ALYSSIA,
MA FEMME
1-
– Faut
que je te parle, Alex. Faut vraiment que je te parle.
– Eh
bien, je t’écoute…
Elle
a éteint la télé, est
venue s’asseoir, sur
le canapé, à mes côtés, s’est
éclairci la gorge.
– Tu
sais que je t’aime. Que je tiens énormément
à toi. Tu es quelqu’un avec qui il fait bon vivre. Partager
le quotidien.
– Mais ?
– Mais…
Oh, la la ! C’est
vraiment pas facile.
– Jette-toi
à l’eau !
– J’ai
rien à te reprocher. Absolument
rien. Sauf… que je
m’éclate pas au lit avec toi. Que je me suis jamais vraiment
éclatée.
– C’est
pourtant pas l’impression que tu donnes.
– Je
sais, oui.
J’ai eu tort. J’aurais pas dû. Mais tu as tellement de qualités
par ailleurs. Je voulais pas te faire de peine. Risquer de te perdre.
Alors j’ai fait comme si. Et puis… ça
avait pas tellement d’importance jusque
là tout ça pour moi.
C’était pas l’essentiel.
– Mais
ça a fini par le devenir.
– Dans
un sens, oui. Pas l’essentiel, non. Mais quelque
chose d’important.
Très.
– Et
donc ?
– Ben,
donc… Il y a eu quelqu’un.
– Il
y a eu ou il y a ?
– Il
y a… Il y a encore. Depuis quatre mois ça dure.
– Ah,
quand
même !
– J’ai
cru que ce serait juste une passade comme ça. Mais non. Faut
bien que
je me rende à l’évidence. Non.
– Et
tu veux qu’on se sépare…
– Oh,
non. Non. J’ai
pas dit ça. Je pourrais pas vivre sans toi.
– Et
tu peux pas te passer de l’autre non plus. C’est bien ça ?
– Il
y a des semaines et des
semaines que je tourne en rond. Sans savoir ce que je peux faire. Ce
que je dois faire. Plus ça va et moins j’y vois clair. Je
suis complètement dans le brouillard.
– En
somme, si je comprends bien, ce que tu attends de moi, c’est que je
prenne une décision à ta place…
– C’est
pas vraiment ça, non.
– Mais
ça revient à ça.
– Je
sais pas. Je sais plus. Je suis complètement perdue.
– Bon.
Alors reprenons. Tout.
Depuis
le début. C’est qui ce type ? Je le connais ?
– Oh,
non ! Non. Sur un forum je l’ai rencontré.
– Où
tu t’es inscrite exprès pour ça.
– Je
t’ai dit, Alex.
J’ai trente-six ans.
Et si je m’éclate pas maintenant…
– Vous
vous rencontrez quand ?
– Il
y a pas de cours de gym le mercredi soir. Ou du moins j’y vais pas.
Ni de sorties avec Coralie le samedi…
– Je
vois. Il est marié ?
– Oui.
– Et
de son côté, avec sa femme, c’est pas ça qu’est ça non plus.
– C’est
le moins qu’on puisse dire…
– Et
vous n’envisagez pas…
– De ?
Vivre ensemble ? Oui, ben alors là, sûrement pas ! Je
t’ai dit : il a jamais
été question de ça.
Et quand bien même il voudrait, c’est moi qui
voudrais pas. Je
me fais pas d’illusions. Le quotidien,
avec lui, serait complètement insupportable.
– En
somme, c’est purement sexuel.
– Voilà,
oui.
– Et
si tu essayais de m’expliquer ce
qui va pas, chez moi, de ce côté-là. C’est quoi ? Je m’y
prends mal ?
– C’est
pas ça, non.
– C’est
quoi alors ?
– C’est…
Tu vas te vexer.
– Je
te jure que non.
– C’est
tout un ensemble. C’est
tout toi. Je me sens
pas femme avec toi. Tu es gentil. Tu es doux, attentionné,
caressant.
J’apprécie. La plupart du temps, j’apprécie. Si,
c’est vrai, tu sais.
Seulement il y a quelque chose qui manque. Il
y a des moments où j’ai
besoin de me
sentir femelle… Complètement femelle. Résolument femelle. Et ça,
c’est pas une question de technique. Ou de bonne volonté. Ou de
quoi que ce soit d’autre. Il peut bien faire tout ce qu’il veut,
le type.
Il en est pas maître. Ça se commande pas. C’est en lui. Ou ça
l’est pas. Tu comprends ?
– Oh,
que oui ! On
pourrait
difficilement être plus clair.
– T’es
pas fâché ?
– Je
suis pas fâché, non. Bien sûr que non.
– Tu
dors pas ?
– Non.
Je réfléchis.
– À
quoi ?
– À
tout à l’heure. À ce que tu m’as dit.
– Et
alors ?
– Et
alors… Pourquoi tu m’en parles maintenant de tout ça ?
T’étais pas obligée. Je me doutais de rien. Tu jouais sur du
velours. Ça aurait pu continuer comme ça pendant des mois et des
mois. Sans que je m’en aperçoive. Alors pourquoi ?
– J’étais
trop mal. Toujours mentir. Être fausse. Il arrive un moment où
c’est insupportable. Où il faut absolument crever l’abcès. Quoi
qu’il arrive. Quoi qu’il doive se passer.
– Oui,
oh ! Tu prenais
pas de gros risques. Tu
savais très bien que, de toute façon, je ne te quitterais pas. Que
j’en suis totalement incapable. Je tiens beaucoup trop à toi. Tu
savais aussi qu’en
me présentant les choses comme tu me les as présentées – en
pointant du doigt mes insuffisances – je n’aurais pas d’autre
solution, une fois au courant, que de te laisser le champ libre. Tu
gagnais sur les deux tableaux : tu te déculpabilisais et tu
avais les coudées franches pour aller le retrouver toutes les fois
que l’envie t’en prendrait. Non, c’est pas ça ?
– Je
sais pas, Alex. Peut-être un
peu, si.
– Vis
ce que t’as à vivre, Alyssia. Vis-le pleinement. Sans t’encombrer
d’interrogations et de scrupules superflus. Plus
tu te sentiras épanouie, comblée, heureuse et plus je le serai, moi
aussi, par ricochet, de
mon côté. Tu
comprends ?
Elle
s’est blottie contre moi dans l’obscurité…
– Tu
es quelqu’un
d’exceptionnel, Alex.
Si, c’est vrai, tu sais…
2-
Le
samedi, elle s’est enfermée dans la salle de bains, dont elle est
ressortie, près de deux heures plus tard, plus belle et désirable
que jamais.
– Bon,
ben
j’y vais.
– À
tout à l’heure.
– Je
crois pas, non. Parce
que c’est samedi. Et qu’on n’a encore jamais eu une nuit
entière à nous deux,
lui et moi. Jamais. Tu comprends ?
– File !
– Tu
vas faire quoi, toi ?
– T’occupe !
File, j’te dis. Il va t’attendre.
J’ai
ressorti nos photos. Celles du tout début. Arcachon. Quand ses
cheveux lui tombaient encore sur les épaules. Qu’elle en était si
fière. Qu’on passait des heures et des heures à arpenter la
plage. Qu’on se faisait des orgies de moules et de coquillages.
D’autres.
Notre installation dans le petit deux pièces du Vésinet. Un fichu
rouge sur la tête, elle brandit un énorme pinceau face à
l’objectif, hilare.
D’autres
encore. Les Alpes de Haute-Provence. Notre période marche à pied.
Levés aux aurores, on arpentait inlassablement tous les sentiers de
la région. On s’endormait, le soir, épuisés, l’un contre
l’autre.
L’Italie.
Rome. L’Ardèche. Les châteaux de Louis II de Bavière. Des
moments de bonheur partagé. De complicité inouïe.
J’ai
dîné. Seul. Ils faisaient quoi, eux ? Ils étaient où ?
Au restaurant, forcément. Ils mangeaient quoi ? Des ris de
veau ? Oui, sûrement. Elle adorait ça. Et ils parlaient de
quoi ? Est-ce qu’il lui tenait la main par-dessus la table ?
Est-ce qu’ils allaient monter directement dans la chambre aussitôt
leur dessert avalé ? Ou bien préférer s’offrir d’abord
une petite promenade amoureuse, tendrement enlacés, dans la douceur
du soir ?
Et
là-haut ? Ils allaient l’assouvir comment leur désir ?
Avec impatience ? Avec impétuosité ? Se jetant sur le lit
comme des meurt-de-faim, à peine la porte refermée. Ou bien, au
contraire, allaient-ils prendre tout leur temps ? Le cultiver ?
Le porter à incandescence ? En retarder au maximum la
délivrance ?
Des
images s’esquissaient, prenaient forme, s’installaient.
S’évaporaient. D’autres les remplaçaient, s’imposaient,
disparaissaient à leur tour.
Quand
je me suis réveillé, le lendemain matin, j’étais sur le canapé
et il était dix heures.
Elle
est rentrée en toute fin d’après-midi, m’a rapidement effleuré
les lèvres, s’est engouffrée dans la salle de bains.
– J’arrive !
J’en ai pour deux minutes.
Elle
en est presque aussitôt ressortie, nue, la mine défaite, une main
posée à la base du cou.
– Mon
médaillon, Alex !
Je l’ai perdu.
– Tu
vas le retrouver.
– Il
se sera détaché. Sans que je m’en aperçoive.
Le médaillon de ma grand-mère ! J’y tiens comme à la
prunelle de mes yeux. Si je le retrouve pas… Alors là, si je le
retrouve pas…
– Tu
l’auras posé quelque part.
– Ah,
mais oui !
Oui. Ça me revient
maintenant. Sur la
margelle du lavabo. On faisait les fous avec Benjamin.
J’ai eu peur de l’abîmer et je l’ai enlevé. Pourvu
que personne me l’ait
chouré. J’appelle. Allô…
Le petit castel ?
Oui, bonjour.
Alyssia
Jamier. J’étais chez
vous cette nuit. Chambre
122. Vous voyez ? Oui… J’ai égaré
un bijou auquel je tiens beaucoup et je me demandais si par hasard…
Ah, vous l’avez ! Non, non.
Vous me le gardez. On revient ce
week-end. Ça attendra
bien jusque là. Merci. Vous
aussi. À samedi.
Ils l’ont. Je t’ai passé une de ces peurs, moi !
Elle
est venue s’asseoir à mes côtés. A
posé sa tête sur mon épaule, sa main sur ma cuisse. Est remontée.
Plus haut.
– Tu
veux ? T’as envie ?
Je
l’ai doucement repoussée.
– Laisse
tomber, va…
– Ah,
mais non ! J’en
étais sûre que t’allais réagir comme ça. Mais
non ! Il
y a pas de raison. C’est
pas parce que moi…
T’as le droit, toi
aussi. Manquerait plus
que ça !
Encore
plus haut.
– Tu
vois bien que t’as envie ! Tu bandes. Et pas qu’un peu !
Chuuut… Allez, laisse-moi
faire…
En
caresses douces. Enveloppantes.
– C’est
pas parce que j’ai pas de plaisir avec toi que j’ai pas envie de
t’en donner. Surtout
maintenant. Allez,
viens, va ! Et t’occupe pas de moi ! Que de toi. Juste
de toi.
Elle
m’a attiré contre
elle. A résolument
enfoui
ma queue dans sa
chatte, refermé
les jambes, posé ses
mains sur mes fesses.
C’est
venu tout de suite. Sans
que j’aie seulement pu esquisser quelques
mouvements de va-et-vient.
Elle
a ri.
– Eh,
ben dis donc ! Tu vois bien qu’il fallait. Et
puis maintenant que les
choses ont le mérite d’être claires… Qu’est-ce
qu’il y a ? T’en
tires une tronche !
– En
somme, tu me fais la
charité, quoi !
– Tout
de suite les grands mots. Je te fais pas la charité, Alex,
non ! Ce qui
m’était insupportable, ces
derniers temps, c’était
de simuler. De faire semblant d’éprouver ce que j’étais à cent
mille lieues de
ressentir. Mais dès l’instant où je ne m’y sens plus obligée
et où je trouve pleinement ma satisfaction par ailleurs, je vois
vraiment pas pourquoi je te mettrais au régime sec. À moins
que toi, de ton côté, tu n’aies
plus le moindre semblant de désir pour moi.
– Tu
sais bien que non.
– Eh
bien alors ! Il est où le problème ?
– Ça
fait combien de temps ?
– Combien
de temps que quoi ? Que
ça m’est insupportable de jouer la comédie ? Depuis que je
sais ce que c’est qu’un orgasme. Ce
qui est tout récent. Grâce
à Benjamin. Avant, je
me posais pas de questions. Faire l’amour avec toi, c’était pas
vraiment désagréable. C’était pas non plus vraiment agréable.
Même si, quelquefois, j’approchais vaguement de quelque chose. Je
te donnais
pourtant l’impression
de prendre mon pied ? Ben oui. Oui. Ça
avait l’air de te faire tellement plaisir que je prenne des airs
extasiés. Ça me coûtait pas grand-chose. Ça me coûtait rien. Et
ça me permettait de me
voiler la face. Mais
dès l’instant où j’ai su…
Tu peux pas imaginer
quel humiliant calvaire ces dernières semaines ont
été pour moi et quel
soulagement j’ai éprouvé à pouvoir vider enfin mon sac. Ce
dont je te sais infiniment gré. Il y a peu de types, je crois,
capables de rendre de tels aveux possibles.
– Ce
qui ne change pas grand-chose au problème de fond. À savoir que
je me suis toujours montré incapable de te procurer du plaisir.
– T’as
aucune espèce de raison de culpabiliser là-dessus. Je
suis au moins autant responsable que toi de
cette situation. Sinon
plus. Parce que, quand
on s’est rencontrés tous les deux, j’osais pas être femme
moi non plus. Je m’en
donnais pas le droit.
Alors tomber sur
quelqu’un comme toi,
qui n’était pas
vraiment homme,
ça m’arrangeait plutôt.
Ça m’entretenait
dans l’illusion. Mais si j’étais femme ! Bien sûr que je
l’étais ! Puisque j’étais en couple ! Puisque j’avais
un mari avec qui je partageais mes nuits. Puisque
c’est comme ça que tout le monde nous voyait… En
réalité, j’étais à
cent mille lieues de moi-même.
Et à cent mille lieues de m’en douter. Il aura fallu…
– Benjamin.
– Benjamin,
oui.
3-
Les
Pages Jaunes. Les hôtels. Dans
un rayon de trente kilomètres. Puis de
cinquante. « Le
petit Castel » Voilà.
J’ai
pris ma matinée.
C’était
donc là. Une coquette petite auberge dans un parc aux arbres
centenaires. Un couple déjeunait sous la glycine. La femme m’a
souri. Je me suis installé à la table voisine de la leur, me suis
fait apporter un café-crème et des croissants que j’ai
tranquillement dégustés, la tête levée vers la rangée des
fenêtres là-haut.
À
la réception j’ai attendu un long moment. Fini par sonner.
– Monsieur ?
– Une
chambre pour samedi
soir, ce
serait possible ?
– Mais
certainement ! En façade ou sur l’arrière ?
– J’aurais
souhaité, si elle est libre, la 123.
– Elle
l’est…
– C’est
parfait. Je la prends.
Elle
se coupait les ongles des orteils, dans la salle de bains, un pied
posé sur le tabouret, la joue appuyée sur le genou.
– Et
pour les Vacances cet été ?
– Eh
bien ?
– On
va toujours à Vienne ?
– Évidemment
qu’on va toujours à Vienne. Pourquoi on n’irait plus ?
– T’aurais
pu changer d’avis.
– Et
envisager quelque chose avec Benjamin ? C’est ça ? Oui,
alors là, je te rassure tout de suite. D’abord, je te rappelle
qu’il est marié. Il a une une femme, deux enfants et nullement
l’intention de mettre le bazar dans sa vie. Et quand bien même il
réussirait, par extraordinaire, à se libérer, c’est vraiment pas
le genre de personne avec qui il me viendrait à l’idée d’aller
faire les musées, les expos ou de m’adonner à quelque activité
culturelle que ce soit. C’est le genre de choses qui l’emmerde
prodigieusement. Or moi, je peux pas envisager les vacances sans ça.
Et ça, ça peut être qu’avec toi. Et personne d’autre…
Dans
l’ignorance de ce qu’allait être au juste leur programme, je me
suis pointé là-bas le plus tôt possible. Quatorze heures. Dans une
voiture – discrétion oblige – tout spécialement louée
pour la circonstance. Je suis monté. Chambre 123. Et j’ai attendu.
J’ai lu. J’ai surfé sur Internet. J’ai sursauté chaque fois
que des pas s’aventuraient dans le couloir.
Dix-huit
heures. Sa voix. Son rire. Qui se sont rapprochés.
– Oui,
ben alors là, t’as qu’à y croire ! Je vais te mettre sur
les rotules, oui !
La
clef dans la serrure. Le silence. Ils se sont abattus, presque
aussitôt, sur le lit. S’y sont ébattus.
– J’ai
trop envie, Benjie ! Oh, comment j’ai trop envie…
En
ont fait furieusement hurler les ressorts. Elle s’est envolée. À
grandes déferlantes éperdues. Reconnaissantes.
– Oh,
Benjie ! Oh, Benjie ! Oh, Benjie ! Oh, Benjie !
Ça
s’est apaisé. C’est retombé. Il y a eu des baisers claqués.
Des murmures. Encore une plage de silence. Qu’il a rompue.
– Et
tout à l’heure…
– Eh
bien ?
– Je
te prends à quatre pattes sur la moquette, le cul en l’air.
J’adore quand tes petites fesses se trémoussent en implorant la
queue.
Des
chuchotements. Son rire. Haut perché.
– Non,
Benjie ! Non ! Je suis chatouilleuse.
– Ben,
justement ! Raison de plus !
Une
course folle à travers la chambre. Qui s’est achevée dans la
salle de bains. Dont la porte a claqué. Des ruissellements d’eau
lointains. Leurs voix étouffées.
Il
est revenu. Seul. Les pages d’un journal qu’on déplie.
Et
puis elle.
– Tu
es ravissante. Absolument ravissante.
Ils
ont quitté la chambre.
Quand
ils l’ont regagnée, il était près de minuit.
– Et
qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?
– Tu
vas me…
– Dis-le !
– Me
faire l’amour.
– Mieux
que ça.
– Me
baiser.
– Encore
mieux.
– Me
tringler.
– Te
tringler, oui. Te sauter. T’enfiler. Ça t’excite les mots
cochons, hein ?
– Oui.
Et puis l’idée.
– Quelle
idée ?
– Que
tu vas me prendre en levrette. Et décharger bien à fond en moi.
– Mais
avant ? Qu’est-ce que je vais faire avant ?
– Tu
vas… Tu vas… Me reluquer toute la panoplie. Sans que je puisse te
voir faire.
– Bien
exposée. Bien baillante. Ça t’excite, ça, hein ? T’es
déjà toute trempée, je suis sûr. Fais voir. Oh, là là, oui !
C’est carrément les grandes marées, dis donc. Allez, en position,
ma chérie ! Là ! Penche-toi ! Encore ! Bien en
l’air, ton petit cul. Comme ça, oui ! Quel délicieux
spectacle !
Un
long silence. Et puis elle a grogné. Un interminable grognement
rauque.
– C’est
bon, hein, la queue qui flâne, comme ça, à l’entrée…
– Tu
me rends folle, Benjie ! Viens ! Viens ! Mets-moi ta
bite !
– Pas
encore ! Dandine-toi bien ! Tortille-le bien ton petit
derrière ! J’adore.
– Je
t’en supplie ! Maintenant !
Viens ! Rentre !
Et
elle a déferlé. Hoqueté. Rugi. Sans la moindre retenue.
Ils
ont remis ça au matin. Plus retenu. Plus apaisé. En
plaintes douces longuement étirées.
Avant
de descendre déjeuner en bas, dans le soleil, sur la terrasse. Il me
faisait face. Un grand brun respirant la force et la tranquillité.
Qui la couvait d’un regard enjôleur.
Dissimulé
par le rideau, je les ai regardés
regagner
la voiture, étroitement enlacés. S’y
engouffrer. S’éloigner.
Ils
n’avaient pas refermé la porte de leur chambre à clef. Je m’y
suis discrètement introduit. Le lit était ouvert. J’ai lentement
passé une main sur les draps froissés, enfoui ma tête dans les
oreillers encore tout imprégnés de son parfum. J’ai cherché en
vain, sur la moquette, l’emplacement de leurs ébats, opéré une
rapide incursion dans la salle de bains.
Et
j’ai quitté les lieux. J’ai erré, au hasard, dans les environs.
Je ne me sentais pas le cœur de rentrer dans la maison vide. J’ai
déjeuné, à midi, dans un petit restaurant minable. Échoué dans
un cinéma de quartier. Tenté désespérément de m’intéresser au
film. Traîné encore longuement mon ennui au long de rues désertes.
À sept heures, je me suis lentement rapatrié. Elle devait être
rentrée maintenant.
Elle
ne l’était pas. Je l’ai attendue. Ai fini par me coucher.
Vaguement m’assoupir.
Son
pas, léger, dans la nuit. Elle s’est glissée à mes côtés dans
le lit, s’est pelotonnée contre moi.
4-
Le
week-end suivant, elle nous l’a voulu à nous. Rien qu’à nous.
Tous les deux.
– Hein ?
Ça te dit ?
Bien
sûr que ça me disait. Évidemment.
– Et
on va où tu veux. C’est toi qui choisis.
J’ai
opté, sans hésiter, pour le Périgord. L’inépuisable Périgord.
Tant pour la beauté de ses paysages, la qualité de son patrimoine
historique que pour sa gastronomie.
– Eh
bien, va pour le Périgord !
Elle
était enchantée.
On
est partis dès le vendredi soir. Et on a décidé en cours de route,
d’un commun accord, de passer la nuit à Rocamadour. On y a dîné
dehors, sous les tilleuls. D’émincés de foie gras et de magrets
de canard. Avec vue sur la vallée.
– Qu’est-ce
que c’est beau ! Qu’est-ce qu’on est bien !
Elle
m’a pris la main par dessus la table.
– Ça
va peut-être te paraître bizarre, mais je me suis jamais sentie
aussi bien avec toi que depuis… depuis tout ça. Ça nous a
rapprochés finalement. Non, tu trouves pas ?
– Peut-être
un peu, si !
– Oh,
si, si ! Jamais je m’étais sentie aussi à l’aise en moi.
Jamais. J’y respire. J’y prends mes aises. Et je te le dois. Au
moins en partie. Parce qu’à aucun moment tu n’as essayé de me
rogner les ailes. De me rabougrir. Au contraire. Tu peux pas savoir
quelle importance ça a pour moi. Et je t’en serai toujours
infiniment reconnaissante.
On
a regagné la chambre. On s’est couchés.
– T’as
envie ?
Je
n’ai pas répondu. Je me suis pressé contre elle, mon désir bien
calé contre sa hanche. Elle s’en est emparée, m’a mis le gland
à nu, l’a savamment lissé, du bout du pouce.
– Viens !
Sur
elle. En elle.
Et
je suis lentement, très lentement, parti à la conquête de mon
plaisir. Elle m’a laissé faire. Sans un mot. Sans un geste. Sans
me quitter un seul instant des yeux. J’ai grondé ma jouissance et
j’ai enfoui ma tête dans son cou. Elle me l’a doucement
caressée.
– C’était
bon, hein !
Ça
l’était, oui.
– Pour
moi aussi. De te donner du plaisir. De te sentir l’avoir. Sans être
parasitée par toutes sortes de préoccupations parallèles. Comme je
l’étais avant. Ah, que c’est bon de ne plus avoir à faire
semblant !
Elle
m’a ébouriffé les cheveux.
– Mais
il y a sûrement pas grand monde qui pourrait comprendre un truc
pareil.
On
a déjeuné en bas, sur la terrasse. De grandes tartines beurrées,
de croissants et de café chaud.
– Qu’est-ce
qu’on va faire ?
J’ai
proposé Carennac.
– Je
m’en lasse pas.
Et
elle Curemonte.
– Histoire
de retourner, encore une fois, sur les pas de Colette.
Un
SMS. Auquel elle a aussitôt répondu. Un autre. Un troisième.
– C’est
lui ?
Elle
m’a fait signe que oui. Oui.
– Il
est très amoureux, hein ?
– Il
a surtout très envie de moi.
– L’un
n’empêche pas l’autre.
– Non.
Bien sûr que non. Mais là, je crois vraiment pas.
– Et
si tu me parlais un peu de lui ?
– De
lui ?
– De
lui, oui. Ça te gêne ?
– C’est
pas que ça me gêne, non, c’est que… il y a pas grand chose à
en dire. Il a mon âge. Un tout petit peu plus. Il est prof de gym.
Passionné de formule 1. Sorti de là…
– Vous
perdez pas tellement de temps à discuter. Vous avez mieux à faire.
– C’est,
de toute façon, quelqu’un qui n’aime pas parler de lui. Qui
n’aime pas parler d’une façon générale. Ce qui n’empêche
pas…
– Ce
qui n’empêche pas, oui. J’ai bien compris.
Ça
n’a été ni Curemonte ni Carennac.
– On
ira demain. Ou un autre jour. On a tout notre temps.
Mais
Rocamadour. Uniquement Rocamadour. Son sanctuaire. Son château. Ses
environs. La forêt des singes. On s’y est longuement promenés,
main dans la main.
Sur
le coup de six heures, on a regagné notre hôtel. On a dîné à la
même table que la veille, sous les tilleuls.
– Mais
quand même, on change de menu, non ?
Au
dessert, je me suis bravement lancé.
– J’ai
quelque chose à te dire.
– Chacun
son tour en somme.
– Tu
vas peut-être m’en vouloir. Sûrement même.
– Dis
toujours…
– Je
le connais, Benjamin.
– Comment
ça, tu le connais ?
– Enfin,
non. C’est pas vraiment que je le connais. C’est que je l’ai
déjà vu.
– Où
ça ?
– Au
« Petit Castel », dimanche matin. Vous déjeuniez dehors
tous les deux.
– Mais
t’étais où ?
– Dans
ma chambre. À la fenêtre.
– Je
vois.
– C’était
celle à côté de la vôtre.
– Oui,
ben ça, je me doute. Et pourquoi t’as fait ça ?
– Pour
essayer de savoir. De comprendre ce que tu peux bien ressentir quand
tu jouis « pour de bon ».
– T’as
pas dû être déçu du voyage.
– Tu
m’en veux, hein !
– Dans
un sens, oui. Bien sûr que je t’en veux. On n’accepte jamais de
gaîté de cœur d’être espionné. Mais d’un autre côté, c’est
tellement attendrissant. Un peu comme si tu avais voulu me donner du
plaisir par procuration. Être avec moi quand je perds pied. Presque
en moi.
– C’est
exactement ça.
Dans
le lit, elle s’est blottie contre mon dos, a enlacé ses jambes aux
miennes.
– T’as
tout suivi, alors, en fait. De A à Z.
– T’entends
tout d’une chambre à l’autre dans cet hôtel. Comme si t’étais
dans la pièce.
–
J’ai
jamais fait vraiment attention.
– Ben,
non. Forcément. T’as beaucoup mieux à faire. Et à dire… Tu te
sers d’un langage très imagé, dis donc, quand ça te tient.
– Un
langage auquel je ne t’ai pas habitué. Ça te choque ?
– Oh,
non… Non… J’aime bien, au contraire. Je te découvre sous un
jour complètement différent.
– Moi
aussi. Il y a des mots dont je ne me serais jamais crue capable.
– Qui
t’excitent. Et qui ne sont possibles qu’avec lui, pas avec moi.
– C’est
parce que…
– Je
sais, oui. Chut !
– Je
peux te demander quelque chose ?
– Tout
ce que tu veux.
– Tu
t’es donné du plaisir en nous écoutant ?
– Non.
J’étais beaucoup trop occupé à profiter bien à fond du tien. Ça
me l’aurait parasité.
– Je
t’adore.
5-
Le
mercredi, elle m’a appelé. Sur le coup de midi.
– Alex ?
Je voulais te dire… Ne m’attends pas ce soir. Benjamin a une
opportunité. Alors on la saisit.
– Tu
rentres plus tard ou tu rentres pas du tout ?
– Pas
du tout. On va rester dormir là-bas.
– Au
petit castel ?
– Au
petit castel, oui. Pourquoi ?
– Non.
Pour rien. Vous auriez pu avoir envie de changer.
– Ben,
non, tu vois ! Dis-moi…
– Oui ?
– Toi,
tu… ?
– Je,
quoi ?
– Non.
Rien. Rien.
Elle
est arrivée toute seule. La première. En chantonnant. S’est
aussitôt précipitée dans la salle de bains. Quand elle en est
sortie, trois quarts d’heure plus tard, elle chantait toujours.
Il
a presque aussitôt surgi. Un long silence. Et puis…
– Qu’est-ce
t’avais de si important à me dire ?
– J’avais
envie de te voir. Tellement.
– De
me voir ou de te prendre un bon petit coup de queue ?
– Benjie…
– C’est
pas ça, peut-être ?
– Aussi,
oui, mais pas seulement.
– C’est
loin vendredi. Alors pas question d’attendre jusque là. Il te
fallait ta dose. De toute urgence. Seulement moi, je sais pas…
– Tu
sais pas ? Tu sais pas quoi ?
– Si
j’ai envie.
– J’m’en
fous ! Je vais me servir sur la bête. Alors là !
– Pas
touche.
– Oh,
Benjie ! Laisse-moi la regarder au moins.
– Mais
alors juste regarder.
– Promis.
Elle
a ri. De son petit rire grêle haut perché.
– Elle
pointe. Et pas qu’un peu. Elle pointe vers là où elle veut aller.
Hein, ma chérie, que tu veux aller leur rendre visite aux petits
replis d’amour d’Alyssia ? Ah, tu vois, tu opines du chef.
Oui. Oui. Et encore oui. Tu demandes que ça. Bon, ben tu sais pas,
le mieux ? On s’occupe pas de lui. C’est un rabat-joie. Un
vrai bonnet de nuit. On fait notre petite affaire toutes les deux. En
douce. Ni vu ni connu.
– T’as
le droit de rêver.
– Toi,
tu te tais. Elle fait ce qu’elle veut. Elle a pas de comptes à te
rendre. Fiche-nous la paix. On cause. Qu’est-ce qu’on disait ?
Ah, oui ! Il a pas forcément tort, remarque ! Parce que,
pour être honnête, c’est surtout pour toi que je suis venue. Et
même, faut bien l’avouer, que pour toi. Pour que tu me remplisses
bien. Que je te sente bouger en moi. T’y répandre. Depuis dimanche
je pense qu’à ça. À écarter les cuisses, à t’accueillir et à
me refermer sur toi. Si tu savais ce que c’est bon, par moments, de
n’être rien d’autre qu’une chatte qui se fait bourrer…
Elle
s’est tue. Un long silence.
– Enfile-moi,
Benjie ! Enfile-moi !
Elle
a presque tout de suite gémi.
– Elle
me rend folle, ta bite. Qu’elle est bonne ! Oh, qu’elle est
bonne.
Son
plaisir a déferlé. En grandes vagues indéfiniment ressuscitées.
Encore
le silence. Des chuchotements. Un dernier feulement de satisfaction.
– Je
suis repue. Et je crève de faim.
– Ça,
ça devrait pouvoir s’arranger. Et sur le champ.
Elle
en brûlait d’envie, mais, le lendemain, quand elle est rentrée,
elle ne m’a pas posé tout de suite la question. Elle est d’abord
allée cueillir du lilas au jardin. Elle a ensuite vérifié ses
comptes, programmé un film, remisé au grenier un carton de
vêtements d’hiver.
C’est
à table qu’elle s’est lancée.
– J’aurais
mieux fait de te demander hier.
– Me
demander quoi ?
– Si
tu serais là, dans la chambre, à côté. J’ai pas arrêté de me
poser la question.
– Ce
qui a pas eu l’air de bien te déranger.
– Donc,
t’étais là. J’en étais sûre.
– Pour
donner, ça a donné. Trois fois vous avez remis le couvert. Presque
quatre.
– Oui,
oh, ben ça, avec lui, n’importe comment, c’était couru
d’avance. Il me met dans de ces états !
– Je
vois ça. J’entends plutôt.
– Je
suis désolée, mais…
– T’as
pas à l’être. Tu l’es pas vraiment d’ailleurs.
– Ce
qu’il y a surtout, c’est que ça m’émerveille. Ça arrête pas
de m’émerveiller. Parce que c’est vraiment le genre de type dont
j’étais persuadée, quand j’étais ado, qu’il n’était pas
pour moi. Qu’il ne serait jamais pour moi. Que c’était pas la
peine que je lève les yeux dessus. Il me regarderait même pas. Et
c’était vrai : j’étais transparente. Mes copines, elles,
du moins certaines d’entre elles, elles pouvaient tout se
permettre. Viser haut. Très haut. Les plus beaux, les plus virils,
quand elles avaient décidé de les avoir, elles les avaient. Et ça
leur paraissait tout naturel. Qu’est-ce que je pouvais les envier !
Combien de fois j’ai rêvé que le Lionel de Serena, c’était moi
qu’il serrait dans ses bras. Combien de fois, en imagination, je me
suis fièrement affichée avec lui ! Dans les bars. Au cinéma.
Partout. Et tant d’autres. Christophe, qui les avait toutes à ses
pieds. Cyrille, qui était beau, mais beau ! Que c’était pas
possible d’être beau comme ça. Qui s’est tapé pratiquement
toutes les filles de Terminale C, mais pas moi. Moi, je n’existais
pas. Je n’existais jamais pour les garçons. Du moins ceux qui
comptaient. Sauf dans mes rêves.
– Tu
as existé pour moi.
– Bien
sûr ! Tu étais si gentil. Si prévenant. Si attentif au
moindre de mes désirs. Comment ne pas s’en sentir profondément
émue ? Valorisée ? Et puis, à toi j’avais droit. Tu
étais accessible. Je ne l’ai jamais regretté. Seulement…
– Seulement
c’est si fascinant l’inaccessible.
– Voilà,
oui. Et j’ai continué à jouer. À essayer de me faire croire. Sur
Internet. Tu ne t’en es jamais rendu compte. C’était mon jardin
secret. Pendant des années et des années je me suis bercée
d’illusions. C’est tellement facile, comme ça, de loin. Tout est
possible. Du moment qu’on ne cherche pas à se confronter au réel.
Ah, j’en ai séduit des hommes improbables ! Qui finissaient
presque toujours, évidemment, par solliciter une rencontre « en
vrai ». Je tergiversais. J’éludais. Je savais trop bien
comment ça allait tourner. Et ils se lassaient. Les uns après les
autres.
– Mais
pas Benjamin.
– Pas
Benjamin, non. Qui a insisté. Qui a fini par me convaincre, à force
de patience, d’accepter un rendez-vous auquel je me suis rendue la
peur au ventre. Battue d’avance. Mais… Mais ses yeux. Mais son
désir. D’un homme comme lui ? Pour moi ? C’était
impossible. Invraisemblable. Et pourtant, si ! Je n’en
revenais pas. J’existais pour lui. Pour un homme comme lui. Il me
faisait être celle que j’avais toujours voulu être. Celle que
j’avais cru que je ne serais jamais. Et c’est chaque fois le même
miracle. Ses yeux. Sa queue qui me veut. Qui m’exige. Moi ! Tu
te rends compte ? Moi. Je n’en reviens pas. Je n’en
reviendrai jamais.
6-
– Allô…
Alexandre
Jamier ?
– Lui-même,
oui.
– Bonjour…
Séverine Marvaut à
l’appareil. Mon
nom ne vous dit
sans doute
rien, mais il faut absolument que je vous parle.
– C’est
à quel sujet ?
– C’est
personnel. Et
important. On
pourrait se retrouver quelque part ?
– Je
déjeune à la
Brasserie Antoine
à midi. Vous voyez où c’est ?
– J’y
serai.
C’était
une petite femme brune,
la quarantaine, au regard sombre, qui
s’est emparée, d’autorité, de
la chaise libre en face de moi. Et
qui n’y est pas allée par quatre chemins.
– Mon
mari me trompe.
– J’en
suis désolé pour vous, mais je ne
vois vraiment
pas en quoi ça
peut me
concerner.
– En
ce que j’ai tout lieu de penser qu’il me trompe avec votre femme.
– Ah !
– Excusez-moi
d’être aussi abrupte, mais inutile
de tourner autour du pot. Vous êtes cocu. Je suis cocue. Bon, ben
voilà ! Vous ne
dites rien ? Oui,
vous accusez le coup, c’est normal. Moi
aussi, au début. J’arrivais pas à y croire. C’était pas
possible. Il m’a
fallu une bonne semaine avant de pouvoir enfin regarder la réalité
en face. Mais alors là ! Je
l’aurais bouffé. J’étais prête à tout foutre en l’air. À
le lui faire payer. Cher. Très cher. Heureusement que j’ai
d’excellentes amies qui ont su me canaliser, me convaincre de
laisser passer un peu de temps. De ne pas prendre de décision à
chaud. Ça nous aurait
avancés à quoi ? On se serait engueulés. Il se serait braqué.
Moi, de
mon côté, aussi. Ça
aurait dégénéré. On se serait quittés.
Séparés.
Ce qui aurait été une
monumentale connerie. Parce
que je tiens à lui.
Beaucoup plus encore que je ne l’imaginais. Et je suis
bien décidée à me
battre, bec
et ongles, pour le garder. Et
me battre pour le garder, ça veut dire, dans un premier temps, ne
rien faire. Ne rien savoir. Ne
pas faire de vagues.
Parce qu’il va se passer quoi maintenant ?
Ils vont vivre leur truc. Quelques semaines. Ou quelques mois. Le
temps que leur
désir s’émousse. Et
moi, pendant ce temps-là, je vais tout
faire pour
que la vie à la maison soit la plus paisible
et la plus harmonieuse possible. Pour
que ce soit là qu’il ait envie d’être. Qu’il s’y sente
bien. Pour que le jour où ça
s’affadira entre eux,
il y retrouve tout naturellement ses marques. Il n’y aura rien eu.
Il ne
se sera rien passé.
Vous comprenez ?
– Oh,
que oui ! Mais
si…
– Ils
tombent amoureux l’un de l’autre ? J’y ai pensé. Bien sûr
que j’y ai pensé. C’est une éventualité qu’on ne peut pas
écarter d’un revers
de manche. Mais
ça, j’aviserai, le
moment venu. S’il
arrive. Ce dont, connaissant Benjamin, je doute fortement.
Il aime plaire. Il adore séduire. mais de là à s’attacher…
Non. Ce sera un feu de
paille. J’en ai l’absolue
conviction. Voilà
pourquoi je tenais tant
à
vous rencontrer. Le
plus vite possible. Pour
qu’en
cas de découverte
inopinée du
pot-aux-roses, vous ne
donniez
pas, pris
de court, un grand coup
de pied dans la fourmilière qui provoquerait
une onde de choc aux conséquences incalculables. Et catastrophiques.
– Ce
n’est pas vraiment mon style.
– On
ne sait jamais. La colère est parfois si mauvaise conseillère. Mais
maintenant que vous
êtes prévenu… Je
peux compter sur vous ?
– Pour ?
Ne pas provoquer de
cataclysme ?
Laisser sagement leur histoire s’étioler et mourir de sa belle
mort ? Absolument.
– Parfait.
Me voilà rassurée. Tenez ! Mon numéro de téléphone. Au
bureau. On se tient au courant. Et, s’il survient quoi que ce soit
qui change brusquement la donne, on s’alerte aussitôt. Toutes
affaires cessantes.
Et
elle est partie comme elle était venue.
– Jamais
j’aurais dû t’en parler.
– Mais
si !
– Je
sais pas. T’as l’air toute préoccupée depuis. Presque
soucieuse.
– Mais
non ! C’est pas ça ! C’est que j’ai mis le nez dans
les comptes et… Tu tiens absolument à aller en Autriche cet été ?
– Pourquoi ?
On est dans le rouge ?
– Pas
vraiment, non. Mais on est bien un peu ric-rac quand même. Il
suffirait qu’on ait deux ou trois imprévus.
– Et
alors ? Tu proposes quoi ?
– Que,
pour cette année, on reste sagement en France. Dans un arrière pays
quelconque. Où on pourra tranquillement décompresser. Se reposer.
Loin de la foule.
– Et
où ça ?
– J’ai
pas vraiment d’idée. L’arrière-pays niçois, par exemple.
– Il
part où, Benjamin, en vacances ?
– Ça
n’a rien à voir.
– Il
part où ?
– À
Nice.
– Comme
par hasard.
– Oh,
mais ce sera juste une fois comme ça. En passant. Peut-être deux.
Trois grand maximum. Selon qu’il pourra se libérer ou pas. Et
puis pas du tout, si ça tombe.
– Tu
vas lui dire ?
– Quoi
donc ?
– Que
sa femme n’est pas dupe.
– Il
y a pas de risques, non.
– Parce
que ?
– Parce
que j’ai pas la moindre idée de la façon dont il réagirait. Et
que j’ai pas du tout envie de jouer avec le feu.
Il
était dans l’annuaire. Benjamin Marvaut. 24, rue Marcel Pagnol.
J’ai
un peu tourné. Cherché. Dans des rues toutes identiques. Avec des
maisons copies conformes les unes des autres. Toutes dans des tons
ocres. Toutes entourées du même bout de terrain sur lequel rien
n’avait encore eu le temps de pousser vraiment.
La
leur était la dernière. Dans une sorte de cul-de-sac. Au-delà un
pré que bordait une route déserte.
Je
suis descendu de voiture. Je me suis approché. Les volets étaient
fermés. Un vélo était couché dans l’herbe. Sur l’arrière,
une tonnelle verte abritait une table de plastique blanc avec ses
chaises. Je suis reparti. Au coin, accoudé à sa grille, un retraité
m’a regardé passer d’un œil soupçonneux.
Il
avait aussi un compte Facebook. Une centaine d’amis. Sportifs pour
la plupart. Joueurs de foot. Férus d’athlétisme. Peu de femmes.
La sienne. Quelques collègues enseignantes. Des photos. Beaucoup de
photos. De voitures. Des courses de voitures. À en avoir la nausée.
C’était
tout. Rien d’autre. Nulle part.
7-
– Tu
seras là ce soir, je suppose. Dans la chambre d’à côté.
– Peut-être.
Sûrement.
– T’aimes
ça m’entendre, hein ?
– De
plus en plus. Ça t’ennuie ?
– De
moins en moins. Et même…
– Oui ?
– Je
crois que maintenant ça me manquerait que tu sois pas là.
Je
l’ai prise dans mes bras.
– J’aime
ton plaisir. Même si c’est pas moi qui te le donne.
Nos
lèvres se sont brièvement effleurées.
– Et
moi, j’aime que tu l’aimes.
Elle
s’est doucement dégagée.
– Faut
que j’aille me préparer. Si je veux pas le faire attendre.
C’est
moi qui ai attendu. Jusqu’à huit heures. Ils ont monté les
bagages dans la chambre et ils ont décidé de descendre aussitôt
dîner.
– Mais
avant…
– Qu’est-ce
tu fais ?
– Ça
se voit pas ? Je te déculotte. Tu sais ce qu’on avait dit.
– Mais
pas déjà ! Pas aujourd’hui !
– Ben,
pourquoi ?
– Mais
parce que…
– Si
je t’écoute, on le fera jamais. T’auras toujours une excellente
raison. Allez, route !
– Laisse-moi
changer de jupe au moins. Mettre quelque chose de plus décent.
– Ah,
non ! Non ! Surtout pas !
Quand
ils sont remontés, il riait aux éclats.
– Excellent !
Non, mais excellent !
– T’es
trop, toi, quand même, dans ton genre ! Lui balancer, comme ça,
tranquillement, que j’avais pas de culotte au jeune. Je savais plus
où me mettre, moi !
– Il
fallait bien lui dire. C’était lui qu’avait le meilleur angle
d’attaque et il se rendait compte de rien, le pauvre !
– Oui,
ben pour se rattraper, il s’est rattrapé. Il m’a plus quittée
des yeux. Que j’en étais gênée pour sa copine.
– Oui,
oh ! Elle avait pas l’air particulièrement traumatisée. Et
puis ça l’aura mis en forme son mec. Elle va quand même pas s’en
plaindre !
– El
le vieux ! Lui aussi, il t’a entendu. Ces yeux exorbités
qu’il avait ! Et comment il se contorsionnait pour voir !
– Ah,
ça t’a plu tout ça, hein !
– Faut
bien dire…
– Et
encore ! C’était la première fois. T’osais pas trop te
laisser aller, mais tu verras quand t’auras pris un peu
d’assurance. Sans compter que j’ai des idées à la pelle.
– Ah,
oui ? Quoi ?
– T’auras
plus la surprise si je te le dis. Écoute ! T’entends ?
– Ah,
oui ! Ça y va, dis donc ! C’est les deux jeunes, tu
crois ?
– Évidemment
que c’est eux ! Ils sont juste au-dessus. T’entends ça ?
Non, mais t’entends ça ? C’est de ta faute. T’as pas
honte de mettre les gens dans des états pareils ?
– Même
pas, non !
Ils
se sont tus. Elle a respiré plus vite. Plus fort. Elle a haleté.
Au-dessus,
ça s’est emballé. La fille a psalmodié sa jouissance. Son copain
a grogné le sien.
– Tu
crois, Benjie, que le vieux aussi ?
– Lui ?
Il est en train de se palucher comme un fou en repensant à ce qu’il
a vu tout à l’heure. Et en les écoutant. Et en nous écoutant. Ça
fait pas l’ombre d’un doute. Il est sûrement pas le seul
d’ailleurs. Je te parie ce que tu veux qu’il y en a d’autres,
dans les chambres alentour, qui n’en perdent pas une miette.
Oui.
Il y avait moi. Moi aussi. En train d’entrer dans son plaisir avec
elle. D’en épouser les moindres méandres. Un plaisir qu’elle a
épelé à longues plaintes amoureusement ciselées. Qui se sont
élancées, envolées, ont culminé en un interminable point d’orgue
éperdûment proclamé.
Ils
ont déjeuné dehors. Au soleil. Je les ai regardés. Un long moment.
Et puis, pris d’une impulsion soudaine, je suis descendu. Je me
suis installé à une table, à bonne distance de la leur. Elle lui a
dit quelque chose. Il s’est retourné. À plusieurs reprises. Leur
discussion s’est animée et elle m’a fait signe de les rejoindre.
– Alexandre…
Benjamin… Bon, ben voilà ! Au moins les choses sont claires
comme ça maintenant.
Il
m’a tendu la main. Souri.
– Votre
femme a beaucoup de chance d’avoir un mari à l’esprit aussi
ouvert. C’est pas le cas de tout le monde. Et j’en sais quelque
chose.
Il
m’a tiré une chaise.
– Mais
asseyez-vous ! Restez pas planté là. Vous allez déjeuner avec
nous.
Un
jeune couple a fait son apparition. Nous a lancé un vague bonjour en
longeant notre table. Est allé s’installer un peu plus loin.
Alyssia
a constaté, à mi-voix.
– Hou
là là ! Ces têtes de crevés.
– À
qui la faute ?
– Parce
que t’y es pour rien, toi, peut-être ?
– Absolument
rien. C’est toi qui as absolument tenu à…
– Moi !
Non, mais alors là, tu es d’une mauvaise foi ! Alex, t’es
témoin, toi ! T’as tout entendu, je suis sûre. C’est pas
lui qui m’a obligée à descendre sans culotte ?
Il
ne m’a pas laissé le temps de répondre.
– Oui,
mais leur offrir une vue imprenable sur tout le panorama, personne
t’a forcée.
– Oh,
tu parles ! Sous la table, comme ça, on doit pas pouvoir voir
grand-chose.
– Ben,
voyons ! C’est pour ça qu’ils ont baisé toute la nuit. Et
que le vieux, à côté, il tirait une langue de trente centimètres.
Quant à toi, rien qu’à voir comment ils brillaient tes yeux…
Elle
s’est levée.
– Bon,
mais c’est pas tout ça. Je vais me préparer.
– C’est
ça ! Détourne bien la conversation.
Elle
lui a tiré la langue et s’est enfuie. Sans se retourner.
On
l’a suivie des yeux, tous les deux, jusqu’à ce qu’elle ait
disparu.
Il
a hoché la tête.
– Elle
est trop, ta femme, dans son genre. Il y a une sacrée personnalité,
là. Et une sacrée sensualité.
– Qui
ne parvient pas à s’épanouir avec moi.
– Je
sais, oui. Elle m’a dit. Elle m’a expliqué pour vous deux. Pas
facile à vivre pour toi, non ?
J’ai
haussé les épaules.
– Oui
et non. On partage plein de choses, mais je ne peux pas être ce que
je ne suis pas. Ce qu’elle a besoin qu’un homme soit. Alors qu’il
lui faille aller s’éclater avec quelqu’un qui la comble
sexuellement, je le conçois parfaitement. Et même, pour te dire le
fond de ma pensée, je suis fermement convaincu que si elle n’allait
pas voir ailleurs, je finirais à coup sûr par la perdre.
– Je
la connais pas encore beaucoup, mais je crois que t’as raison. Il y
a toutes les chances, oui.
– Même
s’il y a quand même le risque que le type, en face, il veuille me
la souffler.
– Oui,
alors là, avec moi, de ce côté-là, tu n’as absolument rien à
craindre.
8-
– Et
si on restait là ?
– Comment
ça, là ?
– Ben
ici. Au petit Castel. Qu’on y passe notre samedi. Non ? Ça te
dirait pas ?
On
venait de regarder partir Benjamin. Qui avait un mariage. Auquel il
lui était absolument impossible d’échapper.
– Hein ?
Ça te tente pas ? On serait pas mal, non ? Il fait beau.
Le cadre est agréable. On y mange bien. Et il y a plein de trucs à
voir dans les environs.
Oh,
si elle voulait ! S’il y avait que ça pour lui faire plaisir…
– Ça
t’a pas posé de problème au moins que je te présente ? Non,
parce que je me suis dit que c’était un peu un appel du pied que
tu descendes déjeuner. Et puis, de toute façon, on n’allait pas
continuer à s’ignorer pendant des éternités comme ça. Toi, d’un
côté de la cloison et nous de l’autre. Ça n’avait pas de sens.
Il arrive un moment où il y a pas d’autre solution que de tout
mettre sur la table. Ça vaut cent fois mieux. Pour tout le monde.
Non, tu crois pas ?
C’était
bien mon avis, si !
– Vous
avez un peu discuté tous les deux tout à l’heure. Comment tu le
trouves ?
– C’est
pas en cinq minutes qu’on peut se faire une idée.
– Je
sais bien, oui. Mais je suis sûre que vous arriverez à vous
entendre. Même que vous soyez complètement différents l’un de
l’autre. Le jour et la nuit. Et d’ailleurs… tu sais ce qui
serait bien ?
Elle
s’est brusquement interrompue.
– Te
retourne pas, mais le jeune, derrière toi, il en veut à mon
entre-jambes. Et pas qu’un peu ! Il a beau essayer d’être
discret…
– En
somme, ça lui a pas suffi hier soir. Il prendrait bien un peu de
rab.
– C’est
à peu près ça, oui.
– Sauf
que, là, il va être de la revue.
– Tu
crois ?
– Ah,
parce que…
– Parce
que, oui. Ce matin non plus j’en ai pas.
– T’y
prends goût, on dirait.
– Penses-tu !
C’est par pur altruisme. Faut savoir rendre service dans la vie.
– Ce
que t’es en train de faire, j’imagine.
– Je
n’en suis qu’aux préliminaires. À le laisser un peu espérer.
J’adore.
Elle
a bougé les pieds sous la table.
– Hou
là là ! Tu verrais sa tête ! Je lui ai pas offert
grand-chose pourtant. Et vite fait. Mais quand même ! Ça lui
fait sacrément de l’effet.
– Et
la fille ? Elle fait quoi, elle, pendant ce temps-là ?
– Elle
a la main posée sur sa cuisse. Et elle le couve du coin de l’œil.
Bon, mais allez ! On va en rajouter une petite couche.
Elle
a croisé les jambes. Les a décroisées. Recroisées.
– Et
là, s’il bande pas, à moi la peur. Et toi ?
– Quoi,
moi ?
– Tu
bandes ? Je suis sûre que oui. Laisse-moi aller voir.
Elle
a retiré sa chaussure, est montée me chercher, du bout du pied.
– Oh,
là là, oui ! Et pas qu’un peu !
Elle
s’est installée, m’a agacé la queue à rapides petits coups
d’orteil.
– Et
là, je peux te dire qu’en même temps je suis en train de les
gâter, les deux autres ! Bon, mais allez ! C’était le
bouquet final. On ferme. Faut jamais abuser des bonnes choses. Viens
me montrer ta chambre, tiens, plutôt ! Que je me rende compte.
– Alors,
c’est là. Oui. La même qu’à côté en gros. En un peu plus
petit. Et en plus sombre. T’es aux premières loges en fait. Mais
dis-moi ! T’as joui hier soir ? Oui, hein !
Évidemment que t’as joui. C’était quand ? En même temps
que les deux jeunes au-dessus ? En même temps que moi ?
C’était bien au moins ? Attends, écoute ! T’entends
pas ? Ça marche au-dessus. C’est eux. Tu paries qu’ils vont
baiser ? Vu comment je les ai mis en appétit. Tu vas pouvoir
encore en profiter. Tiens ! Qu’est-ce que je disais !
C’est le sommier, ça. Ils viennent de se jeter dessus. Comme des
meurt-de-faim. Et ça y est. Ils attaquent. Ils perdent pas de temps,
dis donc !
Des
grincements. Des halètements. La fille a commencé à doucement
gémir.
– Fais-le !
T’en crèves d’envie.
Elle
a ouvert mon pantalon, m’a sorti la queue.
– Non,
mais comment elle est raide. Tu vas quand même pas la laisser dans
cet état-là ! Ce serait criminel.
Au-dessus
la fille s’est lamentée plus vite. Plus fort.
– Écoute
ça comment elle piaule ! Elle y met tout son cœur. Et toi, ça
te fait de l’effet, dis donc ! Comment t’y vas ! À ce
rythme-là…
À
ce rythme-là, je risquais pas de tenir bien longtemps, non. Et
effectivement ! Encore deux ou trois allers et retours
impatients sur ma queue. Et je me suis fini. Répandu. Dans un grand
râle. Au moment même où l’autre, là-haut, clamait son plaisir à
pleins poumons.
– Ça
va aussi vite quand c’est moi ?
Et
Alyssia m’a effleuré les lèvres.
On
s’est longuement promenés, main dans la main, à proximité de
l’hôtel. Aventurés plus loin.
– Quand
je te disais que c’était super comme coin !
Elle
m’a serré la main plus fort.
– C’est
quand même fou, avoue ! Parce qu’on n’a jamais été aussi
bien ensemble, tous les deux, que… depuis tout ça ! On n’a
jamais été aussi complices. J’ai presque envie de dire qu’on
n’a jamais été aussi amoureux, d’une certaine façon. Non, Tu
trouves pas ?
– Oh,
si ! C’en est même complètement invraisemblable par moments.
– Je
me serais doutée avant que ça tournerait comme ça, je peux te dire
que j’aurais pas eu autant de scrupules. Et qu’il y a belle
lurette que je m’en serais pris un d’amant. Il y a plein de
choses, d’ailleurs, que, dans la foulée, je me serais autorisées.
La petite séance de ce matin, par exemple, dehors, avec les deux
jeunes, là, il y a encore six mois, mais ça n’aurait même pas
été envisageable. J’avais bien trop de préjugés. De blocages à
la con. Il y en a un qu’a sauté. Tous les autres ont suivi. Vont
suivre. En chaîne. Et je peux te dire que je vais me rattraper.
Qu’on va se rattraper. Parce que toi, de ton côté, maintenant, je
suis bien tranquille que tu vas en être aussi de la comédie.
Différemment, mais tu vas en être.
– C’est
en bonne voie.
– Ah,
tu vois ! En attendant, on peut pas dire qu’on se soit aidés
l’un l’autre à prendre notre élan jusque là, hein ! On
s’est plutôt consciencieusement employés à se maintenir sagement
dans les clous. À se limiter mutuellement. À se rogner les ailes.
Je t’incrimine pas. Je suis au moins autant responsable que toi.
Seulement maintenant ça va changer. Faut que ça change. J’ai
plein d’idées pour ça. T’en auras aussi. Et on va y trouver
notre compte. Aussi bien l’un que l’autre. Peut-être même qu’à
force de faire j’aurai envie avec toi. Que je finirai par avoir du
plaisir, qui sait ?
On
s’est arrêtés. On s’est fait face. Nos lèvres se sont jointes.
Et puis on est lentement remontés vers l’hôtel.
– Ce
qu’on pourrait peut-être… Et si on essayait de faire leur
connaissance aux deux jeunes ?
Ils
étaient partis. Il y avait plus leur voiture.
– Non,
mais ils reviendront. Sûrement qu’ils reviendront. Et comme nous,
on reviendra aussi…
9-
Elle
s’était occupée de tout.
– C’est
pas plus mal que t’aies la surprise…
Avait
choisi le point de chute.
– Tu
verras… Au calme. En pleine campagne. Mais à proximité d’une
grande ville quand même. Qu’on puisse sortir si on a envie. Aller
visiter des trucs.
Et
préparé les valises.
– On
est opérationnels. Il y a plus qu’à embarquer. Demain matin. Aux
aurores. Mais avant… je peux te demander quelque chose ?
Seulement te sens pas obligé. Faut que tu me dises carrément. Ça
t’embêterait s’il venait Benjamin ?
– Avec
nous ? En vacances ?
– Ça,
c’est pas possible, non. Il y a sa femme. Et ses enfants. Non. Ici,
ce soir. Parce que faut pas trop que j’y compte qu’il réussisse
à se libérer, à ce qu’il m’a dit. Et je vais pas le voir d’un
moment, du coup.
– Évidemment
qu’il peut venir !
Elle
m’a sauté au cou.
– T’es
un amour !
A
tapé un SMS en toute hâte. Et s’est engouffrée dans la salle de
bains.
On
a attendu tous les deux, de concert, devant une bière, qu’elle en
ressorte.
– Ce
qui, la connaissant, risque de prendre un certain temps.
Il
a reposé son verre.
– C’est
pas sûr, mais peut-être qu’elle va appeler.
– Hein ?
Qui ça ?
– Séverine.
Ma femme. Elle a tiqué ce soir. Pour la première fois, elle a
vraiment tiqué. Faut dire aussi qu’il y a de quoi. Parce que c’est
bien beau les soi-disant compétitions sportives, à l’autre bout
de la France, que je ne voudrais louper pour rien au monde et qui
m’obligent à dormir sur place, mais il arrive forcément un moment
où ça devient suspect. Et là, j’ai vraiment senti qu’il
fallait que j’allume des contre-feux. De toute urgence. Alors j’ai
prétendu que j’allais passer la soirée chez un copain. Qu’on
avait des choses à régler tous les deux. Pour le club de hand. Le
plus rapidement possible. Et je lui ai laissé ton fixe. Au cas où
elle aurait besoin de me joindre. Vu que mon portable – ce qui
est vrai – est tombé en rade ce matin. Alors si ça sonne,
– ce qui m’étonnerait, mais bon, on sait jamais –
vaut mieux que ce soit toi qui répondes plutôt qu’Alyssia.
Qui
a justement fait son apparition en petite nuisette transparente.
Dessous, elle était entièrement nue.
Il
a souri.
– Décidément,
tu fais une allergie aux culottes en ce moment.
Elle
n’a pas répondu. Elle est allée s’asseoir sur ses genoux. A
enfoui sa bouche dans ses cheveux.
Je
me suis discrètement éclipsé. Pour revenir aussitôt, par
derrière, sans bruit, sur la terrasse. La porte-fenêtre était
grande ouverte. La lumière, au-dessus du canapé, allumée. J’avais
le son et l’image. Et j’étais à trois mètres d’eux.
Il
lui a caressé la jambe. La cuisse. Est remonté plus haut. Encore.
Elle
l’a doucement repoussé.
– Ça
va être long un mois.
– On
s’appellera.
– Et
on se verra.
– J’essaierai.
– Oh,
non, me dis pas ça, Benjamin ! Me dis pas ça ! Il faut
qu’on se voit. Je pourrai jamais tenir, moi, sinon. J’ai trop
envie de toi.
Il
s’est réapproprié sa cuisse.
– Mais
oui, on se verra.
– Quand ?
– Dès
que je pourrai.
– Promis ?
– Mais
oui !
Ses
lèvres sur elle. Sur son cou. Ses épaules. La nuisette a volé. Sur
ses seins. Dont il a englouti l’une après l’autre les pointes.
Elle a renversé la tête en arrière. Fermé les yeux. Il est
descendu. Sa chatte. Il s’en est approché. Éloigné. Y est
revenu. S’y est posé. Elle a gémi.
– Benjamin…
Oh, Benjamin…
Le
téléphone.
Je
me suis précipité.
– Allô !
Oui ?
– C’est
moi, Claire. Ça va ?
Ça
allait, oui.
– On
dirait pas. T’as une de ces voix. Je dérange, hein, c’est ça ?
– Un
peu, oui.
– Vous
étiez en train de baiser, j’parie ! Désolée. Je
rappellerai. Amusez-vous bien en attendant !
Et
elle a raccroché.
– C’était
ta sœur.
– Qu’est-ce
qu’elle voulait ?
– Rien.
Rien de spécial. Discuter, apparemment.
Elle
a haussé les épaules. Et j’ai regagné mon poste d’observation,
sur la terrasse.
À
elle. À son tour. Elle s’est agenouillée. Penchée sur sa bite
dressée. Y a fait courir ses lèvres tout du long. De bas en haut.
De haut en bas. A emprisonné la peau des couilles entre ses dents.
En a happé une. A décalotté le gland qu’elle a agacé, du bout
du pouce. Qu’elle a fini par engloutir. Les mains enfouies dans ses
cheveux, il la pressait éperdument contre lui.
Elle
s’est brusquement interrompue. A relevé la tête.
– Je
continue ? T’as envie comme ça ?
Il
a fait signe que non. Non.
– Oui.
C’est dans ma chatte que tu veux, hein ? Eh ben, viens !
Et
elle s’est mise en position. À quatre pattes. Le front sur la
moquette. Les fesses en l’air.
Il
l’a pénétrée d’un coup.
– Oui,
Benjamin, oui. Bien à fond. Je suis ta femelle. Je suis ta chatte.
Jouis ! Jouis ! Bourre-moi bien !
Ce
qu’il a fait dans un grand râle qu’elle a accompagné d’une
rafale de petits couinements satisfaits.
Dans
le lit, après, elle est venue se blottir contre moi.
– Hou
là ! J’ai eu ma dose ce soir.
– Comme
souvent, non ?
– Plus
encore que d’habitude. Peut-être parce que je savais qu’on
allait pas se voir d’un moment. Ou bien alors…
– Oui ?
– Parce
que tu pouvais voir ajourd’hui. Pas seulement entendre.
– Et
je m’en suis pas privé.
– Ça,
j’me doute. Mais pourquoi t’es pas resté ? Avec nous ?
À côté ?
– Je
sais pas, je… Pour pas vous gêner. Je voulais pas m’imposer.
– T’aurais
mieux vu de tout près. Et puis moi, j’aurais pu te voir regarder.
10-
Un
hôtel enchâssé dans son écrin de verdure. Des arbres, des arbres
et encore des arbres. Aucun bruit. Que le chant des oiseaux.
– Je
te l’avais dit. Je te l’avais pas dit ? Un vrai petit
paradis. Dont on va profiter à fond.
On
en profitait. En grasses matinées longuement étirées. En savoureux
repas d’huîtres, de crustacés et de ris de veau. En longues
heures passées à écumer les alentours.
Elle
était tombée amoureuse folle de la région.
– Et
si on venait s’y installer ? Tu demandes ta mutation. Je
demande la mienne. Et puis voilà.
– C’est
pas si simple. Il doit y en avoir du monde qui veut y descendre dans
ce coin.
– Suffira
d’être patients.
– Tu
pourras plus voir Benjamin. Ou alors seulement de loin en loin.
– Et
pourquoi qu’il demanderait pas sa mutation, lui aussi ?
– Avec
sa femme ?
– Faudrait
bien !
– Oui,
ben le temps que tout le monde ait obtenu gain de cause, il y a
toutes les chances qu’on soit à la retraite.
– Ou
bien alors… une autre solution : on s’achète quelque chose
par ici. Et on y descend dès qu’on peut. Vacances, week-ends, tout
ça !
Elle
nous voulait, de temps à autre, une petite virée à Nice.
– Oh,
ben oui, attends ! On va pas rester confinés là un mois non
plus !
Elle
marquait de longs temps d’arrêt devant les vitrines des agences
immobilières.
– C’est
hors de prix ! C’est vraiment hors de prix. Oh, mais on finira
bien par trouver une solution.
On
errait au hasard. Une boutique. Une autre. Elle entrait, hésitait,
essayait, achetait parfois. Un maillot. Ou un petit haut.
Et
on reprenait notre promenade.
– Un
de ces quatre matins, je sens qu’on va tomber dessus. C’est
couru.
– Et
il sera avec sa femme. Oui, ben alors là, merci bien. J’ai pas du
tout envie de savoir comment elle est faite celle-là.
Il
l’appelait tous les jours.
– Parce
que je peux pas, moi ! Comment tu veux que je sache s’il est
tout seul ou pas ?
Elle
restait là, à mes côtés.
– Pourquoi
je m’en irais ? J’ai rien à te cacher. Et puis j’aime
bien te sentir penché sur nous, comme ça, à l’affût du moindre
de nos mots. Du moindre de nos gestes. Et comme toi, de ton côté,
t’adores ça…
Et
elle mettait le haut-parleur.
Ça
allait, oui. Il lui manquait. Elle lui manquait. Ils se manquaient.
Et ils avaient envie l’un de l’autre.
– Tellement !
Si tu savais !
– Et
moi, donc !
Ils
parlaient d’autre chose.
– Parce
que ça va nous mettre dans un état sinon !
De
ce qu’ils avaient fait la veille. De la façon dont ils allaient
occuper leur journée.
Elle
finissait immanquablement par lui poser la question.
– On
va se voir ? Tu vas venir ?
– Évidemment
que je vais venir…
– Quand ?
– Je
sais pas. Faut que je voie. Que je puisse me libérer sans trop
éveiller ses soupçons.
– Tarde
pas trop, Benjamin ! Tarde pas trop ! J’en peux plus,
moi !
Elle
raccrochait en soupirant.
– Tu
vas voir qu’il va me mener en bateau comme ça jusqu’à la fin
des Vacances… Oh, mais s’il ait ça. Alors là, s’il fait ça !
On
passait aussi beaucoup de temps à la piscine.
– Parce
que si je rentre pas bronzée, elles vont toutes croire qu’on est
allés passer les vacances à Denain ou, pire, qu’on n’a pas pu
partir.
Elle
s’absorbait dans un livre. Je déployais un journal.
– J’en
étais sûre…
– De
quoi ?
– Que
t’allais pas tarder à te retourner sur le ventre. Depuis le temps
que tu la mates en douce la petite en maillot bleu, fallait bien que
ça finisse par te donner la trique. Oh, mais vas-y !
Profites-en ! Te gêne surtout pas pour moi. Je serais vraiment
mal placée pour te faire des reproches.
Et
elle se replongeait dans sa lecture.
– Waouh !
Et l’autre là-bas. Non, là-bas, à gauche. Qu’est en train
d’arriver. Il y a du canon, là. Et qui le sait. Et qui fait tout
pour que ça se voie. Faut vraiment pas avoir de honte, n’empêche,
pour s’exhiber dans un truc pareil. Elle te tente pas ? Non,
pas vraiment, on dirait. Tu préfères celle en bleu, hein !
Mais ça, les goûts et les couleurs… T’irais tenter ta chance
avec si j’étais pas là ? Oui ? Je te laisse si tu veux.
Quoique… ça servirait pas à grand-chose. Tu te prendrais un de
ces rateaux ! Ben oui, forcément ! Tu penses bien qu’elle
a eu vite fait de repérer qu’on était ensemble. Et puis, de toute
façon, faut que tu te fasses une raison : un mec de quarante
balais, à moins d’être riche comme Crésus, les petites nanas de
vingt ans, il les intéresse pas.
– Qu’est-ce
tu regardes ?
– Rien.
Rien de spécial.
Elle
est venue s’accouder à côté de moi, à la fenêtre de la
chambre.
– Tu
parles que tu regardes rien. Elle te suffit pas celle en bleu à la
piscine ?
Sa
main est descendue, s’est posée, d’autorité, sur ma queue.
– Elle
te fait sacrément de l’effet en tout cas. À moins que ce soit
encore à l’autre que tu penses. Oui, c’est ça, j’parie !
T’en es raide dingue d’envie de celle-là. Tu veux la baiser ?
Eh, ben me regarde pas comme ça. Viens alors !
Sur
le lit. Où elle m’a dépouillé de mes vêtements. Complètement.
– Là !
Ferme les yeux ! Et pense à elle. À son petit visage d’ange.
Ce qui l’empêche pas d’être une vraie petite cochonne, je suis
sûre. Quand elle te taille une pipe celle-là, tu dois pas mettre
six mois à décharger. Tu la vois ? Tu les vois ses petits
seins ? Comment elle aime ça que tu les regardes. Que t’essaies
de les deviner sous le maillot. Elle va l’enlever le sous-tif. Elle
l’enlève. Holà ! T’as vu ça comment ils pointent ?
C’est de la folie. Quoi ? Tu veux voir son cul, c’est ça ?
Déjà ! T’es bien pressé. Ah, elle t’a entendu, on
dirait ! Elle la baisse sa culotte de maillot. Humm ! Ces
petites fesses bien fermes. On en mangerait, non ? Elle se
retourne. Ah, ben ça y est ! Tu l’as sa chatte. Tu la vois.
Depuis le temps que t’en rêvais ! Que tu pensais plus qu’à
ça. Elle te plaît ? Oui, hein ! Eh, ben vas-y !
Fonce ! Enfile-la, qu’est-ce t’attends ? Tu vois pas
qu’elle demande que ça ?
Et
elle m’a mis en elle.
– Baise-la,
Alex ! Vas-y ! Baise-la !
À
grands coups de boutoir. Comme un perdu.
J’ai
ahané. Je me suis répandu. Je suis retombé.
– Eh,
ben dis donc ! T’avais sacrément envie d’elle, ça, on peut
pas dire.
11-
Elle
a voulu qu’on s’arrête boire un coup. Au même café que
d’habitude.
– Ça
devient une tradition, dis donc!
– Je
l’aime bien, moi, ce café. Je lui trouve beaucoup de charme.
– Au
café ou au serveur ?
– Faut
reconnaître qu’il est pas désagréable à regarder non plus.
– Et
qu’il te plaît bien. Ce qui est réciproque d’ailleurs.
– Tu
crois ?
– Je
crois pas. Je suis sûr. Bon, mais on s’installe à l’intérieur,
je suppose. Que tu puisses le regarder tout à loisir s’affairer
derrière son bar.
On
avait à peine pris place que son portable a sonné.
– Qu’est-ce
que c’est que ça ? Zut ! Benjamin ! C’est bien le
moment.
Elle
n’a pas décroché.
– Il
rappellera.
Je
me suis levé.
– Tu
vas où ?
– Chercher
le journal. Et faire un loto. Passe la commande !
J’ai
pris tout mon temps. Qu’elle ait le sien. Qu’ils aient le leur.
– Je
crois bien que t’as raison.
On
attendait qu’il soit l’heure de passer à table, sur la petite
terrasse, derrière l’hôtel.
– À
quel propos ?
– Je
lui plais bien au barman. Il m’a fait un de ces rentre-dedans tout
à l’heure quand t’étais pas là.
– Et
alors ?
– Ben
rien.
– Tu
vas pas donner suite ?
– Oh,
ben non. Non. Faut pas exagérer quand même.
– T’as
bien des principes d’un seul coup.
– C’est
pas ça, non. Mais il y a Benjamin.
– Que
tu veux pas faire cocu, lui !
– C’est
pas la question.
– Ah,
non ? C’est quoi alors la question ?
À
nouveau son portable.
– Allô…
Benjie ? Ben oui, c’est moi, oui. Qui veux-tu que ce soit ?
Elle
a mis le haut-parleur.
– Ça
va ? Qu’est-ce tu fais ?
– Rien
de spécial. On va aller manger. Et puis après piscine. Et un petit
tour à Nice dans la soirée. Je te manque ?
– Comme
si tu le savais pas !
– Tu
vas venir alors ?
– Peut-être
mardi. C’est pas sûr. Je te confirmerai.
– Oui.
Et au dernier moment t’auras encore un empêchement.
– Mais
non !
– Tu
parles ! Tu m’as déjà fait dix mille fois le coup.
– Dis…
Tu sais ? Je pensais à un truc. J’ai pas de photos de toi.
– Hein ?
T’en as au moins une douzaine. La fois des bateaux-mouches. Celle
de la forêt de Sénart. Ermenonville. Et sûrement que j’en
oublie.
– Oui.
Non. Mais je veux dire… Des photos plus… intimes.
– Oui,
ben ça on verra…
– J’ai
trop envie.
– Oui,
ben t’attendras. Parce que je te vois venir… Tu vas te taper des
petites branlettes sur ma chatte ou sur mon cul. Ça t’ira très
bien comme ça et je serai encore de la revue. Tu te pointeras pas.
– Je
te jure que…
– Ben,
voyons ! Non, non, non. Tu viens d’abord. On avisera ensuite.
– T’es
une garce, Alyssia.
– Mais
c’est ce qui fait mon charme, mon chéri.
– Faut
que je te laisse. Je t’embrasse. Faut que je te laisse.
Et
il a raccroché.
– Ça,
c’est sa bonne femme qui vient de rappliquer plus tôt que prévu.
Elle
a soupiré.
– Qu’est-ce
tu paries qu’il viendra pas ? C’est quand même fou, ça,
avoue ! On aura passé un mois à dix kilomètres l’un de
l’autre sans qu’il trouve le moyen de se libérer une seule fois.
Tu sais ce que je crois ? C’est qu’il en a une autre. Une
autre qu’il voit depuis des années en douce pendant les vacances.
Du coup, il me met sur la touche. Ça ferait trop. Et il
réapparaîtra, la bouche en cœur, dès qu’on sera remontés
là-haut. À moins qu’il soit, tout simplement, en train de se
lasser de moi. C’est possible, hein ! Et ce serait bien d’un
mec, ça. Parce qu’ils sont tout feu tout flamme au début. Prêts
à te promettre monts et merveilles. Mais le soufflé retombe vite.
Dès qu’ils ont assouvi leur désir, tu les intéresses moins. De
moins en moins de jour en jour. Plus du tout. Il leur faut de la
nouveauté. Partir faire d’autres conquêtes. Alors que pour nous,
les nanas, c’est exactement le contraire. Plus on le fréquente le
type, plus on s’éclate dans ses bras et plus on s’attache. Ça
me fait chier n’empêche ! Ça me ferait vraiment chier que ça
se termine comme ça. Pas si vite. Pas déjà.
– T’en
sais rien du tout. Tu te fais un film, là.
– Je
crois pas, non. Je le sens qu’il est plus le même.
– Il
te téléphone tous les jours.
– Oui,
oh, tu parles ! Ça le force pas bien. Qu’est-ce que c’est
que cinq minutes dans une journée ? Oui, bon. Mais t’as
raison. Je vais pas me gâcher les vacances avec ça. On verra bien.
En
début d’après-midi, elle m’a laissé descendre tout seul à la
piscine.
– Vas-y !
Je te rejoins.
Ce
qu’elle n’a fait que deux heures plus tard.
– Tu
étais où si c’est pas indiscret ?
– Au
café de ce matin. Et toi, pendant ce temps-là ? Tu t’es bien
amusé ? Tu t’es fait une orgie de petites nanas, je suis
sûre. Pas la bleue : elle est plus là. Attends !
Laisse-moi deviner. Dans les jeunes, évidemment. Celle-là, à
droite, elle te plaît forcément. Seulement problème : elle
est avec son mec. Alors à part des petits coups d’œil discrets de
temps en temps. Non. C’est celle d’en face qui y attrape. Elle
est bien dans l’axe en plus. Comme ça quand elle sur le ventre, tu
peux profiter à plein de ses jolies petites fesses bien fermes. Et
de l’autre côté quand elle se retourne… Ah, de l’autre côté !
Pourquoi t’es pas allé la draguer ? J’étais pas là.
C’était l’occasion ou jamais.
– Ben,
parce que…
– Parce
que t’avais la trouille de te prendre un rateau. Et alors ? La
belle affaire ! On s’en remet. Tu sais… Écoute ! Je
vais te dire un truc. Il y a des moments, j’aimerais bien que toi
aussi… Que tu essaies au moins. D’être un peu plus homme. Un peu
plus conquérant. Que tu cesses d’être celui à qui je me suis
raccroché parce que je n’étais pas obligé d’être vraiment
femme avec lui. Ce n’est plus d’actualité tout ça. Et tu y
trouverais ton compte, toi aussi.
– Peut-être.
Je sais pas.
– Oh,
mais c’est aussi de ma faute. J’ai ma part de responsabilité
là-dedans. Parce que, quand bien même je n’y prends pas le
moindre plaisir, je suis toujours disponible pour toi. Toujours
ouverte. Qui c’est qu’est là pour te vider les couilles quand tu
t’es bien excitée sur tout un tas de petites nanas ? Alyssia.
C’est trop facile, ça. C’est trop commode. Alors désormais ce
sera non. Systématiquement non. Si tu veux tirer ton coup, faudra
que tu payes de ta personne, que tu le mérites. Et ça n’en sera
que plus gratifiant, tu verras.
Elle
m’a posé la main sur la cuisse.
– Lance-toi !
Fonce ! Sans te poser de questions. Et… Ah, oui, un petit
conseil. Cible des femmes d’à peu près ton âge. Ça le fera pas
sinon…
12-
Pas
question, pour elle, de zapper le bal du 14 juillet.
– Ah,
non alors ! Tu te rends compte que depuis que j’ai 15 ans j’en
ai pas loupé un ?
Et
on a écumé, toute l’après-midi durant, les villages
environnants. Jusqu’à ce qu’elle ait trouvé celui qui lui
convenait. Qui lui en rappelait un autre. De quand elle passait ses
vacances chez sa grand-mère.
– J’étais
amoureuse cette année-là, mais amoureuse !
On
y a un peu flâné. On y a dîné – simplement – dans
un ancien moulin transformé en auberge. Et direction le théâtre
des opérations.
Où
on est arrivés les premiers. On a regardé les musiciens
s’installer, s’accorder. La salle se remplir.
– T’as
vu ça ?
J’avais
vu, oui. Je voyais. Il l’invitait le petit jeune. La réinvitait.
Il la lâchait pas.
Elle
faisait tout un tas de va-et-vient entre lui et moi.
– Il
m’amuse. Tu te rends compte qu’il a à peine vingt ans. Qu’il y
a là tout un tas de filles de son âge mignonnes comme tout. Eh ben
non ! Non. C’est après une vieille comme moi qu’il en a.
– Ce
qui n’a pas l’air de te déplaire vraiment.
Elle
a vidé son verre d’un trait.
– Bon,
mais j’y retourne.
Dans
ses bras. Où elle s’est abandonnée. De plus en plus. Il a posé
ses mains au creux de ses reins. Sur ses fesses. Elle a laissé sa
tête aller contre sa poitrine. Leurs lèvres se sont cherchées. Se
sont jointes.
Elle
est venue récupérer son sac. Ses yeux brillaient.
– M’attends
pas ! Rentre à l’hôtel. Je te rejoindrai là-bas.
Et
ils se sont éclipsés dans la nuit, main dans la main.
On
a déjeuné dans la chambre.
– Alors ?
– Quoi
« alors » ?
– C’était
bien ?
Elle
a souri.
– La
curiosité est un vilain défaut.
Et
consciencieusement fini de beurrer sa tartine.
– C’était
plus que bien. Un garçon, c’est plein de sève à cet âge-là. Ça
l’a dure de chez dure. Et ça rechigne pas à remettre le couvert.
Non, et puis en plus…
– En
plus ?
– Comment
ça l’avait excité la situation. De me draguer, là, sous tes
yeux. De m’emporter, comme un butin, à ton nez et à ta barbe.
– Je
vois…
– Entre
deux chevauchées, j’avais droit à un feu roulant de questions.
T’étais de mèche ou bien alors c’était que t’avais pas ton
mot à dire ? Que je faisais ce que je voulais ? Et c’était
déjà arrivé avant ? Et t’allais faire quoi, quand on allait
se retrouver ? Il y allait avoir explication ?
– Tu
t’en es sortie comment ?
– Je
lui ai raconté que c’était la réponse du berger à la bergère.
Que tu m’avais trompée. Que je m’étais fait tirer l’oreille
pour passer l’éponge. Pour ne pas demander le divorce. Et que je
ne m’y étais finalement résolue qu’à la condition de te rendre
la pareille, le jour où quelqu’un me taperait vraiment dans l’œil.
Histoire que tu voies ce que ça faisait. Que ça te serve de leçon.
– Tu
as décidément une imagination débordante. Et alors ?
– L’explication
l’a convaincu. Il était enchanté d’être l’instrument de ma
vengeance. Une vengeance que, pour sa part, il trouvait que je ne
poussais pas assez loin. J’aurais dû t’imposer le spectacle de
mes ébats avec lui.
– Ben,
voyons !
– J’ai
trouvé l’idée excellente. Et suggéré que ça pouvait n’être
que partie remise. De toute façon, j’étais en position de force.
Si on divorçait, t’allais y laisser sacrément des plumes. Tu
étais obligé d’en passer par où je voulais. Il s’est fait
pressant. « Oh, oui, va ! J’aimerais trop ça devant
lui ! On le fera, Tu veux bien ? »
– Et
tu as accepté.
– J’ai
pas dit oui. Mais j’ai pas non plus dit non. Je voulais d’abord
t’en parler.
– La
vraie question, c’est : « Est-ce que ça te tente,
toi ? »
– Je
suis partagée. Bien sûr que j’ai envie de t’avoir là, à côté,
pendant. De te regarder me regarder dans les bras d’un autre. De
plus en plus. Je vais pas te mentir. Mais je m’étais faite à
l’idée que ce serait avec Benjamin. Et Benjamin, comme c’est
parti, ben, c’est pas demain la veille.
– T’as
eu des nouvelles ?
– Non,
justement. Et c’est bien ce qui m’inquiète. Il prend ses
distances. Je sens de plus en plus qu’il prend ses distances. Il y
en a une autre. Plus j’y réfléchis et plus je suis sûre qu’il
y en a une autre.
Et
elle s’est enfuie dans la salle de bains. Pour que je la voie pas
pleurer.
Elle
en est ressortie toute pimpante, ravissante dans sa petite robe rose.
– S’il
s’imagine, Benjamin, que tout va tourner, pour moi, autour de sa
petite personne, eh bien il a tout faux.
– Tu
vas faire quoi ?
– Pour
commencer, un petit tour au café, là-bas. Vérifier si le barman
est toujours dans d’aussi bonnes dispositions à mon égard. Après,
j’aviserai. En fonction de… Bon, eh bien j’y vais.
Elle
s’est retournée sur le pas de la porte.
– Je
te propose pas de m’accompagner. Tu comprends bien que j’ai
besoin d’avoir les coudées franches.
Et
elle m’a envoyé un baiser, du bout des doigts.
Les
bords de la piscine étaient déserts. À l’exception d’une jeune
femme en maillot noir, couchée sur le ventre, qui paraissait dormir.
Je me suis installé de l’autre côté, juste en face et je l’ai
regardée. Scrutée. Elle était comment là-dessous ? J’aurais
tant aimé savoir. Voir. Est-ce qu’elle avait des lèvres
exubérantes qui s’affichaient orgueilleusement à l’extérieur
ou bien est-ce qu’elles restaient bien sagement confinées à
l’abri de leurs grandes sœurs ? Et la toison ? Elle
était là ou elle l’avait éliminée ? Complètement ou
seulement le pourtour du fendu ? Et la couleur ? C’était
quoi sa couleur ? Parce que celle des cheveux, avec les femmes,
on pouvait jamais savoir.
Elle
s’est redressée. Assise. S’est mise à feuilleter une revue.
Je
lui ai voluptueusement palpé les seins. Du bout des yeux. Les ai
amoureusement remodelés. Elle se serait bien fichue de moi, Alyssia.
« Ah, ça, pour te repaître des nanas de loin, t’es très
fort, mais pour passer à l’acte ! » Oui, ben alors là,
ce coup-ci, elle allait voir ce qu’elle allait voir… Je me suis
levé. Approché.
– Bonjour…
Excusez-moi, mais, de là-bas, j’ai vu que vous aviez tout un tas
de revues. Ça vous ennuierait de m’en prêter une ?
– Pas
du tout, non ! Allez-y ! Servez-vous ! Et elle a
poussé le paquet vers moi. Cinq ou six magazines féminins au milieu
desquels j’ai déniché un petit livret consacré à l’arrière-pays
niçois.
– Vous
l’avez lu ?
– Parcouru.
– Et
alors ?
– Franchement,
ça n’apporte pas grand-chose. C’est du basique. Vu, revu et
rerevu.
– La
région recèle pourtant une foule de trésors subtilement discrets.
– Ah,
ça, c’est sûr !
Il
y a eu un petit trottinement derrière moi, sur le dallage.
– Maman !
Maman ! Ça y est ! On a déjeuné.
Deux
gamins. Un garçon et une fille. Et, un peu plus loin derrière, le
père.
Je
me suis discrètement éclipsé.
13-
Elle
a fait sa réapparition sur le coup de midi.
– T’es
toujours là ? T’as pas bougé de la chambre, j’parie !
Si ? Bon, mais allez, on descend déjeuner. Je crève la dalle,
moi !
Notre
petite table, près de la baie vitrée.
– Je
crois que je vais laisser tomber avec le barman, finalement.
– Il
te plaît plus ?
– C’est
pas qu’il me plaît plus, non, mais j’ai l’impression que ça
risque d’être d’une complication !
– Il
a quelqu’un ?
– Il
y a toutes les chances, oui ! Parce que, pour se voir, faudrait
que ce soit chez un copain. Et encore ! Faudrait passer par une
petite porte, derrière. Que les voisins se rendent pas compte !
– Oh,
là !
– Comme
tu dis, oui ! Et quand on sait pas trop où on met les pieds,
vaut mieux sagement s’abstenir.
– C’est
bien mon avis.
– J’ai
vraiment pas de pot, moi ! Je tombe toujours sur des types qui
sont déjà en mains. Celui-là… Benjamin… Faut dire aussi que,
passé un certain âge, à moins de donner dans la classe biberon.
Comme avec le Gauvin de l’autre soir. Tu sais qu’il me harcèle
littéralement celui-là ? Il m’a inondé de SMS toute la
matinée. Avec toujours, sous différentes formes, obsessionnellement
la même question : quand est-ce qu’on va faire ça devant
toi ? Tiens, encore ! Ah, non ! C’est pas lui, non.
C’est… Benjamin.
Et
son visage s’est illuminé.
– Il
vient ce soir. Il a réussi à se libérer.
Elle
ne tenait pas en place et, en l’attendant, on est allés faire un
tour.
– Comme
quoi, on se fait des idées, hein, des fois ! Parce que j’avais
fini par me persuader que c’était sur la fin avec lui. Qu’il
voulait pas me le dire en face, mais qu’il était en train
d’essayer de me le faire comprendre. Eh, ben non, finalement, tu
vois ! Ç’aurait quand même été étonnant, remarque !
Parce qu’il prend son pied avec moi. Et pas qu’un peu ! Ce
qui se passe, en fait, c’est qu’en vacances, il a les coudées
moins franches, elle est sans arrêt sur son dos et c’est beaucoup
moins facile, pour lui, d’inventer des prétextes que quand il
bosse et qu’il a toutes les activités qui vont avec. En tout cas,
je suis rassurée. Parce que comment ça me minait tout ça !
– Ce
que tu tiens à lui !
– Dans
un sens, oui.
– Dans
un sens seulement ?
– Tu
resteras avec nous ce soir, hein ?
– Je
sais pas. Je voudrais pas que…
– Mais
si ! On dînera ensemble. Au point où on en est de toute façon,
maintenant, tous les trois… Et puis après, il y a un lit d’appoint
dans la chambre si tu veux. Et, de ce côté-là, je suis bien
tranquille que… Non ?
– Si !
Tu sais bien…
– Moi
aussi, j’ai envie.
Nos
lèvres se sont brièvement effleurées.
Elle
a couru à sa rencontre, sur le petit parking, derrière. Ils se sont
jetés dans les bras l’un de l’autre. Fougueusement embrassés.
– Il
y a Alex.
Il
m’a souri. Serré la main. Et on s’est mis en marche. Tous les
trois. Côte à côte.
Devant
l’entrée de l’hôtel, il s’est arrêté, l’a reprise dans
ses bras. Il a jeté un bref coup d’œil autour de lui. Sa main
s’est glissée sous la robe, est remontée. Il a fait glisser la
culotte. Elle a levé une jambe. L’autre. Il l’a ramassée.
– Confisquée !
Et
il l’a enfournée dans sa poche.
La
salle de restaurant était comble. On s’est faufilés jusqu’à
notre table. Ils se sont assis côte à côte.
– Tu
m’as manqué, tu sais.
– Et
à moi donc ! Je finissais par désespérer.
– Crois
bien que si j’avais pu plus tôt, je me serais précipité.
Seulement si c’était pour courir le risque qu’elle découvre le
pot-aux-roses… Parce que, là, c’était définitivement fini nous
deux.
– Je
sais bien, Benjie, je sais bien. Je ne te reproche rien. Tu as fait
pour le mieux. Seulement, du coup, je m’étais mis tout un tas
d’idées idiotes en tête. Que tu voulais plus me voir. Que t’en
avais une autre.
– Carrément !
Ce que tu peux être idiote quand tu t’y mets !
Ils
se sont souri. Elle a pris sa main, enlacé ses doigts aux siens, les
a portés à ses lèvres.
Il
a longuement parcouru la salle des yeux.
– Ils
dorment ici tous ces gens-là ?
– Certains,
oui.
– Ils
ont de la chance, oui : ils vont pouvoir t’entendre couiner
tout-à-l’heure.
– Pas
si fort, Benjamin.
– Et
toi, quand tu couines, ça fait pas semblant. Tout l’hôtel en
profite.
– Pas
si fort.
Il
a encore haussé un peu la voix.
– Ben,
pourquoi ? On s’en fiche. On les connaît pas.
– Nous,
avec Alex, si ! Quelques-uns.
La
femme, à la table juste derrière eux, s’est retournée.
Il
a baissé la voix.
– Je
suis sûr que ça t’excite de les avoir là, tout autour, et de te
dire que dans moins d’une heure…Non ? Ça t’excite pas ?
Menteuse ! Fais voir !
Il
a glissé une main sous la table.
– S’il
te plaît, Benjamin, s’il te plaît, non !
Elle
s’est mordu la lèvre inférieure, a fermé un bref instant les
yeux. Ses pieds ont râclé le sol.
– Qu’est-ce
que je disais ! T’es trempée. Une vraie petite cochonne !
– Oui,
mais arrête ! Arrête, sinon…
– Sinon
tu vas jouir, là, devant tout le monde. C’est vrai que ça ferait
désordre. Mais c’est pas une raison…
– Je
t’en supplie, arrête !
Il
a retiré sa main.
– Mais
c’est dommage !
L’a
portée à ses narines.
– Ton
odeur… Je la reconnaîtrais entre mille.
Puis
à sa bouche.
– Et
ton goût.
Il
s’est voluptueusement léché les doigts, un à un.
– Un
véritable délice. Le meilleur des desserts. Un régal. Et un
préambule. Parce que comment je vais te bouffer la chatte
tout-à-l’heure…
– Oh,
non ! Pas les mots, Benjamin ! Pas les mots. Pas
maintenant. Ou bien alors je réponds plus de rien.
– Et
comment tu vas le tortiller ton petit cul…
– Tais-toi !
Elle
s’est levée. On l’a suivie.
– Tu
vas où par là ?
– Ben,
là-haut…
– Oh,
non ! Non. Pas encore. Faut laisser à tous ces gens-là le
temps de regagner leur chambre.
Et
il nous a voulu un petit tour dans le parc.
– Tu
es démoniaque.
– Et
tu adores ça…
14-
– Tu
vas prendre cher ! M’avoir fait poireauter comme ça pendant
des semaines et des semaines ! Non, mais alors là, je peux te
dire que tu vas prendre cher.
Elle
l’a fait reculer jusqu’au lit, l’y a poussé, fait tomber
dessus.
– À
nous deux !
Et
elle s’est emparée, d’autorité, de la fermeture-éclair de son
jean. À l’intérieur duquel elle s’est faufilée. Dont elle a
triomphalement extirpé sa queue. Elle y a lancé une petite claque.
– Allez,
au boulot, toi ! Foin des préliminaires et des simagrées. Ça
presse !
Elle
l’a enjambé, chevauché. Et elle s’est généreusement servie,
sa robe remontée haut sur les reins. À un rythme endiablé que ses
fesses épousaient frénétiquement, s’ouvrant, se fermant,
s’ouvrant, se fermant sans interruption.
Je
me suis approché, assis, tout près, sur l’oreiller, la cuisse
calée contre la tête de lit. Elle a pris mes yeux. Qu’elle n’a
plus lâchés.
– Que
c’est bon ! Qu’elle est bonne ta queue, Benjie ! Je
vais jouir ! Je jouis, mon amour ! Je jouis !
Et
son plaisir a déferlé en longues plaintes furieusement rugies.
Elle
s’est réfugiée contre lui. Lui a couvert les lèvres, les
paupières, les yeux de baisers. A posé la tête au creux de son
épaule.
– Comment
c’était trop bien ! Pour toi aussi ?
J’ai
posé la main sur sa hanche. Elle l’a prise dans la sienne, l’a
gardée, s’est assoupie.
Quand
je me suis réveillé, on était tous les trois allongés, serrés
les uns contre les autres, Alyssia au milieu. Benjamin lui caressait
délicatement un téton, du bout du pouce.
Elle
a brusquement ouvert les yeux.
– Hein ?
Mais il fait jour !
Il
a ri.
– Depuis
un bon moment déjà, oui.
– Et
j’ai dormi. Mais fallait me secouer ! Que je profite de toi.
– Tu
peux encore.
– J’espère
bien. Et puis d’abord, pour commencer, tu m’as promis un truc
hier soir.
– Hier
soir ? Non, je t’ai rien promis du tout.
– Fais
bien le malin ! Ah, je peux te dire que tu vas me la bouffer, la
chatte. Et que t’as intérêt à mettre du cœur à l’ouvrage.
– Oui,
mais avant…
– Quoi,
avant ? Il y a pas d’avant qui tienne.
– On
devait pas faire des photos tous les deux ? Pour être un peu
ensemble même quand on l’est pas. Toi aussi, t’avais promis.
T’avais promis que le jour où on se verrait…
– Ah,
t’y tiens, toi, à ça, hein !
– Un
peu que j’y tiens.
– Eh
bien, attrape ton portable alors !
Il
a couru le chercher dans la poche de sa veste, est revenu. A aussitôt
cadré. Visé.
Elle
l’a arrêté.
– Non.
Attends ! Attends !
Et
voulu que ce soit moi qui les prenne les photos.
– C’est
mieux, non. Pour plein de raisons. Tu crois pas ?
– Et
c’est moi qui suis démoniaque ? Tu peux parler, toi !
Il
m’a tendu son Smartphone et je la lui ai offerte. Étendue, nue, de
tout son long, les yeux perdus dans le lointain. Ou bien, au
contraire, fixant l’objectif, le défiant. Elle s’est retournée.
Et de dos, cette fois, lascive, alanguie, les fesses légèrement
entrouvertes, une main négligemment posée sur l’une d’entre
elles, les cheveux en pluie sur l’oreiller.
Benjamin
a tranquillement constaté.
– Il
bande…
– Encore
heureux ! Je voudrais bien voir ça que je lui fasse plus aucun
effet.
De
plus près. De tout près. Son visage. Des moues. Des sourires. Ses
yeux. Ses seins offerts. Ses seins qu’elle a pressés l’un contre
l’autre.
– Et
puis ce qu’il y a aussi, ce qu’il y a surtout, c’est que ça
lui déplaît pas comme situation. Bien au contraire. Non ?
C’est pas vrai, Alex, ce que je dis là ?
Je
l’ai approuvée. D’un petit signe de tête.
– Ah,
tu vois…
Sa
chatte à nu. En gros plan. Photo sur photo. En rafale. Sa chatte
entrebaillée sur ses ciselures. Sa chatte en efflorescences rosées.
Sa chatte en vertigineuses luxuriances.
Elle
s’est redressée.
– Bon,
mais ça peut peut-être suffire, non ?
Il
a aussitôt protesté.
– Ah,
non, ça suffit pas, non ! J’ai pas ton cul. Et si j’ai pas
ton cul…
Elle
lui a lancé un regard attendri.
– Ça,
je l’aurais parié.
Et
s’est docilement tournée.
Je
lui ai mitraillé les fesses. Tant et plus. Benjamin à mes côtés,
qui a constaté, ravi.
– Elle
a une de ces croupes, ta femme, mais une de ces croupes ! Je
m’en lasse pas.
Il
est allé lui murmurer quelque chose à l’oreille. Et l’a prise
par la main. Il l’a fait lever, agenouiller à côté du lit,
pointer le derrière en l’air.
– Plus
haut ! Là… Comme ça, oui.
Il
lui a écarté les jambes au large, du bout du pied.
– Superbe
panorama.
M’a
fait signe.
– Vas-y !
Continue… Et cible bien !
Une
vingtaine de clichés. Une trentaine.
Il
a tranquillement constaté.
– Elle
mouille.
Sa
main est allée se poser sur sa nuque. Est lentement descendue tout
au long de la colonne vertébrale, s’est arrêtée à hauteur des
reins, y a longuement séjourné avant de reprendre son lent
cheminement. Qu’elle a interrompu à l’entrée du sillon entre
les fesses.
– S’il
te plaît, Benjamin, oh, s’il te plaît ! Me laisse pas, je
t’en supplie !
Il
s’y est engagé. L’a parcouru et reparcouru sur toute sa
longueur. A un peu tournoyé à l’entrée de son petit trou de
derrière. A poursuivi. Plus bas. Encore plus bas. Elle a ondulé. De
plus en plus vite. De plus en plus large.
– Oui…
Trémousse-le bien ton cul, petite femelle !
– Oh,
oui, Benjamin, oui ! Je suis une femelle. Je suis ta femelle.
Et
elle s’est dandinée de plus belle.
– Regarde !
Non, mais regarde comment elle implore la queue, cette petite foune.
– Mets-la
moi, Benjamin ! Bourre-moi ! Défonce-moi ! J’ai
trop envie…
Il
lui a effleuré le bas de la fesse avec. Elle s’est tendue vers
elle, ouverte, offerte.
– Viens,
s’il te plaît, viens !
Il
s’est approché de l’entrée, a fait mine de s’y aventurer,
s’est éloigné.
– Oh,
non ! Salaud ! Tu me fais mourir.
Il
s’est enfoncé d’un coup.
– Merci.
Oh, merci.
Avec
un grand râle de ravissement.
Et
il l’a besognée. À grands coups de reins. Profonds. Énergiques.
Ils
ont eu ensemble un plaisir qu’ils ont longtemps psalmodié.
15-
Elle
nous a expédiés.
– Descendez
déjeuner, les garçons ! M’attendez pas ! Je fais un
brin de toilette et je vous rejoins.
Il
s’est jeté sur les croissants.
– J’ai
une de ces dalles !
– Et
pour cause !
En
a avalé trois d’affilée.
– Ah,
ça va mieux.
Son
portable a sonné.
– Merde !
Ma femme ! Allô, oui ? Quoi ? Mais je te l’ai dit !
Je suis avec un vieux copain. Que j’ai pas vu depuis dix ans. Que
j’ai retrouvé par hasard sur Internet. Et ben, si, justement !
Si ! Il est là en face de moi. On déjeune tranquillement tous
les deux. Tu veux lui parler ? Oui, oh, si ça peut te rassurer…
Non ? Comme tu voudras. Hein ? Oh, je vais pas tarder. Dans
l’après-midi, sûrement. Dans la soirée au plus tard. Oui, moi
aussi. À tout à l’heure.
Il
a raccroché. Soupiré.
– Ça
sent le roussi. Mais c’est là-haut, surtout, que ça va être
compliqué. Quand on va être rentrés. Parce que mes soi-disant
copains, avec qui j’arrête pas d’être fourré, elle y croit
manifestement de moins en moins. Non, ce qu’il faudrait, c’est
que je lui en présente un. Ça la rassurerait. Seulement pour
trouver quelqu’un qu’accepte de jouer le jeu…
– On
va souvent chercher bien loin…
– Toi ?
– Ben
oui, moi…
– J’y
ai pensé. La situation ne manquerait pas de sel.
– Ça,
c’est le moins qu’on puisse dire…
– La
voilà !
Il
lui a souri par-dessus mon épaule.
– Alors,
les garçons ! De quoi on causait ? Non, attendez, dites
rien ! Laissez-moi deviner. Benjamin a passé Alex à la
question, je suis sûre. Vu que – j’ai beau lui assurer sur
tous les tons le contraire – il se figure qu’on baise encore
tous les deux. « Oh ! Au moins un petit
coup comme ça, vite fait, de temps en temps, non ? »
Même pas.
Seulement il me croit pas. Et
il a voulu entendre de la bouche du principal intéressé ce qu’il
en était vraiment. Non ? C’est pas ça ? Je me
trompe ?
– Complètement.
Elle
s’est assise à ses côtés.
– Faut
qu’il se fasse une raison n’importe comment. S’il veut baiser,
il devra se résoudre à aller voir ailleurs.
Lui
a posé une main sur le genou.
– Mais
je crois pas qu’il y tienne vraiment au fond. Il a mieux. Beaucoup
mieux. Il a le plaisir d’être cocu. C’est un plaisir qui, pour
lui, éclipse tous les autres. Et de loin. Non, c’est pas vrai ce
que je dis là ?
J’ai
souri.
Elle
a insisté. Plongé ses yeux droit dans les miens.
– Hein ?
C’est pas vrai ?
– Si !
– Ça
se voit. Et de plus en plus.
Elle
a suivi des yeux la petite serveuse qui déambulait entre les tables
avec ses plateaux.
– Elle
doit se demander n’empêche ! Parce que voilà près de trois
semaines qu’on fait le gentil petit couple modèle. Bien sage.
Surgit Benjamin. Qui dort avec nous. Dans notre chambre. Oui, elle
doit s’en poser des questions ! Eh ben, tiens ! On va lui
donner des éléments de réponse.
Et
elle s’est penchée sur Benjamin. Pour un long et langoureux
baiser.
On
est remontés dans la chambre.
– Parce
que lui, il a eu ses photos, mais pas moi.
Où
elle m’a tendu son Blackberry.
– À
toi de jouer ! Et applique-toi, hein !
Elle
l’a tendrement regardé se désaper, tout attendrie. Nous tourner
le dos.
– Regarde-moi
ça ! C’est tout en muscles. Tout en puissance. Comment tu
veux qu’une nana, elle ait pas envie d’un mec comme ça. C’est
juste pas possible. Vas-y ! Cible ! Cible ! Et
acharne-toi sur les fesses. Il s’est bien gavé des miennes, lui !
Elle
m’a tout juste laissé le temps de réaliser quatre ou cinq clichés
et elle est venue y poser ses mains. Ses lèvres. Les a piquetées
d’une multitude de petits baisers. S’est reculée d’un coup.
– Faut
que je me calme. Sinon jamais tu pourras finir. Mais il perd rien
pour attendre, alors là ! Comment il va y attraper après !
Elle
l’a fait se retourner.
– Là.
De face. D’abord en entier… Et puis après tu t’approches. De
plus en plus près. Ah, mais non ! Qu’est-ce qu’il nous
fait, lui ! Non, mais j’y crois pas ! Il bande. T’es
vraiment pas marrant, Benjamin ! Pas encore ! Pas tout de
suite ! Je te voulais à toutes les étapes, moi ! Depuis
quand elle est toute flasque, toute fripée, jusqu’à quand elle se
retrouve orgueilleusement en état de marche. Et au lieu de ça…
– Vous
êtes trop quand même, vous, les nanas. On bande pas, ça vous va
pas. Et on bande, ça vous va pas non plus.
– Question
de moment. Bon, mais en attendant, il y a pas trente-six solutions.
Elle
s’est agenouillée. Elle a pris ses couilles dans le creux de sa
main, l’a refermée dessus, s’est penchée. Penchée encore. Plus
près.
– Mais
continue, Alex, hein ! Continue ! T’arrête pas !
Elle
l’a pris dans sa bouche. Son bout. Qu’elle a englouti. Qu’elle
a fait aller et venir entre ses lèvres.
Lui,
la tête rejetée en arrière, les yeux mi-clos, il lui caressait
doucement la nuque.
Elle
a accéléré le rythme. Il a gémi.
– Je
viens ! Je viens !
Elle
l’a relâché. Abandonné. Il a protesté.
– Oh,
non !
– C’est
pour les photos. Que je te voie gicler. T’en mourras pas pour une
fois de pas me le faire dedans.
Il
s’est répandu sur ses doigts, sur ses poignets et jusque sur la
moquette.
Elle
lui a jeté un petit baiser dessus.
– Là !
On te laisse souffler cinq minutes et on passe aux choses sérieuses.
Le
temps, pour elle, de jeter un coup d’œil aux photos qui venaient
d’être faites.
– Pas
mal ! Pas mal du tout ! Bon, mais allez, on y retourne !
Elle
l’a repris en mains.
– Là !
Voilà ! Comme ça ! Qu’elle monte doucement ! Tout
doucement ! Génial ! C’est génial ! Oh, attendez,
j’ai une idée.
Elle
est venue m’arracher le Blackberry des mains.
– Vas-y !
Va me remplacer ! Ben, me regarde pas avec cet air idiot !
T’as très bien compris. Va t’occuper de sa queue. J’ai trop
envie de voir ça…
Je
m’y suis résolu. J’ai avancé la main, l’ai effleurée, m’en
suis éloigné, y suis revenu. Ai hésité…
Elle
a éclaté de rire.
– Tu
t’y prends comme un manche, mais vraiment comme un manche.
Laisse-moi faire, va, ça vaudra mieux.
16-
Elle
a agité la main jusqu’à ce que la voiture de Benjamin ait disparu
derrière le petit bosquet.
– Bon,
ben voilà…
On
est lentement revenus vers l’hôtel. Le gravier crissait sous nos
pieds.
– C’est
rassurant quand même…
– Quoi
donc ?
– Qu’il
t’ait demandé de lui servir d’alibi pour sa femme. Ça prouve
qu’il a pas l’intention de mettre un terme, nous deux. Au moins
dans l’immédiat.
– C’est
ta grande hantise, ça, hein !
– Il
y a de quoi, non ? Parce que c’est le régime de la douche
écossaise avec lui. Il te laisse sans nouvelles pendant des semaines
et puis il réapparaît d’un coup, comme ça, sans crier gare, plus
tendre et passionné que jamais. Non, j’avoue que j’ai un mal fou
à le cerner. Qu’est-ce qu’il veut au juste ? Qu’est-ce
qu’il ressent vraiment pour moi ? Mystère. Tiens, viens, on
va aller s’asseoir un peu là-bas.
Sous
la tonnelle. Sous la glycine. Elle y a joué un moment à pousser un
caillou, du bout du pied, perdue dans ses pensées.
– Il
y a des moments, je me dis que, si ça tombe, c’est purement
stratégique tout ça. Qu’il me met sur des charbons ardents
exprès. Pour me déstabiliser. Pour me rendre complètement accro.
Et puis, il y a d’autres moments, je me dis que je vais chercher
midi à quatorze heures, que c’est bien plus simple que ça :
il est beau, il est séduisant, il a toutes les nanas qu’il veut à
ses pieds. Je suis une parmi d’autres. Parmi beaucoup d’autres.
Le mieux que j’aie à faire, c’est de prendre ce qu’il me
donne. Quand il me le donne. Sans me poser tant de questions. Sans
exiger quoi que ce soit. Sans revendiquer quoi que ce soit. Il
finirait par se lasser. Et je finirais par le perdre. Non ? Tu
crois pas ? Qu’est-ce t’en penses, toi ?
– Que
tu l’as dans la peau.
– Oui.
Non. Je sais pas en fait. J’ai besoin de lui, ça, c’est sûr.
D’être dans ses bras. De caresser sa peau. D’entendre ses mots.
D’avoir sa queue. Qu’elle gicle en moi. Est-ce que ça veut dire
pour autant que je suis…
Elle
s’est interrompue.
– Amoureuse ?
C’est le mot que tu cherches ?
Elle
s’est récriée.
– Non.
Ça, non ! Je crois pas.
– Bien
sûr que si ! Ça se voit comme le nez au milieu de la figure.
Tu devrais l’admettre, une bonne fois pour toutes. Tu te sentirais
beaucoup mieux.
– Oui,
mais…
– Mais
moi ? Disons, si ça peut te rassurer, que je suis convaincu
qu’on peut, sans problème, aimer deux personnes à la fois. Au
moins…
– Tu
es vraiment…
– Exceptionnel,
je sais. Tu n’en as jamais douté, j’espère !
On
était en train de s’installer pour déjeuner, à midi, quand son
portable a sonné.
– Tu
réponds pas ?
– Non.
C’est l’autre, là, le Gauvin du quatorze juillet.
Qui
a laissé un message qu’elle a écouté en soupirant.
– Il
est lourd, mais lourd !
– Il
veut quoi ?
– Devine !
– Et
apparemment, t’en es pas.
– Pas
bien, non. Pas du tout, même. C’est pas que j’aie quoi que ce
soit contre lui. Il est agréable. Il baise bien. J’ai passé de
bons moments avec. Mais bon… Il vient d’y avoir Benjamin. Je suis
encore toute pleine de lui. Et Benjamin, c’est Benjamin. Alors
Gauvin !
On
a passé l’après-midi à la piscine.
– Que
je rentre quand même un minimum bronzée.
Et
j’ai fait mine de me plonger, tandis qu’elle somnolait, dans la
lecture d’un polar-alibi.
Elle
a éclaté de rire.
– T’es
vraiment pas discret. Tu les bouffes carrément des yeux, les nanas,
oui ! T’es pas le seul, remarque ! Parce qu’il y a en a
un, là-bas, à droite.
– Qu’arrête
pas de te mater… Normal. Une belle femme comme toi.
– Oui,
oh, ben, en l’occurence, c’est plutôt après toi qu’il en a.
– Moi ?
Il est où ?
– Le
maillot vert. Sur le transat rouge. Vas-y, si tu veux, hein ! Je
suis sûre qu’il y aura mèche avec lui.
– Oui,
mais non. Merci. Sans façons.
– Ça
vaut mieux. Parce qu’il serait pas déçu du voyage, le pauvre.
– Qu’est-ce
t’en sais ?
– J’en
sais que je t’ai vu à l’œuvre, pas plus tard que ce matin, avec
la queue de Benjamin. Tu savais pas par quel bout la prendre, c’est
le cas de le dire. On aurait dit que t’avais peur qu’elle te
morde. Ou qu’elle te saute à la figure. Vous êtes trop, vous, les
mecs, n’empêche, avec ça. Vous en faites toute une histoire. Pour
nous reluquer ensemble, nous, les nanas, ah, ça, vous vous faites
pas prier. Vous êtes les premiers à réclamer. Mais quand il s’agit
de nous offrir la réciproque, il y a plus personne.
Dans
le lit, elle s’est tournée. Retournée. Dix fois. Vingt fois. A
fini par rallumer son Blackberry. Fait défiler les photos.
– Si
seulement il avait la bonne idée d’appeler, mais faut pas rêver.
À cette heure-ci, il y a pas de risque.
Elle
a soupiré. L’a éteint. Continué à se retourner encore et
encore.
– Rien
que de penser à lui, non, mais comment il me donne envie, ce
salaud !
Elle
l’a repris. Fait encore défiler.
– Celle-là !
C’est celle que je préfère.
On
l’y voyait en pied, tout sourire, la queue à demi dressée.
– Tiens-le
moi ! Que j’aie les mains libres ! Un peu plus haut…
Oui. Là. Comme ça ! Génial.
Ses
mains ont moutonné sous les draps, l’une à hauteur des seins,
l’autre de la chatte. Son souffle s’est fait plus court.
– Oh,
oui, Benjamin ! Que c’est bon ! Que c’est bon !
Elle
a rejeté draps et couvertures au pied du lit, s’est ouverte au
large. Ses reins se sont creusés. Sa tête s’est affolée sur
l’oreiller. Un doigt a tourbillonné sur son bouton. Son autre main
l’a obstinément lissée sur toute sa longueur. Elle a imploré…
– Sa
bite ! Change la photo ! Donne-moi sa bite. Vite, mais
vite !
Ses
yeux s’y sont rivés.
– Je
vais jouir… Je jouis… Oh, Benjamin !
17-
Je
me suis empressé, aussitôt rentré, de donner rendez-vous à
Séverine, la femme de Benjamin.
– Vous
allez avoir la surprise, un de ces quatre matins, de me voir arriver
en compagnie de votre mari.
– Ah,
parce que c’est vous ! Il m’a effectivement parlé d’un
pote avec qui il faisait plein d’activités. Qu’il tenait
absolument à me présenter. Et c’est vous ! Il manque
vraiment pas d’air.
– C’est
moi, oui !
– Eh
ben, si je m’attendais à ça ! Quoique… plus ça va et plus
je me dis que rien ne l’arrête, qu’il n’a aucun respect de
quoi que ce soit. La preuve ! Non, mais faut quand même être
particulièrement retors, avouez, pour aller copiner comme ça avec
le mari de sa maîtresse.
– Il
doit avoir une petite idée derrière la tête.
– Le
connaissant, ça fait pas l’ombre d’un doute. Toute la question
est de savoir laquelle. Une chose est sûre, en tout cas, c’est
qu’il doit allègrement se délecter, quand il est avec vous, de
l’idée qu’il se tape votre femme derrière votre dos. C’est
comme, franchement, me faire vous rencontrer, c’est un peu, d’une
certaine façon, m’exhiber sa maîtresse sous le nez à mon insu,
non ? Vous trouvez pas ? Ah, il doit bien rigoler en son
for intérieur de nous manœuvrer tous les deux comme il nous
manœuvre.
– Sauf
qu’on n’est pas dupes. Alors qui c’est qui tire les ficelles,
en réalité, au bout du compte ?
– Lui
quand même. Parce qu’il arrive à ses fins. Et qu’il nous fait
cocus. L’un comme l’autre.
– Oui,
alors, si je vous comprends bien, vous voudriez qu’on siffle la fin
de la récréation ?
– Je
sais pas. J’en sais rien. Ce qu’il y a, par contre, c’est
qu’avec le recul, je me demande si on n’a pas eu tort finalement.
Si on n’aurait pas dû mettre les pieds dans le plat dès le début.
Empêcher tout ça de prendre de l’ampleur.
– On
les aurait braqués. Et sans doute définitivement perdus.
– On
les a perdus de toute façon. Parce que je sais pas vous, mais moi,
je suis devenue complètement transparente à ses yeux. Alors il y a
des moments, il me vient une de ces furieuses envies de ruer dans les
brancards. De déclencher quelque chose. N’importe quoi. Pour qu’il
me voie. Pour que j’existe. Et puis, il y en a d’autres où je
m’en fiche complètement. Où je me dis que c’est mort. Que je
n’ai plus vraiment de sentiments pour lui. Que rien, quoi que je
fasse, ne pourra plus jamais être comme avant. Que le mieux que
j’aie à faire, c’est d’organiser ma petite vie à côté de la
sienne. Sans lui. Que je sorte. Que je m’éclate. Et que, moi
aussi, je me prenne un amant plutôt que de rester terrée dans mon
coin.
Alyssia
s’est esclaffée…
– Si
c’est pas un appel du pied, ça ! Et alors, tu vas faire
quoi ? Tu vas donner suite ?
– Je
crois pas, non.
– Pourquoi ?
Elle te plaît pas ?
– C’est
pas qu’elle me plaît pas, c’est que la situation est déjà
assez compliquée comme ça, non, tu trouves pas ?
Elle
m’a ébouriffé les cheveux.
– Ah,
tu changeras pas, toi, hein ! Tu trouveras toujours un prétexte
pour te défiler devant une nana qui te fait des avances. Bon, mais
on va pas revenir là-dessus. Je t’ai déjà dit cent mille fois ce
que j’en pensais. En attendant, si je comprends bien, elle a pas
l’intention de mettre les pieds dans le plat.
– Pas
pour le moment en tout cas.
– Ben
oui, elle est pas idiote. Elle le sait bien, va, tout au fond
d’elle-même qu’elle a pas intérêt à lui poser un ultimatum.
Et que s’il était vraiment obligé de choisir entre elle et moi…
Bon, mais tu crois que tu vas t’en sortir ?
– Comment
ça ?
– Entre
lui qu’est pas au courant que tu complotes avec sa femme derrière
son dos et elle qui sait pas que tu cautionnes allègrement ma
relation avec son mari, ça va pas forcément être simple. Tu
risques de te faire à tout moment des nœuds. D’autant qu’il y a
aussi moi. Qui suis censée pas savoir, du moins pour le moment, que
tu vas aller jouer les pompiers de service auprès d’elle.
– Je
naviguerai à vue.
– Au
risque de te planter…
– Mais
le moyen de faire autrement ?
Benjamin
a voulu qu’on se voie. Tous les deux. Rien que nous deux.
– Qu’on
se concerte… Qu’on s’invente des souvenirs en commun… Qu’on
se fabrique des anecdotes… Parce que je connais Séverine. Elle
aura tôt fait de flairer qu’il y a anguille sous roche sinon.
On
travaillait à vingt minutes l’un de l’autre. On s’est déniché
un petit restaurant à mi-chemin où on s’est retrouvés le
lendemain, sur le coup de midi.
Bon,
mais alors elle était comment sa femme finalement ?
Il
m’a sorti une photo. Qui datait d’au moins dix ans. On l’y
voyait souriante, assise sur un rocher, la robe relevée haut sur les
cuisses.
– Pas
mal…
– Oh,
pour ça, oui ! C’est pas moi qui te dirai le contraire.
Seulement…
– Seulement ?
Il
a levé les yeux au ciel.
– Elle
est comme l’immense majorité des femmes. Coincée du cul. Et le
pire, c’est qu’elle est convaincue du contraire. Sous prétexte
qu’elle condescend à me tailler une pipe, du bout des lèvres,
tous les tournants de lune ou qu’elle se laisse mettre un doigt
dans le cul, de temps à autre, quand on baise, elle s’imagine être
sexuellement libérée. Au top du top dans ce domaine. Le reste ?
Ce sont, à ses yeux, pratiques de pervers dont elle ne veut pas
entendre parler. Dans ces conditions, comment veux-tu que j’aille
pas voir ailleurs ? N’importe qui, à ma place… Ce qui ne
l’empêche pas d’avoir plein de qualités. Et puis on s’entend
plutôt bien. On a, dans quantité de domaines, une même façon de
voir les choses. Sans compter tout ce qu’on a vécu ensemble. De
bon ou de moins bon. Tout ça nous a, au fil du temps, sanglés l’un
à l’autre. Tant et si bien que je ne pourrais pas vivre sans elle.
Ce n’est seulement pas envisageable. Mais, d’un autre côté,
sexuellement, faut que je m’éclate. C’est impératif. Et, à cet
égard, ta petite femme est un don du ciel. Une véritable
bénédiction. Le cul, elle adore. Elle en veut. Elle en redemande.
Et pas n’importe quoi ! De l’élaboré. Du qui sort de
l’ordinaire. Elle est ouverte à tout. Ah, ça, avec elle, je suis
sûr de pas m’ennuyer. Les idées que moi j’ai pas, c’est elle
qui va les avoir. C’est pour ça, j’ai du mal à te comprendre,
j’avoue ! Réussir à te faire claquer la porte au nez par une
femme aussi demandeuse et, qui plus est, ta propre femme, faut quand
même le faire. T’as dû y mettre sacrément du tien, non ? Il
s’est passé quoi au juste ?
– Rien.
Absolument rien. Ce qu’elle me reproche en fait, c’est de pas
avoir su la faire être ce qu’elle ne savait pas qu’elle était.
– Oui.
Oui. Mais il y a sûrement pas que ça.
Il
m’a fait faire la connaissance – si on peut dire – de
Séverine le soir même.
– Vite
fait, pour la première fois. Que ça fasse pas trop insistant. On
boit un coup et puis tu te casses.
Il
nous a présentés.
– Alex…
Le copain dont je t’ai parlé. On se connaît depuis… Hou là là…
Des éternités. On s’était complètement perdus de vue. Et puis
on s’est retrouvés. Par hasard. Et là, maintenant, on se quitte
plus. Ah, non alors ! Des tas de trucs on va faire ensemble.
– Enchantée.
– Moi
aussi.
On
a parfaitement joué le jeu, elle et moi. On a été, tout du long,
de parfaits inconnus l’un pour l’autre.
18-
Alyssia
voulait retourner au Petit Castel. Avec Benjamin. La même chambre.
– Parce
que c’est là que tout a commencé, nous deux. Alors j’ai plein
de souvenirs là-bas. J’adore ça repasser dessus. Non, et puis ce
qu’il y a aussi : à la maison, c’est pas mal, oui, bien
sûr. Je vais pas dire le contraire, mais ça vaut quand même pas
quand t’as plein de monde autour. Que tu les regardes pendant que
tu dînes les gens et que tu te dis qu’il y en a, dans le tas, qui
vont être dans les chambres voisines, qui vont t’entendre baiser,
que ça va les exciter que le diable. Et tu sais ce qu’il
faudrait ? Qui serait mille fois mieux ? C’est savoir
qui. Qui il y a à droite, qui il y a à gauche, qui il y a
au-dessus. On y ferait tout spécialement attention à ceux-là. On
les bichonnerait du regard pendant qu’ils mangent. Et comme ça,
après, une fois qu’on serait en haut… Mais j’y pense !
C’est faisable. Tu pourrais partir en éclaireur, toi ! Tu
finis tôt. Tu surveillerais les arrivées, les allées et venues,
tout ça… Et tu nous dirais.
À
quatre heures, j’étais là-bas. J’ai commencé par m’offrir
une petite ronde dans les étages. À tout hasard. Bien m’en a
pris. Au troisième, une porte, sur laquelle était inscrit
« PRIVÉ », en grosses lettres rouges sur fond blanc,
était entrebaillée. Ça parlait à l’intérieur. Des voix de
femmes. Jeunes. Deux. Dont celle de la serveuse, la fille des
patrons.
– Il
est là, j’te dis ! Je viens de voir sa voiture…
– Qui
ça ?
– Mais
le cocu, tiens ! Le cocu de la 122.
– Tout
seul ? Il y a pas les deux autres ?
– Sûrement
qu’ils vont pas tarder.
Elles
se sont chuchoté quelque chose.
– Non !
Tu vas pas faire ça !
– Je
vais me gêner !
Et
elles ont éclaté d’un rire interminable.
Je
me suis discrètement éclipsé. Je suis redescendu. Et je me suis
trouvé nez à nez avec une jeune femme rousse d’une trentaine
d’années qui ne m’a pas prêté la moindre attention et qui
s’est précipitamment engouffrée dans la chambre voisine. Celle de
droite. Ça commençait bien…
Je
me suis installé, avec ma tablette, à la fenêtre de la nôtre, une
fesse sur le radiateur, et j’ai attentivement surveillé les allées
et venues.
À
cinq heures et demi est arrivé un couple de retraités qui est allé
se perdre très loin dans les étages. Et puis, une vingtaine de
minutes plus tard, deux autres. Coup sur coup. L’un, d’âge mûr,
s’est installé dans une chambre de l’étage du dessus, un peu
sur la droite. L’autre, d’une trentaine d’années, a élu
domicile à l’autre bout du couloir.
À
six heures, sont arrivés deux types. Dans les vingt-cinq ans. À qui
on a donné la chambre voisine. Celle de gauche. Des
amis ? Des frères ? Un couple ? Je n’ai pas tardé
à être fixé.
– Elle te plaisait la
petite brune, hein, là-bas, tout-à-l’heure.
– Oui, oh…
– Menteur ! T’as
pas arrêté de la bouffer des yeux. Tout l’après-midi. Et de
bander.
– Tu te l’es imaginé.
– Ben, voyons ! Je
te connais, attends, depuis le temps. Et je suis sûr que rien que de
parler d’elle, ça recommence à grimper. Fais voir ! Fais
voir, j’te dis ! Tiens, bingo ! Et pas qu’un peu !
Je comprendrai jamais que des nanas puissent te mettre dans des états
pareils. T’es vraiment rien qu’un gros cochon. Un putain de
salaud de gros cochon. Mais j’aime ça. Et je vais en profiter.
Ils se sont tus. Il y a eu des
halètements. Un bruit de succion. Des gémissements.
– T’as avalé…
J’adore quand t’avales.
Des
baisers. Des chuchotements. Encore des baisers.
Au
restaurant, après, en bas, je les leur ai discrètement indiqués,
du coin de l’œil.
– Ce
sont eux.
Elle
a souri.
– Ils
vont remettre ça tout-àl’heure. On fera ce qu’il faut pour. Et
la rouquine, elle est où ?
– À
mon avis, là.
La
table vide, juste à côté de la nôtre.
On
l’a attendue pendant tout le repas.
– Mais
qu’est-ce qu’elle fout ? Qu’on voie à quoi elle ressemble
au moins.
Quand
elle a enfin fait son apparition, on attaquait le dessert. Elle nous
a, cette fois, gratifiés d’un large sourire. Un sourire qu’Alyssia
et Benjamin lui ont rendu.
Ils
se sont longuement attardés à table. Se sont pris la main, fait des
chuchoteries à l’oreille, bécotés tant et plus. Et ils l’ont
laissée remonter la première.
Dans
l’ascenseur, Alyssia m’a donné ses consignes.
– Tu
surveilles ? Tu écoutes ? Comment ça réagit. Ce qui se
passe. Des deux côtés. Tu nous raconteras.
Dans
la chambre, elle a fait mine d’être furieuse.
– Espèce
de salaud ! Tu l’as fait exprès. Je suis sûre que tu l’as
fait exprès.
Et
Benjamin mine de tomber des nues.
– Hein ?
Quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait exprès ?
– Joue
bien les innocents ! Parce que qu’est-ce que c’est que ces
façons de traîner des éternités à table alors que tu sais très
bien que j’en peux plus tellement je crève d’envie que tu
m’enchattes.
– Oh,
mais si c’est que ça ! T’en veux ! Eh bien tu vas en
avoir…
– J’espère
bien. Et t’as intérêt à tenir la distance.
– Toi,
tu me cherches, ce soir. Tu me cherches et tu vas me trouver.
Il
l’a fait reculer, à petites poussées insistantes, du plat de la
main, jusqu’au mur. Celui du côté des types. Il l’y a plaquée,
immobilisée. Il a relevé la robe, écarté la culotte. Et constaté,
d’un doigt inquisiteur.
– T’es
trempée.
Il
l’a pénétrée d’un coup. Et aussitôt bourrelée à grands
coups de reins impérieux.
– Oh,
Benjamin ! Benjamin !
Elle
a amoureusement noué ses bras autour de lui.
– Mon
Benjamin !
Ils
réagissaient comment les types à côté ? J’avais beau
tendre l’oreille. Impossible d’entendre quoi que ce soit. Les
gémissements d’Alyssia, les claquements de ses fesses sur la
cloison contre laquelle elles venaient méthodiquement battre, à
chaque coup de boutoir, faisaient désespérément écran. Et de
dehors ? Peut-être que de dehors… Oui, sûrement même. Je me
suis discrètement approché de la porte. Que j’ai ouverte et
derrière laquelle j’ai trouvé, penchée à l’équerre, l’œil
rivé au trou de la serrure… la serveuse, la fille des patrons, le
jean déboutonné, une main à l’intérieur. Elle m’a jeté un
regard épouvanté et s’est enfuie. Du plus vite qu’elle a pu.
J’ai
attendu qu’elle ait disparu au détour du couloir et je me suis, à
mon tour, approché de la porte de nos voisins. J’y ai collé
l’oreille. Il m’a semblé percevoir un coulis de mots murmurés
très bas. Sans certitude absolue. Peut-être mon imagination me
jouait-elle des tours. Et la rousse à droite ? Je les ai
abandonnés et suis allé m’occuper d’elle. Elle gémissait. Une
myriade de petits gémissements étouffés. Sans doute dans
l’oreiller.
19-
Au
petit déjeuner, c’était elle, la fille du patron, qui était de
service sur la terrasse. Elle y faisait de rapides apparitions,
débarrassait un plateau, passait vite fait un coup de torchon sur
une table. En évitant soigneusement de trop s’approcher de nous.
Et sans jamais jeter le moindre regard dans notre direction. De toute
évidence, elle n’en menait pas large.
Alyssia
a fini par l’appeler.
– S’il
vous plaît…
Elle
s’est approchée. À contrecœur.
– Vous
vous appelez comment ?
– Eugénie…
– Et
vous avez quel âge ?
– Vingt-deux.
– Alors
comme ça, Eugénie, on espionne les clients… Une grande fille
comme toi ! Tu sais que c’est pas bien du tout ?
Elle
est devenue écarlate.
– Je
vous jure…
Alyssia
a éclaté de rire.
– Ben,
voyons ! N’empêche… Qu’est-ce que ça a dû être
frustrant pour toi ! Être interrompue, comme ça, en pleine
action.
Elle
se dandinait d’un pied sur l’autre, se grattait nerveusement la
joue.
– Tu
t’es finie dans ta chambre, j’parie ! Non ?
Elle
a désespérément cherché autour d’elle un hypothétique secours.
– Faut
que j’y aille ! Il y a du monde.
– T’as
bien deux minutes. À ton avis, il va penser quoi de tout ça, ton
père ?
Elle
s’est affolée.
– Vous
allez pas lui dire !
– Peut-être
que non. Et puis peut-être que si.
– Le
dites pas ! Je vous en supplie, le dites pas !
– À
une condition…
– Laquelle ?
– Je
te le ferai savoir, le moment venu.
On
l’a appelée de l’intérieur.
– Voilà !
J’arrive… Excusez-moi !
Elle
s’est éloignée. A disparu.
On
a voulu savoir, Benjamin et moi.
– Et
c’est quoi, cette condition ?
– Vous
verrez bien. Ce sera la surprise.
On
était sur le parking, en train d’empiler nos sacs de voyage dans
le coffre de nos voitures quand on a aperçu la jeune femme rousse
qui venait droit sur nous.
– Tiens,
on l’avait oubliée celle-là !
Elle
a abordé Alyssia, tout sourire.
– Bonjour…
Je vais sans doute vous paraître d’un invraisemblable sans gêne,
mais est-ce qu’il ne vous serait pas possible de me déposer à la
gare ? Ça fait un quart d’heure que j’essaie d’appeler un
taxi, mais c’est la croix et la bannière.
– Si !
Bien sûr ! Tenez, vous n’avez qu’à monter avec Alex. Vous
lui tiendrez compagnie.
Elle
s’est installée, a bouclé sa ceinture.
– Merci !
C’est très gentil à vous.
Je
me suis engagé sur la petite portion menant à la nationale.
– Vous
allez où, au juste ?
– Porte
de Versailles.
– Je
vous y laisserai. Ça me fait pas un grand détour.
– Je
ne voudrais pas abuser.
Mais
non ! Elle abusait pas, non.
On
a roulé une bonne dizaine de kilomètres sans échanger le moindre
mot. Et puis elle a fini par se lancer.
– Excusez
mon indiscrétion, mais…
– Mais ?
– Mais
j’ai cru comprendre que cette dame était votre femme.
– Oui.
Et alors ?
– Et
alors je me disais… Je me demandais… Mais enfin ça ne me regarde
pas…
– Vous
vous demandiez pourquoi ce n’est pas avec moi qu’elle est
repartie ? Parce qu’elle est arrivée avec son amant. Et que
c’est avec lui qu’elle avait envie de repartir. Ça vous va comme
explication ?
– Je
suis confuse. Je ne voudrais pas me mêler…
– Oui,
oh, de toute façon… Vous occupiez la chambre à côté de la
nôtre, non ?
Elle
m’a jeté un regard en coin.
– Si !
– Et
comme les murs sont en carton-pâte dans cet hôtel…
– Ah,
ça !
– Vous
étiez aux premières loges.
– Quand
bien même je n’aurais pas voulu entendre…
– On
vous a empêchée de dormir. J’en suis désolé.
Elle
a haussé les épaules.
– Pas
grave.
Et
aussitôt ajouté.
– Moi
aussi, je suis mariée.
– Ah !
Elle
a suivi des yeux un transporteur qui déchargeait des colis sur le
trottoir.
– Et
j’ai aussi un amant.
À
mon tour de lui jeter un regard en coin. Où elle voulait en venir,
là ?
Elle
a soupiré.
– Si
on pouvait s’entendre, tous les trois, aussi bien que vous.
– Ça
viendra peut-être…
– Sûrement
pas, non ! Parce qu’il faudrait d’abord que mon mari soit au
courant que j’ai quelqu’un d’autre. Et il vaudrait mieux pas.
Ce jour-là, il m’arrache les yeux. N’empêche, comment ça fait
rêver, votre truc…
Je
me suis garé le long du trottoir.
– Vous
êtes arrivée.
– Déjà !
Elle
a ouvert la portière.
– Bon,
ben merci. Merci beaucoup. Et sans doute à une prochaine fois.
Là-bas…
Alyssia
en était convaincue.
– Ah,
ça, c’est sûr qu’on l’y retrouvera là-bas. À se rincer les
oreilles dans la chambre d’à côté. Cela étant, tu y as cru ?
– À
quoi ?
– Le
mari, l’amant, tout ça…
– Je
sais pas. Ça avait l’air vrai…
– Un
mari… Un amant… Et elle se retrouve toute seule à l’hôtel ?
Mouais…
20-
– Alex ?
C’est Benjamin ! Ça va ?
– Et
toi ? T’as une voix bizarre.
– Écoute…
Si jamais Séverine t’appelle…
– Elle
se doute de quelque chose ?
– Peut-être.
C’est possible. Je sais pas. Mais mieux vaut prévenir que guérir.
Alors si elle t’appelle, on était tous les deux à Forbach, ce
week-end. À un congrès sur les règles d’arbitrage au hand.
– Vu.
Et si elle veut des précisions ?
– Je
t’ai envoyé un mail avec le nom et l’adresse de l’hôtel où
on a soi-disant dormi, celle de la salle où avait lieu le congrès
– qui s’est effectivement tenu – et les horaires de
train.
– Ça
marche.
– Cela
étant, tu fais quoi, toi, cet après-midi ?
– Rien
de spécial.
– On
va se faire un tennis alors ? Ça nous décrassera, ça nous
donnera l’occasion de discuter un peu entre hommes et, si jamais
elle appelle, tu me la passeras. Ça la rassurera de nous savoir
ensemble.
On
s’est laissé tomber sur le banc, au bord du court, nos raquettes à
nos pieds.
– Je
manque d’entraînement, il y a pas à dire.
– Et
moi donc !
Il
a repris son souffle, s’est mis à dessiner un cercle, du bout du
pied, dans la poussière.
– J’ai
déjeuné avec ta femme hier.
– Je
sais, oui, elle m’a dit.
– Et
on a beaucoup parlé de toi.
– De
moi ? Diable !
– Tu
sais ce qu’elle aimerait ?
– Dis !
– Nous
voir nous occuper l’un de l’autre ou, plus exactement, te voir
t’occuper de moi.
– Elle
m’en a jamais parlé.
– Non,
mais elle t’a tendu la perche, un jour, au « Petit Castel »,
une perche que tu n’as pas saisie. Ça te répugne tant que ça ?
J’ai
haussé les épaules.
– C’est
pas que ça me répugne. C’est que j’ai jamais essayé. J’ai
jamais eu l’occasion. Alors comment veux-tu que je sache si j’aime
ou si j’aime pas ?
Il
s’est levé.
– Le
seul moyen de savoir…
Il
n’a pas achevé sa phrase. Il s’est dirigé vers le court.
– On
échange encore quelques balles ?
J’ai
jeté ma raquette.
– Bon,
allez, cette fois, moi, je jette l’éponge. J’en peux plus. Une
bonne douche et…
– On
la prendra à la maison. Je m’en méfie comme de la peste, moi, de
ces douches publiques Et puis tu pourras voir Séverine comme ça.
Séverine
qui n’était pas là.
– Non.
Vers six heures elle rentre. Tiens, c’est par là la douche.
Il
m’a apporté gant de toilette et serviette de bain.
– Ça
t’ennuie si je la prends avec toi ?
Ça
m’ennuyait pas, non.
Il
m’a rejoint. Chacun s’est d’abord savonné et frictionné en
silence. Rincé.
Il
a avancé la main en souriant, m’a effleuré le ventre, juste
au-dessous du nombril.
Je
n’ai rien dit. J’ai soutenu son regard.
Il
est descendu, m’a sollicité, du bout du pouce.
– T’as
l’air d’aimer ça, finalement, dis donc !
Il
s’est agenouillé. M’a d’abord léchoté le gland, à rapides
petits coups de langue, sur toute sa surface. L’a emprisonné et
agacé entre ses dents. Avant de m’engloutir. De me la tournoyer
tout en me malaxant savamment les couilles. De plus en plus
savamment. J’ai gémi. Et j’ai déchargé en psalmodiant mon
plaisir. Il a bu. Jusqu’au bout.
Une
petite claque sur les fesses et il s’est relevé.
– À
ton tour maintenant !
À
mon tour.
Je
l’ai lentement apprivoisée. Avec les doigts. Avec la bouche. Avec
la langue. Ses mains s’étaient posées sur ma nuque qu’il
pétrissait avec ardeur. Je l’ai pris entre mes lèvres, juste au
bord, relâché, repris. Encore rejeté.
– S’il
te plaît, Alex, s’il te plaît !
Et
il s’est enfoncé tout entier en moi avec un long râle de
satisfaction. A donné de grands coups de reins que j’ai
accompagnés, les mains agrippées à ses fesses. Il a libéré son
plaisir à longues giclées chaudes dont je me suis repu.
– Alors ?
Pas trop déçu pour une première fois ?
– Oh,
non, non !
– Il
y aura plus qu’à faire la surprise à ta petite femme.
Quand
Séverine est rentrée, on était attablés tous les deux devant un
grand verre de whisky.
– Ah,
ben, ça va ! Faut pas s’en faire.
– Ça
pourrait être pire. Tu veux quelque chose ?
– Oui.
Un muscat.
Qu’il
est allé lui chercher.
Elle
en a profité pour se pencher vers moi.
– Faut
que je vous parle. Faut absolument que je vous parle. Demain midi ?
À la brasserie ?
Je
lui ai signifié mon accord d’un signe de tête.
Alyssia
m’a considéré d’un air amusé.
– Et
toi, t’en es encore à penser qu’elle te drague pas…
– Je
crois pas, non.
– Tu
parles ! C’est clair comme de l’eau de roche. Qu’est-ce tu
veux que ce soit d’autre ?
– Je
sais pas.
– Mais
si, c’est ça ! Bien sûr que c’est ça ! Bon… Mais,
et cette partie de tennis avec Benjamin ? C’était bien ?
– Ça
a pas duré longtemps. On n’est vraiment pas au top de notre forme
tous les deux.
– Tu
m’en diras tant…
– On
a pas mal discuté du coup. Et il m’a dit que tu crevais d’envie
de nous voir faire des trucs ensemble, lui et moi.
– Ça
fait des semaines et des semaines qu’il me bassine avec ça.
– C’est
pas vrai ?
– Si !
Bien sûr que si que c’est vrai. Que ça me plairait ! Et
surtout que ce soit vous deux. Je vais pas nier l’évidence. Mais
j’y attache pas autant d’importance qu’il l’imagine. Ou qu’il
le souhaiterait. Parce que manifestement, lui, ça le tient !
21-
Séverine
a attaqué, d’emblée, avant même d’avoir fini de s’asseoir.
– Il
a quelqu’un d’autre.
– Quoi ?
Qui ça ?
– Benjamin.
Quelqu’un d’autre que votre femme.
– Vous
êtes sûre ?
– Pratiquement.
– Et
c’est qui ?
– Alors
ça ! Oh, mais je finirai bien par le découvrir. Ou bien vous.
Vous le voyez souvent. Quelque chose va forcément, à un moment ou à
un autre, vous sauter aux yeux. Ou même… vous pouvez susciter des
confidences. Entre hommes, on aime se vanter. Et je le vois bien dans
le rôle.
– Vous
allez faire quoi ?
– J’aviserai.
Quand je saurai. Mais pas la peine que je me berce d’illusions. Je
ferai rien. Je subirai. Comme d’habitude. En espérant qu’il va
pas se toquer de cette nouvelle conquête. Qu’il va pas avoir la
lumineuse idée de vouloir « refaire sa vie ». Je l’ai
dans la peau, qu’est-ce que vous voulez ! Alors il peut bien
me faire cocue tant et plus. Du moment qu’il reste avec moi, qu’il
parle pas de me quitter, qu’il dort, au moins de temps en temps,
dans notre lit, que je peux me blottir contre lui, j’en ai rien à
foutre. Je suis prête à tout accepter. Et à fermer les yeux. Vous
comprenez ça ?
– Très
bien, oui.
Elle
m’a saisi la main par-dessus la table, l’a serrée à la broyer.
– J’ai
peur ! Si vous saviez ce que j’ai peur ! J’ai peur que
c’en soit une qui veuille me le voler, cette fois-ci. Qui fasse
tout pour ça. Vous allez m’aider, hein ? On va trouver. Que
je sache qui c’est. Si elle est mariée. Ce qu’elle a dans la
tête. Si je dois m’inquiéter ou bien si… Oui, hein que vous
allez m’aider ?
– Je
vous le promets.
– Merci.
Elle
a desserré son étreinte.
– Pour
vous, par contre, peut-être que les choses vont s’arranger du
coup. Tout nouveau, tout beau. Votre femme sera reléguée au second
plan. Peut-être même qu’elle va complètement disparaître de son
champ de vision. Qu’elle l’encombre maintenant. Qu’il envisage
de s’en débarrasser. Et que tout ça ne sera bientôt plus, pour
vous, qu’un lointain et mauvais souvenir.
Elle
s’est levée. Elle avait les larmes aux yeux.
– À
bientôt. Je compte sur vous, hein !
Alyssia
était persuadée qu’il ne la quitterait pas.
– T’as
assisté, attends ! T’as vu quel pied il prend avec moi. Et il
renoncerait à ça ? Ah, non ! Non. J’y crois pas une
seule seconde. Maintenant, qu’il suive parallèlement une autre
piste, c’est possible. Le connaissant, c’est même probable.
Parce que, quand il commence à raconter, comme ça, que sa femme a
des doutes, qu’il faut faire preuve de la plus extrême prudence,
c’est qu’il a ouvert un nouveau front et que, du coup, il a moins
de temps à me consacrer. C’est ce qui s’est passé à Nice, cet
été. C’est ce qui se passe encore aujourd’hui. Reste qu’il
n’est pas dans mon intérêt de le brusquer, de me montrer, comme
il m’est arrivé de le faire par le passé, exigeante et
vindicative. Ce n’est pas, à l’évidence, la meilleure stratégie
à adopter, avec lui, dans ce genre de situation. Mieux vaut que
j’entre dans son jeu, que je fasse semblant de croire ce qu’il
raconte et que je le laisse venir à son rythme. Tout en lui offrant,
de temps à autre, quelque savoureuse nouveauté qui stimule son
appétit pour moi. Et, de ce côté-là, j’ai déjà ma petite
idée.
– C’est-à-dire ?
– Tu
verras bien…
– Mais
si, dis !
– Quand
ce sera au point, ce qui n’est pas encore tout-à-fait le cas. Cela
étant, ça ne doit pas t’empêcher de mener discrètement, malgré
tout, ta petite enquête. Je suis quand même curieuse de savoir à
quoi ressemble cette « rivale » avec lequel je vais
devoir le partager.
– J’avoue
que je ne m’attendais pas à ce que tu prennes les choses avec
autant de philosophie.
– Comme
quoi tout arrive !
Elle
m’attendait devant la porte de chez moi. La jeune femme rousse.
– Vous
me reconnaissez pas ?
– Si,
bien sûr ! Vous étiez au Petit Castel. Et je vous ai emmenée
à la porte de Versailles.
– Voilà,
oui.
– Mais
comment vous avez eu mon adresse ?
– Votre
courrier était bien en vue, sous mon nez, dans votre voiture. Et
comme j’ai une excellente mémoire… On peut parler deux minutes ?
– Vite
fait alors… Parce que je suis déjà pas mal en retard ce matin.
– Ce
sera pas long. Voilà : j’écris un livre.
– Ah !
– Et
mes personnages se trouvent dans une situation très similaire à la
vôtre. Il y a une femme, un mari et un amant. Et ce que j’aimerais,
c’est que vous me serviez un peu de modèle tous les trois.
– Oh,
on n’a rien d’extraordinaire, vous savez !
– C’est
justement ce qui m’intéresse.
– Eh
bien, faites alors ! J’y vois pas d’inconvénient. À
condition, bien évidemment, que notre anonymat soit préservé.
– Ça
coule de source. On pourra se voir quand, du coup ?
– Se
voir ? Mais pour quoi faire ?
– J’ai
besoin de savoir comment vous vivez la situation. Ce que vous
ressentez. Comment vous le percevez, lui. Comment tout a commencé.
Et plein d’autres choses encore. Ça vous pose problème ?
– Pas
vraiment, non. Disons que ça me surprend.
– Je
peux quand même compter sur vous ?
– Si
vous voulez, oui.
– Et
votre femme ? Elle accepterait de jouer le jeu, vous croyez ?
– Je
lui poserai la question. Et je la poserai à Benjamin.
– Merci.
J’ai votre accord de principe alors ?
– Vous
l’avez.
– Voilà
mes coordonnées. Vous m’appelez quand vous voulez. Qu’on prenne
rendez-vous. Tardez pas trop, si vous pouvez. Que je puisse avancer.
Ça
a beaucoup amusé Alyssia.
– T’as
gobé un truc pareil ?
– Ben,
pourquoi elle écrirait pas un livre ?
– Mais
c’est cousu de fil blanc, enfin ! Voilà une nana qui se donne
allègrement du plaisir en nous écoutant nous envoyer en l’air,
Benjamin et moi, au Petit Castel. Tu l’as entendu toi-même. Que ça
excite sûrement comme une petite folle de te savoir là, à côté
de nous. Et qui a envie de mettre le nez plus avant dans tout ça. De
se repaître de nous. Le plus possible. Alors elle a inventé cette
histoire de bouquin. Ça fait sérieux un bouquin. Ça te vous pose
son auteur. Et ça constitue un excellent alibi. Mais je te parie ce
que tu veux qu’il verra jamais le jour ce bouquin.
– Tu
crois ?
– Je
crois pas. Je suis sûre. Mais ça doit pas nous empêcher de jouer
le jeu. Au contraire, même. Ça peut se révéler très amusant.
22-
Quand
je suis arrivé au Petit Castel, sur le coup de cinq heures, pour y
faire, comme le week-end précédent, les repérages convenus, j’ai
eu la surprise d’y trouver Alyssia.
– T’es
déjà là !
– Ça
fait un petit moment, oui ! Et je regrette pas. Parce que ça
m’a donné l’occasion d’avoir une longue conversation avec
Eugénie, la fille des patrons. C’est elle qui est venue me
trouver. Elle était terrorisée à l’idée que je puisse dire à
son père qu’on l’a découverte, la semaine dernière, la main
dans la culotte derrière la porte de notre chambre. Je l’ai
rassurée, je l’ai mise en confiance. Elle avait besoin de parler :
je l’ai écoutée. Elle est fille unique. C’est à elle que
reviendra donc, plus tard, l’affaire familiale. « Ce sera à
toi tout ça, c’est pour toi que tu travailles. » lui répète
son père à l’envi. Et il exige d’elle une disponibilité quasi
permanente. Sa vie, c’est travail, travail et encore travail.
Qu’elle veuille sortir, aller s’amuser un peu, il ne l’en
empêche pas, non, mais il la culpabilise tellement, quand elle
rentre, qu’elle n’a pas vraiment envie de recommencer. Tant et si
bien qu’elle est, pour ainsi dire, confinée à l’hôtel. À
vingt-deux ans elle n’a pas d’amis. Et encore moins de petit ami.
C’est donc sur place qu’il lui faut trouver le moyen de
satisfaire une libido particulièrement exigeante. Pas question d’un
coup d’un soir avec un client. Elle y laisserait sa réputation et
son père y mettrait de toute façon bon ordre. Non. Il faut qu’elle
se débrouille autrement. Et comme elle est d’une nature plutôt
voyeuse, elle se penche avec beaucoup d’attention sur ce qui se
passe dans les chambres et y trouve de temps à autre – la
preuve ! – son comptant.
– Et
elle ne s’est jamais fait surprendre ?
– Ça
a bien failli à deux ou trois reprises, mais on a été les premiers
à la prendre vraiment sur le fait.
– Faut
qu’elle ait beaucoup de chance. C’est quand même sacrément
risqué son truc.
– Elle
connaît parfaitement les lieux. Ça aide. Mais enfin de toute façon,
ce soir, c’est un problème qu’elle aura pas.
– Parce
que ?
– Parce
que je l’ai invitée à venir assister, sur place, au déroulé des
opérations.
– Et
elle a accepté ?
– Tu
parles si elle a accepté !
Elle
consultait toutes les trente secondes son portable.
– Mais
qu’est-ce qu’il fout, Benjamin, bon sang ? Qu’est-ce qu’il
fout ? Il m’avait dit sept heures. Et pas un mot. Rien. Ce que
ça peut être agaçant !
À
huit heures, elle a décidé de descendre dîner.
– Ça
le fera peut-être arriver… Et puis j’ai faim n’importe
comment.
À
l’entrée de la salle à manger on s’est trouvés nez à nez avec
Proserpine, la jeune femme rousse. Qui a proposé qu’on partage la
même table.
– On
pourra discuter comme ça…
Aussitôt
dit, aussitôt fait.
– Il
vous a expliqué, votre mari ?
– Pour ?
Votre bouquin ? Oui, bien sûr ! Et alors ? Ça
avance ?
Elle
a esquissé une grimace.
– Pas
bien, non ! Je navigue un peu à vue pour le moment. Il faudrait
que je vous demande…
– Eh
bien, allez-y ! Profitez-en ! On est là.
– Oui…
Alors… Ce que je voudrais savoir… Quand vous êtes avec votre…
– Amant…
N’ayons pas peur des mots.
– Votre
mari assiste systématiquement ?
– Au
début, non. Mais, maintenant, pratiquement toujours, oui.
– Et
dans l’autre sens ?
– Comment
ça « dans l’autre sens » ?
– Vous
couchez avec votre mari devant votre amant ?
– Non.
Jamais.
– Parce
que c’est quelque chose que vous voulez conserver pour vous deux ?
Que vous ne voulez partager avec personne ?
– Non.
Parce que je ne couche plus avec mon mari. Depuis un bon moment déjà.
– Il
y a une raison particulière ?
– Oui.
Je n’en ai plus la moindre envie.
– Ça
doit pas être facile à vivre pour lui.
– Personne
l’empêche d’aller voir ailleurs.
– Et
il le fait ?
Elle
s’est tournée vers moi.
– Vous
le faites ?
Le
portable d’Alyssia a sonné. Elle s’est levée, éloignée.
– Hein ?
Vous le faites ?
Elle
a pris la direction de la chambre.
– Excusez-moi !
Il y a l’air d’y avoir un problème. Je vais voir ce qu’il se
passe.
Je
l’ai rejointe au moment où elle raccrochait.
– Il
viendra pas. Et jamais t’iras imaginer pourquoi.
– Sa
femme se doute de quelque chose.
– Bingo !
Comment t’as deviné ? Non, mais il me prend vraiment pour une
conne, hein ! Oh, mais attends, attends ! Il a pas fait le
plus dur.
– C’est-à-dire ?
– Tu
verras bien. Non, là où ça m’embête le plus, c’est pour
Eugénie. Elle se faisait une telle fête d’assister à nos ébats…
Laquelle
Eugénie est tout de même venue discrètement frapper vers onze
heures et demi à la porte de notre chambre.
– Entre !
Entre ! Il est pas là, ma pauvre !
– J’ai
vu ça, oui.
– Je
suis désolée. Ce sera pour une autre fois.
– Pas
grave.
Et
elle a fait demi-tour, prête à repartir.
– Attends !
Attends ! Ça te dirait pas un petit avant-goût qui te fasse
patienter jusque là ?
Et
Alyssia a dégrafé ma ceinture, m’a descendu le pantalon sur les
chevilles. Le slip.
– Regarde !
Non, mais regarde-moi ça ! Ah, ça lui fait de l’effet d’être
à poil devant toi, on peut pas dire…
Elle
regardait. Sans complexes. Elle buvait des yeux. Et plus elle
regardait, plus je durcissais.
Alyssia
m’a envoyé une petite chiquenaude dessus.
– On
peut quand même pas la laisser dans cet état-là. Faut faire
quelque chose ! Non, t’es pas de mon avis, Eugénie ?
Elle
n’a pas répondu. Elle continuait à regarder intensément.
– Qu’est-ce
tu préfères ? Lui faire, toi ? Que je lui fasse ? Ou
qu’il se le fasse ?
La
réponse a fusé.
– Oh,
lui ! Lui !
– Alors
tu sais ce qu’il te reste à faire, Alex !
Je
ne me le suis pas fait répéter deux fois. J’en avais une envie
folle. Et je me suis frénétiquement élancé vers mon plaisir.
Eugénie,
en face, a ouvert son pantalon, en a descendu la fermeture-éclair à
mi-chemin, a glissé ses doigts à l’intérieur de la petite
culotte rose. Ils y sont allés et venus, s’y sont affolés. Mon
plaisir s’est approché, a surgi, à longues saccades délivrées.
Elle a longuement modulé le sien.
23-
– On
descend pas déjeuner ?
– Non.
Ce matin, on se fait servir dans la chambre.
– Par
Eugénie ?
– Évidemment,
par Eugénie… Ça t’a pas déplu, avoue, la petite séance d’hier
soir, hein ?
– Je
serais difficile.
– Et
t’es pas au bout de tes surprises. Elle est très joueuse, cette
petite. Et pleine de ressources.
– C’est-à-dire ?
– Tu
verras bien.
– Mais
si, dis ! Au moins un peu.
Il
y a eu du bruit dans le couloir. Puis dans la chambre d’à côté.
Encore dans le couloir.
– Tiens,
ben la v’là justement !
Elle
a frappé, est entrée, vêtue de son petit tablier de serveuse
blanc.
– Bonjour !
Avec
un grand sourire.
Et
elle nous a tourné le dos pour aller déposer le plateau sur la
table, près de la fenêtre. Ses fesses étaient nues. Totalement
nues. Superbement nues. Elle a pris tout sont temps, fait mine de
rectifier la position des tasses, celle des couverts avant de
majestueusement naviguer vers la porte sur le pas de laquelle elle
s’est retournée.
– Bonne
journée…
– À
toi aussi…
Alyssia
a hoché la tête.
– Elle
doit être ravie. C’est un fantasme qu’elle rêvait de réaliser
depuis tellement longtemps…
– Si
elle en a d’autres comme ça, je suis preneur.
– Oh,
oui, qu’elle en a d’autres ! Des quantités…
– Inutile
que je te demande lesquels, j’imagine ?
– Inutile,
en effet ! Tu les découvriras en temps voulu.
On
s’est levés.
– En
tout cas, ce qu’il y a de sûr, c’est que tu bandes !
– Ben…
Il y a de quoi, non ? Mais tu sais ce que je me demande ?
Elle est quand même pas redescendue aux cuisines dans cette tenue ?
Si ?
– Ah,
ça te plairait, ça, hein ! Et à elle aussi, sûrement !
C’est malheureusement pas possible. Pour des raisons évidentes.
Non. En fait, la chambre d’à côté, qui est vide ce matin, lui a
servi de vestiaire.
Son
téléphone a vibré.
– Benjamin…
Ce cher Benjamin… Allô, oui…
Elle
a mis le haut-parleur.
– Alyssia ?
Je suis vraiment désolé pour hier soir, mais j’ai vraiment pas pu
faire autrement. C’était beaucoup trop risqué.
– Tu
as très bien réagi. Ne commets surtout pas d’imprudences. Non,
mais t’imagines si on pouvait plus se voir du tout ? Je le
supporterais pas, Benjamin. Ça, c’est quelque chose que je ne
supporterais pas.
– On
n’en est pas là…
– J’espère
bien…
– Non,
non… T’inquiète pas ! Il s’agit juste d’éviter de se
voir pendant trois-quatre jours. Le temps qu’elle se rassure. Que
ses soupçons se dissipent. Bon, mais vous avez fait quoi alors, du
coup, avec Alex ? Vous êtes rentrés ?
– On
s’est tâtés… Et puis, finalement, non, on est restés. Et on
l’a pas regretté. Ah, non alors ! Parce que je peux te dire
que t’as loupé quelque chose.
– Quoi
donc ?
– Eugénie,
la petite serveuse, la fille du patron… Elle est chaude comme la
braise.
– Qu’est-ce
qui s’est passé ?
– Je
te raconterai… Quand on se verra. Ce serait trop long. Mais ça
vaut son pesant d’or, je t’assure. Tant et si bien qu’on va
rester là, cet après-midi. Et peut-être même la nuit prochaine.
– Je
vais voir…
– Tu
vas voir quoi ?
– Si,
éventuellement, je peux pas venir vous rejoindre.
– Sûrement
pas, non. T’es inconscient ou quoi ? T’as envie que ta bonne
femme découvre le pot-aux-roses ?
– Si
je manœuvre bien…
– Ah,
non, Benjamin, non. C’est hors de question. Ce serait complètement
irresponsable. Il y aura d’autres occasions n’importe comment.
Allez, file ! Va travailler ! On se rappelle dans la
journée.
– Je
t’aime…
– Moi
aussi.
Et
elle a raccroché.
– Il
se fout de ma gueule, hein ! Il se fout vraiment de ma gueule.
Soi-disant qu’il faut, par sécurité, qu’on reste quelques jours
sans se voir. Je lui parle d’Eugénie. Je l’allèche avec et là,
comme par enchantement, toutes les difficultés sont aplanies. Il est
prêt à nous rejoindre dans la minute qui suit. T’en penses quoi,
toi ?
– Que
sa nouvelle conquête n’est pas, à ses yeux, aussi importante que
ça puisqu’il était disposé à te la sacrifier pour venir passer
la soirée avec toi.
– La
passer avec Eugénie, tu veux dire, plutôt, oui ! Bon, mais
importante ou pas, c’est pas mon problème. Je sais ce qu’il me
reste à faire.
– C’est-à-dire ?
– Que
je vais sûrement pas passer mon temps à attendre qu’il soit
disponible pour moi. Je vais me trouver quelqu’un d’autre. Et
jouer sur les deux tableaux.
Proserpine
nous attendait en bas.
– Vous
allez sans doute me trouver terriblement insistante, mais on a été
interrompus hier soir et j’aurais vraiment aimé qu’on puisse
poursuivre notre conversation. Je tiens beaucoup à écrire ce livre
et si je ne dispose pas d’éléments suffisamment…
Alyssia
l’a interrompue.
– Je
vous ramène si vous voulez. On pourra discuter comme ça. Allez,
montez !
Je
me suis un peu attardé. Je suis remonté dans la chambre.
Redescendu. Sur la terrasse du petit déjeuner, maintenant déserte,
Eugénie remettait un peu d’ordre. Un coup de torchon par ci, une
chaise remise en place par là. Je me suis approché.
– Je
voulais vous dire…
Elle
n’a pas relevé la tête.
– Merci
pour tout-à-l’heure.
Toujours
pas.
– Et
aussi pour hier soir.
Elle
m’a jeté un bref regard, vaguement confus.
– Et
merci à vous.
– J’ai
beaucoup, mais alors là vraiment beaucoup apprécié.
Elle
a plongé ses yeux dans les miens.
– Moi
aussi !
Et
elle s’est enfuie.
24-
Alyssia
a jeté son sac sur la petite table basse, près de l’entrée.
– Jusque
chez elle je l’ai ramenée la Proserpine.
– Et ?
– Et,
à mon avis, il verra jamais le jour son bouquin. C’est juste un
prétexte.
– C’est
bien ce que je commençais aussi à soupçonner un peu.
– Ce
qu’il y a, en réalité, c’est que tu la fais bander.
– Moi !
– Oui.
Enfin, non. Ce qui l’excite, et pas qu’un peu, c’est que tu me
baises pas. Que tu baises personne, d’ailleurs. « Alors,
pratiquement, il est eunuque, quoi ! » Et t’aurais vu
comment ils brillaient ses yeux en disant ça ! De la folie !
J’ai quand même un peu douché son enthousiasme : tu baisais
pas, non, mais tu t’amusais malgré tout tant et plus tout seul.
J’étais bien placée pour le savoir. Elle a pris un air désolé…
« Mais faut pas accepter ça ! » Et elle s’est
lancée dans un long discours enflammé. Que les hommes, on leur
demandait qu’une chose, c’était de satisfaire les femmes. Et que
ceux qu’en étaient pas capables, il y avait aucune espèce de
raison pour qu’on les laisse avoir des compensations par ailleurs.
J’ai fait la moue. Ah, oui ? Et elle comptait le leur
interdire comment ? Elle ne s’est pas laissée démonter. Oh,
il y en avait plein des moyens. Mais le plus commode, et le plus
courant, c’était encore la cage de chasteté. « Vous la lui
enfermez bien à l’étroit là-dedans, vous gardez précieusement
la clef sur vous et le tour est joué. »
– Elle
a vraiment un problème, elle, hein !
– Non,
tu crois ?
– Tu
lui as répondu quoi ?
– Que
c’était une excellente idée. Et que j’allais mettre ses
conseils à exécution dans les plus brefs délais. Mais non, idiot !
Je lui ai rien dit du tout.
– Si
bien que si elle a envie d’imaginer que tu vas vraiment le faire…
– Eh
bien, elle l’imaginera. Elle peut bien penser ce qu’elle veut.
– Sauf
qu’elle va pas nous lâcher…
– On
y mettra bon ordre. Oh, mais on s’en fiche d’elle ! Dis-moi
plutôt ! Qu’est-ce tu ferais à ma place ?
– Pour ?
– Benjamin,
tiens, pardi ! Qu’est-ce tu veux d’autre ? Non, parce
que si je réagis pas, là, après le coup qu’il m’a fait au
Petit Castel, c’est la porte ouverte à tout ce qu’il veut. Il
va me piétiner allègrement. Ce sera de plus en plus souvent qu’il
me fera faux bond. Et moi je
serai là, à attendre son bon vouloir, comme une conne. Alors
non ! Non ! Je vais sûrement pas me laisser réduire à
ça. Il y en a d’autres des queues, si je veux. Et
des qui fonctionnent bien. C’est
pas ça qui manque…
– Ce
qu’il faudrait d’abord savoir, c’est ce qu’il en est au
juste. Peut-être qu’il a vraiment eu un empêchement.
– Tu
parles ! Il était avec une nana, oui. Qu’est-ce tu veux que
ce soit d’autre ? Une
pauvre conne qui lui a fait les yeux doux. Et lui, comme un imbécile,
il a sauté à pieds joints dans le piège. Bon,
mais bouge-toi, toi !
Reste pas planté là ! Fais
quelque chose ! Essaie de savoir. Va le cuisiner ! Ou
suis-le ! Je sais pas, moi, mais
trouve une solution !
Séverine
voulait encore me
voir.
– Bon,
ben ça y est !
Elle
tombait bien, elle. Elle tombait on ne peut mieux.
– Qu’est-ce
qui y est ?
– Sa
nouvelle copine à Benjamin, je sais qui c’est.
– Ah !
Et alors ?
– Une
petite jeune. Dix-neuf ans.
– Tant
qu’à faire…
– C’est
plutôt une bonne nouvelle
pour vous, non ?
– Si
on veut.
– Oh,
ben si, si !
Parce qu’il va avoir la
tête ailleurs maintenant. Avec
votre femme il va prendre ses
distances. De plus en plus.
Quant à moi…
Je vais peut-être vous
étonner, mais j’en ai
strictement plus
rien à battre.
– Effectivement,
c’est pour le moins inattendu.
– Trop,
c’est trop. Et il arrive un moment où il faut savoir dire stop. Il
est comme ça. Il changera pas. J’en ai pris mon parti. Et, pour
être tout-à-fait franche
avec vous, moi aussi, j’ai
rencontré quelqu’un. Un
monsieur courtois, affable, sensuel avec lequel je me sens bien. Avec
qui je partage une foule de choses…
Elle
a longuement suivi
des yeux un couple tendrement enlacé qui
passait sur le trottoir.
– Ce
que je voulais aussi vous dire, que vous ne soyez pas pris de court,
c’est que j’ai bien l’intention de jouer cartes sur table avec
Benjamin.
Dans les plus brefs délais. Je vous préviendrai
dès que ce sera fait.
– C’est-à-dire ?
Vous allez divorcer ?
– Oh,
non ! Non ! À moins qu’il le
veuille vraiment. Ce que je
ne crois pas. C’est pas le
genre à chercher les complications, Benjamin ! Quant à moi, je
préfère, et de loin, rester mariée. Mon ami ne l’est pas. Que je
divorce et, le connaissant, il va faire des pieds et des mains pour
me passer la bague au doigt. Ce
à quoi je ne tiens absolument pas. Du
moins pour le moment. Pour
toutes sortes de raisons. Et
vous, vous allez faire quoi ?
J’ai
haussé les épaules.
– Rien.
Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Je
vais attendre que la situation se décante d’elle-même.
– Ce
qui, à mon avis, ne saurait tarder. Vu les mails enflammés qu’il
adresse
à cette Camille, vu comment
elle est canon en plus, votre femme va pas faire long feu. Il n’aura
plus guère de temps à lui consacrer. Vous voulez voir à quoi elle
ressemble ?
– Pourquoi
pas ?
– Eh
bien vous vous rendez au centre Leclerc de
la zone commerciale. Elle
travaille au rayon « plats cuisinés ».
Elle s’est
levée.
– Et
tâchez de pas tomber amoureux d’elle. Ça compliquerait vraiment
trop la situation…
– Il
y a pas de risque.
Elle a eu
une petite moue dubitative.
– Oh,
alors ça !
Et elle
s’est éloignée sans se retourner.
Lui aussi
voulait me voir. Décidément !
– Sauf
que là, j’ai pas trop le temps. Je suis déjà en retard. Et c’est
un rendez-vous important. Qu’est-ce
qui t’arrive ?
– Oh,
rien. Rien de spécial. Enfin, si ! Qu’est-ce qu’elle a
Alyssia ? J’ai l’impression qu’elle me fait la gueule.
– Il
y a un peu de quoi, avoue, non ?
– Je
sais, oui. Je suis désolé. Elle
m’en veut beaucoup ?
– Ce
qu’il y a surtout, c’est qu’elle est persuadée qu’il y a une
nana derrière tout ça.
– Ça,
évidemment, j’aurais dû m’en douter.
– Et
c’est pas le
cas ?
– Je
t’expliquerai. Mais alors,
pour la
petite serveuse, la fille du patron, elle m’a raconté des salades.
Histoire de se venger. C’est ça, hein ?
– Pas
vraiment, non.
– Ah,
oui ? Qu’est-ce qu’il y a eu ?
– Écoute,
faut vraiment que j’y aille, là. Mais moi aussi, je t’expliquerai.
Quand on sera au calme.
25-
– Comment
elle est ?
– Qui,
ça ?
– Ben,
la fille, tiens, cette Camille…
– Je
sais pas, je…
– Parce
que t’es pas allé voir la tronche qu’elle a, peut-être ?
La tronche et le reste… À d’autres ! Je te connais depuis
le temps. Alors elle est comment ?
– Pas
mal…
– Pas
mal ou pas mal ?
– Plutôt
bien. Et même très bien. Absolument ravissante en fait.
– Ouais…
Faudra que j’aille jeter un œil sur cette petite merveille.
– Tu
vas pas…
– Faire
un esclandre ? Pour qui tu me prends ? Tu devrais savoir
que je suis beaucoup plus subtile que ça.
– Tu
vas faire quoi alors ?
– Sûrement
pas lui abandonner le terrain. Alors là, il y a pas de risques. Et
j’ai quand même pas mal de cordes à mon arc. D’abord Eugénie.
Il s’est senti frustré de pas être là, l’autre jour, Benjamin.
Alors, Camille ou pas Camille, pas besoin de t’en faire que, la
prochaine fois, il nous fera sûrement pas faux bond. Et comme
Eugénie est très joueuse, qu’on mettra le paquet, un vrai feu
d’artifice, il aura qu’une envie : revenir. Et puis il y
aura la cerise sur le gâteau…
– Ah,
oui, quoi ?
– Toi !
– Moi ?
Ah, oui, je vois…
– Depuis
le temps qu’il en crève d’envie… On peut bien lui offrir ce
petit plaisir, non ?
– Devant
Eugénie ?
– De
préférence, oui. Ça n’en aura que plus de saveur. Et puis je
devrais pas te le dire, mais elle m’a confié qu’elle adorait ça
voir des mecs ensemble. Maintenant si ça te pose un problème…
– Oh,
non ! Non !
Elle a
éclaté de rire.
– Ben,
voyons ! Plutôt deux fois qu’une, hein ! T’en as fait
du chemin, toi, dis donc, en quelques semaines. C’est
spectaculaire.
Je
n’ai quasiment pas dormi de la nuit. Je me tournais, je me
retournais dans le lit sans parvenir à trouver le sommeil.
– Mais
qu’est-ce t’as à t’agiter comme ça ?
Je
la revoyais, Eugénie. Ses doigts, avec frénésie, sous sa petite
culotte rose. Le plaisir dans ses yeux. Dans ses plaintes doucement
psalmodiées. Et puis, le lendemain matin, ses fesses majestueusement
et longuement offertes. À ces images longuement et voluptueusement
savourées sont venues s’en superposer d’autres. Benjamin.
Benjamin et moi, enlacés. Et puis elles, à nous regarder.
Intensément. Ce feu dans leurs yeux. Ce bonheur qui les inonde.
Alyssia… Eugénie… Eugénie… Alyssia…
Je
me suis levé à la pointe du jour. J’ai pris la voiture. Il
faisait beau. Très. J’ai roulé au hasard. Pour rouler. Sans
vraies pensées. Sans but. J’ai pris des routes. Des tronçons
d’autoroute. Je suis repassé, à plusieurs reprises, au même
endroit. À huit heures, sans l’avoir vraiment voulu, sans l’avoir
vraiment cherché, je me suis trouvé à l’entrée de la
départementale qui mène au « Petit Castel ». Je n’ai
pas eu l’ombre d’une hésitation. Je m’y suis résolument
engagé.
Plusieurs
couples déjeunaient sur la terrasse. Je les ai salués, me suis
installé tout au bout, un peu à l’écart. Eugénie n’est pas
tout de suite venue vers moi. Elle s’est consacrée à ses autres
clients. Elle allait, elle venait, resplendissante dans le soleil.
Elle a fini par s’approcher.
– Vous
êtes tout seul aujourd’hui ?
– Tout
seul et de passage. Très vite. J’avais trop envie de vous voir, ne
fût-ce que quelques instants.
Elle
m’a souri.
– C’est
gentil. Je vous sers quelque chose ?
– Un
copieux petit déjeuner. Ça s’impose. Et ça m’en rappellera un
autre.
Elle
a légèrement rosi.
– Thé
ou café ?
– Café.
Avec un peu de lait. J’y repense souvent, vous savez !
– Moi
aussi. Tous les jours.
Et
elle m’a tourné le dos.
Elle
m’avait gâté. Quatre croissants. Quatre pains au chocolat. Pain,
beurre et confiture à foison.
– Et
si vous avez besoin de quoi que ce soit d’autre…
– Oh,
non, ça ira, merci. Je mangerai jamais tout ça. Par contre, une
petite question, Eugénie…
– Oui ?
– Votre
tablier, là, c’est celui que vous aviez l’autre matin ?
– Oh,
non, non ! Celui-là, je le remets pas. Je l’ai jamais remis.
– Parce
que ?
– Comme
ça…
Et
elle est repartie.
J’ai
pris tout mon temps pour déjeuner. Quand je me suis enfin levé, à
regret, elle n’avait pas reparu. J’ai regagné ma voiture. Sur le
siège passager se trouvait un paquet que j’ai ouvert avec
curiosité. C’était le petit tablier blanc…
Alyssia
l’a déplié, étalé sur la table.
– Tu
sais qu’elle me plaît de plus en plus, cette petite ? Elle a
des idées en pagaille. Bon, mais alors tu vas en faire quoi, toi,
maintenant, de ce petit souvenir ?
– Mais,
rien ! Je…
– Tu
parles que tu vas rien en faire ! Alors là, je suis bien
tranquille. En attendant, ce que je constate, moi, c’est que tu te
la joues perso.
– C’était
le hasard. Quand j’ai vu que j’étais à côté…
– Mais
bien sûr ! Je vais avaler ça…
– Je
te jure…
– Jure
pas ! Viens m’aider plutôt…
Et
elle s’est installée à l’ordi.
– À
quoi ?
– À
me choisir un type. Ben, fais pas cette tête-là ! Qu’est-ce
qu’il y a ? C’est à cause de Benjamin ? Je vais me
battre pour pas qu’elle me le pique, l’autre petite dinde, oui,
ça, c’est sûr. Mais faut aussi que j’assure mes arrières.
Parce que je me fais pas d’illusions : ça n’aura qu’un
temps, Benjamin. Pas parce qu’il me plaquera, non, parce que JE le
plaquerai. Quand j’en aurai bien marre de me poser sans arrêt des
questions. De devoir pleurnicher pour qu’il m’accorde un peu de
son temps. Parce que c’est pas la première, cette Camille. Je me
fais pas d’illusions. Et c’est pas la dernière non plus. Bon,
mais assieds-toi ! Reste pas planté là. Et, tiens, regarde !
Quatre, j’en ai sélectionné. Dis-moi ce que t’en penses, mais
franchement, hein
26-
Elle
a finalement jeté son dévolu sur des jumeaux.
– Ils
sont vraiment copie conforme, t’as vu ça ?
Avec
qui elle a entretenu une correspondance assidue pendant trois jours.
– En
tout cas, ils ont de la conversation. De l’humour. Ce qui ne gâte
rien. Et ils savent des tas de choses. Par contre, ils font jamais
rien l’un sans l’autre.
Ce
qui l’arrangeait bien finalement.
– Ben
oui, parce que j’ai encore jamais eu deux mecs en même temps,
moi ! Quatre mains à te prodiguer des caresses partout. Deux
bouches. Ça doit être génial.
– Et
deux queues.
– Aussi,
oui. Comme ça, le temps qu’il y en a une qui se repose, tu peux
toujours profiter de l’autre.
Ils
se sont finalement fixé rendez-vous.
– Mais
tu resteras dans les parages, hein ! Parce qu’ils m’inspirent
confiance, mais on sait jamais. Il y en a qui cachent bien leur jeu.
Et puis, de toute façon, maintenant je conçois plus ce genre de
choses sans que tu sois au moins à côté. Sans que je les partage
avec toi.
Benjamin
n’était jamais libre.
– On
va se faire un petit tennis ?
– Désolé,
mais aujourd’hui je peux pas.
Le
lendemain non plus. Et pas davantage le surlendemain.
– Oh,
et puis merde ! Pas la peine de tourner pendant des semaines
autour du pot. Je vais jouer franc jeu avec toi. J’ai quelqu’un
d’autre.
– Je
m’en doutais bien un peu.
– Ben
oui, forcément. J’arrête pas de te faire faux bond.
– Et
pas seulement à moi.
– Elle
aussi, elle se doute, hein…
– Évidemment !
Elle est pas idiote.
– Mais
elle est pas sûre ?
– Il
s’en faut vraiment de très très peu.
– Il
y a quelque chose qu’il faudrait que tu saches. Et puis elle aussi
maintenant. Même si je me demande comment elle le prendrait.
– Quoi
donc ?
– Je
vais te faire faire sa connaissance. Tu comprendras mieux…
Alyssia
était sur des charbons ardents.
– Encore
deux heures ! Pourvu que je leur plaise… Parce qu’une photo,
ça peut être trompeur une photo.
– Pas
dans ton cas.
– Je
devrais peut-être plutôt mettre ma robe rouge, non ? Qu’est-ce
t’en penses ?
– Celle-là
est très bien.
– Je
sais pas. Peut-être un peu trop osée, non ?
– Tu
vas pas à une cérémonie religieuse.
– Oui,
mais quand même ! Pour une première fois… C’est comme le
maquillage. Ça fait pas trop mauvais genre au moins ?
– Pas
du tout, non !
Elle
est retournée devant la glace, a remis une mèche en place, lissé,
du bout des doigts, le col de la robe.
– Tu
sais quoi ? On dirait une gamine qui va à son premier
rendez-vous amoureux.
Elle
m’a tiré la langue.
– Ah,
c’est malin ! Va prendre tes marques là-bas, tiens, plutôt !
Ils
s’étaient pas fichus d’elle. Hôtel grande classe. Je suis monté
m’approprier ma chambre. La 339. Une chambre immense. Avec tout le
confort. Mini-bar. Micro-ondes. Écran plasma. Et matelas moëlleux
que le diable. J’allais être bien. Et eux aussi. Eux ? Il y
avait du bruit à côté. Des voix. Ils étaient déjà là ?
Non. Il était beaucoup trop tôt. Et pourtant je ne rêvais pas.
J’entendais bien parler. Je suis allé coller mon oreille à la
cloison. Une voix d’homme. Une voix de femme. Qui n’était pas
celle d’Alyssia. Aucun doute là-dessus. Donc, ben donc il y avait
un problème quelque part. Ou la chambre avait été louée deux
fois, ce qui paraissait quand même assez peu vraisemblable ou, pour
une raison ou pour une autre, on ne leur avait pas attribué la
chambre qui avait été initialement prévue. Quoi qu’il en soit,
j’étais réduit à l’impuissance. Je me voyais mal aller
demander des explications à la réception.
À
huit heures, j’ai reçu un SMS : « On mange ailleurs.
Tout se passe bien. T’inquiète pas. »
Vers
onze heures, j’ai bien erré un peu, au hasard, dans les couloirs.
En vain. Il était immense, cet hôtel et j’ignorais où ils se
trouvaient. Sans compter qu’à séjourner comme ça, sans raison
apparente, dans les couloirs, je risquais d’attirer l’attention
et de faire naître des soupçons.
Le
lendemain matin, j’avais un autre SMS « On déjeune dans la
chambre. Tout est OK. On se retrouve à la maison. »
– Alors ?
C’était bien ?
Elle
m’a tendu les lèvres.
– Divin.
– On
dirait, oui. T’as la tête de quelqu’un qu’on a épuisée de
plaisir.
Elle
s’est nichée au creux de mon épaule.
– Tu
m’as manqué, tu sais ! Pas t’avoir là, à côté…
– Il
s’est passé quoi, au juste, pour la chambre ?
– Oh,
le genre d’idioties… Des habitués qui tiennent à la 341 comme à
la prunelle de leurs yeux. La réceptionniste est nouvelle. Elle
savait pas et elle leur en a collé une autre. Ils ont fait un foin
pas possible. Et comme mes jumeaux se fichaient pas mal que ce soit
cette chambre-là ou une autre.
– Et
que tu pouvais rien dire…
– Ah,
ben ça ! Oh, mais il y aura d’autres occasions.
– J’espère
bien. Bon, mais tu racontes ?
– Ça
se raconte pas ce genre de choses. Ça se vit. Ou ça s’écoute.
– Essaie
quand même !
– Oh,
ben tu te doutes ! On s’est d’abord éternisés au
restaurant. Où ils m’ont minutieusement décrit, bien en détail,
tout ce qu’ils allaient me faire. Ils avaient une façon de se
renvoyer l’un à l’autre la balle… C’était d’un torride !
J’étais trempée. Et ils faisaient durer… Ils faisaient durer…
– Des
artistes, en somme…
– On
peut dire ça comme ça, oui. Et alors tu penses bien que, quand on
est arrivés dans la chambre…
– Tu
t’es retrouvée aussi sec à poil.
– Oh,
non, non ! Parce que c’était déjà fait, ça !
– Hein ?
– Ben
oui ! Dans l’ascenseur on avait commencé. Et puis on a
continué dans le couloir.
– Complètement ?
– Complètement,
oui. C’était d’un excitant !
– J’imagine…
Et ensuite ?
– Ils
se sont occupés de moi. Savamment. Ardemment.
– Et
ils se sont passé le relais.
– Oui.
Enfin, non ! Ensemble je les ai eus. Tous les deux. Un devant et
un derrière. Et puis après, ils ont interverti les rôles.
27-
Benjamin
m’a arrêté, posé la main sur l’avant-bras.
– C’est
celle de droite, Camille. La plus grande. Tu vois ? Comment tu
la trouves ?
– Super
canon, il y a pas à dire.
– Oui,
hein ! J’ai craqué. Le moyen de faire autrement ? Mais
attends, viens ! On va aller l’attendre dehors. Elle a bientôt
fini. Qu’on la perturbe pas dans son travail. Elle a horreur de ça.
Il a
fait les présentations.
– Camille…
Alex…
Elle
m’a fait claquer la bise, s’est attablée avec nous.
– Que
des gros lourds ! Il y a des jours comme ça…
– C’est
de ta faute ! T’as qu’à pas être si mignonne.
– Tu
veux que j’y fasse quoi ? Que je me barbouille de vitriol ?
– Ah,
non, malheureuse !
– J’aurais
la paix au moins…
– Ça,
c’est pas sûr !
– Tu
sais de quoi je rêve, là, maintenant ? D’une bonne douche.
Pour me laver de tout ça…
– Rien
de plus facile. On va chez moi. Séverine rentre pas avant sept
heures.
– Je
t’ai emprunté ton peignoir.
– Je
vois, oui !
Elle
s’est ébrouée. En fines gouttelettes qui se sont éparpillées au
hasard.
– En
attendant, qu’est-ce que ça fait du bien !
Benjamin
s’est levé, est passé derrière elle, lui a piqueté la nuque de
petits baisers.
– Chut !
Veux-tu être sage !
– J’ai
pas envie.
– Devant
ton ami. Tu n’as pas honte ?
– Même
pas.
Le
cou.
Il
s’est pressé contre elle. Elle s’est abandonnée.
Il a
glissé une main sous le peignoir. Une main qui a moutonné à
hauteur des seins. Qui s’est aventurée plus bas. Encore plus bas.
Le peignoir s’est entrouvert.
J’ai
poussé un cri de stupéfaction.
Il y
avait… Elle avait… On voyait… Une bite et une paire de
couillles.
Ils
ont éclaté de rire. Tous les deux. De bon cœur.
– Ah,
oui, ça surprend, hein !
Camille
a refermé le peignoir.
– C’est
tout pour aujourd’hui ! Et, de toute façon, puisque c’est
comme ça, puisqu’il y a que des gros pervers dans cette maison, je
m’en vais.
Ce
qu’il a fait aussitôt après avoir renfilé sa robe.
– Il
est vraiment fâché ?
– Penses-tu !
C’était concerté tout ça. On était de mèche. Bon, ben voilà !
Maintenant, tu sais.
– Comment
vous m’avez eu !
– C’était
le but. Elle adore ça, Camille, surprendre son monde là-dessus. Et
faut reconnaître qu’avec toi, c’était particulièrement réussi.
T’aurais vu ta tête ! Elle s’est délectée de voir ta
réaction, je la connais. Et je peux te dire que j’ai pas fini d’en
entendre parler.
– Je
peux te poser une question ?
– Tout
ce que tu veux.
– C’est
purement sexuel avec lui ou bien…
– C’est
beaucoup plus que sexuel. C’est un peu mon double, Camille. Jamais
je ne me suis senti aussi compris, reconnu et accepté. Non, ce qu’il
y a maintenant, c’est que pour Alyssia je sais vraiment pas quoi
faire.
– C’est-à-dire ?
Tu envisages de mettre un terme ?
– Oh,
non, non. Pas du tout. Non. Au contraire. Seulement j’ai bien peur…
– Que
ce soit elle qui le fasse. Alors ça, c’est pas exclu. Ça l’est
même de moins en moins, dans le contexte actuel.
– Elle
supporte pas l’idée que je puisse avoir quelqu’un d’autre.
C’est ça, hein ?
– Ce
qu’elle supporte pas, surtout, c’est que tu la prennes pour une
conne. C’est de pas savoir sur quel pied danser avec toi.
– Tu
crois qu’il faut que je lui parle ?
– Je
crois pas. Je suis sûr.
– Il
y a un risque quand même, non ?
– Évidemment !
Mais infiniment moindre, à mon avis, que si tu joues carte sur
table. Elle appréciera.
– Je
lui dis aussi que Camille, en réalité, c’est…
– Quand
on dit la vérité et qu’on ment en même temps, ça le fait pas.
Ça le fait jamais.
Je
me suis levé.
– Bon,
j’y vais. Je te laisse.
– Tu
veux pas rester un peu ? Que Séverine te trouve là en
rentrant. Ça la mettra de bon poil. Ça changera pour une fois.
– C’est
la soupe à la grimace ?
–Et
pire encore. Elle desserre pas les dents de toute la soirée. Elle se
contente de balader partout son petit air : « Je dis rien.
Je demande rien, mais je sais où t’as passé l’après-midi. Et
avec qui. On me la fait pas à moi. »
Il a
soupiré.
– Des
fois j’aimerais encore mieux qu’on s’engueule.
– Qu’est-ce
qu’elle sait au juste ?
– Peut-être
tout. Peut-être rien. J’ai décidé de plus me poser la question.
D’arrêter de me faire des nœuds au cerveau. Parce que ça change
rien. Parce que Séverine, c’est quelqu’un qu’a un besoin
viscéral de te faire la gueule. Qu’il y ait des raisons ou qu’il
y en ait pas. Elle porte ça en elle. Faut qu’elle soit
malheureuse. Que tout aille de travers dans sa vie. Et qu’elle en
fasse porter la responsabilité à quelqu’un. Moi, en l’occurrence.
Je suis en première ligne. Forcément.
Il a
encore soupiré. Un soupir à fendre l’âme.
– J’en
ai marre, par moments, mais j’en ai marre ! Quelle idée j’ai
eue d’aller l’épouser. Non, mais quelle idée ! Ah, je
t’assure que si c’était à refaire…
– Ça
peut se défaire…
– Je
sais bien, oui, mais…
Au-dehors,
les graviers ont crissé.
– La
v’là !
Elle
a jeté ses clefs sur la petite console, dans l’entrée.
– Alors,
les garçons, ça va comme vous voulez ?
Ça
allait, oui !
– Qu’est-ce
vous avez fait de beau ?
– Oh,
rien ! Rien de spécial.
Derrière
lui, le peignoir était resté par terre. Elle l’a ramassé, porté
à ses narines et elle lui a jeté un regard furibond.
Qu’il
n’a pas vu.
28-
Alyssia
avait passé l’après-midi avec Benjamin.
– Mais
pas à s’envoyer en l’air. À discuter.
– Et
alors ?
– On
s’est expliqués. À fond. Ça m’a fait un bien fou, tu peux pas
savoir…
– Un
peu quand même que je peux savoir, si !
– Du
coup, avant de rentrer, je suis allée jeter un coup d’œil sur
cette Camille. Depuis le temps que je voulais le faire. Et quand tu
la vois comme ça, belle comme un cœur, féminine en diable, t’as
vraiment du mal à y croire.
– Et
pourtant…
– T’as
eu l’occasion de constater, de visu je sais ! Vous êtes
sacrément devenus complices, Benjamin et toi, hein, n’empêche !
– Mais
qui c’est qu’a poussé à la roue ?
– En
attendant, tu sais ce qu’on a décidé ? C’est qu’on
allait faire cause commune, Benjamin, Camille et moi.
– Cause
commune ?
– Se
voir tous les trois ensemble, si tu préfères. Comme ça, au moins,
je resterai pas à me morfondre dans mon coin pendant qu’il est
avec elle. Enfin, avec lui. Et puis je t’avouerai que la situation
est loin de me déplaire. Et ce Camille non plus il me déplaît pas.
Il a quelque chose. Un charme fou, en fait. Non. Je suis vraiment
curieuse de voir comment il s’y prend. Et de les voir ensemble tous
les deux. Tu sais quoi ? Eh ben, ça tombe pile poil au bon
moment ce truc. Parce que ça commençait à s’affadir
sérieusement, Benjamin et moi. On allait droit dans le mur. Tandis
que là, il y a toutes les chances que ça relance la machine. Et pas
qu’un peu ! Sans compter qu’il y en a une qui va être aux
anges, c’est Eugénie. En plus !
– Et
moi, dans tout ça ?
– Oh,
toi, évidemment que t’as ta place, toi ! Comme d’habitude.
Manquerait plus que ça ! Et de toute façon, maintenant, c’est
le genre de choses qu’il serait absolument hors de question que
j’envisage sans toi. D’ailleurs, il serait peut-être temps que
t’ailles te préparer. C’est ton rôle d’aller faire quelques
petits repérages avant, non ?
– Ah,
parce que…
– On
attaque dès ce soir, oui. Allez, file !
J’ai
commencé par me mettre à la recherche d’Eugénie. Sur qui j’ai
fini par tomber nez à nez, après un long périple, au détour d’un
couloir. Elle a sursauté, fait un bond en arrière.
– Vous
m’avez fait peur.
– C’était
pas le but. Désolé.
– On
vous a changé de chambre. Elle en a voulu une avec deux grands lits,
votre femme. Parce que quatre vous serez, cette nuit, à ce qu’il
paraît…
– Sans
compter qu’on aura de la visite.
Elle
n’a pas cillé.
– C’est
vrai qu’il y aura une surprise ?
– Et
une belle !
– C’est
quoi ?
– Ce
sera plus une surprise, si je vous le dis.
Elle
a pris un petit air enjôleur.
– Oh,
vous pouvez bien… Je vous ai donné mon tablier.
– C’était
un somptueux cadeau.
Elle
a eu un petit sourire ravi.
– Vous
avez aimé, c’est vrai ?
– Oh,
que oui ! Et c’est rien de le dire.
– Vous
savez qui j’ai mis dans la chambre à côté de la vôtre ? Le
couple de types.
– Ça,
par contre, c’est un joli petit cadeau que vous vous faites à
vous-même. Non ?
Elle
a haussé les épaules.
– Elle
sait bien, votre femme.
– Que ?
T’adores ça, les hommes entre eux ?
Elle
a soutenu mon regard.
– C’est
ce que je préfère.
– Alors
tu seras pas déçue, ce soir, tu verras…
La
salle de restaurant était pleine à craquer.
– Forcément,
avec les ponts.
Alyssia
s’est impatientée.
– Qu’est-ce
qu’elle fabrique, Camille ? Elle descend pas ?
Benjamin
a souri d’un air attendri.
– Oh,
alors elle ! Il lui faut toujours des éternités pour se
préparer…
Quand
elle a enfin fait son apparition, toutes les conversations se sont
interrompues. La salle a retenu son souffle, tandis qu’elle voguait
jusqu’à nous, majestueuse, royale, indifférente aux regards
admiratifs qui s’agrippaient à elles.
– Je
vous ai fait attendre.
– Oui,
mais ça en valait sacrément la peine.
En
nous apportant l’entrée, Eugénie s’est penchée à mon oreille.
– Qu’est-ce
qu’elle est belle, cette fille !
Avant
de regagner la chambre, on s’est offert une longue promenade
digestive dans les parages de l’hôtel.
– Il
y a rien qui nous presse.
Malgré
l’heure déjà bien avancée, il faisait encore une chaleur
étouffante.
– Ce
qui veut dire qu’il va falloir qu’on laisse la fenêtre ouverte.
– Et
que, du coup, on va empêcher tout l’hôtel de dormir.
– Tant
pis pour eux !
– Ou
tant mieux.
Les
regards des hommes et des femmes qu’on croisait se posaient
immanquablement sur Camille, s’y attardaient longuement. On se
retournait systématiquement sur elle.
– S’ils
savaient !
Benjamin
a fini par s’impatienter.
– Bon,
on remonte ?
– T’es
bien impatient !
Et
Camille a encore voulu cinq minutes.
– J’aime
trop ça comment on me regarde.
Puis
encore cinq autres. Puis dix.
29-
On a
attendu Eugénie. Qui a fait son apparition sur le coup de onze
heures.
– J’ai
pas pu plus tôt. Il y avait un monde ce soir…
Alyssia
a aussitôt pris la direction des opérations.
– Bon,
alors ce que je propose, puisque nous, les filles, on est en
majorité, c’est que, pour commencer, les garçons nous offrent un
petit strip-tease.
Camille
a battu des mains.
– Oh,
oui ! Oh, oui !
On
s’est bien volontiers – et longuement – prêtés au
jeu, Benjamin et moi. Sous le regard intensément attentif d’Eugénie,
celui, intéressé, de Camille et le petit sourire semi-amusé
d’Alyssia. Qui, quand on a enfin été nus, m’a regardé et a
hoché la tête.
– Il
bande. Tu bandes, mon cochon. Et pas qu’un peu !
Je
bandais, oui. À cause d’Eugénie. Qui nous contemplait tant et
plus. Qui détaillait, qui examinait, qui jaugeait. Que le spectacle
ravissait manifestement.
Elle
a proposé que quelqu’un vienne s’occuper de moi.
– Parce
qu’on peut pas le laisser comme ça, mon petit mari. Ce serait
cruel.
Camille
s’est aussitôt mise sur les rangs.
– Moi !
Moi !
Et,
sans attendre, elle s’est approchée, m’a effleuré, du bout des
doigts.
– Ho
là là ! Mon pauvre ! Non, mais dans quel état tu t’es
mis. Faut faire quelque chose, là, faut vraiment faire quelque
chose.
Elle
s’y est employée. Avec détermination. Elle m’a décalotté. A
entrepris un lent, très lent mouvement de va-et-vient.
Benjamin
n’y a pas tenu. Il est venu à sa rescousse.
– Attends !
Attends ! Je vais t’aider. On sera pas trop de deux.
Il a
refermé la main sur mes boules qu’il a doucement pétries,
malaxées. Ses doigts à elle. Ses doigts à lui. Et le regard
embrumé d’Eugénie. Dans lequel j’ai, très vite, intensément
joui.
Alyssia
a suggéré.
– Allez,
au tour de Camille maintenant de nous offrir un joli petit
strip-tease.
Elle
ne s’est pas fait prier. Elle a lascivement fait remonter sa robe
le long des cuisses. Haut. L’a laissée retomber. A recommencé. Un
peu plus haut.
Elle
nous a tourné le dos, a mis un temps infini à la quitter. Pas à
pas.
Benjamin
avait les yeux brillants.
– Elle
sait y faire la garce, hein !
Elle
a joué longuement avec le rebord de sa culotte. Sous laquelle elle a
fini par glisser une main. L’autre. Elle a découvert le haut des
fesses, s’est ravisée, puis brusquement décidée. La culotte est
tombée.
– Je
m’en lasserai jamais, moi. Quel cul ! Non, mais quel cul !
Elle
s’est retournée, nous a fait face, les mains ramenées en coquille
devant elle.
Il
s’est fait suppliant.
– Nous
fais pas languir, s’il te plaît ! Oh, s’il te plaît !
Elle
les a lentement retirées.
Les
yeux d’Eugénie se sont exorbités.
– J’y
crois pas ! Non, mais alors là, j’y crois pas !
Benjamin
a confirmé, l’air ravi.
– Eh,
oui ! Elle a une queue ! Et une belle. Ah, ça surprend,
hein !
Je
me suis penché à l’oreille d’Eugénie.
– Et
alors ? Elle est pas géniale, notre surprise ?
– Oh,
si !
– On
t’a gâtée, avoue !
Camille
et Benjamin se sont enlacés. Embrassés.
Alyssia
a protesté.
– C’est
pas ce qu’était convenu.
– Ben
oui, mais…
– Mais
rien du tout ! Tu me le laisses, cette Camille.
Et
elle s’en est emparée. Elle l’a entraîné vers le lit. Où ils
se sont laissé tomber. Ils se sont pressés l’un contre l’autre.
Il est allé la chercher sous son corsage. Sous sa jupe. Elle lui a
offert ses lèvres, lui a doucement malaxé les fesses, chuchoté
quelque chose à l’oreille.
Benjamin
a tendu la main vers moi. J’ai tendu la mienne vers lui. Vers sa
queue dressée. Que j’ai enveloppée, sentie durcir encore sous mes
doigts.
Eugénie
a ouvert son pantalon. Elle nous regardait. Elle les regardait. De
nous à eux. D’eux à nous. Inlassablement. Elle a glissé une main
sous son tee-shirt, l’autre dans sa culotte.
Je
suis lentement descendu le long du torse de Benjamin. Je l’ai pris
entre mes lèvres. Je lui ai agacé, mordillé le bout. J’ai relevé
la tête. Pantalon et culotte aux chevilles, Eugénie se
tourbillonnait frénétiquement le bouton.
Il
m’a ramené à lui.
– Oh,
putain ! Mais t’arrête pas ! Continue ! Continue !
Je
l’ai englouti. Enveloppé de ma langue.
À
côté Alyssia a gémi.
– Je
vais jouir… Je vais jouir… Je jouis
À
grandes envolées.
Benjamin
s’est déversé dans ma bouche.
Et
puis Eugénie. Qui a mélopé son bonheur, la tête renversée en
arrière, les yeux mi-clos.
Tout
est retombé.
Je
me suis réveillé au cœur de la nuit. Il y avait quelqu’un, dans
le lit, à mes côtés. J’ai avancé la main. Des cheveux mi-longs.
Une femme. Qui a saisi la mienne de main. Qui a chuchoté.
– Tu
dors pas ?
C’était
Eugénie.
Je
dormais pas, non.
On
s’est rapprochés. Épaule contre épaule. Flanc contre flanc.
– Tu
as aimé hier soir ?
Elle
a étouffé un petit rire.
– Je
serais difficile.
– On
recommencera.
– Oh,
oui, hein ! Quand ?
– Je
sais pas, mais bientôt. Le week-end prochain, sûrement.
– Je
peux te demander quelque chose ?
– Vas-y !
– Tu
l’as complètement avalé Benjamin ?
– Jusqu’à
la dernière goutte, oui. Pourquoi ?
– Non,
pour rien. C’est que j’adore voir quand ça vous sort. Tu peux
pas savoir ce que ça me fait.
– Tu
m’as vu, moi.
– Justement !
Ça m’avait mise en appétit.
– La
prochaine fois.
– D’autres
trucs aussi qu’ils se font entre eux, les mecs, ça me rend
complètement folle.
– Quoi ?
– Tu
te doutes bien…
– Non.
Je vois pas.
– Menteur !
Et
elle m’a envoyé une petite tape sur la joue qu’elle a aussitôt
corrigée d’un petit bisou au même endroit. Avant de venir se
blottir contre moi.
– Je
suis bien là.
Un
peu plus fort encore.
– Jamais
j’aurais pensé que je vivrais ça un jour avec des types. Ni que
je pourrais en parler comme on fait là. Tu me diras tout, hein ?
Ce que ça te fait. Ce que tu sens. Je veux tout savoir. Tout. Tu me
promets ?
J’ai
promis.
– Merci.
Et
elle a calé sa cuisse contre ma queue.
30-
– Si
j’avais su…
– Si
t’avais su quoi ?
– Ben,
que Benjamin nous avait une petite Camille comme ça sous le coude,
j’aurais pas lancé l’opération jumeaux, moi !
– T’es
pas mariée avec.
– Je
suis pas mariée avec, non, ça, c’est sûr, mais j’ai pas trop
envie de les laisser de côté non plus. Je m’éclate bien avec
eux. Et puis ils sont tellement adorables…
– Amène-les
le prochain coup. Quand il y en a pour cinq, il y en a pour sept.
– Oui,
ben alors là, je les vois pas vraiment dans le rôle. C’est pas du
tout le genre à apprécier les trucs entre mecs. Non, je vais me
partager. C’est la seule solution. Une fois les uns, une fois les
autres.
– Ça
risque de pas être facile tous les jours.
– J’aviserai.
Le moment venu. Bon, mais et toi, dans tout ça ?
– Quoi,
moi ?
– Tu
le vis comment ce qui se passe là ?
– Oh,
bien. Très bien, même.
– C’est
l’impression que tu donnes.
– Benjamin
m’a grandement facilité les choses. Tout va de soi avec lui. Tout
est parfaitement naturel.
– Tu
prêches une convertie. Et Camille ?
– Oh,
Camille ! C’est un véritable enchantement, Camille.
– Une
petite merveille que, pour le moment, tu as dû te contenter de
toucher avec les yeux. Oh, mais n’aie crainte… Ça va sûrement
pas en rester là.
– J’espère
bien.
– Et
Eugénie ?
– Je
sais pas, Eugénie. C’est compliqué.
– Oh,
pas tant que ça ! Elle t’émeut, Eugénie. Elle te
bouleverse. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Je te
connais depuis le temps.
– C’est
vrai qu’avec elle…
– T’es
amoureux, avoue !
– Je
crois pas, non.
– En
tout cas, elle, elle l’est de toi. Ça fait pas l’ombre d’un
doute.
Je
me suis brusquement décidé. En tout début d’après-midi. J’avais
trop envie. De la voir. D’échanger quelques mots avec elle. De la
sentir à mes côtés.
– Toi !
Un
sourire de surprise ravi.
– Moi,
oui ! Tu me manquais trop…
Qui
s’est épanoui au large.
Et
presque aussitôt estompé.
– Si
tu veux déjeuner, c’est trop tard. Ils vont jamais vouloir aux
cuisines.
Je
me fichais pas mal de déjeuner.
– Je
veux juste passer un peu de temps avec toi.
Le
sourire est revenu. Plus lumineux encore.
– Alors
je finis mon service… J’en ai pas pour longtemps. Et je te
retrouve sur le petit chemin derrière le parking. Tu vois où ?
Je
voyais, oui.
On
s’est enfoncés dans le petit bois.
– Je
suis contente que tu sois venu. Très. Parce que…
– Parce
que ?
Elle
a marqué un long temps d’arrêt.
– J’avais
peur que tu veuilles plus me voir.
– Et
puis quoi encore !
Elle
m’a jeté un petit regard de côté.
– Tu
me juges pas trop mal ?
– Il
y a aucune espèce de raison.
– Oh,
si ! Si ! Il y a ce que je t’ai dit l’autre nuit. Et
puis ce qu’il y a eu avant dans la chambre.
J’ai
haussé les épaules.
– N’importe
quoi ! Non, mais alors là, c’est vraiment du grand n’importe
quoi…
– T’es
sûr ? Tu me méprises pas ? Tu me trouves pas vicieuse ?
– Non,
mais c’est quoi, ces idées que t’es allée te fourrer dans la
tête ?
– Ça
me fait honte, des fois, tu sais, toutes ces envies que j’ai. Que
je peux pas m’empêcher d’avoir. Je me dis que je suis pas
normale d’autant aimer ça voir des hommes entre eux. Bien plus que
n’importe quoi d’autre.
Je
lui ai pris la main. Elle a entrecroisé ses doigts avec les miens.
– Merci.
Merci que je puisse parler comme ça avec toi. Te dire plein de
choses que j’ai jamais dites à personne.
Elle
a hésité.
– Les
autres non plus, Benjamin, Camille, ils me jugent pas mal, tu crois ?
– Ça
y est ! V’là que ça la reprend…
– Mais
non, mais…
– Mais
si ! Arrête de te faire des nœuds à la tête là-dessus,
comme ça, sans arrêt.
– C’est
que…
– C’est
qu’il y a tellement longtemps que c’est ton secret… Un secret
que, pendant des années, tu as eu la terreur de voir découvert,
persuadée que tu passerais alors pour la dernière des dernières.
Une perverse. Une anormale.
Elle
m’a serré très fort la main.
– Qu’aujourd’hui
que tu pourrais vivre tes aspirations en toute sérénité, avec des
gens qui les partagent, eh bien non, tes appréhensions sont toujours
là, bien calées, au risque de te gâcher ton plaisir.
– Tu
comprends tout. C’est fou, ça !
– On
ne te juge pas mal, Eugénie. Au contraire. On aime tes regards sur
nous. Et on aime que tu aimes nous regarder. Beaucoup.
On
s’est arrêtés. On s’est tus. Je me suis penché vers elle, vers
ses lèvres qu’elle m’a abandonnées.
31-
Alyssia
s’est montrée péremptoire.
– Oh,
là ! Vous allez coucher tous les deux. Il y en a pas pour
longtemps.
– Je
sais pas. Je crois pas, non.
– Alors
là, je suis bien tranquille. Oh, mais je te fais pas de reproches,
hein ! Je serais vraiment très mal placée pour. Et puis, de
toute façon, c’est ce qui peut t’arriver de mieux. Depuis le
temps que je te le répète…
Elle
est sortie de la douche, s’est enveloppé la tête dans sa grande
serviette blanche.
– D’ailleurs,
à ce propos, faut que je te dise quelque chose. C’est
impressionnant ce que t’as changé ces derniers temps. Tu
t’affirmes. T’es plus sûr de toi. Beaucoup plus homme, pour
parler clair. Et ça, aussi bizarre que ça puisse paraître, c’est
depuis que tu fais des trucs avec des types. On dirait que ça t’a
dénoué quelque part. Donné le droit d’être toi-même. Alors
Eugénie, c’est sans doute la suite logique du processus. Son
aboutissement. Enfin ! C’est pas trop tôt.
– Et
peut-être que pour nous, maintenant, alors, du coup…
Elle
n’a pas répondu. Elle a posé un pied sur le tabouret, près du
lavabo, pour se couper les ongles.
– À
part ça, j’ai encore eu une longue conversation avec Benjamin ce
matin. Et j’ai joué cartes sur table.
– À
propos ?
– Ben,
des jumeaux, tiens ! Qu’est-ce tu veux d’autre ? Il l’a
pas mal pris du tout. Au contraire. Et alors, du coup, je te passe
les détails, mais tu sais ce qu’on a décidé ? C’est que
j’allais prendre une chambre avec eux, là-bas, au Petit Castel et
qu’à vous, Benjamin, Camille et toi, Eugénie donnerait celle d’à
côté. T’as rien contre ?
– Oh,
que non !
– Par
contre, va falloir la jouer fine. Faire hyper attention de pas se
couper. Surtout au restaurant, en bas. On ne se connaît pas. On
s’ignore. Non, parce qu’ils prendraient vraiment ça très mal,
les deux autres…
Quand
Camille est arrivée, on était déjà depuis un bon moment à table,
Alyssia et les jumeaux tout au fond, près de la cheminée et moi
tout seul à côté du grand buffet en chêne.
– Benjamin
est pas avec toi ?
– Non.
Il m’a déposé devant la porte et il est reparti. En catastrophe.
Son père vient d’avoir une attaque.
Elle
m’a effleuré les lèvres.
– Il
est désolé, mais il tient absolument à ce qu’on ne change
rigoureusement rien à ce qu’était prévu. Ça t’ennuie pas au
moins ?
– Oh,
mais pas du tout, non.
– On
va pouvoir se consacrer exclusivement l’un à l’autre, comme ça.
Eugénie
nous a apporté nos assiettes.
– Sous
le regard attentif de cette charmante jeune personne.
Qui
nous a gratifiés de son plus charmant sourire.
Quand
elle est arrivée dans la chambre, on était étendus tous les deux
sur le lit. Nus.
– Trop
tard, ma pauvre !
– Oui.
On n’a pas réussi à résister. On a bien essayé, mais ça
pressait trop.
– Et
ça va plus être possible maintenant. Parce qu’on s’est donnés
à fond. On est sur les rotules.
– Alors,
le mieux, c’est encore que t’ailles te coucher.
Sa
mine désolée nous a fait éclater de rire.
– Mais
non, idiote ! On t’a attendue.
– Par
contre, à côté, ça fait un bon petit moment déjà qu’ils sont
entrés dans le vif du sujet. Tiens, qu’est-ce que je disais !
Alyssia
gémissait en sourdine. On l’a écoutée prendre son envol.
– Oh,
c’est bon ! Non, mais c’est bon ! Qu’est-ce que c’est
bon !
S’apaiser.
En mots murmurés doux inaudibles. Retomber.
– Bon,
mais c’est pas tout ça ! Et nous ?
J’ai
proposé qu’Eugénie prenne la direction des opérations.
– Moi ?
– Ben
oui, toi ! Pas le roi de Prusse.
Elle
nous a regardés, perplexe, l’un après l’autre. Et puis elle
s’est brusquement décidée. Elle est allée chercher deux
serviettes dans la salle de bains dont elle nous a, après nous avoir
fait lever, bandé les yeux. À l’un comme à l’autre,
Il
s’est passé un long moment avant que sa main ne vienne se poser,
toute chaude, sur mon ventre, n’y chemine, ne se dirige résolument
vers ma queue, ne s’en saisisse.
Un
frottement doux, soyeux. Elle nous avait mis bout à bout. Elle me
caressait avec lui. Elle le caressait avec moi.
– Vous
êtes tout durs.
Camille
a envoyé promener la serviette de bains.
– Et
merde ! Je veux voir.
Moi
aussi.
Penchée
sur nous, l’air absorbé, elle a continué à nous frotter
voluptueusement l’un contre l’autre.
C’est
Camille qui a joui le premier. En grande partie sur ma queue. Et puis
moi. Sur la sienne. Et sur ses couilles.
Eugénie
a relevé la tête, nous a lancé un regard enfiévré, s’est
agenouillée et a léché. Tout. jusqu’au bout. Tandis que nos
mains se perdaient dans ses cheveux.
Ce
sont les trilles de plaisir d’Alyssia qui m’ont réveillé.
Eugénie
était couchée à mes côtés. Elle a ri.
– Ça
donne à côté, hein, dis donc !
– Elle
est où, Camille ?
– Partie.
Elle a reçu un SMS dans la nuit. Elle s’est habillée et elle a
filé. Dommage d’ailleurs. Parce que j’avais bien ma petite idée
pour demain matin.
– Qui
était ?
– Tu
préfèrerais quoi, toi ? Que ce soit elle qui vienne en toi ou
le contraire ?
– Je
sais pas. Je…
– Ça
peut aussi être les deux. À tour de rôle.
– T’es
pleine d’idées, toi, dis donc, quand tu veux !
– Oh,
là, si tu savais !
– T’as
aimé hier soir ?
– Tu
parles si j’ai aimé ! Depuis le temps que ça me trottait
dans la tête un truc comme ça…
– Mais
t’as pas pris ton plaisir…
– Si !
Un plaisir de l’intérieur. C’est les meilleurs. N’empêche…
je me répète, mais qu’est-ce que je suis contente de vous avoir
rencontrés.
Elle
m’a posé la main en bas. Je suis allé lui chercher un sein sous
le tee-shirt. J’en ai agacé la pointe. On s’est longuement
caressés. Le cou. Les fesses. Son bouton. Ma queue. Nos lèvres se
sont cherchées. Trouvées. Nos langues se sont enlacées. Elle a
refermé ses jambes autour des miennes, promené ses ongles tout au
long de mon dos.
– Viens !
Oh, viens !
Elle
s’est éperdue. En longs hululements échevelés. Qui se sont
estompés, ont repris vigueur, ont longuement roulé.
– Reste !
Reste-moi dedans !
Elle
a attiré ma tête contre la sienne. Joue contre joue.
– Je
suis bien. Tellement !
Et
elle s’est endormie.
32-
– Alyssia !
– Quoi ?
– Tu
te lèves pas ? Tu vas être en retard.
– Quel
jour on est ?
– Jeudi.
– Oh,
putain, oui ! C’est vrai qu’on est en semaine. C’est pour
ça qu’ils sont partis, les jumeaux. Ils bossent.
– Et
nous aussi ! Normalement…
– Ils
m’ont pas lâchée. Toute la nuit j’y ai eu droit.
– J’ai
entendu ça, oui.
– Oh,
ben, de ton côté, c’était pas mal non plus. T’en as fait quoi,
d’ailleurs, d’Eugénie ?
– Elle
avait les petits déjeuners à s’occuper.
– Je
t’avais dit que ça allait pas tarder avec elle. Je te l’avais
pas dit ? Et, apparemment, ça s’est plutôt bien passé. En
plus ! Non ?
– Elle
est adorable.
– Et
ça aussi, je te l’avais dit…
– Quoi
donc ?
– Que
t’es amoureux d’elle.
– Cette
fois, tu vas être en retard, c’est sûr.
– J’y
vais pas. Je suis pas en état. Toi non plus, d’ailleurs, t’as de
ces valises sous les yeux.
– On
reste là alors ?
– Ou
on va passer la journée quelque part ? Tous les deux ?
Rien que nous deux ?
Ce
fut, une nouvelle fois, Rocamadour.
– Comme
le jour où…
On y
est arrivés sur le coup de midi
– On
déjeune là-bas ?
– Bien
sûr.
La
terrasse sous les tilleuls.
On a
éteint nos portables.
– Qu’on
soit tranquilles.
On a
étudié la carte.
– Je
sais ce que tu vas prendre…
– Moi
aussi…
Émincés
de foie gras et magrets de canard. Évidemment… Ça s’imposait.
On
s’est souri. On s’est pris la main par-dessus la table.
– On
peut bien dire ce qu’on veut, mais nous, ce sera toujours nous.
– Et
de plus en plus.
– Surtout
maintenant que…
Elle
n’a pas achevé sa phrase.
Elle
nous a voulu une petite sieste.
– Fais-moi
l’amour ! Tout doux. Tout tendre.
– Vos
désirs sont des ordres, chère Madame.
Mes
doigts sur ses joues. Sur ses lèvres. Mes yeux dans les siens. On a
fait durer. Longtemps. Et son plaisir l’a transpercée. Véhément.
Débondé.
Elle
est restée dans mes bras.
– C’est
la première fois…
Les
larmes lui sont montées aux yeux.
– C’est
la première fois que j’en ai avec toi. Jamais, avant…
Elle
s’est blottie contre moi.
– Si
tu savais ce que j’en ai rêvé de ce moment-là…
On a
passé le reste de l’après-midi à remettre nos pas dans nos pas.
Main dans la main. À profiter du soleil. De la beauté des lieux. De
nous.
Le
château. Le sanctuaire. Puis la forêt des singes. On a erré au
milieu d’eux. On leur a distribué des pop-corns. On s’est assis
sur un banc et on les a regardés jouer, grimper aux arbres, en
redescendre, se chamailler tant et plus.
– Et
maintenant ?
– Eh
bien ?
– On
va faire quoi pour les autres, là ?
– Rien.
Rien de spécial. Il y a rien de changé. Si ?
– Non.
À part nous. Mais ça, ça ne regarde que nous.
– Exactement.
– On
a été bien contents de les trouver. On va pas s’en débarrasser,
comme ça, du jour au lendemain, sous prétexte qu’on n’a plus
besoin d’eux.
– D’autant
que c’est complètement faux. Ils peuvent encore nous apporter
beaucoup. Énormément.
– Et
nous à eux.
On
s’est tendu les lèvres.
Le
lendemain, au réveil, on a rallumé nos portables.
– J’ai
un message de Benjamin.
– Et
moi, d’Eugénie.