dimanche 29 décembre 2013

Retrouvailles3: Laure


– Laure ? C’est Julien…
– Julien ?! Tu viens ? Tu arrives ?
– Oui… Je suis à… quoi ? Deux heures de chez toi… À tout casser…
– Que je suis contente ! Mais je bosse… T’auras qu’à prendre la clef chez la voisine – elle sera prévenue – et tu t’installes… Tu fais comme chez toi…

– Oh, là ! Mais j’ai plus qu’à me mettre les pieds sous la table, moi ! Invitée dans ma propre maison… C’est super ! Mais tu sors tout ça d’où ?
– Disons que j’avais un peu prévu mon coup… 
– Un peu ! T’as fait les choses en grand, oui ! Avec nappe blanche, chandelles et tutti quanti… Et tu nous as mitonné quoi sans indiscrétion ?
– Tatin de foie gras… Ris de veau… Magret de canard…
– Rien que ça !
– Quand on a à faire à une fine gueule comme toi…
– Je peux être chiante ? Mais vraiment très très chiante ?
– Dis toujours !
– Il y a quelque chose dont j’ai très très envie avant de passer à table…
– Et c’est ?
– Comme si tu le savais pas… Viens !

– Quand t’en es, toi, t’en es ! On peut pas dire…
– Depuis le temps que j’en rêvais aussi !
– Me dis pas qu’il y a rien eu depuis l’Ascension chez Aline ! Que t’as fait la nonne…
– Si ! Enfin non… Si ! Non… Ça dépend ce que t’entends par là…
– Ça a l’air compliqué…
– Ça l’est… Je suis compliquée… Très… Quoique… Peut-être pas tant que ça finalement ! Non, c’est même très simple tout compte fait… Je suis amoureuse de toi… Je suis amoureuse de David… Et, différemment, d’Emilie et d’Aline… Je suis amoureuse de vous quatre… Je l’ai pas toujours su, mais je l’ai toujours été… Il y a qu’avec vous que je peux être heureuse… Il y a qu’avec vous que je peux avoir du plaisir… Ça a été en vrai, là, enfin, chez Aline… Mais sinon faut que je vous imagine… Depuis tout le temps faut que je me raconte des histoires où vous êtes… Comme celle sous la tente… Tu te rappelles ?
– Un peu que je me rappelle…
– Des tas j’en ai… Je les prends… Je les laisse de côté… J’en invente d’autres… Je les reprends… Ça n’arrête pas…
– Et… on peut savoir ?
– Si tu veux… Je te les dirai, oui… Je te dirai celles où tu es… Celles qui me servent le plus souvent en tout cas… Parce qu’elles sont tout autant à toi qu’à moi finalement… Comme ça tu seras encore un peu plus dedans… Et quand je les reprendrai j’aimerai bien l’idée que tu sais… Beaucoup…
– Si je comprends bien il y a que nous dans ta vie alors finalement !
– Il y a que vous, oui… Maintenant il y a que vous… Ça a pas toujours été comme ça… J’en ai eu des mecs… À la pelle, même, par moments… Décevant… Toujours décevant… Tellement… Parce que… attends ! Il te branche le mec… Il te déplaît pas… Tu le laisses faire… Tu l’as dans ton lit… Et… oui… bon… Il a beau savoir s’y prendre – ce qu’est pas toujours le cas ; ce qu’est même rarement le cas – t’éprouves quasiment rien… Tu fais semblant, pour pas le vexer… T’attends qu’il soit endormi et tu te tires dans la salle de bains pour t’occuper de ton cas… Toi-même… Il est où l’intérêt, tu peux me dire ?
– C’est que t’es pas tombée sur…
– Ah, non, Julien, non ! Pas toi ! Pas à moi ! T’en es quand même plus là, j’espère !
– Mais non, mais…
– Le réel ? Tant qu’on veut… Tant qu’on voudra… Je crache pas dessus… T’as vu ce que ça donnait là-bas… Chez Aline… Le réel, oui… Je demande que ça… Mais avec vous… Avec vous quatre… Seulement avec vous…
– C’est en bonne voie…
– J’espère… Je sais pas… J’ai peur… Que ça se fasse pas… Que quelque chose vienne se mettre en travers… Qu’au dernier moment…
– Il y a pas de raison…
– Il y a pas de raison, non… Mais je compte tellement dessus… Et puis il y a cette fille… Dont Emilie m’a parlé l’autre jour au téléphone…
– Hermione ? Elle est adorable…
– Oui… Peut-être… Mais ce serait plus nous cinq…



– Faut que je te raconte un truc…
– Je t’écoute…
– À loin ça remonte… À juste après l’histoire de la tente… Tu te souviens ?
– Comment oublier ça ?
– J’étais plus vierge… Parce qu’il y avait eu… ce qu’il y avait eu… Avec mes doigts… En pensant à vous deux, David et toi… Mais je l’étais quand même : j’avais jamais eu un homme en moi… Et ce qui est arrivé, un jour que j’étais plantée devant la vitrine d’un magasin de sapes – je m’y arrêtais tous les jours, au retour de la fac, fascinée par un amour de petite robe mauve que j’étais dans l’incapacité totale de me payer – ce qui est arrivé, c’est que d’un seul coup il y a eu un type à mes côtés… un type – un brun, la quarantaine – que j’avais pas entendu arriver… « Elle vous irait bien, Mademoiselle, cette robe… Elle vous irait très bien… » Je n’ai pas répondu… Je suis restée absorbée dans ma contemplation… « Je vous l’offre… » Non. De la tête. Uniquement de la tête. Non. Il n’en a tenu aucun compte… Il m’a prise par le coude… Entraînée à l’intérieur… Je n’ai pas résisté… J’en étais incapable… Dans une sorte d’état second… Comme envoûtée… Une vendeuse a décroché la robe… « C’est la dernière… », me l’a posée sur les bras, a échangé avec sa collègue un regard lourd de sous-entendus… « Les cabines sont là-bas au fond… À droite… » Il a écarté le rideau, m’a tranquillement regardée la passer… Sans que je proteste le moins du monde… Je n’avais plus une once de volonté propre… « Vous êtes ravissante là-dedans… Absolument ravissante… »
– Tu pleures ?
– Non… Oui… C’est rien… M’interromps pas, s’il te plaît… Laisse-moi continuer… Sur le trottoir on a silencieusement cheminé côte à côte, moi balançant le paquet à bout de bras et lui m’effleurant constamment, comme par inadvertance, l’épaule, la hanche ou la main… On a marché comme ça cinq minutes… Dix minutes… Je sais pas… Je sais plus… Et puis il s’est arrêté… Devant le porche d’un hôtel… « J’adore faire plaisir… Mais j’aime aussi, qu’en retour, on me fasse un peu plaisir… Normal, non ? » Et je l’ai suivi, Julien ! Tu te rends compte que je l’ai suivi ? J’avais pas conscience… Je te jure que j’avais pas conscience… Ou pas complètement en tout cas… Le mot je le mettais pas sur ce que j’étais en train de faire… Peut-être que si je l’avais mis… Mais bon… Je l’ai pas mis… Sur le moment je pouvais pas… Et je me suis retrouvée dans une chambre avec lui… Lui et son envie… Impérieuse… Tellement ! Il m’a poussée vers le lit… Et il n’a même pas pris la peine de… De rien du tout en fait… Il m’a écarté les bords de ma culotte et allez, hop ! Cinq six coups de rein et c’était fini… Il est retombé… On est restés un long moment comme ça sans parler, sans bouger… Et puis il m’a attirée contre lui… Sur son épaule… Et il s’est mis à raconter… Sa femme… Qu’ils étaient devenus deux complets étrangers l’un pour l’autre… Qu’il y avait plus rien entre eux… Depuis plus de cinq ans… Qu’il savait pas pourquoi il restait avec… L’habitude… La lâcheté plutôt… Oui, la lâcheté… Il avait eu des rêves plein la tête pourtant… Et puis tout s’était peu à peu effiloché… Sa vie… Elle le dégoûtait maintenant sa vie… Il continuait quand même… À enfiler les jours les uns derrière les autres… Les semaines… Les mois… Les années… En attendant quoi ? Il savait pas… Un miracle… Un coup de baguette magique… Seulement ça n’arrivait jamais, ça… Là-dessus il se faisait pas d’illusions…
– Ou rarement… Vraiment très rarement… Si on se prend pas soi-même en mains…
– Et puis il est devenu tout ému d’un seul coup… Avec de la tendresse plein les yeux… Il m’a doucement caressée… Et c’était comme si ça effaçait… Comme si ça changeait complètement le sens de ce qu’il y avait eu avant… Tu comprends ?
– Je crois, oui…
– Et ses mots ! Comment ils étaient doux ! Comment ils me donnaient envie ! Et cette fois j’en ai eu du plaisir… Un plaisir que j’ai hurlé, agrippée à lui… Quand je me suis réveillée, il faisait nuit… Il était parti… Sur la table, près de la porte, il avait laissé un mot… « Pour te remercier d’avoir joui… » Avec un gros billet… Un très gros billet… Et son numéro de téléphone… Le con ! Non, mais quel con ! Quel salaud ! Il avait tout gâché… V’là ce que j’en faisais de son pognon… Une boule que j’ai rageusement jetée dans la poubelle de la salle de bains… Et j’ai claqué la porte… Avant de… T’imaginerais pas… Tu peux pas imaginer… Avant de remonter… De le récupérer… De le défroisser avec application… Et de le glisser dans mon sac… Pourquoi j’ai fait ça ? Je sais pas… Aujourd’hui encore je me demande…
– Tu l’as dépensé ?
– J’ai failli… Plusieurs fois… Mais non… J’ai jamais pu… C’est pas l’envie qui m’en a manqué parfois pourtant… J’ai traversé des périodes tellement noires… Mais non ! Toujours il y a quelque chose qui m’a retenue… Non… Je l’ai là, bien à plat, dans un tiroir… Je le regarde quelquefois… Et ce que je ressens… Mortifiée… Humiliée… Avilie… Exactement comme au premier jour… Combien de fois je l’ai revécue cette scène ! Refaite autrement… Combien de fois je la lui ai jetée à la figure sa robe… Au magasin… En lui crachant, devant les vendeuses, tout ce que je pensais de lui… Combien de fois je me suis réveillée au moment où il le posait sur la table son billet… Ça ne sert à rien… Parce que ça a eu lieu… Je ne peux pas faire que ça n’ait pas eu lieu… Non… La seule chose que je puisse faire, c’est me réfugier dans vos bras… À David et à toi… Il y a que vous qui pouvez m’apaiser… Il y a que vous qui pouvez me donner du plaisir maintenant… Et du bonheur…



– Non, mais à part toi qui aurait pu avoir une idée pareille, tu peux me dire ?
– On le fait ?
– Oh, ben oui… Oui… Un peu qu’on le fait…
– Alors en route ! Mais prends-le ! L’oublie pas !
– Quoi donc ?
– Le billet… L’oublie pas…

– C’est là…
– Tu te rappelles le numéro de la chambre ?
– 37…
Elle était libre…
– C’était le grand luxe, dis donc !
– Il y a rien qu’a changé… Rien… Ça me fait drôle, mais drôle de me retrouver là ! Tu peux pas savoir !
Je l’ai prise contre moi… Elle s’est abandonnée… Et on a fait l’amour… Intensément… Sauvagement… Le plaisir l’a submergée… Habitée toute… On a recommencé… Tout doux cette fois… Tout tendre… Et on est retombés, épuisés…

Elle s’est rhabillée sans bruit… A quitté la chambre… J’ai attendu… Un bon moment… Et puis, à mon tour, je me suis levé… Le billet était sur la table, près de l’entrée… Avec un mot… « Pour te remercier de… » Suivi d’une multitude de points de suspension… Plus d’une centaine… J’ai souri… Et empoché le tout…

En bas, sur le trottoir, elle m’a tendu ses lèvres…
– Merci…
– Il est où le magasin ? Celui de la robe…
– Là-bas… Dans une rue derrière… Pourquoi ?
– Eh bien on y va…
– Quoi faire ? Ah, oui… Oui… Tu comprends tout, toi… Tu comprends vraiment tout…

Elle s’est plantée devant la vitrine…
– Il y en a une… Au même endroit… Exactement au même endroit… Et pas mal en plus…
– Elle vous irait bien, Mademoiselle, cette robe… Elle vous irait très bien… Je vous l’offre…

En fous rires dans la cabine…
– C’est la même…
Rideau relevé… Rideau lâché… À nouveau relevé… Sous les regards mi-amusés mi-interloqués des vendeuses…
– Elles aussi, ce sont les mêmes… Ce qu’elles doivent s’imaginer, c’est que… Quelle réputation je vais avoir !

C’est le billet qui a payé…
– Et il est à peine écorné… Plein de choses encore je vais pouvoir te payer… Et, pour commencer, le restaurant…

– Il y en a trop… Je sais pas quoi choisir…
– Tu veux que je le fasse pour toi ?
– Oh, oui ! C’est une idée, ça ! Et tu passeras la commande quand je serai aux toilettes… À chaque plat j’aurai la surprise comme ça…

– Alors ?
– C’est délicieux… Qu’est-ce qu’on est bien en plus ! Qu’est-ce que je suis bien avec toi… Même dans mes rêves les plus fous jamais j’aurais imaginé… Mais dis… Je peux te demander quelque chose ? Cette Hermione, là…
– Elle t’inquiète, hein ?
– Franchement, oui… Parce que c’est tellement harmonieux nous tous ensemble que ce qu’il faudrait pas…
– Je crois pas, non… Je suis même sûr du contraire… Et puis vous avez beaucoup de points en commun toutes les deux… Ne serait-ce que par rapport à ce qui s’est passé aujourd’hui…
– C’est-à-dire ?
– Ce serait à elle de te raconter plutôt…
– Ben oui, mais ça !
– Oh, c’est faisable… Et c’est facile… Suffit que je vous mette en contact toutes les deux… Elle demandera pas mieux… Et tu t’apercevras vite que tu n’as aucune espèce de raison de t’inquiéter…
– J’espère…



– T’es encore sur l’ordi ? Avec elle ? Avec Hermione ? Depuis tout ce temps-là ?
– Ben oui !
– Faut croire que le courant passe bien alors toutes les deux, dis donc !
– Plutôt, oui… Il y a une sacrée personnalité là…
– Ah, ça, c’est sûr… Tu lui as raconté pour hier ?
– Et elle m’a raconté, elle aussi, pour le mobil home… C’est vrai qu’il y a pas mal d’analogies entre nos deux histoires…
– Je te l’avais dit… Je te l’avais pas dit ?
– Et que tu deviens le grand spécialiste de la réparation des premières fois…

– Tu vas pas bosser ?
– Non… Je prends quelques jours… Que je puisse profiter de toi… C’est pas si souvent que j’ai l’occasion…
– C’est gentil… On va faire quoi de notre journée alors tous les deux ? De quoi t’as envie ?
– Oh, alors ça, je manque pas d’idées…
– Par exemple ?
– Un truc dans le genre de celui d’hier, mais en complètement différent quand même… Tu voudras ?
– Comment veux-tu que je te dise ? Je sais pas de quoi il s’agit…
– Je t’expliquerai en y allant… Je vais me préparer…

– T’es sûre qu’il y en aura ?
– Certaine… Je sais comment faire, t’inquiète pas…
On s’est séparés… J’ai pris place dans le petit square juste au-dessus… Et je l’ai regardée s’installer en terrasse… Croiser haut les jambes… S’absorber dans la contemplation de sa revue… Des gens passaient, indifférents… Parfois un regard s’attardait sur elle… Se faisait plus appuyé… Ça a duré… Un bon moment… Et puis un type – petit, bedonnant, la quarantaine dégarnie – est revenu sur ses pas… S’est arrêté à sa hauteur… A tiré la chaise de la table voisine… S’est assis… Elle ne lui a pas prêté la moindre attention… Une première tentative – avortée – pour engager la conversation… Il ne s’est pas découragé… Une seconde un peu plus tard… Une troisième… Elle a enfin relevé la tête… Dit quelque chose… Il s’est enhardi… A rapproché sa chaise… S’est fait volubile… Elle a posé sa revue… Souri… Ri franchement… Il a appelé le serveur qui est revenu, presque aussitôt, poser deux consommations devant eux… Il a encore rapproché sa chaise… Essayé de lui prendre la main… Elle la lui a refusée… Il n’a pas insisté… S’est lancé dans un long discours ponctué de grands gestes du bras dans tous les sens… Il a encore voulu lui prendre la main… Elle l’a enfouie dans son sac… En a sorti un paquet de Kleenex… Le signal… Je suis descendu…

Elle m’a tendu les lèvres…
– Je t’attendais, mon chéri… Tu en as mis un temps…
Et, à l’intention du bonhomme…
– C’est mon mari…
Elle m’a pris par le bras, lui a tourné le dos…
– Quel connard !
Suffisamment fort pour qu’il entende… On s’est éloignés…
– Quel connard ! Non, mais c’est vrai… Qu’est-ce qu’ils sont pas prêts à inventer juste pour tirer leur coup ! Celui-là, figure-toi, qu’il dirige douze entreprises… Rien que ça ! Et qu’il possède une propriété avec piscine, tennis et terrain de golf aux îles Marquises… Il s’imaginait quoi ? Que j’étais suffisamment idiote pour gober un truc pareil ! Que ça allait m’éblouir et que j’allais lui tomber toute rôtie dans le bec ? Pauvre minable, va ! Et c’est avec ça que tu voudrais que je couche ?
– Oh, moi, je veux rien du tout…
– En attendant j’ai trop aimé sa tête quand t’es arrivé… T’as vu ça ?
– Pas trop non… J’ai pas vraiment fait attention…
– Décomposé il était… Désappointé d’une force ! Dur comme fer il y croyait… Il me voyait déjà dans son lit… J’ai adoré… Je suis peut-être garce, mais j’adore… C’est souvent que je le fais comme ça… En boîte… Ou ailleurs… N’importe où… Dès que je sens qu’un mec ça le tenterait bien avec moi… Je le laisse venir… Se dévoiler… Je le regarde faire le beau… Je lui laisse croire qu’il m’impressionne… Que je suis sous le charme… Il en rajoute une couche du coup… Il en rajoute tant et plus… Si tu savais ces crises de fou rire que je me paye à l’intérieur souvent… Jusqu’au moment où… Stop… Assez joué… Je l’arrête le type… « Bon, ben c’est pas tout ça, mais faut que j’aille retrouver mon copain… Ou mon petit ami… Ou mon mari… Selon l’inspiration du moment… Et je vais vous retrouver dans mon lit… Toi… Ou David… Avec d’autant plus de plaisir que le type s’est montré plus nul… Ah, vous souffrez pas de la comparaison… Ça, c’est le moins qu’on puisse dire… Et aujourd’hui t’es vraiment là en plus… En chair et en os… T’es vraiment venu me chercher… J’ai envie… Tu peux pas savoir comme j’ai envie…    



– Elle est trop cette Hermione… Elle est vraiment trop… Tu sais ce qu’elle me dit ? Qu’il fallait le pousser plus loin le jeu… Bien plus loin…
– C’est-à-dire ?
– C’est-à-dire qu’au lieu de se tirer tous les deux comme on l’a fait t’aurais dû t’asseoir avec nous… Et jouer le mec à l’esprit ouvert… Très ouvert… Et partageur… Résultat : on se serait retrouvés tous les trois dans la chambre – celle de l’autre jour… celle de la robe et du billet – où il m’aurait entreprise avec ta bénédiction le type, mais moi… un bloc de glace… Pas l’ombre d’un début de commencement de quelque chose… J’aurais fini par le repousser, agacée, et par me réfugier dans tes bras… Et alors là un pied, mais un pied comme c’est pas possible… Devant l’autre qu’en aurait été réduit à se branler… Et à se poser sérieusement des questions…
– Tu sais quoi ? Ils brillent tes yeux quand t’en parles…
– Mais non ! Tu te l’imagines…
– Mais si, ma petite Laure, si ! Ça te tenterait pas ? Avoue !
– Un peu…
– Beaucoup, tu veux dire, oui… Parce que c’est le même jeu… Exactement le même jeu que celui que tu apprécies tant… Sauf que là on passe à la vitesse supérieure…
– Oui, mais alors faudrait que le type il me rebute pas complètement… Parce que même si je couche pas avec – et je coucherai pas avec, ça, c’est sûr – il mettra ses pattes sur moi… Et ça, c’est un truc, s’il me répugne, je pourrai pas… Je pourrai vraiment pas…

Un brun… Bouclé…  La trentaine… Un brun qui l’a entraînée sur la piste… Ils ont dansé… Et parlé… Et ri… Il lui a effleuré les cheveux de ses lèvres… Elle s’est laissé aller doucement contre lui… Ils sont revenus… Il a commandé à boire… Ils sont repartis danser… Encore revenus… Se sont assis… Il a posé la main sur la sienne… Elle ne l’a pas retirée…

Je me suis approché…
– Ça va ? Tu t’amuses bien ?
– Ça va, oui…
– Tu nous présentes pas ?
– Si, bien sûr… Thomas… Dont je viens de faire la connaissance… Et mon mari…
Il a précipitamment enlevé sa main…
Je me suis emparé d’une chaise, installé avec eux…
– Elle a l’air de bien te plaire, dis donc, ma femme…
– Hein ? Ah, mais non… Non… Pas du tout…
– Non ? C’est pas gentil pour elle, ça !
– Si ! C’est pas ce que je veux dire… Non… Si ! Bon, mais je vais vous laisser…
– Reste donc là ! T’as envie d’elle ? Et alors ! C’est pas un crime… T’as envie d’elle et apparemment elle aussi elle a envie de toi… Je la connais… Il y a des signes qui trompent pas… Alors où est le problème ? Faites-vous plaisir… C’est pas moi qui vais y trouver quoi que ce soit à redire… J’en suis heureusement plus là… Non… La seule chose, c’est qu’on te connaît pas plus que ça… Et que je voudrais pas qu’il lui arrive quelque chose… Avec un inconnu on sait jamais… Alors pas question que je vous laisse tout seuls tous les deux… Vous baisez tant que vous voulez, mais je reste à proximité… C’est à prendre ou à laisser…

– J’ai honte, Julien… Si tu savais ce que j’ai honte !
– Il y a vraiment pas de quoi…
– Oh, si, il y a de quoi, si ! Non, mais comment je me suis donnée en spectacle !
– Tu t’es pas donnée en spectacle… T’as pris ton pied et puis voilà…
– Qu’est-ce qu’il a dû penser de moi ! Un type que je connaissais ni d’Eve ni d’Adam… Et il a recommencé en plus… Il a recommencé… Et toi, t’as rien dit… T’as laissé faire…
– Ça avait pas l’air de vraiment te déplaire…
– C’est pas une raison… Fallait l’arrêter… L’empêcher…
– Tu m’as pas donné le signal…
– Il y en avait pas besoin du signal enfin ! Ça se voyait… Ça se sentait…
– Je peux t’assurer que non…
– Jamais j’aurais pensé… Mais j’aurais dû me douter aussi… J’aurais dû me douter que du moment que tu serais là j’allais pas réagir pareil… Rien que quand tu lui as parlé au type… Les mots que tu disais… Tout ça… J’ai senti… Je l’ai senti que ça allait pas le faire…
– Que ça allait trop bien le faire plutôt, oui…
– Tu comprends pas… Tu veux pas comprendre…



– T’as l’air toute songeuse…
– Oui… C’est Hermione… Je viens de l’avoir à la cam… Tu sais ce qu’elle me dit ? Que mon problème, c’est que dans ma tête c’est comme si j’étais mariée avec toi… Et avec David… Depuis des années… Et que du coup ce qui s’est passé là, c’est comme si je vous avais trompés… Parce que j’ai eu du plaisir avec ce type… Et qu’il y a qu’avec vous que je me donne le droit d’en avoir… Qu’est-ce t’en penses, toi ?
– Qu’Hermione sait toujours mettre le doigt exactement là où il faut…



– Tu veux pas aller la chercher ?
– Qui ça ?
– Hermione… À la gare… Elle m’a demandé… Si elle pouvait venir passer deux ou trois jours ici… J’allais pas lui dire non… Surtout que… La façon dont tu m’as parlé d’elle… Les discussions qu’on a toutes les deux sur Internet… j’ai vraiment envie de faire sa connaissance maintenant…

– Tu t’attendais pas à me revoir de si tôt, hein !
– Oh, avec toi, je sais que je peux m’attendre à tout… Et à son contraire…
– Fallait bien que quelqu’un vienne s’occuper de Laure… La détacher de toi… Parce qu’il y a urgence… Il y a vraiment urgence… Elle va pas rester fixée toute sa vie comme ça sur des trucs qui remontent à dix ans en arrière… C’est complètement fou cette histoire si on y réfléchit bien… Encore heureux, dans un sens, que vous ayez fini par coucher ensemble… Sinon… Non, mais t’imagines ? Toute sa vie à penser à toi… Et à David… Sans pouvoir avoir vraiment de plaisir avec qui que ce soit d’autre… C’était une étape, ça, que vous couchiez ! Indispensable… Maintenant faut passer à l’étape suivante… Et ça, c’est à moi de m’en occuper…
– Et tu comptes t’y prendre comment ?
– Oh, alors ça, j’en sais rien du tout… J’aviserai… Je m’adapterai… Tout va dépendre… C’est jamais bon de faire des plans à l’avance…
– Et Émilie dans tout ça ?
– Elle est grande Émilie… Elle peut se débrouiller toute seule… Comment elle faisait quand j’étais pas là ? Elle a parfaitement compris n’importe comment… C’est même elle qu’a insisté pour que je vienne… Alors !

Elles se sont enfermées dans la chambre de Laure…
– On a à parler… Entre filles…
Ont fait leur réapparition, sur le coup de neuf heures, pour disparaître aussitôt dans la salle de bains…
– On sort… Toutes les deux…



– Je peux allumer ?
Elle pouvait, Hermione, oui, bien sûr…
– Parce que je la connais pas, moi, cette piaule… Je vais me cogner partout sinon…
Elle s’est débarrassée de ses vêtements qu’elle a jetés en vrac sur le fauteuil… Elle s’est glissée dans le lit à mes côtés…
– Qu’est-ce t’as fait de Laure ?
– Elle est sur un coup… Un mec canon que le diable… Ça avait l’air de le faire sacrément tous les deux…
– Et toi ?
– Oh, moi !
– T’en étais pas ?
– Si ! C’est pas ça… Il y en avait bien des mecs à me tourner autour… Et des mignons en plus…
– Eh ben alors !
– Tu veux la vérité vraie ?
– De préférence, oui…
– C’est avec toi que j’avais envie…
– Ça tombe mal…
– Hein ? Ben pourquoi ?
– Parce que… Vous m’avez abandonné… Toutes les deux… J’étais triste, mais triste ! Je me suis fait du bien tout seul du coup… Deux fois… Une fois pour chacune… Et je suis plus en état… Plus du tout…
– Oui… Ben alors ça, c’est ce qu’on va voir…

– Pour quelqu’un qu’était au bout du rouleau !
– Tu ressusciterais un mort…
– Tu sais que c’est un peu pour ça aussi que je suis venue… Ça me manquait nous deux…
– C’est gentil ce que tu dis là…
– Certaines choses il y a qu’avec toi que je peux les faire… Parce qu’on se connaît… Les autres je sais jamais comment ils vont réagir… S’ils vont me juger… Et puis il y a pas que ça… Je suis bien avec toi… Tout simplement…



– Elle est pas rentrée…
– C’est bon signe… Elle doit s’éclater… Mais en même temps c’est dommage… Parce qu’elle serait rentrée s’envoyer en l’air ici on aurait pu en profiter…
– Ce n’est peut-être que partie remise…
– Faut le souhaiter… Parce qu’elle a sacrément du temps à rattraper… Toutes ces années perdues à caresser des chimères… Heureusement que j’ai déboulé là-dedans, moi, pour mettre les pieds dans le plat…
– Et tu lui as dit quoi au juste si c’est pas indiscret ?
– Entre filles on sait comment on fonctionne… Et, à mon avis, là, c’est parti pour elle… Et c’est pas près de s’arrêter… Par contre…
– Par contre ?
– C’est pour votre projet, là, de vivre tous ensemble… Je sais pas trop ce que ça va donner du coup…
– Pourquoi ?
– Parce que, si tout se passe comme je l’espère, ça va vite lui paraître dépassé… Et, si tu veux le fond de ma pensée, il vaudrait mieux… Parce qu’il pourrait rien lui arriver de pire, juste au moment où elle sort enfin la tête de l’eau, que de retourner s’enfermer là-dedans… T’as l’air tout songeur d’un seul coup ?
– Oui… Oui… Je réfléchis…
– À quoi ?
– À ce que tu viens de dire…
– Et alors ?
– Et alors je suis en train de réaliser que tu mets le doigt sur quelque chose que je m’étais pas vraiment formulé…
– Mais dont tu étais déjà, tout au fond de toi, persuadé…
– C’est à peu près ça…
– Mais oui, attends ! C’est quoi ce délire d’aller se cloîtrer sous prétexte qu’on était en fac ensemble… Dix ans après… Il y a de l’eau qu’a coulé sous les ponts… On peut pas toujours rester à séjourner dans le passé…
– À l’Ascension…
– C’était super, oui, je sais… Tu me l’as assez répété… Émilie me l’a assez répété… Et alors ? C’était trois jours… C’était QUE trois jours… Et il vous est pas venu à l’idée, tous autant que vous êtes, que quand vous aurez passé six mois ou un an entassés les uns sur les autres ça vous paraîtra sûrement beaucoup moins rose… Que vous risquez d’étouffer à tourner comme ça en vase clos… Qu’est-ce que vous allez aller vous engouffrer dans un truc pareil alors que vous pouvez vous voir quand vous voulez… Ensemble… Comme vous l’avez fait à l’Ascension… Ou séparément… Comme tu l’as fait avec Emilie… Comme tu le fais maintenant avec Laure… C’est vraiment chercher des cordes pour se faire battre… Bon, mais après, moi, ce que j’en dis…

– Il est deux heures de l’après-midi et elle est toujours pas rentrée Laure… Faudrait pas que…
– Que quoi ?
– Ben on sait jamais… Il était comment ce type ?
– Mais, oh, toi, tout de suite faut que t’ailles imaginer le pire… Mais non… Très bien il était… Très correct… T’as pas de raison de t’inquiéter… Aucune raison…
– Ils sont où à ton avis ? Chez elle ?
– Bien sûr que non…
– Où alors ?
– Comment tu veux que je sache ?
– Mais si ! Réfléchis !
– Je vois pas…
– Il voit pas ! T’es bien un mec, tiens ! Mais à l’hôtel ils sont… À l’hôtel où elle s’est débarrassée du type au billet avec toi… Chambre 37… C’est de toi qu’elle se débarrasse avec lui maintenant… Tu peux comprendre ça quand même ? Bon, mais allez ! On va pas passer l’après-midi là à l’attendre… Avec le temps qu’il fait en plus… Allez, tu viens ? On sort ?

On a marché au hasard… Croisé des gens… Longé des terrasses de café bondées… De temps en temps un regard s’arrêtait sur elle, s’y attardait…
– Tu te rappelles le soir où, avec Emilie, vous m’avez choisi un mec ?
– Évidemment que je me rappelle…
– On recommence ? J’aime trop ça… C’est toi qui décides… Et moi j’ai rien à dire… Juste à me débrouiller après, quand t’auras jeté ton dévolu, pour parvenir à mes fins… D’accord ? Allez, feu !

– Celui-là !
– Où ça ? Il y en a pas de mec…
– Si ! Là… À droite…
– Mais il est avec une fille…
– Justement ! Raison de plus !
– Tu crois que c’est ça qui va m’arrêter ? Oui, ben alors là tu me connais bien mal…
Et elle s’est résolument assise à la table d’à côté…



– T’as vu ça ?
– Ben non… Non… Justement j’ai rien vu …
– Bon… Alors que je t’explique… Je te demande de me choisir un mec… Tu mets la barre très haut… Vraiment très très haut… Un mec accompagné… Tu croyais quoi ? Que j’allais me jeter dessus comme ça, d’entrée de jeu, et essayer de lui souffler sous son nez à la fille ? Je suis pas complètement idiote quand même… Non… Dans un cas comme ça la seule solution, c’est de commencer par se mettre la fille dans la poche… Et ensuite d’aviser… T’as tout faux sinon…
– Et c’est pour ça que t’as filé la rejoindre aux toilettes…
– Voilà, oui… Et la chance m’a souri vu qu’elle était en train de se remaquiller… J’avais plus qu’à m’installer à côté… Et à entamer la causette… Tout de suite elle a flashé sur mon sac… « Wouah ! J’avais pas remarqué… Comment il est super… » « Ah, celui-là, tu risques pas d’en voir beaucoup… Ni en magasin ni sur Internet en tout cas… » « J’en suis complètement folle dingue, moi, des sacs… Plus de quarante j’en ai…T’as trouvé ça où ? » « Un petit artisan à la retraite, dans la Somme, qui fait ça pour son plaisir… Il en sort dix par mois… À tout casser… Et il les vend au compte-gouttes… » « Tu pourrais m’en avoir un ? » « Je vais voir ce que je peux faire… Mais je te promets rien… C’est pas simple… Je t’assure que c’est pas simple… » « Merci… C’est super sympa… » Et on a échangé nos portables… « Je te fais signe dès que possible… » « Et… Ah oui… Tu dis rien devant mon mec, hein, surtout ! Il me ferait encore toute une pantomine… »
– T’aurais pas eu le temps n’importe comment… Vu la vitesse à laquelle ils sont partis quand elle est remontée…
– Oui… Ils étaient invités quelque part si j’ai bien compris…
– Et maintenant ? Tu comptes t’y prendre comment ?
– Oh, alors ça, j’en sais rien du tout… J’improviserai au fur à mesure… Non… La seule chose dont je sois sûre, c’est que le sac je vais le lui faire attendre un sacré bout de temps…

– Coucou, c’est moi…
Laure… Juste comme on allait passer à table…
– Alors ?! Raconte !
– J’ai pas le temps… Je passe juste… Prendre quelques affaires… Et puis je repars…
– Ah, ben d’accord ! Ça le fait on dirait…
– Un peu que ça le fait… À ce point-là j’aurais jamais cru… Bon, mais j’y vais… J’y vais… Je vous raconterai…

– Eh ben dis donc !
– J’en étais sûre… Sûre qu’avec tout le retard qu’elle avait accumulé… Fallait qu’elle se lance… Une fois qu’elle se serait lancée…
– Faudrait pas qu’elle tombe de haut…
– Du haut de quoi ? Non, mais t’es trop drôle, toi, par moments… Qu’est-ce t’imagines ? Qu’elle fait la love story ? Non… Ça, c’était avec toi… Avec vous… Maintenant elle s’éclate… Et pas qu’un peu apparemment…

– Qu’est-ce qu’il y a de si amusant ?
– Rien… Non… Rien…
– Mais si ! Dis !
– Non… C’est que j’étais en train de penser qu’en principe t’es venue ici pour voir Laure… Pour être avec elle… Et qu’au bout du compte c’est avec moi que tu vas être condamné à passer tout ton temps si ça continue…
– Ce qui est loin d’être désagréable…
– C’est chez Aline, après, que t’as prévu d’aller ?
– En principe, oui…
– Peut-être que t’aurais intérêt à m’emmener… Des fois qu’elle aussi, de son côté, elle ait des occupations et que tu te retrouves une fois de plus tout seul…

– Bon, alors raconte !
– Par où je commence ?
– Par le début… En boîte…Quand je suis partie…
– Ben comme t’as vu c’était en bonne voie…
– Ça, c’est le moins qu’on puisse dire… Et donc on est allés à l’hôtel… Là où on avait dit… Là où t’avais retenu…
– Chambre 37…
Elle m’a jeté un bref coup d’œil…
– Voilà, oui…
– Et ?
– Un feu d’artifice… Un vrai feu d’artifice… Le truc que je pensais même pas que ça pouvait exister…



– C’était lui ? Au téléphone, là, c’était lui ?
– Oui… Enfin non… C’était l’autre…
– L’autre ? Quel autre ?
– C’est parce que… Celui que t’as vu en boîte… Félicien… Quand on s’est quittés tous les deux le matin j’en ai rencontré un autre…
– Ah, ben d’accord ! Carrément… Et où ça ?
– À l’hôtel… Au petit déjeuner il avait la table à côté de la nôtre… Et il s’est mis à nous parler… Un bon moment ça a duré… Et puis le portable de Félicien… Un SMS… Sa fille… Qu’était soi-disant malade… Il a filé comme un dératé… Et le type, à côté, il a continué à me discuter… Avec une voix ! Mais une voix ! Dans quel état elle me mettait sa voix !
– Il te racontait quoi ?
– J’écoutais pas tout… Elle me berçait trop sa voix… Sauf qu’à un moment… « Parce que faut bien reconnaître que, vous comme moi, on n’a pas beaucoup dormi… » Et comme je le regardais d’un air ahuri… « Ben oui, parce que… la chambre juste à côté de la vôtre j’avais… La 36… Et elle en était la petite Madame… Ah, elle en était ! Et elle a une très jolie voix en plus… Ce qui, il faut bien le reconnaître, est très perturbant pour les voisins… Très agréable, très émouvant, mais aussi très troublant… Si, si, je vous assure ! » J’ai baissé les yeux… Les ai brièvement relevés… Il me regardait en souriant… « C’était la première fois, hein ?! Avec lui… C’était la première fois ? » J’ai fait signe que oui… De la tête… Oui… « Et il vous laisse là en rade alors que vous rêviez que d’une chose, c’est de remonter là-haut… » « Sa fille… » « C’était peut-être vrai… Et puis peut-être pas… Peut-être que c’était qu’un prétexte… En attendant vous, vous restez sur votre faim… Non ? » Il m’a posé la main sur  le bras… Que j’ai tenté de retirer… Il l’a retenu… « Non ? » Je le lui ai laissé… « Non ? Bien sûr que si ! Votre silence le hurle… » Il m’a enserré le poignet… L’a doucement caressé… Des mots… Encore des mots… Que je n’ai pas écoutés… C’était sensuel… Voluptueux… J’avais envie… Tellement envie… « Viens ! » Sans me lâcher… « Viens ! » Je l’ai suivi…
– Eh ben dis donc ! Et vous êtes allés dans quel chambre sans indiscrétion ?
– La 37…
– Évidemment… Et ?
– L’extase… Il y a pas d’autre mot… L’extase…
– Tu vas le revoir ?
– Ah, ben ça ! Il doit même m’attendre, là…
– Et l’autre ?
– Aussi… Ça vous choque ?
– Oh, que non ! Pas moi en tout cas…
– Ni moi non plus…



– Mon pauvre ! On arrête pas de te laisser tout seul en ce moment…
– Je suis pas malheureux… J’en profite pour écrire… Parce qu’il faut bien reconnaître que ces derniers temps…
– Non… Et puis là c’était pour la bonne cause en plus… J’avais rendez-vous avec Agathe…
– Qui ça ?
– Agathe… La fille avec son mec à la terrasse du café… Tu te rappelles bien quand même ?!
– Ah, oui, oui… Et alors ?
– Et alors on a passé l’après-midi ensemble… Un peu les magasins… Beaucoup à discuter…
Elle est contente de m’avoir rencontrée… Très… Parce qu’elle s’ennuie… Et pas qu’un peu…
– Son mec ?
– Oh, lui ! Il est comme beaucoup de mecs… Il y a que les copains qui comptent… Les copains et les jeux sur son ordi… Le reste…
– Qu’est-ce qu’elle fout avec alors ?!
– Faut croire qu’elle a des sentiments pour lui… Non… Et puis faut dire ce qui y est : si toutes les nanas qu’ont des mecs dans son genre devaient les larguer t’aurais quasiment plus personne en couple…
– Et maintenant ?
– Maintenant ? Ben elle me plaît bien cette fille… Beaucoup… J’aurais bien envie de commencer par m’occuper un petit peu d’elle… Se faire un mec, c’est facile… Une fille beaucoup moins… Surtout une qui y a jamais goûté – et là j’en mettrais ma main au feu – qu’a des tas de préjugés là-dessus… Comment c’est excitant !
– Son mec tu laisses tomber alors du coup ?!
– Hein ?! Mais pas du tout… Pas du tout… Au contraire… Non… L’un n’empêche pas l’autre… T’imagines ? Coucher avec la nana sans que son mec le sache… Et avec le mec derrière le dos de la nana… Ça doit être le pied, non ?
– T’es vraiment complètement tordue…
– N’est-ce pas ?



Dans l’obscurité Laure est venue se blottir contre moi…
– Tu sens l’amour…
– Forcément… J’en viens… Je fais plus que ça en ce moment n’importe comment… Va quand même bien falloir que je finisse par me calmer…
– Ben pourquoi ?
– Parce que je peux quand même pas passer ma vie à ça… Parce qu’il va bien falloir que je retourne travailler… Parce que je peux pas t’avoir fait venir et pas plus faire cas de toi que si t’étais pas là…
– Oh, alors ça ! C’est pas vraiment un problème… J’ai de quoi m’occuper, tu sais…
– Oui… Et puis tu as Hermione…
– Jalouse ?
– J’en suis plus là quand même… Non… Non… Et puis je l’adore, elle… Si elle avait pas été là…
– T’en serais encore dix ans en arrière…
– Voilà, oui… Par contre ce que je me demande…
– C’est ?
– Comment ça va tourner notre projet, là, tous les cinq…
– T’en as moins envie, hein ?
– C’est pas que j’en ai moins envie, c’est que c’est qu’on aurait dû le faire bien avant…
– Ce qui revient finalement au même…
– Oui… Et puis, pour être franche, tout chambouler, dans tous les domaines, bouleverser ma vie de fond en comble, ça me tente beaucoup moins maintenant…
– Maintenant que t’as trouvé à t’épanouir ici…
– Voilà, oui… Il y a un peu de ça…
– Il y a beaucoup de ça…
– Et ça me gêne… Par rapport à vous dans une position très inconfortable ça me met…
– D’autant que c’était toi la plus demandeuse… Mais te tracasse pas trop pour ça… Emilie n’en fera sûrement pas une affaire d’État… Moi non plus… Quant aux deux autres faut voir, mais bon… De toute façon tu sais, d’ici là il y aura de l’eau qu’aura coulé sous les ponts… Beaucoup d’eau… Et de tous les côtés…



– Tu me demandes pas d’où je viens ?
– D’où tu viens ?
– De chez Agathe…
– Et alors ?
– Elle sait plus où elle en est… Avec son Loïc… Plus du tout…
– Parce que ?
– Parce que le mec faut reconnaître qu’il fait fort… Il en a rien à cirer d’elle, moi, j’crois… Il rentre à la maison que pour se mettre les pieds sous la table ou filer direct à son ordi… Il lui adresse quasi jamais la parole… Quand il la tire, c’est vite fait sur le gaz… Histoire de se vider les couilles… Son plaisir à elle, c’est le cadet de ses soucis…
– Et elle reste avec ?
– Elle envisage pas le moins du monde de le quitter…
– Il y a quelque chose qui m’échappe…
– Elle est accro, qu’est-ce tu veux ! Non… Et puis, comme beaucoup de nanas, elle espère qu’il changera… Qu’elle réussira à le changer…
– Bon courage !
– C’est le premier qu’elle a connu en plus… Celui qui serait forcément le seul… L’unique… Alors elle veut pas admettre… Insupportable ce serait pour elle…
– Oui, ben elle a pas fini d’en baver…
– Oh, mais elle m’a, moi ! Si on se serrait pas les coudes entre femmes…
– Ben voyons !
– Comme je lui ai expliqué ils sont tous comme ça les mecs… Tous… Complètement égocentrés… Il y a que leur petite personne qui compte… Les sentiments ? Ils connaissent pas… La tendresse encore moins… Un vrai dialogue ? Qui va au fond des choses ? Oui, ben alors là on peut toujours courir… Non… Moi, il y a longtemps que je m’étais fait une raison… Je les prenais comme ils étaient les types… Et puis voilà… Non… Pour discuter, pour échanger, j’avais des amies sur lesquelles je pouvais compter, auxquelles je pouvais me confier… Tout dire…
– Je te vois venir… Et alors ?
– Elle a fini en larmes dans mes bras…
– Et toi, évidemment, t’as profité de la situation…
– Ça va pas, non ?! Tu me prends pour une idiote ? C’est bien trop tôt… Ça aurait tout gâché…



– C’est fou, ça ! Une fois que tu l’as mis en marche le truc tu peux plus l’arrêter…
– Quel truc ? De quoi tu parles ?
– Tu pourrais croire que de faire l’amour, comme ça, à tire-larigot, au bout d’un moment tu vas être repue… Eh ben non… C’est exactement le contraire… T’en as de plus en plus envie… Je sais pas si ça vous fait la même chose à vous, les hommes…
– Nous, tu sais…
– Oui… C’est pas pareil… Quand vous pouvez plus vous pouvez plus…
– Tu te rends compte qu’en plus des deux autres, là, que je continue à voir il y en a encore un troisième… Depuis hier soir… Carrément insatiable je suis…
– Si t’y trouves ton compte…
– Pour ça oui… Et pas qu’un peu…
– Eh ben alors ! Tout va bien…
– Quand je pense qu’avant il y avait quasiment pas moyen que j’aie du plaisir avec un mec et que maintenant le premier qui passe m’envoie direct au septième ciel !
– Comme quoi tout arrive…
– Ça me perturbe n’empêche… Ça va durer, tu crois ?
– T’as de ces questions ! Qu’est-ce que tu veux que j’en sache ?
– J’espère dans un sens… Parce que c’est super… J’aurais jamais pensé m’éclater un jour comme ça… Mais dans un autre pas du tout… Parce que tout ce temps que ça m’oblige à me dire que j’ai perdu… Et puis ça te fait te poser des tas de questions sans arrêt de pas savoir où t’es vraiment toi-même…
– Tu l’es peut-être des deux côtés à la fois… Suffit de trouver le point d’équilibre…  
– Ah, c’est déjà assez compliqué comme ça… En rajoute pas…



– Je lui ai fait dire… À Agathe… J’ai fini par le lui faire dire…
– Par lui faire dire quoi ?
– Qu’elle se donne du plaisir toute seule… Non, mais attends, c’est obligé… Une nana, à 27 ans, elle a besoin… Et quand elle a un mec comme celui qu’elle a… Qui prend même pas la peine de la caresser ni rien… Qu’expédie l’affaire en cinq minutes montre en main dis-moi quelle autre solution elle a…
– Se prendre discrètement un amant… Tendre et attentionné…
– Oui, ben alors ça, c’est pas demain la veille… Vu le nombre de préjugés qu’elle a là-dessus… Là-dessus comme sur le reste d’ailleurs… Si tu savais le temps qu’il m’a fallu pour lui faire admettre, du bout des lèvres, que oui… elle se caressait… ça lui arrivait…
– Et tu t’y es prise comment si c’est pas indiscret ?
– Le plus simplement du monde… J’ai parlé de moi… Que ça c’était quelque chose dont j’aurais du mal à me passer… Que c’était tous les jours dans certaines périodes… Plusieurs fois par jour même… Et que d’avoir un mec avec qui ça se passait bien ça y changeait rien du tout… Au contraire… Alors dans la situation où elle était elle, elle me ferait jamais croire… Et elle a admis… Ça a été dur, mais elle a admis… Et évidemment elle fait ça, en prenant des tas de précautions, la peur au ventre… Des fois qu’il la prenne sur le fait l’autre animal… Il apprécierait pas… Et pour cause… Le mec qu’est pas capable de te faire jouir comment tu veux qu’il accepte que t’aies du plaisir sans lui…
– Ça doit être gai !
– Je te le fais pas dire… Elle est sans arrêt sur le qui-vive… Les videos et photos qui l’inspirent elle les met sur des clefs USB qu’elle planque dans des endroits invraisemblables… Il est pas souvent à la maison, mais il a l’habitude de débarquer sans crier gare… Et vu la façon dont c’est conçu chez eux il aurait vite fait de lui tomber sur le râble sans qu’elle ait le temps de réagir…Alors elle en est à prendre des demi-journées en cachette, pendant leurs heures de travail à tous les deux, pour être sûre de pas être dérangée…
– C’est carrément l’enfer, oui… Comment elle fait pour supporter ça ?
– Alors ça !
– En tout cas elle t’a sacrément fait ses confidences finalement on dirait !
– Elle en avait besoin… Elle a personne à qui parler… Parler vraiment…
– Et maintenant ?
– Oh, ben maintenant, dans un premier temps, on va faire des trucs toutes les deux… Les magasins… Aller au cinéma… Au restaurant…
– Il va pas prendre ça mal, lui ?
– Non… Oh, non… Parce qu’apparemment je lui ai tapé dans l’oeil… J’ai pourtant encore rien fait pour, mais bon… Alors que je traîne un peu dans les parages ce sera pas pour lui déplaire… Au contraire…



– C’est mon dernier jour…
– Ton dernier jour ? Mais ton dernier jour de quoi ?
– De congé… Du congé que j’avais pris pour être avec toi… On le passe ensemble ? Tous les deux ?
– Si tu veux… Mais te crois pas obligée… T’as peut-être mieux à faire… T’as une vie tellement agitée ces temps-ci…
– C’est un reproche ?
– Oh, non… Non… Une simple constatation…
– Je dois bien reconnaître… De toute façon ça va pas pouvoir durer…
– Comment ça ?
– Trois mecs à la fois, quand tu bosses en plus, ça doit pas être évident à gérer…
– À toi de leur imposer le rythme qui te convient…
– On voit que tu les connais pas… Ils sont sacrément demandeurs…
– Parce que c’est le début… Ça va se tasser…
– Peut-être… Je sais pas… Va bien falloir que je sois un minimum sélective n’importe comment… Ne serait-ce que parce qu’il y en a plein d’autres des types et que, dans le tas, il y en a forcément qui vont me faire envie…
– Partie comme t’es il y a toutes les chances…
– Le problème, c’est de savoir comment l’opérer la sélection…
– Ça doit quand même pas être si compliqué que ça…
– Ah, ben si ! Si ! Parce qu’il y a plein de trucs qu’entrent en ligne de compte… Comment ils te plaisent… Comment tu te sens bien avec… S’ils font bien l’amour… Mais il y aussi d’autres paramètres… S’il est en couple le mec… Parce qu’à un moment ou à un autre tu risques d’avoir des problèmes avec sa bonne femme… Mais d’un autre côté, s’il l’est pas, il risque de te coller grave… D’être jaloux… Tout ça… C’est l’enfer pareil…
– Si tu les veux ni en couple ni célibataires tu vas vite te retrouver toute seule…
– C’est bien pour ça… Va falloir que je voie… Au cas par cas… Bon, mais allez ! On va pas rester là… On va où ?
– Où tu veux… Décide !
– Si on… Zut… Mon portable… Allo… Oui… Oui… Je sais pas… Non… Un truc de prévu… Oui, mais… Oui… Oui… Comme d’habitude alors… Oui… Moi aussi…
– Bon… J’ai compris…
– Je suis désolée…
– T’as pas l’être… Allez ! File vite… Lequel c’est ?
– Ivan…  Le dernier…
– Eh bien va retrouver Ivan…



Le mien, cette fois, de portable…
– Julien ? C’est moi, Hermione…
– Oui… Qu’est-ce qui t’arrive ? Qu’est-ce qui se passe ?
– Rien… Mais si tu pouvais te calfeutrer dans ta chambre… Ou, mieux encore, dégager carrément de la maison… Je te raconterai… Je t’expliquerai…

– Ça t’a pas trop embêté, c’est vrai ? Non, parce qu’il fallait que je sois à ma main avec Agathe et si t’avais été là… si elle t’avait su là… ça aurait pas pu…
– Ah, parce que tu l’as ramenée ici ?
– Oui… Mais que je te raconte… Ça a commencé qu’on est allées lui choisir une robe… Parce qu’elle est de mariage je sais pas trop où à la fin du mois… Ça a été compliqué parce qu’elle arrivait pas à se décider… Cinq magasins on a fait… Au moins… Je l’accompagnais dans les cabines… Je l’aidais à essayer… Qu’est-ce qu’elle est bien fichue n’empêche ! Et si je m’étais pas retenue…
– Même pas l’esquisse d’une petite caresse ?
– Oui… Oh, ben tu sais… Quand on aide une copine à passer une robe… Forcément… Mais bon… Ça n’a jamais été vraiment explicite…
– Et vous êtes reparties bredouilles, j’parie… Elle a pas réussi à choisir…
– Exactement… Oh, mais on y retournera… C’était trop bien toutes les deux… Parce qu’après on est allées s’installer à une terrasse de café… Et on a recommencé à discuter… De son mec… De ce qu’elle est obligée de se cacher de lui pour regarder des films… Tout ça… Et, pour finir, je lui ai proposé de venir en voir un ici… Elle s’est bien fait tirer un peu l’oreille, mais elle en crevait d’envie, ça se voyait… J’ai pas eu besoin d’insister beaucoup…
– Et une fois ici…
– J’ai montré l’exemple… Genre la fille qui peut pas se retenir… Mais soft quand même… Par-dessus le pantalon d’abord… Dans le pantalon ensuite… Juste ouvert…
– Et elle ?
– Elle y a mis le temps, mais finalement, à force de me voir faire… On n’est pas allées jusqu’au bout… Ni l’une ni l’autre… Pas loin, mais pas jusqu’au bout…
– Ça viendra…
– Oh, alors ça, c’est sûr[FF1] 



– Non, mais attends, ils sont trop ces pauvres mecs…
– Qu’est-ce qui t’arrive ?
– Ivan… Ça fait trois jours qu’on couche ensemble et tu sais pas ce qu’il est allé m’inventer ? Je te le donne en mille…
– Il veut que tu lui fasses un marmot…
– Quand même pas, non… Quoique… Ça en prendrait vite le chemin… Parce qu’il a décidé que j’allais venir m’installer chez lui… Sans délai… C’est comme ça et pas autrement… Pas question que je refuse… C’est une hypothèse qu’il n’a même pas envisagée… Parce qu’il va bien évidemment de soi qu’une telle proposition ne peut que m’enthousiasmer… J’ai eu beau lui faire remarquer que c’était pour le moins prématuré, qu’on ne se connaissait pas le moins du monde… Pour lui c’est pas du tout un problème… Je suis, à l’évidence, la femme de sa vie… Il en démord pas…
– T’as tiré le gros lot, là…
– Oui, mais non… Je vais mettre un terme vite fait… J’ai pas du tout l’intention de m’encombrer d’un type pareil…
– Il te reste les deux autres…
– Mouais…
– T’as pas l’air convaincue…
– Non… Non… Parce qu’il y en a un, c’est lui qui prend ses distances… Maintenant qu’il a eu ce qu’il voulait… Il me plaît bien, mais bon… Pas au point de courir derrière… Quant au troisième… il va vite me gonfler… Parce que tant qu’il s’agit de s’envoyer en l’air ça va, mais le reste du temps il sait parler que de sa bonne femme… C’est son seul sujet de conversation… Alors bon ça va cinq minutes… Et si elle compte tant que ça pour lui il a qu’à rester avec…
– Il y a pas que ceux-là…
– C’est ce que je me dis aussi…



– C’est quoi tout ça ?
– Comme si tu le voyais pas ! Des godes… Des vibros… Des boules de geishas… Bref, tout ce qui va bien…
– Il y a de quoi faire, dis donc ! T’as de l’appétit…
– C’est pas pour moi… C’est pour Agathe… Depuis le temps qu’elle en rêve la pauvre… Et qu’elle peut pas… Parce que si l’autre idiot tombait là-dessus je te dis même pas…
– Et donc c’est ici qu’elle viendra s’en servir, je suppose… Tranquillement… Devant un bon petit film…
– Voilà… T’as tout compris… Et même… Elle devrait pas tarder…
– Ce qui signifie, si je sais lire entre les lignes, qu’il vaudrait mieux que je dégage… Que je vous laisse toutes les deux…
– Ce serait pas mal, oui…
– Mais alors à une condition… C’est que ce soir tu me racontes tout… Bien en détail…
– Ça, n’importe comment, ça va de soi…

– Alors ? Elle s’est bien amusée ?
– Je sais pas…
– Comment ça tu sais pas ?
– Je l’ai laissée toute seule finalement… Pour la première fois elle préférait… J’ai pas insisté… Je suis allée faire un tour… Et j’ai pas perdu mon temps…
– C’est-à-dire ?
– Que j’ai vu son Loïc…
– Elle était pas censée passer l’après-midi avec toi ?
– Pas aujourd’hui, non… Il la croyait au boulot…
– Et alors ?
– C’est bien ce que je pensais… Je lui ai tapé dans l’œil… Il m’a fait un de ces rentre-dedans…
– Et toi, bien sûr, tu l’as remis en place !
– À ma façon à moi…
– Je crains le pire…
– Disons que je l’ai pas encouragé, mais que je l’ai pas découragé non plus…
– T’as réservé l’avenir, quoi !
– En quelque sorte… Mais comment c’était agréable, tu peux pas savoir ! Prendre un type en mains pendant que sa nana est occupée à se goder j’avais jamais fait ça, moi ! Tu prends un pied, mais un pied !



– J’ai pris ma journée…
– Eh ben dis donc ! La paie sera pas bien grasse ce mois-ci…
– Je ferai avec… Mais j’ai vraiment envie d’être avec toi… Tous les deux… Que nous deux…
– Si c’est comme l’autre jour…
– Non, non… Il est éteint mon portable… Et puis de toute façon…
– De toute façon ?
– Je crois pas que ça va durer tout ça… Parce que… Se payer des mecs…Tant et plus… Oui, bon, et après ? Ça avance à quoi ?
– À rien en soi… Mais tu t’éclates…
– Oui, oh, pas tant que ça finalement !
– Attends un peu ! Ça fait qu’une semaine que tu te lâches… Même pas… Comment tu veux savoir ?
– Mouais… Mouais… Non… Je m’emmerde en fait quand je baise… Systématiquement… Et pas qu’un peu !
– T’expliques ça comment ?
– Je sais pas… Peut-être que j’ai trop pris l’habitude de me le faire toute seule… D’être à mon rythme à moi… Ils me parasitent finalement les types… C’est jamais ce que je voudrais au moment où je voudrais… Ils sont là… Avec leurs gestes à eux… Leurs mots… Leurs envies… Ça m’empêche de faire venir mes images à moi… De m’élancer…
– On peut pas non plus rester dans un éternel tête-à-tête avec soi-même…
– C’est aussi ce qu’elle me dit Hermione… Mais je sais pas… Franchement je sais pas… Non, et puis c’est pas ça le fond du problème… Ou c’est pas que ça…
– C’est quoi alors ?
– C’est qu’elle est vide ma vie… Il y a rien dedans… Mon temps libre j’arrive pas à l’habiter vraiment… Parce que rien m’intéresse… Rien me passionne vraiment… Alors je tourne en rond… Le soir, quand je rentre, je  me balade un peu sur Internet… J’allume la télé… Je saute d’une chaîne à l’autre… J’attrape une revue… Je tourne les pages… J’attends qu’une chose en fait : c’est que ce soit l’heure d’aller me coucher… Et le week end pareil… J’erre, de ci, de là, comme une âme en peine… Sans goût à rien… Sans envie de rien… Les mecs ? Un trompe-l’ennui comme un autre… Pour me donner l’illusion que… Mais, bon…
– Tu sais l’impression que ça donne quand on t’écoute ?
– Vas-y ! Dis…
– C’est que tu te complais là-dedans… C’est que ça déplaît peut-être pas tant que ça finalement de te regarder t’emmerder…
– J’en étais sûre que t’allais dire ça… Sûre…
– C’est qu’il doit bien y avoir un fond de vérité là-dedans alors, non ?
– Je sais pas…
– Ou t’as pas envie de savoir…
– T’es trop marrant dans ton genre… Tu crois que ça peut se décider comme ça, toi, du jour au lendemain, d’un claquement de doigt… « Tiens, je vais me passionner pour la philosophie chinoise… Ou les cerfs-volants… Ou la vie des fourmis… » Eh ben non… Non… J’ai beau chercher…Il y a rien – absolument rien – , dans quelque domaine que ce soit, qui présente suffisamment d’intérêt, à mes yeux, pour que je m’y consacre tout entière… Pour que, dès que j’ai un moment de libre… Oh, et puis merde, tiens ! On va faire un tour 
– Si tu veux… On va où ?
– Tu sais où j’aimerais ?
– Oui… À l’hôtel là-bas… Chambre 37…
– Tu comprends vraiment tout, toi…



– Vous étiez où, tous les deux ? Je commençais à m’inquiéter, moi ! Ah, ben d’accord ! Rien qu’à voir la tête de Laure faut pas demander… T’as de ces cernes sous les yeux, ma chère… Bon, ben moi, de mon côté, j’ai pas perdu mon temps non plus…
– Agathe ou Loïc ?
– À ton avis ?
– Je parierais plutôt pour Loïc…
– Perdu ! Oh, mais son tour viendra… Maintenant que j’ai amorcé… Non… C’était Agathe… Qu’a passé l’après-midi ici… Avec moi… On s’en est donné à cœur joie… Elle commence à sérieusement se débrider cette petite…
– C’est-à-dire ?
– Faut pas que je te fasse un dessin quand même… Disons que les joujoux elle adore… Elle en a été tellement longtemps privée… Et qu’on s’est fait une petite séance côte à côte toutes les deux…
– Je vois… Et t’en as profité pour t’occuper un petit peu d’elle…
– Un tout petit peu… Mais vraiment un tout petit peu… C’est quelqu’un avec qui faut y aller doucement… Tout doucement… Pas question de l’effaroucher…



– Tu vas dire que je suis folle…
– Au moins…
– Mais j’ai repensé à tout ce qu’on a dit hier et je crois que je suis sacrément cérébrale finalement…
– Plus cérébrale que toi on doit sûrement avoir du mal à trouver…
– C’est ma nature… On a toujours tort de vouloir aller contre sa nature… Seulement à force de t’entendre répéter sur tous les tons que t’es pas normale… Que personne ne peut vivre durablement comme ça… Ou alors à ses risques et périls… Que ce qu’il faut, c’est voir du monde… Sortir… Convivialiser à tout va… Tu finis par te dire qu’on a peut-être raison…Que c’est toi qui fais fausse route… Tu te laisses fléchir… T’essaies… Et tu t’emmerdes à cent sous de l’heure avec des gens qui n’ont rien à dire… Qui tournent en rond dans leur petit univers étriqué… Tu laisses tomber : c’est au-dessus de tes forces… Et tu te renfermes chez toi… En culpabilisant tant que tu peux… En n’ayant plus de goût à rien… T’es pas comme tout le monde… T’arrives pas à être comme tout le monde… Tes plaisirs d’avant, ceux auxquels tu t’abandonnais avec tant de volupté, tu ne les retrouves pas… Parce que sans arrêt t’as dans la tête – on a fini par t’en convaincre – que t’y as pas droit… Qu’ils sont illégitimes… Oui, c’est le mot : illégitimes… Là-dessus déboule Hermione…
– Hermione et ses grands coups de pied dans la fourmilière…
– Hermione qui n’y va pas par quatre chemins, oui, ça, c’est sûr… « Te pose pas tant de questions… Qu’est-ce t’en as à foutre qu’ils soient nuls les mecs ! Qu’ils aient aucune conversation… Tu les prends, tu t’en sers et puis voilà… Tu fais exactement comme eux ils font avec nous… Et tu verras que si tu te prends pas la tête t’y trouveras ton compte… »
– Ce qui a l’air d’être le cas, non ?
– Oui, oh, c’est ce que j’ai cru au début… C’est ce que j’ai essayé de me faire croire… Mais en réalité… je m’emmerde… Si tu savais ce que je m’emmerde… C’est d’un triste tout ça ! C’est d’un répétitif ! Si je te racontais… Je te raconterai, tiens ! Le prochain je te raconterai… Tout… En détail…



– Ça te dirait ?
– Quoi donc?
– Agathe… Elle te dirait ? Comment tu la trouves ?
– Faudrait être difficile…
– Oui, hein ! Et faut pas lui en promettre… Quand elle est lancée… T’aurais vu ça tout-à-l’heure… Faut dire aussi que je sais comment ça fonctionne une femme… Je suis bien placée pour…
– Ce qui signifie…
– Que je l’ai amenée là où je voulais, oui ! Ça pas été bien compliqué finalement…
– Et tu le regrettes…
– Un peu, oui, quand même… Quand tu t’attends à lutter pied à pied, à devoir dépenser des trésors de persuasion et que ça te tombe tout rôti dans le bec…
– À ce point-là ?
– Ben attends ! Quand t’as pas eu le temps de quoi que ce soit – juste quelques effleurements sur les seins – et que la nana elle t’attrape la tête et qu’elle se la colle entre les cuisses en t’appuyant dessus de toutes ses forces tu peux pas vraiment dire que t’aies eu beaucoup d’efforts à faire…
– Effectivement !
– Cela étant, c’était très agréable quand même…
– J’imagine…
– Surtout que c’est un truc, ça, il lui a jamais fait son Loïc… Ça le dégoûte trop à ce qu’il paraît…
– Ah ben d’accord !
– Alors tu penses qu’elle s’est pas fait prier… Elle en a même redemandé…
– Et tu t’es fait qu’un plaisir…
– Surtout que ça a été réciproque… Et qu’elle est aussi expansive dans un rôle que dans l’autre… Bon, mais alors tu sais ce que j’ai pensé ? C’est que, maintenant qu’elle est sur la bonne voie, tu pourrais peut-être entrer en scène…
– C’est une perspective ma foi fort séduisante…
– Je te le fais pas dire… D’autant que je me suis employée à te préparer le terrain…
– C’est très généreux de ta part…
– J’ai vanté tes mérites… Tu es un amant d’exception… Tu prends tout ton temps… Tu es attentif à ta partenaire… À ses désirs… À son plaisir… Et comme lui il lui fait ça comme un lapin… À toute allure… Reste à lui faire sauter le pas… À accepter l’idée d’aller voir ailleurs… Un autre mec… Mais ça j’en fais mon affaire… C’est en bonne voie d’ailleurs… Suffit juste de la déculpabiliser encore un peu…
– C’est pas pour autant qu’elle aura envie que ce soit avec moi…
– Je fais ce qu’il faut pour, j’te dis !
– Elle irait piquer le mec d’une copine ?
– Elle piquera pas vu que j’en ai rien à battre… Je suis pas jalouse… J’arrête pas de lui répéter… Et en plus t’es pas vraiment mon mec…
– Je vois… Et toi, pendant ce temps-là…
– J’irai essayer le sien… En douce… Histoire de voir ce qu’il en est au juste…



Laure s’est glissée dans le lit à mes côtés…
– Que je te raconte… Je t’avais dit que je te raconterais… C’est même pour ça que je l’ai fait d’ailleurs… Pour le plaisir de te le raconter… Je crois pas que je l’aurais fait sinon…
– Je suis tout ouïe…
– C’était au grand café, tu sais, sur la place… J’y attendais une collègue qui, soit dit en passant, n’est pas venue… À la table voisine deux mecs… Qui parlent haut et fort… Pour que tout le monde entende… Ils parlent des femmes… Il y en a un qui se vante d’avoir toutes celles qu’il veut… Et l’autre de les avoir toutes fait jouir… « Mais alors là toutes… Toutes celles qui me sont passées par les mains… Toutes sans aucune exception… Et je peux te dire que, pour certaines, c’était une sacrée découverte… Ce qui présente pas mal d’inconvénients d’ailleurs… Parce qu’une nana à qui tu fais entrevoir le paradis comme ça… après t’arrives plus à t’en débarrasser… Elle te colle aux basques…
– Des cons, quoi !
– Ça, tu peux le dire… Ils arrêtaient pas de me jeter des petits coups d’œil par en-dessous pour voir si je réagissais et comment… J’étais manifestement la cible privilégiée de tous ces beaux discours… Une cible imperturbable qui n’a pourtant pas tardé à devenir une proie… Une proie consentante… Parce qu’il venait de lui surgir une idée… Ils se sont lancés… « Elle est toute seule la petite dame ? » Ben oui, elle était toute seule, oui… « Oh, mais faut pas rester comme ça… C’est pas bon pour le moral… Pas bon du tout… » Ils ont rapproché leurs chaises et fait assaut de jeux de mots et de traits d’esprit… Enfin… si on veut… Je te laisse imaginer… L’irrésistible a fini par se lever… « Bon, mais c’est pas tout ça… Faut que j’y aille, moi… » me laissant aux mains de l’expert autoproclamé en plaisir féminin… Qui est venu s’asseoir d’autorité sur la banquette à mes côtés… « Alors comme ça vous êtes seule… » « Ça n’a pas changé depuis tout à l’heure… » « Oui, mais seule-seule ou bien seulement seule ? » « C’est quoi la question ? Si j’ai quelqu’un, c’est ça ? Disons que je mène ma vie comme je l’entends… » Il s’est rapproché… A appuyé son épaule contre la mienne… « Et ce soir vous comptez la mener comment ? » « Je n’en sais encore strictement rien… Je ne fais jamais de projets à l’avance… » « Ça tombe bien… Moi non plus… Du coup on pourrait peut-être improviser ensemble… » « Improviser ? Vous avez déjà un scénario clefs en mains à me proposer, je suis sûre… » « Le même que celui que vous avez en tête, j’parie… » Il a posé sa main sur mon avant-bras… Je l’y ai laissée… « Vous savez que vous êtes très désirable… Vraiment très très désirable… » En murmure à l’oreille… Son souffle dans mon cou… Ses lèvres sur ma nuque… Son désir contre ma cuisse… « Viens ! »
– En v’là un qui perd pas de temps en tout cas…
– Et qu’a pas été déçu du voyage… Parce que… Un hôtel un peu plus loin…
– Classique…
– Et un type qu’étale son savoir-faire… Qu’essaie en tout cas… Parce que moi, en face, je suis de marbre… De glace… Je n’éprouverai rien… J’ai décidé… Histoire de lui donner une bonne petite leçon… Il a beau s’évertuer… Y mettre la meilleure volonté du monde… Rien… Pas le début du commencement de la moindre petite réaction… Ça m’est d’autant plus facile qu’il me plaît pas ce type… Mais alors là pas du tout… Je le laisse faire, mais je suis pas là… Ostensiblement absente… Il s’agace… Il devient fébrile… Presque hargneux… Mais il continue… Il va jusqu’au bout… Sans me tirer le moindre soupir… Le moindre gémissement… Quelque manifestation de plaisir que ce soit… Il se retire, vexé… Il se rhabille… « T’es frigide ou quoi ? Parce que c’est la première fois qu’une nana je la fais pas jouir… » « Pareil pour moi… C’est la première fois qu’un mec il me fait pas jouir… » Il est parti en claquant la porte… De toutes ses forces…
– Bien joué !
– Fais-moi l’amour, toi, maintenant ! Ça m’a trop donné envie de te raconter…



– Le même café… Celui où on avait fait leur connaissance…
– Tiens, la v’là ! Enfin ! Bon, ben je te présente pas Agathe, Julien… Vous vous connaissez…
– Un peu…
– Oui, ben vous allez avoir l’occasion d’approfondir… Parce qu’il y a un truc– j’avais complètement oublié… – faut absolument que j’y aille… C’est urgentissime… Mais j’en ai pas pour longtemps… Je reviens… À tout de suite…
On l’a regardée s’éloigner…
– Qu’elle en ait pas pour longtemps, ça, c’est pas gagné… La connaissant… Mais reste pas debout… Assieds-toi ! Ah, c’est une vedette, Hermione, hein !
– Je l’adore…
– Moi aussi…
– Sans elle… Elle m’a ouvert les yeux sur tout un tas de choses…
– Oui… Elle m’a dit…
– Elle t’a dit ! Elle t’a dit quoi ?
– Rien ! Pas grand chose… Juste que ça allait pas trop, toi, des fois, avec Loïc…
– Ça, c’est le moins qu’on puisse dire…



– Ça y est… Avec Agathe… Ça y est…
– Je sais, oui… Je suis au courant…
– Comment ça t’es au courant ?
– Elle m’a appelée, qu’est-ce tu crois ? Dès qu’elle t’a eu quitté… Dans les cinq minutes qu’ont suivi elle était au rapport…
– Ah, ben d’accord ! Et alors ?
– Et alors quoi ?
– Ben qu’est-ce qu’elle t’a dit ?
– T’es bien curieux… Raconte-moi, toi, plutôt… J’adore ça avoir plusieurs versions… Je peux comparer comme ça…
– On y est restés pas mal à discuter au café…
– Oui… C’est ce qu’elle m’a dit… Pas loin de deux heures…
– Surtout de son Loïc on a parlé… Elle en avait gros sur la patate…
– Et toi, t’as enfoncé le clou…
– Je l’ai écoutée surtout…
– C’est bien ce que je dis… Ça revient au même… C’est de ça qu’elle avait besoin…
– Elle a pleuré…
– Et t’en as profité pour lui prendre la main… Que t’as pas lâchée… Même après quand vous vous êtes levés… Tu vois que je suis vraiment au courant de tout, hein ! Tu l’as emmenée dans le jardin derrière la mairie… Vous vous êtes arrêtés près du grand cèdre… Tu l’as prise contre toi et elle a cru que t’allais l’embrasser… Pourquoi tu l’as pas fait ?
– Je sais pas… J’avais envie que ça dure comme ça… D’attendre encore…
– Je te pensais pas si romantique…
– Ben tu vois…
– Romantique ou très très futé au contraire… Bon, mais je parle… Je parle… Ce serait à toi plutôt, non ?
– Il y avait mon désir contre elle… Contre son ventre à travers la robe… Elle n’a pas cherché à se dérober… Au contraire… Elle s’est abandonnée contre moi… On est restés longtemps comme ça…
– Et je peux te dire qu’elle a apprécié… Elle a jamais connu ça avec son Loïc… Lui, c’est : « J’ai envie… J’assouvis… Et on perd pas de temps… »
– C’est bien pour ça que je l’ai pris, moi, mon temps… On s’est encore promenés… Et puis on est allés chez Laure… Et là, cette fois, c’est elle qu’était pressée… Comment elle s’est lâchée !
– Oui… Même qu’elle culpabilisait après par rapport à toi… « Non, mais qu’est-ce qu’il doit penser de moi maintenant ! »
– Faut reconnaître qu’une nana déchaînée à ce point-là c’est pas tous les jours ! Surtout la première fois…
– Mets-toi à sa place aussi ! Ça faisait plus de deux ans qu’elle avait pas joui… Du moins avec un type…
– C’est ce qu’elle m’a dit… Enfin non… Laissé entendre plutôt…
– Et tu sais ce qu’elle redoute le plus maintenant ? Que ça ait juste été un coup comme ça… Que t’aies plus envie de la revoir… Parce que tu l’aurais trouvée trop nulle… Ou trop moche… Ou idiote… Bref, parfaitement inintéressante…
– Ce qui est loin d’être le cas…
– Dis-lui ! Rassure-la !
– Oui… Je vais l’appeler… Mais et toi ? Ça s’est passé comment ?
– Moi ? Oui, oh…
– Ça l’a pas fait…
– J’ai horreur de ce genre de type qui veulent absolument t’en foutre plein la vue… Qui savent tout sur tout… Qui sont les meilleurs en tout… Ils me tapent sur les nerfs d’une force…
– Et donc t’as laissé tomber…
– Non mais bon… Ça cassait pas trois pattes à un canard… Et pourtant il faisait des efforts… Il voulait apparaître sous son meilleur jour… Mais ça se sentait trop que c’était pas sa nature… Qu’il se forçait…Mais je l’ai pas loupé…
– Comment ça ?
– À la fin… quand on s’est quittés… « Bon, alors… On se revoit quand ? » « Franchement, c’est pas trop la peine… J’ai ce qu’il me faut… Des mecs qu’assurent vraiment, eux…
– Décidément vous, les filles, vous les soignez les mecs en ce moment…
– Oui, elle m’a raconté Laure… Ben écoute, ils cherchent aussi…
– Comment t’as dû le vexer !
– Ça, c’est sûr… Un de ces regards il m’a jeté… Il me hait…
– Il y a toutes les chances, oui… Vu l’endroit où tu as tapé…
– Non… Faut vraiment tirer Agathe des griffes de ce type… Il est proprement imbuvable…
– Si elle en est amoureuse…
– Elle t’a donné cette impression ?
– Pas vraiment, non…
– Eh ben voilà ! Il y a plus qu’à…



– Tu sais quoi ? Ben je suis en train de me spécialiser dans les types imbuvables…
– T’es maso ?
– Non… Enfin si dans un sens… Si ! Je crois bien quand même un peu… Parce que si je veux être vraiment honnête avec moi-même il y a des trucs qui… Mais bon… j’ai pas envie d’en parler… Pas maintenant en tout cas…
– Oui… Donc t’es encore tombée sur un spécimen…
– Carrément la caricature, oui… Au café il m’a foncé droit dessus… « Je vous intéresse à ce que je vois… » « Pardon ? » « Ben oui… Oui… Vous me quittez pas des yeux… » « Moi ? Mais jamais de la vie ! » « Ah, si ! Si ! Mais c’est pas un reproche, hein ! C’est plutôt flatteur d’attirer l’attention d’une belle fille comme vous… » « Je vous assure que non… Vous vous êtes fait des idées… » « Mais oui ! C’est ça ! C’est ça ! »
– Tu l’as pas envoyé sur les roses ?
– Non… Non, parce qu’il m’amusait dans un sens… J’avais trop envie de le voir à l’œuvre… Même si je savais très exactement comment ça allait se passer… Parce que je savais très exactement comment ça allait se passer justement… Et puis la perspective de lui donner une bonne leçon à lui aussi… Mais tu sais ce qui m’a motivée surtout ? C’est l’idée que j’allais tout te raconter après… Je m’en pourléchais les babines par avance…
– Et du coup t’es entrée dans son jeu…
– À fond… Je suis tombée sous le charme… Je l’ai écouté, béate d’admiration, débiter tout un tas de sornettes… Il se piquait de haute philosophie… C’était à mourir de rire… Je suis restée stoïque… Une heure j’ai supporté ça… Une heure… Et puis, quand il a estimé qu’il m’en avait suffisamment mis plein la vue… « Bon, allez ! On reste pas là… On va boire quelque chose chez moi ? » C’était à deux pas chez lui… Un studio tout à fait dans le style du personnage… Prétentieux et m’as-tu-vu… On n’a rien bu du tout… Il me l’a même pas proposé… Il s’est déshabillé et, tout en continuant à pérorer, il s’est tranquillement baladé, à poil, de la fenêtre à la porte et du placard au lit… But de l’opération : me faire admirer l’impressionnant morceau – rendons-lui cette justice – qu’il a entre les jambes… Histoire, sans doute, de me mettre en appétit… « Tu te désapes pas ? » Si… Si… Bien sûr… Je l’ai fait… Et il s’est mis à l’ouvrage… Quelques très vagues caresses par ci… Deux ou trois léchouilles à la pointe des seins… Il m’a pénétrée et mécaniquement besognée, juché sur ses avant-bras… Son souffle qui s’emballe… Un râle… C’était fini… Il s’est dégagé… Assis au bord du lit… « Bon, ben voilà… » Il n’attendait manifestement plus qu’une chose, c’était que je m’en aille… Ça tombait bien : j’en crevais d’envie… Je me suis rhabillée… Bon, ben salut ! » « Salut ! » « À un de ces jours peut-être… » « Peut-être, oui… » Sur le pas de la porte je me suis retournée… « C’est pas le tout d’en avoir une grosse… Encore faut-il savoir s’en servir… » « Pauvre connasse, va ! » Sa tête ! Non, mais t’aurais vu sa tête…
– Et t’es rentrée… Et tu t’es donné ton plaisir en pensant à la tronche qu’il faisait…
– Je peux rien te cacher à toi… Tu me connais trop bien…



Agathe s’est réfugiée sous les draps…
– Idiote ! C’est que moi !
Et Hermione a éclaté de rire…
– Je m’y attendais pas à ce quelqu’un rentre…
– J’ai vu ça ! Mais vous gênez pas pour moi… Parce que c’était bien parti tous les deux on aurait dit… Continuez ! Continuez ! Et même… Il y aurait bien une petite place pour moi, non ? Après tout ce que j’ai fait pour vous…
Et elle s’est glissée d’autorité à nos côtés… S’est coulée contre Hermione… A posé sa tête sur sa poitrine… Sa main sur son ventre…
– Eh ben toi ! Occupe-toi de nous ! Qu’est-ce que t’attends ? Tu vas pas resté planté là à nous regarder…

– Comment c’était bon !
– Oui, ben ça on a vu… Et entendu…
– Je pourrais plus m’en passer de vous maintenant…
– Personne te le demande…
– Non… Seulement vous allez pas rester là… Vous allez repartir…
– Ça !
– Et moi je vais me retrouver toute seule…
– Pas vraiment…
– Vaudrait presque mieux…
– Largue-le ! Une bonne fois pour toutes…
– Facile à dire…
– Qu’est-ce qui te retient ? Il te fait peur ?
– C’est pas qu’il me fait peur… C’est que je sais comment ça va se passer… Il va pas me lâcher… Me harceler au téléphone… Débouler à tout bout de champ… Tant qu’il m’aura pas récupérée… Et moi, je vais craquer… Je me connais… J’en passerai par où il veut… Pour que ça s’arrête… Pour avoir la paix…
– Ce qu’il faudrait, c’est que tu disparaisses… Complètement… Qu’il sache pas où te retrouver…
– J’y ai pensé, oui… Mais pour aller où ? Pour faire quoi ?



– C’est où que tu dois aller après ici ? Après Laure ?
– Chez Aline… Pourquoi ?
– Et t’y vas quand ?
– Il y a rien de décidé… Mais pourquoi tu me demandes tout ça ?
– Parce que… À cause d’Agathe… Le plus tôt ce serait le mieux… On l’emmènerait avec nous… Sans lui laisser le temps de réfléchir… Et une fois qu’elle en sera loin de son Loïc…
– C’est pas une mauvaise idée… C’est même une excellente idée… Pour Agathe… Sauf que j’ai peut-être pas envie de m’encombrer de toi en prime…
– Oui, ben alors là ! T’es pas près de te débarrasser de moi… T’en as pas envie n’importe comment… Et puis même ! Si un jour ça te toquait je sais comment te faire changer d’avis…
Elle m’a poussé sur le lit… A posé sa tête sur mon ventre… Est descendue…



– On n’arrête pas de se découvrir soi-même finalement… Et quelquefois sous un jour !
– Ah… Qu’est-ce qui t’est encore arrivé ?
– Rien… C’est l’accumulation… Enfin si ! Il y a eu un type… Un autre… Tout doux… Tout gentil… J’avais pas l’intention au départ… Je voulais juste que ce soit normal… Bien… Sauf que quand on a été en train c’est de ça que j’ai eu envie… De rien ressentir… De rien éprouver… Comme avec les deux derniers, là… Et je lui ai dit… Et je lui ai demandé… « T’occupe pas de moi… Pense à toi… Sers-toi de moi ! »
– Et il l’a fait…
– Évidemment qu’il l’a fait… Ça l’a surpris… Mais il s’est pas fait prier… Il y est allé de bon cœur… Et moi je t’ai pris un de ces pieds ! Je veux dire : pas physiquement, non ! De ce côté-là je suis restée de marbre… Un vrai glaçon… Mais alors dans la tête ! Jamais j’avais ressenti quelque chose d’aussi fort… D’aussi intense… Plus que du plaisir… Du bonheur ! Comment t’expliques ça, toi ?
– Est-ce que c’est vraiment nécessaire de l’expliquer ? Vis-le ! Et te pose pas de questions…
– T’as raison… Évidemment que t’as raison… Mais quand même j’aimerais bien… Oh, et puis zut… Zut !



– Elle est partante… Faudrait pas trop traîner du coup… Qu’elle ait pas le temps de se raviser…
– Oui, mais j’ai pensé à un truc… Si plutôt que d’aller chez Aline on allait chez David ? Elle, il sera toujours temps après…
– Super ! Encore mieux… Parce que vu la façon dont Émilie m’en a parlé de ce type… Dont Laure m’en a parlé… Dont toi tu m’en as parlé… Ça m’a donné hyper envie de faire sa connaissance… Sans compter que, si tout se passe bien, elle aura vite fait de l’oublier dans ses bras Agathe son Loïc… Bon, mais j’y file… Faut battre le fer tant qu’il est chaud… J’y file, je la ramène et on y va…



– Vous partez elle m’a dit Hermione ?
– On peut pas s’éterniser ici…
– Oh, alors ça ce serait pas vraiment un problème…
– Et puis il y a Agathe… Si on veut la…
– Je sais, oui !
– Tu le prends pas bien, on dirait…
– Non… C’est pas ça… Je savais bien que ça arriverait un jour ou l’autre de toute façon… Mais comme ça… D’un seul coup… Sans que j’aie le temps de m’y préparer…
– Ce sera pas long… D’ici quelques semaines c’est tous ensemble qu’on sera… Et si notre projet prend corps…
– Tu y crois vraiment ?
– Pas toi ?
– Je sais pas… Je me demande… De toute façon, si ça se fait, ça m’étonnerait que ce soit comme on avait dit… Tous les cinq… Il y en a qui peuvent avoir changé d’avis… Ou qui changeront d’avis… Qui voudront plus… Et puis il y a Hermione… Agathe… Il y en aura peut-être d’autres… Elles voudront s’agréger au groupe… Et quand bien même ce serait pas le cas elles seront présentes… Terriblement présentes… D’une façon ou d’une autre… Ça changera plein de choses…
– T’en as plus tellement envie, hein ?
– Dans un sens, si ! Et dans un autre non… Plus du tout… Il y a quelque chose qui me dit que ce serait une énorme connerie… Que ça nous éclaterait à la figure… Alors le mieux c’est peut-être de garder ça comme un beau rêve et de surtout pas essayer de le réaliser… On verra… Je sais pas… Je sais plus… En attendant je peux te demander une dernière chose ? Avant que tu partes…
– Que…
– Non ! Laisse-moi le dire ! Laisse-moi le dire !
– Je t’écoute…
– Sers-toi de moi ! Comme tu veux… Pour ton plaisir… Tant que tu veux… Sans t’occuper de moi…