jeudi 11 octobre 2018

Détournements coquins (3)


COLOCATION


Fenner-Behmer Bücherwurm

Baptiste, avec qui je vivais en colocation depuis six mois, venait de me faire brusquement faux bond. Il avait trouvé du travail à Strasbourg.
– Et en CDI. Ça se refuse pas un truc pareil au jour d’aujourd’hui.
Moi, ça m’arrangeait pas – mais alors là, vraiment pas – parce que, financièrement, j’avais pas le choix : il fallait absolument que je lui trouve un remplaçant.
– Et tu sais jamais sur qui tu vas tomber. C’est carrément la loterie.
– Sinon, il y aurait bien ma sœur. Ça va plus du tout la cohabitation, elle, avec ses copines. Elles arrêtent pas de se prendre le chou. Elle parle que de s’en aller.
J’avais entraperçu deux ou trois fois Morgane. Elle était souriante, avenante, plutôt jolie. Alors oui, sa sœur, oui, pourquoi pas sa sœur ?

On s’est tout de suite très bien entendus. Et organisés. On s’est équitablement réparti les tâches ménagères.
– Parce que, sinon, il y en a toujours un qui se fait avoir.
Pour ce qui était des courses, on a fait bourse commune.
– Puisque, de toute façon, on n’est là que le soir et qu’on dîne ensemble.
On profitait de ce repas en commun – qu’on prolongeait parfois fort tard – pour faire plus ample connaissance. On parlait musique. Là-dessus, on était intarissables. Équitation aussi, dont on était tous les deux passionnés. On plaisantait. On se prenait de grandes crises de fou rire pour des riens. On essayait aussi de se faire croire, sans jamais y parvenir vraiment, que nos études respectives – psychologie pour elle, sociologie pour moi – déboucheraient sur des avenirs de rêve. Elle me parlait parfois aussi d’Alexandre, son petit copain.
– Oui, oh, mon petit copain, si on veut. Si on peut dire ça d’un type qu’est marié, que je vois tous les tournants de lune, mais que j’ai tellement dans la peau que je serais totalement incapable de faire l’amour avec un autre. Faut quand même être particulièrement idiote, non ?

C’est un dimanche matin, en déjeunant, tous les deux, en tête à tête, qu’on en est venus à parler des vacances.
– Tu pars où, toi ?
Elle savait pas trop. Pas encore.
– Mais à Leucate, sûrement.
– À Leucate ? Il y a un camp naturiste là-bas.
– Oh, ben oui. Oui. Et si j’y vais, c’est là que j’irai. Parce que, pour moi, des vacances sans naturisme, c’est pas des vacances.
Non, mais c’était fou, ça ! Parce que moi aussi, ça faisait des années et des années que je pratiquais.
Ah, le naturisme ! On se sentait tellement bien, comme ça, sans rien. Avec le soleil et l’air à même la peau.
Oui, oui, bien sûr ! Mais ce qu’elle appréciait surtout, elle, chez les naturistes, c’était que la nudité soit considérée comme parfaitement naturelle. Qu’elle aille de soi. Que personne ne juge personne.
– Et jamais, au grand jamais, je ne me suis sentie l’objet de regards lubriques ou déplacés.

On était sur la même longueur d’ondes. Ce qui la ravissait.
– Non, parce que tu peux pas savoir comment c’est contraignant, pour moi, de devoir rester habillée. Même à la maison. Surtout à la maison. Quand on est habituée à toujours être à l’aise… Plusieurs fois j’ai failli t’en parler. J’ai jamais osé. Je savais pas comment t’allais réagir. Mais maintenant que les choses sont claires, qu’on sait qu’on les voit de la même façon, ça change tout.

Et ça a effectivement tout changé. Pas complètement. Ou, du moins, pas tout de suite. Parce que des plis avaient été pris auxquels il n’était pas forcément aisé de se soustraire d’emblée. On s’est d’abord, dans un premier temps, furtivement croisés dans le plus simple appareil. En allant à la salle de bains. En en revenant. Mais on s’est très vite enhardis. Et, dès le surlendemain, on évoluait nus dans tout l’appartement. On cuisinait nus. On dînait nus. On regardait la télévision nus. Partout on était nus. Et on s’en trouvait tous les deux fort bien.

C’est le mois suivant que son Alexandre s’est à nouveau manifesté.
– Il veut me voir, mais bon, je me fais pas trop d’illusions.
Ils ont passé un dimanche ensemble. Un autre. Un troisième.
– Il y a sacrément de l’eau dans le gaz avec sa bonne femme.
– C’est peut-être pas mal pour toi, ça, non ?
– Oui, oh, je connais le truc. Je vais lui servir de soupape de sécurité. Du coup, ça ira mieux avec sa légitime et il me remettra en réserve. Jusqu’à la prochaine fois.
Ça a quand même duré, cahin-caha, jusqu’au week-end de l’Ascension. Qu’ils ont passé tout entier ensemble.
Quand elle en est revenue, elle a été saisie d’une incompréhensible crise de pudeur soudaine. Qui a duré quasiment une journée entière.
– Oh, et puis merde !
Et elle a repris ses bonnes vieilles habitudes.
– Hein ! Mais qu’est-ce qui t’est arrivé ?
Elle avait les fesses d’un rouge incarnat profond. Sur toute leur surface.
– C’est Alexandre.
– Eh ben, il y est pas allé de main morte, dis donc, ton Alexandre ! Et c’était quoi la raison ?
– Qu’il en crevait d’envie. Et que je voulais pas courir le risque de le perdre.
– En tout cas, c’est impressionnant, vraiment impressionnant.
– Et ça te fait sacrément de l’effet, à toi aussi, on dirait ! C’est la première fois que je te vois bander.


COLOCATION (2)


Albert Aublet. Le sommeil (vers 1890) 

Elle avait finalement haussé les épaules.
– Que ça te fasse de l’effet de me voir le derrière tout rouge, c’est quelque chose que je peux comprendre. Et il y a, de toute façon, vraiment pas de quoi en faire une maladie.
Elle n’en avait pas fait une maladie. Et on n’avait strictement rien changé à nos habitudes. On avait continué à vivre, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, dans le plus simple appareil.
Pendant près de quinze jours, elle avait arboré un postérieur écarlate. Rutilant. Qui reprenait des couleurs quasi quotidiennement. Et dont la vision continuait à me bouleverser. Avec toujours la même intensité. Même si je parvenais désormais à en contrôler plus ou moins les manifestations extérieures. Plus ou moins. Parce que j’étais, de temps à autre, inopinément sujet à de vigoureuses érections auxquelles elle ne semblait pas prêter particulièrement attention. Tout au plus lui extorquaient-elles parfois un léger sourire.

Elle était sur son petit nuage.
– C’est par là que je le tiens ! Par la fessée. C’est vraiment par là…
Et ne mettait quasiment plus les pieds à la fac.
– Ben oui, il y a que la journée que je peux le voir. Le reste du temps, il est avec sa bonne femme.

En mars, ça s’est un peu tassé. Elle en recevait encore, oui, mais plus rarement.
– Il y a moins de gôut, tu crois ?
– Comment veux-tu que je sache ? Je le connais pas, moi, ce type. Je l’ai seulement jamais vu.
– Oui, c’est vrai, je suis idiote. Peut-être qu’il s’en lasse à force de m’en donner. Ou bien alors il s’en est trouvé une autre avec qui ça lui plaît mieux.
Elle haussait les épaules.
– De toute façon, il la quittera jamais sa Monique. Alors ou bien j’en prends mon parti ou bien je me désenglue de là-dedans.

En avril elle n’en a pas reçu. Pas du tout.
– C’est que tu le vois plus, hein, c’est ça ?
– T’as tout compris
– Il t’a larguée ?
– Pas vraiment, non. Soi-disant qu’il veut prendre un peu de recul. Mais ça, c’est le sas de décompression avant la rupture. Pas la peine que je me fasse d’illusions.

Mais, contre toute attente, début mai ses fesses sont redevenues d’un rouge flamboyant.
– Elles me manquaient, ces fessées. Plus que lui, même, dans un sens. Qu’est-ce qu’elles pouvaient me manquer !
– Et à moi, donc !
On s’est regardés. Et on a éclaté de rire.

Elle a jeté ses clefs sur la table, son sac sur le canapé.
– Oui, ben, en fait, comme prévu, c’était le mieux avant la fin.
– Comment ça ?
– Il part s’installer au Chili. Définitivement. Avec sa femme. Et tu peux pas savoir quel soulagement c’est pour moi, finalement, dans un sens. Parce que danser sans arrêt d’un pied sur l’autre, toujours se demander, jamais savoir, se sentir sans arrêt ballottée, c’est d’un épuisant à force.
Elle avait raté ses examens.
– En plus ! Mais ça, c’était couru.

Des sanglots hoquetés m’ont brusquement réveillé. On était en juin. Un juin torride. Étouffant. Pour avoir un peu d’air, on laissait, la nuit, ouvertes les fenêtres et les portes des chambres. Je me suis levé. Approché. Elle était nue sur son lit. Elle me tournait le dos. Je lui ai posé une main sur l’épaule.
– Ça va pas ?
Ses sanglots ont redoublé.
– Il te manque ?
– C’est pas ça, non. C’est pas lui.
– C’est quoi alors ?
Elle a murmuré.
– Donne-m’en une ! Une fessée. Donne-m’en une…
Et elle s’est tournée sur le ventre.
J’ai levé la main. Je l’ai abattue.


AU BAIN





Gerome, Bad

– Allez, on va te faire toute belle.
– Oui, oh ! Ça servira à rien. Comme d’habitude.
– Qui sait ?
– Tu parles ! Voilà bientôt huit mois, Simola, que tu me prépares tous les soirs, pour le cas où le maître manifesterait le désir que je partage sa couche. Et voilà huit mois que ça n’arrive pas. Ça n’arrive jamais.
– Il dispose de ses esclaves comme il l’entend.
– Ce qui signifie que, ce soir encore, nous serons une bonne trentaine, à en être réduites, une fois de plus, à recevoir le fouet devant lui pour raviver, par nos gémissements et nos contorsions, des désirs qu’il assouvira avec d’autres. Toujours les mêmes. Pourquoi systématiquement elles ?
– Parce que tel est son bon vouloir. Parce que ce sont ses préférées, qu’elles l’ont toujours été, qu’elles le satisfont et qu’il n’a pas de comptes à rendre à qui que ce soit.
– Je sais bien, mais…
– Mais ?
– Non. Rien.
– Ça ne te déplaît pas vraiment, avoue !
– Quoi donc ?
– Le fouet.
– Je l’ai en horreur.
– Mais pas ce qui vient ensuite. Quand vous vous retrouvez entre vous, après avoir été flagellées, pour vous consoler et vous enduire voluptueusement les unes les autres de toutes sortes d’onguents.
– Ça brûle tellement ! Ça nous soulage.
– Et les caresses que, dans la foulée, vous vous prodiguez généreusement, c’est un autre feu, j’imagine, qu’elles ont pour but d’apaiser.
– Il y aura bientôt un an que je n’ai pas serré un homme dans mes bras. Ça me manque, Simola. Tu peux pas savoir comme ça me manque !
– Oh, que si ! Sais-tu garder un secret ?
– Lequel ?
– Les eunuques…
– Ne peuvent pas grand-chose pour moi.
– À l’exception, ici, de deux d’entre eux qui, bien que coupés, peuvent encore se dresser bien droits et bien durs.
– Comment est-ce possible ? Comment s’explique ce prodige ?
– Je l’ignore. Et peu m’importe. Il me satisfont, chaque fois que j’en ressens la nécessité, sans me faire pour autant courir le risque d’être grosse. Cela me suffit.
– Et qui sont ces deux phénomènes ?
– Tu le sauras si tu me jures de n’en toucher jamais mot à personne. Ils risqueraient leur vie. Et nous, la nôtre.
– Il va sans dire.
– Alors éclipse-toi discrètement ce soir et rejoins-moi ici.
– Ils y seront ?
– L’un d’entre eux. Que tu auras à ton entière disposition. À une condition : que tu m’abandonnes tes lèvres quand il sera en toi.





DERRIÈRE LA CLOISON



Auguste Levêque Hymne à la femme, 1909

Le signal ! C’est Ludovic qui l’avertit qu’il y a quelqu’un, l’œil rivé au trou dans la cloison. Quelqu’un qui l’épie sans savoir qu’il est, à son tour, épié. Que son mari le regarde la regarder avec infiniment d’attention et qu’il lui fera ensuite, à elle, un rapport des plus circonstanciés.
Quelqu’un… Elle ignore qui. À qui il a loué la chambre voisine. Elle ne le saura qu’après, quand il viendra la rejoindre. Elle préfère. Elle adore.

Elle se brosse interminablement la chevelure, dos offert, nu, à l’inconnu. Qui ? Peut-être ce voyageur à la mine conquérante qui, tout-à-l’heure, soupesait goulûment ses seins, du regard, quand elle s’approchait de sa table, quand elle y déposait les plats. Dont elle sentait, quand elle s’éloignait, les yeux s’emparer résolument de ses fesses. Ses fesses qu’il ne lâchait, à regret, qu’au tout dernier moment, lorsque la porte de la cuisine retombait sur elles.
Elle se lève. Elle les lui abandonne. Longuement. Tout-à-l’heure, elles seront à découvert pour lui. Mais seulement tout-à-l’heure. Pas tout de suite. Plus tard.

À moins que ce ne soit le petit jeune homme tout timide, tout effacé, réfugié dans le coin, près de la sortie, qui rougissait chaque fois qu’elle lui adressait la parole pour les besoins du service. Qui n’a sans doute jamais connu de femme. Ou seulement dans ses rêves. C’est pour lui qu’elle se retourne, qu’elle écarte les cheveux qui lui voilent les seins. Pour qu’il les ait pleinement. Qu’il s’en repaisse. Qu’il prenne son plaisir sur eux, ivre de reconnaissance.

Ou alors, c’est « le monsieur ». À l’air si austère, si revêche qui, de tout le repas, n’a pas levé une seule fois les yeux de ses papiers. Qui l’a superbement ignorée. Elle laisse tomber sa robe. Nue comme au premier jour. Et là ? Ah, tiens ! Il ne joue plus les indifférents d’un seul coup ? Comme elle lui plaît sa petite encoche ! Elle la lui laisse. Elle la lui cède. Comme il y a les yeux rivés ! Il déglutit. Son souffle s’emballe. Il perd pied. Il va jouir. Il jouit.

Et maintenant, le bouquet final. Elle va se retourner. Et lui offrir ses fesses. À lui. À eux. À eux tous. Ses fesses zébrées. Estampillées. C’est pour eux que Ludovic les lui a si joliment habillées de rouge ardent. Et il n’y est pas allé de main morte ! Elle a aimé. Tellement. Voilà ! Elle les leur abandonne. Ils écarquillent les yeux. Ils regardent. Ils regardent tout leur saoul. Ils sont heureux. Elle est heureuse.


* *
*

Ludovic ! Elle se réfugie dans ses bras. Se presse contre lui.
– C’est qui, derrière ?
Tout bas. À son oreille.
Il sourit. Il ne répond pas.
– Il y est encore, tu crois ?
– Ça ! Tant que tu seras dans son champ de vision…
– Mais c’est qui ? Celui qu’arrêtait pas de me bouffer des yeux dans la salle, en bas, c’est ça, hein ?
Il fait signe que non. Non.
– Le puceau alors ? Oui, c’est lui. Je suis sûre que c’est lui.
– Non plus, non.
– Reste plus que le coincé.
– Pas davantage.
– Je vois pas alors… Je sèche. Dis-moi !
– La dame en bleu…
Elle! La… Quel salaud tu fais ! Non, mais alors là, quel salaud tu fais !
– Dès que je l’ai vue, dès qu’elle a eu passé la porte de l’hôtel, j’ai su qu’aujourd’hui il fallait que ce soit elle. Qu’elle apprécierait. Énormément.
– Ce qui a été le cas ?
– C’est rien de le dire. Ah, pour donner, ça a donné. Elle s’est régalée. Ça s’est vu. Et entendu. Et c’est pas fini…
Il la pousse vers le lit. Ils y tombent, enlacés.
– Parce que tu maintenant vas lui montrer comment, toi aussi, tu sais bien prendre ton pied. D'autant que… tu sais quoi? Elle aussi, elle l'a tout rouge son petit derrière.



EMPLETTES



Jean Sala Street Scene (avant 1918)

– Vous venez, ma chère ?
– Un instant, je vous prie, mon ami. Il y a là, en devanture, des articles ravissants.
– N’avez-vous point suffisamment de fanfreluches ? Vos armoires en regorgent.
– Des articles qui, là-bas, à Angoulême, rendraient mes amies folles de jalousie.
– Nous avons, je vous le rappelle, passé un accord.
– Je sais, mon ami, je sais.
– Accord selon lequel vous disposez, chaque mois, pour vos menues emplettes, d’une somme, ma foi fort substantielle, que vous avez, cette fois-ci, atteinte. Toute dépense supplémentaire vous expose, dès lors, à des sanctions dont vous avez accepté le principe et qui sont applicables en fonction d’un barême que nous avons établi ensemble. Un coup de fouet par tranche de dix francs.
– Certes, mon ami, certes. Mais nous montons si rarement à Paris. Ne nous serait-il pas possible de mettre, exceptionnellement, notre accord entre parenthèses ?
– Assurément, non. Un contrat est un contrat.
– Et là ! Attendez, mon ami, attendez ! Laissez-moi au moins regarder. C’est magnifique ! Absolument magnifique. Pensez-vous qu’à l’intérieur ?
– Que voulez-vous que j’en sache ?
– Verriez-vous un inconvénient à ce que j’entre un instant contempler tout cela. Contempler uniquement.
– Faites comme bon vous semble, ma chère, mais ne tardez néanmoins point trop. Que nous puissions voir cette fameuse Tour Eiffel et l’Arc de Triomphe.
– Cinq minutes. Cinq minutes et je suis à vous.

* *
*

– Cinq minutes, disiez-vous, ma chère ? Nous en sommes à deux gros quarts d’heure.
– J’en suis désolée.
– Ah, vous pouvez l’être.
– Il faut dire aussi que c’est un enchantement ci-dedans. Une véritable caverne d’Ali Baba.
– Où vous êtes parvenue à vous abstenir de dépenser, à ce qu’il semble.
– C’est-à-dire…
– C’est-à-dire ?
– Que j’ai effectué quelques achats qui nous seront livrés, ce tantôt, à l’hôtel.
– Pour une facture d’un montant de ?
– Vous verrez ces petites merveilles. Je suis convaincue que vous aussi…
– D’un montant de ?
– Quatre-cents francs. À peine plus de quatre cents francs.
– Exactement ?
– Quatre cent vingt-deux francs.
– Ce sera donc quarante-deux coups. Vous le saviez, n’est-ce pas ?
– Laisser passer des occasions comme celles-là était au-dessus de mes forces. J’en aurais cultivé le regret des années durant.
– Venez !
– Où cela ?
– Venez, vous dis-je !

* *
*

– Entrez, ma chère…
– Là ? Mais…
– Il s’y vend de très jolis fouets, voyez ! Et assurément très efficaces.
– Cela ne peut-il attendre que nous soyons rentrés à Angoulême ?
– Certes, non ! Plus tôt on règle ses dettes et mieux on se porte.
– Le vendeur ne va-t-il pas se douter ?
– Que cet achat vous est destiné ? C’est fort probable en effet. Mais qu’importe ! Nous sommes loin de chez nous. Personne ne nous




VINGT ANS APRÈS



Delphin Enjolras The boudoir

– Tu te souviens ?
– Je me souviens, oui, mais elles sont si loin, maintenant, ces années-là.
– Oh, pas tellement ! Quel âge avions-nous ? Vingt-et-un ans ? Vingt-deux ?
– Vingt. Tant d’événements sont survenus depuis. Ton mariage. La mort de Charles. Mon départ pour Bergerac.
– Tu n’y repenses jamais ?
– Rarement. Très rarement.
– Et moi, souvent. Très souvent. Je nous revois. Je te revois. Avec quel empressement tu venais m’offrir ton derrière à claquer, le soir, près de la volière ! Tu te troussais à une allure !
– Il fallait faire tellement vite. On ne pouvait pas s’éloigner longtemps. Et si on nous avait surprises… Alors là, si on nous avait surprises, je n’ose même pas imaginer ce qui se serait passé.
– Il s’en est pourtant fallu quelquefois de si peu. Prises par nos jeux, nous les prolongions plus que de raison. Ils s’inquiétaient et se mettaient à notre recherche.
– Heureusement que, ce faisant, ils nous appelaient et que le son de leurs voix…
– Te laissait largement le temps de remettre de l’ordre dans ta tenue.
– On avait un prétexte tout trouvé : les oiseaux. Au coucher desquels on prétendait vouloir assister.
– Tu étais insatiable. À peine les marques s’étaient-elles effacées que tu me réclamais, à cors et à cris, une nouvelle fessée.
– Qu’il ne m’était nul besoin de quémander longtemps. Tu prenais un tel plaisir à me l’infliger !
– Et toi, à la recevoir.
– J’aimais trop tes yeux quand on se relevait. Ils brillaient d’une telle excitation !
– Et moi, les tiens ! Qui n’étaient plus que volupté. Volupté pure.
– Tu tapais fort. Ça me brûlait pendant des heures.
– Ce qui n’était pas pour te déplaire, avoue !
– Oh, non ! Non. Plus c’était fort et plus… On était complètement folles.
– Et le reste du temps… Dès qu’on réussissait à être un peu seules, on en parlait. On ne pouvait pas s’empêcher d’en parler.
– Il fallait absolument que je te dise. Tout. À quoi je pensais quand tu me le faisais. Ce que je ressentais. Si j’avais honte. T’arrêtais pas de me poser des milliers de questions. Auxquelles il m’était impossible de répondre. On ne peut pas mettre de mots sur ces sensations-là.
– Et toutes ces promesses que tu me faisais. Que toujours je pourrais t’en donner des fessées. Toute notre vie. Même quand tu serais mariée. Que c’était quelque chose dont jamais tu ne pourrais te passer.
– On était bien un peu exaltées.
– Tu ne les as jamais tenues, tes promesses.
– Et pour cause. La vie nous a séparées. Éloignées l’une de l’autre.
– Et finalement rapprochées.
– Oui, mais…
– Mais ?
– Ce ne serait plus vraiment pareil aujourd’hui. On a changé. Mûri. On ne serait plus que la caricature de nous-mêmes. On serait déçues. Tellement déçues.
– Ou très agréablement surprises au contraire.
– Tu crois, toi ?
– J’en suis convaincue.
– Jamais on n’aurait dû raviver ces souvenirs. Jamais.
– Et pourquoi cela ?
– Parce que…
– Parce que la perspective de te retrouver, comme avant, les fesses à l’air…
– Tais-toi !
– Et de me les offrir pour une vigoureuse claquée.
– Tais-toi, je t’en supplie !
– Te tente au moins tout autant qu’avant.
– S’il te plaît, Alice…
– Que redoutes-tu ? On est seules. Que toutes les deux. Pour la journée. Regarde-moi, Marthe ! Ils sont pleins de cette envie-là, tes yeux. Ils en débordent. Allez, cesse donc de lutter contre toi-même ! Pose-moi ce tambour à broderie. Et trousse-toi ! Comme là-bas. Comme avant.




UN DIMANCHE



Paul Signac. Un dimanche.


– Qu’y-a-t-il donc de si intéressant dans la rue, très chère ?
– Oh, rien, mon ami, rien ! Je regarde tomber la pluie.
– Ça vous passionne ?
– Non, ça me distrait.
En face, en contrebas, ils sont assis sur le lit. Un couple. Une quarantaine d’années. Peut-être un peu moins.
– Et si vous invitiez votre sœur le week-end prochain ? Vous pourriez bavarder un peu toutes les deux.
– Je ne sais pas. Nous verrons.
Là-bas, ils se parlent. Il lui prend les mains. Ils se regardent.
– Ça vous ferait le plus grand bien.
– Nous verrons, vous dis-je !
Il la couche en travers de ses genoux. Il lui parle encore. Il lui relève haut la robe. Elle ramène ses mains en arrière, sur ses fesses, pour se protéger.
– Vous m’écoutez ?
– Pardon ?
– Je vous demande si vous avez versé ses émoluments à la cuisinière.
– Bien sûr, mon ami, bien sûr !
La main de l’homme s’abat. La femme sursaute.
J’ai beaucoup de chance : ils n’ont pas tiré le rideau. Quand ils sont à l’hôtel, loin de chez eux, les gens font beaucoup moins attention à ce qui les entoure. À moins que ce ne soit délibéré et que, sciemment…
– Ce bois est tout juste sec. Quand je pense au prix qu’ils nous le vendent.
– Changez de fournisseur, mon ami.
Il tape. Il tape à toute volée. De grands coups. Qui tombent de très haut. La femme bat des jambes, se contorsionne en tous sens.
– Dumox est un ami. J’ai scrupule à lui faire des infidélités. Mais enfin s’il persiste dans la piètre qualité, je n’aurai pas le moindre état d’âme.
Elle doit gémir, sûrement ! Peut-être même crier.
Ça s’agite dans mon bas-ventre. Une chaleur. De délicieux picotements.
– Avez-vous entendu dire que nous allons changer de curé ?
– Vraiment ?
– Oui, il paraîtrait que l’abbé Volmare n’est pas en odeur de sainteté à l’évêché.
Elle se relève. Elle tourne le dos à la fenêtre. Ses fesses sont d’un rouge rutilant.
Ça perle humide entre mes cuisses.
En face, il tire le rideau.
Je laisse retomber le mien.
– Vous vous retirez, chère amie ?
– Oui, je vais m’allonger un peu. Ma migraine me reprend.

Seule. Les images sont encore là. Toutes neuves Toutes chaudes. Je vais être à moi. Je suis à moi.


ENTRE ELLES



Félix Vallotton. Die Ruhe der Modelle

– Je comprends pas.
– Il y a rien à comprendre. Je te quitte. Voilà. c’est tout.
– Mais pourquoi ?
– Parce que… Ça a été une belle histoire, nous deux. Une très belle histoire. Mais même les plus belles histoires ne peuvent pas durer éternellement.
– Tu m’aimes plus, quoi ! C’est ça, hein ?
– Moins.
– Mais pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce qui te plaît plus en moi ?
– Mais rien du tout. C’est pas la question.
– C’est quoi, alors, la question ? T’as rencontré quelqu’un ?
– Oui.
– Ah, nous y voilà ! Qui c’est ?
– Ça n’a pas d’importance qui c’est.
– Ah, si, ça en a, si ! Beaucoup. Elle a quel âge ?
– Vingt-huit.
– Elle est mieux que moi ?
– Elle est différente.
– Blonde ? Brune ?
– Qu’est-ce que ça peut faire ?
– Si, ça fait. Elle te lèche bien ?
– Écoute, Flora…
– Oui, forcément. Ça te fait complètement grimper aux rideaux, ça. Tu l’as rencontrée où ?
– Sur Internet.
– Ah, ben d’accord ! Ce qui veut dire que, même en étant avec moi, tu cherchais déjà ailleurs. Qu’est-ce c’était comme site ? Tu cherchais quoi ?
– Quelque chose qui t’a jamais branchée.
– Mais quoi ? Dis ! C’est agaçant à la fin.
– J’ai trop besoin de flanquer des fessées à quelqu’un.
– Mais pourquoi tu m’as pas demandé à moi ?
– On en a parlé. À plusieurs reprises. T’as jamais réagi.
– Parce qu’on évoquait ça comme ça. En l’air. T’étais pas explicite.
– Parce que t’étais pas réceptive.
– Que tu dis !
– Tu le cachais bien alors !
– C’est vrai qu’a priori c’était pas le genre de choses qui m’attiraient, mais j’aurais su quelle importance ça avait pour toi…
– Tu m’aurais fait la charité.
– Mais pas du tout enfin ! J’aurais été heureuse de te faire plaisir. Tu sais bien comment ça m’excite de te sentir excitée.
– Mais pas pour ça !
– T’en sais rien du tout. On a jamais essayé. Essaie ! Vas-y ! Essaie !

– Effectivement !
– Ah, tu vois !
– D’autant que je t’ai pas ménagée.
– Et j’ai pas fait semblant, hein ! À aucun moment j’ai fait semblant.
– Je sais, oui. J’ai vu. Mais, Flora…
– Oui. Quoi ?
– Faut que je te dise quelque chose. Il y a jamais eu d’autre nana. Et j’ai jamais eu l’intention de te quitter.
– Hein ! Mais pourquoi t’es allée inventer une histoire pareille ?
– Parce que sinon, tu ne te serais offerte que du bout des fesses, tandis que là !
– Oh, la garce ! Non, mais quelle petite saloperie tu fais ! C’est toi qu’en mérites une, oui ! Et je peux te dire que tu vas prendre cher.




HARCÈLEMENT



John William Waterhouse. Decameron, 1916

Elles ont d’abord écouté de loin. Se sont peu à peu approchées. De plus en plus près. Tout près. Ont fini par s’asseoir dans l’herbe à nos pieds. Nous ont religieusement écoutés.
– Encore ! S’il vous plaît, encore !
Et on a joué pour elles. Longtemps.
– Encore ! Encore !
Quand l’Angélus a sonné, elles se sont relevées, éloignées. Sans un mot. Lentement. Comme à regret.

Le soir, à l’auberge, un sourd-muet m’a subrepticement glissé un billet dans la main. Et s’est aussitôt enfui.
« Vous m’aimez ! Comment ils le hurlaient vos yeux, quand vous les plongiez tout-à-l’heure dans les miens. C’est pour moi que vous jouiez. Que pour moi. Pour moi seule. Je le savais. Je le voyais. Vous m’aimez. Je suis heureuse. »

J’étais sur le point de me coucher quand le même sourd-muet est venu gratter à la porte, m’en a tendu un autre.
« Je suis mariée. Il nous faut vivre notre amour dans le plus grand secret. Je compte sur vous. Je vous aime. »

Thibaud est parti d’un grand éclat de rire.
– C’est pas drôle.
– Ah, ben si ! Si ! Parce que chaque fois, c’est la même chose. Où qu’on passe, il y en a toujours une pour tomber amoureuse folle de toi. Ah, le prestige de l’artiste ! Du musicien. Laquelle c’est ?
– Qu’est-ce que tu veux que j’en sache ?
– Tu t’en fous n’importe comment. Que ce soit l’une ou l’autre… Du moment qu'à l'arrivée tu tires ton coup.
– Oui, ben alors là, il y a pas de risque. Les amoureuses transies, j’ai donné, merci. Si c’est pour qu’après elle nous colle aux basques trois semaines comme la Francesca, à Bergame.
– Faut reconnaître que celle-là, pour s’en débarrasser…

Au matin, il y en a eu un autre.
« J’ai passé la nuit avec toi, mon amour. À penser à toi. À rêver de toi. Tu vas m’emmener. Loin. Loin d’ici. Là où nous serons heureux. Tu me redonnes goût à la vie. Si tu savais ! Merci ! Merci ! »

À midi aussi.
« Tu m’as cherchée des yeux à l’église, tandis que tu jouais. Mais tu ne t’es pas attardé sur moi. Pour ne pas éveiller les soupçons. Tu en mourais d’envie pourtant. Tout en toi le criait. Oh, mais je te revaudrai ça. Au centuple. »

Thibaud ne voulait pas avoir l’air d’insister.
– Mais quand même ! Tant que tu l’auras pas sautée, elle te lâchera pas la grappe.
– Elle me la lâchera pas non plus après.
– Ben, justement ! Fais-toi plaisir. T’auras au moins eu ça pour te dédommager.
– Je sais même pas qui c’est.
– Tu veux que je me renseigne ?
– Ah, non ! Non ! Surtout pas ! Me la balance pas entre les pattes, hein !

« Tu étais beau tout-à-l’heure au château. Si beau ! Et tu as joué notre air à nous. Il faut qu’on prenne une décision. On ne peut plus attendre. Je sais ce que je vais faire. Tu seras fier de moi, tu verras ! »

– Je crains le pire.
– Oui. Il y a des chances qu’on la voie rappliquer.
– Tu sauras qui c’est comme ça, au moins.
– J’y tiens pas spécialement.

« Je lui ai tout dit. À mon mari. Je lui ai tout dit. C’est plus honnête. Et au moins, maintenant, les choses sont claires. On ne peut plus reculer. Tu vas venir me chercher. Tu vas m’emmener. »

– Si on reste ici, tu vas te retrouver avec une épée plantée au milieu du corps, oui !
– Je crois qu’il est temps, en effet, de porter nos pénates sous des cieux plus cléments.
– Et sans tarder.

On franchissait la porte de la ville quand le sourd-muet s’est, une nouvelle fois, mis en travers de notre route.
« Il a été odieux. Il m’a fouettée. Au sang. Mais j’ai été courageuse. J’ai supporté héroïquement. Pour toi. Pour nous. Viens me chercher. Viens m’enlever. Je t’attends. »
On a éperonné nos chevaux et on s'est éloignés. Le plus vite possible.




OH, L’AUTRE, COMMENT ELLE L’EMBROUILLE, LE TYPE



Villiam Thomas Smedley. One day in June.

– Va-t-en, Guillaume, allez, va-t-en maintenant ! S’il te plaît…
– Tu me chasses ?
– Tu sais bien que non. Mais du labeur m’attend.
– Il peut encore attendre.
– Holà, non ! Si je n’ai point fini ma besogne quand la maîtresse va rentrer…
– Eh bien ?
– Eh bien je passerai un sale quart d’heure.
– Elle va te punir ?
– Qui sait ?
– Elle te punit quelquefois ? Oui, hein ! Comment ? Attends ! Dis rien ! Laisse-moi deviner… Elle te donne des fessées.
– Que tu es bête !
– Tu as rougi…
– Mais non !
– Ah, si, si ! Et tu rougis encore. C’est que c’est vrai alors si tu rougis ! Souvent elle t’en donne ? Tu l’as eue quand la dernière fois ? Hier ?
– Jamais de la vie !
– Fais voir !
– Que je… Non, mais et puis quoi encore ?
– Tu veux pas ?
– Bien sûr que non !
– Ben, tiens ! Et pour cause… Elle a tapé fort ? Elles sont très rouges ? Tu peux au moins me dire si elles sont rouges.
– Mais non qu’elles sont pas rouges. Elles peuvent pas être rouges puisque j’en ai pas eu, j’te dis.
– Jamais ?
– Jamais !
– Ma pauvre ! Tu sais pas ce que tu perds.
– Hein ?
– Ben, oui ! T’aimerais… Je suis sûr que t’aimerais…
– Non, mais ça va pas ? T’es vraiment pas bien par moments, toi, hein !
– Qu’est-ce t’en sais que t’aimerais pas ?
– Je le sais.
– Comment tu peux savoir puisque t’en as jamais reçu ?
– Je le sais quand même.
– Parce que t’en as reçu alors. Tu vois bien que t’en as reçu ! Tu m’as menti. Effrontément. Ça en mérite une, ça…
– La voilà ! Ma patronne… La voilà. Pars, Guillaume, pars, je t’en supplie.
– Pas avant que tu m’aies promis.
– Promis quoi ?
– Que tu me laisseras t'en donner une de fessée. Pour m’avoir menti.
Sûrement pas!
Alors je reste.
Je promets… Je promets…
Sûr?
– Mais oui !
– Jure-le !
– Je le jure. Mais va-t-en ! Va-t-en !




L’INTRUS



Alexandre Chaponnier. La soubrette

– Oh, pardon ! Je suis confus. J’ignorais…
– Voulez-vous bien vous retirer, petit drôle !
– En fait, je cherche…
– Retirez-vous, vous dis-je !

– Il est reparti ?
– Il est reparti, oui, mais il ne s’est guère empressé de le faire.
– C’était le comte de Coulas, n’est-ce pas ?
– Non. Son fils. Qui savait ce qu’il faisait, allez ! Il n’est pas entré ici par hasard.
– Crois-tu, Jeanne ?
– Assurément. Il fréquente assidûment le vicomte de Santry. Qui lui aura probablement confié, sous le sceau du secret, qu’il enjolive parfois le séant de Madame d’un rouge flamboyant du plus bel effet. Il aura voulu se rendre compte par lui-même et aura profité du moment où je donne ses soins à Madame pour feindre s’être trompé de porte…
– Ce jeune Coulas est un fripon.
– Qui s’est effrontément repu, pendant le peu de temps dont il a disposé, du fessier généreusement exposé de Madame.
– Et Santry un bavard.
– Les hommes ne savent pas tenir leur langue. Surtout s’agissant de nous, les femmes.
– Mais ses claquées sont si voluptueuses…
– Que Madame ne saurait y renoncer pour rien au monde.
– Ni à elles ni à ce qui s’ensuit.
– Il m’avait semblé, en effet…
– Dis-moi, Jeanne, ce petit Coulas est vraiment très joli garçon.
– Il fait fondre bien des cœurs.
– Pourquoi l’avoir si vite chassé ?
– Sa présence offusquait la pudeur de Madame.
– Peut-être reviendra-t-il ?
– Ce serait faire preuve d’une insistance malséante.
– À moins qu’on ne l’y encourage…
– Si tel est le souhait de Madame…
– Tu sais être diplomate, Jeanne. Et efficace. Tu me l’as, à maintes reprises, prouvé.
– Madame sait qu’elle peut compter sur moi. Dans quelque circonstance que ce soit.
– Alors fais en sorte que ses mains viennent prochainement s’abattre sur mon séant. Implacables et vigoureuses. Mais aussi douces et sensuelles.
– Cela sera.
– Et fais aussi en sorte que je paraisse ne m’avouer vaincue qu’après longue résistance acharnée.
– Madame peut me faire confiance.
– Merci, Jeanne.




AU PUITS



Guillaume Seignac. By the Well

– Ah, vous êtes là ! Vous auriez vu ça, mes commères ! Non, mais vous auriez vu ça !
– Et quoi donc, mon bon Célestin ? Que tu m’en as l’air tout retourné.
– Non. Oui. C’est-à-dire que j’étais au lavoir…
– Et qu’est-ce tu pouvais bien fabriquer au lavoir ?
– Quand on a vu arriver tranquillement la Goton avec son panier de linge.
– Elle a osé ! C’est pas vrai qu’elle a osé !
– Eh, si ! Comme si de rien n’était. Elle s’est installée, agenouillée, et elle s’est mise derechef à battre furieusement ses frusques. Alors la Guillemette : « Vous voyez à quoi ça ressemble une femme de cocu ? » Et elle : C’est pas à toi que ça risque d’arriver. Ou bien alors faudrait t’enfouir la tête sous une botte de paille. » « Oui, mais moi, au moins, tout le pays me passe pas dessus. » Et les autres de renchérir. « Il peut pas y avoir un homme à l’horizon sans qu’elle se jette à sa tête. » « Et quand on dit la tête… » « Ah, ça, pour avoir le feu au cul, elle a le feu au cul ! » « On pourrait peut-être le lui refroidir ? » Et Guillemette l’a poussée dans le bac, d’une grande bourrade dans le dos. Elle s’y est étalée de tout son long. Et tout le monde a éclaté de rire à la voir suffoquer, cracher et essayer d’escalader le rebord pour en sortir. Sauf qu’avec ses vêtements trempés, elle y arrivait pas. Quatre fois, cinq fois elle est retombée dedans. Et à chaque fois, autour, ça rigolait. De plus en plus fort. Même que personne l’aide, elle a quand même réussi à force et, à peine dehors, toute dégoulinante, elle s’est mise à hurler qu’elle se vengerait, que leurs maris, elle les aurait. Tous. Les uns après les autres. Même ceux de celles qu’en avait pas encore. Et Guillemette : « Ah, ouais, tu crois ça ? » Les autres aussi : « Ben, essaie pour voir ! » « Je vais pas essayer, non, je vais réussir. » « On lui en fait passer l’envie ? » Et elles sont tombées à quatre ou cinq dessus comme des furies. « Une bonne fessée, ça va te remettre les idées en place, tu vas voir » Elles l’ont troussée. Elle, elle s’est mise à hurler comme cochon qu’on égorge. « Lâchez-moi ! Mais lâchez-moi enfin ! » Elles n’en avaient pas du tout l’intention. Au contraire. Elles l’ont complètement dépiautée. Toute nue. Comme au premier jour.
– Et toi, bien sûr, tu t’es copieusement rincé l’œil.
– Moi ? Oh, non, non. Je regardais un loriot qui chantait en haut d’un chêne.
– Tu nous en diras tant !
– N’empêche que des fesses comme ça ! Toutes blanches. Bien en chair. Elles peuvent que te donner envie. Surtout que son petit réduit d’amour…
– Oui, bon, ben ça va !
– Il bâillait tout grand, vu comment elle s’agitait tant et plus dans tous les sens. Tous les replis rosés on lui voyait, bien comme il faut, parce qu’elle en a pas beaucoup du poil et qu’il est tout fin.
– Oui, bon, ben ça va, on te dit !
– Pour finir, elle a eu beau gigoter tout ce qu’elle savait, elles ont quand même réussi à la tourner sur le ventre. Il y en a deux qui lui ont tenu les jambes, deux qui lui ont tenu les bras – qu’elle puisse plus bouger – et deux qui se sont mis à lui tambouriner le joufflu, une fesse chacune. « Et là, maintenant, tu vas encore courir après les hommes qui sont pas à toi ? » Elle a dit que oui. Que personne l’empêcherait. « Ah, tu le prends comme ça ! » Et elles ont attrapé deux battoirs à linge. Elles les lui ont abattus de toutes leurs forces sur le cul. Et alors là comment elle a braillé. Mais, par contre, après, elle a plus eu envie du tout de tourner autour des maris des autres. Elle a promis. Elle a juré. Tout ce qu’elles ont voulu. Alors elles l’ont laissée ! Et elle est partie. À toute allure. Sans se rhabiller. En serrant ses frusques trempées contre sa poitrine. Ce qui laissait voir ses fesses du coup. Elle les avait rouges, mais rouges !
– Tu parles qu’elle devait les avoir rouges !
– En tout cas, moi, je la plains pas. Elle l’a pas volée, cette fessée.
– Peut-être que ça lui servira de leçon !
– Oui, oh, alors là ! Elle, ça la tient ! Dans trois jours elle y aura remis le nez.
– Au risque de s’en reprendre une autre.
– Oh, oui ! Oh, oui !
– Bon, Célestin, faudrait pas que t’ailles t’occuper de tes bêtes, là ?



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