mardi 6 janvier 2015

CLOTILDE

17 juin




J’ai été bien inspirée de venir ici… Très… C’est l’endroit idéal pour décompresser… Pour se vider la tête… Et Dieu sait si j’en ai besoin… Après ce que je viens de vivre… Je n’y pense plus… Je ne veux plus y penser… Je veux profiter… De la mer… Du soleil… Du dépaysement… De ce luxueux hôtel… De sa piscine… Des spécialités locales… De tout… Absolument tout…



18 juin



Dans la chambre voisine un couple s’est ébattu toute la nuit… Ou presque… Pour mon plus grand bonheur… Elle clamait sans complexe un plaisir qui la débordait manifestement de toute part… Avec infiniment de convictionJe me suis laissée emporter, bien sûr… Et je me suis, en leur compagnie, voluptueusement offerte à moi-même… Tout me ramène toujours à ça… Obstinément… Que je le veuille ou non… Quoi que je fasse… Quoi que je décide…

Je ne l’ai pas fait exprès… J’aurais pu, mais non… Je ne l’ai pas fait exprès… Je suis sortie de ma chambre au moment où ils sortaient de la leur… On s’est souri… On a échangé un rapide bonjour… En français… Ce qui n’est pas monnaie très courante ici… On entend plutôt parler anglais… Ou russe… Elle, c’est une petite femme brune, un peu ronde, à la poitrine avantageuse, qui doit avoir dans les trente-cinq ans et qui transpire la sensualité de partout… Lui, c’est le style bel éphèbe bronzé tombeur de ces dames… Vingt-cinq ans… Pas plus… Et encore ! Mariés tous les deux ? Je mettrais ma main à couper que non…

De la fenêtre de ma chambre, je l’ai aperçue qui bronzait seule au bord de la piscine… L’occasion ou jamais… Mon maillot… Une serviette de bain… Quelques revues pour me donner une contenance… Et je suis descendue… « Rebonjour… Décidément ! » Le transat d’à côté était libre… « Je peux ? » « Bien sûr… » « Merci… » On est restées quelques instants silencieuses… À regarder deux jeunes gens accomplir d’imperturbables longueurs de bassin… « Ils ont la forme ces deux-là… » « On dirait, oui… » « En tout cas je sais pas vous, mais moi je suis absolument ravie d’être descendue dans cet hôtel… Tout y est quasiment parfait… » « Ah, ça, c’est sûr… Vous me feriez pas aller ailleurs… Depuis que je l’ai découvert, il y a une dizaine d’années, avec mon mari c’est toujours systématiquement ici que je reviens… » « Avec votre mari ? Il y a une dizaine d’années ? Il fait vraiment très jeune… » Elle a éclaté de rire… « Chris ? Oh, non, c’est pas mon mari Chris, non… Je l’aurais pris au berceau si c’était mon mari… Non, mon mari, lui… » Elle n’a pas achevé… Je n’ai pas insisté…

Deux explications possibles… Au moins deux… Ou bien il s’agit d’un couple très libéré : madame villégiature ici, en compagnie de son amant, avec la bénédiction de monsieur… Ou bien il n’est au courant de rien et elle s’est forgé un alibi en béton pour venir s’y envoyer allègrement en l’air avec un type dont il ignore jusqu’à l’existence… Les paris sont ouverts… Je pencherais plutôt, quant à moi, pour la deuxième solution… Parce qu’elle me séduit davantage ? Sans doute… Il n’y a plus qu’à essayer d’en avoir le cœur net…

Ils ont remis ça… Et moi aussi… Avec d’autant plus d’ardeur que maintenant je les ai vus… Que je peux me les représenter… Les imaginer… Il est dessus… Elle est ouverte… En grand… Offerte… Elle le veut… Tellement… Au plus profond d’elle-même… Elle l’a… Elle s’agrippe à ses fesses… Elle y enfonce ses ongles… Elle lui offre son plaisir… Lui hurle sa reconnaissance…

Et encore… Ils sont insatiables… Moi aussi… Je la souhaite à quatre pattes sur le lit cette fois… Lui derrière… Ses seins ballottent au rythme de coups de boutoir qui se font de plus en plus rapides… De plus en plus impérieux… Un dernier coup de rein… Il l’emplit de sa semence… Ils sont comblés… Ils retombent… Épuisés… Pantelants… Je prolonge doucement… À doigts de velours… Ils se susurrent des mots… Ils se font claquer des baisers… Je m’emporte… Ça m’enlève… Ça me transporte… Un cri, un seul, que j’étouffe dans l’oreiller…

Les parents d’Anne, une camarade de fac, possédaient, à deux pas du campus, un petit appartement qu’elle était tout naturellement venue occuper quand elle avait commencé ses études de droit… Elle redoutait la solitude… J’avais, quant à moi, près de deux heures de trajet quotidien à accomplir… Elle m’a donc proposé de m’héberger… Ce que j’ai accepté avec reconnaissance… Quinze jours plus tard elle rencontrait Charles-Élie… Qui venait passer de temps à autre la nuit… Leurs ébats étaient tonitruants… Je les suivais de bout en bout, le cœur battant, l’oreille collée à la cloison… Et je m’épuisais de plaisir… Un plaisir que je venais de découvrir sous cette forme-là et que je renouvelais encore et encore… Avec ravissement… À doigts éperdus… Je ne pensais plus qu’à ça… Je ne vivais plus que pour ça… Ça a duré toute une année… Une année au cours de laquelle j’ai bien eu, de mon côté, deux ou trois petits amis… Pour voir… Dans l’espoir que… C’était décevant… Tellement… Rien de comparable… Et je revenais avidement coller l’oreille à ma cloison…



19 juin



On s’est souri… Et je me suis installée à ses côtés… Comme hier…
– En somme, si je comprends bien, l’après-midi il vous abandonne systématiquement votre ami…
– Les hommes, la bronzette, vous savez…
– Oh, oui, je sais, oui… C’est pas leur truc… Ça l’a jamais été… Et de nous voir y consacrer des heures et des heures ça les agace prodigieusement…
– Du coup, vous préférez partir en vacances toute seule…
– La question ne se pose pas vraiment comme ça… Il m’a plaquée il y a quinze jours…
– Ah… Je suis désolée…
– Oui, oh, vous savez, pour moi c’est plus un soulagement qu’autre chose…
– Dans ces conditions…
– Ça faisait un moment que ça couvait… Que j’aurais dû, de moi-même, prendre les décisions qui s’imposaient… Seulement on diffère… On se dit que ça peut s’arranger… Qu’en y mettant du sien… Et le temps passe… Et on fait avec… Par paresse… Par lassitude… Pour ne pas avoir à reconnaître qu’on s’est encore trompé… Que…
– Je connais ça…
– Ah, parce que vous aussi…
– Je serais pas ici avec mon amant si tout baignait avec mon mari…
– Vu comme ça…
– C’est pas vraiment que ce soit invivable… Qu’on s’engueule à longueur de temps… Non… Vaudrait peut-être mieux d’ailleurs… Ça mettrait un peu de piment… Parce que je m’emmerde avec lui… Qu’est-ce que je peux m’emmerder ! Et je suppose que c’est pareil pour lui… On s’emmerde en chœur… On n’a rien à se dire… Plus envie de rien ensemble… Alors il fait sa vie de son côté… Moi du mien… Sans faire de vagues… Le plus discrètement possible… Parce que s’il y a quelque chose dont je pourrais pas me passer, c’est bien de m’éclater dans les bras d’un homme…

Oui, ben, je lui ai pas dit… Ça la regarde pas, mais pas moi… Tout mon problème est d’ailleurs là… Je m’éclate cent fois mieux toute seule… Comme du temps où Anne m’hébergeait… En écoutant les autres le faire… Ou en repensant aux fois où je les ai entendus le faire… Dans les bras d’un homme, en général, je m’ennuie à mourir… En général ? Non… Chaque fois… Ou presque… J’ai beau faire preuve de la meilleure volonté du monde… Me mettre en condition… Prendre des initiatives… J’ai tout essayé… Tout… Ça le fait pas… Ça le fait jamais… Et c’est frustrant… Pour moi… Et pour le type… Qui finit toujours par sentir qu’il y a quelque chose qui va pas… C’est ce qui s’est passé avec Piotr… On s’entendait bien… Jamais je m’étais entendue aussi bien avec qui que ce soit… On partageait plein de choses… Mêmes goûts… Mêmes intérêts… Sauf que pour ça c’était lamentable… Et ça a tout gâché… Petit à petit… Ça a tout grignoté… Non… Faut que je me fasse une raison… Si ça a pas marché avec Piotr ça marchera jamais avec personne… De toute façon il va bien falloir, à force, que je finisse par me poser la bonne question… Parce que… malgré tout ce qui nous rapprochait est-ce que j’avais réellement – foncièrement – envie que ça marche avec Piotr ? Il m’empêchait de me livrer pleinement à ma passion Piotr… Tout simplement en étant là… Je n’avais pas les coudées franches… Je n’étais jamais libre de mes faits et gestes… Obligée de me réfugier dans la salle de bains pour faire ce que j’aurais préféré – et de loin – pouvoir faire confortablement dans mon lit… Avec le risque qu’il me surprenne en pleine action… En plus… De devoir expliquer… Justifier… Non… Et puis, quand je suis seule, si ça me toque, un soir, d’aller passer la nuit à l’hôtel dans l’espoir que me parviennent, de l’une ou l’autre des chambres voisines, les râles d’extase d’une femme comblée, je n’ai de comptes à rendre à personne… Mais un homme par les pieds je vais lui dire quoi ? « Excuse-moi, mon chéri, mais je te laisse… Je vais essayer d’aller me dénicher quelque part un couple qui s’envoie en l’air… Et en profiter… » Ben, voyons ! Non… Faut pas tenter le diable… Surtout quand, avec le diable, ça se passe pas très bien au lit…

Ils ont remis ça de plus belle ce soir… En plus intense encore… En plus libéré… En carrément déchaîné, oui… Mais ça, je l’aurais parié… J’en étais sûre… C’est chaque fois pareil… Dès qu’elles savent que toi, à côté, t’as pas de mec elles te le hurlent tant et plus que elles, elles en ont un… Et qu’il sait y faire… Ça les excite en fait de te mettre sous le nez ce dont, toi, tu leur parais privée… Dont elles s’imaginent que ça te manque… C’était déjà comme ça avec Anne… Qui, non seulement braillait comme une possédée dans les bras de son Charles-Élie, mais qui, en plus, sous couvert de me demander conseil, me décrivait, le lendemain, en long et en large, leurs ébats de la veille… « T’as déjà essayé de l’autre côté, toi ? Non ? Je m’étais bien juré que jamais… Au grand jamais… Ça devait faire bien trop mal… Et puis offrir ses fesses comme ça… Ben finalement on sait pas ce qu’on perd, hein ! Parce que les sensations que ça te fait je sais pas comment te dire… Je peux pas t’expliquer… À rien ça peut se comparer… Non… Tu devrais essayer, je t’assure… Quand t’auras l’occasion… Si, un jour, t’as l’occasion… » Une fois c’était ça… Une fois c’était autre chose… Comment il lui avait coulé dans la bouche… Ou comment il l’attachait, l’amenait au bord de l’orgasme et la laissait comme ça, des éternités durant, aux rives du plaisir… « C’est insupportable… T’en peux plus… Tu supplies : finis-moi ! Finis-moi ! Et quand enfin ça arrive… Non, mais quand ça arrive ! J’te dis pas… J’te dis même pas… » Elle était persuadée qu’elle me faisait envie… Qu’elle me rendait jalouse… Pas le moins du monde… Par contre je pouvais mettre à profit ses confidences pour m’imaginer… Me représenter… Ce que j’entendais prenait sens… Acquérait du relief… Et mon plaisir s’en trouvait délicieusement démultiplié…



20 juin




J’ai dormi jusqu’à midi… C’est Olivia, ma voisine de chambre, qui m’a réveillée… Sous prétexte de m’emprunter mon sèche-cheveux… Qui s’est confondue en excuses…
– Vous dormiez encore… Oh, la la, mon Dieu ! Je suis désolée… C’est notre faute à nous aussi à côté… On vous fait passer des nuits impossibles…
– Mais non ! Mais pas du tout !
– Oh, si ! Si ! Faut dire aussi qu’avec Bjorn c’est pas si souvent qu’on se voit… Tous les trois-quatre mois, pas plus… Alors forcément, chaque fois, on a du retard à rattraper… Sans compter que je suis hyper bruyante en plus… Surtout là… Quand il me le fait ce truc, complètement folle je deviens…
S’il l’avait pas appelée à ce moment-là, j’aurais su… Elle en était des confidences…

Au restaurant ils étaient attablés près de la porte… Elle m’a arrêtée au passage… A voulu que je déjeune avec eux…
– Que vous fassiez la connaissance de Bjorn un peu…
Bjorn qui a chanté, en long, en large et en travers, pendant toute la durée du repas, les louanges des paysages et, surtout, des monuments historiques…
– Qui sont, pour certains d’entre eux, dans un état de conservation remarquable… Vous êtes allée y jeter un œil ?
– Pas encore, non ! Mais j’y compte bien… Dès que j’aurai un peu décompressé…
– Vous serez pas déçue, vous verrez… Ça n’a rien à envier à la Grèce ou à l’Italie… Absolument rien…

Et on s’est retrouvées toutes les deux, une fois de plus, au bord de la piscine…
– C’est sa marotte, ça, les vieux cailloux… Grand bien lui fasse… Du moment qu’il m’oblige pas à l’accompagner… Mais… c’est vrai ce que tu disais tout-à-l’heure ? Ça t’intéresse, toi ?
– Je déteste pas… Mais j’en ferais pas des folies non plus…
Elle a suivi des yeux un jeune type qui s’installait dans un transat, de l’autre côté, juste en face…
– Tiens, le v’là revenu, lui…
– C’est qui ?
– Noah… Un étudiant… Un parisien… Qu’une riche italienne a amené dans ses bagages… Ce qui n’empêche pas le brave garçon de se multiplier tant et plus à droite et à gauche…
– Elle le sait ?
– Je vois pas comment elle pourrait ne pas savoir… Il ne se cache pas… Alors ou elle fait contre mauvaise fortune bon cœur ou elle est très complaisante… Peut-être même que ça l’excite, va savoir ! Il a un charme fou en tout cas… Non, tu trouves pas ?
– On est un peu loin… Pour se rendre compte…
– Il me fait craquer… Complètement… Je sais pas si ça te fait pareil à toi, mais il y a des types comme ça, c’est complètement incontrôlable… T’as envie… Il y a plus rien d’autre qui compte… T’as envie… Faut que tu les aies… Quoi qu’il arrive… Ah, je les comprends les filles… Je comprends qu’il y en ait pas une qui lui résiste… Et même ça… Parce que… Pourquoi elles l’auraient, elles, et pas moi ? Qu’est-ce qu’elles ont de plus ? Non… Il y aurait pas Bjorn… Encore que Bjorn… il est tellement occupé avec ses ruines qu’il y verrait que du feu… Je sais pas… Tu ferais quoi, toi, à ma place ?
– Je suis pas à ta place…
– Ça n’aura qu’un temps Bjorn n’importe comment… Parce que je commence vraiment à en avoir fait le tour… Pour le cul, c’est le top, oui, ça, je dis pas le contraire… Mais le reste du temps ? Il passe ses journées de son côté et moi du mien… Exactement comme avec mon mari finalement… Faudra qu’un jour quelqu’un m’explique, d’ailleurs, pourquoi je tombe toujours systématiquement sur des types avec qui j’ai rien à partager… Ça fait illusion au début et puis après… Je crois quand même pas être bien compliquée… Ou avoir des goûts extraordinaires… Oui… Bon, mais en attendant ça me dit toujours pas ce que je vais faire pour Noah… Enfin, si, je le sais, si ! Je vois pas pourquoi je fais semblant de me poser la question… Il y a plus qu’à… Mais ça, j’en fais mon affaire… Je vais aller nager un peu, tiens ! Tu viens avec moi ? Non ? Oui, t’as raison : ça vaut mieux dans un sens…
Elle a plongé… Lui aussi… Presque aussitôt…

– Pourquoi t’es partie ?
– Oh, ça valait mieux… Que tu sois tranquille… Que t’aies les coudées plus franches…
– C’était pas plus mal, oui, dans un sens… En attendant, il a pas mis trois jours à m’y rejoindre dans la piscine…
– Et alors ?
– Et alors ben tu te doutes bien… J’ai tout fait pour que ça le fasse… Et ça a effectivement commencé à le faire… On a discuté… On a chahuté dans l’eau… Normalement, si tout se passe bien, demain c’est dans la poche… La seule chose… Avec le pot que j’ai, faudrait pas que justement demain Bjorn me reste par les pieds…
– Tu veux que je m’en occupe ? Que j’aille faire le tour des vestiges archéologiques avec lui ? Dis-lui que j’ai très envie qu’il me serve de guide…
– Il se fera qu’un plaisir… Génial, oui ! Génial…

Elle croit pas si bien dire… Génial, oui ! Une après-midi entière avec lui… Pour avoir sa version à lui… Sa perception à lui… Et, peut-être, pour peser sur le cours des événements… J’adore…

À côté elle a joui plus que jamais ce soir… Un véritable raz-de-marée… Parce qu’elle était déjà, en pensée, dans les bras de Noah ?



21 juin




Il m’a traînée, des heures durant, de théâtre en forum, de temple en établissement de bains… Il m’a étourdie de personnages historiques et de dates…
– Vous avez l’air fatiguée…
– Un peu, oui… C’est la marche… J’ai plus trop l’habitude… La marche… Et puis la chaleur…
– On va s’asseoir… Venez ! Là-bas, sous les arcades, ils servent un thé parfumé dont vous allez me dire des nouvelles…
Sous les ombrages… Avec la mer en toile de fond…
Il a longuement tourné sa cuiller dans sa tasse…
– Elle vous a parlé Olivia ?
– Parlé ? Parlé de quoi ?
– Je sais pas… Vous passez toutes les après-midis avec elle au bord de la piscine… Alors je me disais que peut-être…
– Il y a quelque chose dont elle aurait dû me parler ?
– Oh, non… Non… Pas spécialement… C’est juste que je me demandais… Par rapport à moi… Ce qu’elle envisage… Comment elle voit les choses…
– On n’a pas abordé le sujet… Mais bon… Elle ne donne pas vraiment l’impression d’avoir envie qu’il y ait quoi que ce soit qui change…
– C’est bien là tout le problème…
– Parce que vous, de votre côté…
– J’ai rencontré quelqu’un… Quelqu’un avec qui c’est sérieux…
– Ah… Et donc, avec Olivia, vous envisagez de mettre un terme…
– Voilà, oui… Seulement… j’ai peur qu’elle le prenne mal…
– Oh, elle serait pas la première à qui ça arrive, vous savez… Elle s’en remettrait… On s’en remet toujours…
– Oui… Non… Mais c’est pas ça… J’appréhende sa réaction… Olivia est quelqu’un de très impulsif… De tout d’une pièce…
– Ça fait jamais plaisir d’être plaqué… À personne…
– Oui, mais de là à… Je me sens piégé en fait… Parce que, si je romps, je m’expose à ce qu’elle me flanque une pagaille monumentale dans mon existence… Elle est parfaitement capable d’aller trouver Valentine et de tout lui révéler… Je la vois bien dans le rôle… Et elle me le pardonnerait pas Valentine… Elle me pardonnerait pas d’avoir entamé quelque chose avec elle tout en poursuivant, parallèlement, une relation avec une autre… D’un autre côté, si je laisse les choses en l’état, par peur des réactions d’Olivia, le risque que je cours, c’est qu’un jour ou l’autre Valentine découvre de toute façon le pot-aux-roses… Et le résultat sera le même… En pire… Parce que du temps aura passé… Et qu’elle sera fondée à me reprocher d’avoir joué double jeu pendant des mois, voire des années… Non… Je suis coincé… Et bien coincé…

Il l’est… Il l’est effectivement… Et il ne l’est que parce qu’il est persuadé qu’il l’est… Uniquement… S’il savait ! S’il savait que, de son côté, elle proclame haut et fort qu’elle s’est lassée de lui… S’il savait qu’elle n’a plus que ce Noah en tête… Et quand je dis en tête ! Que je donne pas bien longtemps avant qu’elle en soit à se demander, elle aussi, comment elle va bien pouvoir se débarrasser de lui… Si je voulais… Un petit coup de pouce par ci… Un petit coup de pouce par là… Je pourrais les faire bouger les choses… Dans un sens… Ou dans l’autre… Mais non ! Non… Après… Plus tard… Peut-être… Sûrement… Pour le moment j’ai juste envie de les laisser suivre leur cours les choses… À leur guise… À leur rythme… Simple spectatrice… C’est, parfois, tout aussi agréable…

– Il est sous la douche Bjorn… J’en profite… Bon, ben ça y est Noah… Ça y est…
– Bien ?
– Mieux que bien… Fabuleux… Ah, je comprends qu’il ait toutes les femmes qu’il veut… J’ai jamais connu ça… Avec personne… Un moment unique… Hors du temps… Hors de tout… Qui doit le rester… Qui va le rester… Je vais faire ce qu’il faut pour…
– C’est-à-dire ?
– Partir… Demain… Dès la première heure… Sans le revoir… Sinon… Sinon je me connais… Je vais m’attacher… Et j’ai le double de son âge… Et son plaisir à lui, c’est de conquérir… Le plus de femmes possible… Alors ça va nous mener où tout ça ? Nulle part… On va se déchirer… Je vais souffrir… Non… Faut être lucide… Le mieux, c’est que je me retire… Sur la pointe des pieds… Avec le souvenir de ce qui s’est passé là, aujourd’hui…

J’ai dîné avec eux… Il était dans ses pensées… Elle était dans les siennes…

Dans la chambre il a voulu… Elle n’a pas voulu… Le ton a monté… Elle n’a pas cédé… Ils partent demain… Ça vaut mieux… Beaucoup mieux… Pour eux… Mais aussi pour moi… De nouveaux voisins… Qui ?



22 juin




Ils sont partis ce matin sur le coup de sept heures… J’étais réveillée… J’aurais pu sortir leur dire au revoir… Je ne l’ai pas fait… Je n’en avais pas la moindre envie…

Noah était déjà là… Au bord de la piscine… De l’autre côté, là-bas… Il m’a fait un grand signe de la main et est tranquillement venu me rejoindre…
– Elle est pas avec vous Olivia ?
– Ah, non… Elle est plus là, non…
– Comment ça… “plus là” ?
– Elle a quitté l’hôtel… Ce matin…
Il a soupiré…
– Séduit… Séduit et abandonné…
– Vous vous en remettrez…
– Je vais essayer…
– Oh, alors là je suis bien tranquille… Avant ce soir vous vous serez consolé dans d’autres bras…
– Vous avez une bien piètre opinion de moi…
– Elle n’est pas justifiée ?
– En partie… Mais en partie seulement… Parce que… je suis un grand romantique au fond…
– Ben, voyons !
– Vous vous moquez…
– Pas le moins du monde…
– C’est vrai, vous savez ! J’ai pas l’air comme ça, mais c’est le grand amour que je cherche… Seulement… Seulement il y a tant de femmes… Partout… Comment savoir ? C’est peut-être celle-ci… Mais en même temps c’est peut-être celle-là… Ou encore celle-là… Et je laisserais passer ma chance ? Ah, non… Non… Pas question… Faut que je sois sûr… Dans un sens ou dans l’autre… Et du coup, vu de l’extérieur, j’ai l’air d’un incorrigible Dom Juan…
– Pauvre malheureux que vous êtes !

Cousu de fil blanc, mais soigneusement mis au point son petit discours… Et manifestement très bien rôdé… Le plus beau, c’est que ça doit marcher… Qu’il y a tout un tas de filles qui doivent donner tête baissée dans le panneau… Il aurait bien tort de se priver… Non, il m’amuse ce garçon… Il m’amuse vraiment…

Sur le coup de onze heures du soir tout un remue-ménage à côté… De valises traînées… De portes d’armoire brutalement claquées… De talons hauts cliquetant rageusement sur le parquet… Et puis une voix de femme… Jeune…
– Non, parce que si ça doit être toutes les vacances comme ça… À s’engueuler toutes les dix minutes… C’est pas la peine… C’est vraiment pas la peine…
– Mais on s’engueule pas…
– Ah, non ? T’appelles ça comment alors ?
– Si je peux plus exprimer le moindre avis sans qu’aussitôt tu prennes ça pour une agression personnelle…
– Ah, oui ? Parce que se faire traiter d’allumeuse, c’est pas une agression, ça, peut-être ?
– Je t’ai pas traitée d’allumeuse…
– Ah, ben je sais pas ce qu’il te faut…
– Je t’ai juste dit que tes tenues…
– Faisaient baver tous les mâles qui me filaient le train langue pendante… Ça revient pas au même peut-être ?
– On peut pas discuter avec toi n’importe comment…
– Eh bien discute pas ! Et laisse-moi m’habiller comme je veux, voir qui je veux et faire ce que j’ai envie de faire…
– Je crains le pire…
– J’ai l’impression d’entendre mon père…
– Mais je t’aime, bordel de merde ! Je t’aime… Tu peux comprendre ça ?
– Oui, ben on dirait pas…
– Je sais pas ce qu’il te faut… Je te passe tous tes caprices… Je viens de t’emmener trois semaines aux États-Unis… Maintenant on est ici… Dans un hôtel grand luxe… En décembre on ira à…
– Mais je m’en fous de tout ça… J’m’en fous ! Qu’est-ce que ça prouve ? À part que t’as des sous…
– Dont tu profites allègrement…
– C’est un reproche ?
– Tu sais bien que non… Mais qu’est-ce que tu veux, Amélie, enfin ? Qu’est-ce que tu veux ?
– Que tu me lâches la grappe… Que tu me laisses respirer… Tu m’étouffes… Tu te rends compte de ça ? Je peux pas faire un pas sans que tu me colles aux basques… Passer un coup de fil sans que tu me tournes autour… Disparaître dix minutes de ton champ de vision sans subir un véritable interrogatoire… Alors merde à la fin ! Merde !

Plus tard dans la nuit le sommier a grincé… Elle n’a pas crié… Pas même gémi… Tout juste a-t-elle respiré un peu plus fort…



23 juin


Noah était attablé, sur la terrasse, devant un plantureux petit déjeuner…
– Déjà sur le pont ?
– Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt… Le monde et les femmes… Mais asseyez-vous ! Vous allez bien me tenir un peu compagnie… À propos vous avez vu que vous avez de nouveaux voisins de chambre ?
– Vu, non, mais entendu, oui…
– J’ai assisté à leur arrivée… Une fille d’une beauté, mais d’une beauté !
– D’une telle beauté que vous vous êtes aussitôt demandé si, par hasard, elle ne serait pas, elle aussi, la femme de votre vie…
– Elle l’est sûrement… Au moins pour quelques jours… Seulement le problème, c’est le type… Il a beau être manifestement insignifiant… Avoir le double de son âge… N’empêche qu’il est là… Et que je vais pas avoir vraiment les coudées franches… À moins que…
– Que ?
– Heureusement qu’on vous a eue avec Olivia… Parce que sinon…
– Je vous vois venir…
– Si vous m’arrangez ce coup-là… Alors là… Là…
– Il ne s’intéresse peut-être pas aux vieilles pierres cet homme-là…
– Vous trouverez autre chose… Je suis sûr que vous allez trouver autre chose… J’ai en vous une confiance aveugle…
– On va voir ce qu’on peut faire…
– Merci… Oh, merci… Je vous revaudrai ça au centuple…

On est de la même trempe tous les deux, ça me paraît de plus en plus évident… Et si on faisait équipe on pourrait… Mais t’emballe pas, Clotilde, t’emballe pas… C’est ton gros défaut, ça… Prends ton temps… Laisse venir… Un pas après l’autre… Posément…

Elle était en train d’examiner, avec une petite moue désabusée, les prospectus laissés, à l’accueil, à la disposition des clients…
– Vous avez pas l’air vraiment convaincue…
– Oui, oh, moi, les trucs culturels…
– Je serais bien un peu comme vous… Les musées, les monuments, les expositions, ça a jamais été vraiment ma tasse de thé… Les boutiques par contre…
– Oh, oui, moi aussi… Ça, oui !
– Et Dieu sait qu’ici il y a de quoi faire… Fringues, bijoux, bibelots… De tout on trouve… De tout… Et à des prix défiant toute concurrence… Ah, on peut faire de sacrées affaires si on veut… Je vous montrerai si vous voulez… Je vous piloterai… Je connais tout un tas de bons plans…
– Je veux bien, oui…
– On dit demain ? Ici ? À la même heure ?

Des pas à côté… De l’eau qui coule… Qui ruisselle… Quelque chose claque… Quelqu’un se laisse brutalement tomber sur le lit… Une porte… Qui s’ouvre… Qui se referme… Encore des pas… Un bâillement… Un autre…
– J’ai discuté avec une femme, en bas, tout-à-l’heure…
– Oui… Et alors ?
– Elle connaît le bled comme sa poche apparemment et m’a très gentiment proposé de m’emmener faire les magasins…
– Et tu as répondu quoi ?
– J’ai accepté, tu penses bien ! Demain on y va…
– Ce qui signifie que je vais pas te voir de la journée…
– Il y a des chances, oui…
– Ni les jours suivants…
– Peut-être… Je sais pas… Mais c’est l’occasion, attends ! Parce que ce que je vais dénicher ici il y a aucun risque que je le trouve chez nous…
– Tu parles ! À l’époque d’Internet…
– Mais c’est pas pareil enfin ! Sur place tu vois, tu touches, tu sens…
– Mouais !
– Ça y est ! Tu fais la gueule… Mais ça, j’en étais sûre…
– Je fais pas la gueule…
– Tu te vois pas !
– Non, je fais pas la gueule, non, mais si je t’ai amenée ici, c’est dans l’idée que je passerais mes journées avec toi…
– Pour faire quoi ?
– Pour être ensemble… Pour…
– Pour te regarder lire le journal… Pour t’écouter discourir pendant des heures sur tout un tas de trucs politiques dont j’ai rien à foutre… Pour profiter de rien en fait… J’ai vingt ans, Sacha, j’ai vingt ans, moi, merde !



24 juin




– Alors ?
– Qu’est-ce que vous faites là, vous ?
– Je vous ai aperçue… Alors je me suis dit… Je suis trop impatient de savoir… Vous avez avancé ?
– Je vais passer la journée avec elle… Shopping… Elle va descendre… Elle va arriver… Alors fichez-moi vite le camp… Si vous voulez pas tout faire rater…
Il a détalé sans demander son reste…

Elle a accroché sa clef au tableau… J’ai fait mine de m’étonner…
– 408… Ah, tiens ! C’est rigolo… On est voisines de chambre
Elle n’a pas relevé, bien trop pressée de se lancer, en ma compagnie, à l’assaut des rues commerçantes de la ville… À l’assaut, c’est bien le mot… Une véritable frénésie d’achat
– Parce que je sais pas trop si j’aurai l’occasion d’y revenir, moi, ici… Alors faut que j’en profite… D’autant qu’il m’a laissé sa carte bleue Sacha… Et qu’elle est blindée…
Et elle en profitait… Elle regardait… Elle choisissait… Elle payait… Sans compter…

– On fait une petite pause ?
Elle voulait bien, oui…
– Parce que je sens plus mes jambes… Et je commence à avoir une de ces soifs !
Et on s’est retrouvées attablées à une terrasse de café, cernées par un monceau de sacs de toutes provenances et de toutes dimensions…
– Il va en dire quoi votre ami de tout ça ?
– Que ça va pas le faire dans l’avion… Parce qu’on est limités au niveau des bagages… Oh, mais il trouvera une solution… Il trouve toujours une solution pour tout… Ça m’agace d’ailleurs des fois… Il m’agace…
– Mais vous l’aimez…
– Mais IL m’aime… Il m’aime comme un fou… Ça fait plaisir… Ça rend importante… Ça rassure… Mais en même temps comment c’est lourd de l’avoir sans arrêt sur le dos… À me suivre comme un petit chien…
– Pas aujourd’hui…
– Parce que vous êtes avec moi et que les magasins il a horreur de ça, mais sinon…
– Vous l’aimez pas… Il vous tape sur les nerfs… Alors pourquoi vous restez avec, au fond, finalement ?
– Je sais pas… Peut-être que je tiens quand même un peu à lui… Plus que je crois… Non… Et puis je veux pas lui faire de peine… Il est gentil… Sans compter que, si je le quittais, ce serait des scènes à n’en plus finir… Et que j’ai horreur de ça…
– Et puis je suppose que sexuellement ça doit être le top… Un type de son âge…
– Oui, oh, ben alors là !
– Non ?
– Même pas… Franchement… C’est la corvée…
– À ce point ?
– Vous n’avez pas idée…
– Vous trouvez des compensations ailleurs quand même, j’espère… Parce qu’attendez ! Belle comme vous êtes… Jeune comme vous êtes… Vous avez droit à votre plaisir, non ? Tout le monde a droit à son plaisir…
– Je sais bien, oui… Mais comment voulez-vous que je fasse ? Il me quitte pas d’une semelle…
– Il y a toujours des solutions…
– Vous vous rendez pas compte… Vous pouvez pas vous rendre compte de ce que c’est, vous, que quelqu’un qui vous lâche jamais les basques… Jamais… Jamais… Jamais…

Je n’ai pas insisté… Tout est en place… Il y a plus qu’à… Facile… Tellement facile… C’en serait presque décevant… On est revenus à l’hôtelJe l’ai fait passer par la piscine… En espérant que Noah y serait… Il y était… Leurs regards se sont brièvement enlacés…
– Mignon, hein ?
– Plus que ça…
– Il te dirait pas pour un petit extra ?
– Je serais difficile… Mais bon… Faut pas rêver…
– Qui sait ? Qui sait ?
On a déposé ses sacs dans sa chambre… Et on est reparties pour un deuxième tour

Il faisait les cent pas dans l’entrée, s’est précipité à ma rencontre dès qu’il m’a aperçue…
– J’ai vu que vous étiez seule…
– Mission accomplie
– Vous êtes sûre ?
– Si je vous le dis… À moins que vous vous y preniez vraiment très très mal c’est dans la poche…
– Merci… Oh, merci…
– Vous êtes libre demain à midi ?
– Je peux me libérer…
– On déjeunera ensemble alors… Pas ici, évidemment… En ville… Et on mettra tout ça au point…



25 juin


Noah m’attendait, au soleil, en terrasse…
– Il y a longtemps que vous êtes là ?
– Je sais pas… Une demi-heure… Quelque chose comme ça…
– La question que je me pose… Vous vous rendez disponible quand vous voulez… Comme vous voulez… Votre amie…
– Oh, elle !
– Elle n’a pas son mot à dire, c’est ça ?
– Oh, non… Non… Pas du tout… Non, c’est pas ça… Disons qu’elle ne voit pas le moindre inconvénient à ce que j’aille m’éclater dans d’autres bras que les siensBien au contraire… À condition que…
– Que ?
– Que je lui raconte… Tout… Bien en détail… De préférence dans un lieu public… Avec plein de monde autour… Ça l’excite… Mais ça l’excite à un point !
– Je vois… Et donc elle était au courant pour Olivia…
– Pour Olivia… Et pour bien d’autres avant elle…
– Et elle l’est pour Amélie…
– Bien sûr… Et pour vous aussi… Vous l’intriguez beaucoup… Elle se demande pourquoi vous faites tout ça pour moi… Quel intérêt vous pouvez bien y trouver…
– Peut-être que mon plaisir à moi consiste à faire en sorte que d’autres femmes aient le leur
– Surtout s’il faut pour ça qu’il y ait quelque cocu à la clef…
– Et perspicace avec ça !
– Finalement vous êtes un peu de la même trempe toutes les deux…
– Ça m’en a tout l’air, oui…
– Bon… Mais alors… En ce qui concerne Amélie vous disiez ?
– Que demain on se refait une petite sortie shopping toutes les deux… Et que vous allez nous accompagner…
– Elle le sait ?
– Non… C’est une surprise… Mais elle sera ravie… Vous lui plaisez… Énormément… Le fruit est mûr… Vous n’avez plus qu’à le cueillir…
– Si vite ? Demain ? Déjà ! Vous croyez ?
– Ça ne fait pas l’ombre d’un doute… On passera une petite heure ou deux tous les trois… Que vous ayez le temps de faire connaissance… De vous apprivoiser… Et puis j’inventerai un prétexte quelconque et je disparaîtrai… Vous n’aurez plus qu’à… Vous allez l’emmener où ? Vous avez pensé à un point de chute ?
– Non… Enfin si ! Oui… Il y a un petit hôtel, par là-bas, derrière… Discret… C’est là que je suis allé avec Olivia… Je passerai y retenir une chambre tout-à-l’heure… Ce sera plus sûr…
– Pas une… Deux… Deux chambres…
– Deux ? Pourquoi deux ?
– Contiguës… Pour moi l’autre… Toute peine mérite salaire, non ?
– Vous savez que vous me plaisez, vous ? Vous me plaisez vraiment… De plus en plus…

Du silence à côté… Entrecoupé, de temps à autre d’un bâillement… D’un toussotement… Du froissement d’une page de journal qu’on tourne…
– Bon, ben bonne nuit !
– Oui… Toi aussi !
Ça s’est tourné dans le lit… Ça s’est retourné… Ça a soupiré…
– Oh, laisse-moi, écoute !
– Mais pourquoi ?
– Parce que… j’ai pas envie, c’est tout…
– T’as jamais envie…
– Oui, ben, j’y peux rien… C’est comme ça… Ça se commande pas ces choses-là…
– C’est gai… Parce qu’on est en vacances… On a tout notre temps à nous… On pourrait en profiter… Eh ben non… Non…
– Mais il y a pas que ça dans la vie, Sacha, enfin !
– Il y a pas que ça, non… Mais il y a aussi ça…
– Qu’est-ce que tu veux ? Que j’écarte les cuisses en regardant le plafond, les mains sous la nuque ? C’est ça ? Eh ben vas-y ! Sers-toi ! Sers-toi sur la bête… Fais-toi plaisir…
– Mais qu’est-ce que t’as en ce moment ?
– Rien… J’ai rien du tout… Qu’est-ce que tu veux que j’aie ?
– Je sais pas… T’es bizarre… Différente… Je te reconnais plus par moments…
– C’est toi qui te l’imagines…
– Je crois pas, non… Tu veux qu’on parte d’ici ? Qu’on aille ailleurs ?
– Hein ? Mais pour quoi faire ?
– Tu te sentirais peut-serais peut-être mieux… On serait peut-être mieux tous les deux…
– Je vois pas pourquoi… On est très bien ici…

Dans la nuit il a quand même eu gain de cause : le sommier a grincé…



26 juin




– Ils doivent être ouverts les magasins maintenant…
– Sans doute, oui…
– Bon, ben on y va alors ?
– Ça vous ennuierait si quelqu’un venait avec nous ?
– Quelqu’un ? Qui ça ?
– Noah… Le garçon au bord de la piscine avant-hier…
– Lui ? Oh, ben non… Non que ça m’ennuierait pas… Non, tu parles ! Mais vous le connaissez ? D’où vous le connaissez ?
– Oh, c’est tout récent… On s’est retrouvés par hasard hier voisins de transat… On a discuté… Sympathisé… Et, pour tout vous dire, quand il a su qu’aujourd’hui j’allais faire du shopping avec vous…
– Il a demandé s’il pouvait venir…
– Pas vraiment… Pas comme ça… Il a manœuvré pour que je lui propose…
Elle a souri, ravie…

Il nous attendait sur le boulevard… Cinq minutes pour faire connaissance… Dix autres pour se lancer dans une conversation animée… Je les ai délibérément laissés prendre quelques mètres d’avance… Elle longeait les magasins, les étals sur les trottoirs sans même leur jeter un coup d’œil… Ils ont fini par se retourner… M’ont cherchée du regard… Attendue…
– On boit un coup là ?
– Non… Moi, je vais vous laisser…
– Oh, ben non… Non…
Du bout des lèvres. Sans réelle conviction…
– Si ! J’y vais… Par contre, Amélie, quand tu seras décidée à rentrer passe-moi un coup de fil… Que tu te pointes pas là-bas toute seule…

L’hôtel choisi par Noah était enchâssé dans un écrin de verdure… Chambre 209… J’y suis montée… J’ai attendu… Pas bien longtemps… Une petite heure… Et puis leurs pas dans l’escalier… Leurs rires… La porte claquée…
– Non, arrête ! T’es fou… Il est fou… Non, mais il est fou…
Le silence…
C’est venu d’un coup… Une plainte… Une autre…
– Oh, c’est bon… C’est bon… C’est bon… Comment c’est bon… Maintenant ! Oh, s’il te plaît, maintenant !
Elle l’a clamé son plaisir… Elle l’a proclamé… Elle l’a hurlé…
Encore le silence… Des mots chuchotés doux… Murmurés tendre… Inaudibles… En ruissellement ininterrompu… Longtemps… Et puis ils ont recommencé…

On s’est retrouvées toutes les deux devant le café où je l’avais laissée avec Noah le matin…
– Alors ?
– Ben alors… ça l’a fait…
– Oui… Ben ça, j’me doute… Rien qu’à voir ta tête… C’était bien ?
– Vous parlez si c’était bien ! Mieux que bien… C’était trop, oui… Et en douce que… vous savez quoi ? Eh bien j’avais presque oublié comment c’était avec quelqu’un qui sait s’y prendre depuis le temps… Mais ça ! maintenant que j’y ai regoûté je peux vous dire que plus question que je m’en passe… Et il a pas intérêt à essayer de m’en empêcher Sacha… Parce que alors là…
– Alors là ?
– Je le largue… Et j’aurai pas d’états d’âme… Parce que ça fait un moment que je lui tire la sonnette d’alarme… C’était déjà insupportable avant sa façon de m’étouffer… De me mettre sous cloche… Mais alors maintenant… Maintenant que j’y ai remis le nez là-dedans…
– Tu y crois vraiment ?
– À quoi ? Qu’il va me laisser respirer ? Oui… Enfin non… Non… Ce qu’il va se passer… S’il me sent bien décidée… bien déterminée… il va dire amen à tout… Me lâcher un peu de lest… Et dans une semaine ce sera pire qu’avant… Mais tant pis pour lui, hein ! Je le sais bien n’importe comment qu’un jour ou l’autre ça va finir avec lui… Je me fais pas d’illusions… Il y a bien trop de choses qui vont pas… Même s’il a pas mal de bons côtés dans un sens… Mais bon voilà… Ça aura été l’occasion Noah… Le déclencheur… En attendant il m’intrigue quand même ce type…
– En quoi ?
– Je sais pas… J’ai du mal à le cerner…
– C’est peut-être pas une nécessité non plus…
– Oui… Non… Bien sûr… Mais quand même… Quand tu couches avec un mec t’aimes bien savoir… Au moins un minimum… Et là rien du tout je sais… À part son prénom… Qu’il habite Paris… Et qu’il a gardé la chambre tout-à-l’heure à l’hôtel… Ce qui voudrait dire qu’il a envie qu’on y retourne… Non ? Vous croyez pas ?
– Il y a toutes les chances, oui…
– Vous le connaissez pas plus que ça, vous disiez ?
– Pas vraiment, non… C’est pas pour avoir parlé une demi-journée avec…
– Et donc, du coup, vous savez pas s’il a quelqu’un…
– Pas la moindre idée…
– Je crois pas… Ça m’étonnerait… Toujours tout seul on le voit dans l’hôtel… Oh, et puis n’importe comment…


– Allô… Clotide ? C’est moi, Noah… Vous êtes toute seule ?
– Oui… Je viens de la quitter notre petite Amélie… Il y a pas cinq minutes… Vous êtes où, vous ?
– Toujours là-bas… Chambre 210… Je viens de lui raconter à Giuglia, ma copine… En long, en large et en travers au téléphone… Je vous dis pas dans quel état ça l’a mise… Et elle arrive du coup… Elle tient absolument à ce qu’on s’envoie tous les deux en l’air là où ça vient de se passer… Dans des draps encore tout chauds de mes ébats avec Amélie…
– Voilà décidément une femme comme je les aime…
– À mon avis ça va donner… Alors si ça vous dit de revenir vous installer à côté… Et d’en profiter tout votre saoul…
– Vous comprenez beaucoup de choses, vous…
– Souvent beaucoup plus qu’il ne faudrait… Vous venez ?
– Évidemment que je viens…

Le temps que j’arrive c’était déjà bien en train… Du bout du couloir on l’entendait… Un seul regret : je ne comprends pas l’italien… Parce qu’elle en avait des choses à dire… À hurler plutôt… Entre deux râles de plaisir…

Je l’ai retrouvé au bord de la piscine…
– Hou la la ! Faut avoir la santé…
– Plaignez-vous !
– Oh, mais je me plains pas… Je me plains pas…
– Bon, mais alors… Cette petite Amélie ?
– Bien…
– Vous n’avez pas l’air franchement convaincu…
– Si ! Si ! Bien…
– Mais ?
– Disons que… Un corps parfait… Ça, il y a pas à dire… Un vrai régal pour les yeux…
– C’est déjà ça !
– C’est déjà beaucoup… Après, au lit, elle laisse pas sa part aux chiens…
– J’ai entendu, oui… Eh bien ? Qu’est-ce que vous vouliez de plus ?
– C’était trop facile… En dix minutes c’était plié… L’hôtel et puis voilà… Si j’avais pas fait un peu traîner…
– Ah, les mâles et l’esprit de conquête ! Qu’est-ce que vous auriez voulu ? Qu’elle joue les mijaurées ? Les vierges effarouchées ?
– Mais non, mais…
– Vous en aviez autant envie l’un que l’autre… Et vous le saviez l’un comme l’autre… Ça aurait rimé à quoi de jouer la comédie ? De vous tourner autour pendant des heures ?
– Je sais, oui…
– Mais c’est plus fort que vous… Ça vous manque… Bon… Mais… Et maintenant ?
– Comment ça « et maintenant » ?
– Vous avez l’intention qu’il se passe quoi avec elle ?
– J’en sais rien du tout… J’avoue que j’ai pas encore pensé à ça…
– Je vais tout de même pas le faire à votre place…
– Et pourquoi pas ?
– Méfiez-vous ! Je vais vous prendre au mot…
– Mais j’y compte bien…

Il sait pas à quoi il s’expose… À moins qu’il le sache très bien au contraire…

À côté elle a tourné tant et plus… Dans la chambre… Dans la salle de bains… Encore dans la chambre…
– Qu’est-ce tu fais ? Tu viens pas te coucher ?
– Si ! Si ! J’arrive…
Encore quelques allées et venues… Elle l’a rejoint…
– Tu m’as pas raconté ta journée…
– C’est qu’il y a rien à raconter… J’ai fait du shopping avec la femme, là, celle de la chambre d’à côté… Et puis voilà…
– Et tu y retournes demain, je suppose…
– Ah, ça y est ! Ça recommence… Écoute, Sacha, faut vraiment qu’on mette les choses au clair tous les deux… Ça va pas le faire sinon… Ça va vraiment pas le faire…
– Mais je t’ai rien dit… Je te dis rien…
– T’as rien dit, non… Mais tu l’as pensé tellement fort…
– J’ai rien pensé du tout… Ou plutôt si… J’ai pas arrêté de la journée… J’ai réfléchi… À toi… À nous…
– Et alors ? Le résultat de tout ça ?
– C’est que je me comporte comme un imbécile… Que si je veux te perdre, j’ai qu’à continuer comme ça… À pas te laisser respirer… À être sans arrêt sur ton dos…
– Ah, ça, c’est sûr…
– Oh, mais ça va changer… Tu vas voir comme ça va changer…
– J’espère… Parce que sinon…
Des baisers… Qui ont duré… Des souffles qui sont devenus courts… La bonne volonté dont il a fait preuve méritait une récompense. Il l’a eue : elle a joui… Fait semblant… Oui… Évidemment… Fait semblant…



27 juin


Sur le coup de sept heures du matin, quelqu’un est venu gratter discrètement à ma porte…
– Noah ! Mais qu’est-ce que vous faites là ?
– Rien ! Enfin, si ! C’est bête, mais j’avais envie de l’entendre se lever… Prendre sa douche… Se préparer… Sans qu’elle le sache… Sans qu’elle se doute que j’étais là à côté… Alors je me suis dit…
– Que me connaissant comme vous commencez à me connaître, je n’y verrais pas le moindre inconvénient… Au contraire… Et vous avez eu raison… Mais pour le moment ça dort… Sans doute pour un bon moment encore… De toute façon…
– De toute façon ?
– Vous comptez nous accompagner ?
– Oh, ben, oui… Oui… Comme hier… Et passer par la case petit hôtel discret
– Ce n’est pas forcément une très bonne idée…
– Hein ? Mais pourquoi ?
– Si vous voulez la rendre amoureuse…
– Amoureuse ? Je sais pas… Je… Pourquoi amoureuse ?
– Parce qu’une femme amoureuse qui s’abandonne, c’est beaucoup plus gratifiant qu’une femme qui ne l’est pas, non ?
– Ah, ça, c’est sûr… Ça n’a rien à voir…
– Eh ben alors !
– Sans compter que… C’est vrai que c’est tentant… Avec elle c’est très tentant…
– Et ça ne présente pas de difficultés majeures… Si vous manœuvrez bien… D’autant que vous avez une alliée dans la place…
– Bon, ben allez ! Feu !
– Feu ! Comme vous dites… Et, pour commencer, vous n’allez pas venir avec nous aujourd’hui… Qu’elle se demande pourquoi… Que ça la pique au vif… Qu’elle se pose tout un tas de questions… Qu’elle m’en pose… Et je suis prête à parier que ce soir on aura déjà fait un grand pas en avant…
À côté ça a bougé… Elle a baillé… S’est bruyamment étirée…
– Ah, ça y est ! Ça se lève…
– Je vous laisse en profiter tout votre saoul… Moi, je vais me préparer…
Et je me suis éclipsée dans la salle de bains…

– On le retrouve où, Noah ?
– On le retrouve pas…
Elle s’est figée sur place…
– Hein ? Mais pourquoi ?
– Je sais pas… Il m’a pas dit… Il a une journée très chargée apparemment…
– Ouais… C’est cousu de fil blanc… Maintenant qu’il m’a tiré un coup je l’intéresse plus… Il me jette… C’est ça, hein ?
– Mais non, c’est pas ça, non…
– Ben, c’est quoi alors ?
– Je sais pas au juste… Mais quand on entend comment il parle de toi…
– Ah, oui… Qu’est-ce qu’il dit ?
– Pendant une heure, hier soir, il a pas arrêté de me chanter tes louanges… « Non, mais comment elle est bien foutue ! Et tout ! Absolument tout ! Partout ! Et pas seulement ça ! Parce que comment elle est intéressante à discuter… »
– C’est vrai ? Il dit ça ?
– Oui… Et je suis bien persuadée que s’il avait pu passer la journée avec toi il l’aurait fait… Seulement il a très certainement des obligations ce garçon… Il vit pas de l’air du temps…
– Je suis idiote par moments… Je suis vraiment idiote… Je devrais le savoir depuis le temps que je suis bien trop exigeante… Que leur vie aux mecs elle peut pas tourner exclusivement autour de moi…
– T’es pas obligée de me répondre, mais t’aurais envie que ça aille jusqu’où avec lui ? Que ça débouche sur quoi ?
– Je sais pas en fait… Parce qu’un type avec qui ça se passe bien comme ça, dès le premier jour, forcément tu commences à te faire tout un tas de films, mais bon… Non… Et puis il y a Sacha…
– Tu l’aimes ?
– Sacha ? Vous me l’avez déjà demandé… J’en sais rien… J’en sais vraiment rien… Des fois je me dis que oui… Quand même… Et puis d’autres fois que sûrement pas… Non… Et puis…
– Et puis ?
– Il me tient Sacha avec tout son fric… C’est la vie facile avec lui… Et plus que facile… Je m’en veux des fois, vous pouvez pas savoir… Et surtout je lui en veux à lui de tout ça… Mais je lui en veux !
– Il y a quand même un domaine dans lequel ça se passe pas trop mal avec lui… Dans lequel ça s’arrange, on dirait… Non ?
– Vous voulez dire… sexuellement ?
– C’est pas que je veuille être indiscrète, mais on entend tout ici d’une chambre à l’autre…
– Et j’en étais hier soir, oui… Même que les murs en ont tremblé… Oui, mais non… Si j’étais excitée comme ça… Oh la la ! Qu’est-ce que vous allez penser de moi…
– Il en faut beaucoup – mais vraiment beaucoup – pour me choquer…
– Ce qui m’excitait comme ça, c’est l’idée que l’après-midi j’étais avec un autre… Qu’il était cocu et qu’il le savait pas… Je suis vraiment tordue, hein ?



28 juin


J’ai pris le petit déjeuner en bas avec Noah…
– Alors ? Hier ? Vous vous êtes pas trop ennuyé ?
– M’ennuyer ? Je sais pas ce que ça veut dire…
– Ah… Et vous avez fait quoi si c’est pas indiscret…
– Vous allez avoir très mauvaise opinion de moi…
– C’est déjà le cas…
– Dans ces conditions… Alors disons que nous est débarquée, en début d’après-midi, une charmante jeune femme à laquelle je me suis intéressé de fort près…
– Je vois… C’est une véritable mine cet hôtel, hein !
– Ça fait trois ans que j’y descends… Vous croyez vraiment que c’est par hasard ?
– Et alors ? Cette jeune personne ?
– 23 ans… Célibataire… Enseignante… En vacances ici avec ses parents pour une quinzaine de jours… Sage… Beaucoup trop sage… A manifestement besoin que quelqu’un s’occupe de la dévergonder…
– Mission dont vous êtes tout disposé à vous charger… C’est très généreux de votre part…
– N’est-ce pas ? D’autant que c’est pas gagné… Elle est méfiante… Terriblement méfiante… Il va falloir prendre son temps… Et user de diplomatie… De beaucoup de diplomatie…
– Ce n’en est que plus stimulant, non ? Bon… Et en ce qui concerne Amélie ? Vous laissez tomber alors du coup ?
– Hein ? Mais jamais de la vie ! C’est pas une raison pour la priver de quoi que ce soit, la pauvre ! Elle y compte tellement…

J’ai quitté l’hôtel avec Amélie… Qui a voulu savoir…
– Vous allez faire quoi, vous, en m’attendant ?
– Qu’est-ce tu veux que je fasse ? Je vais me promener… Je peux pas retourner à l’hôtel… S’il s’en aperçoit Sacha…
– Je suis grillée… C’est comme… vous m’oubliez pas ce soir, hein ! À six heures… Même endroit que l’autre jour… Que je rentre pas toute seule… Parce que sinon…
Noah attendait, au bout de la rue… Elle a couru vers lui… S’est jetée à son cou… Ils se sont éloignés, bras dessus bras dessous… Sans se retourner…

J’ai été bien inspirée de filer aussitôt là-bas… Parce qu’il y avait pas cinq minutes que j’étais arrivée… leurs pas dans l’escalier… leurs corps qui basculent sur le lit… leurs souffles qui s’affolent… Je les ai accompagnés, la tête enfouie dans l’oreiller pour étouffer mes cris… Tout est retombé… Des baisers… Du silence… Elle a soupiré… Lui a encore claqué un baiser…
– Comment c’est trop bon avec toi, Noah !
– Et avec toi donc ! Comment tu sais donner envie… De plein de choses…
– Faut en profiter… Faut en profiter à fond parce que…
– Parce que quoi ?
– Parce que ce sera pas éternel ici… Tu vas partir… Je vais partir… On s’oubliera…
– Ça, on peut pas savoir… Personne peut le connaître l’avenir…
– Dans un cas comme ça, si ! Toujours pareil ça se passe… Pour tout le monde…
– J’ai pas envie… Que ça se passe comme ça… J’ai pas envie…
– C’est vrai ?
– Bien sûr que c’est vrai…
– Je t’adore…
Et ils ont remis ça…

– Contente de ta journée ?
– Génial c’était… Absolument génial…
– Tu le portes sur ta figure… T’as tout de la femme comblée…
– Ça se voit tant que ça ? Non, parce que si Sacha…
– Il y verra que du feu… Les hommes, tu sais… Surtout si, comme hier soir…
– Oui, mais non… Ça, non…
– Ben pourquoi ?
– Parce que… Vous êtes là, à côté, toute seule… Vous avez personne…
– Et alors ? Au contraire… J’en profite mieux comme ça… Je suis à ma main…
– Vu sous cet angle… Et… vous savez quoi ? Que je vous raconte… J’avais une copine un jour… Ensemble on habitait… Avec chacune sa chambre… Et pareil : on entendait tout à travers la cloison… Alors quand il y en avait une qu’avait un mec l’autre elle se planquait chez elle sans faire de bruit et elle en profitait… Mais le plus beau, c’est quand même le jour où j’ai couché avec son type à elle et qu’elle nous a entendus sans se douter une seule seconde que c’était lui… Rien que d’y penser… Bon, mais alors ce soir… Parce que lui non plus il se doute de rien… Il sait pas comment je les passe mes journées… Et de me dire, en plus, que vous, pendant ce temps-là, à côté… Hou la la ! Quel feu d’artifice ça va être…



29 juin




– Il est pas là, Noah ?
– Il va pas tarder… Sûrement…
– Vous savez ce que je me demandais cette nuit, après, quand je dormais pas ? C’est comment il réagirait Sacha s’il se rendait compte que je le fais cocu…
– Et alors ? Conclusion ?
– Ben, je sais pas… Il y a des moments je me dis que ça le ferait pas… Mais alors là pas du tout… Qu’il me larguerait direct avec armes et bagages… Et puis d’autres qu’il ferait celui-là qui s’est rendu compte de rien… Ou bien alors qu’il minimiserait tant qu’il peut… Pour pas me perdre…
– D’autant que dans l’immédiat il y trouve largement son compte…
– En plus…
– Le meilleur moyen de savoir…
– C’est de tenter l’expérience… C’est aussi ce que je me dis… De toute façon…
– De toute façon ?
– J’en peux plus de cette situation… J’ai envie qu’il se passe quelque chose… Je sais pas quoi, mais quelque chose… N’importe quoi en fait… De tout secouer… De tout bousculer… Pour voir ce que ça donne…
– Eh ben fais-le !
– Vous me connaissez bien mal si vous croyez que je suis pas cap… Alors là !
– Eh ben chiche que je reste là… Toute la journée… À l’hôtel… Que je m’y promène en long, en large et en travers…
– Vous allez tomber dessus Sacha… Forcément, à un moment ou à un autre, vous allez tomber dessus…
– Et il va se demander ce que je fais là… Alors que je suis supposée être avec toi…
– Il va se le demander… Et il va VOUS le demander… C’est couru d’avance…
– Et je réponds quoi ?
– Ce que vous voulez… Ça m’est complètement égal… Enfin non, ça m’est pas égal… Non… Mais vous répondez quand même ce que vous voulez… Vous avez carte blanche…
Et elle s’est éloignée avec un petit signe de la main…

– Belle journée, hein…
À son accent je l’ai tout de suite reconnue… Giuglia… Giuglia qui a approché un transat… Tout près… S’y est installée…
– Excusez-moi si je prends la liberté, sans vraiment vous connaître, mais… vous n’êtes pas avec eux ?
– Ben non, non, vous voyez… Pas aujourd’hui… Non…
– Elle commence à m’inquiéter cette fille… Elle commence à sérieusement m’inquiéter… Parce qu’il peut bien tirer tout ce qu’il veut, ça m’est complètement égal… Au contraire même… Mais pas question qu’il y en ait une qui lui mette le grappin dessus… Alors là !
– On n’en est pas là…
– Je sais pas… Il passe tout son temps avec… Non… Et puis c’est la façon dont il me parle d’elle… Avec un enthousiasme ! Ça me plaît pas… Ça me plaît pas du tout… Ça me plaît d’autant moins qu’elle lui a dit que c’était sur la fin avec son Sacha… Qu’elle le supportait plus… Si ça ressemble pas à une perche tendue, ça !
– Balançons-lui quelqu’un dans les pattes…
– J’y ai pensé, oui… Il y a bien la petite oie blanche, là, qui vient d’arriver, avec ses parents… Mais elle fait pas le poids… Elle fera pas le poids…
– Non… Ce que je voulais dire… Balançons-lui quelqu’un dans ses pattes à elle…
– Ah, là, c’est autre chose… Et… oui… Ça peut être une excellente idée, oui… Et même… éventuellement j’aurais quelqu’un en vue… Quelqu’un qui demanderait sûrement pas mieux… – Alors parfait… Reste plus qu’à préparer le terrain… Qu’à la mettre en condition… Mais ça, je m’en charge… »

J’étais à peine remontée dans ma chambre qu’on frappait à la porte… Sacha…
– Je peux vous parler deux minutes ?
Décidément, c’était le jour…
– Je vous écoute…
– C’est au sujet d’Amélie… Elle a quelqu’un, hein ?
– Oh, vous, vous avez décidé de vous faire un film…
– Mais non, mais… Tous les jours elle est par monts et par vaux… Soi-disant à faire du shopping avec vous… Je suis pas complètement idiot, vous savez…
– Bon… Je vais être franche avec vous… À ma connaissance elle a personne… et je suis quand même bien placée pour le savoir, non ?
– Oh, merci… Merci… Vous m’enlevez un poids, là, mais un poids, vous pouvez pas savoir…



30 juin


– Elle est venue me parler Giuglia, hier…
– Ah… Et alors ?
– Et alors vous vous doutez bien, non ?
– Oui… Que je lève des nanas elle adore… Faut que je lui raconte… Comment ça se passe… Comment elles sont faites… C’est question sur question… Tous un tas de détails elle veut… Elle est aux anges… Sauf que si ça se met à durer un peu, ça y est, la v’là aux quatre cents coups… Je l’aime plus… Je vais la quitter… Une véritable obsession ça devient… Alors qu’en réalité il n’y a aucun risque, mais alors là vraiment aucun risque…
– Est-ce si sûr ?
– Ah, oui… Oui… Ce qui compte, pour moi, c’est le premier baiser… Ou plutôt… Juste avant… Quand on se regarde… Que les lèvres s’attirent irrésistiblement… Qu’on hésite un peu… Qu’on fait semblant… Qu’on est les yeux dans les yeux… Qu’on se penche… Que ça y est… On les touche… On va connaître son goût… S’enrouler à elle…
– Vous êtes un grand romantique au fond…
– Je vous le fais pas dire… C’est ce moment-là qui compte… Ce moment où elle dit oui… Où elle s’abandonne… Tout ce qui vient après n’a pas vraiment d’importance… Ce n’en est que la suite logique… Inéluctable… Qui a, bien sûr, malgré tout un certain charme… Celui de la découverte… Découverte des seins qu’on fait jaillir… Des fesses qu’on dénude et redessine… Du petit réduit d’amour qu’on met à découvert… Qu’on s’en va patrouiller… Du plaisir qui la submerge… Qui lui arrache des sanglots de bonheur… Et puis voilà… Après… À moins que…
– À moins que ?
– Que la lassitude ne s’installe pas tout de suite… C’est rare… Mais ça arrive… Quelquefois…
– Ce qui est le cas avec Amélie…
– Oui… Enfin non… C’est autre chose Amélie…
– Ah… Et on peut savoir ?
– Disons qu’elle adore qu’on emprunte sa petite porte de derrière Amélie… Et que ça court pas les rues les filles qui apprécient qu’on les visite de cette façon-là… Alors ça donne envie de jouer les prolongations…
– Pourquoi ne pas lui dire à Giuglia ?
– Oui… Oh, ben alors là ! C’est quelque chose dont elle a horreur, elle… Alors rien que l’idée que je puisse le faire à quelqu’un d’autre… Mais elle m’arracherait les yeux, oui… Non… Pour la rassurer Giuglia, je vais m’occuper de la petite pédago… Parallèlement à Amélie… Par contre, si vous pouviez l’emmener quelque part, elle… Pour la journée… Que j’aie les coudées franches ici pour avancer mes pions…

– Oui, oh, il a pas envie de me voir, c’est ça, hein ?
– Pas du tout, non… Mais, si j’ai bien compris, il a pris un retard considérable dans son travail et s’est fait sérieusement taper sur les doigts…
– C’est quoi, au juste, son boulot ? Il a bien essayé de m’expliquer, mais ça m’est passé très largement au-dessus de la tête…
– Si ça peut te consoler, moi aussi… À part qu’il travaille sur son ordinateur et que ça a à voir avec la programmation, le reste…
– Bon, ben on va faire quoi, nous, alors, du coup, pendant ce temps-là ?
– Du shopping ?
– Oh, la la, non… Déjà que je me demande comment je vais pouvoir ramener tout ce que j’ai pris… Et puis il va criser Sacha à force…
– On n’est pas obligées d’acheter… On peut regarder… Et puis se promener… Profiter de la journée… Tout simplement…

On a fini par s’installer à une terrasse de café…
– On n’est pas bien là ?
– Oh, si ! Oui…
– Il y a plein de mecs canon qui passent en plus…
– C’est sûr que ça gâte rien…
– Et même… ça donne envie, non ?
– J’ai ce qu’il me faut…
– Pas aujourd’hui en tout cas…
– Oui, mais bon…
– Je peux te poser une question ?
– Allez-y !
– Sacha… Tu vas pas rester avec ?
– Il y a toutes les chances que non… Un jour ou l’autre… Je sais pas quand, mais ça arrivera forcément… De moins en moins je le supporte…
– Et Noah… Tu vois l’avenir comment avec lui ?
– À vrai dire, je le vois pas du tout… J’ai un peu cru au début… Mais bon… Faut bien regarder les choses en face… Plus ça va… On s’entend bien pour le cul… Et puis comme ça… Mais s’il fallait qu’on vive ensemble… Il y a plein de choses qu’iraient pas en fait…
– Ni Sacha ni Noah… Ben alors qu’est-ce que t’attends ? Prospecte… Lance tes filets… Au mieux tu ramèneras un gros poisson… Au pire tu passeras un bon moment… Moi, franchement, à ta place…



1er juillet


– Si je craignais pas d’abuser…
– Vous me demanderiez de me charger, aujourd’hui encore, d’Amélie…
– Vous êtes très perspicace…
– J’y mets une condition, mon cher Noah…
– Je crains le pire…
– C’est que vous me racontiez d’abord votre journée d’hier…
– Volontiers… D’autant que rien ne s’est vraiment passé comme prévu…
– C’est-à-dire ?
– C’est-à-dire qu’elle est carrément scotchée au reste de la famille la petite pédago…
– Et vous avez renoncé…
– Ah, non… Non… C’est mal me connaître… Je me décourage pas comme ça… Non… J’ai pris prétexte du maillot de l’O.M. qu’arborait fièrement son frère, au bord de la piscine, pour engager la conversation… Ils étaient de Marseille ? Pas vraiment, non… D’Alès… Mais supporteurs acharnés… Alès ? Ah, je connaissais bien Alès… Une charmante petite ville…
– Où, en réalité, vous n’avez jamais mis les pieds…
– Jamais… Bref, j’ai discuté un bon moment… De tout… De rien… Avec le père et le fils… La fille, elle, restait obstinément plongée dans son bouquin… Quant à la mère, elle contemplait, d’un œil délibérément absent, la rive gauche de la piscine, de l’autre côté, là-bas…
– Charmant ! Et vous avez tenu le coup longtemps comme ça ?
– Près de deux heures… Jusqu’à ce qu’ils filent d’un seul coup, tous les deux, je ne sais trop où, comme des voleurs…
– Vous laissant avec les deux carpes…
– Dont l’une – la mère – a aussitôt changé résolument d’attitude… « Ils me font honte… Non, mais vous avez entendu ça ? Un ramassis de lieux communs… D’idées toutes faites… Et le pire, c’est que ça se croit intelligent… Ah, non… Non… Ça a beau être mon mari… Et mon fils… Ils me font honte… Et c’est comme ça à chaque fois… Partout… Avec tout le monde… » J’ai cru bon de prendre un minimum leur défense… Ils avaient certainement d’autres qualités et… « Vous êtes gentil, mais bon… Je sais à quoi m’en tenir depuis le temps… Pas moyen d’avoir une conversation un tant soit peu intéressante avec eux… Jamais… Et ça me manque… Vous pouvez pas savoir ce que ça me manque…
– Comme ça… D’emblée… Devant un parfait inconnu… Fallait vraiment qu’elle en ait gros sur la patate… Et la fille pendant ce temps-là ?
– La fille ? Elle bouquinait, imperturbable…
– Et donc ?
– Et donc… Sa pauvre maman aspirait de tout son être à une conversation intelligente… Je la lui ai offerte…
– Comme c’est généreux de votre part…
– N’est-ce pas ? Au grand jeu elle a eu droit : les Nobel de littérature… Einstein… Les radicaux libres… Bref, tout ce qui me tombait sous la main…
– Et elle a apprécié ?
– Beaucoup… Par contre, ça a mis la petite pédago aussi sec en fuite… Ce qui a donné l’occasion à sa pauvre maman de s’épancher beaucoup plus librement… Un calvaire, c’était son existence… Un véritable calvaire… Pas seulement parce qu’elle ne pouvait parler et se confier à personne… Mais parce que… Sur le plan affectif… Rien… Personne… Il y avait belle lurette que son mari ne lui prêtait plus la moindre attention… Qu’elle était totalement transparente à ses yeux… Bon, mais c’était comme ça… Fallait faire avec… Elle avait pas le choix…
– Pourquoi pas le choix ? On l’a toujours si on veut…
– J’ai pas vraiment cherché à approfondir…
– Bon… Et donc aujourd’hui…
– Sortie culturelle… Tous les deux… Le reste de la famille n’étant pas le moins du monde intéressé…
– Et uniquement culturelle, bien entendu…
– Bien entendu…

– Je voulais vous dire… Je viendrai pas avec vous aujourd’hui…
– Tu passes la journée avec Noah…
– Oh, non… Non… Il bosse encore… Il bosse tout le temps… Il m’agace avec ça… Je l’aime bien, mais bon… Non… En fait j’ai fait la connaissance d’un type hier soir… On a discuté… Il est en vacances à l’hôtel… Avec ses parents… Peut-être vous l’avez vu… Il a toujours un maillot de l’O.M.
– Ça me dit rien, non…
– On va aller danser… Il connaît un endroit sympa où on peut dans la journée… Je verrai bien… On verra bien…

La situation ne manque pas de sel… Je sens que je vais encore bien m’amuser…



2 juillet




Noah était au rapport… Comme tous les matins à la même heure…
– Je suppose que c’est fait… Que la sortie culturelle prévue a rapidement débouché sur des activités d’une tout autre nature…
– Vous supposez bien… Non… En fait de sortie culturelle ça a été l’hôtel quasiment en direct…
– Et le même hôtel, bien sûr, que celui où vous avez emmené Amélie… Et tant d’autres avant elle…
– Oh, pas tant que ça ! Faut rien exagérer… Mais enfin le même hôtel, oui… Même chambre… Même lit…
–  elle a commencé par vous dresser, en long, en large et en travers, la liste des griefs qu’elle avait contre son mari… Histoire de se dédouaner… De se donner bonne conscience… Et de lui faire porter l’entière responsabilité de sa partie de jambes en l’air extra-conjugale
– Pas du tout, non… Elle avait pas le temps… Ça pressait trop… Faut dire aussi qu’au sortir de deux ans d’abstinence…
– On a du retard à rattraper… Ce qui devait pas être pour vous déplaire, j’imagine…
– D’autant qu’elle est très expansive… Et sans le moindre tabou… J’adore…
– Et donc… vous remettez le couvert aujourd’hui… Bien entendu…
– Bien entendu
– Et en ce qui concerne Amélie ?
– Je la garde sous le coude… Pour le moment… Alors si vous pouviez… J’exagère, je sais…
– Et vous ne craignez pas qu’à la longue…
– Amélie ? Oh, non, non… Il y a pas de risque… Aucun risque… Et puis vous êtes là pour parer à toute éventualité… Je peux dormir tranquille… Sur mes deux oreilles…

– Qu’est-ce qu’il voulait ?
– Noah ? Oh, rien… On a échangé deux-trois mots comme ça…
– Un drôle d’air il avait…
– Tu te l’es imaginé… Non… Il était comme d’habitude…
– Je suis restée là-bas… Qu’il me voie pas… Parce que j’avais qu’une trouille, c’est qu’il veuille qu’on passe la journée ensemble… Ce qui m’aurait vraiment pas arrangée, mais alors là vraiment pas…
– J’en conclus qu’hier…
– Oui… Enfin non… Presque… Il y a rien eu…
– Il y a ENCORE rien eu…
– Je sais pas… On s’est promenés… On a parlé… Comment on a parlé ! Qu’est-ce qu’il en connaît des trucs… Et puis pas le genre qui la ramène… Qui veut t’en foutre plein la vue… Non… Il t’écoute en plus… Il s’intéresse…
– Oui… T’es amoureuse, quoi !
– Oh, non, non… Il me plaît bien Clément, oui… Mais c’est pas en une journée que…
– Cours vite le rejoindre, va ! Il doit t’attendre…

Bon, et moi ? C’était pas tout ça, mais j’allais faire quoi de ma journée ? J’ai commencé par un petit saut à l’hôtel-repaire de Noah… Ils devaient déjà y être tous les deux… Chambre 210… Et en pleine action… La 209 – « la mienne » – était libre… Je suis montée m’y réfugier sans bruit… Effectivement ! Pour donner ça donnait… Elle gémissait, tempêtait, implorait, ruait, mugissait, sanglotait, tonitruait… Le récital complet… Comment résister ? Pourquoi résister ? J’y suis allée de ma propre partition… Avec elle… Avec eux… Toute la matinée… Toute l’après-midi… Toute la journée… Je suis rentrée comblée… Épuisée…

Je venais tout juste de m’endormir quand… deux petits coups implorants frappés à ma porte… Insistants… Sacha…
– Elle est pas rentrée… Amélie… Il est huit heures et elle est pas rentrée…
– Oui… Ben c’est pas un drame… Elle va bien finir par revenir… Elle est pas perdue…
– Non, mais elle a quelqu’un… Vous me disiez que non… Mais c’est sûr qu’elle a quelqu’un…
– Vous êtes trop quand même, vous, dans votre genre…
– Comment ça ?
– Non, mais attendez ! Autour de la cinquantaine vous avez… Quelque chose comme ça… Elle, elle a vingt ans… Guère plus… Elle est mignonne comme tout… Et elle couche avec vous… Non, mais vous vous rendez compte de la chance que vous avez ? Une chance inouïe… Que des milliers de types vous envieraient… Eh ben non ! Ça vous suffit pas… Vous voulez quoi de plus ? L’exclusivité ? Non, mais vous rêvez, mon pauvre ami… Vous rêvez… Vous vous êtes vu ? Vous vous êtes regardé ? Comment voulez-vous qu’elle ait pas envie de garçons de son âge ? C’est sain… C’est normal… Et plus elle ira voir ailleurs, plus vous aurez de chances de la garder… Vous comprenez ça quand même, non ? Eh bien, réfléchissez-y ! Ça vous fera de l’occupation pour la soirée…



3 juillet




– Allô… Clotilde ? C’est Amélie, là… Vous dormiez ?
– À trois heures du matin, oui… Un peu quand même…
– Je serai pas longue… C’est juste pour vous dire… C’est super génial avec Clément…
– J’en suis ravie pour toi… Et c’est pour ça que tu me réveilles ?
– Oui… Enfin non… C’est pour vous dire… Je reviendrai pas… Je pars avec lui…
– Hein ? Mais où ça ?
– On sait pas encore au juste… Peut-être aux États-Unis…
– Comme ça… Sur un coup de tête…
– C’est pas un coup de tête…
– Ah, non ? C’est quoi alors ? Vous vous connaissez depuis trois jours… À peine…
– Oui, mais c’est vraiment trop bien tous les deux… Jamais j’ai connu ça avant, moi !
– Vous allez vivre de quoi ?
– C’est pas un problème, ça… On trouvera… Décidés comme on l’est…
– Et Sacha ? Et Noah ?
– Oh, eux !
– T’es sûre que tu vas pas le regretter ?
– Certaine…


– Que je vous mette au courant quand même…
– Et de quoi donc, mon cher Noah…
– Je pars… Avec la maman, là…
– Décidément… C’est une épidémie…
– Comment ça ?
– Non… Rien… Donc vous partez… Tous les deux… En amoureux…
– Oui, enfin… Si on veut… Disons qu’on part s’éclater… Du matin au soir… Et du soir au matin… Ça durera ce que ça durera… Une semaine… Quinze jours… Un mois… On verra bien…
– Et le mari dans tout ça ?
– Quand on tire pas sa femme pendant des années faut pas s’étonner qu’elle aille voir ailleurs… Alors il fera avec le mari…
– Et s’il fait pas avec ?
– Elle se tirera… C’est ce qui peut lui arriver de mieux… Et à lui aussi…
– Vu comme ça…

Sacha m’est tombé dessus, en tout début d’après-midi, au bord de la piscine…
– Des heures que je la cherche… Elle est nulle part… Son portable est éteint… Il lui est arrivé malheur… Je suis sûr qu’il lui est arrivé malheur…
– Mais non !
– Vous savez quelque chose… Si vous savez quelque chose…
– C’est une gamine… Qu’a besoin de se sentir exister… De s’affirmer… Prenez votre mal en patience et elle vous reviendra, vous verrez…
C’est le moment qu’a choisi Giuglia pour surgir de nulle part, échevelée, la mine défaite…
– Il est où Noah ? Il est où ? Parti avec cette petite dinde… C’est ça, hein ? J’en étais sûre… Depuis le début je le savais que ça finirait comme ça…
– Mais non…
– Tu parles ! Elle est où, elle, alors s’ils sont pas ensemble ?
Sacha a froncé les sourcils…
– Attendez… Attendez… Si je comprends bien…
Je me suis éclipsée… Les laissant en grande conversation tous les deux… Persuadés qu’Amélie et Noah s’étaient enfuis ensemble… C’est ce qu’ils ont envie de croire… C’est ce qui les arrange… Pourquoi les détromper ?

En remontant vers l’hôtel, j’ai croisé le père et la fille qui enfournaient leurs bagages dans un taxi… Ils s’en vont… Est-ce qu’ils savent ? Qu’est-ce qu’ils savent ?

Giuglia et Sacha ont dîné ensemble… Regagné la chambre ensemble à côté… Ont longuement égrené un plaisir que j’ai accompagné…

Je n’ai plus rien à faire ici… Demain je partirai… Pour un autre pays… Ou une autre ville… Ou un autre hôtel… Un endroit en tout cas où, parfaite inconnue, je pourrai m’élancer vers de nouvelles aventures…

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