mardi 23 octobre 2018

Alyssia, ma femme


ALYSSIA, MA FEMME


1-


– Faut que je te parle, Alex. Faut vraiment que je te parle.
– Eh bien, je t’écoute…
Elle a éteint la télé, est venue s’asseoir, sur le canapé, à mes côtés, s’est éclairci la gorge.
– Tu sais que je t’aime. Que je tiens énormément à toi. Tu es quelqu’un avec qui il fait bon vivre. Partager le quotidien.
– Mais ?
– Mais… Oh, la la ! C’est vraiment pas facile.
– Jette-toi à l’eau !
– J’ai rien à te reprocher. Absolument rien. Sauf… que je m’éclate pas au lit avec toi. Que je me suis jamais vraiment éclatée.
– C’est pourtant pas l’impression que tu donnes.
– Je sais, oui. J’ai eu tort. J’aurais pas dû. Mais tu as tellement de qualités par ailleurs. Je voulais pas te faire de peine. Risquer de te perdre. Alors j’ai fait comme si. Et puis… ça avait pas tellement d’importance jusque là tout ça pour moi. C’était pas l’essentiel.
– Mais ça a fini par le devenir.
– Dans un sens, oui. Pas l’essentiel, non. Mais quelque chose d’important. Très.
– Et donc ?
– Ben, donc… Il y a eu quelqu’un.
– Il y a eu ou il y a ?
– Il y a… Il y a encore. Depuis quatre mois ça dure.
– Ah, quand même !
– J’ai cru que ce serait juste une passade comme ça. Mais non. Faut bien que je me rende à l’évidence. Non.
– Et tu veux qu’on se sépare…
– Oh, non. Non. J’ai pas dit ça. Je pourrais pas vivre sans toi.
– Et tu peux pas te passer de l’autre non plus. C’est bien ça ?
– Il y a des semaines et des semaines que je tourne en rond. Sans savoir ce que je peux faire. Ce que je dois faire. Plus ça va et moins j’y vois clair. Je suis complètement dans le brouillard.
– En somme, si je comprends bien, ce que tu attends de moi, c’est que je prenne une décision à ta place…
– C’est pas vraiment ça, non.
– Mais ça revient à ça.
– Je sais pas. Je sais plus. Je suis complètement perdue.

– Bon. Alors reprenons. Tout. Depuis le début. C’est qui ce type ? Je le connais ?
– Oh, non ! Non. Sur un forum je l’ai rencontré.
– Où tu t’es inscrite exprès pour ça.
– Je t’ai dit, Alex. J’ai trente-six ans. Et si je m’éclate pas maintenant
– Vous vous rencontrez quand ?
– Il y a pas de cours de gym le mercredi soir. Ou du moins j’y vais pas. Ni de sorties avec Coralie le samedi…
– Je vois. Il est marié ?
– Oui.
– Et de son côté, avec sa femme, c’est pas ça qu’est ça non plus.
– C’est le moins qu’on puisse dire…
– Et vous n’envisagez pas
– De ? Vivre ensemble ? Oui, ben alors là, sûrement pas ! Je t’ai dit : il a jamais été question de ça. Et quand bien même il voudrait, c’est moi qui voudrais pas. Je me fais pas d’illusions. Le quotidien, avec lui, serait complètement insupportable.
– En somme, c’est purement sexuel.
– Voilà, oui.
– Et si tu essayais de m’expliquer ce qui va pas, chez moi, de ce côté-là. C’est quoi ? Je m’y prends mal ?
– C’est pas ça, non.
– C’est quoi alors ?
– C’est… Tu vas te vexer.
– Je te jure que non.
– C’est tout un ensemble. C’est tout toi. Je me sens pas femme avec toi. Tu es gentil. Tu es doux, attentionné, caressant. J’apprécie. La plupart du temps, j’apprécie. Si, c’est vrai, tu sais. Seulement il y a quelque chose qui manque. Il y a des moments où j’ai besoin de me sentir femelle… Complètement femelle. Résolument femelle. Et ça, c’est pas une question de technique. Ou de bonne volonté. Ou de quoi que ce soit d’autre. Il peut bien faire tout ce qu’il veut, le type. Il en est pas maître. Ça se commande pas. C’est en lui. Ou ça l’est pas. Tu comprends ?
– Oh, que oui ! On pourrait difficilement être plus clair.
– T’es pas fâché ?
– Je suis pas fâché, non. Bien sûr que non.

– Tu dors pas ?
– Non. Je réfléchis.
– À quoi ?
– À tout à l’heure. À ce que tu m’as dit.
– Et alors ?
– Et alors… Pourquoi tu m’en parles maintenant de tout ça ? T’étais pas obligée. Je me doutais de rien. Tu jouais sur du velours. Ça aurait pu continuer comme ça pendant des mois et des mois. Sans que je m’en aperçoive. Alors pourquoi ?
– J’étais trop mal. Toujours mentir. Être fausse. Il arrive un moment où c’est insupportable. Où il faut absolument crever l’abcès. Quoi qu’il arrive. Quoi qu’il doive se passer.
– Oui, oh ! Tu prenais pas de gros risques. Tu savais très bien que, de toute façon, je ne te quitterais pas. Que j’en suis totalement incapable. Je tiens beaucoup trop à toi. Tu savais aussi qu’en me présentant les choses comme tu me les as présentées – en pointant du doigt mes insuffisances – je n’aurais pas d’autre solution, une fois au courant, que de te laisser le champ libre. Tu gagnais sur les deux tableaux : tu te déculpabilisais et tu avais les coudées franches pour aller le retrouver toutes les fois que l’envie t’en prendrait. Non, c’est pas ça ?
– Je sais pas, Alex. Peut-être un peu, si.
– Vis ce que t’as à vivre, Alyssia. Vis-le pleinement. Sans t’encombrer d’interrogations et de scrupules superflus. Plus tu te sentiras épanouie, comblée, heureuse et plus je le serai, moi aussi, par ricochet, de mon côté. Tu comprends ?
Elle s’est blottie contre moi dans l’obscurité…
– Tu es quelqu’un d’exceptionnel, Alex. Si, c’est vrai, tu sais…



2-




Le samedi, elle s’est enfermée dans la salle de bains, dont elle est ressortie, près de deux heures plus tard, plus belle et désirable que jamais.
– Bon, ben j’y vais.
– À tout à l’heure.
– Je crois pas, non. Parce que c’est samedi. Et qu’on n’a encore jamais eu une nuit entière à nous deux, lui et moi. Jamais. Tu comprends ?
– File !
– Tu vas faire quoi, toi ?
– T’occupe ! File, j’te dis. Il va t’attendre.

J’ai ressorti nos photos. Celles du tout début. Arcachon. Quand ses cheveux lui tombaient encore sur les épaules. Qu’elle en était si fière. Qu’on passait des heures et des heures à arpenter la plage. Qu’on se faisait des orgies de moules et de coquillages.
D’autres. Notre installation dans le petit deux pièces du Vésinet. Un fichu rouge sur la tête, elle brandit un énorme pinceau face à l’objectif, hilare.
D’autres encore. Les Alpes de Haute-Provence. Notre période marche à pied. Levés aux aurores, on arpentait inlassablement tous les sentiers de la région. On s’endormait, le soir, épuisés, l’un contre l’autre.
L’Italie. Rome. L’Ardèche. Les châteaux de Louis II de Bavière. Des moments de bonheur partagé. De complicité inouïe.

J’ai dîné. Seul. Ils faisaient quoi, eux ? Ils étaient où ? Au restaurant, forcément. Ils mangeaient quoi ? Des ris de veau ? Oui, sûrement. Elle adorait ça. Et ils parlaient de quoi ? Est-ce qu’il lui tenait la main par-dessus la table ? Est-ce qu’ils allaient monter directement dans la chambre aussitôt leur dessert avalé ? Ou bien préférer s’offrir d’abord une petite promenade amoureuse, tendrement enlacés, dans la douceur du soir ?
Et là-haut ? Ils allaient l’assouvir comment leur désir ? Avec impatience ? Avec impétuosité ? Se jetant sur le lit comme des meurt-de-faim, à peine la porte refermée. Ou bien, au contraire, allaient-ils prendre tout leur temps ? Le cultiver ? Le porter à incandescence ? En retarder au maximum la délivrance ?
Des images s’esquissaient, prenaient forme, s’installaient. S’évaporaient. D’autres les remplaçaient, s’imposaient, disparaissaient à leur tour.
Quand je me suis réveillé, le lendemain matin, j’étais sur le canapé et il était dix heures.

Elle est rentrée en toute fin d’après-midi, m’a rapidement effleuré les lèvres, s’est engouffrée dans la salle de bains.
– J’arrive ! J’en ai pour deux minutes.
Elle en est presque aussitôt ressortie, nue, la mine défaite, une main posée à la base du cou.
– Mon médaillon, Alex ! Je l’ai perdu.
– Tu vas le retrouver.
– Il se sera détaché. Sans que je m’en aperçoive. Le médaillon de ma grand-mère ! J’y tiens comme à la prunelle de mes yeux. Si je le retrouve pas… Alors là, si je le retrouve pas…
– Tu l’auras posé quelque part.
– Ah, mais oui ! Oui. Ça me revient maintenant. Sur la margelle du lavabo. On faisait les fous avec Benjamin. J’ai eu peur de l’abîmer et je l’ai enlevé. Pourvu que personne me l’ait chouré. J’appelle. AllôLe petit castel ? Oui, bonjour. Alyssia Jamier. J’étais chez vous cette nuit. Chambre 122. Vous voyez ? Oui… J’ai égaré un bijou auquel je tiens beaucoup et je me demandais si par hasard… Ah, vous l’avez ! Non, non. Vous me le gardez. On revient ce week-end. Ça attendra bien jusque là. Merci. Vous aussi. À samedi. Ils l’ont. Je t’ai passé une de ces peurs, moi !

Elle est venue s’asseoir à mes côtés. A posé sa tête sur mon épaule, sa main sur ma cuisse. Est remontée. Plus haut.
– Tu veux ? T’as envie ?
Je l’ai doucement repoussée.
– Laisse tomber, va…
– Ah, mais non ! J’en étais sûre que t’allais réagir comme ça. Mais non ! Il y a pas de raison. C’est pas parce que moi… T’as le droit, toi aussi. Manquerait plus que ça !
Encore plus haut.
– Tu vois bien que t’as envie ! Tu bandes. Et pas qu’un peu ! Chuuut… Allez, laisse-moi faire…
En caresses douces. Enveloppantes.
– C’est pas parce que j’ai pas de plaisir avec toi que j’ai pas envie de t’en donner. Surtout maintenant. Allez, viens, va ! Et t’occupe pas de moi ! Que de toi. Juste de toi.
Elle m’a attiré contre elle. A résolument enfoui ma queue dans sa chatte, refermé les jambes, posé ses mains sur mes fesses.
C’est venu tout de suite. Sans que j’aie seulement pu esquisser quelques mouvements de va-et-vient.
Elle a ri.
– Eh, ben dis donc ! Tu vois bien qu’il fallait. Et puis maintenant que les choses ont le mérite d’être claires… Qu’est-ce qu’il y a ? T’en tires une tronche !
– En somme, tu me fais la charité, quoi !
– Tout de suite les grands mots. Je te fais pas la charité, Alex, non ! Ce qui m’était insupportable, ces derniers temps, c’était de simuler. De faire semblant d’éprouver ce que j’étais à cent mille lieues de ressentir. Mais dès l’instant où je ne m’y sens plus obligée et où je trouve pleinement ma satisfaction par ailleurs, je vois vraiment pas pourquoi je te mettrais au régime sec. À moins que toi, de ton côté, tu n’aies plus le moindre semblant de désir pour moi.
– Tu sais bien que non.
– Eh bien alors ! Il est où le problème ?
– Ça fait combien de temps ?
– Combien de temps que quoi ? Que ça m’est insupportable de jouer la comédie ? Depuis que je sais ce que c’est qu’un orgasme. Ce qui est tout récent. Grâce à Benjamin. Avant, je me posais pas de questions. Faire l’amour avec toi, c’était pas vraiment désagréable. C’était pas non plus vraiment agréable. Même si, quelquefois, j’approchais vaguement de quelque chose. Je te donnais pourtant l’impression de prendre mon pied ? Ben oui. Oui. Ça avait l’air de te faire tellement plaisir que je prenne des airs extasiés. Ça me coûtait pas grand-chose. Ça me coûtait rien. Et ça me permettait de me voiler la face. Mais dès l’instant où j’ai su… Tu peux pas imaginer quel humiliant calvaire ces dernières semaines ont été pour moi et quel soulagement j’ai éprouvé à pouvoir vider enfin mon sac. Ce dont je te sais infiniment gré. Il y a peu de types, je crois, capables de rendre de tels aveux possibles.
– Ce qui ne change pas grand-chose au problème de fond. À savoir que je me suis toujours montré incapable de te procurer du plaisir.
– T’as aucune espèce de raison de culpabiliser là-dessus. Je suis au moins autant responsable que toi de cette situation. Sinon plus. Parce que, quand on s’est rencontrés tous les deux, j’osais pas être femme moi non plus. Je m’en donnais pas le droit. Alors tomber sur quelqu’un comme toi, qui n’était pas vraiment homme, ça m’arrangeait plutôt. Ça m’entretenait dans l’illusion. Mais si j’étais femme ! Bien sûr que je l’étais ! Puisque j’étais en couple ! Puisque j’avais un mari avec qui je partageais mes nuits. Puisque c’est comme ça que tout le monde nous voyait… En réalité, j’étais à cent mille lieues de moi-même. Et à cent mille lieues de m’en douter. Il aura fallu…
– Benjamin.
– Benjamin, oui.



3-


Les Pages Jaunes. Les hôtels. Dans un rayon de trente kilomètres. Puis de cinquante. « Le petit Castel » Voilà.
J’ai pris ma matinée.
C’était donc là. Une coquette petite auberge dans un parc aux arbres centenaires. Un couple déjeunait sous la glycine. La femme m’a souri. Je me suis installé à la table voisine de la leur, me suis fait apporter un café-crème et des croissants que j’ai tranquillement dégustés, la tête levée vers la rangée des fenêtres là-haut.
À la réception j’ai attendu un long moment. Fini par sonner.
– Monsieur ?
– Une chambre pour samedi soir, ce serait possible ?
– Mais certainement ! En façade ou sur l’arrière ?
– J’aurais souhaité, si elle est libre, la 123.
– Elle l’est…
– C’est parfait. Je la prends.

Elle se coupait les ongles des orteils, dans la salle de bains, un pied posé sur le tabouret, la joue appuyée sur le genou.
– Et pour les Vacances cet été ?
– Eh bien ?
– On va toujours à Vienne ?
– Évidemment qu’on va toujours à Vienne. Pourquoi on n’irait plus ?
– T’aurais pu changer d’avis.
– Et envisager quelque chose avec Benjamin ? C’est ça ? Oui, alors là, je te rassure tout de suite. D’abord, je te rappelle qu’il est marié. Il a une une femme, deux enfants et nullement l’intention de mettre le bazar dans sa vie. Et quand bien même il réussirait, par extraordinaire, à se libérer, c’est vraiment pas le genre de personne avec qui il me viendrait à l’idée d’aller faire les musées, les expos ou de m’adonner à quelque activité culturelle que ce soit. C’est le genre de choses qui l’emmerde prodigieusement. Or moi, je peux pas envisager les vacances sans ça. Et ça, ça peut être qu’avec toi. Et personne d’autre…

Dans l’ignorance de ce qu’allait être au juste leur programme, je me suis pointé là-bas le plus tôt possible. Quatorze heures. Dans une voiture – discrétion oblige – tout spécialement louée pour la circonstance. Je suis monté. Chambre 123. Et j’ai attendu. J’ai lu. J’ai surfé sur Internet. J’ai sursauté chaque fois que des pas s’aventuraient dans le couloir.
Dix-huit heures. Sa voix. Son rire. Qui se sont rapprochés.
– Oui, ben alors là, t’as qu’à y croire ! Je vais te mettre sur les rotules, oui !
La clef dans la serrure. Le silence. Ils se sont abattus, presque aussitôt, sur le lit. S’y sont ébattus.
– J’ai trop envie, Benjie ! Oh, comment j’ai trop envie…
En ont fait furieusement hurler les ressorts. Elle s’est envolée. À grandes déferlantes éperdues. Reconnaissantes.
– Oh, Benjie ! Oh, Benjie ! Oh, Benjie ! Oh, Benjie !
Ça s’est apaisé. C’est retombé. Il y a eu des baisers claqués. Des murmures. Encore une plage de silence. Qu’il a rompue.
– Et tout à l’heure…
– Eh bien ?
– Je te prends à quatre pattes sur la moquette, le cul en l’air. J’adore quand tes petites fesses se trémoussent en implorant la queue.
Des chuchotements. Son rire. Haut perché.
– Non, Benjie ! Non ! Je suis chatouilleuse.
– Ben, justement ! Raison de plus !
Une course folle à travers la chambre. Qui s’est achevée dans la salle de bains. Dont la porte a claqué. Des ruissellements d’eau lointains. Leurs voix étouffées.
Il est revenu. Seul. Les pages d’un journal qu’on déplie.
Et puis elle.
– Tu es ravissante. Absolument ravissante.
Ils ont quitté la chambre.

Quand ils l’ont regagnée, il était près de minuit.
– Et qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?
– Tu vas me…
– Dis-le !
– Me faire l’amour.
– Mieux que ça.
– Me baiser.
– Encore mieux.
– Me tringler.
– Te tringler, oui. Te sauter. T’enfiler. Ça t’excite les mots cochons, hein ?
– Oui. Et puis l’idée.
– Quelle idée ?
– Que tu vas me prendre en levrette. Et décharger bien à fond en moi.
– Mais avant ? Qu’est-ce que je vais faire avant ?
– Tu vas… Tu vas… Me reluquer toute la panoplie. Sans que je puisse te voir faire.
– Bien exposée. Bien baillante. Ça t’excite, ça, hein ? T’es déjà toute trempée, je suis sûr. Fais voir. Oh, là là, oui ! C’est carrément les grandes marées, dis donc. Allez, en position, ma chérie ! Là ! Penche-toi ! Encore ! Bien en l’air, ton petit cul. Comme ça, oui ! Quel délicieux spectacle !
Un long silence. Et puis elle a grogné. Un interminable grognement rauque.
– C’est bon, hein, la queue qui flâne, comme ça, à l’entrée…
– Tu me rends folle, Benjie ! Viens ! Viens ! Mets-moi ta bite !
– Pas encore ! Dandine-toi bien ! Tortille-le bien ton petit derrière ! J’adore.
– Je t’en supplie ! Maintenant ! Viens ! Rentre !
Et elle a déferlé. Hoqueté. Rugi. Sans la moindre retenue.

Ils ont remis ça au matin. Plus retenu. Plus apaisé. En plaintes douces longuement étirées.
Avant de descendre déjeuner en bas, dans le soleil, sur la terrasse. Il me faisait face. Un grand brun respirant la force et la tranquillité. Qui la couvait d’un regard enjôleur.
Dissimulé par le rideau, je les ai regardés regagner la voiture, étroitement enlacés. S’y engouffrer. S’éloigner.

Ils n’avaient pas refermé la porte de leur chambre à clef. Je m’y suis discrètement introduit. Le lit était ouvert. J’ai lentement passé une main sur les draps froissés, enfoui ma tête dans les oreillers encore tout imprégnés de son parfum. J’ai cherché en vain, sur la moquette, l’emplacement de leurs ébats, opéré une rapide incursion dans la salle de bains.
Et j’ai quitté les lieux. J’ai erré, au hasard, dans les environs. Je ne me sentais pas le cœur de rentrer dans la maison vide. J’ai déjeuné, à midi, dans un petit restaurant minable. Échoué dans un cinéma de quartier. Tenté désespérément de m’intéresser au film. Traîné encore longuement mon ennui au long de rues désertes. À sept heures, je me suis lentement rapatrié. Elle devait être rentrée maintenant.
Elle ne l’était pas. Je l’ai attendue. Ai fini par me coucher. Vaguement m’assoupir.
Son pas, léger, dans la nuit. Elle s’est glissée à mes côtés dans le lit, s’est pelotonnée contre moi.



4-


Le week-end suivant, elle nous l’a voulu à nous. Rien qu’à nous. Tous les deux.
– Hein ? Ça te dit ?
Bien sûr que ça me disait. Évidemment.
– Et on va où tu veux. C’est toi qui choisis.
J’ai opté, sans hésiter, pour le Périgord. L’inépuisable Périgord. Tant pour la beauté de ses paysages, la qualité de son patrimoine historique que pour sa gastronomie.
– Eh bien, va pour le Périgord !
Elle était enchantée.
On est partis dès le vendredi soir. Et on a décidé en cours de route, d’un commun accord, de passer la nuit à Rocamadour. On y a dîné dehors, sous les tilleuls. D’émincés de foie gras et de magrets de canard. Avec vue sur la vallée.
– Qu’est-ce que c’est beau ! Qu’est-ce qu’on est bien !
Elle m’a pris la main par dessus la table.
– Ça va peut-être te paraître bizarre, mais je me suis jamais sentie aussi bien avec toi que depuis… depuis tout ça. Ça nous a rapprochés finalement. Non, tu trouves pas ?
– Peut-être un peu, si !
– Oh, si, si ! Jamais je m’étais sentie aussi à l’aise en moi. Jamais. J’y respire. J’y prends mes aises. Et je te le dois. Au moins en partie. Parce qu’à aucun moment tu n’as essayé de me rogner les ailes. De me rabougrir. Au contraire. Tu peux pas savoir quelle importance ça a pour moi. Et je t’en serai toujours infiniment reconnaissante.
On a regagné la chambre. On s’est couchés.
– T’as envie ?
Je n’ai pas répondu. Je me suis pressé contre elle, mon désir bien calé contre sa hanche. Elle s’en est emparée, m’a mis le gland à nu, l’a savamment lissé, du bout du pouce.
– Viens !
Sur elle. En elle.
Et je suis lentement, très lentement, parti à la conquête de mon plaisir. Elle m’a laissé faire. Sans un mot. Sans un geste. Sans me quitter un seul instant des yeux. J’ai grondé ma jouissance et j’ai enfoui ma tête dans son cou. Elle me l’a doucement caressée.
– C’était bon, hein !
Ça l’était, oui.
– Pour moi aussi. De te donner du plaisir. De te sentir l’avoir. Sans être parasitée par toutes sortes de préoccupations parallèles. Comme je l’étais avant. Ah, que c’est bon de ne plus avoir à faire semblant !
Elle m’a ébouriffé les cheveux.
– Mais il y a sûrement pas grand monde qui pourrait comprendre un truc pareil.

On a déjeuné en bas, sur la terrasse. De grandes tartines beurrées, de croissants et de café chaud.
– Qu’est-ce qu’on va faire ?
J’ai proposé Carennac.
– Je m’en lasse pas.
Et elle Curemonte.
– Histoire de retourner, encore une fois, sur les pas de Colette.
Un SMS. Auquel elle a aussitôt répondu. Un autre. Un troisième.
– C’est lui ?
Elle m’a fait signe que oui. Oui.
– Il est très amoureux, hein ?
– Il a surtout très envie de moi.
– L’un n’empêche pas l’autre.
– Non. Bien sûr que non. Mais là, je crois vraiment pas.
– Et si tu me parlais un peu de lui ?
– De lui ?
– De lui, oui. Ça te gêne ?
– C’est pas que ça me gêne, non, c’est que… il y a pas grand chose à en dire. Il a mon âge. Un tout petit peu plus. Il est prof de gym. Passionné de formule 1. Sorti de là…
– Vous perdez pas tellement de temps à discuter. Vous avez mieux à faire.
– C’est, de toute façon, quelqu’un qui n’aime pas parler de lui. Qui n’aime pas parler d’une façon générale. Ce qui n’empêche pas…
– Ce qui n’empêche pas, oui. J’ai bien compris.

Ça n’a été ni Curemonte ni Carennac.
– On ira demain. Ou un autre jour. On a tout notre temps.
Mais Rocamadour. Uniquement Rocamadour. Son sanctuaire. Son château. Ses environs. La forêt des singes. On s’y est longuement promenés, main dans la main.
Sur le coup de six heures, on a regagné notre hôtel. On a dîné à la même table que la veille, sous les tilleuls.
– Mais quand même, on change de menu, non ?
Au dessert, je me suis bravement lancé.
– J’ai quelque chose à te dire.
– Chacun son tour en somme.
– Tu vas peut-être m’en vouloir. Sûrement même.
– Dis toujours…
– Je le connais, Benjamin.
– Comment ça, tu le connais ?
– Enfin, non. C’est pas vraiment que je le connais. C’est que je l’ai déjà vu.
– Où ça ?
– Au « Petit Castel », dimanche matin. Vous déjeuniez dehors tous les deux.
– Mais t’étais où ?
– Dans ma chambre. À la fenêtre.
– Je vois.
– C’était celle à côté de la vôtre.
– Oui, ben ça, je me doute. Et pourquoi t’as fait ça ?
– Pour essayer de savoir. De comprendre ce que tu peux bien ressentir quand tu jouis « pour de bon ».
– T’as pas dû être déçu du voyage.
– Tu m’en veux, hein !
– Dans un sens, oui. Bien sûr que je t’en veux. On n’accepte jamais de gaîté de cœur d’être espionné. Mais d’un autre côté, c’est tellement attendrissant. Un peu comme si tu avais voulu me donner du plaisir par procuration. Être avec moi quand je perds pied. Presque en moi.
– C’est exactement ça.

Dans le lit, elle s’est blottie contre mon dos, a enlacé ses jambes aux miennes.
– T’as tout suivi, alors, en fait. De A à Z.
– T’entends tout d’une chambre à l’autre dans cet hôtel. Comme si t’étais dans la pièce.
–  J’ai jamais fait vraiment attention.
– Ben, non. Forcément. T’as beaucoup mieux à faire. Et à dire… Tu te sers d’un langage très imagé, dis donc, quand ça te tient.
– Un langage auquel je ne t’ai pas habitué. Ça te choque ?
– Oh, non… Non… J’aime bien, au contraire. Je te découvre sous un jour complètement différent.
– Moi aussi. Il y a des mots dont je ne me serais jamais crue capable.
– Qui t’excitent. Et qui ne sont possibles qu’avec lui, pas avec moi.
– C’est parce que…
– Je sais, oui. Chut !
– Je peux te demander quelque chose ?
– Tout ce que tu veux.
– Tu t’es donné du plaisir en nous écoutant ?
– Non. J’étais beaucoup trop occupé à profiter bien à fond du tien. Ça me l’aurait parasité.
– Je t’adore.



5-


Le mercredi, elle m’a appelé. Sur le coup de midi.
– Alex ? Je voulais te dire… Ne m’attends pas ce soir. Benjamin a une opportunité. Alors on la saisit.
– Tu rentres plus tard ou tu rentres pas du tout ?
– Pas du tout. On va rester dormir là-bas.
– Au petit castel ?
– Au petit castel, oui. Pourquoi ?
– Non. Pour rien. Vous auriez pu avoir envie de changer.
– Ben, non, tu vois ! Dis-moi…
– Oui ?
– Toi, tu… ?
– Je, quoi ?
– Non. Rien. Rien.

Elle est arrivée toute seule. La première. En chantonnant. S’est aussitôt précipitée dans la salle de bains. Quand elle en est sortie, trois quarts d’heure plus tard, elle chantait toujours.
Il a presque aussitôt surgi. Un long silence. Et puis…
– Qu’est-ce t’avais de si important à me dire ?
– J’avais envie de te voir. Tellement.
– De me voir ou de te prendre un bon petit coup de queue ?
– Benjie…
– C’est pas ça, peut-être ?
– Aussi, oui, mais pas seulement.
– C’est loin vendredi. Alors pas question d’attendre jusque là. Il te fallait ta dose. De toute urgence. Seulement moi, je sais pas…
– Tu sais pas ? Tu sais pas quoi ?
– Si j’ai envie.
– J’m’en fous ! Je vais me servir sur la bête. Alors là !
– Pas touche.
– Oh, Benjie ! Laisse-moi la regarder au moins.
– Mais alors juste regarder.
– Promis.
Elle a ri. De son petit rire grêle haut perché.
– Elle pointe. Et pas qu’un peu. Elle pointe vers là où elle veut aller. Hein, ma chérie, que tu veux aller leur rendre visite aux petits replis d’amour d’Alyssia ? Ah, tu vois, tu opines du chef. Oui. Oui. Et encore oui. Tu demandes que ça. Bon, ben tu sais pas, le mieux ? On s’occupe pas de lui. C’est un rabat-joie. Un vrai bonnet de nuit. On fait notre petite affaire toutes les deux. En douce. Ni vu ni connu.
– T’as le droit de rêver.
– Toi, tu te tais. Elle fait ce qu’elle veut. Elle a pas de comptes à te rendre. Fiche-nous la paix. On cause. Qu’est-ce qu’on disait ? Ah, oui ! Il a pas forcément tort, remarque ! Parce que, pour être honnête, c’est surtout pour toi que je suis venue. Et même, faut bien l’avouer, que pour toi. Pour que tu me remplisses bien. Que je te sente bouger en moi. T’y répandre. Depuis dimanche je pense qu’à ça. À écarter les cuisses, à t’accueillir et à me refermer sur toi. Si tu savais ce que c’est bon, par moments, de n’être rien d’autre qu’une chatte qui se fait bourrer…
Elle s’est tue. Un long silence.
– Enfile-moi, Benjie ! Enfile-moi !
Elle a presque tout de suite gémi.
– Elle me rend folle, ta bite. Qu’elle est bonne ! Oh, qu’elle est bonne.
Son plaisir a déferlé. En grandes vagues indéfiniment ressuscitées.
Encore le silence. Des chuchotements. Un dernier feulement de satisfaction.
– Je suis repue. Et je crève de faim.
– Ça, ça devrait pouvoir s’arranger. Et sur le champ.

Elle en brûlait d’envie, mais, le lendemain, quand elle est rentrée, elle ne m’a pas posé tout de suite la question. Elle est d’abord allée cueillir du lilas au jardin. Elle a ensuite vérifié ses comptes, programmé un film, remisé au grenier un carton de vêtements d’hiver.
C’est à table qu’elle s’est lancée.
– J’aurais mieux fait de te demander hier.
– Me demander quoi ?
– Si tu serais là, dans la chambre, à côté. J’ai pas arrêté de me poser la question.
– Ce qui a pas eu l’air de bien te déranger.
– Donc, t’étais là. J’en étais sûre.
– Pour donner, ça a donné. Trois fois vous avez remis le couvert. Presque quatre.
– Oui, oh, ben ça, avec lui, n’importe comment, c’était couru d’avance. Il me met dans de ces états !
– Je vois ça. J’entends plutôt.
– Je suis désolée, mais…
– T’as pas à l’être. Tu l’es pas vraiment d’ailleurs.
– Ce qu’il y a surtout, c’est que ça m’émerveille. Ça arrête pas de m’émerveiller. Parce que c’est vraiment le genre de type dont j’étais persuadée, quand j’étais ado, qu’il n’était pas pour moi. Qu’il ne serait jamais pour moi. Que c’était pas la peine que je lève les yeux dessus. Il me regarderait même pas. Et c’était vrai : j’étais transparente. Mes copines, elles, du moins certaines d’entre elles, elles pouvaient tout se permettre. Viser haut. Très haut. Les plus beaux, les plus virils, quand elles avaient décidé de les avoir, elles les avaient. Et ça leur paraissait tout naturel. Qu’est-ce que je pouvais les envier ! Combien de fois j’ai rêvé que le Lionel de Serena, c’était moi qu’il serrait dans ses bras. Combien de fois, en imagination, je me suis fièrement affichée avec lui ! Dans les bars. Au cinéma. Partout. Et tant d’autres. Christophe, qui les avait toutes à ses pieds. Cyrille, qui était beau, mais beau ! Que c’était pas possible d’être beau comme ça. Qui s’est tapé pratiquement toutes les filles de Terminale C, mais pas moi. Moi, je n’existais pas. Je n’existais jamais pour les garçons. Du moins ceux qui comptaient. Sauf dans mes rêves.
– Tu as existé pour moi.
– Bien sûr ! Tu étais si gentil. Si prévenant. Si attentif au moindre de mes désirs. Comment ne pas s’en sentir profondément émue ? Valorisée ? Et puis, à toi j’avais droit. Tu étais accessible. Je ne l’ai jamais regretté. Seulement…
– Seulement c’est si fascinant l’inaccessible.
– Voilà, oui. Et j’ai continué à jouer. À essayer de me faire croire. Sur Internet. Tu ne t’en es jamais rendu compte. C’était mon jardin secret. Pendant des années et des années je me suis bercée d’illusions. C’est tellement facile, comme ça, de loin. Tout est possible. Du moment qu’on ne cherche pas à se confronter au réel. Ah, j’en ai séduit des hommes improbables ! Qui finissaient presque toujours, évidemment, par solliciter une rencontre « en vrai ». Je tergiversais. J’éludais. Je savais trop bien comment ça allait tourner. Et ils se lassaient. Les uns après les autres.
– Mais pas Benjamin.
– Pas Benjamin, non. Qui a insisté. Qui a fini par me convaincre, à force de patience, d’accepter un rendez-vous auquel je me suis rendue la peur au ventre. Battue d’avance. Mais… Mais ses yeux. Mais son désir. D’un homme comme lui ? Pour moi ? C’était impossible. Invraisemblable. Et pourtant, si ! Je n’en revenais pas. J’existais pour lui. Pour un homme comme lui. Il me faisait être celle que j’avais toujours voulu être. Celle que j’avais cru que je ne serais jamais. Et c’est chaque fois le même miracle. Ses yeux. Sa queue qui me veut. Qui m’exige. Moi ! Tu te rends compte ? Moi. Je n’en reviens pas. Je n’en reviendrai jamais.



6-


– AllôAlexandre Jamier ?
– Lui-même, oui.
– Bonjour… Séverine Marvaut à l’appareil. Mon nom ne vous dit sans doute rien, mais il faut absolument que je vous parle.
– C’est à quel sujet ?
– C’est personnel. Et important. On pourrait se retrouver quelque part ?
– Je déjeune à la Brasserie Antoine à midi. Vous voyez où c’est ?
– J’y serai.

C’était une petite femme brune, la quarantaine, au regard sombre, qui s’est emparée, d’autorité, de la chaise libre en face de moi. Et qui n’y est pas allée par quatre chemins.
– Mon mari me trompe.
– J’en suis désolé pour vous, mais je ne vois vraiment pas en quoi ça peut me concerner.
– En ce que j’ai tout lieu de penser qu’il me trompe avec votre femme.
– Ah !
– Excusez-moi d’être aussi abrupte, mais inutile de tourner autour du pot. Vous êtes cocu. Je suis cocue. Bon, ben voilà ! Vous ne dites rien ? Oui, vous accusez le coup, c’est normal. Moi aussi, au début. J’arrivais pas à y croire. C’était pas possible. Il m’a fallu une bonne semaine avant de pouvoir enfin regarder la réalité en face. Mais alors là ! Je l’aurais bouffé. J’étais prête à tout foutre en l’air. À le lui faire payer. Cher. Très cher. Heureusement que j’ai d’excellentes amies qui ont su me canaliser, me convaincre de laisser passer un peu de temps. De ne pas prendre de décision à chaud. Ça nous aurait avancés à quoi ? On se serait engueulés. Il se serait braqué. Moi, de mon côté, aussi. Ça aurait dégénéré. On se serait quittés. Séparés. Ce qui aurait été une monumentale connerie. Parce que je tiens à lui. Beaucoup plus encore que je ne l’imaginais. Et je suis bien décidée à me battre, bec et ongles, pour le garder. Et me battre pour le garder, ça veut dire, dans un premier temps, ne rien faire. Ne rien savoir. Ne pas faire de vagues. Parce qu’il va se passer quoi maintenant ? Ils vont vivre leur truc. Quelques semaines. Ou quelques mois. Le temps que leur désir s’émousse. Et moi, pendant ce temps-là, je vais tout faire pour que la vie à la maison soit la plus paisible et la plus harmonieuse possible. Pour que ce soit là qu’il ait envie d’être. Qu’il s’y sente bien. Pour que le jour où ça s’affadira entre eux, il y retrouve tout naturellement ses marques. Il n’y aura rien eu. Il ne se sera rien passé. Vous comprenez ?
– Oh, que oui ! Mais si…
– Ils tombent amoureux l’un de l’autre ? J’y ai pensé. Bien sûr que j’y ai pensé. C’est une éventualité qu’on ne peut pas écarter d’un revers de manche. Mais ça, j’aviserai, le moment venu. S’il arrive. Ce dont, connaissant Benjamin, je doute fortement. Il aime plaire. Il adore séduire. mais de là à s’attacher… Non. Ce sera un feu de paille. J’en ai l’absolue conviction. Voilà pourquoi je tenais tant à vous rencontrer. Le plus vite possible. Pour qu’en cas de découverte inopinée du pot-aux-roses, vous ne donniez pas, pris de court, un grand coup de pied dans la fourmilière qui provoquerait une onde de choc aux conséquences incalculables. Et catastrophiques.
– Ce n’est pas vraiment mon style.
– On ne sait jamais. La colère est parfois si mauvaise conseillère. Mais maintenant que vous êtes prévenu… Je peux compter sur vous ?
– Pour ? Ne pas provoquer de cataclysme ? Laisser sagement leur histoire s’étioler et mourir de sa belle mort ? Absolument.
– Parfait. Me voilà rassurée. Tenez ! Mon numéro de téléphone. Au bureau. On se tient au courant. Et, s’il survient quoi que ce soit qui change brusquement la donne, on s’alerte aussitôt. Toutes affaires cessantes.
Et elle est partie comme elle était venue.

– Jamais j’aurais dû t’en parler.
– Mais si !
– Je sais pas. T’as l’air toute préoccupée depuis. Presque soucieuse.
– Mais non ! C’est pas ça ! C’est que j’ai mis le nez dans les comptes et… Tu tiens absolument à aller en Autriche cet été ?
– Pourquoi ? On est dans le rouge ?
– Pas vraiment, non. Mais on est bien un peu ric-rac quand même. Il suffirait qu’on ait deux ou trois imprévus.
– Et alors ? Tu proposes quoi ?
– Que, pour cette année, on reste sagement en France. Dans un arrière pays quelconque. Où on pourra tranquillement décompresser. Se reposer. Loin de la foule.
– Et où ça ?
– J’ai pas vraiment d’idée. L’arrière-pays niçois, par exemple.
– Il part où, Benjamin, en vacances ?
– Ça n’a rien à voir.
– Il part où ?
– À Nice.
– Comme par hasard.
– Oh, mais ce sera juste une fois comme ça. En passant. Peut-être deux. Trois grand maximum. Selon qu’il pourra se libérer ou pas. Et puis pas du tout, si ça tombe.
– Tu vas lui dire ?
– Quoi donc ?
– Que sa femme n’est pas dupe.
– Il y a pas de risques, non.
– Parce que ?
– Parce que j’ai pas la moindre idée de la façon dont il réagirait. Et que j’ai pas du tout envie de jouer avec le feu.

Il était dans l’annuaire. Benjamin Marvaut. 24, rue Marcel Pagnol.
J’ai un peu tourné. Cherché. Dans des rues toutes identiques. Avec des maisons copies conformes les unes des autres. Toutes dans des tons ocres. Toutes entourées du même bout de terrain sur lequel rien n’avait encore eu le temps de pousser vraiment.
La leur était la dernière. Dans une sorte de cul-de-sac. Au-delà un pré que bordait une route déserte.
Je suis descendu de voiture. Je me suis approché. Les volets étaient fermés. Un vélo était couché dans l’herbe. Sur l’arrière, une tonnelle verte abritait une table de plastique blanc avec ses chaises. Je suis reparti. Au coin, accoudé à sa grille, un retraité m’a regardé passer d’un œil soupçonneux.

Il avait aussi un compte Facebook. Une centaine d’amis. Sportifs pour la plupart. Joueurs de foot. Férus d’athlétisme. Peu de femmes. La sienne. Quelques collègues enseignantes. Des photos. Beaucoup de photos. De voitures. Des courses de voitures. À en avoir la nausée.
C’était tout. Rien d’autre. Nulle part.



7-


– Tu seras là ce soir, je suppose. Dans la chambre d’à côté.
– Peut-être. Sûrement.
– T’aimes ça m’entendre, hein ?
– De plus en plus. Ça t’ennuie ?
– De moins en moins. Et même…
– Oui ?
– Je crois que maintenant ça me manquerait que tu sois pas là.
Je l’ai prise dans mes bras.
– J’aime ton plaisir. Même si c’est pas moi qui te le donne.
Nos lèvres se sont brièvement effleurées.
– Et moi, j’aime que tu l’aimes.
Elle s’est doucement dégagée.
– Faut que j’aille me préparer. Si je veux pas le faire attendre.

C’est moi qui ai attendu. Jusqu’à huit heures. Ils ont monté les bagages dans la chambre et ils ont décidé de descendre aussitôt dîner.
– Mais avant…
– Qu’est-ce tu fais ?
– Ça se voit pas ? Je te déculotte. Tu sais ce qu’on avait dit.
– Mais pas déjà ! Pas aujourd’hui !
– Ben, pourquoi ?
– Mais parce que…
– Si je t’écoute, on le fera jamais. T’auras toujours une excellente raison. Allez, route !
– Laisse-moi changer de jupe au moins. Mettre quelque chose de plus décent.
– Ah, non ! Non ! Surtout pas !

Quand ils sont remontés, il riait aux éclats.
– Excellent ! Non, mais excellent !
– T’es trop, toi, quand même, dans ton genre ! Lui balancer, comme ça, tranquillement, que j’avais pas de culotte au jeune. Je savais plus où me mettre, moi !
– Il fallait bien lui dire. C’était lui qu’avait le meilleur angle d’attaque et il se rendait compte de rien, le pauvre !
– Oui, ben pour se rattraper, il s’est rattrapé. Il m’a plus quittée des yeux. Que j’en étais gênée pour sa copine.
– Oui, oh ! Elle avait pas l’air particulièrement traumatisée. Et puis ça l’aura mis en forme son mec. Elle va quand même pas s’en plaindre !
– El le vieux ! Lui aussi, il t’a entendu. Ces yeux exorbités qu’il avait ! Et comment il se contorsionnait pour voir !
– Ah, ça t’a plu tout ça, hein !
– Faut bien dire…
– Et encore ! C’était la première fois. T’osais pas trop te laisser aller, mais tu verras quand t’auras pris un peu d’assurance. Sans compter que j’ai des idées à la pelle.
– Ah, oui ? Quoi ?
– T’auras plus la surprise si je te le dis. Écoute ! T’entends ?
– Ah, oui ! Ça y va, dis donc ! C’est les deux jeunes, tu crois ?
– Évidemment que c’est eux ! Ils sont juste au-dessus. T’entends ça ? Non, mais t’entends ça ? C’est de ta faute. T’as pas honte de mettre les gens dans des états pareils ?
– Même pas, non !
Ils se sont tus. Elle a respiré plus vite. Plus fort. Elle a haleté.
Au-dessus, ça s’est emballé. La fille a psalmodié sa jouissance. Son copain a grogné le sien.
– Tu crois, Benjie, que le vieux aussi ?
– Lui ? Il est en train de se palucher comme un fou en repensant à ce qu’il a vu tout à l’heure. Et en les écoutant. Et en nous écoutant. Ça fait pas l’ombre d’un doute. Il est sûrement pas le seul d’ailleurs. Je te parie ce que tu veux qu’il y en a d’autres, dans les chambres alentour, qui n’en perdent pas une miette.
Oui. Il y avait moi. Moi aussi. En train d’entrer dans son plaisir avec elle. D’en épouser les moindres méandres. Un plaisir qu’elle a épelé à longues plaintes amoureusement ciselées. Qui se sont élancées, envolées, ont culminé en un interminable point d’orgue éperdûment proclamé.

Ils ont déjeuné dehors. Au soleil. Je les ai regardés. Un long moment. Et puis, pris d’une impulsion soudaine, je suis descendu. Je me suis installé à une table, à bonne distance de la leur. Elle lui a dit quelque chose. Il s’est retourné. À plusieurs reprises. Leur discussion s’est animée et elle m’a fait signe de les rejoindre.
– Alexandre… Benjamin… Bon, ben voilà ! Au moins les choses sont claires comme ça maintenant.
Il m’a tendu la main. Souri.
– Votre femme a beaucoup de chance d’avoir un mari à l’esprit aussi ouvert. C’est pas le cas de tout le monde. Et j’en sais quelque chose.
Il m’a tiré une chaise.
– Mais asseyez-vous ! Restez pas planté là. Vous allez déjeuner avec nous.
Un jeune couple a fait son apparition. Nous a lancé un vague bonjour en longeant notre table. Est allé s’installer un peu plus loin.
Alyssia a constaté, à mi-voix.
– Hou là là ! Ces têtes de crevés.
– À qui la faute ?
– Parce que t’y es pour rien, toi, peut-être ?
– Absolument rien. C’est toi qui as absolument tenu à…
– Moi ! Non, mais alors là, tu es d’une mauvaise foi ! Alex, t’es témoin, toi ! T’as tout entendu, je suis sûre. C’est pas lui qui m’a obligée à descendre sans culotte ?
Il ne m’a pas laissé le temps de répondre.
– Oui, mais leur offrir une vue imprenable sur tout le panorama, personne t’a forcée.
– Oh, tu parles ! Sous la table, comme ça, on doit pas pouvoir voir grand-chose.
– Ben, voyons ! C’est pour ça qu’ils ont baisé toute la nuit. Et que le vieux, à côté, il tirait une langue de trente centimètres. Quant à toi, rien qu’à voir comment ils brillaient tes yeux…
Elle s’est levée.
– Bon, mais c’est pas tout ça. Je vais me préparer.
– C’est ça ! Détourne bien la conversation.
Elle lui a tiré la langue et s’est enfuie. Sans se retourner.
On l’a suivie des yeux, tous les deux, jusqu’à ce qu’elle ait disparu.
Il a hoché la tête.
– Elle est trop, ta femme, dans son genre. Il y a une sacrée personnalité, là. Et une sacrée sensualité.
– Qui ne parvient pas à s’épanouir avec moi.
– Je sais, oui. Elle m’a dit. Elle m’a expliqué pour vous deux. Pas facile à vivre pour toi, non ?
J’ai haussé les épaules.
– Oui et non. On partage plein de choses, mais je ne peux pas être ce que je ne suis pas. Ce qu’elle a besoin qu’un homme soit. Alors qu’il lui faille aller s’éclater avec quelqu’un qui la comble sexuellement, je le conçois parfaitement. Et même, pour te dire le fond de ma pensée, je suis fermement convaincu que si elle n’allait pas voir ailleurs, je finirais à coup sûr par la perdre.
– Je la connais pas encore beaucoup, mais je crois que t’as raison. Il y a toutes les chances, oui.
– Même s’il y a quand même le risque que le type, en face, il veuille me la souffler.
– Oui, alors là, avec moi, de ce côté-là, tu n’as absolument rien à craindre.



8-


– Et si on restait là ?
– Comment ça, là ?
– Ben ici. Au petit Castel. Qu’on y passe notre samedi. Non ? Ça te dirait pas ?
On venait de regarder partir Benjamin. Qui avait un mariage. Auquel il lui était absolument impossible d’échapper.
– Hein ? Ça te tente pas ? On serait pas mal, non ? Il fait beau. Le cadre est agréable. On y mange bien. Et il y a plein de trucs à voir dans les environs.
Oh, si elle voulait ! S’il y avait que ça pour lui faire plaisir…
– Ça t’a pas posé de problème au moins que je te présente ? Non, parce que je me suis dit que c’était un peu un appel du pied que tu descendes déjeuner. Et puis, de toute façon, on n’allait pas continuer à s’ignorer pendant des éternités comme ça. Toi, d’un côté de la cloison et nous de l’autre. Ça n’avait pas de sens. Il arrive un moment où il y a pas d’autre solution que de tout mettre sur la table. Ça vaut cent fois mieux. Pour tout le monde. Non, tu crois pas ?
C’était bien mon avis, si !
– Vous avez un peu discuté tous les deux tout à l’heure. Comment tu le trouves ?
– C’est pas en cinq minutes qu’on peut se faire une idée.
– Je sais bien, oui. Mais je suis sûre que vous arriverez à vous entendre. Même que vous soyez complètement différents l’un de l’autre. Le jour et la nuit. Et d’ailleurs… tu sais ce qui serait bien ?
Elle s’est brusquement interrompue.
– Te retourne pas, mais le jeune, derrière toi, il en veut à mon entre-jambes. Et pas qu’un peu ! Il a beau essayer d’être discret…
– En somme, ça lui a pas suffi hier soir. Il prendrait bien un peu de rab.
– C’est à peu près ça, oui.
– Sauf que, là, il va être de la revue.
– Tu crois ?
– Ah, parce que…
– Parce que, oui. Ce matin non plus j’en ai pas.
– T’y prends goût, on dirait.
– Penses-tu ! C’est par pur altruisme. Faut savoir rendre service dans la vie.
– Ce que t’es en train de faire, j’imagine.
– Je n’en suis qu’aux préliminaires. À le laisser un peu espérer. J’adore.
Elle a bougé les pieds sous la table.
– Hou là là ! Tu verrais sa tête ! Je lui ai pas offert grand-chose pourtant. Et vite fait. Mais quand même ! Ça lui fait sacrément de l’effet.
– Et la fille ? Elle fait quoi, elle, pendant ce temps-là ?
– Elle a la main posée sur sa cuisse. Et elle le couve du coin de l’œil. Bon, mais allez ! On va en rajouter une petite couche.
Elle a croisé les jambes. Les a décroisées. Recroisées.
– Et là, s’il bande pas, à moi la peur. Et toi ?
– Quoi, moi ?
– Tu bandes ? Je suis sûre que oui. Laisse-moi aller voir.
Elle a retiré sa chaussure, est montée me chercher, du bout du pied.
– Oh, là là, oui ! Et pas qu’un peu !
Elle s’est installée, m’a agacé la queue à rapides petits coups d’orteil.
– Et là, je peux te dire qu’en même temps je suis en train de les gâter, les deux autres ! Bon, mais allez ! C’était le bouquet final. On ferme. Faut jamais abuser des bonnes choses. Viens me montrer ta chambre, tiens, plutôt ! Que je me rende compte.

– Alors, c’est là. Oui. La même qu’à côté en gros. En un peu plus petit. Et en plus sombre. T’es aux premières loges en fait. Mais dis-moi ! T’as joui hier soir ? Oui, hein ! Évidemment que t’as joui. C’était quand ? En même temps que les deux jeunes au-dessus ? En même temps que moi ? C’était bien au moins ? Attends, écoute ! T’entends pas ? Ça marche au-dessus. C’est eux. Tu paries qu’ils vont baiser ? Vu comment je les ai mis en appétit. Tu vas pouvoir encore en profiter. Tiens ! Qu’est-ce que je disais ! C’est le sommier, ça. Ils viennent de se jeter dessus. Comme des meurt-de-faim. Et ça y est. Ils attaquent. Ils perdent pas de temps, dis donc !
Des grincements. Des halètements. La fille a commencé à doucement gémir.
– Fais-le ! T’en crèves d’envie.
Elle a ouvert mon pantalon, m’a sorti la queue.
– Non, mais comment elle est raide. Tu vas quand même pas la laisser dans cet état-là ! Ce serait criminel.
Au-dessus la fille s’est lamentée plus vite. Plus fort.
– Écoute ça comment elle piaule ! Elle y met tout son cœur. Et toi, ça te fait de l’effet, dis donc ! Comment t’y vas ! À ce rythme-là…
À ce rythme-là, je risquais pas de tenir bien longtemps, non. Et effectivement ! Encore deux ou trois allers et retours impatients sur ma queue. Et je me suis fini. Répandu. Dans un grand râle. Au moment même où l’autre, là-haut, clamait son plaisir à pleins poumons.
– Ça va aussi vite quand c’est moi ?
Et Alyssia m’a effleuré les lèvres.

On s’est longuement promenés, main dans la main, à proximité de l’hôtel. Aventurés plus loin.
– Quand je te disais que c’était super comme coin !
Elle m’a serré la main plus fort.
– C’est quand même fou, avoue ! Parce qu’on n’a jamais été aussi bien ensemble, tous les deux, que… depuis tout ça ! On n’a jamais été aussi complices. J’ai presque envie de dire qu’on n’a jamais été aussi amoureux, d’une certaine façon. Non, Tu trouves pas ?
– Oh, si ! C’en est même complètement invraisemblable par moments.
– Je me serais doutée avant que ça tournerait comme ça, je peux te dire que j’aurais pas eu autant de scrupules. Et qu’il y a belle lurette que je m’en serais pris un d’amant. Il y a plein de choses, d’ailleurs, que, dans la foulée, je me serais autorisées. La petite séance de ce matin, par exemple, dehors, avec les deux jeunes, là, il y a encore six mois, mais ça n’aurait même pas été envisageable. J’avais bien trop de préjugés. De blocages à la con. Il y en a un qu’a sauté. Tous les autres ont suivi. Vont suivre. En chaîne. Et je peux te dire que je vais me rattraper. Qu’on va se rattraper. Parce que toi, de ton côté, maintenant, je suis bien tranquille que tu vas en être aussi de la comédie. Différemment, mais tu vas en être.
– C’est en bonne voie.
– Ah, tu vois ! En attendant, on peut pas dire qu’on se soit aidés l’un l’autre à prendre notre élan jusque là, hein ! On s’est plutôt consciencieusement employés à se maintenir sagement dans les clous. À se limiter mutuellement. À se rogner les ailes. Je t’incrimine pas. Je suis au moins autant responsable que toi. Seulement maintenant ça va changer. Faut que ça change. J’ai plein d’idées pour ça. T’en auras aussi. Et on va y trouver notre compte. Aussi bien l’un que l’autre. Peut-être même qu’à force de faire j’aurai envie avec toi. Que je finirai par avoir du plaisir, qui sait ?
On s’est arrêtés. On s’est fait face. Nos lèvres se sont jointes. Et puis on est lentement remontés vers l’hôtel.
– Ce qu’on pourrait peut-être… Et si on essayait de faire leur connaissance aux deux jeunes ?
Ils étaient partis. Il y avait plus leur voiture.
– Non, mais ils reviendront. Sûrement qu’ils reviendront. Et comme nous, on reviendra aussi…



9-


Elle s’était occupée de tout.
– C’est pas plus mal que t’aies la surprise…
Avait choisi le point de chute.
– Tu verras… Au calme. En pleine campagne. Mais à proximité d’une grande ville quand même. Qu’on puisse sortir si on a envie. Aller visiter des trucs.
Et préparé les valises.
– On est opérationnels. Il y a plus qu’à embarquer. Demain matin. Aux aurores. Mais avant… je peux te demander quelque chose ? Seulement te sens pas obligé. Faut que tu me dises carrément. Ça t’embêterait s’il venait Benjamin ?
– Avec nous ? En vacances ?
– Ça, c’est pas possible, non. Il y a sa femme. Et ses enfants. Non. Ici, ce soir. Parce que faut pas trop que j’y compte qu’il réussisse à se libérer, à ce qu’il m’a dit. Et je vais pas le voir d’un moment, du coup.
– Évidemment qu’il peut venir !
Elle m’a sauté au cou.
– T’es un amour !
A tapé un SMS en toute hâte. Et s’est engouffrée dans la salle de bains.

On a attendu tous les deux, de concert, devant une bière, qu’elle en ressorte.
– Ce qui, la connaissant, risque de prendre un certain temps.
Il a reposé son verre.
– C’est pas sûr, mais peut-être qu’elle va appeler.
– Hein ? Qui ça ?
– Séverine. Ma femme. Elle a tiqué ce soir. Pour la première fois, elle a vraiment tiqué. Faut dire aussi qu’il y a de quoi. Parce que c’est bien beau les soi-disant compétitions sportives, à l’autre bout de la France, que je ne voudrais louper pour rien au monde et qui m’obligent à dormir sur place, mais il arrive forcément un moment où ça devient suspect. Et là, j’ai vraiment senti qu’il fallait que j’allume des contre-feux. De toute urgence. Alors j’ai prétendu que j’allais passer la soirée chez un copain. Qu’on avait des choses à régler tous les deux. Pour le club de hand. Le plus rapidement possible. Et je lui ai laissé ton fixe. Au cas où elle aurait besoin de me joindre. Vu que mon portable – ce qui est vrai – est tombé en rade ce matin. Alors si ça sonne, – ce qui m’étonnerait, mais bon, on sait jamais – vaut mieux que ce soit toi qui répondes plutôt qu’Alyssia.

Qui a justement fait son apparition en petite nuisette transparente. Dessous, elle était entièrement nue.
Il a souri.
– Décidément, tu fais une allergie aux culottes en ce moment.
Elle n’a pas répondu. Elle est allée s’asseoir sur ses genoux. A enfoui sa bouche dans ses cheveux.
Je me suis discrètement éclipsé. Pour revenir aussitôt, par derrière, sans bruit, sur la terrasse. La porte-fenêtre était grande ouverte. La lumière, au-dessus du canapé, allumée. J’avais le son et l’image. Et j’étais à trois mètres d’eux.
Il lui a caressé la jambe. La cuisse. Est remonté plus haut. Encore.
Elle l’a doucement repoussé.
– Ça va être long un mois.
– On s’appellera.
– Et on se verra.
– J’essaierai.
– Oh, non, me dis pas ça, Benjamin ! Me dis pas ça ! Il faut qu’on se voit. Je pourrai jamais tenir, moi, sinon. J’ai trop envie de toi.
Il s’est réapproprié sa cuisse.
– Mais oui, on se verra.
– Quand ?
– Dès que je pourrai.
– Promis ?
– Mais oui !
Ses lèvres sur elle. Sur son cou. Ses épaules. La nuisette a volé. Sur ses seins. Dont il a englouti l’une après l’autre les pointes. Elle a renversé la tête en arrière. Fermé les yeux. Il est descendu. Sa chatte. Il s’en est approché. Éloigné. Y est revenu. S’y est posé. Elle a gémi.
– Benjamin… Oh, Benjamin…
Le téléphone.
Je me suis précipité.
– Allô ! Oui ?
– C’est moi, Claire. Ça va ?
Ça allait, oui.
– On dirait pas. T’as une de ces voix. Je dérange, hein, c’est ça ?
– Un peu, oui.
– Vous étiez en train de baiser, j’parie ! Désolée. Je rappellerai. Amusez-vous bien en attendant !
Et elle a raccroché.
– C’était ta sœur.
– Qu’est-ce qu’elle voulait ?
– Rien. Rien de spécial. Discuter, apparemment.
Elle a haussé les épaules. Et j’ai regagné mon poste d’observation, sur la terrasse.

À elle. À son tour. Elle s’est agenouillée. Penchée sur sa bite dressée. Y a fait courir ses lèvres tout du long. De bas en haut. De haut en bas. A emprisonné la peau des couilles entre ses dents. En a happé une. A décalotté le gland qu’elle a agacé, du bout du pouce. Qu’elle a fini par engloutir. Les mains enfouies dans ses cheveux, il la pressait éperdument contre lui.
Elle s’est brusquement interrompue. A relevé la tête.
– Je continue ? T’as envie comme ça ?
Il a fait signe que non. Non.
– Oui. C’est dans ma chatte que tu veux, hein ? Eh ben, viens !
Et elle s’est mise en position. À quatre pattes. Le front sur la moquette. Les fesses en l’air.
Il l’a pénétrée d’un coup.
– Oui, Benjamin, oui. Bien à fond. Je suis ta femelle. Je suis ta chatte. Jouis ! Jouis ! Bourre-moi bien !
Ce qu’il a fait dans un grand râle qu’elle a accompagné d’une rafale de petits couinements satisfaits.

Dans le lit, après, elle est venue se blottir contre moi.
– Hou là ! J’ai eu ma dose ce soir.
– Comme souvent, non ?
– Plus encore que d’habitude. Peut-être parce que je savais qu’on allait pas se voir d’un moment. Ou bien alors…
– Oui ?
– Parce que tu pouvais voir ajourd’hui. Pas seulement entendre.
– Et je m’en suis pas privé.
– Ça, j’me doute. Mais pourquoi t’es pas resté ? Avec nous ? À côté ?
– Je sais pas, je… Pour pas vous gêner. Je voulais pas m’imposer.
– T’aurais mieux vu de tout près. Et puis moi, j’aurais pu te voir regarder.



10-


Un hôtel enchâssé dans son écrin de verdure. Des arbres, des arbres et encore des arbres. Aucun bruit. Que le chant des oiseaux.
– Je te l’avais dit. Je te l’avais pas dit ? Un vrai petit paradis. Dont on va profiter à fond.

On en profitait. En grasses matinées longuement étirées. En savoureux repas d’huîtres, de crustacés et de ris de veau. En longues heures passées à écumer les alentours.
Elle était tombée amoureuse folle de la région.
– Et si on venait s’y installer ? Tu demandes ta mutation. Je demande la mienne. Et puis voilà.
– C’est pas si simple. Il doit y en avoir du monde qui veut y descendre dans ce coin.
– Suffira d’être patients.
– Tu pourras plus voir Benjamin. Ou alors seulement de loin en loin.
– Et pourquoi qu’il demanderait pas sa mutation, lui aussi ?
– Avec sa femme ?
– Faudrait bien !
– Oui, ben le temps que tout le monde ait obtenu gain de cause, il y a toutes les chances qu’on soit à la retraite.
– Ou bien alors… une autre solution : on s’achète quelque chose par ici. Et on y descend dès qu’on peut. Vacances, week-ends, tout ça !

Elle nous voulait, de temps à autre, une petite virée à Nice.
– Oh, ben oui, attends ! On va pas rester confinés là un mois non plus !
Elle marquait de longs temps d’arrêt devant les vitrines des agences immobilières.
– C’est hors de prix ! C’est vraiment hors de prix. Oh, mais on finira bien par trouver une solution.
On errait au hasard. Une boutique. Une autre. Elle entrait, hésitait, essayait, achetait parfois. Un maillot. Ou un petit haut.
Et on reprenait notre promenade.
– Un de ces quatre matins, je sens qu’on va tomber dessus. C’est couru.
– Et il sera avec sa femme. Oui, ben alors là, merci bien. J’ai pas du tout envie de savoir comment elle est faite celle-là.

Il l’appelait tous les jours.
– Parce que je peux pas, moi ! Comment tu veux que je sache s’il est tout seul ou pas ?
Elle restait là, à mes côtés.
– Pourquoi je m’en irais ? J’ai rien à te cacher. Et puis j’aime bien te sentir penché sur nous, comme ça, à l’affût du moindre de nos mots. Du moindre de nos gestes. Et comme toi, de ton côté, t’adores ça…
Et elle mettait le haut-parleur.
Ça allait, oui. Il lui manquait. Elle lui manquait. Ils se manquaient. Et ils avaient envie l’un de l’autre.
– Tellement ! Si tu savais !
– Et moi, donc !
Ils parlaient d’autre chose.
– Parce que ça va nous mettre dans un état sinon !
De ce qu’ils avaient fait la veille. De la façon dont ils allaient occuper leur journée.
Elle finissait immanquablement par lui poser la question.
– On va se voir ? Tu vas venir ?
– Évidemment que je vais venir…
– Quand ?
– Je sais pas. Faut que je voie. Que je puisse me libérer sans trop éveiller ses soupçons.
– Tarde pas trop, Benjamin ! Tarde pas trop ! J’en peux plus, moi !
Elle raccrochait en soupirant.
– Tu vas voir qu’il va me mener en bateau comme ça jusqu’à la fin des Vacances… Oh, mais s’il ait ça. Alors là, s’il fait ça !

On passait aussi beaucoup de temps à la piscine.
– Parce que si je rentre pas bronzée, elles vont toutes croire qu’on est allés passer les vacances à Denain ou, pire, qu’on n’a pas pu partir.
Elle s’absorbait dans un livre. Je déployais un journal.
– J’en étais sûre…
– De quoi ?
– Que t’allais pas tarder à te retourner sur le ventre. Depuis le temps que tu la mates en douce la petite en maillot bleu, fallait bien que ça finisse par te donner la trique. Oh, mais vas-y ! Profites-en ! Te gêne surtout pas pour moi. Je serais vraiment mal placée pour te faire des reproches.
Et elle se replongeait dans sa lecture.
– Waouh ! Et l’autre là-bas. Non, là-bas, à gauche. Qu’est en train d’arriver. Il y a du canon, là. Et qui le sait. Et qui fait tout pour que ça se voie. Faut vraiment pas avoir de honte, n’empêche, pour s’exhiber dans un truc pareil. Elle te tente pas ? Non, pas vraiment, on dirait. Tu préfères celle en bleu, hein ! Mais ça, les goûts et les couleurs… T’irais tenter ta chance avec si j’étais pas là ? Oui ? Je te laisse si tu veux. Quoique… ça servirait pas à grand-chose. Tu te prendrais un de ces rateaux ! Ben oui, forcément ! Tu penses bien qu’elle a eu vite fait de repérer qu’on était ensemble. Et puis, de toute façon, faut que tu te fasses une raison : un mec de quarante balais, à moins d’être riche comme Crésus, les petites nanas de vingt ans, il les intéresse pas.

– Qu’est-ce tu regardes ?
– Rien. Rien de spécial.
Elle est venue s’accouder à côté de moi, à la fenêtre de la chambre.
– Tu parles que tu regardes rien. Elle te suffit pas celle en bleu à la piscine ?
Sa main est descendue, s’est posée, d’autorité, sur ma queue.
– Elle te fait sacrément de l’effet en tout cas. À moins que ce soit encore à l’autre que tu penses. Oui, c’est ça, j’parie ! T’en es raide dingue d’envie de celle-là. Tu veux la baiser ? Eh, ben me regarde pas comme ça. Viens alors !
Sur le lit. Où elle m’a dépouillé de mes vêtements. Complètement.
– Là ! Ferme les yeux ! Et pense à elle. À son petit visage d’ange. Ce qui l’empêche pas d’être une vraie petite cochonne, je suis sûre. Quand elle te taille une pipe celle-là, tu dois pas mettre six mois à décharger. Tu la vois ? Tu les vois ses petits seins ? Comment elle aime ça que tu les regardes. Que t’essaies de les deviner sous le maillot. Elle va l’enlever le sous-tif. Elle l’enlève. Holà ! T’as vu ça comment ils pointent ? C’est de la folie. Quoi ? Tu veux voir son cul, c’est ça ? Déjà ! T’es bien pressé. Ah, elle t’a entendu, on dirait ! Elle la baisse sa culotte de maillot. Humm ! Ces petites fesses bien fermes. On en mangerait, non ? Elle se retourne. Ah, ben ça y est ! Tu l’as sa chatte. Tu la vois. Depuis le temps que t’en rêvais ! Que tu pensais plus qu’à ça. Elle te plaît ? Oui, hein ! Eh, ben vas-y ! Fonce ! Enfile-la, qu’est-ce t’attends ? Tu vois pas qu’elle demande que ça ?
Et elle m’a mis en elle.
– Baise-la, Alex ! Vas-y ! Baise-la !
À grands coups de boutoir. Comme un perdu.
J’ai ahané. Je me suis répandu. Je suis retombé.
– Eh, ben dis donc ! T’avais sacrément envie d’elle, ça, on peut pas dire.


11-


Elle a voulu qu’on s’arrête boire un coup. Au même café que d’habitude.
– Ça devient une tradition, dis donc!
– Je l’aime bien, moi, ce café. Je lui trouve beaucoup de charme.
– Au café ou au serveur ?
– Faut reconnaître qu’il est pas désagréable à regarder non plus.
– Et qu’il te plaît bien. Ce qui est réciproque d’ailleurs.
– Tu crois ?
– Je crois pas. Je suis sûr. Bon, mais on s’installe à l’intérieur, je suppose. Que tu puisses le regarder tout à loisir s’affairer derrière son bar.
On avait à peine pris place que son portable a sonné.
– Qu’est-ce que c’est que ça ? Zut ! Benjamin ! C’est bien le moment.
Elle n’a pas décroché.
– Il rappellera.
Je me suis levé.
– Tu vas où ?
– Chercher le journal. Et faire un loto. Passe la commande !
J’ai pris tout mon temps. Qu’elle ait le sien. Qu’ils aient le leur.

– Je crois bien que t’as raison.
On attendait qu’il soit l’heure de passer à table, sur la petite terrasse, derrière l’hôtel.
– À quel propos ?
– Je lui plais bien au barman. Il m’a fait un de ces rentre-dedans tout à l’heure quand t’étais pas là.
– Et alors ?
– Ben rien.
– Tu vas pas donner suite ?
– Oh, ben non. Non. Faut pas exagérer quand même.
– T’as bien des principes d’un seul coup.
– C’est pas ça, non. Mais il y a Benjamin.
– Que tu veux pas faire cocu, lui !
– C’est pas la question.
– Ah, non ? C’est quoi alors la question ?
À nouveau son portable.
– Allô… Benjie ? Ben oui, c’est moi, oui. Qui veux-tu que ce soit ?
Elle a mis le haut-parleur.
– Ça va ? Qu’est-ce tu fais ?
– Rien de spécial. On va aller manger. Et puis après piscine. Et un petit tour à Nice dans la soirée. Je te manque ?
– Comme si tu le savais pas !
– Tu vas venir alors ?
– Peut-être mardi. C’est pas sûr. Je te confirmerai.
– Oui. Et au dernier moment t’auras encore un empêchement.
– Mais non !
– Tu parles ! Tu m’as déjà fait dix mille fois le coup.
– Dis… Tu sais ? Je pensais à un truc. J’ai pas de photos de toi.
– Hein ? T’en as au moins une douzaine. La fois des bateaux-mouches. Celle de la forêt de Sénart. Ermenonville. Et sûrement que j’en oublie.
– Oui. Non. Mais je veux dire… Des photos plus… intimes.
– Oui, ben ça on verra…
– J’ai trop envie.
– Oui, ben t’attendras. Parce que je te vois venir… Tu vas te taper des petites branlettes sur ma chatte ou sur mon cul. Ça t’ira très bien comme ça et je serai encore de la revue. Tu te pointeras pas.
– Je te jure que…
– Ben, voyons ! Non, non, non. Tu viens d’abord. On avisera ensuite.
– T’es une garce, Alyssia.
– Mais c’est ce qui fait mon charme, mon chéri.
– Faut que je te laisse. Je t’embrasse. Faut que je te laisse.
Et il a raccroché.
– Ça, c’est sa bonne femme qui vient de rappliquer plus tôt que prévu.
Elle a soupiré.
– Qu’est-ce tu paries qu’il viendra pas ? C’est quand même fou, ça, avoue ! On aura passé un mois à dix kilomètres l’un de l’autre sans qu’il trouve le moyen de se libérer une seule fois. Tu sais ce que je crois ? C’est qu’il en a une autre. Une autre qu’il voit depuis des années en douce pendant les vacances. Du coup, il me met sur la touche. Ça ferait trop. Et il réapparaîtra, la bouche en cœur, dès qu’on sera remontés là-haut. À moins qu’il soit, tout simplement, en train de se lasser de moi. C’est possible, hein ! Et ce serait bien d’un mec, ça. Parce qu’ils sont tout feu tout flamme au début. Prêts à te promettre monts et merveilles. Mais le soufflé retombe vite. Dès qu’ils ont assouvi leur désir, tu les intéresses moins. De moins en moins de jour en jour. Plus du tout. Il leur faut de la nouveauté. Partir faire d’autres conquêtes. Alors que pour nous, les nanas, c’est exactement le contraire. Plus on le fréquente le type, plus on s’éclate dans ses bras et plus on s’attache. Ça me fait chier n’empêche ! Ça me ferait vraiment chier que ça se termine comme ça. Pas si vite. Pas déjà.
– T’en sais rien du tout. Tu te fais un film, là.
– Je crois pas, non. Je le sens qu’il est plus le même.
– Il te téléphone tous les jours.
– Oui, oh, tu parles ! Ça le force pas bien. Qu’est-ce que c’est que cinq minutes dans une journée ? Oui, bon. Mais t’as raison. Je vais pas me gâcher les vacances avec ça. On verra bien.

En début d’après-midi, elle m’a laissé descendre tout seul à la piscine.
– Vas-y ! Je te rejoins.
Ce qu’elle n’a fait que deux heures plus tard.
– Tu étais où si c’est pas indiscret ?
– Au café de ce matin. Et toi, pendant ce temps-là ? Tu t’es bien amusé ? Tu t’es fait une orgie de petites nanas, je suis sûre. Pas la bleue : elle est plus là. Attends ! Laisse-moi deviner. Dans les jeunes, évidemment. Celle-là, à droite, elle te plaît forcément. Seulement problème : elle est avec son mec. Alors à part des petits coups d’œil discrets de temps en temps. Non. C’est celle d’en face qui y attrape. Elle est bien dans l’axe en plus. Comme ça quand elle sur le ventre, tu peux profiter à plein de ses jolies petites fesses bien fermes. Et de l’autre côté quand elle se retourne… Ah, de l’autre côté ! Pourquoi t’es pas allé la draguer ? J’étais pas là. C’était l’occasion ou jamais.
– Ben, parce que…
– Parce que t’avais la trouille de te prendre un rateau. Et alors ? La belle affaire ! On s’en remet. Tu sais… Écoute ! Je vais te dire un truc. Il y a des moments, j’aimerais bien que toi aussi… Que tu essaies au moins. D’être un peu plus homme. Un peu plus conquérant. Que tu cesses d’être celui à qui je me suis raccroché parce que je n’étais pas obligé d’être vraiment femme avec lui. Ce n’est plus d’actualité tout ça. Et tu y trouverais ton compte, toi aussi.
– Peut-être. Je sais pas.
– Oh, mais c’est aussi de ma faute. J’ai ma part de responsabilité là-dedans. Parce que, quand bien même je n’y prends pas le moindre plaisir, je suis toujours disponible pour toi. Toujours ouverte. Qui c’est qu’est là pour te vider les couilles quand tu t’es bien excitée sur tout un tas de petites nanas ? Alyssia. C’est trop facile, ça. C’est trop commode. Alors désormais ce sera non. Systématiquement non. Si tu veux tirer ton coup, faudra que tu payes de ta personne, que tu le mérites. Et ça n’en sera que plus gratifiant, tu verras.
Elle m’a posé la main sur la cuisse.
– Lance-toi ! Fonce ! Sans te poser de questions. Et… Ah, oui, un petit conseil. Cible des femmes d’à peu près ton âge. Ça le fera pas sinon…



12-


Pas question, pour elle, de zapper le bal du 14 juillet.
– Ah, non alors ! Tu te rends compte que depuis que j’ai 15 ans j’en ai pas loupé un ?
Et on a écumé, toute l’après-midi durant, les villages environnants. Jusqu’à ce qu’elle ait trouvé celui qui lui convenait. Qui lui en rappelait un autre. De quand elle passait ses vacances chez sa grand-mère.
– J’étais amoureuse cette année-là, mais amoureuse !
On y a un peu flâné. On y a dîné – simplement – dans un ancien moulin transformé en auberge. Et direction le théâtre des opérations.
Où on est arrivés les premiers. On a regardé les musiciens s’installer, s’accorder. La salle se remplir.

– T’as vu ça ?
J’avais vu, oui. Je voyais. Il l’invitait le petit jeune. La réinvitait. Il la lâchait pas.
Elle faisait tout un tas de va-et-vient entre lui et moi.
– Il m’amuse. Tu te rends compte qu’il a à peine vingt ans. Qu’il y a là tout un tas de filles de son âge mignonnes comme tout. Eh ben non ! Non. C’est après une vieille comme moi qu’il en a.
– Ce qui n’a pas l’air de te déplaire vraiment.
Elle a vidé son verre d’un trait.
– Bon, mais j’y retourne.
Dans ses bras. Où elle s’est abandonnée. De plus en plus. Il a posé ses mains au creux de ses reins. Sur ses fesses. Elle a laissé sa tête aller contre sa poitrine. Leurs lèvres se sont cherchées. Se sont jointes.
Elle est venue récupérer son sac. Ses yeux brillaient.
– M’attends pas ! Rentre à l’hôtel. Je te rejoindrai là-bas.
Et ils se sont éclipsés dans la nuit, main dans la main.

On a déjeuné dans la chambre.
– Alors ?
– Quoi « alors » ?
– C’était bien ?
Elle a souri.
– La curiosité est un vilain défaut.
Et consciencieusement fini de beurrer sa tartine.
– C’était plus que bien. Un garçon, c’est plein de sève à cet âge-là. Ça l’a dure de chez dure. Et ça rechigne pas à remettre le couvert. Non, et puis en plus…
– En plus ?
– Comment ça l’avait excité la situation. De me draguer, là, sous tes yeux. De m’emporter, comme un butin, à ton nez et à ta barbe.
– Je vois…
– Entre deux chevauchées, j’avais droit à un feu roulant de questions. T’étais de mèche ou bien alors c’était que t’avais pas ton mot à dire ? Que je faisais ce que je voulais ? Et c’était déjà arrivé avant ? Et t’allais faire quoi, quand on allait se retrouver ? Il y allait avoir explication ?
– Tu t’en es sortie comment ?
– Je lui ai raconté que c’était la réponse du berger à la bergère. Que tu m’avais trompée. Que je m’étais fait tirer l’oreille pour passer l’éponge. Pour ne pas demander le divorce. Et que je ne m’y étais finalement résolue qu’à la condition de te rendre la pareille, le jour où quelqu’un me taperait vraiment dans l’œil. Histoire que tu voies ce que ça faisait. Que ça te serve de leçon.
– Tu as décidément une imagination débordante. Et alors ?
– L’explication l’a convaincu. Il était enchanté d’être l’instrument de ma vengeance. Une vengeance que, pour sa part, il trouvait que je ne poussais pas assez loin. J’aurais dû t’imposer le spectacle de mes ébats avec lui.
– Ben, voyons !
– J’ai trouvé l’idée excellente. Et suggéré que ça pouvait n’être que partie remise. De toute façon, j’étais en position de force. Si on divorçait, t’allais y laisser sacrément des plumes. Tu étais obligé d’en passer par où je voulais. Il s’est fait pressant. « Oh, oui, va ! J’aimerais trop ça devant lui ! On le fera, Tu veux bien ? »
– Et tu as accepté.
– J’ai pas dit oui. Mais j’ai pas non plus dit non. Je voulais d’abord t’en parler.
– La vraie question, c’est : « Est-ce que ça te tente, toi ? »
– Je suis partagée. Bien sûr que j’ai envie de t’avoir là, à côté, pendant. De te regarder me regarder dans les bras d’un autre. De plus en plus. Je vais pas te mentir. Mais je m’étais faite à l’idée que ce serait avec Benjamin. Et Benjamin, comme c’est parti, ben, c’est pas demain la veille.
– T’as eu des nouvelles ?
– Non, justement. Et c’est bien ce qui m’inquiète. Il prend ses distances. Je sens de plus en plus qu’il prend ses distances. Il y en a une autre. Plus j’y réfléchis et plus je suis sûre qu’il y en a une autre.
Et elle s’est enfuie dans la salle de bains. Pour que je la voie pas pleurer.

Elle en est ressortie toute pimpante, ravissante dans sa petite robe rose.
– S’il s’imagine, Benjamin, que tout va tourner, pour moi, autour de sa petite personne, eh bien il a tout faux.
– Tu vas faire quoi ?
– Pour commencer, un petit tour au café, là-bas. Vérifier si le barman est toujours dans d’aussi bonnes dispositions à mon égard. Après, j’aviserai. En fonction de… Bon, eh bien j’y vais.
Elle s’est retournée sur le pas de la porte.
– Je te propose pas de m’accompagner. Tu comprends bien que j’ai besoin d’avoir les coudées franches.
Et elle m’a envoyé un baiser, du bout des doigts.

Les bords de la piscine étaient déserts. À l’exception d’une jeune femme en maillot noir, couchée sur le ventre, qui paraissait dormir. Je me suis installé de l’autre côté, juste en face et je l’ai regardée. Scrutée. Elle était comment là-dessous ? J’aurais tant aimé savoir. Voir. Est-ce qu’elle avait des lèvres exubérantes qui s’affichaient orgueilleusement à l’extérieur ou bien est-ce qu’elles restaient bien sagement confinées à l’abri de leurs grandes sœurs ? Et la toison ? Elle était là ou elle l’avait éliminée ? Complètement ou seulement le pourtour du fendu ? Et la couleur ? C’était quoi sa couleur ? Parce que celle des cheveux, avec les femmes, on pouvait jamais savoir.
Elle s’est redressée. Assise. S’est mise à feuilleter une revue.
Je lui ai voluptueusement palpé les seins. Du bout des yeux. Les ai amoureusement remodelés. Elle se serait bien fichue de moi, Alyssia. « Ah, ça, pour te repaître des nanas de loin, t’es très fort, mais pour passer à l’acte ! » Oui, ben alors là, ce coup-ci, elle allait voir ce qu’elle allait voir… Je me suis levé. Approché.
– Bonjour… Excusez-moi, mais, de là-bas, j’ai vu que vous aviez tout un tas de revues. Ça vous ennuierait de m’en prêter une ?
– Pas du tout, non ! Allez-y ! Servez-vous ! Et elle a poussé le paquet vers moi. Cinq ou six magazines féminins au milieu desquels j’ai déniché un petit livret consacré à l’arrière-pays niçois.
– Vous l’avez lu ?
– Parcouru.
– Et alors ?
– Franchement, ça n’apporte pas grand-chose. C’est du basique. Vu, revu et rerevu.
– La région recèle pourtant une foule de trésors subtilement discrets.
– Ah, ça, c’est sûr !
Il y a eu un petit trottinement derrière moi, sur le dallage.
– Maman ! Maman ! Ça y est ! On a déjeuné.
Deux gamins. Un garçon et une fille. Et, un peu plus loin derrière, le père.
Je me suis discrètement éclipsé.



13-


Elle a fait sa réapparition sur le coup de midi.
– T’es toujours là ? T’as pas bougé de la chambre, j’parie ! Si ? Bon, mais allez, on descend déjeuner. Je crève la dalle, moi !
Notre petite table, près de la baie vitrée.
– Je crois que je vais laisser tomber avec le barman, finalement.
– Il te plaît plus ?
– C’est pas qu’il me plaît plus, non, mais j’ai l’impression que ça risque d’être d’une complication !
– Il a quelqu’un ?
– Il y a toutes les chances, oui ! Parce que, pour se voir, faudrait que ce soit chez un copain. Et encore ! Faudrait passer par une petite porte, derrière. Que les voisins se rendent pas compte !
– Oh, là !
– Comme tu dis, oui ! Et quand on sait pas trop où on met les pieds, vaut mieux sagement s’abstenir.
– C’est bien mon avis.
– J’ai vraiment pas de pot, moi ! Je tombe toujours sur des types qui sont déjà en mains. Celui-là… Benjamin… Faut dire aussi que, passé un certain âge, à moins de donner dans la classe biberon. Comme avec le Gauvin de l’autre soir. Tu sais qu’il me harcèle littéralement celui-là ? Il m’a inondé de SMS toute la matinée. Avec toujours, sous différentes formes, obsessionnellement la même question : quand est-ce qu’on va faire ça devant toi ? Tiens, encore ! Ah, non ! C’est pas lui, non. C’est… Benjamin.
Et son visage s’est illuminé.
– Il vient ce soir. Il a réussi à se libérer.

Elle ne tenait pas en place et, en l’attendant, on est allés faire un tour.
– Comme quoi, on se fait des idées, hein, des fois ! Parce que j’avais fini par me persuader que c’était sur la fin avec lui. Qu’il voulait pas me le dire en face, mais qu’il était en train d’essayer de me le faire comprendre. Eh, ben non, finalement, tu vois ! Ç’aurait quand même été étonnant, remarque ! Parce qu’il prend son pied avec moi. Et pas qu’un peu ! Ce qui se passe, en fait, c’est qu’en vacances, il a les coudées moins franches, elle est sans arrêt sur son dos et c’est beaucoup moins facile, pour lui, d’inventer des prétextes que quand il bosse et qu’il a toutes les activités qui vont avec. En tout cas, je suis rassurée. Parce que comment ça me minait tout ça !
– Ce que tu tiens à lui !
– Dans un sens, oui.
– Dans un sens seulement ?
– Tu resteras avec nous ce soir, hein ?
– Je sais pas. Je voudrais pas que…
– Mais si ! On dînera ensemble. Au point où on en est de toute façon, maintenant, tous les trois… Et puis après, il y a un lit d’appoint dans la chambre si tu veux. Et, de ce côté-là, je suis bien tranquille que… Non ?
– Si ! Tu sais bien…
– Moi aussi, j’ai envie.
Nos lèvres se sont brièvement effleurées.

Elle a couru à sa rencontre, sur le petit parking, derrière. Ils se sont jetés dans les bras l’un de l’autre. Fougueusement embrassés.
– Il y a Alex.
Il m’a souri. Serré la main. Et on s’est mis en marche. Tous les trois. Côte à côte.
Devant l’entrée de l’hôtel, il s’est arrêté, l’a reprise dans ses bras. Il a jeté un bref coup d’œil autour de lui. Sa main s’est glissée sous la robe, est remontée. Il a fait glisser la culotte. Elle a levé une jambe. L’autre. Il l’a ramassée.
– Confisquée !
Et il l’a enfournée dans sa poche.

La salle de restaurant était comble. On s’est faufilés jusqu’à notre table. Ils se sont assis côte à côte.
– Tu m’as manqué, tu sais.
– Et à moi donc ! Je finissais par désespérer.
– Crois bien que si j’avais pu plus tôt, je me serais précipité. Seulement si c’était pour courir le risque qu’elle découvre le pot-aux-roses… Parce que, là, c’était définitivement fini nous deux.
– Je sais bien, Benjie, je sais bien. Je ne te reproche rien. Tu as fait pour le mieux. Seulement, du coup, je m’étais mis tout un tas d’idées idiotes en tête. Que tu voulais plus me voir. Que t’en avais une autre.
– Carrément ! Ce que tu peux être idiote quand tu t’y mets !
Ils se sont souri. Elle a pris sa main, enlacé ses doigts aux siens, les a portés à ses lèvres.
Il a longuement parcouru la salle des yeux.
– Ils dorment ici tous ces gens-là ?
– Certains, oui.
– Ils ont de la chance, oui : ils vont pouvoir t’entendre couiner tout-à-l’heure.
– Pas si fort, Benjamin.
– Et toi, quand tu couines, ça fait pas semblant. Tout l’hôtel en profite.
– Pas si fort.
Il a encore haussé un peu la voix.
– Ben, pourquoi ? On s’en fiche. On les connaît pas.
– Nous, avec Alex, si ! Quelques-uns.
La femme, à la table juste derrière eux, s’est retournée.
Il a baissé la voix.
– Je suis sûr que ça t’excite de les avoir là, tout autour, et de te dire que dans moins d’une heure…Non ? Ça t’excite pas ? Menteuse ! Fais voir !
Il a glissé une main sous la table.
– S’il te plaît, Benjamin, s’il te plaît, non !
Elle s’est mordu la lèvre inférieure, a fermé un bref instant les yeux. Ses pieds ont râclé le sol.
– Qu’est-ce que je disais ! T’es trempée. Une vraie petite cochonne !
– Oui, mais arrête ! Arrête, sinon…
– Sinon tu vas jouir, là, devant tout le monde. C’est vrai que ça ferait désordre. Mais c’est pas une raison…
– Je t’en supplie, arrête !
Il a retiré sa main.
– Mais c’est dommage !
L’a portée à ses narines.
– Ton odeur… Je la reconnaîtrais entre mille.
Puis à sa bouche.
– Et ton goût.
Il s’est voluptueusement léché les doigts, un à un.
– Un véritable délice. Le meilleur des desserts. Un régal. Et un préambule. Parce que comment je vais te bouffer la chatte tout-à-l’heure…
– Oh, non ! Pas les mots, Benjamin ! Pas les mots. Pas maintenant. Ou bien alors je réponds plus de rien.
– Et comment tu vas le tortiller ton petit cul…
– Tais-toi !
Elle s’est levée. On l’a suivie.
– Tu vas où par là ?
– Ben, là-haut…
– Oh, non ! Non. Pas encore. Faut laisser à tous ces gens-là le temps de regagner leur chambre.
Et il nous a voulu un petit tour dans le parc.
– Tu es démoniaque.
– Et tu adores ça…



14-


– Tu vas prendre cher ! M’avoir fait poireauter comme ça pendant des semaines et des semaines ! Non, mais alors là, je peux te dire que tu vas prendre cher.
Elle l’a fait reculer jusqu’au lit, l’y a poussé, fait tomber dessus.
– À nous deux !
Et elle s’est emparée, d’autorité, de la fermeture-éclair de son jean. À l’intérieur duquel elle s’est faufilée. Dont elle a triomphalement extirpé sa queue. Elle y a lancé une petite claque.
– Allez, au boulot, toi ! Foin des préliminaires et des simagrées. Ça presse !
Elle l’a enjambé, chevauché. Et elle s’est généreusement servie, sa robe remontée haut sur les reins. À un rythme endiablé que ses fesses épousaient frénétiquement, s’ouvrant, se fermant, s’ouvrant, se fermant sans interruption.
Je me suis approché, assis, tout près, sur l’oreiller, la cuisse calée contre la tête de lit. Elle a pris mes yeux. Qu’elle n’a plus lâchés.
– Que c’est bon ! Qu’elle est bonne ta queue, Benjie ! Je vais jouir ! Je jouis, mon amour ! Je jouis !
Et son plaisir a déferlé en longues plaintes furieusement rugies.
Elle s’est réfugiée contre lui. Lui a couvert les lèvres, les paupières, les yeux de baisers. A posé la tête au creux de son épaule.
– Comment c’était trop bien ! Pour toi aussi ?
J’ai posé la main sur sa hanche. Elle l’a prise dans la sienne, l’a gardée, s’est assoupie.

Quand je me suis réveillé, on était tous les trois allongés, serrés les uns contre les autres, Alyssia au milieu. Benjamin lui caressait délicatement un téton, du bout du pouce.
Elle a brusquement ouvert les yeux.
– Hein ? Mais il fait jour !
Il a ri.
– Depuis un bon moment déjà, oui.
– Et j’ai dormi. Mais fallait me secouer ! Que je profite de toi.
– Tu peux encore.
– J’espère bien. Et puis d’abord, pour commencer, tu m’as promis un truc hier soir.
– Hier soir ? Non, je t’ai rien promis du tout.
– Fais bien le malin ! Ah, je peux te dire que tu vas me la bouffer, la chatte. Et que t’as intérêt à mettre du cœur à l’ouvrage.
– Oui, mais avant…
– Quoi, avant ? Il y a pas d’avant qui tienne.
– On devait pas faire des photos tous les deux ? Pour être un peu ensemble même quand on l’est pas. Toi aussi, t’avais promis. T’avais promis que le jour où on se verrait…
– Ah, t’y tiens, toi, à ça, hein !
– Un peu que j’y tiens.
– Eh bien, attrape ton portable alors !
Il a couru le chercher dans la poche de sa veste, est revenu. A aussitôt cadré. Visé.
Elle l’a arrêté.
– Non. Attends ! Attends !
Et voulu que ce soit moi qui les prenne les photos.
– C’est mieux, non. Pour plein de raisons. Tu crois pas ?
– Et c’est moi qui suis démoniaque ? Tu peux parler, toi !
Il m’a tendu son Smartphone et je la lui ai offerte. Étendue, nue, de tout son long, les yeux perdus dans le lointain. Ou bien, au contraire, fixant l’objectif, le défiant. Elle s’est retournée. Et de dos, cette fois, lascive, alanguie, les fesses légèrement entrouvertes, une main négligemment posée sur l’une d’entre elles, les cheveux en pluie sur l’oreiller.
Benjamin a tranquillement constaté.
– Il bande…
– Encore heureux ! Je voudrais bien voir ça que je lui fasse plus aucun effet.
De plus près. De tout près. Son visage. Des moues. Des sourires. Ses yeux. Ses seins offerts. Ses seins qu’elle a pressés l’un contre l’autre.
– Et puis ce qu’il y a aussi, ce qu’il y a surtout, c’est que ça lui déplaît pas comme situation. Bien au contraire. Non ? C’est pas vrai, Alex, ce que je dis là ?
Je l’ai approuvée. D’un petit signe de tête.
– Ah, tu vois…
Sa chatte à nu. En gros plan. Photo sur photo. En rafale. Sa chatte entrebaillée sur ses ciselures. Sa chatte en efflorescences rosées. Sa chatte en vertigineuses luxuriances.
Elle s’est redressée.
– Bon, mais ça peut peut-être suffire, non ?
Il a aussitôt protesté.
– Ah, non, ça suffit pas, non ! J’ai pas ton cul. Et si j’ai pas ton cul…
Elle lui a lancé un regard attendri.
– Ça, je l’aurais parié.
Et s’est docilement tournée.
Je lui ai mitraillé les fesses. Tant et plus. Benjamin à mes côtés, qui a constaté, ravi.
– Elle a une de ces croupes, ta femme, mais une de ces croupes ! Je m’en lasse pas.
Il est allé lui murmurer quelque chose à l’oreille. Et l’a prise par la main. Il l’a fait lever, agenouiller à côté du lit, pointer le derrière en l’air.
– Plus haut ! Là… Comme ça, oui.
Il lui a écarté les jambes au large, du bout du pied.
– Superbe panorama.
M’a fait signe.
– Vas-y ! Continue… Et cible bien !
Une vingtaine de clichés. Une trentaine.
Il a tranquillement constaté.
– Elle mouille.
Sa main est allée se poser sur sa nuque. Est lentement descendue tout au long de la colonne vertébrale, s’est arrêtée à hauteur des reins, y a longuement séjourné avant de reprendre son lent cheminement. Qu’elle a interrompu à l’entrée du sillon entre les fesses.
– S’il te plaît, Benjamin, oh, s’il te plaît ! Me laisse pas, je t’en supplie !
Il s’y est engagé. L’a parcouru et reparcouru sur toute sa longueur. A un peu tournoyé à l’entrée de son petit trou de derrière. A poursuivi. Plus bas. Encore plus bas. Elle a ondulé. De plus en plus vite. De plus en plus large.
– Oui… Trémousse-le bien ton cul, petite femelle !
– Oh, oui, Benjamin, oui ! Je suis une femelle. Je suis ta femelle.
Et elle s’est dandinée de plus belle.
– Regarde ! Non, mais regarde comment elle implore la queue, cette petite foune.
– Mets-la moi, Benjamin ! Bourre-moi ! Défonce-moi ! J’ai trop envie…
Il lui a effleuré le bas de la fesse avec. Elle s’est tendue vers elle, ouverte, offerte.
– Viens, s’il te plaît, viens !
Il s’est approché de l’entrée, a fait mine de s’y aventurer, s’est éloigné.
– Oh, non ! Salaud ! Tu me fais mourir.
Il s’est enfoncé d’un coup.
– Merci. Oh, merci.
Avec un grand râle de ravissement.
Et il l’a besognée. À grands coups de reins. Profonds. Énergiques.
Ils ont eu ensemble un plaisir qu’ils ont longtemps psalmodié.



15-


Elle nous a expédiés.
– Descendez déjeuner, les garçons ! M’attendez pas ! Je fais un brin de toilette et je vous rejoins.
Il s’est jeté sur les croissants.
– J’ai une de ces dalles !
– Et pour cause !
En a avalé trois d’affilée.
– Ah, ça va mieux.
Son portable a sonné.
– Merde ! Ma femme ! Allô, oui ? Quoi ? Mais je te l’ai dit ! Je suis avec un vieux copain. Que j’ai pas vu depuis dix ans. Que j’ai retrouvé par hasard sur Internet. Et ben, si, justement ! Si ! Il est là en face de moi. On déjeune tranquillement tous les deux. Tu veux lui parler ? Oui, oh, si ça peut te rassurer… Non ? Comme tu voudras. Hein ? Oh, je vais pas tarder. Dans l’après-midi, sûrement. Dans la soirée au plus tard. Oui, moi aussi. À tout à l’heure.
Il a raccroché. Soupiré.
– Ça sent le roussi. Mais c’est là-haut, surtout, que ça va être compliqué. Quand on va être rentrés. Parce que mes soi-disant copains, avec qui j’arrête pas d’être fourré, elle y croit manifestement de moins en moins. Non, ce qu’il faudrait, c’est que je lui en présente un. Ça la rassurerait. Seulement pour trouver quelqu’un qu’accepte de jouer le jeu…
– On va souvent chercher bien loin…
– Toi ?
– Ben oui, moi…
– J’y ai pensé. La situation ne manquerait pas de sel.
– Ça, c’est le moins qu’on puisse dire…

– La voilà !
Il lui a souri par-dessus mon épaule.
– Alors, les garçons ! De quoi on causait ? Non, attendez, dites rien ! Laissez-moi deviner. Benjamin a passé Alex à la question, je suis sûre. Vu que – j’ai beau lui assurer sur tous les tons le contraire – il se figure qu’on baise encore tous les deux. « Oh ! Au moins un petit coup comme ça, vite fait, de temps en temps, non ? » Même pas. Seulement il me croit pas. Et il a voulu entendre de la bouche du principal intéressé ce qu’il en était vraiment. Non ? C’est pas ça ? Je me trompe ?
– Complètement.
Elle s’est assise à ses côtés.
– Faut qu’il se fasse une raison n’importe comment. S’il veut baiser, il devra se résoudre à aller voir ailleurs.
Lui a posé une main sur le genou.
– Mais je crois pas qu’il y tienne vraiment au fond. Il a mieux. Beaucoup mieux. Il a le plaisir d’être cocu. C’est un plaisir qui, pour lui, éclipse tous les autres. Et de loin. Non, c’est pas vrai ce que je dis là ?
J’ai souri.
Elle a insisté. Plongé ses yeux droit dans les miens.
– Hein ? C’est pas vrai ?
– Si !
– Ça se voit. Et de plus en plus.
Elle a suivi des yeux la petite serveuse qui déambulait entre les tables avec ses plateaux.
– Elle doit se demander n’empêche ! Parce que voilà près de trois semaines qu’on fait le gentil petit couple modèle. Bien sage. Surgit Benjamin. Qui dort avec nous. Dans notre chambre. Oui, elle doit s’en poser des questions ! Eh ben, tiens ! On va lui donner des éléments de réponse.
Et elle s’est penchée sur Benjamin. Pour un long et langoureux baiser.

On est remontés dans la chambre.
– Parce que lui, il a eu ses photos, mais pas moi.
Où elle m’a tendu son Blackberry.
– À toi de jouer ! Et applique-toi, hein !
Elle l’a tendrement regardé se désaper, tout attendrie. Nous tourner le dos.
– Regarde-moi ça ! C’est tout en muscles. Tout en puissance. Comment tu veux qu’une nana, elle ait pas envie d’un mec comme ça. C’est juste pas possible. Vas-y ! Cible ! Cible ! Et acharne-toi sur les fesses. Il s’est bien gavé des miennes, lui !
Elle m’a tout juste laissé le temps de réaliser quatre ou cinq clichés et elle est venue y poser ses mains. Ses lèvres. Les a piquetées d’une multitude de petits baisers. S’est reculée d’un coup.
– Faut que je me calme. Sinon jamais tu pourras finir. Mais il perd rien pour attendre, alors là ! Comment il va y attraper après !
Elle l’a fait se retourner.
– Là. De face. D’abord en entier… Et puis après tu t’approches. De plus en plus près. Ah, mais non ! Qu’est-ce qu’il nous fait, lui ! Non, mais j’y crois pas ! Il bande. T’es vraiment pas marrant, Benjamin ! Pas encore ! Pas tout de suite ! Je te voulais à toutes les étapes, moi ! Depuis quand elle est toute flasque, toute fripée, jusqu’à quand elle se retrouve orgueilleusement en état de marche. Et au lieu de ça…
– Vous êtes trop quand même, vous, les nanas. On bande pas, ça vous va pas. Et on bande, ça vous va pas non plus.
– Question de moment. Bon, mais en attendant, il y a pas trente-six solutions.
Elle s’est agenouillée. Elle a pris ses couilles dans le creux de sa main, l’a refermée dessus, s’est penchée. Penchée encore. Plus près.
– Mais continue, Alex, hein ! Continue ! T’arrête pas !
Elle l’a pris dans sa bouche. Son bout. Qu’elle a englouti. Qu’elle a fait aller et venir entre ses lèvres.
Lui, la tête rejetée en arrière, les yeux mi-clos, il lui caressait doucement la nuque.
Elle a accéléré le rythme. Il a gémi.
– Je viens ! Je viens !
Elle l’a relâché. Abandonné. Il a protesté.
– Oh, non !
– C’est pour les photos. Que je te voie gicler. T’en mourras pas pour une fois de pas me le faire dedans.
Il s’est répandu sur ses doigts, sur ses poignets et jusque sur la moquette.
Elle lui a jeté un petit baiser dessus.
– Là ! On te laisse souffler cinq minutes et on passe aux choses sérieuses.
Le temps, pour elle, de jeter un coup d’œil aux photos qui venaient d’être faites.
– Pas mal ! Pas mal du tout ! Bon, mais allez, on y retourne !
Elle l’a repris en mains.
– Là ! Voilà ! Comme ça ! Qu’elle monte doucement ! Tout doucement ! Génial ! C’est génial ! Oh, attendez, j’ai une idée.
Elle est venue m’arracher le Blackberry des mains.
– Vas-y ! Va me remplacer ! Ben, me regarde pas avec cet air idiot ! T’as très bien compris. Va t’occuper de sa queue. J’ai trop envie de voir ça…
Je m’y suis résolu. J’ai avancé la main, l’ai effleurée, m’en suis éloigné, y suis revenu. Ai hésité…
Elle a éclaté de rire.
– Tu t’y prends comme un manche, mais vraiment comme un manche. Laisse-moi faire, va, ça vaudra mieux.



16-


Elle a agité la main jusqu’à ce que la voiture de Benjamin ait disparu derrière le petit bosquet.
– Bon, ben voilà…
On est lentement revenus vers l’hôtel. Le gravier crissait sous nos pieds.
– C’est rassurant quand même…
– Quoi donc ?
– Qu’il t’ait demandé de lui servir d’alibi pour sa femme. Ça prouve qu’il a pas l’intention de mettre un terme, nous deux. Au moins dans l’immédiat.
– C’est ta grande hantise, ça, hein !
– Il y a de quoi, non ? Parce que c’est le régime de la douche écossaise avec lui. Il te laisse sans nouvelles pendant des semaines et puis il réapparaît d’un coup, comme ça, sans crier gare, plus tendre et passionné que jamais. Non, j’avoue que j’ai un mal fou à le cerner. Qu’est-ce qu’il veut au juste ? Qu’est-ce qu’il ressent vraiment pour moi ? Mystère. Tiens, viens, on va aller s’asseoir un peu là-bas.
Sous la tonnelle. Sous la glycine. Elle y a joué un moment à pousser un caillou, du bout du pied, perdue dans ses pensées.
– Il y a des moments, je me dis que, si ça tombe, c’est purement stratégique tout ça. Qu’il me met sur des charbons ardents exprès. Pour me déstabiliser. Pour me rendre complètement accro. Et puis, il y a d’autres moments, je me dis que je vais chercher midi à quatorze heures, que c’est bien plus simple que ça : il est beau, il est séduisant, il a toutes les nanas qu’il veut à ses pieds. Je suis une parmi d’autres. Parmi beaucoup d’autres. Le mieux que j’aie à faire, c’est de prendre ce qu’il me donne. Quand il me le donne. Sans me poser tant de questions. Sans exiger quoi que ce soit. Sans revendiquer quoi que ce soit. Il finirait par se lasser. Et je finirais par le perdre. Non ? Tu crois pas ? Qu’est-ce t’en penses, toi ?
– Que tu l’as dans la peau.
– Oui. Non. Je sais pas en fait. J’ai besoin de lui, ça, c’est sûr. D’être dans ses bras. De caresser sa peau. D’entendre ses mots. D’avoir sa queue. Qu’elle gicle en moi. Est-ce que ça veut dire pour autant que je suis…
Elle s’est interrompue.
– Amoureuse ? C’est le mot que tu cherches ?
Elle s’est récriée.
– Non. Ça, non ! Je crois pas.
– Bien sûr que si ! Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Tu devrais l’admettre, une bonne fois pour toutes. Tu te sentirais beaucoup mieux.
– Oui, mais…
– Mais moi ? Disons, si ça peut te rassurer, que je suis convaincu qu’on peut, sans problème, aimer deux personnes à la fois. Au moins…
– Tu es vraiment…
– Exceptionnel, je sais. Tu n’en as jamais douté, j’espère !

On était en train de s’installer pour déjeuner, à midi, quand son portable a sonné.
– Tu réponds pas ?
– Non. C’est l’autre, là, le Gauvin du quatorze juillet.
Qui a laissé un message qu’elle a écouté en soupirant.
– Il est lourd, mais lourd !
– Il veut quoi ?
– Devine !
– Et apparemment, t’en es pas.
– Pas bien, non. Pas du tout, même. C’est pas que j’aie quoi que ce soit contre lui. Il est agréable. Il baise bien. J’ai passé de bons moments avec. Mais bon… Il vient d’y avoir Benjamin. Je suis encore toute pleine de lui. Et Benjamin, c’est Benjamin. Alors Gauvin !

On a passé l’après-midi à la piscine.
– Que je rentre quand même un minimum bronzée.
Et j’ai fait mine de me plonger, tandis qu’elle somnolait, dans la lecture d’un polar-alibi.
Elle a éclaté de rire.
– T’es vraiment pas discret. Tu les bouffes carrément des yeux, les nanas, oui ! T’es pas le seul, remarque ! Parce qu’il y a en a un, là-bas, à droite.
– Qu’arrête pas de te mater… Normal. Une belle femme comme toi.
– Oui, oh, ben, en l’occurence, c’est plutôt après toi qu’il en a.
– Moi ? Il est où ?
– Le maillot vert. Sur le transat rouge. Vas-y, si tu veux, hein ! Je suis sûre qu’il y aura mèche avec lui.
– Oui, mais non. Merci. Sans façons.
– Ça vaut mieux. Parce qu’il serait pas déçu du voyage, le pauvre.
– Qu’est-ce t’en sais ?
– J’en sais que je t’ai vu à l’œuvre, pas plus tard que ce matin, avec la queue de Benjamin. Tu savais pas par quel bout la prendre, c’est le cas de le dire. On aurait dit que t’avais peur qu’elle te morde. Ou qu’elle te saute à la figure. Vous êtes trop, vous, les mecs, n’empêche, avec ça. Vous en faites toute une histoire. Pour nous reluquer ensemble, nous, les nanas, ah, ça, vous vous faites pas prier. Vous êtes les premiers à réclamer. Mais quand il s’agit de nous offrir la réciproque, il y a plus personne.

Dans le lit, elle s’est tournée. Retournée. Dix fois. Vingt fois. A fini par rallumer son Blackberry. Fait défiler les photos.
– Si seulement il avait la bonne idée d’appeler, mais faut pas rêver. À cette heure-ci, il y a pas de risque.
Elle a soupiré. L’a éteint. Continué à se retourner encore et encore.
– Rien que de penser à lui, non, mais comment il me donne envie, ce salaud !
Elle l’a repris. Fait encore défiler.
– Celle-là ! C’est celle que je préfère.
On l’y voyait en pied, tout sourire, la queue à demi dressée.
– Tiens-le moi ! Que j’aie les mains libres ! Un peu plus haut… Oui. Là. Comme ça ! Génial.
Ses mains ont moutonné sous les draps, l’une à hauteur des seins, l’autre de la chatte. Son souffle s’est fait plus court.
– Oh, oui, Benjamin ! Que c’est bon ! Que c’est bon !
Elle a rejeté draps et couvertures au pied du lit, s’est ouverte au large. Ses reins se sont creusés. Sa tête s’est affolée sur l’oreiller. Un doigt a tourbillonné sur son bouton. Son autre main l’a obstinément lissée sur toute sa longueur. Elle a imploré…
– Sa bite ! Change la photo ! Donne-moi sa bite. Vite, mais vite !
Ses yeux s’y sont rivés.
– Je vais jouir… Je jouis… Oh, Benjamin !



17-


Je me suis empressé, aussitôt rentré, de donner rendez-vous à Séverine, la femme de Benjamin.
– Vous allez avoir la surprise, un de ces quatre matins, de me voir arriver en compagnie de votre mari.
– Ah, parce que c’est vous ! Il m’a effectivement parlé d’un pote avec qui il faisait plein d’activités. Qu’il tenait absolument à me présenter. Et c’est vous ! Il manque vraiment pas d’air.
– C’est moi, oui !
– Eh ben, si je m’attendais à ça ! Quoique… plus ça va et plus je me dis que rien ne l’arrête, qu’il n’a aucun respect de quoi que ce soit. La preuve ! Non, mais faut quand même être particulièrement retors, avouez, pour aller copiner comme ça avec le mari de sa maîtresse.
– Il doit avoir une petite idée derrière la tête.
– Le connaissant, ça fait pas l’ombre d’un doute. Toute la question est de savoir laquelle. Une chose est sûre, en tout cas, c’est qu’il doit allègrement se délecter, quand il est avec vous, de l’idée qu’il se tape votre femme derrière votre dos. C’est comme, franchement, me faire vous rencontrer, c’est un peu, d’une certaine façon, m’exhiber sa maîtresse sous le nez à mon insu, non ? Vous trouvez pas ? Ah, il doit bien rigoler en son for intérieur de nous manœuvrer tous les deux comme il nous manœuvre.
– Sauf qu’on n’est pas dupes. Alors qui c’est qui tire les ficelles, en réalité, au bout du compte ?
– Lui quand même. Parce qu’il arrive à ses fins. Et qu’il nous fait cocus. L’un comme l’autre.
– Oui, alors, si je vous comprends bien, vous voudriez qu’on siffle la fin de la récréation ?
– Je sais pas. J’en sais rien. Ce qu’il y a, par contre, c’est qu’avec le recul, je me demande si on n’a pas eu tort finalement. Si on n’aurait pas dû mettre les pieds dans le plat dès le début. Empêcher tout ça de prendre de l’ampleur.
– On les aurait braqués. Et sans doute définitivement perdus.
– On les a perdus de toute façon. Parce que je sais pas vous, mais moi, je suis devenue complètement transparente à ses yeux. Alors il y a des moments, il me vient une de ces furieuses envies de ruer dans les brancards. De déclencher quelque chose. N’importe quoi. Pour qu’il me voie. Pour que j’existe. Et puis, il y en a d’autres où je m’en fiche complètement. Où je me dis que c’est mort. Que je n’ai plus vraiment de sentiments pour lui. Que rien, quoi que je fasse, ne pourra plus jamais être comme avant. Que le mieux que j’aie à faire, c’est d’organiser ma petite vie à côté de la sienne. Sans lui. Que je sorte. Que je m’éclate. Et que, moi aussi, je me prenne un amant plutôt que de rester terrée dans mon coin.

Alyssia s’est esclaffée…
– Si c’est pas un appel du pied, ça ! Et alors, tu vas faire quoi ? Tu vas donner suite ?
– Je crois pas, non.
– Pourquoi ? Elle te plaît pas ?
– C’est pas qu’elle me plaît pas, c’est que la situation est déjà assez compliquée comme ça, non, tu trouves pas ?
Elle m’a ébouriffé les cheveux.
– Ah, tu changeras pas, toi, hein ! Tu trouveras toujours un prétexte pour te défiler devant une nana qui te fait des avances. Bon, mais on va pas revenir là-dessus. Je t’ai déjà dit cent mille fois ce que j’en pensais. En attendant, si je comprends bien, elle a pas l’intention de mettre les pieds dans le plat.
– Pas pour le moment en tout cas.
– Ben oui, elle est pas idiote. Elle le sait bien, va, tout au fond d’elle-même qu’elle a pas intérêt à lui poser un ultimatum. Et que s’il était vraiment obligé de choisir entre elle et moi… Bon, mais tu crois que tu vas t’en sortir ?
– Comment ça ?
– Entre lui qu’est pas au courant que tu complotes avec sa femme derrière son dos et elle qui sait pas que tu cautionnes allègrement ma relation avec son mari, ça va pas forcément être simple. Tu risques de te faire à tout moment des nœuds. D’autant qu’il y a aussi moi. Qui suis censée pas savoir, du moins pour le moment, que tu vas aller jouer les pompiers de service auprès d’elle.
– Je naviguerai à vue.
– Au risque de te planter…
– Mais le moyen de faire autrement ?

Benjamin a voulu qu’on se voie. Tous les deux. Rien que nous deux.
– Qu’on se concerte… Qu’on s’invente des souvenirs en commun… Qu’on se fabrique des anecdotes… Parce que je connais Séverine. Elle aura tôt fait de flairer qu’il y a anguille sous roche sinon.
On travaillait à vingt minutes l’un de l’autre. On s’est déniché un petit restaurant à mi-chemin où on s’est retrouvés le lendemain, sur le coup de midi.
Bon, mais alors elle était comment sa femme finalement ?
Il m’a sorti une photo. Qui datait d’au moins dix ans. On l’y voyait souriante, assise sur un rocher, la robe relevée haut sur les cuisses.
– Pas mal…
– Oh, pour ça, oui ! C’est pas moi qui te dirai le contraire. Seulement…
– Seulement ?
Il a levé les yeux au ciel.
– Elle est comme l’immense majorité des femmes. Coincée du cul. Et le pire, c’est qu’elle est convaincue du contraire. Sous prétexte qu’elle condescend à me tailler une pipe, du bout des lèvres, tous les tournants de lune ou qu’elle se laisse mettre un doigt dans le cul, de temps à autre, quand on baise, elle s’imagine être sexuellement libérée. Au top du top dans ce domaine. Le reste ? Ce sont, à ses yeux, pratiques de pervers dont elle ne veut pas entendre parler. Dans ces conditions, comment veux-tu que j’aille pas voir ailleurs ? N’importe qui, à ma place… Ce qui ne l’empêche pas d’avoir plein de qualités. Et puis on s’entend plutôt bien. On a, dans quantité de domaines, une même façon de voir les choses. Sans compter tout ce qu’on a vécu ensemble. De bon ou de moins bon. Tout ça nous a, au fil du temps, sanglés l’un à l’autre. Tant et si bien que je ne pourrais pas vivre sans elle. Ce n’est seulement pas envisageable. Mais, d’un autre côté, sexuellement, faut que je m’éclate. C’est impératif. Et, à cet égard, ta petite femme est un don du ciel. Une véritable bénédiction. Le cul, elle adore. Elle en veut. Elle en redemande. Et pas n’importe quoi ! De l’élaboré. Du qui sort de l’ordinaire. Elle est ouverte à tout. Ah, ça, avec elle, je suis sûr de pas m’ennuyer. Les idées que moi j’ai pas, c’est elle qui va les avoir. C’est pour ça, j’ai du mal à te comprendre, j’avoue ! Réussir à te faire claquer la porte au nez par une femme aussi demandeuse et, qui plus est, ta propre femme, faut quand même le faire. T’as dû y mettre sacrément du tien, non ? Il s’est passé quoi au juste ?
– Rien. Absolument rien. Ce qu’elle me reproche en fait, c’est de pas avoir su la faire être ce qu’elle ne savait pas qu’elle était.
– Oui. Oui. Mais il y a sûrement pas que ça.

Il m’a fait faire la connaissance – si on peut dire – de Séverine le soir même.
– Vite fait, pour la première fois. Que ça fasse pas trop insistant. On boit un coup et puis tu te casses.
Il nous a présentés.
– Alex… Le copain dont je t’ai parlé. On se connaît depuis… Hou là là… Des éternités. On s’était complètement perdus de vue. Et puis on s’est retrouvés. Par hasard. Et là, maintenant, on se quitte plus. Ah, non alors ! Des tas de trucs on va faire ensemble.
– Enchantée.
– Moi aussi.
On a parfaitement joué le jeu, elle et moi. On a été, tout du long, de parfaits inconnus l’un pour l’autre.



18-


Alyssia voulait retourner au Petit Castel. Avec Benjamin. La même chambre.
– Parce que c’est là que tout a commencé, nous deux. Alors j’ai plein de souvenirs là-bas. J’adore ça repasser dessus. Non, et puis ce qu’il y a aussi : à la maison, c’est pas mal, oui, bien sûr. Je vais pas dire le contraire, mais ça vaut quand même pas quand t’as plein de monde autour. Que tu les regardes pendant que tu dînes les gens et que tu te dis qu’il y en a, dans le tas, qui vont être dans les chambres voisines, qui vont t’entendre baiser, que ça va les exciter que le diable. Et tu sais ce qu’il faudrait ? Qui serait mille fois mieux ? C’est savoir qui. Qui il y a à droite, qui il y a à gauche, qui il y a au-dessus. On y ferait tout spécialement attention à ceux-là. On les bichonnerait du regard pendant qu’ils mangent. Et comme ça, après, une fois qu’on serait en haut… Mais j’y pense ! C’est faisable. Tu pourrais partir en éclaireur, toi ! Tu finis tôt. Tu surveillerais les arrivées, les allées et venues, tout ça… Et tu nous dirais.

À quatre heures, j’étais là-bas. J’ai commencé par m’offrir une petite ronde dans les étages. À tout hasard. Bien m’en a pris. Au troisième, une porte, sur laquelle était inscrit « PRIVÉ », en grosses lettres rouges sur fond blanc, était entrebaillée. Ça parlait à l’intérieur. Des voix de femmes. Jeunes. Deux. Dont celle de la serveuse, la fille des patrons.
– Il est là, j’te dis ! Je viens de voir sa voiture…
– Qui ça ?
– Mais le cocu, tiens ! Le cocu de la 122.
– Tout seul ? Il y a pas les deux autres ?
– Sûrement qu’ils vont pas tarder.
Elles se sont chuchoté quelque chose.
– Non ! Tu vas pas faire ça !
– Je vais me gêner !
Et elles ont éclaté d’un rire interminable.

Je me suis discrètement éclipsé. Je suis redescendu. Et je me suis trouvé nez à nez avec une jeune femme rousse d’une trentaine d’années qui ne m’a pas prêté la moindre attention et qui s’est précipitamment engouffrée dans la chambre voisine. Celle de droite. Ça commençait bien…
Je me suis installé, avec ma tablette, à la fenêtre de la nôtre, une fesse sur le radiateur, et j’ai attentivement surveillé les allées et venues.
À cinq heures et demi est arrivé un couple de retraités qui est allé se perdre très loin dans les étages. Et puis, une vingtaine de minutes plus tard, deux autres. Coup sur coup. L’un, d’âge mûr, s’est installé dans une chambre de l’étage du dessus, un peu sur la droite. L’autre, d’une trentaine d’années, a élu domicile à l’autre bout du couloir.
À six heures, sont arrivés deux types. Dans les vingt-cinq ans. À qui on a donné la chambre voisine. Celle de gauche. Des amis ? Des frères ? Un couple ? Je n’ai pas tardé à être fixé.
– Elle te plaisait la petite brune, hein, là-bas, tout-à-l’heure.
– Oui, oh…
– Menteur ! T’as pas arrêté de la bouffer des yeux. Tout l’après-midi. Et de bander.
– Tu te l’es imaginé.
– Ben, voyons ! Je te connais, attends, depuis le temps. Et je suis sûr que rien que de parler d’elle, ça recommence à grimper. Fais voir ! Fais voir, j’te dis ! Tiens, bingo ! Et pas qu’un peu ! Je comprendrai jamais que des nanas puissent te mettre dans des états pareils. T’es vraiment rien qu’un gros cochon. Un putain de salaud de gros cochon. Mais j’aime ça. Et je vais en profiter.
Ils se sont tus. Il y a eu des halètements. Un bruit de succion. Des gémissements.
– T’as avalé… J’adore quand t’avales.
Des baisers. Des chuchotements. Encore des baisers.

Au restaurant, après, en bas, je les leur ai discrètement indiqués, du coin de l’œil.
– Ce sont eux.
Elle a souri.
– Ils vont remettre ça tout-àl’heure. On fera ce qu’il faut pour. Et la rouquine, elle est où ?
– À mon avis, là.
La table vide, juste à côté de la nôtre.
On l’a attendue pendant tout le repas.
– Mais qu’est-ce qu’elle fout ? Qu’on voie à quoi elle ressemble au moins.
Quand elle a enfin fait son apparition, on attaquait le dessert. Elle nous a, cette fois, gratifiés d’un large sourire. Un sourire qu’Alyssia et Benjamin lui ont rendu.
Ils se sont longuement attardés à table. Se sont pris la main, fait des chuchoteries à l’oreille, bécotés tant et plus. Et ils l’ont laissée remonter la première.

Dans l’ascenseur, Alyssia m’a donné ses consignes.
– Tu surveilles ? Tu écoutes ? Comment ça réagit. Ce qui se passe. Des deux côtés. Tu nous raconteras.
Dans la chambre, elle a fait mine d’être furieuse.
– Espèce de salaud ! Tu l’as fait exprès. Je suis sûre que tu l’as fait exprès.
Et Benjamin mine de tomber des nues.
– Hein ? Quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait exprès ?
– Joue bien les innocents ! Parce que qu’est-ce que c’est que ces façons de traîner des éternités à table alors que tu sais très bien que j’en peux plus tellement je crève d’envie que tu m’enchattes.
– Oh, mais si c’est que ça ! T’en veux ! Eh bien tu vas en avoir…
– J’espère bien. Et t’as intérêt à tenir la distance.
– Toi, tu me cherches, ce soir. Tu me cherches et tu vas me trouver.
Il l’a fait reculer, à petites poussées insistantes, du plat de la main, jusqu’au mur. Celui du côté des types. Il l’y a plaquée, immobilisée. Il a relevé la robe, écarté la culotte. Et constaté, d’un doigt inquisiteur.
– T’es trempée.
Il l’a pénétrée d’un coup. Et aussitôt bourrelée à grands coups de reins impérieux.
– Oh, Benjamin ! Benjamin !
Elle a amoureusement noué ses bras autour de lui.
– Mon Benjamin !
Ils réagissaient comment les types à côté ? J’avais beau tendre l’oreille. Impossible d’entendre quoi que ce soit. Les gémissements d’Alyssia, les claquements de ses fesses sur la cloison contre laquelle elles venaient méthodiquement battre, à chaque coup de boutoir, faisaient désespérément écran. Et de dehors ? Peut-être que de dehors… Oui, sûrement même. Je me suis discrètement approché de la porte. Que j’ai ouverte et derrière laquelle j’ai trouvé, penchée à l’équerre, l’œil rivé au trou de la serrure… la serveuse, la fille des patrons, le jean déboutonné, une main à l’intérieur. Elle m’a jeté un regard épouvanté et s’est enfuie. Du plus vite qu’elle a pu.
J’ai attendu qu’elle ait disparu au détour du couloir et je me suis, à mon tour, approché de la porte de nos voisins. J’y ai collé l’oreille. Il m’a semblé percevoir un coulis de mots murmurés très bas. Sans certitude absolue. Peut-être mon imagination me jouait-elle des tours. Et la rousse à droite ? Je les ai abandonnés et suis allé m’occuper d’elle. Elle gémissait. Une myriade de petits gémissements étouffés. Sans doute dans l’oreiller.



19-


Au petit déjeuner, c’était elle, la fille du patron, qui était de service sur la terrasse. Elle y faisait de rapides apparitions, débarrassait un plateau, passait vite fait un coup de torchon sur une table. En évitant soigneusement de trop s’approcher de nous. Et sans jamais jeter le moindre regard dans notre direction. De toute évidence, elle n’en menait pas large.
Alyssia a fini par l’appeler.
– S’il vous plaît…
Elle s’est approchée. À contrecœur.
– Vous vous appelez comment ?
– Eugénie…
– Et vous avez quel âge ?
– Vingt-deux.
– Alors comme ça, Eugénie, on espionne les clients… Une grande fille comme toi ! Tu sais que c’est pas bien du tout ?
Elle est devenue écarlate.
– Je vous jure…
Alyssia a éclaté de rire.
– Ben, voyons ! N’empêche… Qu’est-ce que ça a dû être frustrant pour toi ! Être interrompue, comme ça, en pleine action.
Elle se dandinait d’un pied sur l’autre, se grattait nerveusement la joue.
– Tu t’es finie dans ta chambre, j’parie ! Non ?
Elle a désespérément cherché autour d’elle un hypothétique secours.
– Faut que j’y aille ! Il y a du monde.
– T’as bien deux minutes. À ton avis, il va penser quoi de tout ça, ton père ?
Elle s’est affolée.
– Vous allez pas lui dire !
– Peut-être que non. Et puis peut-être que si.
– Le dites pas ! Je vous en supplie, le dites pas !
– À une condition…
– Laquelle ?
– Je te le ferai savoir, le moment venu.
On l’a appelée de l’intérieur.
– Voilà ! J’arrive… Excusez-moi !
Elle s’est éloignée. A disparu.
On a voulu savoir, Benjamin et moi.
– Et c’est quoi, cette condition ?
– Vous verrez bien. Ce sera la surprise.

On était sur le parking, en train d’empiler nos sacs de voyage dans le coffre de nos voitures quand on a aperçu la jeune femme rousse qui venait droit sur nous.
– Tiens, on l’avait oubliée celle-là !
Elle a abordé Alyssia, tout sourire.
– Bonjour… Je vais sans doute vous paraître d’un invraisemblable sans gêne, mais est-ce qu’il ne vous serait pas possible de me déposer à la gare ? Ça fait un quart d’heure que j’essaie d’appeler un taxi, mais c’est la croix et la bannière.
– Si ! Bien sûr ! Tenez, vous n’avez qu’à monter avec Alex. Vous lui tiendrez compagnie.

Elle s’est installée, a bouclé sa ceinture.
– Merci ! C’est très gentil à vous.
Je me suis engagé sur la petite portion menant à la nationale.
– Vous allez où, au juste ?
– Porte de Versailles.
– Je vous y laisserai. Ça me fait pas un grand détour.
– Je ne voudrais pas abuser.
Mais non ! Elle abusait pas, non.
On a roulé une bonne dizaine de kilomètres sans échanger le moindre mot. Et puis elle a fini par se lancer.
– Excusez mon indiscrétion, mais…
– Mais ?
– Mais j’ai cru comprendre que cette dame était votre femme.
– Oui. Et alors ?
– Et alors je me disais… Je me demandais… Mais enfin ça ne me regarde pas…
– Vous vous demandiez pourquoi ce n’est pas avec moi qu’elle est repartie ? Parce qu’elle est arrivée avec son amant. Et que c’est avec lui qu’elle avait envie de repartir. Ça vous va comme explication ?
– Je suis confuse. Je ne voudrais pas me mêler…
– Oui, oh, de toute façon… Vous occupiez la chambre à côté de la nôtre, non ?
Elle m’a jeté un regard en coin.
– Si !
– Et comme les murs sont en carton-pâte dans cet hôtel…
– Ah, ça !
– Vous étiez aux premières loges.
– Quand bien même je n’aurais pas voulu entendre…
– On vous a empêchée de dormir. J’en suis désolé.
Elle a haussé les épaules.
– Pas grave.
Et aussitôt ajouté.
– Moi aussi, je suis mariée.
– Ah !
Elle a suivi des yeux un transporteur qui déchargeait des colis sur le trottoir.
– Et j’ai aussi un amant.
À mon tour de lui jeter un regard en coin. Où elle voulait en venir, là ?
Elle a soupiré.
– Si on pouvait s’entendre, tous les trois, aussi bien que vous.
– Ça viendra peut-être…
– Sûrement pas, non ! Parce qu’il faudrait d’abord que mon mari soit au courant que j’ai quelqu’un d’autre. Et il vaudrait mieux pas. Ce jour-là, il m’arrache les yeux. N’empêche, comment ça fait rêver, votre truc…
Je me suis garé le long du trottoir.
– Vous êtes arrivée.
– Déjà !
Elle a ouvert la portière.
– Bon, ben merci. Merci beaucoup. Et sans doute à une prochaine fois. Là-bas…

Alyssia en était convaincue.
– Ah, ça, c’est sûr qu’on l’y retrouvera là-bas. À se rincer les oreilles dans la chambre d’à côté. Cela étant, tu y as cru ?
– À quoi ?
– Le mari, l’amant, tout ça…
– Je sais pas. Ça avait l’air vrai…
– Un mari… Un amant… Et elle se retrouve toute seule à l’hôtel ? Mouais…



20-


– Alex ? C’est Benjamin ! Ça va ?
– Et toi ? T’as une voix bizarre.
– Écoute… Si jamais Séverine t’appelle…
– Elle se doute de quelque chose ?
– Peut-être. C’est possible. Je sais pas. Mais mieux vaut prévenir que guérir. Alors si elle t’appelle, on était tous les deux à Forbach, ce week-end. À un congrès sur les règles d’arbitrage au hand.
– Vu. Et si elle veut des précisions ?
– Je t’ai envoyé un mail avec le nom et l’adresse de l’hôtel où on a soi-disant dormi, celle de la salle où avait lieu le congrès – qui s’est effectivement tenu – et les horaires de train.
– Ça marche.
– Cela étant, tu fais quoi, toi, cet après-midi ?
– Rien de spécial.
– On va se faire un tennis alors ? Ça nous décrassera, ça nous donnera l’occasion de discuter un peu entre hommes et, si jamais elle appelle, tu me la passeras. Ça la rassurera de nous savoir ensemble.

On s’est laissé tomber sur le banc, au bord du court, nos raquettes à nos pieds.
– Je manque d’entraînement, il y a pas à dire.
– Et moi donc !
Il a repris son souffle, s’est mis à dessiner un cercle, du bout du pied, dans la poussière.
– J’ai déjeuné avec ta femme hier.
– Je sais, oui, elle m’a dit.
– Et on a beaucoup parlé de toi.
– De moi ? Diable !
– Tu sais ce qu’elle aimerait ?
– Dis !
– Nous voir nous occuper l’un de l’autre ou, plus exactement, te voir t’occuper de moi.
– Elle m’en a jamais parlé.
– Non, mais elle t’a tendu la perche, un jour, au « Petit Castel », une perche que tu n’as pas saisie. Ça te répugne tant que ça ?
J’ai haussé les épaules.
– C’est pas que ça me répugne. C’est que j’ai jamais essayé. J’ai jamais eu l’occasion. Alors comment veux-tu que je sache si j’aime ou si j’aime pas ?
Il s’est levé.
– Le seul moyen de savoir…
Il n’a pas achevé sa phrase. Il s’est dirigé vers le court.
– On échange encore quelques balles ?

J’ai jeté ma raquette.
– Bon, allez, cette fois, moi, je jette l’éponge. J’en peux plus. Une bonne douche et…
– On la prendra à la maison. Je m’en méfie comme de la peste, moi, de ces douches publiques Et puis tu pourras voir Séverine comme ça.
Séverine qui n’était pas là.
– Non. Vers six heures elle rentre. Tiens, c’est par là la douche.
Il m’a apporté gant de toilette et serviette de bain.
– Ça t’ennuie si je la prends avec toi ?
Ça m’ennuyait pas, non.
Il m’a rejoint. Chacun s’est d’abord savonné et frictionné en silence. Rincé.
Il a avancé la main en souriant, m’a effleuré le ventre, juste au-dessous du nombril.
Je n’ai rien dit. J’ai soutenu son regard.
Il est descendu, m’a sollicité, du bout du pouce.
– T’as l’air d’aimer ça, finalement, dis donc !
Il s’est agenouillé. M’a d’abord léchoté le gland, à rapides petits coups de langue, sur toute sa surface. L’a emprisonné et agacé entre ses dents. Avant de m’engloutir. De me la tournoyer tout en me malaxant savamment les couilles. De plus en plus savamment. J’ai gémi. Et j’ai déchargé en psalmodiant mon plaisir. Il a bu. Jusqu’au bout.
Une petite claque sur les fesses et il s’est relevé.
– À ton tour maintenant !
À mon tour.
Je l’ai lentement apprivoisée. Avec les doigts. Avec la bouche. Avec la langue. Ses mains s’étaient posées sur ma nuque qu’il pétrissait avec ardeur. Je l’ai pris entre mes lèvres, juste au bord, relâché, repris. Encore rejeté.
– S’il te plaît, Alex, s’il te plaît !
Et il s’est enfoncé tout entier en moi avec un long râle de satisfaction. A donné de grands coups de reins que j’ai accompagnés, les mains agrippées à ses fesses. Il a libéré son plaisir à longues giclées chaudes dont je me suis repu.
– Alors ? Pas trop déçu pour une première fois ?
– Oh, non, non !
– Il y aura plus qu’à faire la surprise à ta petite femme.

Quand Séverine est rentrée, on était attablés tous les deux devant un grand verre de whisky.
– Ah, ben, ça va ! Faut pas s’en faire.
– Ça pourrait être pire. Tu veux quelque chose ?
– Oui. Un muscat.
Qu’il est allé lui chercher.
Elle en a profité pour se pencher vers moi.
– Faut que je vous parle. Faut absolument que je vous parle. Demain midi ? À la brasserie ?
Je lui ai signifié mon accord d’un signe de tête.

Alyssia m’a considéré d’un air amusé.
– Et toi, t’en es encore à penser qu’elle te drague pas…
– Je crois pas, non.
– Tu parles ! C’est clair comme de l’eau de roche. Qu’est-ce tu veux que ce soit d’autre ?
– Je sais pas.
– Mais si, c’est ça ! Bien sûr que c’est ça ! Bon… Mais, et cette partie de tennis avec Benjamin ? C’était bien ?
– Ça a pas duré longtemps. On n’est vraiment pas au top de notre forme tous les deux.
– Tu m’en diras tant…
– On a pas mal discuté du coup. Et il m’a dit que tu crevais d’envie de nous voir faire des trucs ensemble, lui et moi.
– Ça fait des semaines et des semaines qu’il me bassine avec ça.
– C’est pas vrai ?
– Si ! Bien sûr que si que c’est vrai. Que ça me plairait ! Et surtout que ce soit vous deux. Je vais pas nier l’évidence. Mais j’y attache pas autant d’importance qu’il l’imagine. Ou qu’il le souhaiterait. Parce que manifestement, lui, ça le tient !



21-


Séverine a attaqué, d’emblée, avant même d’avoir fini de s’asseoir.
– Il a quelqu’un d’autre.
– Quoi ? Qui ça ?
– Benjamin. Quelqu’un d’autre que votre femme.
– Vous êtes sûre ?
– Pratiquement.
– Et c’est qui ?
– Alors ça ! Oh, mais je finirai bien par le découvrir. Ou bien vous. Vous le voyez souvent. Quelque chose va forcément, à un moment ou à un autre, vous sauter aux yeux. Ou même… vous pouvez susciter des confidences. Entre hommes, on aime se vanter. Et je le vois bien dans le rôle.
– Vous allez faire quoi ?
– J’aviserai. Quand je saurai. Mais pas la peine que je me berce d’illusions. Je ferai rien. Je subirai. Comme d’habitude. En espérant qu’il va pas se toquer de cette nouvelle conquête. Qu’il va pas avoir la lumineuse idée de vouloir « refaire sa vie ». Je l’ai dans la peau, qu’est-ce que vous voulez ! Alors il peut bien me faire cocue tant et plus. Du moment qu’il reste avec moi, qu’il parle pas de me quitter, qu’il dort, au moins de temps en temps, dans notre lit, que je peux me blottir contre lui, j’en ai rien à foutre. Je suis prête à tout accepter. Et à fermer les yeux. Vous comprenez ça ?
– Très bien, oui.
Elle m’a saisi la main par-dessus la table, l’a serrée à la broyer.
– J’ai peur ! Si vous saviez ce que j’ai peur ! J’ai peur que c’en soit une qui veuille me le voler, cette fois-ci. Qui fasse tout pour ça. Vous allez m’aider, hein ? On va trouver. Que je sache qui c’est. Si elle est mariée. Ce qu’elle a dans la tête. Si je dois m’inquiéter ou bien si… Oui, hein que vous allez m’aider ?
– Je vous le promets.
– Merci.
Elle a desserré son étreinte.
– Pour vous, par contre, peut-être que les choses vont s’arranger du coup. Tout nouveau, tout beau. Votre femme sera reléguée au second plan. Peut-être même qu’elle va complètement disparaître de son champ de vision. Qu’elle l’encombre maintenant. Qu’il envisage de s’en débarrasser. Et que tout ça ne sera bientôt plus, pour vous, qu’un lointain et mauvais souvenir.
Elle s’est levée. Elle avait les larmes aux yeux.
– À bientôt. Je compte sur vous, hein !

Alyssia était persuadée qu’il ne la quitterait pas.
– T’as assisté, attends ! T’as vu quel pied il prend avec moi. Et il renoncerait à ça ? Ah, non ! Non. J’y crois pas une seule seconde. Maintenant, qu’il suive parallèlement une autre piste, c’est possible. Le connaissant, c’est même probable. Parce que, quand il commence à raconter, comme ça, que sa femme a des doutes, qu’il faut faire preuve de la plus extrême prudence, c’est qu’il a ouvert un nouveau front et que, du coup, il a moins de temps à me consacrer. C’est ce qui s’est passé à Nice, cet été. C’est ce qui se passe encore aujourd’hui. Reste qu’il n’est pas dans mon intérêt de le brusquer, de me montrer, comme il m’est arrivé de le faire par le passé, exigeante et vindicative. Ce n’est pas, à l’évidence, la meilleure stratégie à adopter, avec lui, dans ce genre de situation. Mieux vaut que j’entre dans son jeu, que je fasse semblant de croire ce qu’il raconte et que je le laisse venir à son rythme. Tout en lui offrant, de temps à autre, quelque savoureuse nouveauté qui stimule son appétit pour moi. Et, de ce côté-là, j’ai déjà ma petite idée.
– C’est-à-dire ?
– Tu verras bien…
– Mais si, dis !
– Quand ce sera au point, ce qui n’est pas encore tout-à-fait le cas. Cela étant, ça ne doit pas t’empêcher de mener discrètement, malgré tout, ta petite enquête. Je suis quand même curieuse de savoir à quoi ressemble cette « rivale » avec lequel je vais devoir le partager.
– J’avoue que je ne m’attendais pas à ce que tu prennes les choses avec autant de philosophie.
– Comme quoi tout arrive !

Elle m’attendait devant la porte de chez moi. La jeune femme rousse.
– Vous me reconnaissez pas ?
– Si, bien sûr ! Vous étiez au Petit Castel. Et je vous ai emmenée à la porte de Versailles.
– Voilà, oui.
– Mais comment vous avez eu mon adresse ?
– Votre courrier était bien en vue, sous mon nez, dans votre voiture. Et comme j’ai une excellente mémoire… On peut parler deux minutes ?
– Vite fait alors… Parce que je suis déjà pas mal en retard ce matin.
– Ce sera pas long. Voilà : j’écris un livre.
– Ah !
– Et mes personnages se trouvent dans une situation très similaire à la vôtre. Il y a une femme, un mari et un amant. Et ce que j’aimerais, c’est que vous me serviez un peu de modèle tous les trois.
– Oh, on n’a rien d’extraordinaire, vous savez !
– C’est justement ce qui m’intéresse.
– Eh bien, faites alors ! J’y vois pas d’inconvénient. À condition, bien évidemment, que notre anonymat soit préservé.
– Ça coule de source. On pourra se voir quand, du coup ?
– Se voir ? Mais pour quoi faire ?
– J’ai besoin de savoir comment vous vivez la situation. Ce que vous ressentez. Comment vous le percevez, lui. Comment tout a commencé. Et plein d’autres choses encore. Ça vous pose problème ?
– Pas vraiment, non. Disons que ça me surprend.
– Je peux quand même compter sur vous ?
– Si vous voulez, oui.
– Et votre femme ? Elle accepterait de jouer le jeu, vous croyez ?
– Je lui poserai la question. Et je la poserai à Benjamin.
– Merci. J’ai votre accord de principe alors ?
– Vous l’avez.
– Voilà mes coordonnées. Vous m’appelez quand vous voulez. Qu’on prenne rendez-vous. Tardez pas trop, si vous pouvez. Que je puisse avancer.

Ça a beaucoup amusé Alyssia.
– T’as gobé un truc pareil ?
– Ben, pourquoi elle écrirait pas un livre ?
– Mais c’est cousu de fil blanc, enfin ! Voilà une nana qui se donne allègrement du plaisir en nous écoutant nous envoyer en l’air, Benjamin et moi, au Petit Castel. Tu l’as entendu toi-même. Que ça excite sûrement comme une petite folle de te savoir là, à côté de nous. Et qui a envie de mettre le nez plus avant dans tout ça. De se repaître de nous. Le plus possible. Alors elle a inventé cette histoire de bouquin. Ça fait sérieux un bouquin. Ça te vous pose son auteur. Et ça constitue un excellent alibi. Mais je te parie ce que tu veux qu’il verra jamais le jour ce bouquin.
– Tu crois ?
– Je crois pas. Je suis sûre. Mais ça doit pas nous empêcher de jouer le jeu. Au contraire, même. Ça peut se révéler très amusant.



22-


Quand je suis arrivé au Petit Castel, sur le coup de cinq heures, pour y faire, comme le week-end précédent, les repérages convenus, j’ai eu la surprise d’y trouver Alyssia.
– T’es déjà là !
– Ça fait un petit moment, oui ! Et je regrette pas. Parce que ça m’a donné l’occasion d’avoir une longue conversation avec Eugénie, la fille des patrons. C’est elle qui est venue me trouver. Elle était terrorisée à l’idée que je puisse dire à son père qu’on l’a découverte, la semaine dernière, la main dans la culotte derrière la porte de notre chambre. Je l’ai rassurée, je l’ai mise en confiance. Elle avait besoin de parler : je l’ai écoutée. Elle est fille unique. C’est à elle que reviendra donc, plus tard, l’affaire familiale. « Ce sera à toi tout ça, c’est pour toi que tu travailles. » lui répète son père à l’envi. Et il exige d’elle une disponibilité quasi permanente. Sa vie, c’est travail, travail et encore travail. Qu’elle veuille sortir, aller s’amuser un peu, il ne l’en empêche pas, non, mais il la culpabilise tellement, quand elle rentre, qu’elle n’a pas vraiment envie de recommencer. Tant et si bien qu’elle est, pour ainsi dire, confinée à l’hôtel. À vingt-deux ans elle n’a pas d’amis. Et encore moins de petit ami. C’est donc sur place qu’il lui faut trouver le moyen de satisfaire une libido particulièrement exigeante. Pas question d’un coup d’un soir avec un client. Elle y laisserait sa réputation et son père y mettrait de toute façon bon ordre. Non. Il faut qu’elle se débrouille autrement. Et comme elle est d’une nature plutôt voyeuse, elle se penche avec beaucoup d’attention sur ce qui se passe dans les chambres et y trouve de temps à autre – la preuve ! – son comptant.
– Et elle ne s’est jamais fait surprendre ?
– Ça a bien failli à deux ou trois reprises, mais on a été les premiers à la prendre vraiment sur le fait.
– Faut qu’elle ait beaucoup de chance. C’est quand même sacrément risqué son truc.
– Elle connaît parfaitement les lieux. Ça aide. Mais enfin de toute façon, ce soir, c’est un problème qu’elle aura pas.
– Parce que ?
– Parce que je l’ai invitée à venir assister, sur place, au déroulé des opérations.
– Et elle a accepté ?
– Tu parles si elle a accepté !

Elle consultait toutes les trente secondes son portable.
– Mais qu’est-ce qu’il fout, Benjamin, bon sang ? Qu’est-ce qu’il fout ? Il m’avait dit sept heures. Et pas un mot. Rien. Ce que ça peut être agaçant !
À huit heures, elle a décidé de descendre dîner.
– Ça le fera peut-être arriver… Et puis j’ai faim n’importe comment.
À l’entrée de la salle à manger on s’est trouvés nez à nez avec Proserpine, la jeune femme rousse. Qui a proposé qu’on partage la même table.
– On pourra discuter comme ça…
Aussitôt dit, aussitôt fait.
– Il vous a expliqué, votre mari ?
– Pour ? Votre bouquin ? Oui, bien sûr ! Et alors ? Ça avance ?
Elle a esquissé une grimace.
– Pas bien, non ! Je navigue un peu à vue pour le moment. Il faudrait que je vous demande…
– Eh bien, allez-y ! Profitez-en ! On est là.
– Oui… Alors… Ce que je voudrais savoir… Quand vous êtes avec votre…
– Amant… N’ayons pas peur des mots.
– Votre mari assiste systématiquement ?
– Au début, non. Mais, maintenant, pratiquement toujours, oui.
– Et dans l’autre sens ?
– Comment ça « dans l’autre sens » ?
– Vous couchez avec votre mari devant votre amant ?
– Non. Jamais.
– Parce que c’est quelque chose que vous voulez conserver pour vous deux ? Que vous ne voulez partager avec personne ?
– Non. Parce que je ne couche plus avec mon mari. Depuis un bon moment déjà.
– Il y a une raison particulière ?
– Oui. Je n’en ai plus la moindre envie.
– Ça doit pas être facile à vivre pour lui.
– Personne l’empêche d’aller voir ailleurs.
– Et il le fait ?
Elle s’est tournée vers moi.
– Vous le faites ?
Le portable d’Alyssia a sonné. Elle s’est levée, éloignée.
– Hein ? Vous le faites ?
Elle a pris la direction de la chambre.
– Excusez-moi ! Il y a l’air d’y avoir un problème. Je vais voir ce qu’il se passe.

Je l’ai rejointe au moment où elle raccrochait.
– Il viendra pas. Et jamais t’iras imaginer pourquoi.
– Sa femme se doute de quelque chose.
– Bingo ! Comment t’as deviné ? Non, mais il me prend vraiment pour une conne, hein ! Oh, mais attends, attends ! Il a pas fait le plus dur.
– C’est-à-dire ?
– Tu verras bien. Non, là où ça m’embête le plus, c’est pour Eugénie. Elle se faisait une telle fête d’assister à nos ébats…

Laquelle Eugénie est tout de même venue discrètement frapper vers onze heures et demi à la porte de notre chambre.
– Entre ! Entre ! Il est pas là, ma pauvre !
– J’ai vu ça, oui.
– Je suis désolée. Ce sera pour une autre fois.
– Pas grave.
Et elle a fait demi-tour, prête à repartir.
– Attends ! Attends ! Ça te dirait pas un petit avant-goût qui te fasse patienter jusque là ?
Et Alyssia a dégrafé ma ceinture, m’a descendu le pantalon sur les chevilles. Le slip.
– Regarde ! Non, mais regarde-moi ça ! Ah, ça lui fait de l’effet d’être à poil devant toi, on peut pas dire…
Elle regardait. Sans complexes. Elle buvait des yeux. Et plus elle regardait, plus je durcissais.
Alyssia m’a envoyé une petite chiquenaude dessus.
– On peut quand même pas la laisser dans cet état-là. Faut faire quelque chose ! Non, t’es pas de mon avis, Eugénie ?
Elle n’a pas répondu. Elle continuait à regarder intensément.
– Qu’est-ce tu préfères ? Lui faire, toi ? Que je lui fasse ? Ou qu’il se le fasse ?
La réponse a fusé.
– Oh, lui ! Lui !
– Alors tu sais ce qu’il te reste à faire, Alex !
Je ne me le suis pas fait répéter deux fois. J’en avais une envie folle. Et je me suis frénétiquement élancé vers mon plaisir.
Eugénie, en face, a ouvert son pantalon, en a descendu la fermeture-éclair à mi-chemin, a glissé ses doigts à l’intérieur de la petite culotte rose. Ils y sont allés et venus, s’y sont affolés. Mon plaisir s’est approché, a surgi, à longues saccades délivrées. Elle a longuement modulé le sien.



23-


– On descend pas déjeuner ?
– Non. Ce matin, on se fait servir dans la chambre.
– Par Eugénie ?
– Évidemment, par Eugénie… Ça t’a pas déplu, avoue, la petite séance d’hier soir, hein ?
– Je serais difficile.
– Et t’es pas au bout de tes surprises. Elle est très joueuse, cette petite. Et pleine de ressources.
– C’est-à-dire ?
– Tu verras bien.
– Mais si, dis ! Au moins un peu.
Il y a eu du bruit dans le couloir. Puis dans la chambre d’à côté. Encore dans le couloir.
– Tiens, ben la v’là justement !
Elle a frappé, est entrée, vêtue de son petit tablier de serveuse blanc.
– Bonjour !
Avec un grand sourire.
Et elle nous a tourné le dos pour aller déposer le plateau sur la table, près de la fenêtre. Ses fesses étaient nues. Totalement nues. Superbement nues. Elle a pris tout sont temps, fait mine de rectifier la position des tasses, celle des couverts avant de majestueusement naviguer vers la porte sur le pas de laquelle elle s’est retournée.
– Bonne journée…
– À toi aussi…
Alyssia a hoché la tête.
– Elle doit être ravie. C’est un fantasme qu’elle rêvait de réaliser depuis tellement longtemps…
– Si elle en a d’autres comme ça, je suis preneur.
– Oh, oui, qu’elle en a d’autres ! Des quantités…
– Inutile que je te demande lesquels, j’imagine ?
– Inutile, en effet ! Tu les découvriras en temps voulu.

On s’est levés.
– En tout cas, ce qu’il y a de sûr, c’est que tu bandes !
– Ben… Il y a de quoi, non ? Mais tu sais ce que je me demande ? Elle est quand même pas redescendue aux cuisines dans cette tenue ? Si ?
– Ah, ça te plairait, ça, hein ! Et à elle aussi, sûrement ! C’est malheureusement pas possible. Pour des raisons évidentes. Non. En fait, la chambre d’à côté, qui est vide ce matin, lui a servi de vestiaire.
Son téléphone a vibré.
– Benjamin… Ce cher Benjamin… Allô, oui…
Elle a mis le haut-parleur.
– Alyssia ? Je suis vraiment désolé pour hier soir, mais j’ai vraiment pas pu faire autrement. C’était beaucoup trop risqué.
– Tu as très bien réagi. Ne commets surtout pas d’imprudences. Non, mais t’imagines si on pouvait plus se voir du tout ? Je le supporterais pas, Benjamin. Ça, c’est quelque chose que je ne supporterais pas.
– On n’en est pas là…
– J’espère bien…
– Non, non… T’inquiète pas ! Il s’agit juste d’éviter de se voir pendant trois-quatre jours. Le temps qu’elle se rassure. Que ses soupçons se dissipent. Bon, mais vous avez fait quoi alors, du coup, avec Alex ? Vous êtes rentrés ?
– On s’est tâtés… Et puis, finalement, non, on est restés. Et on l’a pas regretté. Ah, non alors ! Parce que je peux te dire que t’as loupé quelque chose.
– Quoi donc ?
– Eugénie, la petite serveuse, la fille du patron… Elle est chaude comme la braise.
– Qu’est-ce qui s’est passé ?
– Je te raconterai… Quand on se verra. Ce serait trop long. Mais ça vaut son pesant d’or, je t’assure. Tant et si bien qu’on va rester là, cet après-midi. Et peut-être même la nuit prochaine.
– Je vais voir…
– Tu vas voir quoi ?
– Si, éventuellement, je peux pas venir vous rejoindre.
– Sûrement pas, non. T’es inconscient ou quoi ? T’as envie que ta bonne femme découvre le pot-aux-roses ?
– Si je manœuvre bien…
– Ah, non, Benjamin, non. C’est hors de question. Ce serait complètement irresponsable. Il y aura d’autres occasions n’importe comment. Allez, file ! Va travailler ! On se rappelle dans la journée.
– Je t’aime…
– Moi aussi.
Et elle a raccroché.
– Il se fout de ma gueule, hein ! Il se fout vraiment de ma gueule. Soi-disant qu’il faut, par sécurité, qu’on reste quelques jours sans se voir. Je lui parle d’Eugénie. Je l’allèche avec et là, comme par enchantement, toutes les difficultés sont aplanies. Il est prêt à nous rejoindre dans la minute qui suit. T’en penses quoi, toi ?
– Que sa nouvelle conquête n’est pas, à ses yeux, aussi importante que ça puisqu’il était disposé à te la sacrifier pour venir passer la soirée avec toi.
– La passer avec Eugénie, tu veux dire, plutôt, oui ! Bon, mais importante ou pas, c’est pas mon problème. Je sais ce qu’il me reste à faire.
– C’est-à-dire ?
– Que je vais sûrement pas passer mon temps à attendre qu’il soit disponible pour moi. Je vais me trouver quelqu’un d’autre. Et jouer sur les deux tableaux.

Proserpine nous attendait en bas.
– Vous allez sans doute me trouver terriblement insistante, mais on a été interrompus hier soir et j’aurais vraiment aimé qu’on puisse poursuivre notre conversation. Je tiens beaucoup à écrire ce livre et si je ne dispose pas d’éléments suffisamment…
Alyssia l’a interrompue.
– Je vous ramène si vous voulez. On pourra discuter comme ça. Allez, montez !

Je me suis un peu attardé. Je suis remonté dans la chambre. Redescendu. Sur la terrasse du petit déjeuner, maintenant déserte, Eugénie remettait un peu d’ordre. Un coup de torchon par ci, une chaise remise en place par là. Je me suis approché.
– Je voulais vous dire…
Elle n’a pas relevé la tête.
– Merci pour tout-à-l’heure.
Toujours pas.
– Et aussi pour hier soir.
Elle m’a jeté un bref regard, vaguement confus.
– Et merci à vous.
– J’ai beaucoup, mais alors là vraiment beaucoup apprécié.
Elle a plongé ses yeux dans les miens.
– Moi aussi !
Et elle s’est enfuie.



24-


Alyssia a jeté son sac sur la petite table basse, près de l’entrée.
– Jusque chez elle je l’ai ramenée la Proserpine.
– Et ?
– Et, à mon avis, il verra jamais le jour son bouquin. C’est juste un prétexte.
– C’est bien ce que je commençais aussi à soupçonner un peu.
– Ce qu’il y a, en réalité, c’est que tu la fais bander.
– Moi !
– Oui. Enfin, non. Ce qui l’excite, et pas qu’un peu, c’est que tu me baises pas. Que tu baises personne, d’ailleurs. « Alors, pratiquement, il est eunuque, quoi ! » Et t’aurais vu comment ils brillaient ses yeux en disant ça ! De la folie ! J’ai quand même un peu douché son enthousiasme : tu baisais pas, non, mais tu t’amusais malgré tout tant et plus tout seul. J’étais bien placée pour le savoir. Elle a pris un air désolé… « Mais faut pas accepter ça ! » Et elle s’est lancée dans un long discours enflammé. Que les hommes, on leur demandait qu’une chose, c’était de satisfaire les femmes. Et que ceux qu’en étaient pas capables, il y avait aucune espèce de raison pour qu’on les laisse avoir des compensations par ailleurs. J’ai fait la moue. Ah, oui ? Et elle comptait le leur interdire comment ? Elle ne s’est pas laissée démonter. Oh, il y en avait plein des moyens. Mais le plus commode, et le plus courant, c’était encore la cage de chasteté. « Vous la lui enfermez bien à l’étroit là-dedans, vous gardez précieusement la clef sur vous et le tour est joué. »
– Elle a vraiment un problème, elle, hein !
– Non, tu crois ?
– Tu lui as répondu quoi ?
– Que c’était une excellente idée. Et que j’allais mettre ses conseils à exécution dans les plus brefs délais. Mais non, idiot ! Je lui ai rien dit du tout.
– Si bien que si elle a envie d’imaginer que tu vas vraiment le faire…
– Eh bien, elle l’imaginera. Elle peut bien penser ce qu’elle veut.
– Sauf qu’elle va pas nous lâcher…
– On y mettra bon ordre. Oh, mais on s’en fiche d’elle ! Dis-moi plutôt ! Qu’est-ce tu ferais à ma place ?
– Pour ?
– Benjamin, tiens, pardi ! Qu’est-ce tu veux d’autre ? Non, parce que si je réagis pas, là, après le coup qu’il m’a fait au Petit Castel, c’est la porte ouverte à tout ce qu’il veut. Il va me piétiner allègrement. Ce sera de plus en plus souvent qu’il me fera faux bond. Et moi je serai là, à attendre son bon vouloir, comme une conne. Alors non ! Non ! Je vais sûrement pas me laisser réduire à ça. Il y en a d’autres des queues, si je veux. Et des qui fonctionnent bien. C’est pas ça qui manque…
– Ce qu’il faudrait d’abord savoir, c’est ce qu’il en est au juste. Peut-être qu’il a vraiment eu un empêchement.
– Tu parles ! Il était avec une nana, oui. Qu’est-ce tu veux que ce soit d’autre ? Une pauvre conne qui lui a fait les yeux doux. Et lui, comme un imbécile, il a sauté à pieds joints dans le piège. Bon, mais bouge-toi, toi ! Reste pas planté là ! Fais quelque chose ! Essaie de savoir. Va le cuisiner ! Ou suis-le ! Je sais pas, moi, mais trouve une solution !

Séverine voulait encore me voir.
– Bon, ben ça y est !
Elle tombait bien, elle. Elle tombait on ne peut mieux.
– Qu’est-ce qui y est ?
– Sa nouvelle copine à Benjamin, je sais qui c’est.
– Ah ! Et alors ?
– Une petite jeune. Dix-neuf ans.
– Tant qu’à faire…
– C’est plutôt une bonne nouvelle pour vous, non ?
– Si on veut.
– Oh, ben si, si ! Parce qu’il va avoir la tête ailleurs maintenant. Avec votre femme il va prendre ses distances. De plus en plus. Quant à moi… Je vais peut-être vous étonner, mais j’en ai strictement plus rien à battre.
– Effectivement, c’est pour le moins inattendu.
– Trop, c’est trop. Et il arrive un moment où il faut savoir dire stop. Il est comme ça. Il changera pas. J’en ai pris mon parti. Et, pour être tout-à-fait franche avec vous, moi aussi, j’ai rencontré quelqu’un. Un monsieur courtois, affable, sensuel avec lequel je me sens bien. Avec qui je partage une foule de choses
Elle a longuement suivi des yeux un couple tendrement enlacé qui passait sur le trottoir.
– Ce que je voulais aussi vous dire, que vous ne soyez pas pris de court, c’est que j’ai bien l’intention de jouer cartes sur table avec Benjamin. Dans les plus brefs délais. Je vous préviendrai dès que ce sera fait.
– C’est-à-dire ? Vous allez divorcer ?
– Oh, non ! Non ! À moins qu’il le veuille vraiment. Ce que je ne crois pas. C’est pas le genre à chercher les complications, Benjamin ! Quant à moi, je préfère, et de loin, rester mariée. Mon ami ne l’est pas. Que je divorce et, le connaissant, il va faire des pieds et des mains pour me passer la bague au doigt. Ce à quoi je ne tiens absolument pas. Du moins pour le moment. Pour toutes sortes de raisons. Et vous, vous allez faire quoi ?
J’ai haussé les épaules.
– Rien. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Je vais attendre que la situation se décante d’elle-même.
– Ce qui, à mon avis, ne saurait tarder. Vu les mails enflammés qu’il adresse à cette Camille, vu comment elle est canon en plus, votre femme va pas faire long feu. Il n’aura plus guère de temps à lui consacrer. Vous voulez voir à quoi elle ressemble ?
– Pourquoi pas ?
– Eh bien vous vous rendez au centre Leclerc de la zone commerciale. Elle travaille au rayon « plats cuisinés ».
Elle s’est levée.
– Et tâchez de pas tomber amoureux d’elle. Ça compliquerait vraiment trop la situation…
– Il y a pas de risque.
Elle a eu une petite moue dubitative.
– Oh, alors ça !
Et elle s’est éloignée sans se retourner.

Lui aussi voulait me voir. Décidément !
– Sauf que là, j’ai pas trop le temps. Je suis déjà en retard. Et c’est un rendez-vous important. Qu’est-ce qui t’arrive ?
– Oh, rien. Rien de spécial. Enfin, si ! Qu’est-ce qu’elle a Alyssia ? J’ai l’impression qu’elle me fait la gueule.
– Il y a un peu de quoi, avoue, non ?
– Je sais, oui. Je suis désolé. Elle m’en veut beaucoup ?
– Ce qu’il y a surtout, c’est qu’elle est persuadée qu’il y a une nana derrière tout ça.
– Ça, évidemment, j’aurais dû m’en douter.
– Et c’est pas le cas ?
– Je t’expliquerai. Mais alors, pour la petite serveuse, la fille du patron, elle m’a raconté des salades. Histoire de se venger. C’est ça, hein ?
– Pas vraiment, non.
– Ah, oui ? Qu’est-ce qu’il y a eu ?
– Écoute, faut vraiment que j’y aille, là. Mais moi aussi, je t’expliquerai. Quand on sera au calme.



25-


– Comment elle est ?
– Qui, ça ?
– Ben, la fille, tiens, cette Camille…
– Je sais pas, je…
– Parce que t’es pas allé voir la tronche qu’elle a, peut-être ? La tronche et le reste… À d’autres ! Je te connais depuis le temps. Alors elle est comment ?
– Pas mal…
– Pas mal ou pas mal ?
– Plutôt bien. Et même très bien. Absolument ravissante en fait.
– Ouais… Faudra que j’aille jeter un œil sur cette petite merveille.
– Tu vas pas…
– Faire un esclandre ? Pour qui tu me prends ? Tu devrais savoir que je suis beaucoup plus subtile que ça.
– Tu vas faire quoi alors ?
– Sûrement pas lui abandonner le terrain. Alors là, il y a pas de risques. Et j’ai quand même pas mal de cordes à mon arc. D’abord Eugénie. Il s’est senti frustré de pas être là, l’autre jour, Benjamin. Alors, Camille ou pas Camille, pas besoin de t’en faire que, la prochaine fois, il nous fera sûrement pas faux bond. Et comme Eugénie est très joueuse, qu’on mettra le paquet, un vrai feu d’artifice, il aura qu’une envie : revenir. Et puis il y aura la cerise sur le gâteau…
– Ah, oui, quoi ?
– Toi !
– Moi ? Ah, oui, je vois…
– Depuis le temps qu’il en crève d’envie… On peut bien lui offrir ce petit plaisir, non ?
– Devant Eugénie ?
– De préférence, oui. Ça n’en aura que plus de saveur. Et puis je devrais pas te le dire, mais elle m’a confié qu’elle adorait ça voir des mecs ensemble. Maintenant si ça te pose un problème…
– Oh, non ! Non !
Elle a éclaté de rire.
– Ben, voyons ! Plutôt deux fois qu’une, hein ! T’en as fait du chemin, toi, dis donc, en quelques semaines. C’est spectaculaire.

Je n’ai quasiment pas dormi de la nuit. Je me tournais, je me retournais dans le lit sans parvenir à trouver le sommeil.
– Mais qu’est-ce t’as à t’agiter comme ça ?
Je la revoyais, Eugénie. Ses doigts, avec frénésie, sous sa petite culotte rose. Le plaisir dans ses yeux. Dans ses plaintes doucement psalmodiées. Et puis, le lendemain matin, ses fesses majestueusement et longuement offertes. À ces images longuement et voluptueusement savourées sont venues s’en superposer d’autres. Benjamin. Benjamin et moi, enlacés. Et puis elles, à nous regarder. Intensément. Ce feu dans leurs yeux. Ce bonheur qui les inonde. Alyssia… Eugénie… Eugénie… Alyssia…

Je me suis levé à la pointe du jour. J’ai pris la voiture. Il faisait beau. Très. J’ai roulé au hasard. Pour rouler. Sans vraies pensées. Sans but. J’ai pris des routes. Des tronçons d’autoroute. Je suis repassé, à plusieurs reprises, au même endroit. À huit heures, sans l’avoir vraiment voulu, sans l’avoir vraiment cherché, je me suis trouvé à l’entrée de la départementale qui mène au « Petit Castel ». Je n’ai pas eu l’ombre d’une hésitation. Je m’y suis résolument engagé.
Plusieurs couples déjeunaient sur la terrasse. Je les ai salués, me suis installé tout au bout, un peu à l’écart. Eugénie n’est pas tout de suite venue vers moi. Elle s’est consacrée à ses autres clients. Elle allait, elle venait, resplendissante dans le soleil. Elle a fini par s’approcher.
– Vous êtes tout seul aujourd’hui ?
– Tout seul et de passage. Très vite. J’avais trop envie de vous voir, ne fût-ce que quelques instants.
Elle m’a souri.
– C’est gentil. Je vous sers quelque chose ?
– Un copieux petit déjeuner. Ça s’impose. Et ça m’en rappellera un autre.
Elle a légèrement rosi.
– Thé ou café ?
– Café. Avec un peu de lait. J’y repense souvent, vous savez !
– Moi aussi. Tous les jours.
Et elle m’a tourné le dos.

Elle m’avait gâté. Quatre croissants. Quatre pains au chocolat. Pain, beurre et confiture à foison.
– Et si vous avez besoin de quoi que ce soit d’autre…
– Oh, non, ça ira, merci. Je mangerai jamais tout ça. Par contre, une petite question, Eugénie…
– Oui ?
– Votre tablier, là, c’est celui que vous aviez l’autre matin ?
– Oh, non, non ! Celui-là, je le remets pas. Je l’ai jamais remis.
– Parce que ?
– Comme ça…
Et elle est repartie.
J’ai pris tout mon temps pour déjeuner. Quand je me suis enfin levé, à regret, elle n’avait pas reparu. J’ai regagné ma voiture. Sur le siège passager se trouvait un paquet que j’ai ouvert avec curiosité. C’était le petit tablier blanc…

Alyssia l’a déplié, étalé sur la table.
– Tu sais qu’elle me plaît de plus en plus, cette petite ? Elle a des idées en pagaille. Bon, mais alors tu vas en faire quoi, toi, maintenant, de ce petit souvenir ?
– Mais, rien ! Je…
– Tu parles que tu vas rien en faire ! Alors là, je suis bien tranquille. En attendant, ce que je constate, moi, c’est que tu te la joues perso.
– C’était le hasard. Quand j’ai vu que j’étais à côté…
– Mais bien sûr ! Je vais avaler ça…
– Je te jure…
– Jure pas ! Viens m’aider plutôt…
Et elle s’est installée à l’ordi.
– À quoi ?
– À me choisir un type. Ben, fais pas cette tête-là ! Qu’est-ce qu’il y a ? C’est à cause de Benjamin ? Je vais me battre pour pas qu’elle me le pique, l’autre petite dinde, oui, ça, c’est sûr. Mais faut aussi que j’assure mes arrières. Parce que je me fais pas d’illusions : ça n’aura qu’un temps, Benjamin. Pas parce qu’il me plaquera, non, parce que JE le plaquerai. Quand j’en aurai bien marre de me poser sans arrêt des questions. De devoir pleurnicher pour qu’il m’accorde un peu de son temps. Parce que c’est pas la première, cette Camille. Je me fais pas d’illusions. Et c’est pas la dernière non plus. Bon, mais assieds-toi ! Reste pas planté là. Et, tiens, regarde ! Quatre, j’en ai sélectionné. Dis-moi ce que t’en penses, mais franchement, hein



26-


Elle a finalement jeté son dévolu sur des jumeaux.
– Ils sont vraiment copie conforme, t’as vu ça ?
Avec qui elle a entretenu une correspondance assidue pendant trois jours.
– En tout cas, ils ont de la conversation. De l’humour. Ce qui ne gâte rien. Et ils savent des tas de choses. Par contre, ils font jamais rien l’un sans l’autre.
Ce qui l’arrangeait bien finalement.
– Ben oui, parce que j’ai encore jamais eu deux mecs en même temps, moi ! Quatre mains à te prodiguer des caresses partout. Deux bouches. Ça doit être génial.
– Et deux queues.
– Aussi, oui. Comme ça, le temps qu’il y en a une qui se repose, tu peux toujours profiter de l’autre.
Ils se sont finalement fixé rendez-vous.
– Mais tu resteras dans les parages, hein ! Parce qu’ils m’inspirent confiance, mais on sait jamais. Il y en a qui cachent bien leur jeu. Et puis, de toute façon, maintenant je conçois plus ce genre de choses sans que tu sois au moins à côté. Sans que je les partage avec toi.

Benjamin n’était jamais libre.
– On va se faire un petit tennis ?
– Désolé, mais aujourd’hui je peux pas.
Le lendemain non plus. Et pas davantage le surlendemain.
– Oh, et puis merde ! Pas la peine de tourner pendant des semaines autour du pot. Je vais jouer franc jeu avec toi. J’ai quelqu’un d’autre.
– Je m’en doutais bien un peu.
– Ben oui, forcément. J’arrête pas de te faire faux bond.
– Et pas seulement à moi.
– Elle aussi, elle se doute, hein…
– Évidemment ! Elle est pas idiote.
– Mais elle est pas sûre ?
– Il s’en faut vraiment de très très peu.
– Il y a quelque chose qu’il faudrait que tu saches. Et puis elle aussi maintenant. Même si je me demande comment elle le prendrait.
– Quoi donc ?
– Je vais te faire faire sa connaissance. Tu comprendras mieux…

Alyssia était sur des charbons ardents.
– Encore deux heures ! Pourvu que je leur plaise… Parce qu’une photo, ça peut être trompeur une photo.
– Pas dans ton cas.
– Je devrais peut-être plutôt mettre ma robe rouge, non ? Qu’est-ce t’en penses ?
– Celle-là est très bien.
– Je sais pas. Peut-être un peu trop osée, non ?
– Tu vas pas à une cérémonie religieuse.
– Oui, mais quand même ! Pour une première fois… C’est comme le maquillage. Ça fait pas trop mauvais genre au moins ?
– Pas du tout, non !
Elle est retournée devant la glace, a remis une mèche en place, lissé, du bout des doigts, le col de la robe.
– Tu sais quoi ? On dirait une gamine qui va à son premier rendez-vous amoureux.
Elle m’a tiré la langue.
– Ah, c’est malin ! Va prendre tes marques là-bas, tiens, plutôt !

Ils s’étaient pas fichus d’elle. Hôtel grande classe. Je suis monté m’approprier ma chambre. La 339. Une chambre immense. Avec tout le confort. Mini-bar. Micro-ondes. Écran plasma. Et matelas moëlleux que le diable. J’allais être bien. Et eux aussi. Eux ? Il y avait du bruit à côté. Des voix. Ils étaient déjà là ? Non. Il était beaucoup trop tôt. Et pourtant je ne rêvais pas. J’entendais bien parler. Je suis allé coller mon oreille à la cloison. Une voix d’homme. Une voix de femme. Qui n’était pas celle d’Alyssia. Aucun doute là-dessus. Donc, ben donc il y avait un problème quelque part. Ou la chambre avait été louée deux fois, ce qui paraissait quand même assez peu vraisemblable ou, pour une raison ou pour une autre, on ne leur avait pas attribué la chambre qui avait été initialement prévue. Quoi qu’il en soit, j’étais réduit à l’impuissance. Je me voyais mal aller demander des explications à la réception.

À huit heures, j’ai reçu un SMS : « On mange ailleurs. Tout se passe bien. T’inquiète pas. »
Vers onze heures, j’ai bien erré un peu, au hasard, dans les couloirs. En vain. Il était immense, cet hôtel et j’ignorais où ils se trouvaient. Sans compter qu’à séjourner comme ça, sans raison apparente, dans les couloirs, je risquais d’attirer l’attention et de faire naître des soupçons.
Le lendemain matin, j’avais un autre SMS « On déjeune dans la chambre. Tout est OK. On se retrouve à la maison. »

– Alors ? C’était bien ?
Elle m’a tendu les lèvres.
– Divin.
– On dirait, oui. T’as la tête de quelqu’un qu’on a épuisée de plaisir.
Elle s’est nichée au creux de mon épaule.
– Tu m’as manqué, tu sais ! Pas t’avoir là, à côté…
– Il s’est passé quoi, au juste, pour la chambre ?
– Oh, le genre d’idioties… Des habitués qui tiennent à la 341 comme à la prunelle de leurs yeux. La réceptionniste est nouvelle. Elle savait pas et elle leur en a collé une autre. Ils ont fait un foin pas possible. Et comme mes jumeaux se fichaient pas mal que ce soit cette chambre-là ou une autre.
– Et que tu pouvais rien dire…
– Ah, ben ça ! Oh, mais il y aura d’autres occasions.
– J’espère bien. Bon, mais tu racontes ?
– Ça se raconte pas ce genre de choses. Ça se vit. Ou ça s’écoute.
– Essaie quand même !
– Oh, ben tu te doutes ! On s’est d’abord éternisés au restaurant. Où ils m’ont minutieusement décrit, bien en détail, tout ce qu’ils allaient me faire. Ils avaient une façon de se renvoyer l’un à l’autre la balle… C’était d’un torride ! J’étais trempée. Et ils faisaient durer… Ils faisaient durer…
– Des artistes, en somme…
– On peut dire ça comme ça, oui. Et alors tu penses bien que, quand on est arrivés dans la chambre…
– Tu t’es retrouvée aussi sec à poil.
– Oh, non, non ! Parce que c’était déjà fait, ça !
– Hein ?
– Ben oui ! Dans l’ascenseur on avait commencé. Et puis on a continué dans le couloir.
– Complètement ?
– Complètement, oui. C’était d’un excitant !
– J’imagine… Et ensuite ?
– Ils se sont occupés de moi. Savamment. Ardemment.
– Et ils se sont passé le relais.
– Oui. Enfin, non ! Ensemble je les ai eus. Tous les deux. Un devant et un derrière. Et puis après, ils ont interverti les rôles.



27-


Benjamin m’a arrêté, posé la main sur l’avant-bras.
– C’est celle de droite, Camille. La plus grande. Tu vois ? Comment tu la trouves ?
– Super canon, il y a pas à dire.
– Oui, hein ! J’ai craqué. Le moyen de faire autrement ? Mais attends, viens ! On va aller l’attendre dehors. Elle a bientôt fini. Qu’on la perturbe pas dans son travail. Elle a horreur de ça.

Il a fait les présentations.
– Camille… Alex…
Elle m’a fait claquer la bise, s’est attablée avec nous.
– Que des gros lourds ! Il y a des jours comme ça…
– C’est de ta faute ! T’as qu’à pas être si mignonne.
– Tu veux que j’y fasse quoi ? Que je me barbouille de vitriol ?
– Ah, non, malheureuse !
– J’aurais la paix au moins…
– Ça, c’est pas sûr !
– Tu sais de quoi je rêve, là, maintenant ? D’une bonne douche. Pour me laver de tout ça…
– Rien de plus facile. On va chez moi. Séverine rentre pas avant sept heures.

– Je t’ai emprunté ton peignoir.
– Je vois, oui !
Elle s’est ébrouée. En fines gouttelettes qui se sont éparpillées au hasard.
– En attendant, qu’est-ce que ça fait du bien !
Benjamin s’est levé, est passé derrière elle, lui a piqueté la nuque de petits baisers.
– Chut ! Veux-tu être sage !
– J’ai pas envie.
– Devant ton ami. Tu n’as pas honte ?
– Même pas.
Le cou.
Il s’est pressé contre elle. Elle s’est abandonnée.
Il a glissé une main sous le peignoir. Une main qui a moutonné à hauteur des seins. Qui s’est aventurée plus bas. Encore plus bas. Le peignoir s’est entrouvert.
J’ai poussé un cri de stupéfaction.
Il y avait… Elle avait… On voyait… Une bite et une paire de couillles.
Ils ont éclaté de rire. Tous les deux. De bon cœur.
– Ah, oui, ça surprend, hein !
Camille a refermé le peignoir.
– C’est tout pour aujourd’hui ! Et, de toute façon, puisque c’est comme ça, puisqu’il y a que des gros pervers dans cette maison, je m’en vais.
Ce qu’il a fait aussitôt après avoir renfilé sa robe.

– Il est vraiment fâché ?
– Penses-tu ! C’était concerté tout ça. On était de mèche. Bon, ben voilà ! Maintenant, tu sais.
– Comment vous m’avez eu !
– C’était le but. Elle adore ça, Camille, surprendre son monde là-dessus. Et faut reconnaître qu’avec toi, c’était particulièrement réussi. T’aurais vu ta tête ! Elle s’est délectée de voir ta réaction, je la connais. Et je peux te dire que j’ai pas fini d’en entendre parler.
– Je peux te poser une question ?
– Tout ce que tu veux.
– C’est purement sexuel avec lui ou bien…
– C’est beaucoup plus que sexuel. C’est un peu mon double, Camille. Jamais je ne me suis senti aussi compris, reconnu et accepté. Non, ce qu’il y a maintenant, c’est que pour Alyssia je sais vraiment pas quoi faire.
– C’est-à-dire ? Tu envisages de mettre un terme ?
– Oh, non, non. Pas du tout. Non. Au contraire. Seulement j’ai bien peur…
– Que ce soit elle qui le fasse. Alors ça, c’est pas exclu. Ça l’est même de moins en moins, dans le contexte actuel.
– Elle supporte pas l’idée que je puisse avoir quelqu’un d’autre. C’est ça, hein ?
– Ce qu’elle supporte pas, surtout, c’est que tu la prennes pour une conne. C’est de pas savoir sur quel pied danser avec toi.
– Tu crois qu’il faut que je lui parle ?
– Je crois pas. Je suis sûr.
– Il y a un risque quand même, non ?
– Évidemment ! Mais infiniment moindre, à mon avis, que si tu joues carte sur table. Elle appréciera.
– Je lui dis aussi que Camille, en réalité, c’est…
– Quand on dit la vérité et qu’on ment en même temps, ça le fait pas. Ça le fait jamais.

Je me suis levé.
– Bon, j’y vais. Je te laisse.
– Tu veux pas rester un peu ? Que Séverine te trouve là en rentrant. Ça la mettra de bon poil. Ça changera pour une fois.
– C’est la soupe à la grimace ?
–Et pire encore. Elle desserre pas les dents de toute la soirée. Elle se contente de balader partout son petit air : « Je dis rien. Je demande rien, mais je sais où t’as passé l’après-midi. Et avec qui. On me la fait pas à moi. »
Il a soupiré.
– Des fois j’aimerais encore mieux qu’on s’engueule.
– Qu’est-ce qu’elle sait au juste ?
– Peut-être tout. Peut-être rien. J’ai décidé de plus me poser la question. D’arrêter de me faire des nœuds au cerveau. Parce que ça change rien. Parce que Séverine, c’est quelqu’un qu’a un besoin viscéral de te faire la gueule. Qu’il y ait des raisons ou qu’il y en ait pas. Elle porte ça en elle. Faut qu’elle soit malheureuse. Que tout aille de travers dans sa vie. Et qu’elle en fasse porter la responsabilité à quelqu’un. Moi, en l’occurrence. Je suis en première ligne. Forcément.
Il a encore soupiré. Un soupir à fendre l’âme.
– J’en ai marre, par moments, mais j’en ai marre ! Quelle idée j’ai eue d’aller l’épouser. Non, mais quelle idée ! Ah, je t’assure que si c’était à refaire…
– Ça peut se défaire…
– Je sais bien, oui, mais…
Au-dehors, les graviers ont crissé.
– La v’là !

Elle a jeté ses clefs sur la petite console, dans l’entrée.
– Alors, les garçons, ça va comme vous voulez ?
Ça allait, oui !
– Qu’est-ce vous avez fait de beau ?
– Oh, rien ! Rien de spécial.
Derrière lui, le peignoir était resté par terre. Elle l’a ramassé, porté à ses narines et elle lui a jeté un regard furibond.
Qu’il n’a pas vu.



28-


Alyssia avait passé l’après-midi avec Benjamin.
– Mais pas à s’envoyer en l’air. À discuter.
– Et alors ?
– On s’est expliqués. À fond. Ça m’a fait un bien fou, tu peux pas savoir…
– Un peu quand même que je peux savoir, si !
– Du coup, avant de rentrer, je suis allée jeter un coup d’œil sur cette Camille. Depuis le temps que je voulais le faire. Et quand tu la vois comme ça, belle comme un cœur, féminine en diable, t’as vraiment du mal à y croire.
– Et pourtant…
– T’as eu l’occasion de constater, de visu je sais ! Vous êtes sacrément devenus complices, Benjamin et toi, hein, n’empêche !
– Mais qui c’est qu’a poussé à la roue ?
– En attendant, tu sais ce qu’on a décidé ? C’est qu’on allait faire cause commune, Benjamin, Camille et moi.
– Cause commune ?
– Se voir tous les trois ensemble, si tu préfères. Comme ça, au moins, je resterai pas à me morfondre dans mon coin pendant qu’il est avec elle. Enfin, avec lui. Et puis je t’avouerai que la situation est loin de me déplaire. Et ce Camille non plus il me déplaît pas. Il a quelque chose. Un charme fou, en fait. Non. Je suis vraiment curieuse de voir comment il s’y prend. Et de les voir ensemble tous les deux. Tu sais quoi ? Eh ben, ça tombe pile poil au bon moment ce truc. Parce que ça commençait à s’affadir sérieusement, Benjamin et moi. On allait droit dans le mur. Tandis que là, il y a toutes les chances que ça relance la machine. Et pas qu’un peu ! Sans compter qu’il y en a une qui va être aux anges, c’est Eugénie. En plus !
– Et moi, dans tout ça ?
– Oh, toi, évidemment que t’as ta place, toi ! Comme d’habitude. Manquerait plus que ça ! Et de toute façon, maintenant, c’est le genre de choses qu’il serait absolument hors de question que j’envisage sans toi. D’ailleurs, il serait peut-être temps que t’ailles te préparer. C’est ton rôle d’aller faire quelques petits repérages avant, non ?
– Ah, parce que…
– On attaque dès ce soir, oui. Allez, file !

J’ai commencé par me mettre à la recherche d’Eugénie. Sur qui j’ai fini par tomber nez à nez, après un long périple, au détour d’un couloir. Elle a sursauté, fait un bond en arrière.
– Vous m’avez fait peur.
– C’était pas le but. Désolé.
– On vous a changé de chambre. Elle en a voulu une avec deux grands lits, votre femme. Parce que quatre vous serez, cette nuit, à ce qu’il paraît…
– Sans compter qu’on aura de la visite.
Elle n’a pas cillé.
– C’est vrai qu’il y aura une surprise ?
– Et une belle !
– C’est quoi ?
– Ce sera plus une surprise, si je vous le dis.
Elle a pris un petit air enjôleur.
– Oh, vous pouvez bien… Je vous ai donné mon tablier.
– C’était un somptueux cadeau.
Elle a eu un petit sourire ravi.
– Vous avez aimé, c’est vrai ?
– Oh, que oui ! Et c’est rien de le dire.
– Vous savez qui j’ai mis dans la chambre à côté de la vôtre ? Le couple de types.
– Ça, par contre, c’est un joli petit cadeau que vous vous faites à vous-même. Non ?
Elle a haussé les épaules.
– Elle sait bien, votre femme.
– Que ? T’adores ça, les hommes entre eux ?
Elle a soutenu mon regard.
– C’est ce que je préfère.
– Alors tu seras pas déçue, ce soir, tu verras…

La salle de restaurant était pleine à craquer.
– Forcément, avec les ponts.
Alyssia s’est impatientée.
– Qu’est-ce qu’elle fabrique, Camille ? Elle descend pas ?
Benjamin a souri d’un air attendri.
– Oh, alors elle ! Il lui faut toujours des éternités pour se préparer…
Quand elle a enfin fait son apparition, toutes les conversations se sont interrompues. La salle a retenu son souffle, tandis qu’elle voguait jusqu’à nous, majestueuse, royale, indifférente aux regards admiratifs qui s’agrippaient à elles.
– Je vous ai fait attendre.
– Oui, mais ça en valait sacrément la peine.
En nous apportant l’entrée, Eugénie s’est penchée à mon oreille.
– Qu’est-ce qu’elle est belle, cette fille !

Avant de regagner la chambre, on s’est offert une longue promenade digestive dans les parages de l’hôtel.
– Il y a rien qui nous presse.
Malgré l’heure déjà bien avancée, il faisait encore une chaleur étouffante.
– Ce qui veut dire qu’il va falloir qu’on laisse la fenêtre ouverte.
– Et que, du coup, on va empêcher tout l’hôtel de dormir.
– Tant pis pour eux !
– Ou tant mieux.
Les regards des hommes et des femmes qu’on croisait se posaient immanquablement sur Camille, s’y attardaient longuement. On se retournait systématiquement sur elle.
– S’ils savaient !
Benjamin a fini par s’impatienter.
– Bon, on remonte ?
– T’es bien impatient !
Et Camille a encore voulu cinq minutes.
– J’aime trop ça comment on me regarde.
Puis encore cinq autres. Puis dix.



29-


On a attendu Eugénie. Qui a fait son apparition sur le coup de onze heures.
– J’ai pas pu plus tôt. Il y avait un monde ce soir…
Alyssia a aussitôt pris la direction des opérations.
– Bon, alors ce que je propose, puisque nous, les filles, on est en majorité, c’est que, pour commencer, les garçons nous offrent un petit strip-tease.
Camille a battu des mains.
– Oh, oui ! Oh, oui !
On s’est bien volontiers – et longuement – prêtés au jeu, Benjamin et moi. Sous le regard intensément attentif d’Eugénie, celui, intéressé, de Camille et le petit sourire semi-amusé d’Alyssia. Qui, quand on a enfin été nus, m’a regardé et a hoché la tête.
– Il bande. Tu bandes, mon cochon. Et pas qu’un peu !
Je bandais, oui. À cause d’Eugénie. Qui nous contemplait tant et plus. Qui détaillait, qui examinait, qui jaugeait. Que le spectacle ravissait manifestement.
Elle a proposé que quelqu’un vienne s’occuper de moi.
– Parce qu’on peut pas le laisser comme ça, mon petit mari. Ce serait cruel.
Camille s’est aussitôt mise sur les rangs.
– Moi ! Moi !
Et, sans attendre, elle s’est approchée, m’a effleuré, du bout des doigts.
– Ho là là ! Mon pauvre ! Non, mais dans quel état tu t’es mis. Faut faire quelque chose, là, faut vraiment faire quelque chose.
Elle s’y est employée. Avec détermination. Elle m’a décalotté. A entrepris un lent, très lent mouvement de va-et-vient.
Benjamin n’y a pas tenu. Il est venu à sa rescousse.
– Attends ! Attends ! Je vais t’aider. On sera pas trop de deux.
Il a refermé la main sur mes boules qu’il a doucement pétries, malaxées. Ses doigts à elle. Ses doigts à lui. Et le regard embrumé d’Eugénie. Dans lequel j’ai, très vite, intensément joui.

Alyssia a suggéré.
– Allez, au tour de Camille maintenant de nous offrir un joli petit strip-tease.
Elle ne s’est pas fait prier. Elle a lascivement fait remonter sa robe le long des cuisses. Haut. L’a laissée retomber. A recommencé. Un peu plus haut.
Elle nous a tourné le dos, a mis un temps infini à la quitter. Pas à pas.
Benjamin avait les yeux brillants.
– Elle sait y faire la garce, hein !
Elle a joué longuement avec le rebord de sa culotte. Sous laquelle elle a fini par glisser une main. L’autre. Elle a découvert le haut des fesses, s’est ravisée, puis brusquement décidée. La culotte est tombée.
– Je m’en lasserai jamais, moi. Quel cul ! Non, mais quel cul !
Elle s’est retournée, nous a fait face, les mains ramenées en coquille devant elle.
Il s’est fait suppliant.
– Nous fais pas languir, s’il te plaît ! Oh, s’il te plaît !
Elle les a lentement retirées.
Les yeux d’Eugénie se sont exorbités.
– J’y crois pas ! Non, mais alors là, j’y crois pas !
Benjamin a confirmé, l’air ravi.
– Eh, oui ! Elle a une queue ! Et une belle. Ah, ça surprend, hein !
Je me suis penché à l’oreille d’Eugénie.
– Et alors ? Elle est pas géniale, notre surprise ?
– Oh, si !
– On t’a gâtée, avoue !

Camille et Benjamin se sont enlacés. Embrassés.
Alyssia a protesté.
– C’est pas ce qu’était convenu.
– Ben oui, mais…
– Mais rien du tout ! Tu me le laisses, cette Camille.
Et elle s’en est emparée. Elle l’a entraîné vers le lit. Où ils se sont laissé tomber. Ils se sont pressés l’un contre l’autre. Il est allé la chercher sous son corsage. Sous sa jupe. Elle lui a offert ses lèvres, lui a doucement malaxé les fesses, chuchoté quelque chose à l’oreille.
Benjamin a tendu la main vers moi. J’ai tendu la mienne vers lui. Vers sa queue dressée. Que j’ai enveloppée, sentie durcir encore sous mes doigts.
Eugénie a ouvert son pantalon. Elle nous regardait. Elle les regardait. De nous à eux. D’eux à nous. Inlassablement. Elle a glissé une main sous son tee-shirt, l’autre dans sa culotte.
Je suis lentement descendu le long du torse de Benjamin. Je l’ai pris entre mes lèvres. Je lui ai agacé, mordillé le bout. J’ai relevé la tête. Pantalon et culotte aux chevilles, Eugénie se tourbillonnait frénétiquement le bouton.
Il m’a ramené à lui.
– Oh, putain ! Mais t’arrête pas ! Continue ! Continue !
Je l’ai englouti. Enveloppé de ma langue.
À côté Alyssia a gémi.
– Je vais jouir… Je vais jouir… Je jouis
À grandes envolées.
Benjamin s’est déversé dans ma bouche.
Et puis Eugénie. Qui a mélopé son bonheur, la tête renversée en arrière, les yeux mi-clos.
Tout est retombé.

Je me suis réveillé au cœur de la nuit. Il y avait quelqu’un, dans le lit, à mes côtés. J’ai avancé la main. Des cheveux mi-longs. Une femme. Qui a saisi la mienne de main. Qui a chuchoté.
– Tu dors pas ?
C’était Eugénie.
Je dormais pas, non.
On s’est rapprochés. Épaule contre épaule. Flanc contre flanc.
– Tu as aimé hier soir ?
Elle a étouffé un petit rire.
– Je serais difficile.
– On recommencera.
– Oh, oui, hein ! Quand ?
– Je sais pas, mais bientôt. Le week-end prochain, sûrement.
– Je peux te demander quelque chose ?
– Vas-y !
– Tu l’as complètement avalé Benjamin ?
– Jusqu’à la dernière goutte, oui. Pourquoi ?
– Non, pour rien. C’est que j’adore voir quand ça vous sort. Tu peux pas savoir ce que ça me fait.
– Tu m’as vu, moi.
– Justement ! Ça m’avait mise en appétit.
– La prochaine fois.
– D’autres trucs aussi qu’ils se font entre eux, les mecs, ça me rend complètement folle.
– Quoi ?
– Tu te doutes bien…
– Non. Je vois pas.
– Menteur !
Et elle m’a envoyé une petite tape sur la joue qu’elle a aussitôt corrigée d’un petit bisou au même endroit. Avant de venir se blottir contre moi.
– Je suis bien là.
Un peu plus fort encore.
– Jamais j’aurais pensé que je vivrais ça un jour avec des types. Ni que je pourrais en parler comme on fait là. Tu me diras tout, hein ? Ce que ça te fait. Ce que tu sens. Je veux tout savoir. Tout. Tu me promets ?
J’ai promis.
– Merci.
Et elle a calé sa cuisse contre ma queue.



30-


– Si j’avais su…
– Si t’avais su quoi ?
– Ben, que Benjamin nous avait une petite Camille comme ça sous le coude, j’aurais pas lancé l’opération jumeaux, moi !
– T’es pas mariée avec.
– Je suis pas mariée avec, non, ça, c’est sûr, mais j’ai pas trop envie de les laisser de côté non plus. Je m’éclate bien avec eux. Et puis ils sont tellement adorables…
– Amène-les le prochain coup. Quand il y en a pour cinq, il y en a pour sept.
– Oui, ben alors là, je les vois pas vraiment dans le rôle. C’est pas du tout le genre à apprécier les trucs entre mecs. Non, je vais me partager. C’est la seule solution. Une fois les uns, une fois les autres.
– Ça risque de pas être facile tous les jours.
– J’aviserai. Le moment venu. Bon, mais et toi, dans tout ça ?
– Quoi, moi ?
– Tu le vis comment ce qui se passe là ?
– Oh, bien. Très bien, même.
– C’est l’impression que tu donnes.
– Benjamin m’a grandement facilité les choses. Tout va de soi avec lui. Tout est parfaitement naturel.
– Tu prêches une convertie. Et Camille ?
– Oh, Camille ! C’est un véritable enchantement, Camille.
– Une petite merveille que, pour le moment, tu as dû te contenter de toucher avec les yeux. Oh, mais n’aie crainte… Ça va sûrement pas en rester là.
– J’espère bien.
– Et Eugénie ?
– Je sais pas, Eugénie. C’est compliqué.
– Oh, pas tant que ça ! Elle t’émeut, Eugénie. Elle te bouleverse. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Je te connais depuis le temps.
– C’est vrai qu’avec elle…
– T’es amoureux, avoue !
– Je crois pas, non.
– En tout cas, elle, elle l’est de toi. Ça fait pas l’ombre d’un doute.

Je me suis brusquement décidé. En tout début d’après-midi. J’avais trop envie. De la voir. D’échanger quelques mots avec elle. De la sentir à mes côtés.
– Toi !
Un sourire de surprise ravi.
– Moi, oui ! Tu me manquais trop…
Qui s’est épanoui au large.
Et presque aussitôt estompé.
– Si tu veux déjeuner, c’est trop tard. Ils vont jamais vouloir aux cuisines.
Je me fichais pas mal de déjeuner.
– Je veux juste passer un peu de temps avec toi.
Le sourire est revenu. Plus lumineux encore.
– Alors je finis mon service… J’en ai pas pour longtemps. Et je te retrouve sur le petit chemin derrière le parking. Tu vois où ?
Je voyais, oui.

On s’est enfoncés dans le petit bois.
– Je suis contente que tu sois venu. Très. Parce que…
– Parce que ?
Elle a marqué un long temps d’arrêt.
– J’avais peur que tu veuilles plus me voir.
– Et puis quoi encore !
Elle m’a jeté un petit regard de côté.
– Tu me juges pas trop mal ?
– Il y a aucune espèce de raison.
– Oh, si ! Si ! Il y a ce que je t’ai dit l’autre nuit. Et puis ce qu’il y a eu avant dans la chambre.
J’ai haussé les épaules.
– N’importe quoi ! Non, mais alors là, c’est vraiment du grand n’importe quoi…
– T’es sûr ? Tu me méprises pas ? Tu me trouves pas vicieuse ?
– Non, mais c’est quoi, ces idées que t’es allée te fourrer dans la tête ?
– Ça me fait honte, des fois, tu sais, toutes ces envies que j’ai. Que je peux pas m’empêcher d’avoir. Je me dis que je suis pas normale d’autant aimer ça voir des hommes entre eux. Bien plus que n’importe quoi d’autre.
Je lui ai pris la main. Elle a entrecroisé ses doigts avec les miens.
– Merci. Merci que je puisse parler comme ça avec toi. Te dire plein de choses que j’ai jamais dites à personne.
Elle a hésité.
– Les autres non plus, Benjamin, Camille, ils me jugent pas mal, tu crois ?
– Ça y est ! V’là que ça la reprend…
– Mais non, mais…
– Mais si ! Arrête de te faire des nœuds à la tête là-dessus, comme ça, sans arrêt.
– C’est que…
– C’est qu’il y a tellement longtemps que c’est ton secret… Un secret que, pendant des années, tu as eu la terreur de voir découvert, persuadée que tu passerais alors pour la dernière des dernières. Une perverse. Une anormale.
Elle m’a serré très fort la main.
– Qu’aujourd’hui que tu pourrais vivre tes aspirations en toute sérénité, avec des gens qui les partagent, eh bien non, tes appréhensions sont toujours là, bien calées, au risque de te gâcher ton plaisir.
– Tu comprends tout. C’est fou, ça !
– On ne te juge pas mal, Eugénie. Au contraire. On aime tes regards sur nous. Et on aime que tu aimes nous regarder. Beaucoup.
On s’est arrêtés. On s’est tus. Je me suis penché vers elle, vers ses lèvres qu’elle m’a abandonnées.



31-


Alyssia s’est montrée péremptoire.
– Oh, là ! Vous allez coucher tous les deux. Il y en a pas pour longtemps.
– Je sais pas. Je crois pas, non.
– Alors là, je suis bien tranquille. Oh, mais je te fais pas de reproches, hein ! Je serais vraiment très mal placée pour. Et puis, de toute façon, c’est ce qui peut t’arriver de mieux. Depuis le temps que je te le répète…
Elle est sortie de la douche, s’est enveloppé la tête dans sa grande serviette blanche.
– D’ailleurs, à ce propos, faut que je te dise quelque chose. C’est impressionnant ce que t’as changé ces derniers temps. Tu t’affirmes. T’es plus sûr de toi. Beaucoup plus homme, pour parler clair. Et ça, aussi bizarre que ça puisse paraître, c’est depuis que tu fais des trucs avec des types. On dirait que ça t’a dénoué quelque part. Donné le droit d’être toi-même. Alors Eugénie, c’est sans doute la suite logique du processus. Son aboutissement. Enfin ! C’est pas trop tôt.
– Et peut-être que pour nous, maintenant, alors, du coup…
Elle n’a pas répondu. Elle a posé un pied sur le tabouret, près du lavabo, pour se couper les ongles.
– À part ça, j’ai encore eu une longue conversation avec Benjamin ce matin. Et j’ai joué cartes sur table.
– À propos ?
– Ben, des jumeaux, tiens ! Qu’est-ce tu veux d’autre ? Il l’a pas mal pris du tout. Au contraire. Et alors, du coup, je te passe les détails, mais tu sais ce qu’on a décidé ? C’est que j’allais prendre une chambre avec eux, là-bas, au Petit Castel et qu’à vous, Benjamin, Camille et toi, Eugénie donnerait celle d’à côté. T’as rien contre ?
– Oh, que non !
– Par contre, va falloir la jouer fine. Faire hyper attention de pas se couper. Surtout au restaurant, en bas. On ne se connaît pas. On s’ignore. Non, parce qu’ils prendraient vraiment ça très mal, les deux autres…

Quand Camille est arrivée, on était déjà depuis un bon moment à table, Alyssia et les jumeaux tout au fond, près de la cheminée et moi tout seul à côté du grand buffet en chêne.
– Benjamin est pas avec toi ?
– Non. Il m’a déposé devant la porte et il est reparti. En catastrophe. Son père vient d’avoir une attaque.
Elle m’a effleuré les lèvres.
– Il est désolé, mais il tient absolument à ce qu’on ne change rigoureusement rien à ce qu’était prévu. Ça t’ennuie pas au moins ?
– Oh, mais pas du tout, non.
– On va pouvoir se consacrer exclusivement l’un à l’autre, comme ça.
Eugénie nous a apporté nos assiettes.
– Sous le regard attentif de cette charmante jeune personne.
Qui nous a gratifiés de son plus charmant sourire.

Quand elle est arrivée dans la chambre, on était étendus tous les deux sur le lit. Nus.
– Trop tard, ma pauvre !
– Oui. On n’a pas réussi à résister. On a bien essayé, mais ça pressait trop.
– Et ça va plus être possible maintenant. Parce qu’on s’est donnés à fond. On est sur les rotules.
– Alors, le mieux, c’est encore que t’ailles te coucher.
Sa mine désolée nous a fait éclater de rire.
– Mais non, idiote ! On t’a attendue.
– Par contre, à côté, ça fait un bon petit moment déjà qu’ils sont entrés dans le vif du sujet. Tiens, qu’est-ce que je disais !
Alyssia gémissait en sourdine. On l’a écoutée prendre son envol.
– Oh, c’est bon ! Non, mais c’est bon ! Qu’est-ce que c’est bon !
S’apaiser. En mots murmurés doux inaudibles. Retomber.

– Bon, mais c’est pas tout ça ! Et nous ?
J’ai proposé qu’Eugénie prenne la direction des opérations.
– Moi ?
– Ben oui, toi ! Pas le roi de Prusse.
Elle nous a regardés, perplexe, l’un après l’autre. Et puis elle s’est brusquement décidée. Elle est allée chercher deux serviettes dans la salle de bains dont elle nous a, après nous avoir fait lever, bandé les yeux. À l’un comme à l’autre,
Il s’est passé un long moment avant que sa main ne vienne se poser, toute chaude, sur mon ventre, n’y chemine, ne se dirige résolument vers ma queue, ne s’en saisisse.
Un frottement doux, soyeux. Elle nous avait mis bout à bout. Elle me caressait avec lui. Elle le caressait avec moi.
– Vous êtes tout durs.
Camille a envoyé promener la serviette de bains.
– Et merde ! Je veux voir.
Moi aussi.
Penchée sur nous, l’air absorbé, elle a continué à nous frotter voluptueusement l’un contre l’autre.
C’est Camille qui a joui le premier. En grande partie sur ma queue. Et puis moi. Sur la sienne. Et sur ses couilles.
Eugénie a relevé la tête, nous a lancé un regard enfiévré, s’est agenouillée et a léché. Tout. jusqu’au bout. Tandis que nos mains se perdaient dans ses cheveux.

Ce sont les trilles de plaisir d’Alyssia qui m’ont réveillé.
Eugénie était couchée à mes côtés. Elle a ri.
– Ça donne à côté, hein, dis donc !
– Elle est où, Camille ?
– Partie. Elle a reçu un SMS dans la nuit. Elle s’est habillée et elle a filé. Dommage d’ailleurs. Parce que j’avais bien ma petite idée pour demain matin.
– Qui était ?
– Tu préfèrerais quoi, toi ? Que ce soit elle qui vienne en toi ou le contraire ?
– Je sais pas. Je…
– Ça peut aussi être les deux. À tour de rôle.
– T’es pleine d’idées, toi, dis donc, quand tu veux !
– Oh, là, si tu savais !
– T’as aimé hier soir ?
– Tu parles si j’ai aimé ! Depuis le temps que ça me trottait dans la tête un truc comme ça…
– Mais t’as pas pris ton plaisir…
– Si ! Un plaisir de l’intérieur. C’est les meilleurs. N’empêche… je me répète, mais qu’est-ce que je suis contente de vous avoir rencontrés.
Elle m’a posé la main en bas. Je suis allé lui chercher un sein sous le tee-shirt. J’en ai agacé la pointe. On s’est longuement caressés. Le cou. Les fesses. Son bouton. Ma queue. Nos lèvres se sont cherchées. Trouvées. Nos langues se sont enlacées. Elle a refermé ses jambes autour des miennes, promené ses ongles tout au long de mon dos.
– Viens ! Oh, viens !
Elle s’est éperdue. En longs hululements échevelés. Qui se sont estompés, ont repris vigueur, ont longuement roulé.
– Reste ! Reste-moi dedans !
Elle a attiré ma tête contre la sienne. Joue contre joue.
– Je suis bien. Tellement !
Et elle s’est endormie.



32-


– Alyssia !
– Quoi ?
– Tu te lèves pas ? Tu vas être en retard.
– Quel jour on est ?
– Jeudi.
– Oh, putain, oui ! C’est vrai qu’on est en semaine. C’est pour ça qu’ils sont partis, les jumeaux. Ils bossent.
– Et nous aussi ! Normalement…
– Ils m’ont pas lâchée. Toute la nuit j’y ai eu droit.
– J’ai entendu ça, oui.
– Oh, ben, de ton côté, c’était pas mal non plus. T’en as fait quoi, d’ailleurs, d’Eugénie ?
– Elle avait les petits déjeuners à s’occuper.
– Je t’avais dit que ça allait pas tarder avec elle. Je te l’avais pas dit ? Et, apparemment, ça s’est plutôt bien passé. En plus ! Non ?
– Elle est adorable.
– Et ça aussi, je te l’avais dit…
– Quoi donc ?
– Que t’es amoureux d’elle.
– Cette fois, tu vas être en retard, c’est sûr.
– J’y vais pas. Je suis pas en état. Toi non plus, d’ailleurs, t’as de ces valises sous les yeux.
– On reste là alors ?
– Ou on va passer la journée quelque part ? Tous les deux ? Rien que nous deux ?

Ce fut, une nouvelle fois, Rocamadour.
– Comme le jour où…
On y est arrivés sur le coup de midi
– On déjeune là-bas ?
– Bien sûr.
La terrasse sous les tilleuls.
On a éteint nos portables.
– Qu’on soit tranquilles.
On a étudié la carte.
– Je sais ce que tu vas prendre…
– Moi aussi…
Émincés de foie gras et magrets de canard. Évidemment… Ça s’imposait.
On s’est souri. On s’est pris la main par-dessus la table.
– On peut bien dire ce qu’on veut, mais nous, ce sera toujours nous.
– Et de plus en plus.
– Surtout maintenant que…
Elle n’a pas achevé sa phrase.

Elle nous a voulu une petite sieste.
– Fais-moi l’amour ! Tout doux. Tout tendre.
– Vos désirs sont des ordres, chère Madame.
Mes doigts sur ses joues. Sur ses lèvres. Mes yeux dans les siens. On a fait durer. Longtemps. Et son plaisir l’a transpercée. Véhément. Débondé.
Elle est restée dans mes bras.
– C’est la première fois…
Les larmes lui sont montées aux yeux.
– C’est la première fois que j’en ai avec toi. Jamais, avant…
Elle s’est blottie contre moi.
– Si tu savais ce que j’en ai rêvé de ce moment-là…

On a passé le reste de l’après-midi à remettre nos pas dans nos pas. Main dans la main. À profiter du soleil. De la beauté des lieux. De nous.
Le château. Le sanctuaire. Puis la forêt des singes. On a erré au milieu d’eux. On leur a distribué des pop-corns. On s’est assis sur un banc et on les a regardés jouer, grimper aux arbres, en redescendre, se chamailler tant et plus.
– Et maintenant ?
– Eh bien ?
– On va faire quoi pour les autres, là ?
– Rien. Rien de spécial. Il y a rien de changé. Si ?
– Non. À part nous. Mais ça, ça ne regarde que nous.
– Exactement.
– On a été bien contents de les trouver. On va pas s’en débarrasser, comme ça, du jour au lendemain, sous prétexte qu’on n’a plus besoin d’eux.
– D’autant que c’est complètement faux. Ils peuvent encore nous apporter beaucoup. Énormément.
– Et nous à eux.
On s’est tendu les lèvres.

Le lendemain, au réveil, on a rallumé nos portables.
– J’ai un message de Benjamin.
– Et moi, d’Eugénie.