COLOCATION
Fenner-Behmer
Bücherwurm
Baptiste,
avec qui je vivais en colocation depuis six mois, venait de me faire
brusquement faux bond. Il avait trouvé du travail à Strasbourg.
– Et
en CDI. Ça se refuse pas un truc pareil au jour d’aujourd’hui.
Moi,
ça m’arrangeait pas – mais alors là, vraiment pas –
parce que, financièrement, j’avais pas le choix : il fallait
absolument que je lui trouve un remplaçant.
– Et
tu sais jamais sur qui tu vas tomber. C’est carrément la loterie.
– Sinon,
il y aurait bien ma sœur. Ça va plus du tout la cohabitation, elle,
avec ses copines. Elles arrêtent pas de se prendre le chou. Elle
parle que de s’en aller.
J’avais
entraperçu deux ou trois fois Morgane. Elle était souriante,
avenante, plutôt jolie. Alors oui, sa sœur, oui, pourquoi pas sa
sœur ?
On
s’est tout de suite très bien entendus. Et organisés. On s’est
équitablement réparti les tâches ménagères.
– Parce
que, sinon, il y en a toujours un qui se fait avoir.
Pour
ce qui était des courses, on a fait bourse commune.
– Puisque,
de toute façon, on n’est là que le soir et qu’on dîne
ensemble.
On
profitait de ce repas en commun – qu’on prolongeait parfois
fort tard – pour faire plus ample connaissance. On parlait
musique. Là-dessus, on était intarissables. Équitation aussi, dont
on était tous les deux passionnés. On plaisantait. On se prenait de
grandes crises de fou rire pour des riens. On essayait aussi de se
faire croire, sans jamais y parvenir vraiment, que nos études
respectives – psychologie pour elle, sociologie pour moi –
déboucheraient sur des avenirs de rêve. Elle me parlait parfois
aussi d’Alexandre, son petit copain.
– Oui,
oh, mon petit copain, si on veut. Si on peut dire ça d’un type
qu’est marié, que je vois tous les tournants de lune, mais que
j’ai tellement dans la peau que je serais totalement incapable de
faire l’amour avec un autre. Faut quand même être
particulièrement idiote, non ?
C’est
un dimanche matin, en déjeunant, tous les deux, en tête à tête,
qu’on en est venus à parler des vacances.
– Tu
pars où, toi ?
Elle
savait pas trop. Pas encore.
– Mais
à Leucate, sûrement.
– À
Leucate ? Il y a un camp naturiste là-bas.
– Oh,
ben oui. Oui. Et si j’y vais, c’est là que j’irai. Parce que,
pour moi, des vacances sans naturisme, c’est pas des vacances.
Non,
mais c’était fou, ça ! Parce que moi aussi, ça faisait des
années et des années que je pratiquais.
Ah,
le naturisme ! On se sentait tellement bien, comme ça, sans
rien. Avec le soleil et l’air à même la peau.
Oui,
oui, bien sûr ! Mais ce qu’elle appréciait surtout, elle,
chez les naturistes, c’était que la nudité soit considérée
comme parfaitement naturelle. Qu’elle aille de soi. Que personne ne
juge personne.
– Et
jamais, au grand jamais, je ne me suis sentie l’objet de regards
lubriques ou déplacés.
On
était sur la même longueur d’ondes. Ce qui la ravissait.
– Non,
parce que tu peux pas savoir comment c’est contraignant, pour moi,
de devoir rester habillée. Même à la maison. Surtout à la maison.
Quand on est habituée à toujours être à l’aise… Plusieurs
fois j’ai failli t’en parler. J’ai jamais osé. Je savais pas
comment t’allais réagir. Mais maintenant que les choses sont
claires, qu’on sait qu’on les voit de la même façon, ça change
tout.
Et
ça a effectivement tout changé. Pas complètement. Ou, du moins,
pas tout de suite. Parce que des plis avaient été pris auxquels il
n’était pas forcément aisé de se soustraire d’emblée. On
s’est d’abord, dans un premier temps, furtivement croisés dans
le plus simple appareil. En allant à la salle de bains. En en
revenant. Mais on s’est très vite enhardis. Et, dès le
surlendemain, on évoluait nus dans tout l’appartement. On
cuisinait nus. On dînait nus. On regardait la télévision nus.
Partout on était nus. Et on s’en trouvait tous les deux fort bien.
C’est
le mois suivant que son Alexandre s’est à nouveau manifesté.
– Il
veut me voir, mais bon, je me fais pas trop d’illusions.
Ils
ont passé un dimanche ensemble. Un autre. Un troisième.
– Il
y a sacrément de l’eau dans le gaz avec sa bonne femme.
– C’est
peut-être pas mal pour toi, ça, non ?
– Oui,
oh, je connais le truc. Je vais lui servir de soupape de sécurité.
Du coup, ça ira mieux avec sa légitime et il me remettra en
réserve. Jusqu’à la prochaine fois.
Ça
a quand même duré, cahin-caha, jusqu’au week-end de l’Ascension.
Qu’ils ont passé tout entier ensemble.
Quand
elle en est revenue, elle a été saisie d’une incompréhensible
crise de pudeur soudaine. Qui a duré quasiment une journée entière.
– Oh,
et puis merde !
Et
elle a repris ses bonnes vieilles habitudes.
– Hein !
Mais qu’est-ce qui t’est arrivé ?
Elle
avait les fesses d’un rouge incarnat profond. Sur toute leur
surface.
– C’est
Alexandre.
– Eh
ben, il y est pas allé de main morte, dis donc, ton Alexandre !
Et c’était quoi la raison ?
– Qu’il
en crevait d’envie. Et que je voulais pas courir le risque de le
perdre.
– En
tout cas, c’est impressionnant, vraiment impressionnant.
– Et
ça te fait sacrément de l’effet, à toi aussi, on dirait !
C’est la première fois que je te vois bander.
COLOCATION (2)
Albert
Aublet. Le sommeil (vers 1890)
Elle
avait finalement haussé les épaules.
– Que
ça te fasse de l’effet de me voir le derrière tout rouge, c’est
quelque chose que je peux comprendre. Et il y a, de toute façon,
vraiment pas de quoi en faire une maladie.
Elle
n’en avait pas fait une maladie. Et on n’avait strictement rien
changé à nos habitudes. On avait continué à vivre, vingt-quatre
heures sur vingt-quatre, dans le plus simple appareil.
Pendant
près de quinze jours, elle avait arboré un postérieur écarlate.
Rutilant. Qui reprenait des couleurs quasi quotidiennement. Et dont
la vision continuait à me bouleverser. Avec toujours la même
intensité. Même si je parvenais désormais à en contrôler plus ou
moins les manifestations extérieures. Plus ou moins. Parce que
j’étais, de temps à autre, inopinément sujet à de vigoureuses
érections auxquelles elle ne semblait pas prêter particulièrement
attention. Tout au plus lui extorquaient-elles parfois un léger
sourire.
Elle
était sur son petit nuage.
– C’est
par là que je le tiens ! Par la fessée. C’est vraiment par
là…
Et
ne mettait quasiment plus les pieds à la fac.
– Ben
oui, il y a que la journée que je peux le voir. Le reste du temps,
il est avec sa bonne femme.
En
mars, ça s’est un peu tassé. Elle en recevait encore, oui, mais
plus rarement.
– Il
y a moins de gôut, tu crois ?
– Comment
veux-tu que je sache ? Je le connais pas, moi, ce type. Je l’ai
seulement jamais vu.
– Oui,
c’est vrai, je suis idiote. Peut-être qu’il s’en lasse à
force de m’en donner. Ou bien alors il s’en est trouvé une autre
avec qui ça lui plaît mieux.
Elle
haussait les épaules.
– De
toute façon, il la quittera jamais sa Monique. Alors ou bien j’en
prends mon parti ou bien je me désenglue de là-dedans.
En
avril elle n’en a pas reçu. Pas du tout.
– C’est
que tu le vois plus, hein, c’est ça ?
– T’as
tout compris
– Il
t’a larguée ?
– Pas
vraiment, non. Soi-disant qu’il veut prendre un peu de recul. Mais
ça, c’est le sas de décompression avant la rupture. Pas la peine
que je me fasse d’illusions.
Mais,
contre toute attente, début mai ses fesses sont redevenues d’un
rouge flamboyant.
– Elles
me manquaient, ces fessées. Plus que lui, même, dans un sens.
Qu’est-ce qu’elles pouvaient me manquer !
– Et
à moi, donc !
On
s’est regardés. Et on a éclaté de rire.
Elle
a jeté ses clefs sur la table, son sac sur le canapé.
– Oui,
ben, en fait, comme prévu, c’était le mieux avant la fin.
– Comment
ça ?
– Il
part s’installer au Chili. Définitivement. Avec sa femme. Et tu
peux pas savoir quel soulagement c’est pour moi, finalement, dans
un sens. Parce que danser sans arrêt d’un pied sur l’autre,
toujours se demander, jamais savoir, se sentir sans arrêt ballottée,
c’est d’un épuisant à force.
Elle
avait raté ses examens.
– En
plus ! Mais ça, c’était couru.
Des
sanglots hoquetés m’ont brusquement réveillé. On était en juin.
Un juin torride. Étouffant. Pour avoir un peu d’air, on laissait,
la nuit, ouvertes les fenêtres et les portes des chambres. Je me
suis levé. Approché. Elle était nue sur son lit. Elle me tournait
le dos. Je lui ai posé une main sur l’épaule.
– Ça
va pas ?
Ses
sanglots ont redoublé.
– Il
te manque ?
– C’est
pas ça, non. C’est pas lui.
– C’est
quoi alors ?
Elle
a murmuré.
– Donne-m’en
une ! Une fessée. Donne-m’en une…
Et
elle s’est tournée sur le ventre.
J’ai
levé la main. Je l’ai abattue.
AU BAIN
Gerome,
Bad
– Allez,
on va te faire toute belle.
– Oui,
oh ! Ça servira à rien. Comme d’habitude.
– Qui
sait ?
– Tu
parles ! Voilà bientôt huit mois, Simola, que tu me prépares
tous les soirs, pour le cas où le maître manifesterait le désir
que je partage sa couche. Et voilà huit mois que ça n’arrive pas.
Ça n’arrive jamais.
– Il
dispose de ses esclaves comme il l’entend.
– Ce
qui signifie que, ce soir encore, nous serons une bonne trentaine, à
en être réduites, une fois de plus, à recevoir le fouet devant lui
pour raviver, par nos gémissements et nos contorsions, des désirs
qu’il assouvira avec d’autres. Toujours les mêmes. Pourquoi
systématiquement elles ?
– Parce
que tel est son bon vouloir. Parce que ce sont ses préférées,
qu’elles l’ont toujours été, qu’elles le satisfont et qu’il
n’a pas de comptes à rendre à qui que ce soit.
– Je
sais bien, mais…
– Mais ?
– Non.
Rien.
– Ça
ne te déplaît pas vraiment, avoue !
– Quoi
donc ?
– Le
fouet.
– Je
l’ai en horreur.
– Mais
pas ce qui vient ensuite. Quand vous vous retrouvez entre vous, après
avoir été flagellées, pour vous consoler et vous enduire
voluptueusement les unes les autres de toutes sortes d’onguents.
– Ça
brûle tellement ! Ça nous soulage.
– Et
les caresses que, dans la foulée, vous vous prodiguez généreusement,
c’est un autre feu, j’imagine, qu’elles ont pour but d’apaiser.
– Il
y aura bientôt un an que je n’ai pas serré un homme dans mes
bras. Ça me manque, Simola. Tu peux pas savoir comme ça me manque !
– Oh,
que si ! Sais-tu garder un secret ?
– Lequel ?
– Les
eunuques…
– Ne
peuvent pas grand-chose pour moi.
– À
l’exception, ici, de deux d’entre eux qui, bien que coupés,
peuvent encore se dresser bien droits et bien durs.
– Comment
est-ce possible ? Comment s’explique ce prodige ?
– Je
l’ignore. Et peu m’importe. Il me satisfont, chaque fois que j’en
ressens la nécessité, sans me faire pour autant courir le risque
d’être grosse. Cela me suffit.
– Et
qui sont ces deux phénomènes ?
– Tu
le sauras si tu me jures de n’en toucher jamais mot à personne.
Ils risqueraient leur vie. Et nous, la nôtre.
– Il
va sans dire.
– Alors
éclipse-toi discrètement ce soir et rejoins-moi ici.
– Ils
y seront ?
– L’un
d’entre eux. Que tu auras à ton entière disposition. À une
condition : que tu m’abandonnes tes lèvres quand il sera en
toi.
DERRIÈRE LA CLOISON
Auguste
Levêque Hymne à la femme, 1909
Le
signal ! C’est Ludovic qui l’avertit qu’il y a quelqu’un,
l’œil rivé au trou dans la cloison. Quelqu’un qui l’épie
sans savoir qu’il est, à son tour, épié. Que son mari le regarde
la regarder avec infiniment d’attention et qu’il lui fera
ensuite, à elle, un rapport des plus circonstanciés.
Quelqu’un…
Elle ignore qui. À qui il a loué la chambre voisine. Elle ne le
saura qu’après, quand il viendra la rejoindre. Elle préfère.
Elle adore.
Elle
se brosse interminablement la chevelure, dos offert, nu, à
l’inconnu. Qui ? Peut-être ce voyageur à la mine conquérante
qui, tout-à-l’heure, soupesait goulûment ses seins, du regard,
quand elle s’approchait de sa table, quand elle y déposait les
plats. Dont elle sentait, quand elle s’éloignait, les yeux
s’emparer résolument de ses fesses. Ses fesses qu’il ne lâchait,
à regret, qu’au tout dernier moment, lorsque la porte de la
cuisine retombait sur elles.
Elle
se lève. Elle les lui abandonne. Longuement. Tout-à-l’heure,
elles seront à découvert pour lui. Mais seulement tout-à-l’heure.
Pas tout de suite. Plus tard.
À
moins que ce ne soit le petit jeune homme tout timide, tout effacé,
réfugié dans le coin, près de la sortie, qui rougissait chaque
fois qu’elle lui adressait la parole pour les besoins du service.
Qui n’a sans doute jamais connu de femme. Ou seulement dans ses
rêves. C’est pour lui qu’elle se retourne, qu’elle écarte les
cheveux qui lui voilent les seins. Pour qu’il les ait pleinement.
Qu’il s’en repaisse. Qu’il prenne son plaisir sur eux, ivre de
reconnaissance.
Ou
alors, c’est « le monsieur ». À l’air si austère,
si revêche qui, de tout le repas, n’a pas levé une seule fois les
yeux de ses papiers. Qui l’a superbement ignorée. Elle laisse
tomber sa robe. Nue comme au premier jour. Et là ? Ah, tiens !
Il ne joue plus les indifférents d’un seul coup ? Comme elle
lui plaît sa petite encoche ! Elle la lui laisse. Elle la lui
cède. Comme il y a les yeux rivés ! Il déglutit. Son souffle
s’emballe. Il perd pied. Il va jouir. Il jouit.
Et
maintenant, le bouquet final. Elle va se retourner. Et lui offrir ses
fesses. À lui. À eux. À eux tous. Ses fesses zébrées.
Estampillées. C’est pour eux que Ludovic les lui a si joliment
habillées de rouge ardent. Et il n’y est pas allé de main morte !
Elle a aimé. Tellement. Voilà ! Elle les leur abandonne. Ils
écarquillent les yeux. Ils regardent. Ils regardent tout leur saoul.
Ils sont heureux. Elle est heureuse.
*
*
*
Ludovic !
Elle se réfugie dans ses bras. Se presse contre lui.
– C’est
qui, derrière ?
Tout
bas. À son oreille.
Il
sourit. Il ne répond pas.
– Il
y est encore, tu crois ?
– Ça !
Tant que tu seras dans son champ de vision…
– Mais
c’est qui ? Celui qu’arrêtait pas de me bouffer des yeux
dans la salle, en bas, c’est ça, hein ?
Il
fait signe que non. Non.
– Le
puceau alors ? Oui, c’est lui. Je suis sûre que c’est lui.
– Non
plus, non.
– Reste
plus que le coincé.
– Pas
davantage.
– Je
vois pas alors… Je sèche. Dis-moi !
– La
dame en bleu…
– Elle!
La… Quel salaud tu fais ! Non, mais alors là, quel salaud tu
fais !
– Dès
que je l’ai vue, dès qu’elle a eu passé la porte de l’hôtel,
j’ai su qu’aujourd’hui il fallait que ce soit elle. Qu’elle
apprécierait. Énormément.
– Ce
qui a été le cas ?
– C’est
rien de le dire. Ah, pour donner, ça a donné. Elle s’est régalée.
Ça s’est vu. Et entendu. Et c’est pas fini…
Il
la pousse vers le lit. Ils y tombent, enlacés.
– Parce
que tu maintenant vas lui montrer comment, toi aussi, tu sais bien
prendre ton pied. D'autant que… tu sais quoi? Elle aussi, elle l'a
tout rouge son petit derrière.
EMPLETTES
Jean
Sala Street Scene (avant 1918)
– Vous
venez, ma chère ?
– Un
instant, je vous prie, mon ami. Il y a là, en devanture, des
articles ravissants.
– N’avez-vous
point suffisamment de fanfreluches ? Vos armoires en regorgent.
– Des
articles qui, là-bas, à Angoulême, rendraient mes amies folles de
jalousie.
– Nous
avons, je vous le rappelle, passé un accord.
– Je
sais, mon ami, je sais.
– Accord
selon lequel vous disposez, chaque mois, pour vos menues emplettes,
d’une somme, ma foi fort substantielle, que vous avez, cette
fois-ci, atteinte. Toute dépense supplémentaire vous expose, dès
lors, à des sanctions dont vous avez accepté le principe et qui
sont applicables en fonction d’un barême que nous avons établi
ensemble. Un coup de fouet par tranche de dix francs.
– Certes,
mon ami, certes. Mais nous montons si rarement à Paris. Ne nous
serait-il pas possible de mettre, exceptionnellement, notre accord
entre parenthèses ?
– Assurément,
non. Un contrat est un contrat.
– Et
là ! Attendez, mon ami, attendez ! Laissez-moi au moins
regarder. C’est magnifique ! Absolument magnifique.
Pensez-vous qu’à l’intérieur ?
– Que
voulez-vous que j’en sache ?
– Verriez-vous
un inconvénient à ce que j’entre un instant contempler tout cela.
Contempler uniquement.
– Faites
comme bon vous semble, ma chère, mais ne tardez néanmoins point
trop. Que nous puissions voir cette fameuse Tour Eiffel et l’Arc de
Triomphe.
– Cinq
minutes. Cinq minutes et je suis à vous.
*
*
*
– Cinq
minutes, disiez-vous, ma chère ? Nous en sommes à deux gros
quarts d’heure.
– J’en
suis désolée.
– Ah,
vous pouvez l’être.
– Il
faut dire aussi que c’est un enchantement ci-dedans. Une véritable
caverne d’Ali Baba.
– Où
vous êtes parvenue à vous abstenir de dépenser, à ce qu’il
semble.
– C’est-à-dire…
– C’est-à-dire ?
– Que
j’ai effectué quelques achats qui nous seront livrés, ce tantôt,
à l’hôtel.
– Pour
une facture d’un montant de ?
– Vous
verrez ces petites merveilles. Je suis convaincue que vous aussi…
– D’un
montant de ?
– Quatre-cents
francs. À peine plus de quatre cents francs.
– Exactement ?
– Quatre
cent vingt-deux francs.
– Ce
sera donc quarante-deux coups. Vous le saviez, n’est-ce pas ?
– Laisser
passer des occasions comme celles-là était au-dessus de mes forces.
J’en aurais cultivé le regret des années durant.
– Venez !
– Où
cela ?
– Venez,
vous dis-je !
*
*
*
– Entrez,
ma chère…
– Là ?
Mais…
– Il
s’y vend de très jolis fouets, voyez ! Et assurément très
efficaces.
– Cela
ne peut-il attendre que nous soyons rentrés à Angoulême ?
– Certes,
non ! Plus tôt on règle ses dettes et mieux on se porte.
– Le
vendeur ne va-t-il pas se douter ?
– Que
cet achat vous est destiné ? C’est fort probable en effet.
Mais qu’importe ! Nous sommes loin de chez nous. Personne ne
nous
VINGT ANS APRÈS
Delphin
Enjolras The boudoir
– Tu
te souviens ?
– Je
me souviens, oui, mais elles sont si loin, maintenant, ces années-là.
– Oh,
pas tellement ! Quel âge avions-nous ? Vingt-et-un ans ?
Vingt-deux ?
– Vingt.
Tant d’événements sont survenus depuis. Ton mariage. La mort de
Charles. Mon départ pour Bergerac.
– Tu
n’y repenses jamais ?
– Rarement.
Très rarement.
– Et
moi, souvent. Très souvent. Je nous revois. Je te revois. Avec quel
empressement tu venais m’offrir ton derrière à claquer, le soir,
près de la volière ! Tu te troussais à une allure !
– Il
fallait faire tellement vite. On ne pouvait pas s’éloigner
longtemps. Et si on nous avait surprises… Alors là, si on nous
avait surprises, je n’ose même pas imaginer ce qui se serait
passé.
– Il
s’en est pourtant fallu quelquefois de si peu. Prises par nos jeux,
nous les prolongions plus que de raison. Ils s’inquiétaient et se
mettaient à notre recherche.
– Heureusement
que, ce faisant, ils nous appelaient et que le son de leurs voix…
– Te
laissait largement le temps de remettre de l’ordre dans ta tenue.
– On
avait un prétexte tout trouvé : les oiseaux. Au coucher
desquels on prétendait vouloir assister.
– Tu
étais insatiable. À peine les marques s’étaient-elles effacées
que tu me réclamais, à cors et à cris, une nouvelle fessée.
– Qu’il
ne m’était nul besoin de quémander longtemps. Tu prenais un tel
plaisir à me l’infliger !
– Et
toi, à la recevoir.
– J’aimais
trop tes yeux quand on se relevait. Ils brillaient d’une telle
excitation !
– Et
moi, les tiens ! Qui n’étaient plus que volupté. Volupté
pure.
– Tu
tapais fort. Ça me brûlait pendant des heures.
– Ce
qui n’était pas pour te déplaire, avoue !
– Oh,
non ! Non. Plus c’était fort et plus… On était
complètement folles.
– Et
le reste du temps… Dès qu’on réussissait à être un peu
seules, on en parlait. On ne pouvait pas s’empêcher d’en parler.
– Il
fallait absolument que je te dise. Tout. À quoi je pensais quand tu
me le faisais. Ce que je ressentais. Si j’avais honte. T’arrêtais
pas de me poser des milliers de questions. Auxquelles il m’était
impossible de répondre. On ne peut pas mettre de mots sur ces
sensations-là.
– Et
toutes ces promesses que tu me faisais. Que toujours je pourrais t’en
donner des fessées. Toute notre vie. Même quand tu serais mariée.
Que c’était quelque chose dont jamais tu ne pourrais te passer.
– On
était bien un peu exaltées.
– Tu
ne les as jamais tenues, tes promesses.
– Et
pour cause. La vie nous a séparées. Éloignées l’une de l’autre.
– Et
finalement rapprochées.
– Oui,
mais…
– Mais ?
– Ce
ne serait plus vraiment pareil aujourd’hui. On a changé. Mûri. On
ne serait plus que la caricature de nous-mêmes. On serait déçues.
Tellement déçues.
– Ou
très agréablement surprises au contraire.
– Tu
crois, toi ?
– J’en
suis convaincue.
– Jamais
on n’aurait dû raviver ces souvenirs. Jamais.
– Et
pourquoi cela ?
– Parce
que…
– Parce
que la perspective de te retrouver, comme avant, les fesses à l’air…
– Tais-toi !
– Et
de me les offrir pour une vigoureuse claquée.
– Tais-toi,
je t’en supplie !
– Te
tente au moins tout autant qu’avant.
– S’il
te plaît, Alice…
– Que
redoutes-tu ? On est seules. Que toutes les deux. Pour la
journée. Regarde-moi, Marthe ! Ils sont pleins de cette
envie-là, tes yeux. Ils en débordent. Allez, cesse donc de lutter
contre toi-même ! Pose-moi ce tambour à broderie. Et
trousse-toi ! Comme là-bas. Comme avant.
UN DIMANCHE
Paul
Signac. Un dimanche.
– Qu’y-a-t-il
donc de si intéressant dans la rue, très chère ?
– Oh,
rien, mon ami, rien ! Je regarde tomber la pluie.
– Ça
vous passionne ?
– Non,
ça me distrait.
En
face, en contrebas, ils sont assis sur le lit. Un couple. Une
quarantaine d’années. Peut-être un peu moins.
– Et
si vous invitiez votre sœur le week-end prochain ? Vous
pourriez bavarder un peu toutes les deux.
– Je
ne sais pas. Nous verrons.
Là-bas,
ils se parlent. Il lui prend les mains. Ils se regardent.
– Ça
vous ferait le plus grand bien.
– Nous
verrons, vous dis-je !
Il
la couche en travers de ses genoux. Il lui parle encore. Il lui
relève haut la robe. Elle ramène ses mains en arrière, sur ses
fesses, pour se protéger.
– Vous
m’écoutez ?
– Pardon ?
– Je
vous demande si vous avez versé ses émoluments à la cuisinière.
– Bien
sûr, mon ami, bien sûr !
La
main de l’homme s’abat. La femme sursaute.
J’ai
beaucoup de chance : ils n’ont pas tiré le rideau. Quand ils
sont à l’hôtel, loin de chez eux, les gens font beaucoup moins
attention à ce qui les entoure. À moins que ce ne soit délibéré
et que, sciemment…
– Ce
bois est tout juste sec. Quand je pense au prix qu’ils nous le
vendent.
– Changez
de fournisseur, mon ami.
Il
tape. Il tape à toute volée. De grands coups. Qui tombent de très
haut. La femme bat des jambes, se contorsionne en tous sens.
– Dumox
est un ami. J’ai scrupule à lui faire des infidélités. Mais
enfin s’il persiste dans la piètre qualité, je n’aurai pas le
moindre état d’âme.
Elle
doit gémir, sûrement ! Peut-être même crier.
Ça
s’agite dans mon bas-ventre. Une chaleur. De délicieux
picotements.
– Avez-vous
entendu dire que nous allons changer de curé ?
– Vraiment ?
– Oui,
il paraîtrait que l’abbé Volmare n’est pas en odeur de sainteté
à l’évêché.
Elle
se relève. Elle tourne le dos à la fenêtre. Ses fesses sont d’un
rouge rutilant.
Ça
perle humide entre mes cuisses.
En
face, il tire le rideau.
Je
laisse retomber le mien.
– Vous
vous retirez, chère amie ?
– Oui,
je vais m’allonger un peu. Ma migraine me reprend.
Seule.
Les images sont encore là. Toutes neuves Toutes chaudes. Je vais
être à moi. Je suis à moi.
ENTRE ELLES
Félix
Vallotton. Die Ruhe der Modelle
– Je
comprends pas.
– Il
y a rien à comprendre. Je te quitte. Voilà. c’est tout.
– Mais
pourquoi ?
– Parce
que… Ça a été une belle histoire, nous deux. Une très belle
histoire. Mais même les plus belles histoires ne peuvent pas durer
éternellement.
– Tu
m’aimes plus, quoi ! C’est ça, hein ?
– Moins.
– Mais
pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce qui te
plaît plus en moi ?
– Mais
rien du tout. C’est pas la question.
– C’est
quoi, alors, la question ? T’as rencontré quelqu’un ?
– Oui.
– Ah,
nous y voilà ! Qui c’est ?
– Ça
n’a pas d’importance qui c’est.
– Ah,
si, ça en a, si ! Beaucoup. Elle a quel âge ?
– Vingt-huit.
– Elle
est mieux que moi ?
– Elle
est différente.
– Blonde ?
Brune ?
– Qu’est-ce
que ça peut faire ?
– Si,
ça fait. Elle te lèche bien ?
– Écoute,
Flora…
– Oui,
forcément. Ça te fait complètement grimper aux rideaux, ça. Tu
l’as rencontrée où ?
– Sur
Internet.
– Ah,
ben d’accord ! Ce qui veut dire que, même en étant avec moi,
tu cherchais déjà ailleurs. Qu’est-ce c’était comme site ?
Tu cherchais quoi ?
– Quelque
chose qui t’a jamais branchée.
– Mais
quoi ? Dis ! C’est agaçant à la fin.
– J’ai
trop besoin de flanquer des fessées à quelqu’un.
– Mais
pourquoi tu m’as pas demandé à moi ?
– On
en a parlé. À plusieurs reprises. T’as jamais réagi.
– Parce
qu’on évoquait ça comme ça. En l’air. T’étais pas
explicite.
– Parce
que t’étais pas réceptive.
– Que
tu dis !
– Tu
le cachais bien alors !
– C’est
vrai qu’a priori c’était pas le genre de choses qui
m’attiraient, mais j’aurais su quelle importance ça avait pour
toi…
– Tu
m’aurais fait la charité.
– Mais
pas du tout enfin ! J’aurais été heureuse de te faire
plaisir. Tu sais bien comment ça m’excite de te sentir excitée.
– Mais
pas pour ça !
– T’en
sais rien du tout. On a jamais essayé. Essaie ! Vas-y !
Essaie !
– Effectivement !
– Ah,
tu vois !
– D’autant
que je t’ai pas ménagée.
– Et
j’ai pas fait semblant, hein ! À aucun moment j’ai fait
semblant.
– Je
sais, oui. J’ai vu. Mais, Flora…
– Oui.
Quoi ?
– Faut
que je te dise quelque chose. Il y a jamais eu d’autre nana. Et
j’ai jamais eu l’intention de te quitter.
– Hein !
Mais pourquoi t’es allée inventer une histoire pareille ?
– Parce
que sinon, tu ne te serais offerte que du bout des fesses, tandis que
là !
– Oh,
la garce ! Non, mais quelle petite saloperie tu fais !
C’est toi qu’en mérites une, oui ! Et je peux te dire que
tu vas prendre cher.
HARCÈLEMENT
John
William Waterhouse. Decameron, 1916
Elles
ont d’abord écouté de loin. Se sont peu à peu approchées. De
plus en plus près. Tout près. Ont fini par s’asseoir dans l’herbe
à nos pieds. Nous ont religieusement écoutés.
– Encore !
S’il vous plaît, encore !
Et
on a joué pour elles. Longtemps.
– Encore !
Encore !
Quand
l’Angélus a sonné, elles se sont relevées, éloignées. Sans un
mot. Lentement. Comme à regret.
Le
soir, à l’auberge, un sourd-muet m’a subrepticement glissé un
billet dans la main. Et s’est aussitôt enfui.
« Vous
m’aimez ! Comment ils le hurlaient vos yeux, quand vous les
plongiez tout-à-l’heure dans les miens. C’est pour moi que vous
jouiez. Que pour moi. Pour moi seule. Je le savais. Je le voyais.
Vous m’aimez. Je suis heureuse. »
J’étais
sur le point de me coucher quand le même sourd-muet est venu gratter
à la porte, m’en a tendu un autre.
« Je
suis mariée. Il nous faut vivre notre amour dans le plus grand
secret. Je compte sur vous. Je vous aime. »
Thibaud
est parti d’un grand éclat de rire.
– C’est
pas drôle.
– Ah,
ben si ! Si ! Parce que chaque fois, c’est la même
chose. Où qu’on passe, il y en a toujours une pour tomber
amoureuse folle de toi. Ah, le prestige de l’artiste ! Du
musicien. Laquelle c’est ?
– Qu’est-ce
que tu veux que j’en sache ?
– Tu
t’en fous n’importe comment. Que ce soit l’une ou l’autre…
Du moment qu'à l'arrivée tu tires ton coup.
– Oui,
ben alors là, il y a pas de risque. Les amoureuses transies, j’ai
donné, merci. Si c’est pour qu’après elle nous colle aux
basques trois semaines comme la Francesca, à Bergame.
– Faut
reconnaître que celle-là, pour s’en débarrasser…
Au
matin, il y en a eu un autre.
« J’ai
passé la nuit avec toi, mon amour. À penser à toi. À rêver de
toi. Tu vas m’emmener. Loin. Loin d’ici. Là où nous serons
heureux. Tu me redonnes goût à la vie. Si tu savais ! Merci !
Merci ! »
À
midi aussi.
« Tu
m’as cherchée des yeux à l’église, tandis que tu jouais. Mais
tu ne t’es pas attardé sur moi. Pour ne pas éveiller les
soupçons. Tu en mourais d’envie pourtant. Tout en toi le criait.
Oh, mais je te revaudrai ça. Au centuple. »
Thibaud
ne voulait pas avoir l’air d’insister.
– Mais
quand même ! Tant que tu l’auras pas sautée, elle te lâchera
pas la grappe.
– Elle
me la lâchera pas non plus après.
– Ben,
justement ! Fais-toi plaisir. T’auras au moins eu ça pour te
dédommager.
– Je
sais même pas qui c’est.
– Tu
veux que je me renseigne ?
– Ah,
non ! Non ! Surtout pas ! Me la balance pas entre les
pattes, hein !
« Tu
étais beau tout-à-l’heure au château. Si beau ! Et tu as
joué notre air à nous. Il faut qu’on prenne une décision. On ne
peut plus attendre. Je sais ce que je vais faire. Tu seras fier de
moi, tu verras ! »
– Je
crains le pire.
– Oui.
Il y a des chances qu’on la voie rappliquer.
– Tu
sauras qui c’est comme ça, au moins.
– J’y
tiens pas spécialement.
« Je
lui ai tout dit. À mon mari. Je lui ai tout dit. C’est plus
honnête. Et au moins, maintenant, les choses sont claires. On ne
peut plus reculer. Tu vas venir me chercher. Tu vas m’emmener. »
– Si
on reste ici, tu vas te retrouver avec une épée plantée au milieu
du corps, oui !
– Je
crois qu’il est temps, en effet, de porter nos pénates sous des
cieux plus cléments.
– Et
sans tarder.
On
franchissait la porte de la ville quand le sourd-muet s’est, une
nouvelle fois, mis en travers de notre route.
« Il
a été odieux. Il m’a fouettée. Au sang. Mais j’ai été
courageuse. J’ai supporté héroïquement. Pour toi. Pour nous.
Viens me chercher. Viens m’enlever. Je t’attends. »
On
a éperonné nos chevaux et on s'est éloignés. Le plus vite
possible.
OH, L’AUTRE, COMMENT ELLE L’EMBROUILLE, LE TYPE
Villiam
Thomas Smedley. One day in June.
– Va-t-en,
Guillaume, allez, va-t-en maintenant ! S’il te plaît…
– Tu
me chasses ?
– Tu
sais bien que non. Mais du labeur m’attend.
– Il
peut encore attendre.
– Holà,
non ! Si je n’ai point fini ma besogne quand la maîtresse va
rentrer…
– Eh
bien ?
– Eh
bien je passerai un sale quart d’heure.
– Elle
va te punir ?
– Qui
sait ?
– Elle
te punit quelquefois ? Oui, hein ! Comment ? Attends !
Dis rien ! Laisse-moi deviner… Elle te donne des fessées.
– Que
tu es bête !
– Tu
as rougi…
– Mais
non !
– Ah,
si, si ! Et tu rougis encore. C’est que c’est vrai alors si
tu rougis ! Souvent elle t’en donne ? Tu l’as eue quand
la dernière fois ? Hier ?
– Jamais
de la vie !
– Fais
voir !
– Que
je… Non, mais et puis quoi encore ?
– Tu
veux pas ?
– Bien
sûr que non !
– Ben,
tiens ! Et pour cause… Elle a tapé fort ? Elles sont
très rouges ? Tu peux au moins me dire si elles sont rouges.
– Mais
non qu’elles sont pas rouges. Elles peuvent pas être rouges
puisque j’en ai pas eu, j’te dis.
– Jamais ?
– Jamais !
– Ma
pauvre ! Tu sais pas ce que tu perds.
– Hein ?
– Ben,
oui ! T’aimerais… Je suis sûr que t’aimerais…
– Non,
mais ça va pas ? T’es vraiment pas bien par moments, toi,
hein !
– Qu’est-ce
t’en sais que t’aimerais pas ?
– Je
le sais.
– Comment
tu peux savoir puisque t’en as jamais reçu ?
– Je
le sais quand même.
– Parce
que t’en as reçu alors. Tu vois bien que t’en as reçu ! Tu
m’as menti. Effrontément. Ça en mérite une, ça…
– La
voilà ! Ma patronne… La voilà. Pars, Guillaume, pars, je
t’en supplie.
– Pas
avant que tu m’aies promis.
– Promis
quoi ?
– Que
tu me laisseras t'en donner une de fessée. Pour m’avoir menti.
– Sûrement
pas!
– Alors
je reste.
– Je
promets… Je promets…
– Sûr?
– Mais
oui !
– Jure-le !
– Je
le jure. Mais va-t-en ! Va-t-en !
L’INTRUS
Alexandre
Chaponnier. La soubrette
– Oh,
pardon ! Je suis confus. J’ignorais…
– Voulez-vous
bien vous retirer, petit drôle !
– En
fait, je cherche…
– Retirez-vous,
vous dis-je !
– Il
est reparti ?
– Il
est reparti, oui, mais il ne s’est guère empressé de le faire.
– C’était
le comte de Coulas, n’est-ce pas ?
– Non.
Son fils. Qui savait ce qu’il faisait, allez ! Il n’est pas
entré ici par hasard.
– Crois-tu,
Jeanne ?
– Assurément.
Il fréquente assidûment le vicomte de Santry. Qui lui aura
probablement confié, sous le sceau du secret, qu’il enjolive
parfois le séant de Madame d’un rouge flamboyant du plus bel
effet. Il aura voulu se rendre compte par lui-même et aura profité
du moment où je donne ses soins à Madame pour feindre s’être
trompé de porte…
– Ce
jeune Coulas est un fripon.
– Qui
s’est effrontément repu, pendant le peu de temps dont il a
disposé, du fessier généreusement exposé de Madame.
– Et
Santry un bavard.
– Les
hommes ne savent pas tenir leur langue. Surtout s’agissant de nous,
les femmes.
– Mais
ses claquées sont si voluptueuses…
– Que
Madame ne saurait y renoncer pour rien au monde.
– Ni
à elles ni à ce qui s’ensuit.
– Il
m’avait semblé, en effet…
– Dis-moi,
Jeanne, ce petit Coulas est vraiment très joli garçon.
– Il
fait fondre bien des cœurs.
– Pourquoi
l’avoir si vite chassé ?
– Sa
présence offusquait la pudeur de Madame.
– Peut-être
reviendra-t-il ?
– Ce
serait faire preuve d’une insistance malséante.
– À
moins qu’on ne l’y encourage…
– Si
tel est le souhait de Madame…
– Tu
sais être diplomate, Jeanne. Et efficace. Tu me l’as, à maintes
reprises, prouvé.
– Madame
sait qu’elle peut compter sur moi. Dans quelque circonstance que ce
soit.
– Alors
fais en sorte que ses mains viennent prochainement s’abattre sur
mon séant. Implacables et vigoureuses. Mais aussi douces et
sensuelles.
– Cela
sera.
– Et
fais aussi en sorte que je paraisse ne m’avouer vaincue qu’après
longue résistance acharnée.
– Madame
peut me faire confiance.
– Merci,
Jeanne.
AU PUITS
Guillaume
Seignac. By the Well
– Ah,
vous êtes là ! Vous auriez vu ça, mes commères ! Non,
mais vous auriez vu ça !
– Et
quoi donc, mon bon Célestin ? Que tu m’en as l’air tout
retourné.
– Non.
Oui. C’est-à-dire que j’étais au lavoir…
– Et
qu’est-ce tu pouvais bien fabriquer au lavoir ?
– Quand
on a vu arriver tranquillement la Goton avec son panier de linge.
– Elle
a osé ! C’est pas vrai qu’elle a osé !
– Eh,
si ! Comme si de rien n’était. Elle s’est installée,
agenouillée, et elle s’est mise derechef à battre furieusement
ses frusques. Alors la Guillemette : « Vous voyez à quoi
ça ressemble une femme de cocu ? » Et elle : C’est
pas à toi que ça risque d’arriver. Ou bien alors faudrait
t’enfouir la tête sous une botte de paille. » « Oui,
mais moi, au moins, tout le pays me passe pas dessus. » Et les
autres de renchérir. « Il peut pas y avoir un homme à
l’horizon sans qu’elle se jette à sa tête. » « Et
quand on dit la tête… » « Ah, ça, pour avoir le feu
au cul, elle a le feu au cul ! » « On pourrait
peut-être le lui refroidir ? » Et Guillemette l’a
poussée dans le bac, d’une grande bourrade dans le dos. Elle s’y
est étalée de tout son long. Et tout le monde a éclaté de rire à
la voir suffoquer, cracher et essayer d’escalader le rebord pour en
sortir. Sauf qu’avec ses vêtements trempés, elle y arrivait pas.
Quatre fois, cinq fois elle est retombée dedans. Et à chaque fois,
autour, ça rigolait. De plus en plus fort. Même que personne
l’aide, elle a quand même réussi à force et, à peine dehors,
toute dégoulinante, elle s’est mise à hurler qu’elle se
vengerait, que leurs maris, elle les aurait. Tous. Les uns après les
autres. Même ceux de celles qu’en avait pas encore. Et
Guillemette : « Ah, ouais, tu crois ça ? » Les
autres aussi : « Ben, essaie pour voir ! » « Je
vais pas essayer, non, je vais réussir. » « On lui en
fait passer l’envie ? » Et elles sont tombées à quatre
ou cinq dessus comme des furies. « Une bonne fessée, ça va te
remettre les idées en place, tu vas voir » Elles l’ont
troussée. Elle, elle s’est mise à hurler comme cochon qu’on
égorge. « Lâchez-moi ! Mais lâchez-moi enfin ! »
Elles n’en avaient pas du tout l’intention. Au contraire. Elles
l’ont complètement dépiautée. Toute nue. Comme au premier jour.
– Et
toi, bien sûr, tu t’es copieusement rincé l’œil.
– Moi ?
Oh, non, non. Je regardais un loriot qui chantait en haut d’un
chêne.
– Tu
nous en diras tant !
– N’empêche
que des fesses comme ça ! Toutes blanches. Bien en chair. Elles
peuvent que te donner envie. Surtout que son petit réduit d’amour…
– Oui,
bon, ben ça va !
– Il
bâillait tout grand, vu comment elle s’agitait tant et plus dans
tous les sens. Tous les replis rosés on lui voyait, bien comme il
faut, parce qu’elle en a pas beaucoup du poil et qu’il est tout
fin.
– Oui,
bon, ben ça va, on te dit !
– Pour
finir, elle a eu beau gigoter tout ce qu’elle savait, elles ont
quand même réussi à la tourner sur le ventre. Il y en a deux qui
lui ont tenu les jambes, deux qui lui ont tenu les bras – qu’elle
puisse plus bouger – et deux qui se sont mis à lui
tambouriner le joufflu, une fesse chacune. « Et là,
maintenant, tu vas encore courir après les hommes qui sont pas à
toi ? » Elle a dit que oui. Que personne l’empêcherait.
« Ah, tu le prends comme ça ! » Et elles ont
attrapé deux battoirs à linge. Elles les lui ont abattus de toutes
leurs forces sur le cul. Et alors là comment elle a braillé. Mais,
par contre, après, elle a plus eu envie du tout de tourner autour
des maris des autres. Elle a promis. Elle a juré. Tout ce qu’elles
ont voulu. Alors elles l’ont laissée ! Et elle est partie. À
toute allure. Sans se rhabiller. En serrant ses frusques trempées
contre sa poitrine. Ce qui laissait voir ses fesses du coup. Elle les
avait rouges, mais rouges !
– Tu
parles qu’elle devait les avoir rouges !
– En
tout cas, moi, je la plains pas. Elle l’a pas volée, cette fessée.
– Peut-être
que ça lui servira de leçon !
– Oui,
oh, alors là ! Elle, ça la tient ! Dans trois jours elle
y aura remis le nez.
– Au
risque de s’en reprendre une autre.
– Oh,
oui ! Oh, oui !
– Bon,
Célestin, faudrait pas que t’ailles t’occuper de tes bêtes,
là ?
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