LA JEUNE MADAME
Vallotton.
Die Kranke, 1892
– Alors ?
Comment elle va, notre jeune Madame, ce matin ? Mieux ?
Elle
fait de la place, sur la table de nuit, pour pouvoir y déposer la
tasse qu’elle apporte.
– Un
peu. Je ne vomis plus, non, mais j’ai toujours des nausées. La
tête qui tourne. Et de la fièvre, sûrement.
–Vous
savez ce que le docteur a dit. Il vous faut être patiente. Bien
prendre vos remèdes. Et vous reposer. Vous reposer le plus possible.
– Ah,
je m’en souviendrai, Bénédicte, de mes vingt ans ! Au lit,
je les fête. Au lit !
– Vous
êtes jeune. Vous en aurez d’autres, des anniversaires. Beaucoup
d’autres.
– Oui,
mais vingt ans, ce n’est pas un anniversaire comme les autres. Et
Norbert qui n’est pas là. En plus !
Bénédicte
redresse l’oreiller, remet la courtepointe en place.
– La
mère de votre époux est au plus mal. Sa place, à lui, est tout
naturellement à son chevet.
– Je
sais, Bénédicte, je sais, mais avoue que tout semble se liguer
contre nous en ce moment.
– Il
ne sert à rien de broyer du noir.
Elle
lui tend la tasse.
– Allez,
avalez-moi ce breuvage tant qu’il est chaud. Et puis nous ferons un
brin de toilette.
– Demain,
Bénédicte, demain. Attendons demain. J’irai mieux demain.
– C’est
ce que vous avez déjà dit hier. Non, non. Une toilette s’impose.
Je reviens. Je vais chercher ce qu’il nous faut.
*
*
*
Elle
ramène la chaise au bord du lit, y dépose broc, cuvette et
serviettes.
– Allez,
on retire cette petite chemise.
– Demain,
Bénédicte, va !
– Pas
demain, non. Aujourd’hui. Ce n’est pas parce qu’on est malade
qu’on doit se négliger. Allez, hop !
Elle
repousse draps et couvertures.
– Soulevez-vous !
Et
s’empare, d’autorité, des rebords de la chemise qu’elle lui
fait passer par-dessus la tête.
– Là !
D’abord le dos. Tournez-vous ! Sur le ventre. Et laissez donc
ce drap tranquille ! Qu’est-ce que c’est que ça ?
Faites voir ! Ah, si, si, faites voir ! Lâchez ! Oh,
là là ! Vous avez le derrière dans un état, mais dans un
état !
Elle
fronce les sourcils.
– Qui,
mais qui vous a arrangée de cette façon-là ? Ni Monsieur
votre père ni Madame votre mère, assurément. Jamais ils ne
lèveraient la main sur vous.
– Leur
dis pas, Bénédicte ! Tu vas pas leur dire, hein !
– Quant
à Monsieur votre époux, il est, depuis plus d’une semaine, à des
centaines de kilomètres d’ici. Alors qui ?
– Je
veux pas qu’on sache.
– Eh
bien alors, expliquez-moi !
– C’est
à cause de l’an dernier, au couvent.
– Au
couvent !
Elle
s’assied, à ses côtés, au bord du lit.
– Oui,
parce qu’avec deux autres filles, un jour, là-bas, en cachette, on
s’est amusées à se donner la fessée.
– Et
ça vous a plu.
– Un
peu.
– Et
vous avez recommencé. Souvent ?
– Quelquefois.
– Tant
et si bien que, maintenant, vous ne pouvez plus vous en passer.
Elle
lui soulève le menton. Du bout du doigt.
– Regardez-moi !
Et répondez-moi ! C’est ça, hein ?
– Oui.
– Et
à qui demandez-vous donc de bien vouloir vous corriger ?
Certainement pas à votre époux. Il en serait scandalisé, le pauvre
jeune monsieur. Et, de toute façon, il est absent. Alors à qui ?
– À
personne. Je m’arrange.
– Toute
seule ? Et vous y trouvez vraiment votre compte ?
– J’essaie,
mais…
– Si
je puis me permettre…
– Oui,
Bénédicte ?
– Au
cas où la jeune Madame souhaiterait que je lui rende ce menu
service, il lui suffirait de l’exiger de moi.
– Et
tu me garderais le secret ?
– Le
plus absolu.
– Alors
vas-y !
– Maintenant ?
– Maintenant,
oui. Par-dessus l’autre. Et tape, hein ! Fais pas semblant.
– Oh,
pour ça, la jeune Madame peut me faire confiance. Elle va s’en
souvenir.
Et
elle lance une première claque. À toute volée.
RENDEZ-VOUS
Louis-Abel
Truchet Le chalet du château de Madrid. Bois de Boulogne (vers 1900)
– J’avoue
que vous m’avez surpris, chère amie. Vouloir que nous nous
retrouvions ici, au Bois, alors que nous disposons d’un lieu bien à
nous où je peux, en toute discrétion, vous administrer les
retentissantes fessées auxquelles vous aspirez.
– Peut-être
ai-je mes raisons ?
– Sans
doute… Sans doute…
– Que
vous connaîtrez, soyez-en sûr, en temps opportun.
– Serait-ce
parce que votre ravissante croupe d’albâtre conserve des preuves
manifestes de la dernière correction qui lui a été infligée ?
– Elle
en conserve, assurément. Et d’éclatantes.
– En
sorte que vous ne souhaitez pas que je la martyrise davantage.
– Vous
savez bien, d’expérience, que cela n’a jamais été pour me
déplaire. Bien au contraire.
– En
effet. Serait-ce alors que la présence de tous ces gens, autour de
nous, qui ne savent pas, qui ne se doutent pas, fait naître en vous
de délicieuses sensations ?
– Ce
n’est pas vraiment désagréable, mais ce n’est pas de cela qu’il
s’agit non plus.
– Vous
mettez ma curiosité au supplice.
– Mon
pauvre ami, que je vous plains !
– Moquez-vous,
cruelle !
– Cruelle,
moi ! Comment vous y allez ! Cruelle ? Alors que je
m’abandonne, sans retenue et sans la moindre protestation, aux
châtiments que vous jugez bon de m’imposer chaque fois que vous
estimez que je les ai mérités.
– Il
est vrai.
– Et
c’est souvent.
– Je
n’en disconviens pas. À ce propos, d’ailleurs, comment diable
vous y prenez-vous pour que votre époux ne s’avise jamais de
rien ?
– Une
femme sait user de toutes sortes de subterfuges.
– Puis-je
les connaître ?
– Certes,
non. Contentez-vous de savoir qu’il est hautement improbable qu’il
découvre jamais à quels traitements vous m’exposez.
– Comme
vous voudrez.
– Eugène…
– Oui ?
– J’étais
ici avec lui dimanche dernier.
– C’était
donc cela !
– À
cette même table où je me trouve présentement avec vous. Ce n’est
pas bien, n’est-ce pas ?
– C’est
même très mal.
– Vous
allez me punir ?
– D’une
monumentale fessée que vous viendrez ici même asseoir, demain
dimanche, en sa compagnie.
– C’est
bien ainsi que je l’entendais.
– Alors
allons, Madame, allons !
LA PESTE
John William Waterhouse Consulting the Oracle. Tate Britain.
Caïus
fait la moue.
– Ça
marchera jamais…
– Bien
sûr que si !
– Tu
crois ?
– Je
crois pas. Je suis sûre. Allez, file ! Qu’elles te trouvent
pas là en arrivant. Je t’appellerai, le moment venu.
– Bon,
allez, tout le monde est là ?
– Il
manque Julia. Elle viendra pas. Ça lui fait bien trop peur ce qu’ils
vont dire les dieux.
– Et
Octavie. Mais elle voudrait quand même savoir pour son bébé.
– Alors,
on commence. S’il y en a qui ont des questions…
Elles
en ont. Toutes.
– Est-ce
que je vais enfin tomber enceinte ?
– Est-ce
que mon père va guérir ?
– Mon
mari, avec cette autre femme ?
– Mon
voyage ? Ça se passera bien ?
– Et
les élections pour Clodius ?
– Et
mon fils ? Il sera décurion ?
– Holà !
Pas toutes en même temps. Sinon…
Elle
s’assied sur ses talons, se concentre, les yeux clos, les mains
bien à plat sur les genoux.
Elles
se taisent. Les fumées de l’encens planent au-dessus de leurs
têtes, en volutes entêtantes. Le silence se fait lourd. Compact.
Une ombre passe sur son visage.. Elles échangent des regards
inquiets. Une autre. De plus en plus inquiets. Elle fronce les
sourcils, esquisse une grimace, semble contempler quelque chose, très
loin, avec épouvante.
Antonia
n’y tient plus.
– Il
y a quelque chose qui va pas ?
D’un
geste impérieux, elle lui intime l’ordre de se taire.
Elle
se lève, s’approche du rideau sacré, tend l’oreille. Un long
moment. Et puis se tourne vers elles.
– Les
dieux ne veulent pas répondre à vos questions.
– Hein ?
Mais pourquoi ?
– Parce
que…
Elle
hésite.
– Mais
vas-y ! Dis-le !
– Parce
qu’ils estiment qu’au regard des grands malheurs qui nous
attendent, vos petites préoccupations sont dérisoires.
– Qui
nous attendent ! Mais qui attendent qui au juste ?
– Nous
tous…
– Et
c’est quoi ?
Elle
baisse les yeux. Et la voix.
– La
peste.
– Comme
sous Titus ?
– En
pire. En bien pire. C’est par dizaines de milliers que se
compteront les morts.
Elles
crient, horrifiées. Elles se frappent la poitrine. Elles s’arrachent
les cheveux.
– Mais
pourquoi ? Pourquoi ?
– Les
dieux sont profondément irrités contre les humains. Qui ont mérité,
selon eux, un châtiment exemplaire. Attendez ! Chut !
Écoutez…
Elle
hoche la tête, plusieurs fois, en signe d’assentiment.
– Ils
disent…
Elle
les fait attendre. Un long moment.
– Quoi ?
Mais parle à la fin !
– Ils
disent que la peste épargnera celles qui accepteront, de leur plein
gré, un châtiment d’un autre ordre.
– Quel
châtiment ?
– Le
fouet. Vigoureusement administré par une main masculine. Celle de
Caïus en l’occurrence.
Un
long silence. Presque aussitôt suivi d’un immense brouhaha. Qui
dure. Qui s’éternise. Qu’elle finit par interrompre.
– Les
dieux attendent une réponse.
– Est-ce
qu’on a vraiment le choix ?
– Si
vous voulez rester en vie, non.
Elles
ne veulent pas mourir. Ah, non ! Non… Elles vont en passer par
là. Même si… Elles en passeront par là. Bien obligées. Elles le
lui confirment. Toutes. Les unes après les autres.
– Ce
sera quand ?
– Maintenant.
Leurs
regards s’affolent.
– Maintenant !
– C’est
à prendre ou à laisser.
Elles
soupirent, se lamentent, supplient les dieux de leur accorder des
délais.
– Ils
s’impatientent. Ne les laissez pas changer d’avis…
C’est
Livia qui commence. Elle laisse tomber sa toge. Lentement. Avec un
profond soupir. Les autres suivent son exemple. Elles ôtent leurs
vêtements. Tous leurs vêtements. Toutes. Toutes ensemble.
Elle
passe la tête.
– Tu
peux venir, Caïus. C’est mûr. Elles sont nues. À toi de jouer.
Et ne les ménage pas !
Il
surgit. Le fouet claque et s’abat en sifflant, avec force, sur la
première croupe qui se présente. Celle d’Antonia.
FÂCHEUSE FESSÉE
Jose
Jimenez Aranda Bajo los naranjos
Récit
d’Amanda
– Tu
sais quoi, Anne ? Je l’ai vu.
– Qui
ça ?
– Ben,
José, tiens ! Le type de l’autre soir au bal. Même qu’on a
passé l’après-midi ensemble.
– C’est
pas vrai ! Et alors ?
– Quand
je pense que, pendant des semaines et des semaines, j’ai pris des
tas d’itinéraires compliqués pour essayer de lui tomber dessus
sans jamais y arriver, et que là, sans le faire exprès, paf, on se
trouve nez à nez.
– Il
t’a reconnue ?
– Tu
parles s’il m’a reconnue ! Il m’ a foncé droit dessus,
oui ! Avec un grand sourire. « Ben alors ! Vous avez
filé comme une voleuse, l’autre soir ! Et moi qui me faisais
une telle fête de vous inviter à danser !»
– Ah,
ben d’accord ! Et qu’est-ce que tu lui as répondu ?
– Rien.
J’étais plantée là, à le regarder comme une imbécile, sans
pouvoir sortir le moindre mot. Il m’a prise doucement par le bras.
« On marche un peu ? Vous voulez bien ? » Tu
parles si je voulais bien ! On a pris un sentier sous les arbres
et il m’a dit des tas de choses. Qu’il m’avait remarquée tout
de suite, l’autre soir, dès que j’étais entrée dans la salle.
Que je lui avais fait un effet, mais un effet ! Que j’avais un
visage bouleversant. C’est le mot qu’il a employé. Bouleversant.
Non, mais tu te rends compte ? « Laisse-moi le regarder !
S’il te plaît ! » On s’est arrêtés. On s’est fait
face. Et alors ses yeux ! Oh, là là, ses yeux ! Ils
étaient tellement tout pleins de moi, ses yeux. De son envie de moi.
Et ses mains ! Il les a approchées. Il me les a délicatement
posées sur les tempes. Qu’il a caressées, du bout du pouce. Et
puis, après, les paupières, les joues, les lèvres. Ça me rendait
folle. Il me rendait folle.
– Déjà
que tu flashais complètement dessus avant.
– Il
s’est penché. Plus près. Encore plus près.
– Et
il t’a embrassée.
– Voilà,
oui. Et alors là, si tu savais !
– Non,
mais j’imagine… Bon, et je suppose que, vu que vous en creviez
d’envie autant l’un que l’autre, vous vous êtes trouvé un
petit coin tranquille et que vous vous êtes envoyés en l’air.
– Oui.
Enfin, non. Ça s’est pas vraiment passé comme ça.
– Ah…
– Non,
parce que… Bon, c’est vrai qu’au bout d’un moment, à force
de s’embrasser sans arrêt, tous les trois mètres, on a fini par
aller s’asseoir à l’ombre. Et là, forcément, il a commencé à
vouloir aller plus loin.
– Ce
qui n’était pas pour te déplaire, avoue !
– Surtout
que comment il sait y faire !
– Et
vous êtes pas allés jusqu’au bout ? Je comprends pas tout,
là…
– C’est
que… Je t’ai bien raconté…
– Quoi
donc ?
– Les
fessées.
– Ah !
Et t’en avais reçu une.
– Hier
soir.
– Oh,
zut !
– Je
serais morte de honte s’il s’était rendu compte. Et, vu comment
ça se passait, il s’en serait forcément rendu compte. Surtout que
j’ai le derrière dans un état ! Ç’aurait été des tas de
questions du coup. En plus !
– Comment
tu t’es tirée d’affaire ?
– En
lui disant que c’était pas prudent. Que quelqu’un pouvait passer
et nous surprendre.
– Il
a pas insisté ?
– Oh,
si ! Et pas qu’un peu ! Mais j’ai tenu bon. Et fini par
avoir gain de cause. À condition de lui jurer qu’on se reverrait
bientôt. Très bientôt. Quelque part où on serait tranquilles.
– Tu
l’as fait ?
– Évidemment !
D’autant qu’il est amoureux de moi.
– Oh,
tu crois ?
– Je
crois pas. Je suis sûre. Il y a des signes qui ne trompent pas. Je
suis heureuse. Si tu savais !
Récit
de José
– Tu
sais que je l’ai revue, la petite caille du bal ?
– Ah,
oui ? Et alors ? C’était quoi la raison pour qu'elle
disparaisse, comme ça, au bout d’à peine une heure ?
– Je
lui ai pas demandé.
– Je
vois… Vous aviez mieux à faire.
– Oui.
Enfin, disons que j’ai posé des jalons. Parce que ça tombait
plutôt mal.
– Mal ?
– J’avais
passé la nuit avec Inès. Et tu la connais. Faut pas lui en
promettre à elle.
– Ah,
ça ! Elle te met carrément sur les rotules, oui. Je suis bien
placé pour le savoir.
– Sauf
que des petits lots comme Amanda, c’est pas tous les jours que t’as
l’occasion. Faudrait être idiot pour la laisser passer.
– Et
t’as trop présumé de tes forces.
– Je
me suis pas posé la question en fait. J’ai foncé.
– Pour
te prendre le mur en pleine tronche.
– C’est
la première fois que ça m’arrive. En tout cas à ce point-là. Au
début je m’affolais pas trop. Bien roulée comme elle était. Et
une fille que j’avais encore jamais eue en plus. Ça allait
forcément finir par venir. Oui, ben t’as qu’à y croire !
Il y avait strictement rien à faire. J’ai eu beau farfouiller tant
et plus dans son corsage, lui mettre les nénés à l’air. Des
nénés bandants que le diable en plus. Tout juste comme je les aime.
Pas trop gros. En pente douce. Avec de larges aréoles brunes. Le
rêve, quoi ! Eh, bien rien ! Pas le plus petit début de
commencement de bandaison. Mais c’était pas possible, ça, merde !
– Et
plus tu te concentrais dessus, plus tu voulais que ça vienne et
moins ça le faisait. Classique.
– Peut-être
que si elle me l’avait prise en main… mais la première fois,
c’est rare qu’une fille, elle ose. Et puis même… T’imagines
que je lui sois resté tout flasque entre les doigts ? Oh, la
honte !
– Faut
reconnaître que c’est le genre de situation…
– Ça
m’obligeait à des tas de contorsions en plus. Pour qu’elle se
colle pas à moi. Qu’elle sente pas qu’il y avait peau de zob,
c’est le cas de le dire.
– Et
tu t’en es sorti comment ?
– C’était
bien là tout le problème. Comment m’en sortir ? Sans la
froisser. Et sans passer pour une bille. Je voyais pas vraiment de
solution. Alors je continuais. La fuite en avant. Je me suis faufilé
sous sa robe. J’ai entrepris une lente ascension de sa cuisse. En
me disant, sans y croire vraiment, qu’avec un peu de chance, quand
j’arriverais là-haut, je retrouverais peut-être enfin tous mes
moyens. Elle m’a pas laissé terminer l’escalade. Elle m’a
arrêté. Repoussé. Soi-disant qu’elle avait peur qu’on nous
surprenne. Tu parles ! Il passe jamais personne là-bas.
– Et
c’était quoi la vraie raison alors ?
– Je
suppose qu’elle voulait pas que je la prenne pour une fille facile.
Qui couche au bout d’une demi-heure. Ça m’arrangeait, moi !
Pour une fois, ce que ça pouvait m’arranger ! Ce qui m’a
pas empêché de jouer les désolés. De me montrer insistant. Un
peu. Pas trop. J’avais vraiment pas l’intention d’obtenir gain
de cause. C’était pas le jour.
– Va
falloir que t’assumes maintenant.
– Que
j’assume ? Que j’assume quoi ?
– Quand
une nana demande à un mec de pas coucher, ou du moins pas tout de
suite, et qu’il accepte, il y a neuf chances sur dix qu’elle en
tombe.
DOUCE SOIRÉE
Delphin Enjolras. Elegant ladies taking tea.
– À
la voir, comme ça, jamais on n’irait imaginer une chose pareille.
– Et
pourtant…
– Est-ce
si sûr ? Il se dit tant de choses.
– Les
femmes de chambre, entre elles, en font des gorges chaudes.
– Oui,
oh, mais les femmes de chambre…
– Sont
les mieux placées pour être au fait des petits – ou des
grands – secrets de leurs maîtresses. Et là, elle a le
fessier dans un état, paraît-il. Et c’est loin d’être la
première fois.
– Ce
qui ne l’empêche pas d’arborer ses grands airs.
– Ah,
ça ! On ne se refait pas.
– Faut-il
qu’elle l’ait poussé à bout son pauvre comte de mari pour qu’il
en arrive à des extrémités pareilles ! Un homme si calme…
Si doux…
– Qui
vous dit que ce soit lui ?
– Comment
cela ?
– Ça
s’entend une fessée. Quand bien même on s’efforce d’être
discret. Or, personne jamais…
– Mais
alors…
– Comme
vous dites, oui. Mais alors…
– Son
confesseur ?
– Le
père Chatel ! Vous plaisantez ! Vous imaginez vraiment le
père Chatel infligeant à ses pénitentes des peines de cette
nature ?
– Pas
vraiment, non ! Mais qui alors ?
– C’est
bien là toute la question.
– Elle
n’aurait quand même pas…
– Quoi
donc ? Un amant ? J’y ai pensé aussi. D’autant qu’avec
son mari il y a belle lurette qu’ils font chambre à part.
– Je
ne voudrais pas l’enfoncer, la pauvre, mais je me demande quand
même si ce ne serait pas le genre à ça.
– Pourquoi
diable un amant irait-il administrer des fessées à sa maîtresse ?
– À
moins que…
– Ça
lui plaise ? Oh, quand même !
– Avec
elle, malheureusement, je crois qu’on peut s’attendre à tout.
Vous vous souvenez de ce qui s’est raconté, à son sujet, il y a
deux ans ?
– Si
je m’en souviens ! S’il ne tenait qu’à moi, c’est
quelqu’un que je tiendrais soigneusement à distance. Mais bon !
On est parfois contraint de fréquenter des gens que l’on ne
voudrait pas.
– À
qui le dites-vous ! Non, faut bien reconnaître… Si de bonnes
fées ne s’étaient pas penchées sur son mariage…
– Ah,
ça, c’est sûr ! Et vous pensez bien que l’existence
qu’elle a menée auparavant…
– Ne
devait pas être des plus rangées, là-dessus nous sommes bien
d’accord.
– Alors
sans doute que ces fessées prennent racine, d’une façon ou d’une
autre, dans un passé peu avouable.
– Sur
lequel il vaut sans doute mieux éviter de se pencher.
– En
effet… Nous serions à coup sûr amenées à patauger dans des eaux
nauséabondes.
– Ce
qui ne nous convient ni à l’une ni à l’autre.
– Assurément…
– Là
voilà qui revient…
– Oh,
mais quel magnifique bouquet vous avez cueilli là, ma chère !
Il est à votre image. D’une angélique beauté.
FESSÉE DE RÉVEILLON
– Tu
devrais pas tant boire, Silvia.
– Oh,
toi ! Tout de suite ! Mais c’est le réveillon ! Le
nouvel an ! 2018 ! Si on se lâche pas un peu pour une
occasion pareille, on le fera jamais.
– Tu
tiens pas l’alcool… Alors si tu veux pas que…
Elle
m’a tiré la langue.
– Oui,
maman !
Et
est allée rejoindre, son verre à la main, le groupe qui parlait
fort, là-bas, près de l’entrée.
J’ai
haussé les épaules. Moi, ce que j’en disais… Après tout, si
elle avait envie de se mettre sur le toit, grand bien lui fasse. Elle
était grande, majeure et vaccinée. Et rien d’autre pour moi
qu’une copine, certes de longue date, mais une simple copine.
À
minuit, elle est venue se pendre à mon cou.
– Ah,
Estelle, je te cherchais. Bonne année !
– Bonne
année à toi aussi…
– Je
t’aime, tu sais ! Même que souvent on soit pas d’accord. Tu
m’en veux pas ?
– Bien
sûr que non ! Pourquoi je t’en voudrais ?
– Parce
que… Oh là là ! Comment ça tourne, moi ! Oh, là là !
Elle
s’est agrippée à mon épaule.
– Ça
tangue, mais ça tangue !
– Tu
veux que je te ramène ?
– Sûrement
pas, non ! Je m’amuse trop.
Et
elle est retournée, vaille que vaille, vers ses amis d’un soir.
Au
fil des heures, la salle se vidait. Les bouteilles aussi. Mais pas
question, pour elle, de rentrer.
– On
a le temps ! On bosse pas n’importe comment demain.
Il
ne restait plus qu’une douzaine de personnes quand, sur le coup de
cinq heures du matin, elle a brusquement proclamé.
– C’est
mon anniversaire ! Et tout le monde s’en fout. Personne me le
souhaite. Ils en ont tous que pour ce putain de nouvel an.
– C’est
pas ton anniversaire. T’es née en juin.
– C’est
mon anniversaire, si je veux ! J’ai quand même encore le
droit de décider quand c’est mon anniversaire, non ?
Manquerait plus que ça ! Eh, écoutez ! Écoutez tous !
C’est mon anniversaire…
Cinq
ou six verres se sont levés dans sa direction.
– Joyeux
anniversaire !
– Oui !
Bon anniversaire !
Une
fille a réclamé le silence.
– Eh,
vous savez quoi ? Il y a toujours une fessée pour un
anniversaire. Une fessée d’anniversaire.
– T’es
pas con, toi ! C’est vrai ! Je l’ai vu aussi. Même que
ça porte chance. Je veux une fessée !
Quatre
ou cinq types – et une fille – se sont aussitôt portés
volontaires.
– Moi !
– Moi !
– Non,
moi !
– Vous
battez pas ! Il y en aura pour tout le monde.
Et
elle leur a tendu son derrière.
Les
garçons se sont relayés pour lui lancer, sur les fesses, par-dessus
la robe, trois ou quatre claques chacun. Plus ou moins appuyées.
Plus ou moins hésitantes.
La
fille a fait la moue.
– C’est
pas une vraie fessée, ça ! C’est cul nu, une vraie fessée.
Les
garçons ont fait chorus.
– Ben
oui, elle a raison.
– Allez,
cul nu !
Silvia
s’est retournée, l’index pointé en l’air.
– Parce
que vous croyez que je suis pas capable ?
J’ai
voulu couper court.
– Bon,
allez, viens maintenant ! On rentre. Je suis crevée.
– Oh,
toi, ta gueule ! Depuis le début de la soirée tu m’emmerdes.
T’arrêtes pas. Je rentrerai quand j’aurai envie. Mais casse-toi,
toi, si tu veux. Ça nous fera des vacances. Bon, alors qu’est-ce
qu’on disait, nous ?
La
fille a saisi la balle au bond.
– Que
t’allais te déculotter. Qu’on puisse te mettre une vraie fessée.
– Ah,
oui, c’était ça.
Et
elle a entrepris de se débarrasser de sa culotte.
– Silvia !
Elle
m’a ignorée. A dû se raccrocher à l’un des types pour ne pas
tomber. A repris tant bien que mal son équilibre. A passé une
jambe. L’autre. Et a relevé haut sa robe.
– Silvia !
– Toi,
la ferme !
Il
y en a un qui a sifflé, admiratif.
– Wouah !
Ce cul !
Mais
c’est la fille qui a tapé. À grandes claques qui lui ont rebondi
sur le derrière. Qui le lui ont très vite rougi.
Il
y en a un qui a protesté.
– Et
nous ?
– Mais
oui ! C’est vrai, ça ! Pas toujours la même.
Elle
leur a cédé la place. À regret.
*
*
*
Dans
la voiture, elle a été prise d’une longue crise de fou rire.
– T’as
vu ça ? Non, mais t’as vu ça ? Je me suis pris une
fessée. Et carabinée en plus ! Ah, ils y sont pas allés de
main morte. C’est tout chaud. Tiens, touche !
– Je
peux pas, Silvia. Je conduis.
– Celui-là,
en tout cas, de réveillon, je m’en souviendrai.
– Ah,
ça, moi aussi !
– Tu
la connaissais, cette fille ? C’était qui ?
– Je
n’en ai pas la moindre idée.
– Elle
doit avoir l’habitude d’en donner des fessées. Comment elle
tapait fort !
– Vaudrait
peut-être mieux que tu dormes chez moi, non ? Parce que si je
te ramène chez tes parents dans cet état-là…
– Chez
toi, oui… C’est plus près n’importe comment ! Et je suis
tellement fatiguée.
Chez
moi. Où elle s’est affalée sur le canapé et aussitôt endormie.
Edmund
Tarbell Dos nu, 1898
AU JARDIN D’ACCLIMATATION
Daniel
Hernandez Morillo, El admirador, 1883
– Ça
t’ennuierait qu’on retourne aux lions ?
– Encore !
Mais ça fait déjà trois fois !
– Elles
me fascinent ces grosses bêbêtes, qu’est-ce tu veux !
– Bon,
mais une dernière fois alors ! Après on rentre.
– T’as
vu ? On dirait qu’il nous attendait, celui-là. Qu’il savait
qu’on allait revenir. Non, mais comment il nous regarde !
Surtout moi ! C’est de la folie ! Ça ferait presque
peur. Tu crois qu’ils savent qu’on est des femmes dans leurs
têtes d’animaux ?
– C’est
vrai qu’on serait en droit de se poser la question.
– J’en
ai vu faire un, un jour, avec une lionne. Il lui mordait la nuque en
même temps. Ce qu’avait pas l’air de lui déplaire du tout à
elle. Pourquoi tu ris ?
– Pour
rien.
– Mais
si, dis !
– Parce
que c’est quelque chose qu’il me fait aussi quelquefois pendant,
Victor.
– Il
te mord !
– Oui,
enfin, pas comme un sauvage non plus ! Il me soulève les
cheveux et il me prend la nuque entre ses dents. Et puis il serre. Un
peu. Pas trop. Enfin, ça dépend.
– Ce
qui veut dire qu’il se met derrière toi, alors, quand vous le
faites !
– Ça,
forcément ! Oh, mais pas toujours, hein ! On s’y prend
aussi autrement. On a des tas de façons en fait.
– Oui,
oh, ben nous, avec Louis, ça se passe toujours pareil.
– Lui
dessus et toi dessous, j’parie ! Je pourrais pas, moi !
Je m’ennuierais trop. Tu t’ennuies pas ?
– Un
peu quand même, si, mais bon !
– Dis-lui !
– Je
m’y risquerais pas. Il a des principes, Louis. Et des conceptions
très arrêtées. Sur tout. Mais sur ça en particulier. Je te dis
pas quelle opinion il aurait de moi après !
– Franchement,
je préfère être à ma place qu’à la tienne. Et de loin !
– Il
a quand même plein de qualités. Et puis il est gentil.
– Victor
aussi, il est gentil ! Ça l’empêche pas d’avoir toutes
sortes d’idées. Et de m’en faire profiter.
– Quoi,
par exemple ?
– Il
y a quelque chose, surtout, mais ça va te paraître bizarre.
– Dis !
– Je
sais pas.
– Mais
si, dis !
– Il
me donne des claques. Sur les fesses.
– Des
fessées, quoi ! Fort ?
– Encore
assez, oui.
– Et
ça te fait quoi ?
– Du
mal. Et du bien en même temps. Du bien parce que ça fait mal
justement. Et ça me donne envie de lui. Beaucoup plus que n’importe
quoi d’autre.
– C’est
drôle que tu me dises ça ! Parce que moi, il y a un rêve que
j’arrête pas de faire. Presque toutes les nuits. Plusieurs fois
par nuit, même, souvent.
– Eh
bien, raconte !
– Je
suis au cirque. Dans les tout premiers rangs. Il y a un jongleur,
dans une cage, qui fait grimper trois lions sur des escabeaux. Qui
les fait passer dans des cercles de feu. Qui met sa tête dans leur
gueule. Qui réclame, à un moment, qu’un spectateur vienne le
rejoindre. Personne ose. Mais moi, si ! J’y vais. Dans la
cage. Avec les lions. Que je vois de tout près. Ils sont beaux. Ils
sont forts. Lui, il brandit son fouet. Il le fait claquer dans ma
direction. Il veut que je me mette toute nue, là, devant tout le
monde. J’ai honte, j’ai horriblement honte, mais j’obéis. Je
le fais quand même. Alors, il me fouette. Pour me punir. Il me
traite de dévergondée, de sale petite vicieuse. Et il cingle. De
plus en plus fort. Ça me fait danser sur place. Ça me fait crier.
Tout le monde me regarde. Tout le monde m’entend. Il y a des gens
qui rient. D’autres qui font des réflexions tout fort. Et j’ai
peur. J’ai peur qu’on se rende compte que c’est en train de
venir. Qu’il monte mon plaisir. Qu’il va me submerger. Ça me
réveille. En sursaut. Je suis toute moite. Je suis toute trempée.
Avec le cœur qui bat à toute allure.
– Et ?
– Et…
Ben, oui ! Et… Il dort comme un sonneur, Louis. Rien le
réveille jamais.
EMBARQUEMENTS
James
Tissot. Room Overlooking the Harbour. (entre 1876 et 1878)
On
m’a saisi le bras au passage.
– Tu
me reconnais pas ?
– C’est
pas vrai ! Clotilde ! Mais qu’est-ce que tu fais là ?
– La
même chose que toi, j’imagine ! J’embarque pour les
États-Unis. Bon, mais reste pas planté comme ça !
Assieds-toi ! Qu’on discute un peu.
Clotilde !
Si je m’étais attendu… Clotilde !
– Qu’est-ce
tu vas faire là-bas si c’est pas indiscret ?
– Rejoindre
mon mari. Qui est américain. On habite Philadelphie. Et toi ?
– La
société pour laquelle je travaille a son siège à New York. Je
fais l’aller et retour plusieurs fois par an.
Clotilde !
Je ne savais jamais quand j’allais la voir surgir chez moi, à
l’époque, mais j’en connaissais toujours la raison : elle
venait chercher sa fessée. En toute discrétion.
– Il
y a combien de temps qu’on s’est pas vus ?
– Oh,
pas loin de dix ans !
Elle
frappait. Elle entrait. On ne parlait pas. On ne parlait jamais.
Rien. Pas un mot. Ce qu’elle voulait, c’était que je fonde sur
elle, que je l’empoigne, que je la trousse, que je lui mette le
derrière à l’air et que je lui flanque une vigoureuse fessée.
Sans autre forme de procès. Elle gémissait, elle criait, elle
battait des jambes, mais elle ne protestait pas. Elle ne protestait
jamais. Elle se laissait docilement faire. Aussi longtemps que je le
souhaitais. Quand j’en avais fini, elle se relevait, elle se
rhabillait « Merci ! » Et elle repartait comme elle
était venue.
– T’es
retourné là-bas ?
– Pas
depuis la mort de mon père, non.
Là-bas…
Les bals. Les garden-parties. Les ventes de charité. Les
interminables parties de whist. Et Édouard, son promis, qui la
suivait comme son ombre.
– Tu
l’as pas épousé finalement !
– C’était
à deux doigts. Mais non, non, Dieu merci !
J’ai
laissé longuement traîner mon regard sur le port, les vergues des
bateaux, les vols planés des mouettes.
– À
quoi tu penses, Jean ?
– À
la même chose que toi, je suppose.
– Quand
même… Quand même… Fallait que j’aie sacrément confiance en
toi, avoue !
– Une
confiance que je n’ai jamais trahie. Ce que je n’ai jamais su,
par contre, ce que tu n’as jamais voulu me dire, c’est pourquoi
ces fessées.
– Je
méritais d’être punie. J’en avais besoin.
– Parce
que ?
– Ça
ne regarde que moi.
– Et,
maintenant, ça n’a plus de raison d’être ?
– Oh,
que si ! Plus que jamais !
Elle
a plongé ses yeux dans les miens.
– Tu
disais que tu viens souvent à New York alors ?
– Tous
les deux-trois mois…
– C’est
bizarre que le destin nous remette comme ça en contact, non ?
Tu trouves pas ?
– Oui.
Un peu comme s’il attendait de nous qu’on reprenne les choses là
où on les a jadis laissées.
– Ce
qui est très certainement le cas.
– Et
on ne contrarie pas le destin.
– Jamais.
Elle
s’est levée.
– On
commence par un petit acompte ?
J’ai
laissé passer une dizaine de minutes et je suis allé la rejoindre
dans sa cabine.
EMBARQUEMENTS (2)
James
Tissot The Gallery of HMS Calcutta (Portsmouth) (vers 1876) Souvenir
d’un bal à bord.
Pour
le bal de bienvenue du capitaine elle avait revêtu une superbe robe
blanche ornée de gros nœuds jaunes.
Et
j’ai, bien sûr, été le premier à l’inviter à danser.
– Tu
es absolument ravissante.
– Merci.
– Et
je suis aux anges de pouvoir faire cette traversée avec toi.
– Ce
qui m’expose, j’en ai bien peur, à huit jours de fessées quasi
quotidiennes.
– Peur ?
– C’est
une façon de parler.
– Celle
d’hier soir ne semble pas t’avoir vraiment déplu.
– Veux-tu
bien te taire !
– Tu
t’es montrée très expressive.
– On
a entendu, tu crois ?
– Tes
voisins les plus proches, ça ne fait pas l’ombre d’un doute.
– Lesquels
voisins sont d’ailleurs, pour l’heure, accoudés là-bas, au
bastingage.
– En
effet.
– Nous
sommes suffisamment à l’aise ensemble, toi et moi, et ce depuis
suffisamment longtemps, pour que je puisse me permettre de te
demander une faveur.
– Je
t’écoute.
– Je
vais aller prendre place à leurs côtés et jouer les belles
indifférentes, dissimulée derrière mon éventail. Et toi, pendant
ce temps-là…
– Compris.
Va vite…
Ils
l’ont d’abord poliment ignorée. Et puis ils se sont enhardis.
Elle d’abord. Qui lui a jeté de brefs regards, à plusieurs
reprises. Qui a murmuré quelque chose, en riant, à l’oreille de
son compagnon. Son regard s’est attardé sur son dos, sur ses
reins, et puis, plus longuement sur sa croupe. Elle a encore
chuchoté, toujours en riant. Lui aussi a ri. Plus ouvertement. Et
s’est goulûment et longuement repu de ses fesses sous la robe.
Elle
est revenue et on est retourné danser.
– Alors ?
Elle
m’a écouté avec infiniment d’attention.
– Et
c’est tout ?
– C’est
pas si mal, non ? Ce qu’il y a de sûr, en tout cas, c’est
qu’ils vont désormais être très attentifs à ce qui se passe
dans ta cabine. Surtout quand je viendrai t’y rejoindre. Et ils ne
seront sans doute pas les seuls d’ailleurs. D’autres aussi, ici
ou là, ont dû entendre. Ou entendront.
Elle
s’est laissée aller contre moi.
– Et
c’est une situation qui ne semble pas faite pour te déplaire,
avoue !
– Tu
ne devrais pas être censé t’en apercevoir.
On
a valsé un long moment en silence, les yeux dans les yeux.
– Je
peux te poser une question ?
– Dis
toujours…
– Une
question à laquelle, jusqu’à présent, tu n’as jamais voulu
répondre.
– Oh,
toi, je te vois venir.
– Ces
fessées, de ma main, que tu sollicitais si obstinément jadis, elles
avaient pour but de te punir de quoi ?
– Tu
veux vraiment savoir ?
– Puisque
je te le demande…
– Tu
me punissais d’être amoureuse de toi. Alors que je n’en avais
pas le droit. Que j’étais fiancée à un autre.
– Et
aujourd’hui ? Je te punis de quoi ? De la même chose ?
Tu n’as toujours pas le droit. Tu es mariée cette fois. À moins
que…
– Tais-toi !
Je t’en supplie, tais-toi !
RÊVERIE
Franciszek
Zmurko In delightful dream
Il
est là, derrière elle. Au-dessus d’elle. Tout près.
Et
il y a sa voix. Grave. Posée. Chaude. Envoûtante.
– Vous
pouvez vous occuper de ce dossier, Mélanie ?
Sa
voix qui la saisit aux épaules. Qui lui ruisselle le long de
l’échine. Qui va se perdre au creux de ses reins.
– Mais
certainement, monsieur.
Il
y a ses mains, qui déposent les documents devant elle. Ses mains à
la peau tannée par le soleil. Aux longs doigts effilés. Ses doigts…
Et
aussi son parfum, âcre, entêtant, qu’elle aspire à pleines
narines et dont l’air, autour d’elle, reste longtemps imprégné.
Il
va. Il vient. Il donne ses ordres. Il lui en donne à elle. Il en
donne à Jasmine. À Clotilde. À Émilie. À elles toutes. Des
ordres qui sont tout aussitôt exécutés. Avec empressement. Des
ordres qu’il ne viendrait à l’idée de personne de discuter. Il
décide. Il choisit. Il impose. C’est rassurant. C’est apaisant.
De
temps à autre, elle lève la tête. Le suit des yeux. Et les baisse
aussitôt qu’elle rencontre les siens.
*
*
*
Elle
est seule. Dans sa chambre.
Elle
est seule mais, malgré tout, il est là. Avec elle.
– Qu’est-ce
que c’est que ce torchon que vous m’avez pondu, Mélanie ?
– Je…
– Vous,
quoi ? Vous vous fichez carrément du monde, oui !
– Mais
non, mais…
– Vous
n’êtes pas à ce que vous faites. Vous avez constamment la tête
ailleurs. Alors évidemment…
Elle
ne répond pas.
– Regardez-moi
quand je vous parle.
Elle
relève la tête.
– Et
reconnaissez que votre travail, depuis un bon moment déjà, laisse
énormément à désirer.
– Je
suis désolée.
Il
hausse les épaules.
– Vous
êtes désolée… Vous êtes désolée… Et vous vous imaginez
vraiment que je vais me contenter d’une excuse comme celle-là ?
Il
pose ses mains sur ses épaules. Les y laisse.
– Non,
Mélanie, non ! Vous en prenez beaucoup trop à votre aise ces
derniers temps. Des sanctions s’imposent à l’évidence. Dans
l’intérêt de l’entreprise, mais, également, dans votre intérêt
à vous. Non ? Vous ne croyez pas ?
Elle
plante brièvement ses yeux dans les siens.
– Si !
Dans
un souffle.
– Ah,
vous voyez ! Et, dans votre cas, une bonne fessée déculottée
serait, à n’en pas douter, le châtiment le plus approprié. Non ?
Elle
frémit. Il l’a dit. Il a dit le mot. Son souffle s’accélère.
Ses mains se font moites.
– Eh
bien ? Répondez !
– Je
ne sais pas.
– Bien
sûr que si ! Évidemment que vous savez ! Et je veux
l’entendre. De votre bouche.
Elle
se trouble. Elle balbutie.
– J’ai
mérité.
Ses
mains descendent s’installer sur ses hanches. Se les approprient.
Elle frissonne.
– Tu
as mérité quoi ?
Il
la tutoie. Il l’a tutoyée. Elle chancelle.
– Une
fessée.
– Une
fessée comment ?
– Cul
nu.
– Cul
nu, oui.
Et
il se glisse sous l’élastique de la culotte. Il la descend.
Lentement. Si lentement. Ses doigts se précipitent à la rencontre
des siens. Les rejoignent. S’enlacent à eux.
– Oh,
c’est bon… C’est si bon !
C’est
trop. Elle ne peut pas attendre. Elle ne peut plus. Tout chavire. Ça
la traverse. Ça la transperce. Ça la transporte. Un plaisir comme
jamais.
RÊVERIE (2)
Franciszek
Zmurko. Wspolczesne malarstwo polskie
Jasmine
ne lui laisse pas le temps d’arriver jusqu’à sa place, de
s’asseoir.
– Ben,
qu’est-ce que t’as ce matin ?
– Hein ?
Mais rien. Rien. Pourquoi ?
Émilie
et Clotilde font aussitôt chorus.
– Ah,
si ! Si ! T’as quelque chose, si ! Tu fais tout
heureuse. Tout épanouie. T’as rencontré le grand amour ou quoi ?
Lui,
là-bas, il a levé la tête. Il sourit. Il s’approche. Il plonge
ses yeux dans les siens.
– En
tout cas, quoi que ce soit qui vous ait mise dans cet état-là,
Mélanie, cela vous va à ravir.
Elle
se trouble. Il fixe ses mains qu’elle ne parvient pas à empêcher
de trembler.
Ça
a eu lieu. C’est là, tandis qu’elle se penche sur ses dossiers,
plus présent encore que si ça avait vraiment eu lieu. C’est là,
entre elle et lui. Il l’a vraiment grondée. Il a vraiment glissé
ses doigts sous l’élastique de sa culotte. Il la lui a vraiment
descendue. Elle lève les yeux sur lui. Il sait, elle en est sûre.
Ils savent. C’est leur secret. Si humide et si chaud entre ses
cuisses.
*
*
*
Elle
se fait longuement attendre avant de le laisser enfin venir. Pousser
la porte de sa chambre. S’avancer. Se planter devant elle, assise
sur le bord de son lit.
– Tu
pourrais au moins te lever, non ?
Elle
obtempère aussitôt.
– Ah,
oui. Oui. Pardon. Je suis désolée.
Du
bout de l’index, il lui soulève le menton, l’oblige à le
regarder.
– Tu
t’es soustraite à ta punition hier soir.
– Non.
Enfin si, oui, mais c’est parce que…
– Je
me fiche pas mal de savoir pourquoi. Le fait est que tu t’y es
soustraite. Oui on non ?
– Oui.
– Pour
ça aussi tu vas devoir payer.
– Je
le ferai plus.
– Et
cher. Déshabille-toi !
Elle
obéit.
– Tout !
T’enlèves tout. Je te veux nue comme au premier jour.
Elle
se dévêt et elle reste là, bras ballants devant lui. Lui, qui
prend tout son temps pour la détailler. Des pieds à la tête et de
la tête aux pieds. En s’attardant sur les seins qu’il soupèse
du regard. En scrutant, sans la moindre vergogne, la douce encoche
ciselée sous la fine résille ajourée.
Il
la fait doucement tourner sur elle-même.
– Mais
ce n’est pas ce côté-là, aussi enchanteur soit-il, qui nous
importe aujourd’hui.
Une
main se pose sur ses reins. Y louvoie. S’empare de l’une de ses
fesses. Qu’il palpe. Qu’il s’approprie. De l’autre.
– Prête ?
Elle
fait signe que oui. Oui.
Il
la cale contre sa cuisse, il passe un bras autour de sa taille et il
lance une première claque. À toute volée. Tout aussitôt suivie
d’une multitude d’autres. Comme ça, debout. De plus en plus
vite. De plus en plus fort. Ça fait mal. Ça brûle. Ça mord. Elle
sanglote. Elle crie.
– Arrêtez !
S’il vous plaît ! Je vous en supplie ! Arrêtez !
Elle
ne veut pas. Qu’il arrête. Elle ne veut pas.
C’est
pourtant ce qu’il finit par faire.
– Là !
Mais ce n’était qu’une simple mise en bouche. Maintenant on
passe aux choses sérieuses.
Il
la pousse vers le lit. Il l’y fait allonger. Il décroche sa
ceinture. Il la lui promène tout au long des cuisses. Il la lève.
Elle ferme les yeux. Il l’abat. Elle les rouvre. Et elle jouit dans
les siens.
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