien. Fessée ou pas, il sait que de toute façon j’irai voir
ailleurs. Que je peux pas m’en empêcher. Il en a pris son parti.
Me plaquer ? Il veut pas. Il veut plus. Il a bien trop peur de
rester tout seul. Alors il fait l’autruche. Il s’aperçoit de
rien. Théoriquement, notre pacte tient toujours : je le trompe,
ou on en reste là tous les deux ou il me flanque une fessée. Mais
pratiquement je ne cours plus le moindre risque. Il préfère ne pas
voir. Et ne pas savoir.
– Méfie-toi
quand même ! Il y a des retours de bâton des fois.
– Oh,
mais pas là ! Pas là ! Surtout maintenant que vous avez
décidé que c’est devant les maris ou copains qu’elles auraient
lieu les fessées. Parce que voir les autres nanas en recevoir, ça,
il dira pas non. Il en redemandera même. Par contre, mettre
publiquement à l’air le cul de la sienne, pas question… Elle
peut bien aller voir ailleurs si elle veut, mais ça, non. Non.
Océane
à qui j’ai rapporté notre conversation a levé les yeux au ciel.
– Elle
croit ce qui l’arrange, mais j’ai bien peur qu’elle tombe de
haut. Et bien plus vite qu’elle ne l’imagine.
19-
Restait
Étienne. C’était le seul, quand j’avais dû rester debout, nue,
face à eux, sur lequel je n’avais pas pu m’empêcher de lever
les yeux, à deux ou trois brèves reprises. Il me fixait,
impassible. Qu’avait-il pensé ? Quel jugement portait-il sur
ce qui s’était passé ? Sur la façon dont je m’étais
comportée ? Il n’y avait que lui, au fond, dont l’opinion
m’importait vraiment. Et, pour la connaître, je n’avais pas
d’autre solution que d’aller interroger Émilie. J’ai mis
quatre jours à m’y décider tant j’appréhendais la réponse.
Une
réponse qu’elle s’est avérée incapable de me donner.
– Il
en a pas parlé ?
– Pas
du tout, non.
– Et
tu lui as pas demandé ?
– C’est
pas quelqu’un à qui on pose des questions, Étienne.
Elle
avait été d’autant moins tentée de lui en poser que, le
surlendemain, c’est elle qui y avait attrapé.
– Ça
m’arrive encore, de temps à autre, les méga crises de paresse. De
moins en moins souvent, mais n’empêche que ça m’arrive. Et il
laisse pas passer. Ce en quoi il a parfaitement raison d’ailleurs.
– Tu
y as attrapé, mais… devant eux ? Ils étaient là ?
– Ah,
ben oui ! Oui ! Évidemment qu’ils étaient là. Comme
convenu.
– Julien
aussi ?
– Julien
aussi. Tous les trois.
– Et
c’était quand, tu dis ?
– Avant-hier.
– Il
m’a rien dit.
– Ça,
peut-être. Mais je peux t’assurer qu’il y était.
– Et
il a réagi comment ?
– Franchement,
j’en sais rien. C’est vraiment pas le genre de situation où t’as
envie d’aller les regarder sous le nez, les types. Tu penses qu’à
une chose, c’est oublier qu’ils sont là.
– T’as
rien à me dire ?
Il
a levé sur moi un regard surpris.
– Non.
Quoi ?
– Elle
est bien fichue Émilie ? Elle t’a plu ?
– Ah,
c’est donc ça ! Elle marque vite, ce qu’il y a de sûr. Et
beaucoup.
– Pourquoi
tu m’as rien dit ?
– Parce
qu’il y avait pas d’urgence. Qu’on aurait bien le temps d’en
parler, le moment venu.
– Mouais.
Et alors ? Ça s’est passé comment ?
– Comme
une fessée. Il lui a baissé sa culotte et il a tapé. Fort. Et
longtemps.
– Elle
a crié ? Elle a gigoté ?
– Un
peu, mais pas tant que ça ! On voyait qu’elle avait décidé
de prendre sur elle.
– Et
après ?
– Il
l’a envoyée au coin, jupe relevée et culotte sur les chevilles.
– C’est
son truc, ça, le coin, j’ai l’impression. Il l’y a laissée
longtemps ?
– Une
demi-heure, à peu près. Et puis il l’a envoyée dans sa chambre.
On est restés à discuter entre nous. Et on s’est désolés :
ce n’est pas si efficace que ça, finalement, les fessées qu’on
vous donne. Ça ne vous guérit pas complètement, les unes comme les
autres, de vos sales habitudes.
– Un
peu quand même ! Ce serait pire sinon.
– Du
coup, on a envisagé d’autres solutions. Une en particulier.
– Ah,
oui ? Laquelle ?
Il
a souri, mis un doigt sur ses lèvres.
– Ce
que tu peux être chiant quand tu t’y mets !
20-
Elle
savait, Océane. Il lui avait dit, Valentin. Elle savait ce qu’ils
avaient envisagé comme solution.
– Ah !
Et c’est quoi ?
– Un
tour de rôle.
– Comment
ça ?
– Ben,
désormais, quand on en aura mérité une, c’est pas celui avec qui
on est en couple qui la nous la donnera, mais l’un des trois
autres. Devant eux tous, ça aura lieu. Et devant nous toutes. Pour
que ça porte plus.
– Et
c’est qui qu’a eu une idée pareille ?
– Alors
ça ! Oh, mais à mon avis ça vient ou de ton Julien ou de
l’Étienne d’Émilie. Parce que Valentin ou Clément, je les vois
vraiment pas dans le rôle. Ce qui les empêchera pas de profiter
tant et plus de l’aubaine. En tout cas, je sais pas toi, mais moi,
c’est une perspective qui va me faire me tenir à carreau. Et
comment !
Moi
aussi. Évidemment que moi aussi. Parce que quelle humiliation ce
serait que de me faire claquer le derrière par des gamins qui
avaient à peine la moitié de mon âge ! Quant à Étienne, ce
serait pire. Mille fois pire. Il avait une telle façon de me faire
me sentir coupable. Rien qu’en me regardant. Ou son ton en me
parlant. Et ses mots. Alors s’il devait me punir…
Émilie
aussi, elle savait. Elle avait même des informations
complémentaires.
– Ce
qu’ils envisagent, c’est ou bien de tirer au sort ou bien de
constituer des binômes. Ils sont pas encore trop décidés.
– Des
binômes ?
– Oui.
Par exemple, Valentin te corrigerait chaque fois que nécessaire. Et
Julien corrigerait Océane. Mais ce n’est qu’un exemple.
– Ils
sont trop quand même, dans leur genre. Parce qu’on aurait
peut-être notre mot à dire, non, vous croyez pas ?
Elle
croyait pas, Océane, non.
– J’en
passerai par où il veut. Parce que j’ai pas du tout envie qu’il
mette un terme, nous deux. Mais alors là, pas du tout. Et puis c’est
pour mon bien : faut absolument que j’arrive à me débarrasser
de cette sale habitude. Alors si ça doit être plus efficace comme
ça !
Émilie
était de son avis.
– Moi,
ce que je vois, c’est que si on est pas sans arrêt derrière moi,
je suis incapable d’y arriver. Et il y a que les fessées qui y
font. Après, que ce soit Paul, Jacques, Pierre ou André qui me la
donne, ça m’est un peu égal. Enfin non. Non. Ça m’est pas
complètement égal. Parce que ce sera bien plus vexant, quelqu’un
d’autre.
Quant
à Bérengère, avec cette nouvelle donne, elle était un peu plus
convaincue encore qu’elle y échapperait.
– Parce
que déjà, m’en mettre une devant du monde, pour lui c’était
tout juste pas possible, mais en plus que ce soit quelqu’un d’autre
qui me le fasse, alors là ! Non. Non. Je suis bien tranquille…
Ce
qu’elle se demandait par contre, c’est laquelle d’entre nous
trois il serait amené à fesser.
– Parce
que vous, vous allez y avoir droit, c’est obligé.
On
s’est récriées. Ah, mais non ! Non ! Pas du tout. On
avait bien l’intention de faire en sorte que ça n’arrive plus.
Elle
a eu un petit sourire en coin.
– Sauf
que vous replongerez. Ça mettra le temps que ça mettra, mais un
jour ou l’autre vous replongerez, c’est obligé. Et vous le savez
très bien.
– T’es
encourageante, toi, dis donc !
– Mais
non, mais ça sert à rien de se voiler la face.
Ce
qu’elle se demandait aussi, c’est laquelle d’entre nous il
aurait préféré que le sort lui attribue.
Elle
lui avait même posé la question.
– Il
a éludé, vous pensez bien ! Il a pas envie que je sache. Mais
j’ai quand même ma petite idée.
Qui
était ?
Elle
a levé les yeux sur moi.
– Lucile…
– Moi !
Ben, voyons !
21-
Bérengère
voulait nous voir. De toute urgence.
– Qu’est-ce
qu’il se passe ?
Elle
était aux quatre cents coups. Et avait de toute évidence pleuré.
– Je
suis conne ! Non, mais qu’est-ce que je peux être conne quand
je m’y mets !
– Si
tu nous expliquais au lieu de te lamenter ?
– Je
me suis fait gauler. Et en beauté. Sur le fait il m’a prise.
J’étais au lit avec un mec. Va nier, toi, après ça !
– On
t’avait dit de faire gaffe. On te l’avait pas dit ?
– Je
sais, oui, mais bon… Je croyais, moi, j’étais sûre qu’il
préférait rien voir. Qu’il en avait pris son parti. Oui, ben,
t’as qu’à y croire ! Comment ils peuvent être sournois,
les types, n’empêche, quand ils s’y mettent ! Et hypocrites
d’une force !
– Il
a réagi comment ?
– À
ton avis ? Hyper mal ! Il me quitte.
– Oh,
mais il y a peut-être moyen de…
– De
rien du tout. Il a embarqué ses affaires et il est parti s’installer
chez sa sœur.
– Ah !
– Et
la fessée ? Tu y as pensé ? Tu lui en as parlé ?
– Vous
pensez bien que oui ! Il a rien voulu entendre. Il a dit que ça
y avait jamais rien fait. Et qu’il y avait aucune espèce de raison
pour que ça se mette à marcher comme ça, d’un coup, comme par
enchantement. Non, cette fois, c’est cuit. Et bien cuit. Il s’est
montré on ne peut plus clair.
– Et
si on allait lui parler ?
– Vous ?
Je crois pas que ça serve à grand-chose. Remonté comme il est.
– On
peut toujours essayer.
– Oh,
si vous voulez ! Au point où j’en suis n’importe comment.
On
a d’abord envisagé d’y aller toutes les trois. En force. Mais, à
la réflexion, ce n’était pas forcément une bonne idée.
– Il
risque de se sentir agressé. Il va se braquer.
Et
on a décidé de lui envoyer Océane.
– Elle
est de son âge, Océane. Et puis, elle est diplomate. Elle saura
comment le prendre.
Elle
n’est revenue que deux heures plus tard.
– Alors ?
– Oh,
ben alors, ça a pas été sans mal. Mais ça devrait être bon.
– Ça
devrait être ou ça l’est ?
– Ça
l’est. À condition qu’il y ait fessée, évidemment.
– Oui,
ben ça, fallait s’y attendre.
– Et
que ce soit Valentin qui la lui donne.
– Valentin ?
Pourquoi Valentin ?
– Je
sais pas, mais il a énormément insisté là-dessus.
– Ça
l’excite, faut croire…
– Quel
salaud ! Non, mais quel salaud ! Et moi qui croyais qu’il
supporterait pas de me voir fessée par un autre !
– On
connaît jamais vraiment un mec.
– Surtout
quand c’est le sien !
– Oui,
oh, faut pas se faire d’illusions, moi, je crois ! Ils sont
tous plus ou moins copie conforme en fait.
– J’ai
la trouille, les filles ! Vous pouvez pas savoir comment j’ai
la trouille. Jamais je vais arriver à supporter. J’aurai bien trop
honte. Et puis il tape fort en plus, Valentin.
– Faudrait
savoir ce que tu veux !
– Je
veux pas qu’il me quitte, Clément. Je veux pas.
– Eh
bien alors !
22-
– Ah,
c’est toi !
Océane.
– Ben,
entre ! Assieds-toi ! Qu’est-ce qu’il se passe ?
– Il
se passe qu’ils sont d’un compliqué, Bérengère et Clément,
mais d’un compliqué !
– Elle
a changé d’avis ?
– Non.
– C’est
lui alors…
– Non
plus, non ! Enfin pas vraiment. Mais il est vraiment très très
remonté contre elle. Et il veut qu’avant la fessée à laquelle
elle va avoir droit de la main de Valentin samedi, elle vienne rendre
une petite visite, qu’il appelle de courtoisie, à chacun des
mâles, qui y assisteront.
– Je
vois. Il est décidé à lui en faire baver, quoi ! Et elle
prend ça comment ?
– Pas
bien du tout, tu la connais. Elle est dans la voiture, là. Elle
attend. Il est là, Julien ?
– Là-haut,
oui, je vais le chercher.
– Et
moi, je vais chercher Bérengère.
Qui
s’est avancée vers lui, tête basse.
Il
la lui a fait relever, du bout du doigt.
– Assume !
Il faut toujours assumer les conséquences de ses actes. Toujours !
Elle
lui a lancé un bref regard éploré.
– Oh,
ce sera un mauvais moment à passer, oui, mais pas si terrible que ça
finalement, tu verras… Et puis tu te sentiras tellement mieux
après. Soulagée d’avoir payé ta dette.
J’ai
proposé, pour dédramatiser la situation…
– Vous
voulez boire quelque chose ?
Elle
n’avait pas soif, Bérengère, mais Océane, si, oui, c’était
pas de refus.
– Une
petite bière, si t’as.
Que
Julien est allé lui chercher. Qu’il lui a tendue en la menaçant
du doigt.
– Tu
prends tes responsabilités…
– Oh,
c’est pas pour une !
– Ça,
c’est toi qui vois ! Tout ce que je peux te dire, c’est que
si jamais tu rechutes, si tu files à nouveau un mauvais coton de ce
côté-là, c’est moi qui te mettrai la fessée. Et je ferai pas
semblant.
– Qu’est-ce
que c’est que cette histoire ?
J’ai
suggéré.
– Tu
paries qu’ils se sont réparti les rôles ?
– Exactement !
Et c’est Océane qui m’est échu. Ça aurait pu plus mal tomber.
Pour elle comme pour moi.
– Non,
mais comment ils font leurs petits coups en douce !
– Cela
étant, rassure-toi ! C’est pas pour autant que je vais te
pousser à boire. Je suis quelqu’un de très bien. De très droit.
– Oh,
mais ça, personne n’en a jamais douté…
Il
s’est tourné vers moi.
– Quant
à toi, ma chérie…
– Je
sais ce que tu vas dire. Je le sais.
– Ah,
oui ?
– Oui.
Moi, ce sera Étienne, je suppose…
– Bingo.
On a estimé, à l’unanimité, que ce serait une perspective qui te
dissuaderait à tout jamais de vouloir inconsidérément nous ruiner
en jeux d’argent.
Étienne !
Je n’ai rien dit. J’ai frissonné. Mais Étienne !
Il
a cherché mon regard.
– On
se trompe ?
Ils
ne se trompaient pas, non.
– Reste
Émilie. Dont Clément s’occupera le cas échéant.
– Clément,
mais !
Elle
a voulu dire quelque chose, Bérengère. Elle s’est ravisée. Elle
s’est tue.
23-
Émilie
voulait nous voir, Océane et moi.
– Non,
parce qu’ils se sont encore réunis à la maison, là, tous les
quatre, hier soir. Et il est sérieusement question qu’ils exigent
qu’avant de recevoir sa fessée, Bérengère serve d’abord
l’apéro à poil.
Océane
a écarquillé les yeux.
– Ah,
oui ! Carrément !
J’ai
haussé les épaules.
– Ce
serait encore une idée d’Étienne, ça, que ça m’étonnerait
même pas.
Émilie
m’a aussitôt reprise.
– Ah,
non, non ! Il y est pour rien sur ce coup-là. C’est son
Clément en personne qu’a suggéré ça.
– Eh
ben dis donc ! Et elle qui était persuadée que jamais il
n’accepterait que d’autres types la voient à poil !
– Oui,
mais ça, comme on disait l’autre jour, on les connaît jamais
vraiment, les mecs.
Ce
qu’elle pensait Océane, elle, c’était que de nous avoir vues la
recevoir toutes les trois, la fessée, ça lui avait sûrement fait
considérer les choses d’un autre œil.
– Et
peut-être même que ça lui a donné envie de rajouter un petit
plus.
Oui,
enfin, la question maintenant, c’était surtout de savoir comment
Bérengère allait réagir…
– Faudrait
la prévenir ! Et sans tarder. Qu’elle soit pas prise de
court.
Elle
ne pouvait pas, Océane.
– C’est
le coup de feu au magasin en ce moment. Et j’ai déjà pas mal
manqué la semaine dernière. Alors !
Émilie
non plus.
– Les
cours en ce moment, c’est vraiment pas de la tarte. Et si je perds
pied…
Il
ne me restait plus qu’à me dévouer.
– Mais
tu nous raconteras, hein !
Elle
m’a accueillie avec un grand sourire.
– Lucile !
Oh, ça me fait plaisir de te voir ! Quel bon vent t’amène ?
Bon
vent. Ce n’était pas vraiment le mot.
– Écoute,
Bérengère, faut que je te dis un truc. Pour la fessée que Valentin
doit te donner, là…
Elle
m’a coupé la parole.
– Je
sais, oui. Clément m’a dit.
Il
lui avait dit quoi ? Que…
– Oui,
ça ! Oh, il m’en veut, Clément. Énormément. Faut dire
aussi que je le comprends dans un sens. Parce que vu comment je l’ai
fait cocu ! J’étais complètement dans ma bulle. Il y avait
plus que ça qui comptait : m’envoyer en l’air. Encore et
encore. Et je l’ai fait passer pour un con. Je m’en rends bien
compte maintenant. Je l’ai humilié. Alors qu’il veuille me
rendre la pareille, je peux pas lui en vouloir. Peut-être, sûrement
même, que c’est le seul moyen qu’il ait pour arriver à passer
l’éponge et à me pardonner. Alors si c’est le prix à payer…
Parce que je ne veux qu’une chose, moi maintenant, je n’aspire
qu’à une chose, c’est que tout soit oublié, c’est que tout
soit à nouveau comme avant entre nous. Comme s’il n’y avait
jamais rien eu.
Elle
a soupiré.
– Tu
comprends ? Je sais pas. C’est pas facile à expliquer. En
tout cas, ce qu’il y a de sûr, c’est que ça va pas être une
partie de plaisir pour moi. Je vais sacrément morfler. Rien que d’y
penser…
Océane,
à qui je suis allée, en sortant, rendre aussitôt compte de notre
conversation, a haussé les épaules.
– Oui,
oh, alors ça, que ce ne soit pas une partie de plaisir pour elle,
moi, je n’en suis pas si sûre. Enfin si ! Si !
Évidemment ! Et on aurait l’air d’en douter qu’on la
mettrait en fureur. Mais moi, je suis bien persuadée que ce n’est
pas si simple et que, même si elle ne l’avouerait et ne se
l’avouerait pour rien au monde, tout au fond d’elle-même être
humiliée ne lui déplaît pas tant que ça.
24-
On
était tous là. Assis dehors Sous la tonnelle. Il y avait Océane et
Valentin. Émilie et Étienne. Julien et moi. Et puis Clément. Mais
pas Bérengère.
– Ben
non, elle se prépare. Et elle nous prépare l’apéro.
Il
nous a fixées à tour de rôle, Clément. Nous, les femmes. Toutes
les trois. Que nous.
– Et,
bien sûr, vous, vous étiez au courant. Depuis le début. Et
personne n’a jugé bon de me prévenir. J’étais cocu jusqu’aux
blanc des yeux et c’était la conspiration du silence. Solidarité
féminine, j’imagine. En tout cas…
Il
s’est tourné vers Émilie.
– En
tout cas, toi, t’as tout intérêt à filer droit. Et à te tenir à
carreau. Parce que si jamais je suis amené, comme c’est convenu, à
te flanquer une fessée, je peux te dire que tu vas la sentir passer.
Tu paieras pour tout le monde.
Océane
a voulu prendre notre défense.
– On
n’est pas des balances.
– Je
l’attendais, celle-là !
Il
l’a contrefaite.
– On
n’est pas des balances… Va voir ce qu’elle fabrique, tiens,
plutôt ! Puisque vous êtes si bonnes copines.
Elles
sont revenues toutes les deux, portant chacune un plateau. Bérengère
était nue. Entièrement nue. Elle a posé le sien sur la table, sans
oser regarder personne.
– Tu
nous fais le service, ma chérie ?
Elle
a demandé à chacun, tour à tour, ce qu’il souhaitait boire, a
rempli les verres, les a portés à domicile.
– Bon,
ben à la vôtre ! Santé !
Tout
le monde a trinqué.
Clément
l’a appelée.
– Viens
voir là !
Il
l’a fait asseoir sur ses genoux. Ils se sont chuchoté quelque
chose à l’oreille. Un bon moment. Et puis il l’a fait relever.
– Allez,
va vite !
Elle
a trottiné jusqu’à Valentin. Devant qui elle s’est plantée.
– Je
suis prête.
– À
quoi ?
– À
recevoir la fessée que j’ai méritée.
Et
elle s’est d’elle-même courbée, allongée en travers des genoux
de Valentin. Qui a pris possession de ses fesses. Qui y a
négligemment posé une main.
Océane
s’est penchée à mon oreille.
– Tu
paries qu’il bande ?
– Il
se rince copieusement l’œil, ce qu’il y a de sûr.
Il
a lancé une première claque. Pas très fort. A fait longuement
attendre la suivante. Une deuxième. Une troisième. Et puis ça a
pris sa vitesse de croisière. Fermement appliqué. Régulier.
Sonore. Une fesse après l’autre.
Elle,
elle restait les yeux obstinément fixés au sol et ponctuait chaque
coup d’un petit grognement de fond de gorge.
Bras
croisés, profondément attentif, Clément regardait, impassible, le
derrière de sa compagne s’empourprer.
Julien,
lui, avait ce petit tressautement involontaire de la cuisse que je
connaissais si bien et qui s’emparait de lui chaque fois que
quelque chose le troublait.
Quant
à Étienne, il cherchait ostensiblement mon regard que je ne
parvenais pas toujours, malgré tous mes efforts, à lui dérober. Et
ce que j’y lisais alors, c’était une menace sans la moindre
équivoque : « Toi, ma petite, quand tu vas me tomber
entre les griffes, et tu vas forcément y tomber un jour ou l’autre,
je peux te dire que je vais tout particulièrement te soigner. »
Et je rougissais comme une imbécile. Je m’agitais sur ma chaise.
Je m’efforçais désespérément de lui échapper. Sans succès. Et
je me maudissais.
25-
– Ben,
dis donc !
Océane
me considérait d’un œil amusé.
– Quoi ?
– Il
te plaît bien, Étienne, non ?
– Ça
va pas ? T’es pas bien ? Sûrement pas, non, alors là !
– Je
sais pas, mais vu comment t’as pas arrêté de le boire des yeux
tout au long de la fessée de Bérengère…
– N’importe
quoi !
– Ah,
si, si, je t’assure ! Et avec une insistance !
– C’est
lui qui… Alors forcément, quand t’as quelqu’un qu’arrête
pas de te fixer, tu te demandes ce qu’il te veut.
– Oui.
Eh ben, je peux te dire que, vu de l’extérieur, c’est vraiment
pas l’impression que ça donnait… Et Émilie a eu exactement la
même.
– Émilie !
– Émilie,
oui.
– Elle
s’imagine pas que j’ai des vues sur lui au moins ?
– Je
crois pas, non. Et puis, de toute façon, il y a rien entre eux.
C’est juste qu’il la punit quand sa paresse reprend le dessus,
quand elle laisse aller ses études à vau-l’eau. C’est tout.
Après, peut-être qu’elle est quand même un peu amoureuse de lui
en arrière-fond, ça, va savoir ! Mais en tout cas, la version
officielle, c’est que non. Pas du tout.
– Et
Bérengère ? Elle l’a cru aussi, elle, que je…
– Oh,
ça, j’en sais rien du tout. Elle m’en a pas parlé. Mais
Bérengère…
– Quoi
donc, Bérengère ?
– Disons
que je me pose des questions. Parce qu’elle a déboulé chez moi,
ce matin, à la première heure. Elle voulait que je lui dise « Mais
alors franchement, hein ! » si elle en avait vraiment
montré tant que ça. « C’est ce qu’il prétend, Clément.
Mais bon, il exagère toujours, Clément ! » Qu’est-ce
tu voulais que je lui dise ? Sûr qu’à gigoter comme elle
gigotait, à battre des jambes dans tous les sens comme elle le
faisait, ça ouvrait tout un tas de perspectives intéressantes. On
pouvait voir tout ce qu’on voulait en fait. Toi, tu t’en es
peut-être pas rendu compte, parce que t’étais pas du bon côté
et que, de toute façon, Étienne accaparait toute ton attention,
mais je peux t’assurer que pour dévoiler, elle dévoilait, alors
là ! Elle était horrifiée. « C’est vrai que j’en ai
fait voir tant que ça ? Oh, là là, mon Dieu ! Mais
qu’est-ce qu’ils ont dû penser, les autres ? Que je le
faisais exprès si ça tombe. » Ben, justement, moi, je crois
que oui. Peut-être pas qu’elle l’a fait consciemment exprès sur
le moment, non, – quoique, au fond, j’en sais rien du tout –
mais en tout cas qu’a posteriori ça lui a pas déplu tant que ça
de l’avoir fait.
– Oh,
tu crois ?
– Je
me demande. D’autant que tu l’aurais vue pendant qu’on en
parlait ce matin. Ils brillaient d’une force, ses yeux ! Et
puis toutes ces questions qu’elle me posait sans relâche. Il avait
dit quoi, Valentin ? Il avait pensé quoi ? Oui, ben il
avait autre chose à faire qu’à penser, Valentin. Il profitait de
l’aubaine. Comme l’aurait fait n’importe quel type à sa place.
Un petit cul qui se tortillait sous ses claques, qui s’entrouvrait
généreusement sous ses yeux, il allait sûrement pas bouder son
plaisir.
– Tu
lui as dit ?
– Évidemment
que je lui ai dit. C’est ce qu’elle crevait d’envie d’entendre.
Même si elle ne l’aurait admis pour rien au monde.
– Et
elle l’a pris comment ?
– Dans
le registre… « Oh là là ! C’est pas vrai que j’ai
fait ça ! Je me suis pas rendu compte. Non, mais comment j’ai
honte. » Et patati et patata. Mais alors les autres ?
Julien ? Étienne ? Ils avaient réagi comment ?
Qu’est-ce qu’elle voulait que j’en sache ? Le mieux,
c’était encore qu’elle aille vous le demander. Et donc… Donc
tu peux t’attendre à la voir débarquer chez toi d’un instant à
l’autre.
26-
Ce
qui n’a pas loupé.
Une
heure après, elle était là, Bérengère.
– Je
te dérange pas ?
– Non.
Bien sûr que non. Tu veux un café ?
Elle
a ignoré la question. Ou ne l’a pas entendue.
– Tu
trouves, toi aussi ?
– Je
trouve que quoi ?
– Que
j’en ai énormément montré.
– On
montre toutes dans ces cas-là. Le moyen de faire autrement ? Ça
fait partie de la punition n’importe comment.
– Oui,
mais moi, à ce qu’il paraît qu’il y en a qui pensent que je
l’ai fait exprès de montrer. Et d’en montrer le plus possible.
– Ton
Clément ? Il a pensé exactement la même chose de moi,
rappelle-toi !
– Non,
pas Clément. Enfin si, oui ! Je lui ai pas demandé, mais oui,
lui, forcément. Il nous voit toutes comme ça n’importe comment.
Non, mais les autres. Julien, par exemple. Il t’a dit quelque
chose, Julien ?
– Que
t’étais bien foutue. Ce qui, pour rien te cacher, l’a mis en
appétit. Ben, oui ! On pourra jamais empêcher un mec d’être
un mec. Ils allaient pas garder leurs yeux dans leurs poches non
plus. Tous autant qu’ils sont. Et je suis bien tranquille que le
Valentin d’Océane, lui aussi… D’autant qu’il était aux
manettes…
– Je
sais, oui. Il a pas arrêté de bander tout le temps qu’il me l’a
donnée, la fessée. J’ai eu tout du long son truc tout dur contre
ma cuisse.
– Ah,
tu vois bien ! Et Clément, me dis pas que le soir quand vous
êtes rentrés…
– Ben
si, oui…
– Et
même Étienne, je suis sûre. Il a beau jouer les imperturbables,
faire celui qui prend tout ça de haut, tu penses bien qu’une fois
réfugié dans sa chambre, il est pas resté les deux mains sagement
posées sur les couvertures. Ben, oui, c’est comme ça ! Faut
se faire une raison. Après, qu’ils aillent s’imaginer tout un
tas de trucs, qu’on fait exprès d’en montrer tant et plus ou je
sais pas trop quoi, il faut te dire et te répéter que… et d’un
ils auront jamais de certitude absolue là-dessus. Et de deux, que
c’est leur problème, pas le nôtre. Le nôtre, c’est de savoir
si ces punitions qu’on reçoit sont efficaces ou pas, si elles nous
empêchent de courir à la catastrophe ou pas. En ce qui me concerne,
la réponse est claire et nette. C’est oui. S’il y avait pas ça,
je jouerais jusqu’à notre dernier sou, je me connais. Et il y a
belle lurette qu’on serait à la banque de France et dans les pires
galères. Sans compter que Julien m’aurait très certainement
larguée. Personne n’a envie de vivre dans la misère. Et je serais
très probablement à la rue. Alors moi, je les bénis, ces fessées.
Et je les veux. Parce qu’il y a qu’elles qui peuvent me recadrer
et m’empêcher de rechuter. Quand mes petits démons se
manifestent, qu’ils se mettent à insister à tout-va, il me suffit
d’y penser, de me dire que, si je flanche, ça va me valoir une
humiliante fessée déculottée devant vous et c’est radical :
elle me passe aussitôt l’envie d’aller faire un tour au casino
ou d’aller craquer des cents et des mille en ligne. Surtout
maintenant qu’il a été décidé qu’au moindre faux pas de ma
part, ce serait Étienne qui me le ferait. J’aurais bien trop honte
avec lui. Rien que d’y penser… Je sais pas pourquoi, mais alors
il m’impressionne d’une force, ce type !
– C’est
sa façon de regarder peut-être. De te faire te sentir en faute même
quand t’as rien fait. Moi aussi, il me met mal à l’aise.
N’empêche qu’ils les ont pas choisis au hasard, les binômes,
hein ! Ils savaient très bien ce qu’ils faisaient. Parce que
moi, comment ça m’a vexée, que ce soit Valentin qui me la donne
la fessée ! Depuis le temps qu’on est amies, Océane et moi,
tu parles si je le connais, lui ! Et jamais, au grand jamais, je
serais allée m’imaginer qu’un jour je me retrouverais les fesses
à l’air en travers de ses genoux. Et que ce serait mérité. Non,
parce que comment j’ai déconné ! C’est pas possible de
déconner comme ça. J’ai honte, tu peux pas savoir ce que j’ai
honte. Ah, il a eu de la constance, faut avouer, Clément !
Elle
s’est levée.
– Va
falloir que j’y aille ! Mais n’empêche…
Elle
a repris son sac.
– N’empêche
que depuis qu’il y a eu ça, hier, je me sens mille fois plus
amoureuse de lui. C’est bizarre, non, tu trouves pas ?
– Oh,
non ! Non, c’est pas bizarre, non.
27-
J’ai
longuement hésité. Et puis j’ai fini par appeler Émilie.
– Faut
que je te demande un truc…
– Je
t’écoute.
– C’est
rapport à Étienne. Parce que l’autre jour, pendant la fessée de
Bérengère…
– Tu
l’as pas quitté des yeux. Je sais, oui. J’ai vu. Ce qui peut se
comprendre. Parce que c’est Étienne qui sera amené à te fesser
si jamais tu récidives. Alors que tu sois tout particulièrement
attentive à lui, à ses réactions, dans ce genre de situation, ça
me paraît complètement normal. Tu crois que je l’ai pas eu dans
le collimateur, moi, Clément, pendant ce temps-là ? Puisque
c’est à lui que j’aurai affaire si je dysfonctionne encore. Même
si je me suis certainement montrée beaucoup moins insistante que
toi. Et s’il ne s’est rendu compte de rien, tout occupé qu’il
était à regarder sa dulcinée gigoter sous les claquées de
Valentin.
– Il
t’a rien dit, Étienne ?
– À
propos ? De ton attitude ? Rien. Pas un mot. Mais peut-être
que ça ressortira un jour ou l’autre. Avec lui on peut pas savoir.
On peut jamais savoir. Non, la seule dont il ait été question,
c’est Bérengère. Mais c’est elle qui était sous le feu des
projecteurs après tout.
– Tu
crois, toi aussi ?
– Que ?
– Océane,
elle pense que ça lui était pas si désagréable que ça, tout
compte fait, de la recevoir, la fessée. Et qu’on la voie la
recevoir.
Elle
a marqué un long temps d’arrêt.
– Tu
sais, après, juste après, quand ça a été terminé, qu’on est
tous restés à discuter dehors…
– Oui.
Eh bien ?
– J’ai
voulu aller aux toilettes. C’était occupé. Par Bérengère
justement. Et, de là-dedans, me sont parvenus des gémissements
étouffés qui ne laissaient planer aucun doute sur la nature de
l’activité à laquelle elle était en train de se livrer.
– Ah,
ben d’accord !
– Comme
tu dis…
– Elle
s’est rendu compte ? Que t’étais là ? Elle s’en est
aperçue ?
– Pas
sur le moment, non. Je me suis discrètement éclipsée. Et puis,
après réflexion, j’ai décidé de lui en parler. Ce que j’ai
pas regretté finalement, parce que ça nous a permis de nous dire
plein de choses toutes les deux. Des choses que ça te soulage et te
rassure de te dire que tu n’es pas toute seule à les éprouver.
Parce que je sais pas toi, mais moi, c’est très compliqué ce que
je ressens quand je la reçois, la fessée. Et très ambigu. D’un
côté, je trouve ça incroyablement mortifiant d’être déculottée
et corrigée comme une gamine. Mais c’est aussi ce qui fait que
c’est efficace. C’est ce qui me dissuade, la plupart du temps, de
me laisser aller. Qui me pousse à me mettre sérieusement au travail
quand j’aurais plutôt envie d’aller m’affaler devant une bonne
série. Mais, en même temps, d’un autre côté, quand ça
m’arrive, je ne peux pas m’empêcher d’éprouver, en
arrière-fond, une certaine forme de plaisir. Bien sûr, il y a le
fait que c’est une région particulièrement érogène par là. Ça
compte. Ça ne peut pas ne pas compter. Mais il y a pas que ça.
C’est pas ça, l’essentiel. Non, c’est quelque chose de
beaucoup plus cérébral. En rapport étroit avec l’humiliation. Tu
es profondément honteuse de ce qui t’arrive, mais en même temps,
cette honte, elle a quelque chose d’incroyablement fascinant. Et de
très agréable. Plus elle est forte, plus tu te sens délicieusement
troublée. Plus tu te sens troublée et plus tu as honte de l’être.
En spirale. À l’infini. Et tu vois, le paradoxe, c’est que ce
plaisir, parce que tu en as honte justement, il participe à la
punition. Il te la fait appréhender un peu plus encore. Et il
contribue à t’inciter, au bout du compte, à rester dans les
clous.
Elle
a poussé un profond soupir.
– On
est compliqués, nous, les humains, hein, finalement !
Il
y a eu un long silence. Un très long silence.
– Je
t’ai choquée ?
– Oh,
non, non, pas du tout…
– Mais
ça te fait te poser tout un tas de questions.
– Un
peu, oui.
28-
Océane
avait quelque chose à m’annoncer.
– Tu
sais pas l’idée qu’ils ont eue ?
– Non ?
Quoi ?
– Ils
veulent qu’on aille au restaurant tous ensemble. Tous les huit.
– Oh
ben, pourquoi pas ?
– Tous
ensemble, oui, mais à quatre tables différentes. Et éloignées les
unes des autres. Ils veulent que chacune d’entre nous fasse plus
ample connaissance avec celui qui est appelé à devenir son fesseur
attitré.
– Ah !
Ce qui veut dire…
– Que
tu vas déjeuner en tête-à-tête avec Étienne. Et moi avec ton
mari. Pareil pour les deux autres. Clément avec Émilie. Et mon
Valentin avec Bérengère.
Me
défiler ? J’y ai songé. Mais il n’en était, à la
réflexion, absolument pas question. Ç’aurait été faire preuve
de faiblesse et lui donner un peu plus encore barre sur moi à
Étienne. Alors non ! Non. J’allais l’affronter.
Et
j’ai pris sur moi-même pour, d’emblée, dès qu’on a été
assis l’un en face de l’autre, m’efforcer de mettre les choses
au clair.
– Il
faut que je vous dise tout de suite, pour qu’il n’y ait pas de
malentendu entre nous : vous n’aurez pas l’occasion de…
Ils
me fouillaient ses yeux. Ils me transperçaient. Ils attendaient. Et
je me suis littéralement liquéfiée. J’ai perdu complètement
contenance.
– De…
Il ne faut pas… N’allez pas imaginer…
Il
m’a laissée m’enfoncer, imperturbable. Balbutier. Bafouiller
lamentablement.
Et
il a repris la main.
– Je
n’aurai pas l’occasion de quoi ?
– Ben,
de…
– Vous
flanquer une bonne fessée ? Bien sûr que si !
J’ai
perdu pied.
– Non !
Non ! Je vous assure. Je ne jouerai plus. À quoi que ce soit.
J’en suis absolument certaine.
– Ce
qui prouve, s’il en était besoin, qu’une sévère correction
débouche, dans l’immense majorité des cas, sur des résultats
extrêmement satisfaisants. Non ?
Je
me suis agitée sur ma chaise.
– Non ?
– Si !
Du
bout des lèvres.
– Bon !
Mais que vous soyez désormais guérie de ce vice, j’en suis ravi
pour vous. Seulement, il y a tout le reste.
Le
reste ? Quel reste ? Qu’est-ce qu’il voulait dire ?
J’ai
désespérément cherché un hypothétique secours autour de moi.
Là-bas, Julien était en conversation animée avec Océane. De
l’autre côté, une Bérengère que Valentin semblait en train de
sermonner, pleurait à petits coups, le nez dans son mouchoir. Quant
à Clément et Émilie, ils étaient trop loin et masqués.
– Vous
m’écoutez ?
– Pardon !
Oui.
– Parce
que le vice du jeu, c’est une chose répréhensible, certes, mais
il y a plus grave. Beaucoup plus grave. Vous voyez de quoi je veux
parler, j’imagine ?
Non.
Pas du tout. Et en même temps, si ! Je sentais qu’il y avait
en moi quelque chose de terrifiant, dont j’avais toujours plus ou
moins soupçonné la présence, dont je ne pouvais qu’avoir
immensément honte, dont je devais me sentir profondément coupable,
mais sur quoi j’étais totalement incapable de mettre un nom.
Quelque chose qui sommeillait au plus profond de moi depuis toujours.
Quelque chose que lui avait vu. Débusqué. C’était quoi ? Je
tremblais de peur à l’idée de le savoir. J’ai pourtant levé
sur lui un regard interrogateur.
Il
a souri.
– C’est
à vous de le découvrir. Et de me demander, le moment venu, de vous
punir pour ça.
29-
Julien
s’est installé au volant. A démarré.
– Alors ?
– Alors,
quoi ?
– Cette
soirée avec Étienne. T’en as retiré quoi ?
– Je
sais pas. C’était bizarre. Il m’a complètement déstabilisée
en fait.
– Ce
qui n’est pas forcément un mal.
– Je
me demande. Parce que chercher quelque chose quand tu sais pas ce que
tu cherches au juste…
– Ça
finira par affleurer, tu verras. Pour toi comme pour Océane. Qui est
tout près, mais vraiment tout près, de mettre le doigt dessus.
– Ah,
alors si je comprends bien…
– C’était
une action concertée, oui. On a décidé, tous les quatre, de vous
bousculer un peu. Parce que l’essentiel, c’est rarement ce qui
saute aux yeux.
– Et
c’est quoi alors, pour moi, selon toi, l’essentiel ?
– Je
n’en sais fichtre rien. C’est à toi de le découvrir.
– C’est
exactement ce que m’a dit Étienne tout à l’heure.
– Ah,
ben tu vois !
– Et
tu dis qu’Océane…
– A
fait un grand pas en avant, oui. Mais c’est à elle de t’en
parler. Si elle en a envie.
On
venait tout juste de se coucher quand la sonnette de la porte
d’entrée a retenti.
– À
cette heure-ci ? Qui ça peut être ?
C’était
Océane.
– Qu’est-ce
qui t’arrive ?
– Rien.
Enfin, si ! Je… Je pourrais pas dormir ici ?
– Tu
t’es disputée avec Valentin, je parie…
– Oh,
non ! Non ! Seulement on avait pris chacun notre voiture.
Elle est en bas, la mienne et…
Julien
a constaté.
– Tu
pues l’alcool à plein nez.
– Oh,
mais je suis pas saoule, hein ! Seulement c’est plus prudent
que je la prenne pas. Je dois être limite. Et si je tombe sur les
flics…
– Limite ?
Plus que limite tu veux dire, oui ! Bon, mais on réglera ça !
Comme convenu. Dès que possible… Le temps de prévenir et de
réunir tout le monde.
– C’est
pas de ma faute !
– Ben,
voyons !
– Si,
c’est vrai, hein ! C’est à cause de tout ce qu’on a parlé
tout à l’heure, à table. Comment ça m’a remuée ! J’avais
besoin d’y réfléchir avant de rentrer, du coup…
– On
peut réfléchir sans boire…
– Je
sais bien, oui ! Seulement…
– Bon,
mais on verra tout ça demain ! Il est tard. Alors, pour le
moment, dodo !
Dans
la chambre d’amis, de l’autre côté de la cloison, elle a
reniflé, s’est bruyamment mouchée.
– Elle
pleure, non ?
– On
dirait, oui.
J’ai
tendu la main vers lui.
– Comment
c’est trop bien, nous deux, hein, Julien ! On se le dit pas
assez souvent, moi, j’trouve !
Je
lui ai doucement caressé le ventre. Je suis descendue. J’ai pris
sa queue dans ma main. Elle s’est aussitôt dressée. Il s’est
tourné vers moi, l’a calée contre ma cuisse. Il m’a suçoté
les seins, pétri les fesses. Je me suis ouverte, tendue vers lui.
– Viens,
Julien ! Viens ! J’ai trop envie.
Et
ça a été un plaisir intense. Majeur. Que j’ai sangloté à
pleins poumons. Qui s’est indéfiniment prolongé.
Je
me suis réfugiée contre lui.
– Elle
a entendu, tu crois ?
– Ah,
ça, pour pas entendre ! Vu comment tu t’es lâchée…
30-
Je
suis allée la secouer.
– Océane !
Elle
a grogné.
– Oui.
Quoi ?
– Il
est neuf heures. Et tu bosses aujourd’hui, non ?
– J’irai
pas. J’ai pas envie. J’appellerai.
Elle
s’est redressée, a bâillé à se décrocher la mâchoire.
– Je
suis pas en état de toute façon. Non, mais comment j’ai la tête
dans le cul !
Et
elle a brusquement proclamé, d’un ton péremptoire.
– Mais
j’étais pas saoule hier soir, hein, faut pas croire !
– Saoule,
non ! Mais bien entamée, oui. Ce qui revient finalement au
même. Tu vas y avoir droit, ce qu’il y a de sûr. Et Julien ne va
pas te ménager.
– Je
sais, oui !
– Ce
que je comprends pas… T’aurais pu y échapper. Tu serais allée à
l’hôtel, t’aurais tranquillement cuvé et on n’y aurait vu que
du feu. Mais non ! Il a fallu que tu viennes te jeter en direct
dans la gueule du loup.
– Me
défiler ? Pour traîner ma culpabilité pendant des semaines et
des semaines ? Ah, non, non ! C’est moi qui ai demandé,
et ce sans la moindre ambiguïté, à être punie, dans mon propre
intérêt, chaque fois que je repiquerais à l’alcool. C’est la
seule chose qui soit réellement efficace avec moi. Une bonne fessée.
Pas le moindre doute là-dessus. Alors si je veux arriver à finir
par complètement en sortir…
Elle
s’est perdue quelques instants dans ses pensées.
– Non.
Et puis il y a pas que ça. Il y a pas que pour avoir bu qu’il va
me punir, ce coup-ci, Julien. Il y a autre chose. De beaucoup plus
grave. Sur quoi il m’a fait mettre le doigt. Il est redoutable, ton
mari, quand il veut. Il sait appuyer là où ça fait mal. Et il te
lâche pas. Jusqu’à ce que t’aies le nez dessus. Et dedans.
Alors personne le saura, personne s’en doutera, peut-être même
pas lui, mais, dans ma tête à moi, c’est pour quelque chose de
complètement différent que je vais la recevoir, la fessée.
– Je
voudrais pas être indiscrète, mais si ça peut te faire du bien
d’en parler…
– Ce
qui me sidère, ce qui me sidère complètement, c’est qu’on peut
faire des trucs, systématiquement, obstinément, pendant des années
et des années, sans même s’apercevoir qu’on les fait.
– Quels
trucs ?
– Je
supporte pas que les autres soient en couple en fait. Dès que j’en
ai un dans les parages, je fais tout pour le détruire.
Systématiquement. Je me rendais pas compte, mais si, oui. Maintenant
que j’ai le nez dessus, c’est une évidence. Et je peux être
très très retorse si je veux. C’est à la nana que je m’en
prends. Jamais au mec. Ça me sauterait trop aux yeux sinon ce que je
suis en train de faire. J’aurais trop ouvertement l’air de la
petite salope briseuse de ménages. Alors non. Je fais amie-amie avec
la femme. J’entre en confidences. Réelles ou inventées. Je la
pousse à s’épancher à son tour. À me parler de son compagnon.
Et je cherche la faille. Il y en a toujours une. Un défaut, une
manie chez lui qui la hérisse. Je monte ça en épingle. J’en
rajoute une couche. J’en débusque d’autres, des défauts. De
toute sorte. Elle le défend. Mollement. Avec moins en moins de
conviction. Peu à peu, au fil de nos échanges, il lui apparaît
sous un jour radicalement différent, fort peu séduisant. Et elle
s’interroge. Non, mais comment est-ce qu’elle a pu aller
s’enticher d’un type pareil ? Qu’est-ce qu’elle a bien
pu lui trouver ? Comment elle arrive à le supporter ? Plus
rien de ce qu’il dit, plus rien de ce qu’il fait ne trouve grâce
à ses yeux. La séparation est toute proche. Ce n’est plus qu’une
question de semaines, voire de jours.
– Mais
à toi, ça t’apporte quoi, ça, à toi ?
– Je
me le suis aussi demandé. Toute la soirée d’hier. Et j’ai fini
par trouver. C’est qu’un type avec une nana, il est pas
disponible pour moi. Et ça, je supporte pas. Ce que je voudrais, au
fond, c’est qu’ils soient tous célibataires, sans attaches, que
je puisse puiser à ma guise dans le tas, si j’ai envie.
– Eh,
ben dis donc !
– Je
sais oui, c’est pas très joli, tout ça ! Et j’ai honte
maintenant que je sais, que j’ai réalisé. Tu peux pas savoir
comment j’ai honte…
31-
C’est
moi qui me suis chargée de contacter tout le monde.
Et
de prévenir Océane.
– C’est
pour ce soir…
– Déjà !
Mais que c’est que ça m’arrange pas, moi, ce soir !
– Parce
que ?
Il
y a eu un long silence.
– Allô…
T’es toujours là ?
Elle
était là, oui. Et elle a soupiré.
– Ça
sert à rien de reculer n’importe comment. Vu que de toute façon
faudra que j’y passe…
– Effectivement.
Alors le plus tôt sera le mieux.
Julien
a voulu que ce soit elle, Océane, qui dispose les chaises.
– De
façon à ce que tout le monde puisse en voir le plus possible. Et
dans les meilleures conditions.
On
s’est assis.
Étienne
à ma droite. Qui a voulu savoir si j’avais réfléchi.
– Un
peu, oui, mais je n’ai rien trouvé.
Il
a souri d’un air entendu.
– Ça
viendra.
Et
Valentin à ma gauche.
– Je
devrais avoir le droit de filmer, moi, j’trouve ! Vu que c’est
ma femme qui y attrape. Je pourrais lui repasser la séance comme
ça. Peut-être que ça l’aiderait à arrêter de boire. Sûrement
même ! C’est une idée, ça ! Faudra que je leur en
parle aux autres quand on se verra uniquement entre nous.
Julien
s’est installé. Face à nous. Et le silence s’est fait.
Un
signe de lui. Et Océane s’est approchée.
– Plus
près ! Encore ! Allez, encore !
Elle
a obéi. Il lui a saisi les poignets. Les lui a emprisonnés.
– Tu
as recommencé. Regarde-moi ! Tu as recommencé.
– Oui.
La
tête basse.
– Tu
n’as pas quelque chose à demander, du coup ?
– Si !
Qu’on me punisse ! Je l’ai mérité. Que ça me serve de
leçon…
Il
a passé les mains sous sa jupe. Des deux côtés. Il a descendu la
culotte. Qui lui est tombée sur les chevilles.
– Retire-la !
Complètement. Que tu puisses gigoter tout à ton aise.
Elle
l’a fait. Un pied après l’autre.
– Allez !
Il
l’a saisie par la taille, fait basculer en travers de ses genoux.
Elle s’y est docilement laissé allonger, caler.
Il
lui a relevé la jupe au-dessus de la taille. Les fesses à
découvert. Il en a pris possession, d’une main distraite.
– Prête ?
Il
n’a pas attendu la réponse. Il a tapé. Une grêle de claques.
Vigoureusement assénées. À un rythme soutenu.
– Je
peux te dire que celle-là, tu vas t’en souvenir et qu’elle va te
faire passer à tout jamais l’envie de boire quoi que ce soit.
Il
n’y avait pas que ça. Il y avait aussi ce qu’elle et moi on
était les seules à savoir. C’était pour ça aussi qu’elle
était punie. C’était pour ça surtout que ses fesses étaient en
train de virer au rouge incandescent. Que ses jambes étaient en
train de battre désespérément l’air. Qu’elle gémissait comme
une perdue.
Est-ce
qu’elle avait également envisagé de me séparer de Julien ?
Oui. Évidemment. Comme elle l’avait fait pour toutes les autres.
Sale petite garce ! Qu’il tape ! Plus fort !
Encore ! Encore ! Là… Comme ça, oui.
Elle
a crié.
Et
ça a été tout mouillé entre mes cuisses.
32-
Ça
l’avait excité, Julien, de fesser Océane. Est-ce qu’il pouvait
en être autrement ? Bien sûr que non ! Je n’étais pas
complètement idiote. Aussi n’ai-je pas été surprise qu’il
n’ait rien eu de plus pressé, une fois tout le monde parti, que de
m’attirer contre lui, son désir déployé contre ma cuisse. De
m’entraîner dans la chambre, de me pousser vers le lit et de me
faire fougueusement l’amour. J’ai joui, heureuse, dans ses bras.
Il était à moi. À moi ! Et à personne d’autre. Elle était
à moi, sa queue. C’était en moi qu’elle se déversait. C’était
en moi que cheminait sa semence.
Je
n’ai pas réussi à m’endormir. Il était à moi, oui, mais
Océane, de son propre aveu, s’ingéniait à briser les couples,
s’y employait avec délectation. Alors est-ce qu’on y avait eu
droit, nous aussi ? Est-ce qu’elle s’était efforcée de
nous séparer, Julien et moi ? Si j’y réfléchissais
tranquillement maintenant, à tête reposée ? Il m’est peu à
peu revenu des conversations qu’on avait eues, des propos qu’elle
avait tenus. Et oui. Oui. Pas le moindre doute possible. Oui. Et moi
qui lui faisais confiance ! Quelle petite saloperie ! Ah,
elle l’avait méritée, sa fessée, ah, oui, alors ! Et je me
la suis repassée, bien en détail, avec délectation. Comment ils
s’imprimaient bien en profondeur sur son derrière les doigts de
Julien. Comment elle le trémoussait en cadence son petit croupion.
Et ce rouge ardent dont il se colorait délicieusement ! C’était
du plus bel effet vraiment ! Je me suis complaisamment attardée
sur ces images. Je les ai fait revenir inlassablement. Encore et
encore. Voluptueusement. Tant et si bien que c’est redevenu
lancinant entre mes cuisses. Que je n’ai pas pu me retenir. Que j’y
ai laissé s’aventurer un doigt. Qui y a clapoté. Qui a voulu
s’aventurer plus loin. Qui s’est fait exigeant. Au risque de
réveiller Julien.
Je
me suis levée sans bruit. Je me suis rendue, à pas de loup, jusqu’à
la salle de bains, assise, dans l’obscurité, sur le rebord de la
baignoire. Et j’ai reconvoqué Océane. Je lui ai remis les fesses
à l’air. Il les a à nouveau claquées, Julien. Avec conviction.
Oui ! Qu’il tape ! Encore ! Plus fort ! Elle
méritait. Comment elle méritait ! Vouloir nous séparer, lui
et moi ! Non, mais quelle infâme petite ordure elle faisait !
Les claques s’abattaient. Avec force. Quel plaisir j’ai pris à
voir rougir son cul. Qui s’agitait. Qui ondulait. Qui se
tortillait. Qui ne laissait rien ignorer de ses secrets les plus
intimes. Quel spectacle réjouissant c’était que de les voir ainsi
exposés à la vue de tous. Comment elle devait avoir honte !
« T’arrête pas, Julien, hein, surtout ! Tape ! Le
plus fort que tu peux. Tape ! Fais-la brailler ! Fais-la
hurler ! Fais-la supplier ! » Lui, il ne demandait
pas mieux. Au contraire. Et il a donné sa pleine mesure. Et elle
s’est égosillée. Elle a bramé. Elle a meuglé. Elle a rugi. Moi
aussi. J’ai feulé mon plaisir. À pleine gorge. Je l’ai déferlé
sans la moindre retenue.
Je
me suis immobilisée. J’ai retenu mon souffle. J’ai écouté.
Aucun bruit en provenance de la chambre. De toute façon, Julien,
lui, quand il dormait, la maison aurait bien pu s’effondrer que ça
ne l’aurait pas réveillé.
Je
suis restée assise sur le rebord de la baignoire. Maintenant que les
ondes de mon plaisir s’étaient estompées, que j’avais recouvré
mes esprits, je ne pouvais me défendre d’un certain sentiment de
malaise. J’avais éprouvé une satisfaction intense à voir Julien
fesser Océane. Et pire encore, je m’étais donné du plaisir en
évoquant la scène. En la revivant. Ce n’était pas moi, ça. Ça
ne me ressemblait pas. Et pourtant…
J’ai
tenté de me rassurer. C’était parce qu’Océane avait envisagé
de me séparer de Julien, tout ça. C’était humain comme réaction.
Jamais par ailleurs… Jamais, lors des fessées qu’avaient reçues
Émilie ou Bérengère, je n’avais éprouvé quoi que ce soit de
cette nature. Jamais ? Une petite voix en moi, lancinante, n’en
était pas si sûre, prétendait qu’il ne s’en était fallu d’un
rien et que sûrement la prochaine fois, maintenant qu’un verrou
avait sauté…
J’ai
haussé furieusement les épaules. Oh, et puis zut ! Zut !
Et
je suis retournée me coucher.
33-
Dans
un demi-sommeil, j’ai vaguement perçu qu’il faisait jour, que
Julien se levait sans bruit, qu’il se douchait, qu’il venait me
déposer un rapide baiser sur les lèvres.
‒ À
ce soir, amour !
J’étais
bien. J’ai longuement somnolé. Des images me sont venues.
Revenues. Les mêmes que la veille au soir. Océane. Océane, le cul
à l’air, se faisant copieusement fesser par Julien. Océane criant
sous les claquées. Océane se tortillant de douleur et ne laissant
rien ignorer de la façon dont elle était faite. Je les ai
longuement caressées, ces images. Je m’en suis délectée. Je m’en
suis repue.
Et
puis, c’est Bérengère qui a voulu venir prendre sa place. Je l’ai
repoussée avec agacement. Qu’est-ce qu’elle venait fiche là,
elle ? Que j’aie du plaisir à évoquer la fessée d’Océane,
oui, rien de plus légitime. Elle avait tenté de me séparer de
Julien. Mais Bérengère ! Elle ne m’avait rien fait,
Bérengère. Et pourtant ! Ça
a insisté. Ça a
absolument venu s’imposer. Mes doigts se sont égarés à la
recherche de moi-même. Je me suis secouée.
‒ Tu
es folle, ma pauvre fille ! Tu es complètement folle !
Je
me suis levée. Je me suis activée. La lessive. Le ménage. Mais
c’est resté là toute la matinée en arrière-fond. Une
interrogation. Une inquiétude. Est-ce que j’étais détraquée ?
Ou pire, perverse ?
C’est
en tout début d’après-midi que je me suis décidée à aller voir
Émilie. C’était la
seule à qui je pouvais parler de tout ça à cœur
ouvert. Océane ? Il n’en était évidemment pas question.
Quant à Bérengère, c’était Bérengère. Et mes états d’âme
risquaient de lui passer à cent mille lieues au-dessus de la tête.
Émilie
m’a écoutée avec beaucoup d’attention. A souri.
‒ Tu
crois que j’ai fait quoi, moi, hier soir, juste après ? Eh
bien, je suis allée voir mon copain Alex. Qu’est super. Qui pose
pas de questions. Et qui me dépanne quand j’ai impérieusement
besoin d’un mâle. C’est normal que ça excite d’assister à
une fessée, attends ! Moi, en tout cas, ça me le fait à
chaque fois. Mais c’est pas pour autant que j’ai recours à Alex
à chaque fois, hein ! Ça
dépend. De plein de trucs. Et toute seule, comme t’as fait, toi,
là, c’est pas mal non plus.
‒ Mais
je croyais que… Tu
m’avais dit…
‒ Que
c’était la recevoir qui m’excitait. Aussi, oui. C’est pas
incompatible. Ça
t’étonne ?
‒ Oui.
Non. Je sais pas. Je suis un peu paumée.
‒ C’est
les deux côtés de la même médaille en fait. Et maintenant que tu
as goûté à celui-là, il y a toutes les chances que tu sois tentée
par l’autre.
‒ Tu
veux dire que ça va me
plaire
d’en recevoir ?
‒ En
quelque sorte, oui.
J’ai
fait la moue.
‒ Je
me vois vraiment pas dans le rôle.
‒ C’est
sans certitude absolue non plus, mais suppose que tu doives en
recevoir une demain…
Comme ça t’a remuée d’assister à celle d’Océane hier et,
rétrospectivement, à celle de Bérengère, l’autre jour,
qu’est-ce que tu vas te dire ? Ben, que peut-être bien que
les autres, elles vont ressentir la même chose que toi. Probable,
même. Qu’elles vont prendre un certain plaisir à te voir en
ramasser une. Moi, ce sera le cas, ce qu’il y a de sûr. Et
ça va déclencher quoi, chez toi, de savoir
ça ? Tu vas avoir honte. Encore plus honte que les autres fois,
oui.
Mais, en même temps, l’idée
que, grâce à toi, elles
éprouvent une certaine jouissance, est-ce que ça va te laisser
indifférente ? Est-ce que ça ne va pas provoquer chez toi, en
retour…
‒ Oui.
Je comprends. Ça se tient ce que tu dis là. Ça
se tient.
‒ Après,
tu verras par toi-même.
Parce que les expériences
des unes ne coïncident
pas forcément exactement
avec les
expériences des autres.
‒ Oui,
mais alors si ça devient aussi jouissif
que ça d’en recevoir…
‒ Ça
ne sera plus dissuasif ?
On va délibérément chercher à en mériter ? Oui, eh
bien alors là,
détrompe-toi ! Pas du tout ! Au contraire. Parce que la
honte qui va avec ces sensations-là, aussi
agréables soient-elles, elle
est d’une telle intensité, elle
est si bousculante que
t’as pas la moindre
envie d’aller volontairement la chercher.
34-
‒ On
déjeune ensemble ?
Oh,
elle demandait pas mieux, Océane. Elle demandait pas mieux. Au
contraire.
Et,
à midi, je suis passée la chercher au
magasin.
L’arrière-salle
du petit restaurant derrière la mairie. On s’est attablées. On a
commandé. Et elle a froncé les sourcils.
‒ Qu’est-ce
t’as ? Tu
fais la gueule ?
‒ Il
y a de quoi, non ?
Elle
m’a jeté un regard interrogateur.
‒ De
quoi ! Je vois pas. Explique-toi !
‒ Tu
vois pas ! T’as pas essayé de me séparer de Julien
peut-être ?
‒ Mais
non !
‒ Arrête !
Je t’en prie, arrête ! Tu me l’as pas débiné tant que tu
pouvais. Qu’il était
prétentieux. Qu’il était pas fiable. Que sûrement c’était
quelqu’un qui faisait ses petits coups en douce. J’en passe et
des meilleures.
‒ Je
t’ai expliqué. C’est avec tout le monde que je suis comme ça.
Je vous ai pas particulièrement visés, Julien et toi.
‒ Ce
qui change pas
grand-chose au problème.
‒ Ça
arrivera plus. Maintenant que j’en ai pris conscience. Et
que c’est pour ça,
entre autres, que j’ai été punie l’autre jour.
‒ Ce
qui t’empêchera sûrement
pas de recommencer.
‒ Je
te jure que non.
‒ N’empêche
que ça me reste en travers de la gorge. Et que ça pourra plus
jamais être comme avant
maintenant, toutes les
deux.
‒ Tu
m’en veux tant que ça ?
‒ Franchement,
oui.
‒ Mais
c’est pas possible, enfin !
On est amies. Je veux
qu’on le reste. Absolument.
J’en ai besoin, moi.
Qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce que tu veux que je
fasse ? Dis-moi !
Tu veux me punir ?
De ta main ? Fais-le !
‒ Ça
me défoulerait à défaut d’autre chose.
‒ Eh
bien, allez alors ! Allez ! Je pose mon après-midi.
Et
on s’est retrouvées toutes les deux chez moi.
‒ Déshabille-toi !
Elle
l’a fait. Sans un mot. Complètement. Entièrement. Et elle est
restée là, nue, tête basse, à attendre.
‒ Tu
n’as rien à me dire ?
‒ Si !
C’est moche ce que je t’ai fait. Très moche. Je regrette. Je te
demande pardon.
Je
l’ai saisie par la nuque, entraînée jusqu’au canapé, fait
s’agenouiller, se pencher en avant.
Les
marques de la fessée que Julien lui avait donnée étaient encore
bien présentes. En pourpre. En rouge grenat. Et en jaunâtre par
endroits. Ou en bleuâtre.
Je
les ai longuement contemplées. Avec un intense sentiment de
satisfaction dont je ne me suis pas défendue. Que j’ai, au
contraire, accueilli sans en éprouver, cette fois, la moindre
culpabilité.
J’ai
passé mon doigt sur toute la surface de son derrière meurtri. Je
l’y ai enfoncé par endroits.
‒ Ça
fait mal ?
Elle
gémissait.
‒ Oui.
‒ Et
là ?
‒ Aïe !
Aussi. Pire.
Je
lui ai susurré à l’oreille.
‒ C’était
rien, ça. Rien du tout. C’est à la ceinture, maintenant, que je
vais te le faire. Une ceinture de Julien. Comme il se doit.
Elle
a frémi. Elle s’est crispée. Et elle a murmuré.
‒ Fais
ce que tu veux ! J’ai mérité que tu me punisses.
35-
C’est
la dernière personne à laquelle j’aurais imaginé avoir un jour
recours. C’est pourtant lui que j’ai appelé. Étienne. Aussitôt
Océane partie. Parce que j’avais éprouvé un tel plaisir à la
cingler que j’en étais absolument terrifiée.
Il
m’a écoutée lui exposer tant bien que mal la situation au
téléphone. Sans jamais m’interrompre.
Il
s’est contenté, quand j’ai eu terminé, d’un « Venez !
Je vous attends ! » péremptoire.
Et
j’ai pris la route, regrettant déjà mon initiative. « T’as
de ces idées, ma pauvre fille ! Tu vas en prendre plein la
gueule pour pas un rond. Et, si ça tombe, déclencher des
catastrophes en série dont tu n’as pas la moindre idée. T’aurais
bien mieux fait de te tenir tranquille. » Mais il était trop
tard pour reculer.
Il
m’a avancé un fauteuil.
‒ Asseyez-vous !
A
pris place en face de moi, m’a fixée un interminable moment sans
rien dire. J’ai croisé, décroisé, recroisé les jambes,
encombrée de moi-même. J’ai fini par me résoudre à prendre la
parole.
‒ Si
je suis venue…
Il
m’a sèchement coupée.
‒ C’est
que vous avez pris un pied pas possible à fouetter Océane. Et que
ça vous a complètement déstabilisée. J’ai bien compris, oui. De
quel droit ?
Je
me suis troublée.
‒ C’est
parce que… La façon dont elle s’est comportée… Par rapport à
Julien… Elle a cherché à nous séparer.
‒ Et
alors ! C’est pas une raison.
J’ai
bafouillé.
‒ Je
l’ai pas forcée non plus. Elle était d’accord. C’est même
elle qu’a demandé. Pour que je lui pardonne. Pour que ça
redevienne comme avant toutes les deux.
‒ En
somme, ce qu’il s’est passé, c’est que vous avez fait votre
petite soupe, toutes les deux, sans en parler à personne. Derrière
notre dos à tous. C’est bien ça ?
‒ Non.
Enfin, si ! Oui, mais…
‒ Vous
avez joué avec le feu, Lucile. Ce n’était absolument pas à vous
de punir Océane. Il fallait nous en parler à nous. Nous aurions
avisé et pris, le cas échéant, la décision qui convenait. Vous ne
pouvez pas être à la fois juge et partie.
‒ Je
croyais… J’ai cru…
‒ Eh
bien, vous avez eu tort. Vous n’aviez pas, vous n’avez pas à
punir qui que ce soit. Ou pas encore. Cela viendra peut-être. En son
temps. Mais, pour l’heure, c’est à tout le moins prématuré.
Alors pas étonnant que vous vous sentiez aussi désorientée, aussi
perturbée. Vous avez cru bon d’endosser un rôle qui ne pouvait
pas, qui n’avait pas à être le vôtre. Et vous avez mérité
d’être punie pour ça. Non ?
Hein ?
Je croyais pas, non. Peut-être. Je savais pas en fait.
‒ Bien
sûr que si que vous savez. C’est même pour ça que vous êtes
venue me trouver. Pour que je vous punisse d’avoir pris cette
initiative malheureuse. Et d’en avoir éprouvé une satisfaction
intense. Parce que vous êtes parfaitement convaincue, tout au fond
de vous-même, qu’il n’y a guère qu’une bonne fessée qui
puisse vous débarrasser, au moins partiellement, du sentiment de
culpabilité qui vous a investie depuis. Et qui vous ronge. Je me
trompe ?
Non.
Non, il ne se trompait pas. Ça m’est brusquement apparu comme une
évidence absolue. J’en avais besoin de cette fessée. Un besoin
impérieux. Pour me retrouver en accord avec moi-même. Pour arriver
à me pardonner. Oui, il me la fallait. De toute urgence.
Je
me suis levée. Je me suis approchée de lui.
‒ Punissez-moi !
Il
m’a fait relever.
‒ Vous
le serez. Promis ! Bientôt. Très bientôt. Mais pas ici. Pas
maintenant. Là-bas. Chez vous. Devant tout le monde.
36-
‒ Tout
le monde est là ?
Tout
le monde était là, oui. Dans la salle de séjour.
‒ Alors
on va pouvoir commencer…
Et
Julien m’a prise par le bras. Fermement. Entraînée dans notre
chambre.
‒ Mais
qu’est-ce qu’il t’a pris ? Qu’est-ce qu’il t’est
passé par la tête de faire une chose pareille ?
‒ Elle
a voulu nous séparer, Julien. Si, c’est vrai, tu sais, hein !
‒ Tu
te le seras imaginé.
‒ Non.
Non. Je t’assure. Quand j’y repense, il y a des tas de trucs qui
me reviennent. Des trucs qu’elle a dits. Qu’elle a faits.
‒ C’est
possible ?
‒ Quoi
donc ?
‒ Qu’on
puisse arriver à nous séparer.
‒ Oh,
non, Julien, non !
‒ Bien
sûr que si ! Ça t’aurait pas fait aussi peur sinon. Et ce
que tu as voulu, en réalité, c’est punir Océane des doutes que
tu éprouves sur tes sentiments à mon égard. Tu t’es trompée de
personne, Lucile. C’est toi qu’en réalité tu avais l’intention
de punir. Bon, mais on va remettre les choses dans le bon sens.
Déshabille-toi !
‒ Julien…
‒ Oui ?
‒ J’ai
honte. De ce que j’ai fait à Océane. J’ai vraiment honte, tu
sais. Tellement.
Et
j’ai commencé à me déshabiller.
‒ J’ai
mérité. Je mérite.
Il
n’a rien dit. Il m’a regardée faire. Retirer un à un mes
vêtements. Les replier. Les poser soigneusement sur le lit.
Quand
j’ai été nue, il m’a reprise par le bras.
‒ Allez !
Ramenée
dans la salle de séjour.
Tous
les regards ont convergé vers nous.
Il
m’a conduite jusque devant Océane. M’a fait agenouiller devant
elle.
‒ Pardon,
Océane ! Je te demande pardon !
Et
il m’a confiée à Étienne qui, sans un mot, m’a courbée,
couchée en travers de ses genoux. Et qui a tapé. De grandes
claques. Puissantes. Sonores. Cuisantes.
J’ai
relevé la tête. Les yeux de Clément étaient intensément fixés
sur moi. Valentin, lui, arborait, en arrière-fond, un petit sourire
en demi-teinte. Émilie était impassible, mais terriblement
attentive. Bérengère aussi. Quant à Océane, elle était hors de
mon champ de vision. Sans doute derrière moi.
C’est
venu très vite sous les claquées. Une sorte de sentiment
d’apaisement. Qui a pris corps. Qui s’est progressivement
installé. Je payais. J’étais en train de payer. La chape de
culpabilité qui s’était abattue sur moi était en train de se
dissoudre. De s’évanouir. Plus les coups tombaient, plus ils
s’intensifiaient, plus ils se faisaient insupportables et plus,
paradoxalement, je me sentais légère. Un sentiment de sérénité
m’a envahie. Emplie toute. Très vite il s’est métamorphosé en
vagues de bien-être. Un bien-être que j’ai longuement savouré à
petites lampées gourmandes. J’étais punie pour ce que j’avais
fait. J’étais pardonnée. J’étais bien.
Étienne
continuait à me fesser. Inlassablement. Je n’avais plus qu’une
envie, c’est qu’il continue. Encore et encore. Que ça ne
s’arrête pas. Que ça ne s’arrête jamais. Et j’ai brusquement
pris conscience que ça allait venir. Que ça allait me déborder.
Que je ne pourrais rien empêcher. Que je n’aurais pas envie
d’empêcher quoi que ce soit. Et c’est monté. Et c’est venu.
Un orgasme de folie que j’ai accueilli avec un bonheur fou, que
j’ai clamé tant et plus sans la moindre pudeur. Sans la moindre
retenue. Les yeux dans leurs yeux à eux. Dans leurs yeux à tous.
Étienne
m’a aidée à me relever.
‒ Eh
ben, dis donc !
37-
Émilie
a éclaté de rire.
‒ T’as
de ces questions, toi !
‒ Te
moque pas ! Dis-moi !
‒ Non,
mais attends ! Tu jouis comme une petite folle. Tu brames à en
faire trembler les murs. Et tu me demandes si on s’est rendu
compte ? Mais faudrait être sourd. Et aveugle.
‒ On
aurait pu croire…
‒ Quoi ?
Que c’était des cris de douleur ? Mais bien sûr !
Prends-les bien pour des lapins de trois semaines ! Quand on
jouit, on jouit. Et ça ressemble à rien d’autre. Sans compter que
t’avais une façon de gigoter de la croupe qui ne laissait planer
absolument aucun doute.
‒ Ils
ont dû…
‒ Ah,
ben ça ! Tu penses bien que tout le monde s’est régalé.
Surtout les mecs. Les mecs, ce sera toujours des mecs.
‒ Ils
te l’ont dit ?
‒ Pas
directement, non. Évidemment. Mais j’ai eu des échos par
Bérengère et Océane.
‒ Et
Étienne ? Il a réagi comment ?
‒ Il
m’a rien dit. Et il me dira rien. Lui, de toute façon, pour savoir
ce qu’il pense. Mais il donnait pas vraiment l’impression de
s’ennuyer. D’autant qu’il était à la manœuvre.
‒ Quand
j’y pense… Non, mais j’ai honte. Comment j’ai honte !
‒ Et
t’adores ça.
‒ Hein ?
Oh, non, Émilie, non !
‒ Tu
peux le dire, tu sais ! Ça me choque pas.
‒ Oui,
mais quand même, non !
‒ T’en
es si sûre que ça ?
‒ Oui.
‒ C’est
un oui qui manque sacrément de conviction…
‒ Je
t’assure…
‒ Dis-moi,
Lucile, qu’est-ce que tu vas faire aujourd’hui ?
‒ Aujourd’hui ?
Je sais pas.
‒ Moi,
si ! Tu vas aller trouver, tour à tour, Océane et Bérengère.
Pour leur reposer exactement la même question que celle que tu viens
de me poser. Pour avoir un autre son de cloche ? Non. Tu la
connais la réponse. Tu sais très exactement ce qu’il en est. Non.
Pour la réactiver ta honte. Et pour avoir honte d’aimer avoir
honte.
‒ Tu…
‒ Ça
te déstabilise complètement. C’est normal. C’est tout nouveau.
C’est quelque chose que tu n’avais encore jamais éprouvé. Qui
est forcément un peu effrayant au début, mais quand tu te seras
habituée, quand tu auras accepté que ce soit en toi, tout
t’apparaîtra d’une façon complètement différente, tu verras.
‒ Tu
crois ?
‒ Non.
Je suis sûre. Ferme les yeux !
‒ Pourquoi ?
‒ Allez,
ferme les yeux, j’te dis ! Et imagine ! Il y a un café,
à côté de la fac, où j’ai mes habitudes. Où il n’y a que des
étudiants. Ou pratiquement. Je t’y emmène. On est une dizaine,
là, à la même table. Je te présente. « C’est Lucile. Une
amie. Elle vient de se prendre une de ces fessées ! »
Tous les regards convergent vers toi. Il y a des sourires. Ironiques.
Des rires. Des filles chuchotent aux oreilles les unes des autres.
J’enfonce le clou. « Non, parce que j’aime pas qu’on me
prenne pour une imbécile. » Tu es morte de honte, toi, la
femme mûre, devant tous ces petits jeunes qui ricanent. Qui se
moquent. Et qui salivent. « On pourrait pas voir le
résultat ? » Imagine ! Tu ressentirais quoi ?
‒ Je…
‒ Oui ?
‒ C’est
horrible. Effrayant.
‒ Et
tellement jouissif. Non ?
‒ Si !
‒ Alors
imagine le jour où ce sera pour de bon !
38-
‒ On
pourra plus, Julien.
‒ On
pourra plus quoi ?
‒ Ben,
t’as bien vu ce qu’elle m’a fait la fessée, l’autre jour.
Dans quel état ça m’a mise.
‒ Ah,
ça pour voir, j’ai vu, oui. Et je suis pas le seul.
‒ Alors
du coup…
‒ Du
coup ça risque de plus être aussi efficace que ça l’a été. De
plus l’être du tout.
Julien
voulait qu’on parle.
‒ Parce
que ça change singulièrement la donne, tout ça, non ?
Je
croyais pas, moi. Non. Pas vraiment.
‒ Ah,
tu trouves, toi ? Tu penses vraiment, maintenant que les fessées
te font monter au septième ciel, tu penses vraiment que c’est
elles qui vont te dissuader de dépenser tout ce qu’on a au jeu ?
‒ C’est
arrivé qu’une fois. Ça se reproduira peut-être plus.
‒ Ben,
voyons ! T’es sérieuse, là ?
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