1-
– Maxime !
Comment tu vas ? Ça fait si longtemps…
– Vingt
ans. Plus de vingt ans. La dernière fois, c’était à Mougins
juste avant la naissance de Clorinde.
– Que
je ne connais pas du coup.
– Que
tu ne connais pas, non. Et justement : c’est à propos d’elle
que je t’appelle. Si tu pouvais nous rendre un petit service, ça
nous retirerait une sacrée épine du pied.
– Si
c’est dans mes cordes…
– Que
je t’explique. On lui avait trouvé un petit appart sympa à deux
pas de la fac, sauf qu’hier, quand on s’est pointés, il s’est
avéré que c’était une arnaque. Le type a loué une bonne
douzaine de fois un truc qui lui appartenait pas et s’est barré
avec les cautions. Sans doute à l’étranger. Et on se retrouve le
bec dans l’eau. À deux jours de la rentrée.
– Je
vois.
– Alors
comme t’habites quasiment la porte à côté de la fac, on se
demandait si t’aurais pas pu l’héberger. Juste quelques jours.
En dépannage. Le temps qu’on se retourne. Qu’on lui cherche
quelque chose de potable. Mais si ça te dérange, tu me dis
franchement, hein ! Je me vexerai pas.
– Aucun
souci. J’ai de la place.
– Elle
t’encombrera pas, tu verras. C’est pas le genre. Elle mènera sa
petite vie de son côté et te laissera mener tranquillement la
tienne.
– Mais
oui, j’te dis ! Amène-la quand tu veux.
Ce
fut le lendemain matin.
C’était
une fille aux yeux vifs, châtain clair, bronzée, qui m’a gratifié
d’un large sourire.
– Merci.
c’est sympa. Parce que sans vous…
Et a
aussitôt voulu aller visiter sa chambre.
– Oh,
mais c’est immense ! Je vais être comme une poule en pâte,
moi, là-dedans. Je peux voir le reste ?
Je
l’ai accompagnée de pièce en pièce.
– Mais
c’est un palace ! Un vrai palace.
Elle
s’est penchée à la fenêtre qui donnait sur l’arrière.
– Et
il y a une piscine ! C’est pas vrai qu’il y a une piscine !
Oh, mais je repars pas, moi ! Je reste là jusqu’à la fin des
temps.
Maxime
a souri, haussé les épaules.
– Elle
est nature, hein ! Bon, mais je te la laisse. Et encore merci.
Elle
s’est installée.
Dans
la chambre. La porte du dressing s’est ouverte et fermée à
plusieurs reprises.
Dans
la salle de bains.
– Hou !
Hou ! Vous êtes par là ? Je peux pas avoir un peu de
place sur la tablette au-dessus du lavabo ?
Des
flacons. Des tubes. Des sprays. Des boîtes.
– Tout
ça !
– Ah,
ben, eh ! Si je veux être un minimum présentable…
Je
lui ai libéré un peu d’espace.
– C’est
tout ?
Un
peu plus.
– Je
voudrais vous demander un truc, tiens, tant que j’y suis.
– Je
t’écoute.
– Ma
chambre, là, je pourrai pas y faire venir quelqu’un des fois ?
– T’as
un petit copain ?
– Attitré,
non. Mais des fois ça arrive qu’il y ait un mec qui me plaise
bien.
– Tu
feras bien comme tu voudras.
– Oh,
mais allez pas vous faire un film non plus, hein ! Ce sera pas
le défilé. Bon, mais vous savez quoi ? Je crève d’envie
d’aller me baigner, moi. Vous venez ? On y va ?
Et
elle a dévalé l’escalier sans attendre ma réponse.
2-
– Comment
elle est bonne ! Un vrai délice !
Elle
n’avait pas perdu de temps. Elle était déjà à l’eau.
Toute
nue.
– On
en profite vachement mieux comme ça, vous trouvez pas ?
J’en
étais, moi aussi, intimement convaincu.
– Ah,
vous voyez ! Eh ben allez, alors ! Virez-moi toutes vos
frusques et venez me rejoindre. Qu’on fasse la course. Vous tenez
pas trois longueurs de piscine, je suis sûre…
– Oui,
ben c’est ça, ce qu’on va voir.
– C’est
tout vu.
On
s’est affalés, hors d’haleine, sur deux matelas pneumatiques,
côte à côte.
– Comment
je vous ai pelé, n’empêche !
– Forcément,
t’as triché.
– Wouah !
Cette mauvaise foi ! Je vous parle plus puisque c’est comme
ça.
Et
elle a fermé les yeux. Elle s’est voluptueusement offerte aux
caresses du soleil auquel elle a abandonné ses seins en pente douce,
aux larges aréoles claires, aux pointes légèrement dressées. Son
ventre au galbe parfait. Ses cuisses resserrées qui ne laissaient à
découvert que l’extrémité supérieure, totalement glabre, de son
encoche d’amour.
Elle
s’est retournée. De l’autre côté. La nuque. La longue descente
du dos. Les deux petites fesses si gentiment rebondies.
À
nouveau pile. À nouveau face. Longtemps.
Elle
a fini par se redresser, par se tourner vers moi, appuyée sur un
coude.
– Pourquoi
vous restez toujours sur le ventre ? Vous voulez vous bronzer
que le dos ?
J’ai
haussé les épaules.
– C’est
comme ça. Je sais pas.
– Oui,
ben moi, je sais ! C’est que vous bandez comme un âne que je
sois là, comme ça, à côté de vous et que vous voulez pas que je
m’en aperçoive. C’est pas vrai peut-être ? Ah, vous
voyez ! Vous répondez pas. Ça veut tout dire. Oh, mais c’est
normal, pour un mec, de bander, hein ! C’est le contraire qui
l’est pas.
Elle
a chassé, d’une pichenette, un insecte venu se poser sur son sein.
– En
même temps, je vous comprends de réagir comme ça. Parce qu’il y
en a plein des filles de mon âge qui supportent pas l’idée de
faire de l’effet à un homme du vôtre. Vu qu’elles n’éprouvent
pas d’attirance pour lui, elles voudraient qu’il en ait pas non
plus pour elles. Ben oui, mais c’est pas comme ça que ça se
passe ! Une fille, à vingt ans, elle est au top du top. Elle
brille de tous ses feux. Qu’elle le veuille ou non, elle attise le
désir. Il a beau avoir quarante ans le type, ou cinquante ou
soixante, elle l’émeut. Elle lui chavire la tête et les sens.
C’est comme ça. Faut faire avec. Moi, ça me dérange pas. Pas du
tout. Même qu’on soit nettement plus âgé que moi. Du moment
qu’on reste dans les clous. Qu’on essaie pas de passer à l’acte.
Parce que coucher alors là, non, non et non. Pas question !
C’est réservé aux jeunes comme moi, ça. Et c’est pas
négociable. Par contre, qu’on flashe sur moi, quel que soit l’âge,
j’y vois pas vraiment d’inconvénient. C’est même plutôt
gratifiant. Carrément flatteur, oui. D’ailleurs, c’est pas pour
me vanter, mais…
– Mais ?
– C’est
quand même plutôt souvent que ça m’arrive. Et des types bien de
leur personne, hein ! Des messieurs. Ce qu’est trop, c’est
quand ils essaient de le cacher et qu’ils y arrivent pas. Que c’est
plus fort qu’eux. Qu’ils arrêtent pas de te jeter des coups
d’œil par en dessous. Tu te régales à les voir faire. Deux, il y
en a eu hier. Un dans le bus. Cinquante ans. Quelque chose comme ça.
Juste en face de moi il était assis. Et un autre à la poste,
pendant que j’attendais mon tour. Dans la file d’à côté, il
faisait la queue. Et aujourd’hui, il y a eu vous.
Elle
s’est levée.
– Tout
de suite, dès que vous m’avez vue, dès que j’ai passé la
porte, je vous ai tapé dans l’œil. Je me trompe ?
Et
elle s’est jetée à l’eau.
Elle
se trompait pas, non.
3-
Elle
a émergé à onze heures. Au radar. Et vêtue, en tout et pour tout,
d’une toute petite culotte blanche qui mettait généreusement en
relief – et en valeur – ce qu’elle était supposée
dissimuler.
– Tu
veux du café ?
– Ce
serait sympa, oui. Que j’y voie plus clair !
Elle
a soupiré.
– Cinq
messages il m’a laissés depuis ce matin, aux aurores. Cinq.
– Maxime ?
– Ben,
oui ! Et tout ça pour me dire qu’il faut que je prospecte au
plus vite. Qu’il est pas question que je reste ici à vous ennuyer.
– Mais
tu m’ennuies pas.
– J’ai
vraiment pas l’impression, non.
Son
téléphone a sonné.
– Qu’est-ce
vous pariez que c’est lui ? Ah, non, tiens, c’est ma mère,
ce coup-ci… Allô, oui… Oui… Mais tu me l’as déjà dit dix
mille fois, ça, enfin, maman ! Mais non ! Non ! Mais
oui, j’te promets, oui ! C’est ça ! Moi aussi…
Elle
a raccroché.
– Qu’est-ce
qu’elle peut être lourde quand elle s’y met ! Toujours le
même refrain : « Ne parle pas à tort et à travers,
Clorinde ! Ne dis pas n’importe quoi ! Un jour ou
l’autre, ça te retombera sur le coin de la figure. » En
gros, elle a peur que je vous vexe. Mais ça, moi, je suis pas
d’accord. Faut le dire ce qu’on pense. Ou ce qu’on ressent. Et
tant pis si l’autre, en face, ça lui plaît pas. Ou s’il le
prend de travers. Il y a rien de pire que de tout garder pour soi.
Non ? Vous croyez pas, vous ?
– Fais
comme tu le sens !
– Et
son autre grand dada, c’est de me répéter, sur tous les tons,
qu’il faut que je sois un minimum décente. Elle me bassine avec
ça. « T’es pas à la maison, Clorinde ! Tu te balades
pas à poil chez ce monsieur ! Ça se fait pas ! »
Mais moi, ce qui se fait ou ce qui se fait pas, les conventions, tout
ça, j’en ai strictement rien à battre. Et c’est depuis toute
petite que j’ai l’habitude d’être à mon aise, alors c’est
sûrement pas aujourd’hui que je vais changer. Qu’elle y compte
pas ! D’autant que, de toute façon, ça regarde que nous,
vous et moi, ce qui se passe ici. Et je me balade comme j’ai envie.
– Ce
qui ne me gêne absolument pas.
– Tu
parles que ça vous gêne pas ! Vous vous régalez, oui !
Ça saute aux yeux. Si bien que, finalement, tout le monde est
content. Sauf elle ! Mais elle le saura pas.
Elle
s’est étirée.
– Je
pourrais pas ravoir un café ? Non, attendez ! Bougez pas !
Je vais y aller. Je vais me servir.
Elle
a chaloupé jusqu’au plan de travail. Je n’ai pas quitté ses
fesses des yeux ni, au retour, la douce échancrure voilée dont je
me suis désespérément efforcé de percer le secret, du regard,
sous le fin tissu blanc.
Elle
s’est rassise.
– J’appréhende…
Vous pouvez pas savoir comme j’appréhende…
– Quoi
donc ?
– D’en
trouver un d’appart. Parce que je vais l’avoir sans arrêt par
les pieds. À vouloir l’aménager comme elle l’entend, elle !
Ça va être prise de tête permanente. Parce que, dans son esprit,
ses goûts à elle ont valeur universelle. Elle ne conçoit pas une
seule seconde qu’on puisse en avoir d’autres. Et comme j’ai pas
du tout envie que, chez moi, ce soit l’exacte réplique de chez
elle, on va s’engueuler vingt fois par jour.
– Eh
bien, gagne du temps ! Fais semblant de mettre toute ton énergie
à chercher. Et ne trouve pas ! Moi, de mon côté, je
rassurerai Maxime. Mais oui, tout se passe bien ! Mais non, tu
ne me gênes pas. Pas le moins du monde. Au contraire ! Ça me
fait une présence. Ça met un peu d’animation et de jeunesse dans
la maison. Et tutti quanti… Petit à petit ça va devenir une
situation de fait. À laquelle ils vont s’habituer. Ils n’en
parleront presque plus. De moins en moins. Dans trois mois, Ils n’en
parleront plus du tout. Et le tour sera joué.
– Vous
savez que vous êtes plein de ressources, vous, quand vous voulez ?
Bon, mais en attendant faudrait peut-être bien que je fasse un saut
à la fac, moi ! Louper la rentrée, ça ferait quand même
désordre…
4-
– Déjà !
Eh ben, dis donc, c’était un petit saut.
– Oui,
oh ! Ça va être aussi plan plan que l’an dernier. Et, à
moins que, parmi les nouveaux, il y ait deux ou trois mecs
consommables, je vais encore m’emmerder comme un rat mort, moi,
c’est couru d’avance. Bon, mais passons aux choses sérieuses.
Vous avez vu ce temps ? Piscine, non ? Ça s’impose.
D’autant que je vous dois une revanche, même si le résultat fait
pas le moindre doute. Vous allez encore vous traîner lamentablement
loin derrière.
– Non,
mais écoutez-moi cette petite prétentieuse ! Tu vas voir ce
que tu vas voir…
– Et
là, pas calmée ?
On
venait de se laisser tomber, comme la veille, sur les matelas.
– Forcément !
Je vous ai laissé gagner. Faut bien que je vous caresse un peu dans
le sens du poil si je veux pouvoir rester ici.
– Non,
mais alors là ! Alors là ! Quelle petite saloperie tu
fais !
Elle
m’a tiré la langue.
– En
douce que vous avez quand même fait de sacrés progrès depuis hier.
Et pas seulement dans l’eau.
J’ai
levé sur elle un regard interrogateur.
– Ben,
oui ! Vous vous êtes décoincé. Vous bandez un peu, pas mal
même, mais au moins, cette fois-ci, vous vous planquez pas
honteusement, sur le ventre, pour le faire.
Et
son regard s’est tranquillement installé sur moi en bas. S’y est
longuement attardé.
Elle
a constaté, avec un petit sourire amusé.
– Vous
êtes souvent comme ça, n’empêche, vous, les mecs ! Suffit
qu’on vous pose les yeux dessus pour qu’elle se mette à grimper.
Et alors si, en plus, on vous cause d’elle !
Elle
s’est absorbée dans sa contemplation.
– J’aime
trop voir ça, moi ! Ça monte. Ça redescend. Ça repart. Ça
fait tout un tas de soubresauts. On sait jamais jamais si elles sont
à fond ou si elles ont encore de la marge. N’empêche, il y en a
pas deux pareilles, si on y réfléchit bien. C’est ce qui fait
tout l’intérêt de la chose d’ailleurs.
Elle
s’est laissée retomber sur le dos.
– Stop !
Suffit. C’est tout pour aujourd’hui. Faut pas abuser des bonnes
choses. On finit par s’en lasser sinon. C’est ce qu’elle dit
toujours ma copine Emma. Et, là-dessus, elle a raison. Elle est
trop, Emma. Ah, pour une vedette, c’est une vedette ! Je vous
la ferai connaître, vous verrez ! Elle vous plaira, j’en suis
sûre. Elle est encore pire que moi.
Son
portable a bipé.
– C’est
pas vrai ! Ils me ficheront pas la paix…
Elle
y a jeté un coup d’œil. A soupiré. L’a reposé.
– En
attendant, si je suis comme je suis maintenant, c’est grâce à
elle, Emma. Parce que vous m’auriez vue, il y a encore seulement
deux ans ! Pleine de principes, la fille ! Bardée de tout
un tas de préjugés. Comment elle m’a fait voler tout ça en
éclats ! « Ben, quoi ! Ils passent bien leur temps à
nous mater tout partout, les mecs. Pourquoi on aurait pas le droit de
faire pareil avec eux, nous ? » Et elle ne s’en privait
pas. Dès qu’il y avait une occasion, elle sautait dessus. Je
comprenais pas au début. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien y
trouver ? Et puis, à force de la voir faire, de l’entendre en
parler, j’ai fini par me donner le droit d’y prendre, moi aussi,
du plaisir. On aime toutes ça en fait, nous, les filles, voir
comment les mecs sont montés. Mais on ose pas se l’avouer. On se
l’interdit. C’est pas du regard des autres qu’on a surtout
peur, en l’occurrence, c’est du regard de soi-même sur soi-même.
Qu’est-ce que je vais penser de moi ? Ben rien, en réalité !
Il y a aucune espèce de raison d’avoir honte, si on y réfléchit
bien. De laisser des idées convenues qui n’ont aucun fondement
réel nous dicter leur loi. Une fois que t’as a compris ça… Eh
ben, une fois que t’as compris ça, qu’est-ce que t’as comme
retard à rattraper !
5-
Il
ne nous a fallu que quelques jours pour prendre notre vitesse de
croisière.
Elle
se levait vers huit heures.
– Mais
vous me réveillez, hein, si je m’oublie…
Surgissait,
tout ensommeillée, en petite tenue – ou carrément à poil,
c’était selon – dans la cuisine.
– Salut !
– Bien
dormi ?
Elle
ne répondait pas, se versait, en le faisant bien souvent déborder,
un grand bol de café noir qu’elle avalait d’un trait.
Et
elle filait à la salle de bains. D’où elle m’appelait presque
aussitôt.
– Venez
me parler ! Ça me réveillera. J’aime pas ça, rester toute
seule, n’importe comment.
Elle
se douchait. Et puis moi. Elle se séchait les cheveux, se maquillait
devant la glace au-dessus du lavabo. Tout en poussant de profonds
soupirs.
– Encore
une journée à tirer. C’est la purge ! Non, mais quelle idée
j’ai eue d’aller m’engouffrer là-dedans, moi ? Psycho. Tu
parles ! On te gave de certitudes soi-disant scientifiques qui
n’auront plus cours dans dix ans. Et que je te fais des nœuds au
cerveau. Et que je te m’écoute causer. Et tout ça pour quoi ?
Pour rien. T’auras pas de boulot à la sortie. Plus personne en
veut des psychologues. C’est passé de mode. Et on est des milliers
sur le marché.
Elle
me tendait la joue.
– Bon,
allez, courage, j’y vais.
Elle
rentrait vers cinq ou six heures. Quelquefois sept.
– Non
pas que j’aie passé tout ce temps-là à la fac, hein, je suis pas
maso. Non, j’ai traîné à droite, traîné à gauche. Discuté.
Fait quelques magasins. Passé un coup de fil à Emma. Et quand on se
téléphone, toutes les deux, en général, ça dure…
Il
était hors de question de descendre à la piscine. La température
ne s’y prêtait plus.
Alors
elle s’éclipsait dans sa chambre.
– Je
vais bosser.
Et
en ressortait dès qu’elle m’entendait m’agiter aux fourneaux.
– Je
vais pas vous laisser tout faire, attendez ! Et puis faudra voir
aussi pour les courses. Que je participe…
– Oui,
oh…
– Ah,
si, si ! Faut pas exagérer. De toute façon, ils accepteront
jamais ça, mes parents. Alors si vous voulez pas qu’ils me
rapatrient…
Le
meilleur moment de la journée, c’était le soir. Après le repas.
On s’installait au salon. On n’allumait pas la télé.
– C’est
pour les vieux, ça, la télé, vous trouvez pas ?
Elle
sirotait un limoncello. Moi, un Lavagulin. Et elle entrait en
confidences.
– Mine
de rien, il y en a quand même trois qui me tournent autour depuis la
rentrée. Et des pas mal du tout. Un surtout. Un petit blond. Un
belge. Dont je ferais bien mon quatre heures.
– Eh,
ben, vas-y ! Qu’est-ce t’attends ? Fonce !
– Ah,
ben non ! Non ! Surtout pas. Faut lui laisser le temps de
monter en pression au mec. De se demander s’il va parvenir à ses
fins ou pas. Ce n’en est que meilleur le jour où ça se fait. Pour
lui comme pour toi.
– C’est
toujours vous, les filles, qui menez le jeu en fait. À votre guise.
– Encore
heureux ! Manquerait plus que ça !
6-
– Ça
va comme ça ?
Elle
sortait.
– T’es
ravissante.
– Ça
fait pas trop la fille qui part en chasse ?
– Pas
du tout, non. T’es plutôt en mode subtilement coquette. Et c’est
quoi l’objectif ? Le belge ?
– Oh,
non ! Non. Il y sera pas, lui, n’importe comment à cette
soirée. Et puis même… Je suis pas sûre d’en avoir vraiment
envie. Il y a des trucs qui me gonflent chez lui. Non, là, ce soir,
l’artiste travaille sans filet. Je connais personne. Alors tout est
possible. Ou rien. J’aime bien m’aventurer en terre inconnue
comme ça. Sans avoir la moindre idée de ce qui va se passer. Bon,
ben à demain alors. J’y vais..
Et
elle m’a envoyé un baiser. Du bout des doigts.
Elle
est rentrée sur le coup de trois heures du matin. En compagnie de
quelqu’un. Ils ont monté l’escalier à pas de loup. Dans la
chambre, il y a d’abord eu des mots murmurés bas. Un rire étouffé.
Le sommier a grincé. De plus en plus vite. Ça s’est arrêté.
Leurs voix. La porte. Elle l’a raccompagné jusqu’en bas.
– Alors ?
Elle
a fini de beurrer sa tartine.
– Ben
alors, rien du tout… Le coup foireux, mais vraiment foireux. Pire,
il y a pas. Le mec, il te grimpe. Il fait sa petite affaire et il se
casse. De toi il a strictement rien à foutre.
– Charmant…
– C’est
un peu de ma faute aussi… J’aurais dû m’en douter. Il y avait
des signes. Qui ne trompent pas quand on a l’habitude. J’ai pas
voulu les voir. J’étais obnubilée.
– Par
quoi ?
– Par
sa queue, tiens ! Qu’était dressée toute droite contre ma
cuisse quand on dansait. Et ça, moi, dans ce cas-là, j’ai
l’imagination qui part au triple galop. J’essaie de deviner
comment elle est faite. Je m’en construis un portrait-robot. Et au
bout d’un moment, forcément, je crève d’envie de le comparer à
l’original. Et, pour ça, il y a pas trente-six mille solutions.
Sauf que là, ça a complètement foiré. J’ai même pas pu
vraiment la lui voir vraiment en plus. Comme j’aime bien. En
prenant tout mon temps. En la détaillant sous toutes les coutures.
Bon, mais ça arrive. Il y a pas de quoi en faire toute une maladie
non plus. Ce sont les aléas. La prochaine fois, ça se passera
mieux. Ou pas. De toute façon, quand je veux vraiment prendre mon
pied, j’ai la solution toute trouvée. Jérémie. Avec lui je suis
sûre de grimper aux rideaux. À chaque fois. Il me connaît bien, il
sait comment je fonctionne et il prend tout son temps. C’est des
après-midis entières qu’on y passe des fois. J’en sors
complètement épuisée, mais comblée. Il est plein de qualités en
plus. Il est drôle. Il sait plein de trucs. Il se prend pas la tête.
C’est un amour, Jérémie ! Faudra que je vous le fasse
connaître un jour, tiens !
– Ce
que je comprends pas, c’est pourquoi, si vous vous entendez si
bien…
– On
se met pas ensemble ? Je sais, oui, tout le monde nous le dit
qu’on est faits l’un pour l’autre. Mais non. Non. Je suis pas
idiote. Et lui non plus. Du jour où on serait vingt-quatre heures
sur vingt-quatre l’un sur l’autre, ça partirait en vrille. Il a
son caractère et moi, j’ai le mien. Ça durerait un an, peut-être
deux, et ça ferait comme les autres. Exactement pareil. Faut pas se
raconter d’histoires. Parce qu’on en a des dizaines et des
dizaines des copains qui se sont mis en couple. Que, soi-disant, eux,
ce serait différent. Qu’ils se laisseraient leur liberté. Qu’ils
se rogneraient pas les ailes. Que ce serait le bonheur au quotidien.
Seulement à l’arrivée… Non, non. On reste comme ça…
7-
Maxime
m’avait adressé un chèque. Un gros chèque.
– Non,
parce que pas question que tu la nourrisses. En plus ! Ce serait
la meilleure…
Et
on était allés, tous les deux, Clorinde et moi, faire des courses.
Des monceaux de courses. Elle remplissait tant et plus les chariots.
– Hou
là ! Mais on va avoir des provisions pour au moins six mois.
– Tant
mieux ! Vous pourrez pas me foutre dehors avant comme ça…
– Comme
si j’en avais l’intention !
À
la caisse, on m’a tapé sur l’épaule.
– Martial !
Mais qu’est-ce tu fiches là ?
– Ben,
et toi ?
– J’habite
dans le coin.
– Pareil.
– Non,
mais c’est trop, ça ! Attends ! Donne-moi ton numéro…
Faut absolument qu’on s’organise un truc, là. Qu’on se fasse
une bouffe. Quelque chose.
– Et
comment ! Ça s’impose…
Il
s’est discrètement penché à mon oreille.
– Ben,
dis donc, tu te mouches pas du pied, toi !
– C’est
pas du tout ce que tu crois.
– Que
ce soit ça ou pas, en tout cas il y a un sacré petit lot, là.
Elle
a attaché sa ceinture.
– Vous
me dites ?
– Quoi
donc ?
– C’était
qui ce type ?
– Martial.
– Oui,
ça, j’avais compris, merci. Je suis pas complètement idiote. Mais
encore ?
– Je
l’ai connu au lycée, Martial. On a fait les quatre cents coups
ensemble. Avant de travailler quelque temps pour la même boîte. On
est ensuite restés épisodiquement en contact pour, finalement, se
perdre complètement de vue.
– Et
vous vous êtes retrouvés. Par hasard. C’est un signe du destin,
ça ! Faut que vous restiez amis.
– On
verra.
– Il
vous a dit quelque chose tout bas à un moment. C’était pour pas
que j’entende ?
– Tu
es très perspicace.
– C’était
quoi ?
– Il
se demandait pourquoi je traînais une fille aussi moche avec moi.
– Non.
Sérieux…
– Il
te trouvait ravissante.
– Je
lui ai tapé dans l’œil, j’ai bien vu. Il te me jetait de ces
regards en douce !
– Ah,
ça t’a bien plu, ça, hein !
– Il
va venir à la maison ?
– Sûrement
pas, non.
– Hein !
Ben, pourquoi ?
– Parce
que j’ai pas du tout envie de te jeter dans la gueule du loup.
– Oh,
tu parles !
– Alors
là, je suis bien tranquille. Tu vas lui tomber dans les bras, te
tirer aussi sec avec et moi, je vais rester là, tout seul, comme un
con.
– N’importe
quoi ! Je coucherai jamais avec un vieux. Jamais ! Vous
avez pas encore capté ça depuis le temps que je vous le répète ?
Je veux juste…
– Tu
veux juste ?
– Sentir
que je lui plais… Comme si vous le saviez pas !
8-
Le
lendemain était un dimanche.
Elle
s’est levée tôt. Beaucoup plus tôt que d’habitude.
– Ça
va ce matin ?
– Oh,
oui, ça va, oui. Nickel.
Avec
un petit sourire mutin.
– Ce
que je ne comprends pas…
– Je
sais ce que vous allez dire, je sais.
– C’est
que, l’autre nuit, t’es rentrée avec un garçon et calme plat.
Silence radio. Alors qu’hier soir…
– J’étais
toute seule et…
– Un
véritable tsunami. Ah, pour donner ça a donné.
– Ben,
oui, qu’est-ce que vous voulez ! On maîtrise pas toujours
tout.
– L’effet
Martial ? Évidemment, l’effet Martial. Bien sûr, l’effet
Martial. Tu racontes ?
– Hein ?
Oh, non ! Non !
– Alors
c’est moi qui vais le faire. D’abord, tu as imaginé que tu
repartais faire des courses, mais toute seule cette fois. À la
caisse, il est venu déposer ses achats sur le tapis, juste derrière
les tiens. Il t’a reconnue. Tu l’as reconnu. Un bref bonjour. Il
t’a demandé comment j’allais. « Oh, bien ! Bien ! »
Et tu ne t’es plus préoccupée, en apparence, que de remettre tes
courses dans ton chariot, le plus vite possible, mais, en réalité,
tu ne pouvais penser qu’à lui, qu’à ses regards qui se
gorgeaient de toi, qui profitaient de ce que tu avais le dos tourné
pour s’en rassasier. Tu le savais. Tu le sentais. Qu’ils étaient
bons ses regards ! D’admiration. D’émerveillement. De
désir. Tu les ignorais superbement, mais qu’ils étaient bons !
Comment ils te troublaient ! Au-dehors, tu as mis une éternité
à ranger tes achats dans le coffre pour lui laisser le temps de
régler les siens, de surgir à son tour sur le parking, de
s’installer au volant de sa voiture garée là, quelque part,
derrière toi, d’enfouir sa main dans son pantalon en te dévorant
des yeux et de donner libre cours à son plaisir. Et c’est alors
que le tien t’a emportée. C’est pas comme ça que ça s’est
passé ?
– Un
peu, mais pas tout à fait quand même.
– C’était
pas au super marché d’hier ?
– Si !
Sauf que j’étais beaucoup plus coquine et audacieuse que ça. Je
suis montée à côté de lui dans la voiture et je l’ai regardé
faire.
– J’aurais
dû m’en douter. Tu l’as touché ?
– Des
yeux. De tout près.
– Et
c’est là que t’es venue.
– On
devrait arrêter d’en parler. Ça me redonne trop envie.
– Je
vois ça, oui ! Ta petite culotte te trahit.
– Hein ?
Oh, là là, oui ! Et vous ?
– Quoi,
moi ?
– Vous
allez quand même pas me dire que vous êtes resté les mains
sagement jointes sur la couverture alors qu’à côté j’étais en
train de brailler comme une forcenée ?
– Non.
De toute façon, tu ne me croirais pas.
– Ah,
ça, c’est sûr ! Vous pensiez à quelque chose ?
– À
rien de précis. Tu m’as pris de court. Alors j’ai juste laissé
flotter des images.
– De
moi ?
– Ben
oui, de toi. Vu les circonstances, ça s’imposait, non ?
– C’était
quoi ?
– Toi,
à la piscine. Toi, toute nue devant le lavabo de la salle de bains.
Toi, affalée sur le canapé avec la culotte qui te rentrait dans la
raie des fesses.
– Vous
m’avez imaginée en train de me le faire ?
– C’était
le moment ou jamais.
– Quand
c’est que vous avez spermé ? En même temps que moi ?
– Un
tout petit peu après.
– Et
d’habitude ? Quand je vous oblige pas à vous précipiter…
Vous vous en inventez des histoires ?
– Toujours.
– Je
suis dedans ?
– Très
souvent.
– Vous
me les raconterez ?
– On
verra.
– Ah,
ben si, si ! Ce serait normal. Je suis quand même la première
concernée, non ?
– On
verra, j’te dis !
– Bon,
ben, en attendant, vous savez pas ? Comme c’est dimanche, je
vais retourner paresser un peu au lit, moi.
Elle
a laissé la porte entrebaîllée. D’un tout petit demi-centimètre.
9-
– J’ai
téléphoné à Martial.
Elle
est restée la fourchette en l’air.
– Ah !
– Un
bon moment on a passé ensemble au téléphone.
– Et
alors ?
– Il
m’a posé des tas de questions sur toi. Comme ça, mine de rien,
sans avoir l’air d’y toucher.
– Quel
genre de questions ?
– Qui
tu étais. D’où je te connaissais. Qu’est-ce tu fabriquais chez
moi. Et s’il y avait quelque chose entre nous. Ça le préoccupe
beaucoup, ça, apparemment.
– Et
vous avez répondu quoi ?
– Que
tu es étudiante, que je t’héberge momentanément pour rendre
service à tes parents et qu’il n’y a rien entre nous.
Strictement rien. Point barre.
– Il
vous a pas cru, j’parie !
– Il
a eu du mal. Il a pas lâché le morceau comme ça. Il y avait
peut-être pas, mais il y aurait, non ? Une jolie petite caille
comme toi, j’allais quand même pas laisser passer une occasion
pareille ! Si ? Ah, mais il voyait… T’avais un mec.
Auquel t’étais sacrément accro. C’était ça, hein ? Il
m’a seulement pas laissé le temps de répondre. Ben oui, forcément
que c’était ça. Et sûr que, du coup, j’avais effectivement
tout intérêt à faire profil bas. Parce qu’une nana, quand elle
était toquée d’un mec, c’était peine perdue. Valait mieux
attendre patiemment son heure. Je t’avais vue à poil au moins ?
Non ? Même pas ? Oh, putain ! Lui, il y aurait une
nana canon comme toi qui serait venue habiter chez lui, mais il
aurait rien eu de plus pressé, dès le début, que de se débrouiller
pour voir comment elle était fichue, si elle se rasait le minou,
tout ça…
– Ben,
tiens !
– Ah,
pour lui taper dans l’œil, tu lui as tapé dans l’œil, ça, on
peut pas dire.
– Vous
l’avez invité ?
– Samedi
prochain. Il est absolument ravi.
Elle
a fait la moue.
– Mouais…
– Non ?
Ça te va pas ? Si t’as peur qu’il te drague plein pot, je
peux te rassurer tout de suite. Je le connais depuis le temps.
Martial, c’est le type qui parle beaucoup, qui fantasme beaucoup,
qui, à l’entendre, a couché avec tout le pays. En réalité, avec
les femmes, il est plutôt du genre réservé. Il va te bouffer des
yeux, ça, c’est sûr. Bouillonner à l’intérieur. Sûrement
bander comme un furieux, mais il aura pas un mot déplacé, pas un
geste inconvenant. Pas même un regard trop appuyé. Rien. Il te
foutra la paix.
– Je
l’ai pas vu très longtemps, mais c’est bien l’impression que
j’ai tout de suite eue, oui. C’est pour ça : je trouve que
c’est un peu prématuré samedi. Pourquoi si vite ? Il faut
lui laisser le temps de la rêver cette rencontre, de l’idéaliser,
de ne plus penser qu’à ça. Il ne l’en appréciera que
davantage. Et à moi, il faut me laisser le temps de penser à lui en
train d’y penser. Je vais adorer.
– Je
vois. Bon, ben je vais le rappeler alors. Et reporter à une date
ultérieure.
– Ce
serait bien, oui.
– Et,
au final, tout le monde va y trouver son compte.
– Même
vous ?
– Même
moi, oui ! Te voir savourer, à discrètes petites lampées
gourmandes, l’intense satisfaction que tu vas éprouver à sentir
son désir se poser sur toi, s’y installer, y séjourner, ça va
être, pour moi, un véritable enchantement.
– Oh,
vous, faudra que je vous emmène avec moi dans mes expéditions,
quand j’erre par les rues, pendant des heures, que j’y croise,
par dizaines, des regards qui s’enchantent de moi quelques
fractions de seconde et qui m’emportent avec eux comme un trésor.
Qui me ramènent secrètement chez eux. Avec eux.
– Et
dont tu vas partager, de longues semaines durant, tous les plaisirs.
10-
Elle
m’a à peine laissé le temps de refermer la porte. Elle m’a
quasiment sauté dessus.
– Vous
savez, ma copine Emma ?
– Celle
qui t’a fait découvrir tant et tant de choses ?
– Elle-même.
Eh bien, à force que je lui parle de vous, elle voudrait vous
connaître…
– Rien
de plus facile.
– Pas
tellement, non. En ce moment, elle est au Guatemala.
– Vu
comme ça, effectivement…
– Pour
son boulot. Elle est photographe. Ce qui l’arrange bien. Ce qui l’a
toujours bien arrangée. Parce que, du coup, quand elle a envie de
savoir comment un mec est fait, eh ben il lui suffit d’invoquer une
histoire de projet artistique quelconque. En général, ça marche.
Tant et si bien qu’à l’arrivée elle se retrouve avec des
monceaux de photos toutes plus évocatrices les unes que les autres.
– Tu
les as vues ?
– Certaines,
oui. Faut reconnaître qu’elle a du goût et qu’en général ils
sont sacrément bien foutus, les types.
– Et
bien montés, j’imagine.
– La
plupart. Bon, mais tout ça pour dire qu’en attendant de vous voir
en chair et en os, ce qu’elle voudrait, c’est que je lui envoie
des photos de vous. Aussi précises et explicites que possible. « Je
pourrai bien me le représenter, comme ça, quand tu m’en parleras.
– Ben,
tiens !
– Ça
vous pose problème ?
– Tu
penses bien que oui.
– Ce
dont je me fiche complètement ! Allez, hop, à poil !
– Ça
presse vraiment tant que ça ?
– Un
peu que ça presse. On a parlé de vous tout l’après-midi.
– Je
vois…
– Vous
voyez rien du tout. Bon, alors, ça y est ? Vous y êtes ?
– Et,
bien sûr, dans un souci d’équité, elle va me rendre la pareille,
ton Emma… M’offrir ses charmes à contempler.
– C’est
prévu. Entre autres…
– Entre
autres ? C’est-à-dire ?
– Vous
verrez bien. Ce sera plus une surprise sinon… Tenez, allez vous
mettre là-bas ! Dans la lumière. On va commencer par en faire
en pied. Qu’elle ait une vue d’ensemble. Attention, bougez plus,
le petit oiseau va sortir. Super ! Tournez-vous maintenant !
Côté pile. Et là, faut pas que je me loupe. Parce que les fesses,
elle adore ça. Comment elle va halluciner, les vôtres ! Non,
c’est vrai, elles tiennent vraiment la route. Surtout pour dire que
vous avez quarante-six ans. Bien fermes. Bien musclées. On en
mangerait. Bougez pas ! Restez comme ça. En gros plan, ce
coup-ci. Attendez ! Attendez ! Faut qu’on mette la dose.
On va la gâter. Après tout ce qu’elle a fait pour moi, Emma…
Là, ça devrait être bon ! Il y a de quoi faire. De toute
façon, au pire, je vous ai sous la main. Bon, allez, on zoome sur le
morceau de choix ? Oh, mais c’est que c’est la forme, on
dirait ! Elle vous fait de l’effet, cette petite séance
photo, n’empêche ! On en profite. On mitraille. En tout cas,
elle va apprécier. Sûr qu’elle va apprécier. Oui, bon, mais
maintenant, si vous pouviez arrêter de bander, ce serait sympa. Que
je puisse vous l’avoir aussi au repos. Et, après, à toutes les
étapes quand elle remonte. De quoi on pourrait parler pour la faire
redescendre ? De politique ? De la tectonique des plaques ?
Du linéaire B ? Ça vous fait rigoler, oui, mais ça vous fait
pas débander pour autant. Alors, vous savez pas le mieux ? Ce
sera que je vous la prenne par surprise. Quand elle sera toute molle.
Au moment où vous vous y attendrez le moins. En attendant, je vais
déjà lui envoyer ça à Emma. C’est déjà pas si mal. C’est
même l’essentiel. Elle pourra en faire son quatre heures. Et on
aura du concret pour discuter toutes les deux. Sans compter que moi
aussi, maintenant, je vais vous avoir constamment à disposition. Et
que je pourrai profiter de vous quand ça me chantera. Même derrière
votre dos, si j’ai envie. C’est pas super, ça ?
11-
Elle
avait revêtu une délicieuse petite jupette verte dessus du genou.
Très largement dessus du genou. Enfilé un petit haut assorti qui
lui dessinait les seins au plus près. Et s’était fait une queue
de cheval qui lui battait la nuque. Le maquillage était discret,
tout en nuances et en harmonie avec sa tenue.
– Tu
es en mode conquête ?
– Non,
en mode climat subtilement sensuel.
– C’est
particulièrement réussi. Tu es ravissante.
– Merci.
– Et
tu vas où comme ça, si c’est pas indiscret ?
– Nulle
part et partout. Me promener, par les rues, au hasard.
– Et
cueillir des regards.
– Ben
oui, vous savez bien. Vous venez avec moi ? Vous m’avez promis
l’autre jour, vous vous rappelez ?
– Je
viens.
– Et
alors vous savez ce qui serait bien ? Ce serait que vous
marchiez un peu derrière moi. Pas trop loin. Mais pas trop près non
plus. Comme si on n’était pas ensemble. Vous verriez les réactions
derrière mon dos comme ça. Et, après, vous me raconteriez.
Seulement ceux dans vos âges. Ou même plus. Parce que ça
m’intéresse pas, les jeunes. Du moins pour ça. C’est trop
toujours pareil leurs réflexions. Et c’est d’un bête !
Non ? Ça vous dit pas ?
– Allez !
En route !
Elle
plaisait. Ça ne faisait pas l’ombre d’un doute. On l’admirait.
On la désirait. Le plus souvent discrètement. On détournait un peu
la tête, on jetait un coup d’œil intéressé à son délicieux
petit postérieur et on poursuivait sa route. Mais les regards
pouvaient aussi se faire plus insistants, la balayer longuement de
haut en bas et de bas en haut, à plusieurs reprises, avant de
l’abandonner, manifestement à regret.
Un
vieux monsieur m’a fait un clin d’œil et lancé un « Bonne
chance » au passage. Il était à l’évidence persuadé que
je la suivais et que j’allais monter à l’assaut.
Un
autre, entre deux âges, s’est tourné en soupirant vers son
compagnon…
– Il
y a des jours où on regrette vraiment de plus être célibataire.
Un
autre encore, la cinquantaine bien sonnée, s’est arrêté, a
hésité une fraction de seconde et lui a résolument emboîté le
pas. Il s’est rapproché, rapproché encore. A cheminé quelques
instants à ses côtés, tenté d’engager la conversation.
Elle
s’est retournée.
– Vous
venez ? Qu’est-ce que vous faites ?
Le
type s’est éclipsé.
– C’est
pas qu’il avait l’air d’être spécialement lourd, mais bon,
j’avais pas vraiment envie. Et puis, de toute façon, je sais
comment ça se serait fini : il aurait voulu coucher. Et ça,
c’est hors de question.
On a
fait quelques pas.
– En
attendant, qu’est-ce que j’en ai eu des regards ! Et des qui
valaient sacrément le coup.
Et
elle est tombée en arrêt devant un café aux grandes baies vitrées.
– On
rentre boire un coup là-dedans ? Que vous me racontiez, vous,
de ton côté…
L’arrière-salle
était presque déserte : un étudiant plongé dans ses
bouquins ; deux jeunes femmes qui discutaient à mi-voix ;
une autre qui faisait des mots fléchés.
On
s’est installés un peu à l’écart.
– Je
vous écoute !
Elle
m’a écouté. En suivant du regard, au-delà de moi, le mouvement
de la rue.
Sa
main a disparu sous la table. Ses yeux se sont embrumés. Son épaule
et son coude ont été pris d’un léger tremblement.
– Continuez !
Continuez !
Qui
s’est accentué.
Elle
a fermé les yeux et, de sa main libre, a saisi la mienne.
12-
– Vous
venez ? Je me suis fait couler un bain. On discutera comme ça
pendant ce temps-là.
Elle
s’y est voluptueusement immergée. Jusqu’au cou.
– Ça
t’arrive souvent de t’offrir des petites gratouilles en public ?
– Oh,
oui ! J’adore. Vous auriez vu ces délires qu’on se tapait
avec ça, toutes les deux, Emma et moi…
– Et
vous vous êtes jamais fait capter ?
– Oh,
si ! Deux fois. Et alors là, je peux vous dire que c’était
pas triste. On fait attention pourtant. Vous avez bien vu
tout-à-l’heure. Mais bon, il arrive qu’il y ait des
impondérables. D’autres fois aussi ça a failli. Il y en a qu’ont
manifestement eu des doutes. Mais c’en est resté là.
Mon
téléphone a sonné.
– Ah,
tiens ! Ce brave Martial…
– Mettez
le haut-parleur ! Vous mettez le haut-parleur ?
On a
d’abord échangé quelques banalités. Et puis il a insensiblement
amené la conversation là où il avait envie qu’elle aille.
– Ça
tient toujours ton invitation ?
– Bien
sûr, oui ! Pourquoi ça tiendrait plus ?
– Et,
excuse-moi de te demander ça, mais ce sera quand ?
– Dès
que possible. Comme je t’ai dit, en ce moment je sais plus trop où
donner de la tête. Je suis pris quasiment tous les soirs et…
– Je
sais bien… J’me doute ! Mais mets-toi à ma place : je
te rencontre avec une merveille de petite nana qui mettrait l’eau à
la bouche de n’importe qui. À laquelle j’arrête pas de penser
depuis l’autre jour…
– Oh,
à ce point ?
– À
ce point, oui…
– Te
fais pas trop d’illusions quand même !
– Elle
a quelqu’un, c’est ça, hein ? J’en étais sûr qu’elle
avait quelqu’un.
Clorinde
m’a fait signe que oui. De la tête. De lui dire que oui.
– Après,
je sais pas trop au juste ce qu’il y a entre eux. La seule chose
que je puisse te dire avec certitude, c’est qu’elle prend un
sacré pied avec, ça !
– Tu
les as entendus ?
– Mieux
que ça.
– Tu
les as vus ? C’est pas vrai que tu les as vus !
– Eh,
si ! Un soir que je suis rentré plus tôt que prévu. Ils
étaient en pleine action sur le tapis du salon. Si bien en pleine
action qu’ils m’ont pas entendu arriver.
– Et
t’en as bien profité, mon salaud !
– Ah,
ben ça !
Elle
s’est un peu redressée dans la baignoire. Ses seins ont doucement
navigué à la surface de l’eau. Et elle m’a menacé du doigt. En
riant.
– Mais
alors, du coup, tu l’as vue à poil finalement !
– Et
comme il faut ! Elle était à quatre pattes. Le derrière en
l’air. En train de lui tailler une pipe. J’te dis pas le
panorama.
Elle
a arrondi les lèvres en un « Oh ! » scandalisé.
Mais ses yeux souriaient.
– Elle
est comment ? Ben, raconte, quoi !
– Comment
ça « comment » ?
– Je
sais pas, moi ! Son minou, elle l’ébarbe ?
Elle
a eu un long rire silencieux.
– Complètement.
Il y a pas un poil. Rien.
– Oh,
putain ! Et t’es sûr que tu peux pas nous trouver un soir
dans la semaine ?
– Je
vais voir ça ! Je vais essayer de me débrouiller.
– Oh,
oui, hein ! Je compte sur toi…
J’ai
raccroché.
Elle
a enjambé le rebord de la baignoire.
– Faut
le faire venir sans trop tarder maintenant…
C’était
bien aussi mon avis.
13-
– Tu
veux un dessert ?
– Oui,
s’il vous plaît. Un cône vanille-fraise.
Qu’elle
s’est mise à lécher à petits coups de langue gourmands.
– Ça
te dégouline sur le menton.
– Ah,
oui ?
Et
elle s’est mise à rire. De bon cœur.
– Qu’est-ce
qu’il y a de si amusant ?
– Non,
rien. Enfin, si ! Je repense à tout-à-l’heure, à Martial,
au téléphone. À ce que vous lui avez raconté que vous nous aviez
trouvés en train de faire sur le tapis du salon, Jérémie et moi.
Ça pourra peut-être un jour, hein, qui sait ? Encore
faudrait-il que je commence par l’amener ici.
– Oh,
mais tu peux, hein ! C’est quand tu veux.
Elle
a mordu dans sa glace. À pleines dents.
– Ah,
ben ça ! C’est sûr que c’est pas vous qu’allez à
trouver à redire. Même que vous allez les ouvrir toutes grandes,
vos oreilles, quand on sera en train. Ce qui me donne une idée,
tiens, d’ailleurs !
– Qui
est ?
Elle
s’est attaquée au cornet.
– Vous
verrez bien !
– Inutile
que j’insiste, j’imagine !
– Inutile,
en effet.
– En
attendant, avec tout ça, tu m’as toujours pas raconté…
– Quand
je me suis fait gauler ? Oh, ben, la première fois, c’était
dans une cabine d’essayage. Toutes les deux, on était. Emma et
moi. C’est elle qu’a commencé. Plutôt en mode déconnade au
début. Seulement on s’est vite prises au jeu. Surtout qu’entendre
les gens qui parlent tout autour, qui vaquent à leurs petites
occupations, sans savoir que là, tout près, t’es en train de te
donner du plaisir, comment c’est troublant ! Super excitant en
fait ! Et donc, on était là, toutes les deux, à s’activer,
la main dans la culotte. C’était en train de s’emballer. Et le
plus dur, quand tu te mets à plus rien maîtriser, c’est de te
retenir de crier. Ou même de gémir. S’agit pas d’ameuter les
populations. Alors tu te concentres, tu te mords les lèvres. Ou les
joues. Au premier abord, ça peut paraître frustrant, mais pas tant
que ça, finalement. Il est différent, ton plaisir. Plus renfermé.
Plus ramassé. Enfin, bref… Ce qui s’est passé, ce jour-là,
c’est qu’au pire moment le rideau s’est brusquement soulevé et
une tête de vieille horrifiée est apparue dans l’embrasure.
– Mais
elle avait pas vu que c’était occupé ?
– Faut
croire que non. Comment elle l’a laissé retomber le rideau. À
croire qu’il lui brûlait les doigts. Et elle s’est mise à
hurler : « Ah, ben ça alors ! Ah, ben ça alors !
Non, mais ces petites dégoûtantes qu’il y a là-dedans ! »
Vous auriez entendu ce silence d’un seul coup ! Et puis des
chuchotements. Des « C’est pas vrai ! » à
mi-voix. Je vous dis pas l’ambiance quand on est sorties. Tous les
regards sur nous. Les uns, offusqués. Les autres, carrément
rigolards. Mais alors une fois sur le trottoir, je vous dis pas cette
crise de fou rire qu’on s’est tapée toutes les deux. Plus moyen
de s’arrêter. Et pareil chaque fois qu’on en reparle. N’empêche
qu’avec le recul, il est pas désagréable du tout, ce souvenir.
C’est souvent que je m’en sers quand je me le fais.
– Et
la deuxième fois ?
– C’était
au cinéma. Il n’y avait pas grand-monde dans la salle. Et le film,
bof ! Il cassait pas trois pattes à un canard. Du coup, je me
suis mise à m’occuper de moi. Après avoir d’abord pris bien
soin d’étaler mon manteau sur mes genoux. À doigts feutrés.
Flottants. La tête un peu ailleurs. Et puis vous savez ce que
c’est : on y prend goût. Ça devient exigeant. Les caresses
se font de plus en plus précises. De plus en plus insistantes. Il
finit par se franchir un cap. Au-delà duquel il est quasiment
impossible de revenir en arrière. Je venais justement d’en arriver
là quand une voix masculine a susurré, doucereuse, à mon oreille :
« Mais c’est qu’elle se branle, la petite mademoiselle ! »
D’où il sortait celui-là ? Il n’y avait pourtant personne
à la rangée derrière, quand l’obscurité s’était faite. J’ai
laissé la question en suspens. Peu importait n’importe comment. Il
était là. Et il savait. M’arrêter ? Oui, mais non. Parce
qu’elle avait quelque chose d’extrêmement sensuel et troublant,
sa voix. D’envoûtant. Parce que je la ressentais comme
bienveillante et complice. Alors je me suis laissé aller. C’est
venu vite. Très vite. Avec son souffle dans mon cou. Quand la
lumière s’est rallumée, il n’était plus là. Je n’ai jamais
su lequel c’était, de tous les hommes qui se sont dirigés vers la
sortie, quand la lumière s’est rallumée.
– Et
tu le regrettes.
– Un
peu.
14-
– Ça
va comme ça ?
Un
petit short bleu moulant. Un haut assorti plus clair qui lui
dessinait les seins au plus près.
– Tu
veux lui faire avoir un infarctus à ce pauvre Martial ?
– Oh,
ben attendez ! Faut bien qu’il ait un peu de plaisir à me
regarder.
Pour
en avoir, il en a eu. Il a profité de toutes les allées et venues
qu’elle a multipliées comme à plaisir, pendant tout le repas,
sous les prétextes les plus divers, pour la dévorer des yeux. Pour
se repaître d’elle.
Dès
qu’elle se rasseyait, il la soumettait à un interrogatoire en
règle. Ça consistait en quoi, au juste, la psychologie à la fac ?
Ça lui plaisait ? Oui ? Et le cinéma ? C’était
quoi son genre de films préféré ? Et en musique ? Shaka
Ponk, elle appréciait ? Et ses vacances ? Elle les passait
où, ses vavances ? C’était un feu roulant de questions
auxquelles elle répondait de bonne grâce sans jamais se départir
d’un lumineux sourire.
Aussi
s’est-il senti autorisé à s’aventurer sur un terrain plus
personnel. Ravissante comme elle était, elle devait avoir une foule
d’adorateurs. Et il y avait sûrement un heureux élu, non ?
Elle a éludé. Non. Oui et non. Elle avait bien le temps. En
attendant, elle s’amusait. C’était de son âge. Une fois l’un,
une fois l’autre. Comme ça se trouvait. Sans se prendre la tête.
On n’était plus au Moyen-Âge. Et les filles aujourd’hui, elles
menaient leur vie comme elles l’entendaient. Il a abondé dans son
sens. Elle avait bien raison. Et c’est sûrement pas lui qu’allait
lui dire le contraire. Ah, non alors ! Il allait d’autant
moins le lui dire qu’il commençait à se frotter intérieurement
les mains. Eh, mais c’est que s’il s’y prenait bien, il allait
peut-être pouvoir la mettre dans son lit, cette jolie petite caille.
À condition de ne pas s’emballer. De poser un à un les jalons.
Au
dessert, son portable a bipé. Un SMS. Qu’elle a lu en haussant les
épaules.
– Non,
mais ces pauvres mecs, des fois !
Je
lui ai posé la main sur le poignet.
– Qu’est-ce
qu’il t’arrive ?
– C’est
Jeanne, là, une copine. Son mec veut la larguer. Et vous savez
pourquoi ? Je vous le donne en mille. Parce qu’elle veut pas
se raser le minou. Il ferait beau voir qu’un mec, il me demande un
truc pareil, moi ! Il aurait pas fait le plus dur.
Je
suis entré dans le jeu.
– Ce
serait si grave que ça ?
– Ce
qui serait grave, c’est qu’il veuille décider à ma place de
comment faut que je sois. Non, mais ils vont bien, eux. Mon minou, je
me le rase quand ça me chante. Et quand ça me chante, je laisse
repousser. Et je le taille ou pas. À la française ou à l’anglaise.
Selon l’humeur du moment. Et, à l’occasion, en forme de cœur ou
de papillon. On n’a que l’embarras du choix en fait.
J’ai
saisi la perche qu’elle me tendait.
– Et
en ce moment, il est comment ?
Elle
m’a tiré la langue.
– Vous
saurez pas.
On a
raccompagné Martial jusqu’à sa voiture. Qu’on a regardée
s’éloigner.
Elle
a éclaté de rire.
– Sa
tête ! Non, mais vous avez vu sa tête quand j’ai parlé de
Jeanne ?
– Faut
dire que lui brandir ton petit minou sous le nez, comme ça ! Le
lui décrire dans toutes les configurations possibles et imaginables.
Déjà qu’il flashait complètement dessus…
– Ben
justement, c’est pour ça ! Qu’il puisse mieux l’imaginer.
En rêver tout son saoul.
– Sauf
que maintenant que tu lui as mis l’eau à la bouche…
– Il
va vouloir y jeter un œil pour de bon ? Oui, ben ça on verra.
Je dis pas non. Mais je dis pas oui non plus. Ça va dépendre si
j’en suis ou pas. Et de plein d’autres choses.
15-
– Il
m’a téléphoné. Ce matin. Aux aurores.
– Il
a pas perdu de temps, dites donc ! Et alors ?
– Et
alors je lui ai dit que je pouvais pas lui parler, que j’étais
surbooké. De rappeler à six heures.
– Histoire
que je sois rentrée. Que je puisse écouter. Vous êtes un amour.
Elle
a jeté un coup d’œil à la pendule.
– Moins
cinq. Il va pas tarder.
S’est
fait un nid de coussins au creux du canapé.
– N’empêche…
Vous vous êtes pas rendu compte, hein, hier soir !
– Que
quoi ? Que tu t’es offerte à toi-même, après, dans ta
chambre ? Si ! Bien sûr que si ! Tu étais même très
expansive.
– Oui.
Non, mais pas ça. Avant. Quand il était là. Sous la table, je me
le suis fait. Pendant qu’il me posait toutes ces questions, là.
– Ça
s’est absolument pas vu.
– Oui,
oh, j’ai pas poussé le bouchon trop loin non plus. Juste quelques
effleurements. En mode discrétion absolue. C’était trop tentant,
attendez, de voir l’effet que je lui faisais. Je peux pas résister,
moi, à ça. Et puis alors me dire que c’était devant lui, comme
ça, en causant, et qu’il se doutait de rien…
Mon
portable a sonné.
– C’est
lui ?
C’était
lui.
– Maxime ?
Oui. Excuse-moi pour ce matin.
– Oh,
c’est pas grave !
– Ça
va ?
– Ça
va, oui ! Sauf que je suis crevé. J’ai pas fermé l’œil de
la nuit. Me demande pas pourquoi.
– Clorinde ?
– Ben,
oui, Clorinde, oui. Une fille comme ça, tu peux pas rester
insensible, attends, c’est pas possible.
– Ah,
elle a du charme, hein !
– Du
charme ! Elle est super canon, oui, tu veux dire…
– Sans
compter qu’elle a tout plein de qualités par ailleurs.
– Je
me demande comment tu fais. Je me demande vraiment comment tu fais.
Vivre, comme ça, avec une nana de rêve, sous le même toit, sans
que… Non, mais je deviendrais fou, moi ! Complètement fou. Me
dis pas que… T’as quand même bien tenté ta chance, non ?
– J’ai
vingt ans de plus qu’elle. Vingt-cinq, pour être précis.
– Qu’est-ce
tu t’en fous de ça, tu parles !
– Mais
elle, elle s’en fout peut-être pas.
– T’as
qu’à y croire ! Un type qu’a un peu de bornes, elles
apprécient toujours, les filles, à cet âge-là. Il y a de
l’expérience. Il y a du savoir-faire. Ça les rassure. Ça les
valorise. Et ça rend les copines jalouses. Non, si t’y vas pas, je
monte au créneau, moi !
– Tu
fais bien comme tu veux !
– D’autant
que t’as entendu. Elle l’a dit. Elle pense qu’à s’amuser en
ce moment. Ah, non, j’y vais, moi ! J’y vais ! Pas
question de laisser passer une occasion pareille. J’en aurais du
remords toute ma vie. Je peux compter sur toi ?
– Pour ?
– Me
faciliter les choses. M’inviter aussi souvent que possible. Me
laisser éventuellement seul avec elle. Essayer de savoir ce qu’elle
a dans le ventre. La faire parler. Lui faire dire ce qu’elle pense
de moi. Enfin tout, quoi ! Tout ce qu’est possible.
Elle
m’a fait signe d’accepter.
– Tu
peux compter sur moi.
– Merci.
Je te revaudrai ça.
16-
Elle
a hoché la tête.
– Il
est bien sûr de lui, votre Martial, là.
– Je
l’ai toujours connu comme ça.
– Oui,
ben il me passera pas à la casserole. De ce côté-là, il y a pas
le moindre risque. Par contre, quel pied je vais prendre à le
regarder faire la roue devant moi, alors ça ! Bon, mais
dites-moi ! On est quel jour ?
– Le
quinze. Non, le seize. Pourquoi ?
– Le
seize, oui. Et vous avez pas oublié quelque chose ?
– Wouah !
C’est ton anniversaire.
– C’est
mon anniversaire, oui. Depuis ce matin. Et vous vous en fichez
complètement.
– Mais
non, mais… Je suis désolé. Va vite te préparer, tiens ! Je
t’emmène au restaurant.
– Et
un bon, hein ! Vous avez intérêt. Si vous voulez que je vous
pardonne…
Un
bon. Étoilé. Avec des nappes blanches. Des chandeliers. Et des
serveurs aux petits soins.
Elle
s’est penchée.
– Qu’est-ce
tu regardes ?
– La
nappe. Elle descend bas. Elle cache. Comme ça, si jamais l’envie
me prend d’aller me rendre une petite visite là-dessous…
– Tu
es infernale.
– De
plus en plus. Et c’est de votre faute.
– Ben,
voyons !
– Enfin,
grâce à vous, plutôt ! C’est vrai qu’il y a eu – et
qu’il y a encore Emma – mais Emma, c’est pas pareil. C’est
une femme. Vous, vous êtes un homme et vous me jugez pas. Jamais. Du
coup, je peux me laisser aller à être complètement ce que je suis.
Comment ça fait du bien ! Je me sens au large. Et je me
découvre. Si, c’est vrai, hein ! Il y a tout un tas de pans
de moi-même dont je me rends compte que je ne leur laissais pas
vraiment les coudées franches. Que je les bridais. Ou que je les
vivais en demi-teinte. On a beau se dire qu’on se fout du
qu’en-dira-t-on comme de l’an quarante – quitte à faire
quelquefois de la provoc ; et ça, je sais faire, quand il
faut ! – c’est jamais tout à fait vrai. On a toujours
le regard des autres qui nous traîne plus ou moins dessus. Sauf que
le vôtre, de regard, il rend tout ce qu’il touche simple. Naturel.
Tout va de soi. J’adore capter les regards des hommes ? Les
retenir ? C’est bien. C’est même très bien. Les exciter
m’excite ? Vous n’y trouvez absolument rien à redire. Bien
au contraire. Chaque fois que j’en ai l’occasion, je mate leurs
queues avec délectation ? Et alors ? Vous voyez vraiment
pas pourquoi ça devrait poser problème. Du moment que j’y trouve
mon compte. Mais le « pire », depuis que je vous connais,
c’est ça : me branler. Non, mais comment ça me tient !
Dix fois plus qu’avant. Et c’est pas peu dire. Sans arrêt j’y
pense. Tous les jours je me le fais. Au moins une fois. Quand c’est
pas plus. Il y a toujours quelque chose, à un moment ou à un autre,
qui me donne envie. Et vous savez ce qu’a changé ? C’est
que maintenant j’accepte complètement l’idée que je prends bien
plus de plaisir toute seule qu’avec un mec. Avant, ça n’empêchait
rien, non, bien sûr, mais j’avais quand même toujours une petite
voix en arrière-fond qui me disait que c’était pas normal. Que
j’étais pas normale. Que c’était dans l’autre sens que ça
devait être. Eh ben, non ! C’est comme ça. Je suis comme ça.
Et puis voilà.
– Et
qu’est-ce j’ai à voir, moi, dans cette métamorphose-là ?
– Je
sais pas. Tout ce que je sais, c’est que c’est lié à vous. Et
ça, j’en suis sûre. D’ailleurs…
– D’ailleurs ?
Elle
n’a pas répondu. Ses yeux se sont perdus dans le lointain.
– D’ailleurs ?
– Non,
rien. Plus tard je vous dirai. Tout-à-l’heure. À la maison.
– Clorinde…
– Oui ?
– Donne-moi
ta main.
Elle
m’a tendu la gauche.
– Non.
L’autre… Celle qu’est sous la table.
Je
l’ai portée à mes narines. Y ai posé les lèvres. En ai englouti
un doigt.
– Tu
as bon goût. Très.
17-
– J’ai
pas eu de cadeau hier, n’empêche !
– Tu
manques pas d’air, toi ! Et le restaurant alors ?
– C’est
pas un cadeau qui se garde, ça, le restaurant. Ça compte pas.
– Ben,
voyons !
– Non,
ce qu’on pourrait peut-être, c’est aller faire un tour dans un
magasin de sapes. On sait jamais. Des fois qu’on trouve un truc qui
m’aille. Et puis les cabines d’essayage, moi…
– Ça
t’inspire…
– Ben
oui, je vous ai bien raconté la fois avec Emma… Sauf que ce
coup-ci, ce serait avec vous. Ce serait encore mieux. C’est ça que
je voulais vous dire, hier soir, là-bas, quand on mangeait.
Seulement…
– Seulement
t’étais déjà tellement avancée que t’avais peur, si on
parlait de ça, de plus rien pouvoir maîtriser du tout.
– Voilà,
oui.
– Et
dans un endroit chic et feutré comme celui-là, tes hurlements de
jouissance débridée auraient fait tache, ça, c’est sûr…
– Oui,
bon, mais on cause… On cause… Si on y allait, non, plutôt ?
Et
on a arpenté, en long et en large, quatre on cinq rues commerçantes.
– Là ?
– Oh,
non, pas là, non !
Il y
avait tout un tas de conditions à remplir.
D’abord,
il fallait qu’il y ait le choix.
– Si
je veux trouver quelque chose qui me plaise… Et qui m’aille…
Ensuite
qu’il y ait beaucoup de clients.
– Que
ce soit excitant de les entendre autour.
Et
enfin que le patron ait un certain âge.
– Et
le genre à laisser discrètement traîner les yeux sur les nanas.
Elle
a enfin, après nous avoir fait effectuer un interminable périple,
trouvé la boutique de ses rêves.
Et
elle a essayé. Une robe. Une autre. Une troisième. A fini, par
s’asseoir, en petite culotte et soutien-gorge vert amande, sur le
tabouret. Dans la cabine voisine, on s’esclaffait. Des voix de
femmes. Jeunes. « Eh ben, dis donc, si tu lui fais pas attraper
l’infarctus avec ça ! »
Elle
s’est doucement caressée. Les seins. Les deux. Les doigts faufilés
sous les bonnets. Et puis le minou. À travers le tissu. De bas en
haut. Et de haut en bas. Les yeux plantés dans les miens. De plus en
plus vite. Le souffle de plus en plus court.
Au-dehors,
il y avait des bruits de pas. Qui longeaient notre rideau. Une
vendeuse insistait… « Si, si, Madame, ça vous va, je vous
assure ! » Le patron encaissait, d’une voix grave. « Au
revoir ! Au plaisir ! »
Elle
a enfoui une main dans sa culotte. Qui y a ardemment moutonné. J’ai
déboutonné mon pantalon. Je me suis sorti. J’ai refermé mes
doigts sur moi. Et tous les deux. Ensemble. Elle a haleté.
– Je
vais jouir ! Je vais jouir ! Oh, c’est trop bon…
Les
yeux chavirés de bonheur.
J’ai
senti venir la catastrophe. Ça allait la déborder. Elle allait la
submerger, sa jouissance. Retentir dans tout le magasin. Je me suis
précipité. Je l’ai bâillonnée de la paume de ma main. Sur
laquelle elle a refermé les dents. De toutes ses forces. J’ai
étouffé un hurlement. Elles les y a laissées enfoncées jusqu’à
ce que son plaisir soit retombé. Ce n’est qu’alors qu’elle a
relâché son étreinte.
– Pardon…
Pardon… Je suis désolée.
Une
fois au-dehors, on a fait quelques pas sur le trottoir.
– Eh
ben dites donc, heureusement que vous étiez là. Parce que je
maîtrisais plus rien, moi !
Elle
m’a pris la main.
– Faites
voir ! Ah, quand même ! Quand même ! J’y suis
allée de bon cœur, dites donc !
Elle
a esquissé un petit sourire taquin.
– Oui,
mais c’est votre faute aussi ! Si vous m’aviez pas déballé
votre queue sous le nez…
– Ce
culot ! Non, mais alors là, ce culot…
18-
– Bon,
mais alors qu’est-ce qu’elle fout ? Elle se connecte ?
– Qui
ça ?
– Ben,
Emma, tiens ! Qu’on lui raconte notre petite expédition de
tout-à-l’heure. Elle va adorer. En attendant, en douce que sur ce
coup-là, on n’a pas vraiment assuré. On a détalé comme des
lapins. Comme si on avait le feu au cul. Non, ce qu’il aurait
fallu, c’est s’attarder au contraire. Pour bien en profiter.
Parce que pas besoin de vous en faire que, même que vous m’ayez
empêchée de beugler, ils se sont forcément rendu compte de quelque
chose. Vu comment vous étiez rouge en sortant de là-dedans…
– Tu
peux parler, toi ! T’étais pas mal non plus dans ton genre.
Écarlate. Et tout échevelée.
– C’est
pour ça ! À tous les coups, ils ont dû croire qu’on y avait
baisé dans la cabine. Et on serait restés à se balader entre les
portants, je serais retournée essayer, on aurait eu droit à tout un
tas de regards pleins de sous-entendus, de chuchotements derrière
notre dos. Des quantités de trucs. Comment je me serais régalée,
moi ! Pas vous ? Remarquez, rien nous empêche d’y
retourner, hein ! D’autant que je l’ai pas eu mon cadeau,
finalement ! Ah, la v’là, Emma ! Ça y est ! La
v’là ! Salut, toi ! Ben, approchez-vous ! Qu’elle
vous voie ! Plus près ! Alors, qu’est-ce tu deviens ?
– Oh,
ben tu sais, moi, c’est photos, photos et encore photos…
– Et
beaux mecs, beux mecs et encore beaux mecs.
– T’as
tout compris.
– Oui,
ben en attendant, ça fait quand même un sacré moment que tu m’as
pas envoyé d’échantillons.
– Ça
peut s’arranger.
– J’y
compte bien. Et de jolis petits specimens, hein ! Tu connais mes
goûts !
– Oh,
pour ça, oui ! Bon, mais et toi ? De ton côté, qu’est-ce
tu deviens ?
– Moi ?
Ça baigne. Je suis toujours chez lui, là. On s’entend comme
larrons en foire. Tu verrais comment on s’éclate tous les deux. On
se tape de ces délires. Comme là, tout-à-l’heure… Figure-toi
qu’il a voulu m’offrir une robe… Et moi, tu me connais. Les
cabines d’essayage, ça me rend folle.
– Ah,
ça, je suis bien placée pour le savoir…
– Du
coup, à peine on a été bouclés là-dedans que ça m’a prise. Et
comme, en plus, lui, il s’y est mis aussi. Et que c’est trop
excitant la façon dont il se le fait…
– Je
vois… T’as mis la révolution dans la boutique, expansive comme
tu es.
– Oui.
Enfin, non. Ça a failli. Seulement failli. Parce qu’il m’a
plaqué la main sur la bouche. De toutes ses forces. Sauf que, moi,
d’instinct, j’ai planté les dents dedans.
– Aïe !
– Tu
peux le dire ! Comment je l’ai arrangé, le pauvre !
Tiens, regarde !
Elle
m’a pris la main, l’a approchée de l’œil de la caméra.
Emma
a émis un petit sifflement.
– Eh
ben dis donc ! Tu fais pas les choses à moitié, toi, quand tu
t’y mets.
– Surtout
que là, il est perdant sur toute la ligne. Non seulement il a pas eu
le temps de se finir, mais maintenant, en plus, vu l’état dans
lequel je la lui ai mise, il peut plus trop se servir de sa main.
– Prête-lui
la tienne ! Tu lui dois bien ce petit dédommagement, non ?
Après tout ce qu’il vient de faire pour toi.
– Oui.
C’est vrai. T’as raison. C’est la moindre des choses. S’il a
rien contre, bien sûr !
Hein ?
Ah, mais non ! Non ! J’avais rien contre. Rien du tout.
Au contraire.
– Dans
ces conditions…
Et
elle me l’a résolument sortie. Elle me l’a empoignée et elle a
entrepris un lent mouvement de va-et-vient. Sur l’écran, Emma
s’était rencognée dans son fauteuil. Ses lèvres étaient
légèrement entrouvertes. Ses narines palpitaient. Son coude
bougeait.
Clorinde
a accéléré le mouvement. Vite. De plus en plus vite. Je me suis
répandu.
Sur
l’écran, Emma a gémi.
19-
Elle
a repoussé son assiette, picoté des miettes du bout du doigt, posé
ses coudes sur la table.
– Dites-moi
un truc… Ça vous a plu tout-à-l’heure comme je vous l’ai fait
devant Emma ?
– Beaucoup,
oui.
– Je
sais pas. J’avais pas vraiment l’impression.
– Comment
ça ?
– Un
peu comme si vous auriez préféré vous le faire tout seul
finalement. À votre rythme à vous. En freinant, en accélérant, en
marquant des temps d’arrêt juste quand il le fallait dans votre
tête. Oh, mais vous pouvez le dire, hein ! Parce que moi aussi
c’est pareil, dans un sens. Quand c’est quelqu’un qui me le
fait, ce que j’aime, c’est l’idée que c’est quelqu’un qui
me le fait justement, mais en vrai, c’est jamais autant le top que
quand je suis aux commandes. Parce qu’on s’y prend pas comme
j’aurais envie, parce que c’est pas au moment où moi je l’aurais
fait qu’on me fait venir, parce que… bref, plein de trucs. Et je
suis sûre que pour vous, c’est un peu la même chose. Non ?
Je me trompe ?
– Tu
ne te trompes pas, non.
– Ah,
vous voyez ! N’empêche qu’il faut tout vous sortir au
forceps à vous, hein ! Parce que moi, je vous parle. Je vous
dis ce que je sens, ce que je pense, mes envies, tout ça, mais vous,
jamais. Faut que je devine. Faut que je suppute. Faut que je
conjecture. C’est comme les initiatives. C’est toujours moi qui
les prends. Et c’est pas marrant, à force, vous savez. Pourquoi
vous êtes comme ça ? À cause de moi ? Je vous bloque,
c’est ça ? Vous avez peur de me choquer ?
– Oh,
non. Non. Pas du tout. Non.
– Eh
ben alors ! Allez, racontez-vous ! Dites-moi ! Je vous
écoute.
– Qu’est-ce
tu veux savoir ?
– Tout.
Et puis tiens, d’abord, si vous en avez déjà eu des femmes.
– Évidemment !
Comme tout le monde.
– Non,
mais c’est pas ça que je vous demande. Que vous ayez déjà tiré
votre coup, j’me doute bien. Non, mais en couple. Vous avez déjà
vécu en couple ?
– Une
fois. Non, deux. Quelque mois ça a duré.
– Et
vous en êtes resté là. Vous avez pas réessayé. Pourquoi ?
– L’occasion
ne s’est pas présentée.
– Parce
que vous l’avez pas cherchée. Et je sais pourquoi.
– T’es
bien sûre de toi.
– Oui.
C’est parce que vous préférez mille fois mieux vous branler que
de coucher. Être dans votre imagination. Inventer des tas de
situations qui vous parlent. Alors vos deux femmes, là, elles vous
encombraient plutôt qu’autre chose. Vous aviez pas les coudées
franches. Et pas seulement parce qu’elles étaient demandeuses,
qu’elles voulaient que vous les sautiez quand vous aviez envie de
vous occuper vous-même de vous, mais aussi parce qu’elles
pouvaient vous gauler à tout moment, qu’elles auraient pas
compris, que ça les aurait vexées à mort. Sans compter qu’elles
vous entravaient dans vos expéditions. Ben oui ! Parce que je
suis bien tranquille que vous avez vos endroits. Où vous allez
secrètement faire provision d’images et de fantasmes. Où vous ne
pouviez plus vous rendre aussi facilement en les ayant par les pieds.
Alors quand on met tout ça bout à bout, pas étonnant qu’elles
aient fait long feu vos histoires de couple et que vous en soyez pas
d’y remettre le nez. Pourquoi vous riez ?
– T’as
une de ces façons de résumer les choses…
– C’est
pas vrai peut-être ?
– Dans
les grandes lignes, si !
– Ah,
vous voyez ! En attendant, en douce que comment vous avez
déteint sur moi ! Parce qu’avant, c’était deux ou trois
mecs par semaine qu’il me fallait. Au bas mot. Alors que depuis que
je suis ici avec vous…
– C’est
deux ou trois gratouilles par jour. Au bas mot.
Elle
a hoché la tête.
– Quand
c’est pas plus… Mais dites, vous m’emmènerez ?
– Où
ça ?
– Là
où vous vous les fabriquez vos fantasmes. Je vous ai bien emmené
dans la cabine d’essayage, moi !
20-
– Et
donc, c’est ici que vous venez…
– Entre
autres, oui.
Accoudés
à la rambarde, on a regardé monter, descendre, juste en dessous de
nous, en un flot ininterrompu, des dizaines, des centaines de femmes.
Des jeunes. Des moins jeunes. Des blondes. Des brunes. Des rousses.
Longtemps.
– Bon.
Et vous faites quoi, planté là, au juste, si c’est pas
indiscret ?
– Je
m’imprègne. Je prends un bain de nanas. Des heures et des heures
je peux y passer.
– Je
vois ça, oui. Vous bandez ?
– De
la queue, non. Mais dans ma tête, oui. Comme un forcené.
– Qu’est-ce
qu’on se ressemble, tous les deux, hein, finalement !
– Viens !
– Où
ça ?
– Je
sais pas. Ça dépend pas de nous. Attends ! Ralentis ! Va
pas si vite…
– Pourquoi ?
Qu’est-ce que vous… ?
Elle
a levé la tête.
– Ah,
oui, d’accord ! On la suit, celle-là ! C’est ça,
hein ?
C’était
une petite brune, d’une trentaine d’années, les fesses
enchâssées dans un pantalon de velours grenat qui les moulait au
plus près.
– On
la suit, oui.
– Pourquoi
elle ? Parce qu’elle a un beau cul ?
– Pas
seulement. Elle a une adorable petite gueule d’ange. J’ai vu
tout-à-l’heure.
– En
tout cas, elle le remue, son popotin, ce qu’il y de sûr ! Et
pas qu’un peu !
La
fille est sortie de la galerie marchande, a pris à droite, s’est
arrêtée, en bordure de trottoir, en attendant que le feu passe au
rouge.
Elle
s’est résolument engagée sur le boulevard. On lui a emboîté le
pas.
– Je
me demande bien où elle va…
– Elle
rentre peut-être tout simplement chez elle.
Coralie
a fait la moue.
– M’étonnerait…
Elle a rendez-vous quelque part. Sûrement. Ça fait plusieurs fois
qu’elle regarde sa montre.
– Peut-être
chez le médecin. Ou le dentiste. Ou le coiffeur.
– Ou
le banquier. À moins que…
Elle
s’est brusquement engouffrée dans un couloir, sur la gauche.
– Ah,
ben d’accord !
– Quoi ?
Qu’est-ce qu’il y a ?
– Je
connais, là. J’ai une copine qui y travaillait à une époque.
C’est la porte de derrière d’un l’hôtel dont la façade se
trouve de l’autre côté, sur l’autre avenue. C’est bien
pratique pour les couples qui veulent pas qu’on les voie ensemble.
Chacun son entrée.
– Ce
qui signifie…
– Qu’elle
vient se faire tirer là en douce, oui, il y a toutes les chances.
– Et
qu’elle est mariée.
– Ah,
ben ça ! Elle se planquerait pas, sinon. En attendant, vous
avez le coup, vous, dites donc ! En plein dans le mille. Bon,
mais et maintenant ? Qu’est-ce vous voulez faire ?
– Il
reste des chambres de libres, tu crois, là-dedans ?
– À
trois heures de l’après-midi ? Sûrement que oui. Oh, mais
c’est que ça presse, vous, on dirait, maintenant que vous vous
êtes gorgé d’elle tout votre saoul. Eh, ben allez ! Je suis
curieuse de vous voir à l’œuvre. D’autant qu’avec un peu de
chance on sera pas loin d’elle et qu’on l’entendra miauler.
21-
– Eh
ben, voilà ! On a la chambre à côté de la leur.
– Comment
tu sais ça, toi ?
– il
nous a donné la 114, le type. Et la seule clef qu’était pas au
tableau, c’était la 112. Donc…
Elle
est allée s’installer en direct dans le fauteuil en face du lit.
– Que
je sois aux premières loges pour vous regarder faire.
Et
on a tendu l’oreille.
– Il
ne se passe rien.
– Mais
si ! Écoutez bien !
Effectivement.
Le matelas grinçait. En petits couinements feutrés.
– Oui,
ben eux, ils perdent leur temps en préliminaires, c’est le moins
qu’on puisse dire.
Ça
s’est presque aussitôt accéléré. Emballé. La fille a gémi. Et
crié comme une perdue.
Clorinde
y est allée de son petit commentaire.
– Ou
bien c’est la première fois qu’ils font ça ensemble ou bien il
y a longtemps qu’ils se sont pas vus. Ça a été expédié en tout
cas. Vous avez même pas eu le temps de vous déshabiller.
Elle
a suggéré.
– Vous
devriez le faire. Parce qu’ils vont recommencer. Ils vont forcément
recommencer.
Il
s’est passé une dizaine de minutes. Et puis…
– Tiens,
bingo ! Qu’est-ce que je disais !
La
fille a haleté un plaisir longuement suspendu que j’ai accompagné
d’une main résolue, en en épousant au plus près les méandres,
les pleins et les déliés. Jusqu’à la tonitruante explosion
finale qui m’a, moi aussi, libéré. En interminables et abondantes
giclées blanches.
Clorinde
a quitté ma queue des yeux.
– J’ai
cru que vous alliez crier, vous aussi, à un moment.
– C’était
à deux doigts.
– J’ai
bien vu.
– Tu
te l’es pas fait, toi !
– Non.
Ce que je voulais, c’était tout bien observer et écouter. Dans
tous les détails. Ça m’aurait parasitée de me le faire. Mais
peut-être ce soir. En y repensant. Sûrement même.
À
côté, ça a bougé.
– Attendez !
Écoutez !
Ça
a paisiblement parlé.
– C’est
fini. Ils se rhabillent.
On
est allés se poster, côte à côte, à la fenêtre. Et on a
attendu. Pas très longtemps.
– La
v’là !
D’un
pas décidé, sur le trottoir.
– Elle
va où, à votre avis ?
– Peut-être
bosser…
– Ou
bien retrouver son mari. Ça l’excite, si ça tombe, de courir vers
lui pleine du foutre d’un autre. Parce qu’on n’a pas entendu
d’eau couler, ce qu’il y a de sûr.
On
l’a perdue de vue.
– Ils
reviendront peut-être.
– S’ils
doivent se revoir, ce sera sûrement ici, oui, il y a toutes les
chances.
– Même
jour, même heure ?
– On
vérifiera, c’est facile. Faudra aussi essayer de voir la tronche
qu’il a, le type. Et tâcher de savoir où elle va, elle, après,
quand elle le quitte.
On
s’est éloignés de la fenêtre. Elle m’a regardé me rhabiller.
– Je
sais pas pourquoi, mais je sens qu’on va faire tout un tas de
découvertes plus passionnantes les unes que les autres, nous deux.
22-
Un
texto. De Martial.
– On
l’avait oublié, celui-là !
– Vous,
peut-être ! Mais pas moi.
– Ce
qui veut dire ?
– À
votre avis ?
– Que
tu te rends délicieusement et discrètement visite en pensant à
lui. En imaginant ses regards fous de désir qui te parcourent tout
partout encore et encore. Jusque dans tes moindres recoins. Et que ça
te met dans tous tes états.
– On
peut rien vous cacher, à vous. Bon, mais il dit quoi, ce texto ?
– Que
je suis un salaud. Que je lui avais promis de tout faire pour lui
arranger le coup avec toi, que le temps passe et qu’il voit rien
venir.
– C’est
vrai, ça ! Faudrait peut-être lui donner un os à ronger.
– Tu
veux que je l’invite ?
– Après
avoir préparé un peu le terrain avant, oui.
– C’est-à-dire ?
– En
lui donnant une photo de moi. Dénudée. Et en lui disant que vous
l’avez prise en douce. Sans que je m’en rende compte. Du coup,
quand il viendra manger, il pourra plus penser qu’à ça. Tout le
temps qu’il sera là.
– Il
y pensera même avant. Et il fera pas qu’y penser.
– Oui,
ben ça, évidemment !
– Et
j’en connais une autre que l’idée qu’il fait pas qu’y penser
mettra en appétit.
– La
seule chose que je me demande…
– C’est ?
– Ce
qu’il vaut mieux que je lui montre. Pas tout, ça, c’est sûr.
Qu’il puisse imaginer. Et espérer en voir plus. Mais quoi ?
Si vous deviez me voir, vous, qu’est-ce que vous préféreriez ?
Les nénés ou les fesses ?
– J’ai
déjà tout vu.
– Oui,
non, mais ça, je sais bien. Mais imaginez que vous deviez me
découvrir. Pour la première fois. Sans savoir comment je suis
faite. Des deux vous choisiriez quoi ?
– Je
serais bien en peine. J’aurais trop envie et des uns et des autres.
– Oui,
bon. Va falloir que je décide toute seule, quoi !
J’ai
finalement photographié les deux.
– On
choisira après.
D’abord
les seins.
Elle
s’est allongée de tout son long sur le canapé, a fait mine de
dormir profondément. Et j’ai mitraillé. De dehors. À travers la
baie vitrée. En plans larges. En plans rapprochés. Avec le visage.
Sans le visage. Je m’en suis donné à cœur joie.
Et
puis les fesses qu’elle a tenues bien serrées. Fermées.
– Faut
pas trop lui en donner non plus. Pour une première fois…
Elle
a longuement hésité.
Opté
pour les seins.
– Ça,
c’est sûr. Mais laquelle ?
Elle
a fait défiler.
– Il
en faut une où on voit ma figure. Qu’il aille pas se servir de mes
nénés en imaginant que ce sont ceux d’une autre.
– Alors
ça, il y a pas le moindre risque.
– Oui,
oh, avec les mecs, on sait jamais. Bon, mais celle-là ! Allez,
celle-là ! On va pas y passer la soirée.
– Je
lui envoie ?
– Ah,
non, non ! En mains propres vous irez lui remettre. Que vous
puissiez voir ses réactions. Et me raconter…
23-
– Vous
l’avez vu, Martial ?
– Je
l’ai vu, oui.
– Alors !
Ben, racontez, quoi !
– Il
en croyait pas ses yeux. « Ses nichons, putain ! C’est
pas vrai que t’as réussi à lui capter les nichons ! »
Il te les a dévorés un long moment des yeux. « Des petites
merveilles ! De véritables petites merveilles ! »
Qu’il m’a supplié de lui transférer. « Que je puisse en
profiter un peu, moi aussi ! »
– Et
il s’est sauvé aussitôt avec, j’parie ! Ça pressait trop.
– Non.
À l’évidence, c’est pas l’envie qui lui en manquait, mais
non ! Parce qu’en fait, ce qu’il se demandait, c’est si,
par hasard, il y en avait pas d’autres, des photos, à grappiller.
Des fois que je me la sois jouée perso. Que t’aies été
complètement à poil sur ce canapé, que je t’aie mitraillée tant
et plus, que je lui aie fait l’aumône de tes seins et que je me
sois gardé le reste pour moi tout seul.
– La
confiance règne. Et alors ? Vous vous en êtes sorti comment ?
– En
jurant mes grands dieux que jamais j’aurais fait une chose
pareille, enfin ! Il pensait bien que, si j’avais eu
davantage, je l’en aurais fait profiter aussi. J’étais pas comme
ça. Non. En réalité, en bas t’avais gardé un espèce de short
de nuit. Qu’avait pas franchement d’intérêt. Du coup, je
m’étais concentré uniquement sur ce qui était à découvert.
– Il
vous a cru ?
– Il
a eu l’air. Mais il ne s’est pas avoué vaincu pour autant. « Tu
restes sur le qui-vive, hein, tu me promets ? T’essaies de
nous avoir le reste… Tout le reste. Si tu y arrives, je te vouerai
une reconnaissance éternelle. »
– Rien
que ça ! Eh ben, dis donc ! Je lui fais de l’effet, on
peut pas dire.
– Tu
fais de l’effet à beaucoup de monde.
– J’espère
bien ! Et alors ? Après ? Il a parlé de venir ?
– Même
pas, non !
– Ce
qui veut dire qu’il va nous tomber dessus, sans prévenir,
incessamment sous peu.
– Il
y a de fortes chances, oui.
Il a
appelé. Sur le coup de dix heures du soir.
– T’es
tout seul ?
J’ai
mis le haut-parleur.
– Je
suis tout seul, oui.
– Elle
est où, elle ?
– Sous
la douche.
– Sous
la douche ? Oh, putain ! Tu sais que je la regarde ?
Je l’ai sous les yeux, là. Je fais que ça, depuis tout-à-l’heure.
La regarder…
– Que
ça, t’es sûr ?
– Oui,
enfin, je me comprends ! Non, mais attends ! Comment tu
veux résister ? Cette paire de nibards qu’elle a ! C’est
à se mettre à genoux devant. Et puis cette petite gueule d’amour.
En plus ! Elle me rend fou. Non, je t’assure ! Elle me
rend fou.
Clorinde
m’a fait signe de la suivre. Jusqu’à la porte de la salle de
bains. Qu’elle a repoussée derrière elle. Sans la refermer
complètement.
L’eau
a ruisselé.
– Martial ?
T’es toujours là ?
– Oui.
– Écoute !
T’entends ? C’est la douche. Elle est dessous.
– Oh,
la vache ! Oh, la vache !
Il a
haleté. Il a gémi.
– Oh,
putain ! Je jouis ! Je jouis !
24-
Elle
était passée chez ses parents.
– Cet
après-midi. Vite fait.
– Et
alors ?
– Ils
m’ont mis une de ces soufflées ! Ils veulent que je parte de
chez vous. Soi-disant que ça suffit de vous envahir. Que maintenant
il faut que je m’en aille. Que je trouve quelque chose ailleurs.
– Laisse-les
dire !
– Oui,
mais non ! Il va bien falloir. Parce qu’ils vont pas arrêter
de me tanner sinon. Jusqu’à ce qu’ils aient obtenu gain de
cause.
– Tu
va pas partir ?
Je
l’ai crié.
Et
elle s’est jetée à mon cou.
– Votre
tête ! Non, mais votre tête ! Et comment vous avez dit
ça ! Vous êtes trop adorable. Ah, vous y tenez à moi, hein !
Mais non, je vais pas partir, non ! Enfin, si ! Mais non
quand même ! Attendez ! Que je vous explique…
Elle
s’est servi un grand verre de jus d’orange qu’elle a avalé
d’un trait.
– Vous
vous rappelez l’hôtel, l’autre jour ?
Évidemment
que je me rappelais.
– Et
vous avez pas fait attention ?
– À
quoi ?
– Juste
en face de la porte par où elle est entrée, la fille qui vous avait
tapé dans l’œil, de l’autre côté de la rue, au deuxième
étage, il y avait un panneau « À louer. » J’ai
téléphoné. Demain je vais le visiter. Et je vais le prendre. Je
m’en fous, de toute façon, je l’habiterai pas. Et comme ça, au
moins, ils seront contents, mes parents. Non, et puis ce qu’il y a
aussi, c’est que ça nous fera un petit pied à terre, à tous les
deux, si on veut. On sera aux premières loges pour voir ce qu’il
s’y passe dans cet hôtel. Les entrées. Les sorties. On pourra
surveiller. Et, si ça nous chante, essayer d’en savoir plus. Sur
les uns. Sur les autres. Sur la fille aussi, si elle revient. Non, je
sens que je vais adorer, moi… Pas vous ?
Moi
aussi, oui.
– Encore
lui !
– Martial ?
– Évidemment,
Martial.
– Vous
répondez pas ?
– Il
y a pas le feu. Qu’on puisse finir de dîner en paix. Ça lui fait
pas de mal n’importe comment de mariner un peu.
– Le
pauvre ! Il doit être en train de tirer une langue de douze
kilomètres sur mes nénés. Vous êtes un sans-cœur.
– À
propos, c’est quand qu’on lui montre tes fesses ?
– Oh,
pas tout de suite ! Chaque chose en son temps. Faut l’inviter
ici avant. Que je le voie d’abord en train de penser qu’il les a
vus, mes seins. Et leur jeter des regards à la dérobée. Surtout
que… je sais déjà ce que je vais m’habiller.
– Je
crains le pire.
– Oh,
vous pouvez… Parce que je vais faire fort. Il va pas débander de
tout le repas. Bon, mais allez, rappelez-le !
– Pour
lui dire quoi ?
– Je
sais pas. Improvisez ! Que j’aie la surprise, moi aussi.
Il a
décroché tout de suite.
– Elle
est où ? Sous la douche ?
– Non.
Dans sa chambre. Avec un type.
– C’est
qui ?
– Ah,
ça, j’en sais rien. C’est la première fois que je le vois.
– Ils
baisent ?
– Pas
pour le moment.
– Mais
ils vont le faire. Sûrement. Va ! Va écouter. Tu me
raconteras.
25-
Une
gamine ! Une vraie gamine. Qui courait partout, d’une pièce à
l’autre. Qui visitait les placards. Qui ouvrait les robinets.
– C’est
génial ! C’est trop génial ! Je m’attendais pas à
ça, moi ! Pas du tout. Et puis alors pour le prix… C’est
donné, avouez !
Elle
est allée se pencher à la fenêtre.
– Ça
devrait pas trop circuler la nuit.
Y
est restée un long moment accoudée.
– Il
y en a une !
– Une
quoi ?
– Une
bonne femme qui sort de l’hôtel en face. Venez voir ! Celle
avec la veste marron. Qui longe le magasin de sport. Vous voyez ?
Quel âge elle peut avoir ? Pas loin de soixante, je suis sûre.
Et peut-être même qu’elle les a. Qu’est-ce vous pariez que
c’est un petit jeune qu’elle se tape ?
– Ça,
t’en sais rien du tout.
– Oh,
si ! Sûrement. Derrière le dos de son mari. C’est
dégueulasse. Elle a pas le droit, à son âge, de nous piquer nos
affaires comme ça, à nous, les filles.
– Il
vous en reste bien assez. Et puis, de toute façon, pour ce que tu
t’en sers, toi !
– C’est
pas une raison. Elle en sait rien. Et puis je pourrais avoir envie.
Et justement de celui-là.
Elle
s’est appuyée contre moi.
– D’un
autre côté, c’est rassurant de se dire que sa mécanique, elle
est toujours en état de marche. Ça veut dire que moi aussi, j’ai
encore pas mal d’années devant pour pouvoir en profiter.
Son
visage s’est illuminé, d’un coup.
– Et
si on restait dormir là ? Puisqu’on nous a laissé les clefs.
– Mais
il y a rien. C’est vide.
– Qu’est-ce
ça fout ? Au contraire. Ce sera marrant. On campera. Suffit
qu’on repasse là-bas chercher votre grand matelas qui se gonfle,
nos couettes, nos trousses de toilette, quelques affaires de rechange
et le tour est joué. Allez, on y va !
– Vous
voyez qu’elle était pas si mal, mon idée, finalement ! On
n’est pas bien là ?
Couchés
tous les deux, côte à côte, dans la semi-obscurité.
On
était pas mal, oui. On était même très bien.
– Ça
fait quand même bizarre, vous trouvez pas, quand on se trouve dans
un endroit complètement nouveau comme ça ? Il y a des tas de
bruits, on sait pas ce que c’est. D’où ça vient. On arrête pas
de se demander.
– Tu
t’y feras vite.
– Pas
vraiment, non. Parce qu’il a beau être très bien cet appart, j’ai
pas du tout l’intention de m’y installer. Comme je vous ai dit,
c’est chez vous chez nous. Ici, je serai jamais que de passage.
Elle
s’est redressée sur un coude.
– Ce
qui m’empêchera pas de m’approprier quand même l’environnement.
D’essayer de savoir qui il y a autour. À côté. Au-dessus. En
dessous. D’en profiter, s’il y a moyen. Et il y aura. Parce que
j’ai déjà repéré une fille tout à l’heure, quand je suis
descendue chercher les pizzas. La trentaine. On s’est souri. C’est
le genre de nana chaude comme une baraque à frites. Ça se sent tout
de suite, ça ! Comment ils doivent défiler les mecs, chez
elle, j’vous dis même pas ! Et comme c’est juste à droite,
là, derrière la cloison, suffira de tendre un peu l’oreille. Et
il y aura sûrement pas qu’elle. Parce qu’il y en a du monde,
apparemment, dans cet immeuble. Sans compter en face. Parce qu’avec
l’hôtel ! Toutes ces fenêtres… Surtout que les gens, quand
ils sont pas chez eux, ils font beaucoup moins attention. Non, je
sens qu’on va bien se plaire. Bon, mais c’est pas tout ça…
C’est bien beau de parler, mais…
– Mais ?
– Faudrait
peut-être qu’on l’inaugure cette chambre, non ? C’est la
première fois qu’on y dort.
– C’est-à-dire ?
– Comme
si vous le saviez pas ! On le fait ensemble ? En se
regardant ?
Et
elle a allumé.
26-
– Ah,
enfin ! C’est pas trop tôt. J’ai cru que vous alliez jamais
vous réveiller.
– J’avais
besoin de récupérer.
– Ah
ben ça, j’imagine… Comment vous en étiez de la comédie hier
soir !
– Tu
peux parler, toi !
– C’était
de vous voir complètement déchaîné. Et de me dire que c’était
à cause de moi. Parce que vous étiez en train de me regarder me le
faire. N’empêche que deux fois vous avez giclé. Et que les deux
fois vous avez crié.
Elle
s’est redressée dans le lit.
– Je
vais vous dire un secret. Mais vous allez pas vous fâcher ?
Promis ?
– Promis.
Elle
a extirpé un petit enregistreur de dessous son oreiller, l’a mis
en marche. À plein volume. Des gémissements de plaisir ont envahi
la pièce.
– C’est
qui ?
– Ben,
c’est moi, tiens ! Vous me reconnaissez pas ?
Si !
Effectivement, si ! C’était elle. Maintenant qu’elle le
disait.
– Vous,
ça va venir. Juste après. Là… Là… Écoutez ! Vous
entendez ?
– À
côté aussi ils doivent entendre.
– Et
croire qu’on remet ça.
– Ils
sont persuadés qu’on couche, je suis sûr.
– Ah,
ben ça, forcément ! Mettez-vous à leur place ! En
attendant, en douce que je vais me taper une de ces réputations,
moi, ici ! À peine arrivée, dès le premier soir, je fais
trembler les murs. Elles vont me tirer une de ces tronches les femmes
de l’immeuble. Et ramasser leurs bonshommes. Des fois que je leur
saute à la braguette.
Elle
a arrêté.
– Là,
c’est tout. Mais c’est pas à cause d’eux. Eux, j’en ai rien
à foutre. Seulement, si je le laisse, ça va nous redonner envie.
– Ce
serait pas un drame.
– Non,
évidemment. Mais on peut pas non plus passer toutes nos journées à
ça. Oh, mais on y reviendra. Surtout que j’en ai plein d’autres.
Trente-deux exactement.
– Trente-deux !
– Ben,
oui ! Chaque fois que je me caresse maintenant, je m’enregistre.
Chaque fois que c’est possible, du moins. Et j’ai un petit carnet
sur lequel je note tout. Le jour où ça s’est passé. L’heure. À
quel endroit c’était. S’il y avait quelque part autour des gens
qui pouvaient entendre. Ce qui m’a donné envie. De quels fantasmes
je me suis servie. À quel moment je l’ai eu mon plaisir. En
pensant à quoi. Tout, je note. Tout. Même ce qui, sur le moment,
semble sans importance, mais qui peut en avoir après, plus tard, on
sait jamais.
– Eh
ben dis donc !
– Je
me réécoute, du coup, des fois…
– Et
ça te redonne envie.
– Oui,
ben ça, évidemment ! Et vous savez ce que j’aimerais ?
– C’est
qu’on les écoute ensemble.
– Voilà,
oui.
– C’est
quand tu veux.
– Et
puis ce qu’on pourrait aussi, c’est… ce Martial, là…
– Toi,
je te vois venir…
– Mais
juste une… En lui faisant croire que c’est vous qui m’avez
enregistrée en douce et que je suis avec un mec.
– Tu
vas le rendre fou.
– Tant
pis pour lui. Ou tant mieux.
Elle
s’est levée, est allée tirer les rideaux.
– Non,
mais vous avez vu ce soleil ? Allez, debout, grand feignant !
Qu’on descende déjeuner dans un café quelque part. Je crève de
faim. Pas vous ?
27-
– C’est
pas mal finalement ici, hein ?
On
avait passé la matinée à faire des courses.
– Faut
bien… Si on veut y venir de temps en temps. Il manque plein de
trucs. Et puis même, que ça ait l’air un minimum habité. Parce
qu’ils vont vouloir venir voir, mes parents. Je sais bien que je
suis majeure, que je fais ce que je veux, mais j’ai vraiment pas
envie de me prendre le chou avec eux à propos de ça.
Et
le début de l’après-midi à suspendre des photos à droite et à
gauche. À arranger une porte qui coinçait. À nettoyer la douche.
– Ils
l’ont laissée dans un état, ces cochons !
Maintenant,
assise sur le radiateur, près de la fenêtre, elle dressait la liste
de tout ce qu’il manquait. Et qu’il fallait absolument se
procurer.
– La
v’là !
– Qui
ça ?
– La
fille de l’autre jour. Celle qu’on avait suivie. Elle y rentre à
l’hôtel. Elle y rentre encore. Bon, allez, cette fois on s’en
occupe. On descend, on attend qu’elle ressorte et on la piste.
Qu’on sache où elle va quand elle sort de là-dedans.
– Bon,
alors, qu’est-ce qu’elle fout ?
– Elle
baise.
– Ça,
je sais bien. Mais faut quand même pas trois heures pour s’envoyer
en l’air.
– Des
fois, si ! Tout dépend de la façon dont ça se passe.
– Ah,
ça y est ! Elle sort. Bon, allez, on y va. Mais pas trop près.
Qu’elle se doute pas de quelque chose.
– Ni
trop loin. Qu’on risque pas de la perdre.
– Et
surtout que vous puissiez bien lui mater le cul. Non ? C’est
pas ça ?
On
l’a suivie tout au long du boulevard. Elle marchait d’un bon pas,
en regardant droit devant elle. Sans jamais tourner la tête. Ni à
droite ni à gauche.
– Vous
savez ce que je me demande ? C’est si elle l’a gardée, la
jute du mec. Si elle l’a encore dedans. C’est ce que je fais,
moi, quand j’ai eu un type. J’adore ça, la sentir dégouliner.
Et puis me dire que les gens, tout autour, ils savent pas. Ils se
doutent pas. Tu te prends un de ces pieds.
Elle
a tourné à droite, la fille.
– Faudra
quand même que j’y remette le nez un de ces jours, moi, aux mecs.
Parce que c’est bien beau ce qu’on fait tous les deux, c’est
même super, mais je risque de perdre la main à force.
Puis
à gauche.
– Où
c’est qu’elle peut bien aller par là ?
Encore
à gauche.
– Ce
qu’on aurait dû, c’est se séparer, tiens ! Qu’il y en
ait un de nous deux qui la suive et que l’autre, il s’occupe du
bonhomme, sur l’autre rue. Qu’on sache comment il est fichu. Et
ce qu’il fait. Non, on a pas été vraiment bons sur ce coup-là.
– Ils
sont appelés à se revoir.
– Ah,
ça, sûrement !
– Alors
ce n’est que partie remise.
La
fille s’est résolument engagée sur le parking du Super Marché. À
l’intérieur duquel elle s’est engouffrée. Et où on l’a
perdue. On a eu beau parcourir les allées en long, en large et en
travers, elle n’était nulle part. Elle s’était évanouie.
– Non,
mais alors là, c’est la meilleure !
On a
refait un tour et puis Clorinde m’a attrapé par le bras.
– Regardez !
Regardez là-bas.
Revêtue
de la tenue lie-de-vin du magasin, elle était en train d’ouvrir sa
caisse.
– Ah,
ben d’accord !
– Filez !
Filez ! Laissez-moi faire. On se retrouve là-bas…
28-
Elle
a jeté sur la table un filet d’oranges. Et deux avocats.
– Là…
Voilà. J’ai posé un premier jalon. J’ai échangé quelques
mots, vite fait, à la caisse, avec elle. J’y retournerai. Demain.
Après-demain. Et tous les jours suivants. Je vais sympathiser. En
mode discret. Sur la pointe des pieds.
– Et
c’est quoi, le plan ?
– Qu’elle
accepte qu’on se voie ailleurs. Je vais lui raconter une salade.
Par exemple, que je fais un mémoire sur l’état d’esprit des
employées de grande surface. Leurs projets. La façon dont elles
envisagent leur avenir. Tant professionnel que personnel. Tout ça.
Alors si elle voulait bien répondre à un petit questionnaire…
Elle sera flattée que j’aie pensé à elle. Que je l’aie
choisie. À moi alors de savoir la jouer subtil Pour l’amener à
entrer en confidences. À se déboutonner. Il y aura plus qu’à
aviser. En fonction de.
– Et
mon rôle, à moi, dans tout ça, ce sera quoi ?
– Ce
que vous pourriez, vous, c’est faire la même chose, de votre côté,
avec le type. Aller l’attendre devant l’entrée principale.
Entrer en contact. Vous débrouiller pour lui tirer les vers du nez.
On aurait les deux versions comme ça. Les tenants et les
aboutissants. S’ils se cachent dans cet hôtel, il y a forcément
des raisons. D’autres personnes concernées. Qui ? Son mec à
elle ? Sa femme à lui ? Les deux ? Faudra aussi
chercher dans ces directions-là. À moins que ce ne soit
complètement autre chose. À quoi on pense pas du tout. Oh, non, je
sais pas vous, mais moi, maintenant qu’on y a mis le nez, j’ai
trop envie de savoir. De connaître le fin mot de l’histoire. Et
même, éventuellement, si l’occasion se présente, d’y mettre
mon grain de sel.
– Et
Martial ?
Elle
était sous la douche.
– Hein ?
Et Martial ? Il appelle plus ?
– Je
sais pas. J’ai laissé mon portable dans la voiture.
– Ben,
allez le chercher ! Qu’est-ce vous attendez ? Qu’on
sache !
Il y
avait sept appels en absence. Et quatre SMS.
– Qui
disent quoi ?
– Toujours
la même chose. Que tu l’excites que le diable. Que tes nibards le
rendent fou. Qu’il en peut plus. Et quand est-ce que je lui
montrerai d’autres photos ? Et que je l’invite ? C’est
quand que je l’invite ?
Elle
est sortie de la douche. En se frictionnant vigoureusement avec sa
grande serviette blanche.
– Le
pauvre ! Là, faut vraiment faire quelque chose. On peut pas le
laisser dans cet état-là. Ce serait cruel. Allez, appelez-le !
– Pour
lui dire quoi ?
– Ce
qu’il a envie d’entendre. Et même davantage.
Elle
est venue s’asseoir à mes côtés, flanc contre flanc.
– Et
mettez le haut-parleur, hein !
– Allô…
Martial ?
– Ah,
ben, c’est pas trop tôt. Qu’est-ce tu foutais ?
– J’ai
des photos.
– D’elle ?
– Évidemment,
d’elle. De son cul.
– Oh,
putain !
– Mais
ça a été chaud. D’un peu plus, je me faisais gauler.
– Envoie !
T’envoies ?
Clorinde
a glissé sa main entre ses cuisses.
– Je
les ai pas là. Je suis pas chez moi. Mais on se voit, si tu veux.
– Quand ?
– Demain.
Demain soir. Six heures. Même endroit que d’habitude.
– Ça
marche.
On a
raccroché.
– Vous
me raconterez, hein !
– Tu
sais bien que oui.
Sa
main s’est activée plus vite entre ses cuisses.
29-
Elle
m’a attentivement écouté. Jusqu’au bout.
– Et
c’est tout ?
– Ben
oui, c’est tout. C’est déjà pas mal, non ?
– Mouais…
Avec
une petite moue de désappointement.
– Qu’est-ce
t’aurais voulu d’autre ?
– Je
sais pas, mais autre chose en tout cas. Non, parce qu’il est bien
gentil votre Martial, là. Il s’excite comme un fou en me matant le
cul et les nichons. C’est bien. C’est même très bien. C’est
gratifiant. Je vais pas prétendre le contraire. Mais bon, il arrive
un moment où ça peut guère que tourner en rond. Parce qu’il va
se passer quoi maintenant ? On peut continuer à le chauffer, si
on veut, oui, bien sûr. Lui offrir des photos de ma chatte en
pâture. L’inviter. Que je le voie baver tant et plus devant moi.
Et après ? De toute façon, je donnerai pas suite. Je coucherai
pas avec, c’est hors de question. Alors ou bien ça va durer
indéfiniment comme ça, moi à l’allumer et lui à m’encercler
de désir, ce qui va être terriblement répétitif au bout du compte
et mortellement ennuyeux. Ou bien il va se faire pressant. Il va
devenir lourd et je vais être obligée de l’envoyer sur les roses.
Dans les deux cas… Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi vous
faites cette tête-là ? Ça vous étonne ce que je vous dis
là ?
– Un
peu, oui.
– Parce
que j’étais à fond sur Martial et que d’un seul coup… Ben
oui, mais ça m’amuse plus. Finalement il y a rien qui ressemble
plus à un mec qui te désire qu’un autre mec qui te désire. Ils
sont désespérément interchangeables. Et il y rien de plus facile
pour une nana, quand elle est pas trop mal foutue et qu’elle sait y
faire, que d’avoir des dizaines et des dizaines d’adorateurs
prosternés à ses pieds dans l’espoir de décrocher le jackpot.
J’en ai fait le tour de tout ça. Peut-être que ça reviendra. Je
sais pas. On peut jurer de rien. Mais, pour le moment, j’ai envie
d’autre chose. De nouveau. De différent.
– Et
donc, Martial…
– On
le met sur la touche, oui.
– Qu’est-ce
que je vais bien pouvoir lui raconter ?
– N’importe
quoi ! Par exemple, qu’on couche ensemble, vous et moi. Il va
se sentir en porte-à-faux vis-à-vis de vous du coup. Et vous
abandonner le terrain. Ou alors c’est qu’il m’a vraiment dans
la peau. Et là, ça va être beaucoup plus compliqué. Bon, mais
allez, on verra bien. Assez parlé de Martial. Il y a pas que Martial
dans la vie. Il y a aussi la fille de l’hôtel. Surtout la fille de
l’hôtel. Et son amant.
– Ah,
je comprends mieux.
– Vous
savez ce que j’ai fait à midi ? Je suis allée au resto.
– Toute
seule ! Vilaine ! T’aurais pu m’attendre…
– Celui
en face de la grande surface.
– Et
tu l’as vue…
– Non,
mais j’ai déjeuné juste à côté de deux filles qui travaillent
avec. Et qu’ont parlé d’elle.
– T’es
sûre que c’était d’elle ?
– Une
caissière qui s’appelle Alexandra et qu’a un casoar tatoué sur
l’avant-bras, il doit pas y en avoir douze mille.
– Et
alors ?
– Alors
à ce qu’il paraît qu’elle en a après le patron. Qu’elle fait
des pieds et des mains pour le mettre dans son lit.
– Ce
sont peut-être des racontars.
– Et
puis peut-être pas.
– Tu
crois que c’est lui qu’elle voit à l’hôtel ?
– Qu’est-ce
que vous voulez que j’en sache ? Oh, mais on en aura le cœur
net. Faites-moi confiance qu’on va en avoir le cœur net.
30-
Et
on a passé les deux jours suivants, le nez quasiment rivé au
carreau.
– Mais
qu’est-ce qu’ils foutent ?
– Ils
ont peut-être décidé de mettre un terme…
– Portez
bien la poisse, vous ! Ah, ça y est ! La v’là !
Bon, alors vous avez compris ? Vous passez dans l’avenue, de
l’autre côté et, dès qu’il sort, vous le prenez en chasse. En
voiture si il faut. Vous êtes garé où ?
– Sur
le parking devant l’entrée principale.
– Parfait !
Moi, pendant ce temps-là, je m’occuperai d’elle. Allez, feu !
Plus
d’une heure j’ai attendu. Et puis mon portable a sonné.
– Elle
vient de sortir. Vous allez sûrement le voir.
Il a
effectivement fait son apparition.
– Putain !
Comment il est jeune !
– Combien ?
– Son
âge à elle. La trentaine. À peu près.
– Donc,
c’est pas le patron.
– Il
monte en voiture.
– Oui,
ben le perdez pas de vue ! Je vous laisse. À tout-à-l’heure !
– Alors ?
– Une
dizaine de kilomètres on a fait. Il habite un petit immeuble à la
périphérie. Et il est marié.
– Comment
vous savez ça ?
– Parce
que je suis allé me garer un peu plus loin, que je suis discrètement
revenu et que j’ai jeté un œil dans le hall. Il y a huit
appartements. Et forcément, huit boîtes aux lettres. Sur toutes il
y a « Monsieur et Madame Untel. »
– Donc,
vous avez raison : il est marié. Vous avez pas relevé les
noms ?
– Si !
Et même les prénoms.
– Génial !
Ça peut servir. On sait jamais. Il est beau gosse ?
– Je
suis pas très bon juge en la matière, mais j’ai l’impression
que c’est le genre de type qui doit faire des ravages chez les
nanas.
– Faudra
que j’aille jeter un coup d’œil dessus alors ! Le prochain
coup, c’est moi qui le pisterai. Et vous, vous occuperez
d’Alexandra. Ce qui vous donnera l’occasion de lui reluquer une
fois de plus le popotin.
– Ça
a donné quoi, elle ?
– Elle
est allée bosser. J’ai fait quelques courses. Je suis passée à
sa caisse. J’ai échangé quelques mots avec. Et puis voilà. En
tout cas, elle a pas d’alliance.
– Elle
est peut-être en couple quand même.
– Possible,
oui. Mais j’en suis pas restée là. Après, je suis allée boire
un café en face. Il y avait deux de ses collègues caissières
attablées devant un thé. Qui parlaient de médecines parallèles.
D’astrologie. De magnétisme. Tout ça. L’occasion ou jamais. Je
me suis mêlée à la conversation.
– Et
tu les as fait parler d’Alexandra.
– Ça
va pas, non ? Elles me connaissent pas. Elles se seraient
méfiées. Et je me serais grillée. Toute seule. Comme une grande.
Non. J’ai posé des jalons. Je me suis passionnément intéressée
à toutes leurs histoires de médiums, de rebouteux et de coupeurs de
feu dont je me soucie comme de l’an quarante. Comme ça il me
suffira, la prochaine fois, de reprendre la conversation là où on
l’avait laissée et de la faire progressivement glisser, peu à
peu, vers là où je veux qu’elle aille.
De
grands traits. Des petites cases. De toutes les couleurs.
– Qu’est-ce
tu fabriques ?
– Un
planning. Parce que c’est sûrement aux mêmes jours et aux mêmes
heures qu’ils se voient. En fonction de leurs horaires respectifs.
On n’aura plus à guetter des heures à la fenêtre comme ça. On
saura quand il faut qu’on soit opérationnels.
31-
Elle
se tournait, se retournait, soupirait.
– Tu
dors pas ?
– Non.
Je réfléchis.
– À
quoi ?
– Oh,
à plein de trucs. Et vous savez ce que je me dis ? C’est que,
dès que je saurai à quoi il ressemble, le type, il faudra qu’on
retourne à l’hôtel les écouter s’envoyer en l’air. Dans la
chambre d’à côté. Parce que déjà que c’est super excitant
d’entendre un couple baiser, mais alors quand en plus tu connais
leurs tronches, que tu peux imaginer la tête qu’ils font quand ils
jouissent, alors là !
Elle
a marqué un long temps d’arrêt.
– Non,
et puis il y a pas que ça… Ce qui y fait aussi, dans leur cas,
c’est qu’on est en train de les prendre dans nos filets, c’est
qu’on s’est mis à quadriller leur vie. Et qu’ils n’en ont
pas le moindre soupçon. On va en savoir de plus en plus sur eux. On
va leur aller dans tout un tas de recoins. D’une certaine façon,
on peut dire qu’on va se les approprier Complètement. J’adore,
moi ! J’adore vraiment…
Elle
s’est tue. Ça a imperceptiblement bougé sous les draps.
– J’ai
toujours adoré ça, moi, me faufiler à leur insu dans l’existence
des autres.
Ça
a bougé plus vite. Son souffle s’est fait plus court. Elle a pris
ma main, l’a serrée.
– C’est
trop bon…
Elle
a doucement gémi. S’est apaisée. A laissé tomber sa tête sur
mon épaule. Sans lâcher ma main.
Et
elle s’est endormie.
– C’était
comment ?
On
venait de se réveiller.
– Hein ?
C’était comment, moi, hier soir ?
Et
elle a glissé sa main sous l’oreiller, en a extirpé son petit
enregistreur.
– Ah,
parce que…
– Oh,
ben oui, attendez, oui. Je l’ai toujours à portée de main. Au cas
où…
Elle
l’a mis en marche. A fermé les yeux. Écouté.
– C’était
tout doux en fait. C’est bien ce qu’il me semblait, mais bon,
j’étais pas sûre. Parce que, quand t’es dedans, tu te rends pas
toujours forcément compte. Je me suis surprise, des fois, le
lendemain. Si, c’est vrai, hein !
Elle
s’est redressée sur un coude.
– N’empêche
que vous savez tout de moi, vous, maintenant, hein, mine de rien.
Presque tout.
– Et
c’est quoi ce presque ?
– Un
truc.
– Quel
truc ?
Elle
a tapoté, du bout du doigt, son petit enregistreur.
– C’est
là-dedans.
A
cherché mes yeux.
– Non,
parce qu’on est jamais autant soi-même que quand on se donne du
plaisir.
– Ah,
ça !
– On
se livre à fond quand on se caresse. Ils te disent tout, tes
fantasmes. Tout. Ils te laissent rien dans l’ombre. Ils veulent pas
que tu triches. Et ils vont obstinément te chercher là où t’as
une trouille monumentale d’aller, mais très envie quand même. Là
où t’es essentiel. Alors ils insistent, ils insistent. Jusqu’à
ce que tu cèdes. Ça vous le fait jamais à vous ?
– Oh,
que si !
– Moi,
il y en a un, de fantasme, comment j’ai lutté contre ! J’en
voulais pas. À aucun prix. Mais maintenant que je l’ai laissé
entrer, alors là ! Il me lâche plus. C’est presque toujours
lui que je prends en ce moment. Et je peux vous dire que ça dépote.
Quand je me réécoute le lendemain…
– Et
il y a pas moyen de savoir ?
– Oh,
vous, si ! Au point où j’en suis maintenant n’importe
comment avec vous. Et en plus…
Elle
m’a tiré un tout petit bout de langue.
– Vous
êtes concerné.
– Moi ?
– Vous,
oui.
Son
portable a bipé. Un texto.
– Wouah !
C’est mes parents. Qui veulent voir l’appart. Ils sont là dans
dix minutes. Partez ! Partez ! Parce que, s’ils vous
trouvent là, ils vont plus rien y comprendre. Ils vont se faire tout
un film. Et on n’est pas sortis de l’auberge.
32-
Elle
a débarqué chez moi en fin d’après-midi.
S’est
affalée de tout son long sur le canapé.
– Hou
là là ! Quelle purge !
– Tes
parents ? Ça s’est mal passé ?
– J’en
ai pris plein la tête. Mais ça, je m’y attendais. J’ai eu droit
à tout. Non, mais comment je pouvais vivre dans un gourbi pareil ?
« C’est pas comme ça qu’on t’a élevée, Clorinde, c’est
pas du tout comme ça qu’on t’a élevée… » Et j’avais
même pas de quoi me faire correctement à manger. « Tu te
gaves de pizzas et de hamburgers, j’imagine ! Mais continue !
Continue bien à te détruire la santé ! Tu verras plus tard. »
Et le lit ! Ah, le lit ! « Non, mais regarde-moi ça,
Maxime ! Elle dort par terre, sur un matelas pneumatique. Comme
si, avec tous les chèques dont on l’inonde, elle pouvait pas
s’offrir une literie correcte. Quitte à la payer en trois ou
quatre fois. Mais qu’est-ce tu fais de tout l’argent qu’on te
donne, tu peux me dire ? »
– Oui.
C’était ta fête, quoi !
– Mais
la cerise sur le gâteau, c’est quand ils ont cru découvrir qu’il
y avait un homme dans ma vie. Ben oui, forcément ! Deux
serviettes de bain. Deux brosses à dents. Un rasoir. Et évidemment,
pour eux, il pouvait y avoir qu’un marginal, un drogué, pour
accepter de vivre dans des conditions pareilles. « Tu files un
mauvais coton, Clorinde, un très mauvais coton. J’espère qu’au
moins tu te protèges ? » C’est là que ça a dégénéré.
Je faisais ce que je voulais avec mon cul. Ça les regardait pas. Et
elle, elle est montée sur ses grands chevaux. « Si, ça nous
regarde, si, figure-toi ! Parce que tu es complètement
irresponsable, ma pauvre fille ! Tu l’as toujours été. À
jouer les originales. À vouloir à tout prix te singulariser. Ce qui
t’a mise maintes et maintes fois, permets-moi de te le rappeler,
dans des situations impossibles. Dont il a fallu qu’on fasse des
pieds et des mais pour te sortir. Alors il serait quand même grand
temps que tu deviennes adulte, non, tu crois pas ? »
– Eh
ben dis donc !
– Le
risque, maintenant, c’est qu’ils déboulent tous les quatre
matins.
– Ils
habitent loin.
– Oui,
oh, ben alors là, on voit que vous les connaissez pas. Surtout elle.
Je l’entends d’ici. « Faut qu’on aille voir ce qu’elle
fabrique. C’est notre fille quand même, Maxime ! On peut pas
la laisser partir complètement à la dérive. » Et tralali et
tralala… Et lui, même que ça le gave de prendre la route…
– Tu
sais ce que je crois, moi, plutôt ? C’est qu’il va
m’appeler, Maxime. Me demander d’avoir un œil sur toi. « Elle
a vécu chez toi. Elle t’a à la bonne. Tu as une excellente
influence sur elle. Alors si tu pouvais… Parce qu’elle nous
inquiète, je t’assure. »
– Effectivement !
C’est pas impossible, ça, qu’il vous appelle.
– Sinon,
s’il le fait pas, c’est moi qui le ferai.
– Et
vous saurez trouver les mots. Là-dessus, je vous fais confiance.
Bon, mais allez, assez parlé d’eux. Devinez où je suis allée
après, quand ils ont été partis ?
– Voir
Alexandra.
– Qu’était
pas à sa caisse. Ni au café, en face. Par contre, il y avait une
des filles de l’autre jour. Que j’ai rebranchée sur les
médecines parallèles. Et, de fil en aiguille, je lui ai demandé
si, par hasard, elle connaîtrait pas un bon magnétiseur. Parce que
j’avais des migraines comme c’était pas possible depuis quelque
temps. Ça me pourrissait la vie. Oh, mais un peu qu’elle en
connaissait un. Un peu ! C’était le mari d’une collègue.
Hyper doué. Il obtenait de sacrés résultats. Et toutes les autres
autour de confirmer à qui mieux mieux. Il y en avait une, grâce à
lui, elle avait arrêté de fumer. Une autre, c’était ses vertiges
qu’il avait guéris. Une troisième, elle avait perdu huit kilos.
Bref, je me suis retrouvée avec l’adresse et le numéro de
téléphone du type.
– Tu
vas y aller ?
– Oh,
sûrement, oui. Ne serait-ce que pour pouvoir aller leur en parler
après. Comme vous voyez, je continue, peu à peu, à creuser le
sillon. Et ce serait bien le diable si, au bout du compte…
33-
Bon
alors qu’est-ce qu’on faisait ? On restait passer la nuit là
ou on retournait là-bas ?
– Ce
que tu veux. Tu choisis.
– Je
suis partagée. Parce que c’est vrai qu’ici, chez vous, on a tout
le confort. Et on est tranquilles. Pas de voisins à proximité
immédiate. Mais, d’un autre côté, ça a aussi ses avantages, les
voisins. Parce qu’on peut les entendre et ils peuvent nous
entendre. Surtout au début, comme ça, c’est pas mal, moi, je
trouve, de prendre ses marques. De savoir qui il y a, à droite, à
gauche, au-dessus, en dessous. Si c’est des tout seuls. Ou si c’est
des couples. S’ils s’engueulent. S’ils s’envoient souvent en
l’air. Si elle braille comme une possédée, la fille, quand elle
jouit. Enfin plein de trucs, quoi !
– Sans
compter qu’il y a l’hôtel juste en face.
– En
plus, oui !
– Bon,
ben allez, en route alors !
On
s’est pris des pizzas au passage. Des quiches. Des sodas.
– Tout
ce qui va bien, quoi !
Et
on s’est retrouvés, sur le palier, en compagnie d’un type brun,
frisé, avec qui on a échangé un rapide bonjour et qui s’est
engouffré dans l’appartement d’à côté.
– Vous
voyez qu’on a bien fait finalement ! Parce que le mec de la
fille de droite, on sait à quoi il ressemble comme ça, maintenant…
– C’est
peut-être pas son mec… C’est peut-être juste UN mec.
– Qu’a
les clefs ? Ça m’étonnerait. Oui, oh, de toute façon, dans
un cas comme dans l’autre, il fera pas long feu. C’est le genre
de nana qu’aime le changement. Ça se voit tout de suite, ça !
Elle
a dévoré trois parts de pizza, assise sur le radiateur, en jetant
de fréquents coups d’œil, par la fenêtre, sur ce qui se passait
au-dehors.
– Bon,
mais allez, il y a plus qu’à se coucher. Qu’est-ce vous voulez
faire d’autre ?
Et
elle s’est déshabillée.
– Heu…
Clorinde…
– Quoi ?
Qu’est-ce qu’il y a ?
– Je
te signale quand même que les volets sont pas fermés, qu’il y a
pas de rideaux et que t’es en pleine lumière.
– Oui,
je sais. Et alors ? C’est l’hôtel en face. Ils sont de
passage. Ils me connaissent pas et je les connais pas.
Elle
a tranquillement continué. Le soutien-gorge. La culotte. Qu’elle a
jetés sur une chaise.
– Alors
s’il y en a qui veulent mater, qu’ils matent ! C’est pas
moi que ça dérange. Et si leur légitime peut en profiter…
Elle
a tourné, viré, entièrement nue, dans la pièce, farfouillant dans
son sac, allant se servir un verre d’eau, vérifier que le verrou
était bien mis, que le gaz était fermé.
Et
elle venue se glisser dans le lit à mes côtés.
– Là…
Et maintenant chuuut ! On écoute.
Il y
avait de la musique, pas très fort, quelque part. Au-dessus, à
droite, de l’eau coulait. Quelqu’un a crié. « Bon, cette
fois, ça suffit, Mathias, tu vas te coucher… » À côté, il
y a eu un murmure de voix. En sourdine.
– C’est
du papier à cigarettes, les cloisons, là-dedans ! Je suis sûre
que si on y collait l’oreille, on pourrait entendre tout ce qu’ils
se disent.
– Et
t’en crèves d’envie…
– Non,
mais ça va pas ? Pour qui vous me prenez ? Enfin, si !
Quand même un peu…
– Beaucoup,
oui, tu veux dire…
– Attendez !
Écoutez ! Il est juste de l’autre côté, leur lit. On est
tête à tête.
– Aux
premières loges en somme…
– Encore
faudrait-il qu’ils y mettent un peu du leur…
34-
– Qu’est-ce
tu regardes ?
Elle
avait enfilé un long tee shirt blanc qui lui tombait jusqu’au
dessous des genoux et buvait son café, assise sur le radiateur.
– Hein ?
Qu’est-ce tu regardes ?
– Oh,
rien de spécial. Mais ce que je me demande quand même, c’est s’il
y en a qui m’ont vue hier soir.
– Oh,
ça, sûrement ! Un type, à l’hôtel, il laisse souvent
traîner les yeux dehors. On sait jamais. Des fois que…
Elle
a vidé sa tasse d’un trait.
– En
attendant, ils ont pas été très coopératifs à côté. Ni
ailleurs, dans les étages. Va falloir que ça change. Sinon, on va
être obligés de prendre les choses en mains.
Elle
est sortie de la salle de bains toute pomponnée, vêtue d’une
ravissante robe rouge.
– Hou
là ! C’est le grand jeu ! Et tu vas où comme ça ?
On peut savoir ?
– Chez
le type, là. Le magnétiseur dont les caissières m’ont parlé au
café. Qu’est le mari d’une collègue à elles. Vous savez bien…
Elle
a renversé son sac sur la table.
– Sauf
que je sais plus ce que j’ai fichu de sa carte. Ah, ça y est, la
v’là ! Henri Guillemot. C’est ça…
– Qui
tu dis ?
– Henri
Guillemot. Pourquoi ?
– Parce
que sur l’une des boîtes aux lettres de l’immeuble où habite le
type que j’ai suivi l’autre jour, à la sortie de l’hôtel…
– Il
y avait écrit Henri Guillemot. C’est pas vrai !
– Eh,
si !
– Ce
qui veut dire qu’Alexandra couche avec le mari d’une collègue.
CQFD. C’est clair comme de l’eau de roche. Et ça peut pas être
un hasard. Et on sait qui c’est. Ah, ben bravo ! Bravo !
Tu m’étonnes qu’ils se planquent pour se voir… Bon, ben en
tout cas, ça nous débroussaille bien le terrain. Et ça motive que
le diable… J’y vais. Je vous raconterai.
Elle
est revenue en toute fin de matinée.
– Alors ?
– Alors,
ben ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il est beau mec. Là-dessus
il y a pas photo. Après, pour ce qui est de ses talents de
magnétiseur, c’est carrément du pipeau. Il y a pas photo non
plus. Il t’étourdit de tout un tas de grands discours prétentieux.
Il te colle les mains là où tu dis que t’as mal. Et puis voilà :
le tour est joué. À mon avis, il y croit pas lui-même à tout ça.
Reste à savoir s’il s’est lancé là-dedans pour le fric ou pour
draguer.
– Ou
les deux.
– Possible
aussi, oui.
– Tu
vas y retourner ?
– Évidemment
que je vais y retourner. Je veux savoir ce qu’il a au juste dans le
ventre cet oiseau-là. Et si on veut savoir ce qu’Alexandra fiche
avec… Quels sont les tenants et les aboutissants…
– Ça
te passionne tout ça, hein !
– Carrément !
Je sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression qu’il y a un
mystère là-dessous, que c’est pas une histoire de fesses
ordinaire. Ce qu’il faudrait déjà, moi, je crois, c’est savoir
s’il a qu’Alexandra, en plus de sa femme, ou s’il se multiplie
à tout va. Déjà, la façon dont il va se comporter avec moi, ça
va nous donner une petite idée. Mais ce sera pas suffisant. L’idéal,
ce serait que vous, de votre côté, vous essayiez de savoir ce qu’il
a dans le ventre. Que vous entriez en contact avec et que vous le
fassiez causer. Les mecs, entre eux, c’est souvent qu’ils se
vantent de leurs conquêtes. Vous jouez à la pétanque ?
– Non.
Pourquoi ?
– Parce
que, dans l’entrée de son appart, il y a tout un tas de coupes
gagnées à des concours de pétanque. Et de la publicité pour le
club local. Alors…
– Alors
je sais ce qu’il me reste à faire.
35-
– Jamais
ça baise ici ! Nulle part. C’est pas possible, ça.
Une
heure, plus d’une heure qu’elle maugréait.
– Non,
mais c’est vrai, quoi ! C’est pas la peine d’avoir des
voisins si c’est pour jamais les entendre s’envoyer en l’air.
Elle
a sorti son petit enregistreur de sous l’oreiller.
– Je
vais te les mettre en appétit, moi, vous allez voir !
A
tripatouillé les boutons.
– Je
sais pas quoi choisir. Vu le nombre de fois où je me suis
enregistrée… Décidez, vous !
– Il
en faudrait un où t’es complètement déchaînée. Où tu
maîtrises plus rien.
– Oui,
ben c’est pas ça qui manque…
– L’autre
jour, tu m’as parlé d’un fantasme tout récent. Que tu convoques
souvent. Qui te met dans tous tes états.
– Et
dans lequel vous intervenez, oui.
– Tu
l’as ?
– Évidemment
que je l’ai. Tout un tas de fois.
– Et
c’est quoi, ce fantasme ? On peut savoir ?
– Ben
oui ! Oui. Je vous l’avais dit que je vous le dirais.
– Alors
je t’écoute…
– Vous
vous rappelez la fois où on s’est branlés tous les deux, face à
face, dans la cabine d’essayage, avec tous les gens autour ?
– Si
je me rappelle !
– Vous
avez voulu m’empêcher de crier quand je suis venue. Et je vous ai
mordu un grand coup la main.
– Ah,
ça, sûr que tu y es allée de bon cœur !
– Eh
bien je recommence. C’est sans arrêt que je vous mords dans mes
fantasmes. Encore dans une cabine, oui. Mais aussi au restaurant,
quand je me suis bien excitée sous la table et que ça me déferle.
À des tas d’autres endroits aussi. À la fac. À la piscine.
J’imagine tout un tas de circonstances. Bien en détail. Avec des
gens autour. Des fois je les connais. Des fois pas du tout. Mais
toujours ça finit, au moment où je jouis, de la même façon. Je
vous referme un grand coup les dents dessus.
– Et
c’est systématiquement moi ton souffre-douleur ?
– Presque.
C’en est d’autres des fois, mais je reviens toujours à vous.
Parce que vous, ça a vraiment eu lieu. Je vous choque ?
– Oh,
non, non ! Pas du tout, non ! Tu verrais tes yeux quand tu
racontes…
– Je
vais vous mettre un jour où j’y étais retournée toute seule à
la cabine. Où je me l’étais fait, mais retenu. Frustrant. Où je
m’étais dépêchée de rentrer du coup. Et où j’avais
recommencé. Tout de suite. En imaginant que vous y étiez avec moi.
Comme la fois en vrai.
Elle
a enclenché.
On
s’est tus.
Son
souffle d’abord. Précipité. De plus en plus. Ses gémissements.
En demi-teinte. Qui, très vite, ont pris de l’ampleur. Se sont, en
quelques instants, transformés en cris de jouissance éperdue. Une
tempête, un raz-de-marée de plaisir.
– Eh
ben dis donc !
Elle
m’a souri.
– Oui,
hein ?
Elle
a remis au début.
Et,
cette fois, elle s’est accompagnée. De ses doigts en tournoiement
frénétique sur son bouton, la tête renversée en arrière, les
yeux mi-clos.
Elle
est venue en même temps qu’elle. Je lui ai offert ma main. Elle y
a planté énergiquement ses crocs. De toutes ses forces.
Quelque
part, au-dessus, une femme a joui aussi. À longs sanglots libérés.
36-
C’est
le ruissellement de la douche qui m’a réveillé.
Dans
un grand bâillement.
– Ah,
ça y est, enfin ! Ben, venez me rejoindre. Elle est assez
grande. Et puis on pourra parler comme ça.
Elle
était toute ensavonnée. Des pieds à la tête.
– Eh,
ben dis donc, vous, quand vous dormez, vous dormez, on peut pas dire.
N’empêche que vous avez raté quelque chose. Ça s’est
complètement débondé après, cette nuit. Un couple juste en
dessous. Comment elle donnait de la voix, la nana ! Et ils ont
remis deux fois le couvert. Un autre aussi, un peu plus loin, à
gauche. J’ai bien essayé de vous réveiller. Que vous en
profitiez, vous aussi. Il y avait pas de raison. Mais il y a jamais
eu moyen. Vous bougonniez et vous vous retourniez de l’autre côté.
J’ai même cru que vous alliez me coller une gifle à un moment.
Alors bon, j’ai pas insisté. Je suis pas suicidaire. Vous avez
vraiment tout loupé, du coup. Parce que moi aussi, je me suis amusée
comme une petite folle. En silence. C’est bien aussi, des fois. Ça
change. En silence et en les écoutant. Et en imaginant. Parce que je
suis bien tranquille qu’il y en avait aussi tout un tas tout
autour, des types comme des filles, qui faisaient marcher tant et
plus leurs doigts. Ou qui se faisaient aller et venir des trucs
dedans. C’est pour ça : il faut absolument qu’on sache. Qui
est qui. Et qui est où. Pour bien se rendre compte. Vous savez quoi,
le mieux ? Eh bien on va faire un plan de l’immeuble. Avec les
noms. Et tous les renseignements qu’on pourra trouver. Sur les uns
et sur les autres. Elle est pas géniale mon idée ? Si, hein ?
Vous me passez le shampooing ? Non, l’autre. Le flacon vert.
Là, oui. Merci.
Elle
s’est vigoureusement frictionné le cuir chevelu.
– Ah,
ils aiment ça qu’on les déclenche ici ? Eh, bien on va les
déclencher. On va leur mettre un de ces bordels. Ils ont encore rien
vu. Et vous non plus, d’ailleurs…
Elle
s’est rincée. Ébrouée.
– Vous
faites voir ?
– Quoi,
donc ?
– Ben,
votre main, tiens ! Qu’est-ce vous voulez d’autre ?
Je
la lui ai tendue.
Elle
l’a prise dans la sienne.
– Wouah !
Comment je vous les y ai enfoncées loin ! À ce point, je
m’étais pas rendu compte. En douce que j’ai un sacré bon coup
de dents, ça, on peut pas dire.
Elle
a délicatement caressé. Du bout du doigt.
– Ça
vous fait mal ?
– Un
peu.
– Alors
ça, ça m’étonnerait. Sûrement plus qu’un peu. Beaucoup plus.
Elle
a appuyé.
J’ai
grimacé.
– Ah,
vous voyez !
Encore
plus fort. D’un coup.
Il
m’est échappé un petit gémissement.
– Vous
aimez ça avoir mal à cause de moi ? Oh, oui que vous aimez,
oui ! Vous bandez. Et pas qu’un peu !
Elle
m’a envoyé une petite pichenette sur la queue.
– On
recommencera alors puisque ça lui plaît, à elle. Mais pas
forcément dans le gras de la main. Vous avez plein d’autres
endroits où je peux avoir envie de me faire les dents.
Elle
m’a effleuré un téton.
– Ici,
par exemple.
En a
approché les lèvres.
– Et
l’autre, en bas, qu’en peut plus. Qui se hausse du col comme
c’est pas permis. Oui, ben va falloir que t’attendes, ma grande !
On a une journée chargée comme c’est pas permis, nous,
aujourd’hui !
37-
Elle
est allée déposer son bol dans l’évier.
– Bon,
allez, feu ! Je pars rôder du côté de la grande surface. Il y
a des courses à faire n’importe comment. Et vous, j’ai pas de
conseils à vous donner, mais moi, à votre place, j’irais jeter un
coup d’œil du côté de ce club de pétanque. Histoire de tâter
le terrain. Et de vérifier qu’il en fait bien partie, notre
magnétiseur. Mais enfin, c’est vous qui voyez, hein !
Le
local était fermé, mais il y avait une femme sur le boulodrome. La
trentaine. Châtain foncé. Bouclée. Seule.
Elle
m’a interpellé à travers le grillage.
– Vous
cherchez quelque chose ?
– Non.
Enfin si, oui. Je me demandais si, éventuellement, il serait
possible de s’inscrire.
– Bougez
pas ! J’arrive.
Elle
a fait le tour par derrière, m’a ouvert.
– Allez-y,
entrez !
Elle
s’est activée derrière le comptoir, a déplacé des dossiers,
ouvert des tiroirs.
– C’est
toujours pareil ! Quand on cherche quelque chose… Faut dire
aussi que normalement, les inscriptions, c’est pas moi qui m’en
occupe. Mais je peux toujours vous faire remplir la feuille. C’est
à la bonne franquette, ici. Pour le reste, les frais, l’assurance,
tout ça, vous aurez qu’à voir avec Nadine. C’est la secrétaire,
Nadine. Elle est là tous les après-midis. De deux à cinq.
Elle
m’a tendu un stylo, regardé remplir le formulaire.
– Vous
devez me prendre pour une folle, non ?
Je
lui ai lancé un regard interloqué.
– Non.
Pourquoi ?
– Ben,
une fille qui joue aux boules toute seule, ça craint, non ?
– Ah !
Oh, chacun fait ce qu’il veut.
– En
fait, on a une grosse compét le mois prochain, au niveau régional,
et si je veux être prête, il y a pas de secret : entraînement,
entraînement et encore entraînement.
– Je
sais pas si…
– Vous
débutez, hein ! Oh, mais faut pas faire de complexes. Vous
serez pas le seul, vous verrez. Et puis faut bien commencer par
commencer. Tenez, venez, tant qu’on y est, je vais vous donner un
casier. Que vous puissiez y mettre vos affaires.
Elle
a farfouillé dans un bocal.
– Le
42, il est libre. C’est là-bas. Venez, je vais vous montrer.
On
est passés devant le sien. Qui était ouvert. Qu’elle a refermé.
– Et
alors là, je te le donne en mille.
– Quoi ?
Ben, accouchez !
– Le
nom, sur le casier… Mégane Hugonnet.
– C’est
pas vrai !
– Eh,
si ! C’est pas le mari magnétiseur, l’amant d’Alexandra,
qui gagne des trophées à la pétanque, mais sa femme.
– C’est
peut-être les deux…
– Non.
Parce que tu penses bien que je suis restée bavarder un peu avec. Et
que je lui ai posé la question, l’air de pas y toucher. « Mon
mari ? À la pétanque ? Oui, oh, ben alors ça, c’est
pas demain la veille. Non, lui, à part son boulot et les films
américains à la télé, il y a pas grand-chose qui l’intéresse. »
– Et
le cul de sa collègue Alexandra. Mais ça, en principe, elle est pas
au courant. Bon, ben vous avez sacrément bien avancé, dites donc !
Je suis fière de vous. Et maintenant que vous êtes dans la place,
il y a plus qu’à dérouler. On avance… On avance… D’autant
que moi, de mon côté, il y a eu mèche avec Alexandra. Elle était
au café aujourd’hui. Alors vous pensez bien que j’ai sauté sur
l’occasion. On a discuté. Bien. Pas mal. De plein de trucs.
Presque une demi-heure durant. Et on remettra ça : je lui ai
soutiré ses horaires.
38-
– Vous
savez quoi ? J’ai une furieuse envie de me faire mater
aujourd’hui. D’avoir plein de désirs sur moi.
– Normalement,
ça, ça devrait pouvoir s’arranger.
– Vous
pensez bien que oui ! Sans problème. On va à la piscine ?
La municipale ? C’est le jour ou jamais le jeudi. Il y a pas
les scolaires. On est tranquille.
– Eh
ben, allez !
Elle
avait revêtu un maillot de bains noir une pièce qui lui moulait le
fendu et les fesses au plus près.
– Hou
là ! Mais ça relève carrément du cameltoe, ton truc, là,
dis donc !
– Faut
ce qu’il faut. Bon, mais je compte sur vous, hein ! Vous
regardez bien les réactions. Et vous me direz.
Elle
a majestueusement longé le rebord de la piscine, à pas lents,
jusqu’au plongeoir, de l’autre côté, là-bas. Elle y est restée
debout, un long moment, immobile, à contempler la surface de l’eau.
Avant de s’y jeter.
On
l’avait suivi tout du long des yeux. Un type d’une quarantaine
d’années, ouvertement, sans dissimuler le moins du monde son
intérêt. Deux autres, plus âgés, aussi discrètement que
possible. Un autre encore, la soixantaine bien sonnée, que la
présence de sa femme à ses côtés contraignait, manifestement à
contre-cœur, à une certaine retenue. Et puis il y avait ce jeune,
d’à peu près son âge, qui la buvait littéralement des yeux, qui
s’est précipité à l’eau quand elle y a sauté, qui a nagé
dans son sillage.
Elle
est venue s’étendre à mes côtés. A relevé une jambe.
– Alors ?
– Tu
as ton petit succès.
– Mais
encore ?
Le
jeune est sorti de l’eau. Lui a jeté, au passage, un regard
appuyé.
– Celui-là,
s’il te fait envie, c’est quand tu veux.
– Non,
merci. Sans façons. C’est pas déplaisant de lui faire de l’effet,
mais bon…
– Sinon,
ben ça m’a tout l’air de bander à tout-va. Même si ça
s’efforce de le dissimuler. Il y a des signes qui ne trompent pas.
Et c’est pour toi. Aucun doute là-dessus.
Elle
s’est retournée. Sur le ventre. A fait claquer l’élastique du
maillot contre sa fesse.
– Et
le couple ? Qu’est-ce qu’il fait, le couple ?
– Elle,
elle compulse un magazine. Et lui, il lit un journal. Il fait
semblant. Parce qu’en réalité, il arrête pas de jeter tout un
tas de coups d’œil dans notre direction. Sur toi, en fait.
Elle
s’est lascivement étirée.
– Qu’est-ce
vous pariez que, ce soir, sa bobonne va y attraper ?
– Ça,
c’est pas impossible.
– C’est
même quasi certain. Quand il se sera bien gorgé de moi… J’adore.
Je suis peut-être tordue, sûrement même, mais j’adore ça, me
dire que la bonne femme, elle croit que c’est elle qui l’excite,
son mec, alors qu’en réalité, dans sa tête, c’est moi qu’il
est en train de baiser. Bon, mais après, elle a pas trop à se
plaindre non plus. Parce que, sans moi, elle aurait rien du tout.
Elle me doit une fière chandelle finalement !
Elle
s’est remise sur le dos.
– Il
y aura peut-être pas qu’elle d’ailleurs. Parce que tous ces
types, là, qui me reluquent à qui mieux mieux, va bien falloir
qu’ils fassent retomber la pression. D’une façon ou d’une
autre. À un moment ou à un autre. Avec leur nana, s’ils en ont
une. Ou tout seuls.
Elle
s’est appuyée sur un coude.
– Vous
devriez pas me faire penser à des trucs pareils. Ça me donne envie.
– Ben,
voyons ! C’est de ma faute. Non, mais alors là, c’est la
meilleure !
– Beaucoup
trop envie. On va se prendre une douche ? Il y en a près des
vestiaires.
Elle
s’est levée.
– Mais
d’abord, un dernier tour de piste. Histoire de…
Elle
a rajusté son maillot, chaloupé jusqu’au plongeoir, apparemment
indifférente aux regards. Posés sur elle. Rivés à elle.
Une
longueur de bassin. Une autre. Encore une.
Elle
est sortie de l’eau, est revenue lentement vers moi, s’est
penchée en avant, saisie de sa serviette, longuement essuyée.
– On
y va ?
On a
refermé sur nous la porte de la douche. Elle a retiré son maillot.
Presque aussitôt, quelqu’un est venu occuper la cabine voisine.
Elle
a silencieusement ri.
Chuchoté.
– J’en
étais sûre. C’est lequel à votre avis ?
39-
– C’était
bien, hein, cette petite incursion à la piscine, tout à l’heure ?
– Pas
mal du tout, oui.
– Vous
me diriez le contraire… Je sais tout ce que vous pensez, n’importe
comment, moi, maintenant. Suffit juste que je regarde vos yeux. En
attendant, en douce que vous étiez pas trop tranquille, hein, sous
la douche, quand il a commencé à me monter le plaisir. Vous aviez
qu’une trouille, c’était que je vous morde. La trouille et, en
même temps, ça vous aurait pas déplu tant que ça, je suis sûre.
Bon, mais je suis pas idiote non plus, hein ! J’allais pas
tenter le diable. Parce qu’imaginez que vous ayez pas pu vous
empêcher de crier. C’était un coup à ce que le gardien
rapplique, ça ! Et, deux dans une cabine, c’est formellement
interdit. On se ferait interdire de séjour.
– Ce
qu’aurait été dommage.
– Sûr !
C’est un super terrain de jeu. C’est pour ça que j’ai fait
gaffe, moi aussi, de mon côté. Je peux jouir en silence, si je
veux. Pourquoi vous ricanez ?
– Parce
que t’as une notion très personnelle du silence.
– Quoi !
J’ai pas braillé.
– T’as
pas braillé, non ! Mais tu t’es néanmoins exprimée. De
façon très explicite.
– Comment
ça ?
– Tu
as haleté. Tu as gémi. Et tu as allègrement clapoté.
– Ah,
oui ? Je me suis pas rendu compte. Oh, mais faut pas trop m’en
demander non plus. Une fois que je suis partie… Il s’est aperçu
de rien, le gardien. C’est l’essentiel.
– Dans
la cabine voisine, par contre, sûrement que…
– Oui,
ben il en aura profité. Tant mieux pour lui. Lequel c’était, à
votre avis ?
– Alors
ça ! Pour savoir…
– C’est
dommage ! J’aurais bien aimé. Oh, mais il devrait y avoir
moyen… Parce qu’il va revenir, le type. Forcément. La semaine
prochaine. Peut-être même avant. Mais la semaine prochaine, sûr.
Même jour. Même heure. En espérant de toutes ses forces que j’y
serai.
– Ce
qui sera le cas ?
– Probable,
oui. Bon, mais on verra. Pour le moment, on n’en est pas là. Il y
pas que la piscine dans la vie. Et j’ai mené ma petite enquête
sur notre environnement immédiat. Alors voilà…
Elle
a déployé une grande feuille de papier, l’a étalée sur la
table.
– Ça,
c’est le plan de l’immeuble. Les quatre étages.
En
traits et en petites cases. De toutes les couleurs.
– D’après
mes sources – une bonne femme, au rez-de-chaussée, qui passe
sa vie dans l’entrée et qui demande qu’à parler – notre
voisine de droite, elle s’appelle Letizia Donizetti. Et elle est
prof d’italien. Comme – j’ai vérifié – il y a que
son nom à elle sur la boîte aux lettres, probable que le type de
l’autre soir, il vit pas vraiment là. Mais ça reste à confirmer.
De toute façon, j’ai bien l’intention de trouver un prétexte
quelconque, dans les jours qui viennent, pour aller frapper à sa
porte et tenter de lier connaissance.
– Je
peux m’en charger, si tu veux.
– Ben,
tiens ! Je vous vois venir, vous ! Non, non ! C’est
gentil, mais c’est pas la peine. Je m’en occupe. À part ça, de
l’autre côté, il y a un type tout seul. D’une quarantaine
d’années. Vincent Louviot, il s’appelle. Il sort pratiquement
jamais de chez lui. Elle trouve ça louche, la voisine d’en bas.
« De quoi il peut bien vivre ? Il bosse pas. Et, en plus,
il parle à personne. » Ce qu’il y a de sûr, en tout cas,
c’est que nous, ici, on l’entend pas. Jamais un bruit. Pas de
musique. Pas de télé. Rien. Il y aurait pas l’eau qui coule, de
temps en temps, on pourrait croire qu’il est vide, l’appart. Ça
donne quand même envie de savoir ce qu’il en est, non, vous
trouvez pas ? Surtout que, d’après elle, à ce qu’il
paraît, il est beau mec.
– Ce
que t’as bien l’intention de vérifier par toi-même.
– On
peut rien vous cacher. Quant à ceux du dessous qui baisaient comme
des bêtes, l’autre nuit, pas étonnant. C’est des jeunes mariés.
Léa et Paul. Étudiants tous les deux. Affaire à suivre. Quant aux
autres, on verra. Au fur et à mesure.
40-
Elle
m’a sorti du lit manu militari.
– Allez,
hop, debout, grand feignant ! Le devoir nous appelle.
Et
le devoir pour elle, c’était…
– Tes
cours à la fac ?
– Vous
avez pas d’autres idioties à dire ? Non, vous savez le
grossiste en sapes où je me fournis d’habitude, là, qu’a pas le
droit de vendre aux particuliers normalement, mais bon, il y a des
arrangements quand on sait s’y prendre, eh ben je lui en ai parlé
à Alexandra. Elle est intéressée. Tu parles ! Il y a de quoi.
Quand on voit les prix… Et donc, on doit se retrouver toutes les
deux à dix heures là-bas. Et vous, pendant ce temps-là, j’ai pas
de conseils à vous donner, mais moi, à votre place, vu qu’on est
mardi et que, mardi dernier, elle y était la femme de son amant à
Alexandra, ben j’irais faire un saut du côté du club de pétanque.
Elle
était effectivement là, seule, à s’entraîner. Et m’a souri,
quand elle m’a vu, à travers le grillage.
– Les
papiers sont prêts, si vous voulez…
– Eh
bien, allez !
Je
suis entré. J’ai signé. Trois feuilles. Quatre feuilles.
– Là !
Vous v’là en règle. Il vous reste plus qu’à venir jouer.
– Comme
je vous l’ai dit, je débute. Je débute vraiment.
– Oui,
oh ben, on a tous commencé par là, hein ! Vous vous y mettrez
vite, vous verrez.
Elle
a glissé le dossier dans un tiroir.
– Je
peux vous demander, si c’est pas indiscret, ce qui vous a amené à
la pétanque ?
– Je
m’encroûtais. Fallait absolument que je fasse quelque chose.
– Pourquoi
spécialement la pétanque ?
– Et
pourquoi pas ?
Clorinde
m’a jeté un petit regard tout à la fois amusé et inquisiteur.
– Et
après ? Vous êtes allé jouer avec elle, j’parie.
– Comment
tu le sais ?
– Longtemps ?
– Toute
la matinée.
– Et
vous avez discuté. Elle vous plaît ? Oui, je le vois bien à
votre air qu’elle vous plaît. Ben, faut pas vous gêner, hein, si
elle vous tente. Elle est cocue. Ce sera jamais qu’un prêté pour
un rendu. Et puis vous pourrez me raconter comme ça.
– Et
toi ? Alexandra ?
– Oh,
ben, ça s’est super bien passé, Alexandra. Mais bon, il y avait
pas de raison. De toute façon, nous, les nanas, dès qu’on a le
nez dans les sapes, on est tout de suite complices. On est allées
manger toutes les deux du coup, à midi. Et on a parlé. De vous.
Entre autres.
– De
moi ?
– Oui.
Qu’on vivait ensemble tous les deux. Mais qu’on couchait pas.
Elle arrivait pas à y croire. « Un type de son âge !
Avec une petite jeune comme toi. Mignonne comme tout en plus !
Et il tente rien ? Il est impuissant. C’est pas possible
autrement. » Ça m’a fait rire. Vous l’étiez pas, non. Je
suis pas entrée dans les détails de ce qui se passe entre nous, ça
la regarde pas, mais ce qu’il y avait de sûr, c’est que vous
l’étiez pas. Ah, non, alors ! Du coup, elle brûle d’envie
de vous connaître. « Je voudrais bien voir à quoi il
ressemble, cet oiseau rare ! » Mais ça, rien de plus
simple, non ? Et comme il faut battre le fer tant qu’il est
chaud, je l’ai invitée demain soir. Chez vous. Ce sera mieux. Ça
en jettera plus. Vous avez rien contre ?
– Bien
sûr que non !
– J’en
étais sûre. Et vous savez ce que j’ai fait après ? Juste
après l’avoir quittée ? Je suis allée voir son amant.
Henri. J’avais un besoin urgent d’être magnétisée.
– Ben,
voyons !
– Il
m’a un peu draguée. Juste un peu. Et je me suis laissée faire.
C’est vilain, hein ?
– Tu
es infernale.
41-
On a
frappé.
J’ai
jeté un coup d’œil sur le réveil. Huit heures. Qui ça pouvait
bien être ?
On a
insisté.
– Clorinde…
– Quoi ?
Elle
était couchée sur le flanc, couette rabattue jusqu’au pied du
lit, vêtue en tout et pour tout d’une petite culotte blanche.
– On
frappe.
– Ben,
allez ouvrir ! Qu’est-ce vous attendez ?
D’une
voix empâtée.
C’était
un type en peignoir bleu, la serviette de bains sur l’épaule, la
trousse de toilette à la main.
– Excusez-moi !
Je suis le voisin à gauche. Elle est pas là la jeune femme ?
J’ai
chuchoté.
– Elle
dort.
Il a
chuchoté aussi.
– Non,
parce que je l’ai vue hier. Et elle m’a proposé de venir me
laver si je voulais. Comme ma douche est en panne.
– Ben,
allez-y ! Mais faites pas de bruit. La réveillez pas !
Un
doigt sur les lèvres, il m’a fait signe que oui… Oui… Bien
sûr.
Elle
n’avait pas changé de position.
Il a
tiré sur lui la porte de la salle de bains. L’eau a giclé.
Je
suis allé la rejoindre.
– Il
m’a regardée ? En passant. Il m’a regardée ?
– Ah,
ben ça !
– Appuyé ?
– Encore
assez. Mais pas trop quand même. Parce que j’étais là, mais
sinon…
– Et
si ça se trouve, il est en train de se branler comme un furieux, là,
à côté, en pensant à ce qu’il vient de voir.
– Possible,
oui.
– Plus
que probable, vous voulez dire. Et même, quasiment certain. J’aime
bien. Comment elle est sa queue, vous croyez ?
– Qu’est-ce
que tu veux que j’en sache ?
– Ben,
allez voir ! Trouvez un prétexte, je sais pas, moi !
– Que
je…
Elle
a éclaté de rire.
– Vous
verriez votre tête ! Vous êtes vraiment trop drôle.
Elle
s’est levée.
– Bon,
mais que je m’habille quand même ! Avant qu’il sorte. Qu’il
aille pas s’imaginer des trucs. Parce que tout à l’heure j’étais
censée dormir, mais maintenant…
– Tu
m’en avais pas parlé de ce type…
– Entre
la Mégane de la pétanque, son mari, Alexandra, et tout et tout, ça
m’était complètement sorti de la tête. Oh, mais c’est tout
bête, hein ! On s’est trouvés en même temps sur le palier.
Il sortait de chez lui. Je rentrais. On a un peu discuté. Il m’a
dit qu’il était embêté parce que sa douche marchait plus, que le
plombier était débordé, qu’il allait venir, oui, mais quand ?
Je lui ai proposé d’utiliser la mienne, du coup, en attendant. Et
puis voilà !
Elle
a boutonné son pantalon.
– Cela
étant, que sa douche soit HS, je suis loin d’en être convaincue,
mais bon…
Il a
fait sa réapparition.
– Hou !
Ça fait du bien…
Elle
lui a proposé un café.
– Non,
merci. Désolé. Faut que j’y aille. Je suis déjà à la bourre.
Une autre fois…
– En
tout cas, hésitez pas, hein ! Revenez quand vous voulez.
– Oui.
Merci. C’est gentil. C’est très gentil.
42-
C’est
Clorinde qui a fait faire à Alexandra le tour du propriétaire.
– Je
peux ?
– Bien
sûr…
– Alors
là, c’est le séjour… Regarde-moi ça ! Non, mais
regarde-moi ça ! Et puis alors la vue !
Qu’elle
ne lui a pas laissé le temps de contempler. Elle l’a entraînée
dans la cuisine.
– Tu
te mets aux fourneaux par plaisir dans un truc pareil. Des heures t’y
passerais !
Puis
dans sa chambre.
– Une
vraie salle de bal, t’as vu ça ! Et le lit ! Il est d’un
moelleux !
Ce
qu’elle lui a fait vérifier. Poing fermé.
– Cela
étant, j’y suis pas souvent. C’est plutôt avec lui que je dors.
À côté.
Où
elle l’a entraînée.
– Et
v’là le travail ! Avoue que j’ai pas à me plaindre…
Un
petit tour dans la salle de bains.
– Baignoire
avec remous, s’il vous plaît…
Elle
l’a fait redescendre.
– Et
maintenant la cerise sur le gâteau. Par là ! Non, à droite.
Là ! Tu y es.
Devant
la piscine.
– Hou !
La vache !
– Oui,
hein ! Et il y a pas de vis-à-vis. L’été complètement à
poil on se baigne. Pas de marques de maillot comme ça. Tu pourras
venir si tu veux.
On
est passés à table.
– Alors ?
Qu’est-ce t’en dis ?
Elle
en disait que… Que c’était bien… Que c’était même très
bien.
– Oui,
hein ! Oh, mais je sais ce que tu penses. T’y crois pas une
seule seconde qu’on couche pas.
Alexandra
a fait mine de protester.
– Mais
si ! Bien sûr que si que c’est ce que tu penses ! C’est
trop le schéma classique, attends ! La petite étudiante sans
le sou avec le quinquagénaire bourré de thunes. Qui l’entretient.
Qui lui offre tout ce qu’elle veut. En contrepartie de quoi elle
écarte les cuisses. C’est ce que tout le monde s’imagine.
Forcément. Eh ben, c’est pas ça du tout. Bien sûr qu’on en a
des moments érotiques. Souvent. Et intenses. À notre façon à
nous. Mais on couche pas. Non, non et non. Ça gâcherait tout. Et on
se perdrait.
C’était
pas vraiment qu’elle y croyait pas, Alexandra. C’était…
– Qu’il
y a pas grand-monde qu’est capable de ça. Alors que presque tout
le monde en rêve. Et, du coup, on préfère se persuader que c’est
pas possible. On n’a pas envie de se dire qu’il y en a qui y
arrivent.
Dans
la foulée, Clorinde a évoqué ses mecs.
– Et
il y en a eu ! Mais bof ! Ça cassait pas trois pattes à
un canard. J’en ai fait le tour. C’est toujours à peu près
pareil finalement, hein ! Avant tu t’imagines des tas de
trucs, mais une fois que t’es avec, le type ! Alors je cherche
plus. C’est trop décevant. Et puis je suis bien comme je suis. Un
petit coup vite fait, comme ça, à la rigueur, si l’occasion se
présente, mais ça s’arrête là. Et toi ?
Elle
a hésité.
– Oh,
moi !
Haussé
les épaules.
– J’ai
quelqu’un, oui, mais qu’est marié.
– Et
t’espères que…
– Qu’il
quitte sa femme ? Non. De toute façon je suis pas sûre qu’au
quotidien avec lui… Alors je prends les bons moments. Sans trop me
poser de questions.
43-
Le
lendemain matin, devant son café au lait, elle tirait une tronche de
douze kilomètres.
– Holà !
Ça va pas, toi !
Ah,
non, ça allait pas, non !
– Faut
que j’aille à la fac. Je peux pas y couper : il y a un
partiel. Et ça m’emmerde ! Si vous saviez ce que ça
m’emmerde. Parce que, de toute façon…
Elle
a soupiré, léché sa cuillère.
– Vu
que j’ai strictement rien révisé… Bon, mais vous allez faire
quoi, vous, pendant ce temps-là ?
– Un
petit tour à la pétanque, sûrement !
– Ben,
tiens ! Bonne chance alors ! Vous me raconterez ?
– Tu
sais bien que oui !
Mégane
était là, toute seule, fidèle au poste, à s’entraîner.
– Vous
allez croire que j’y passe ma vie, mais il me reste tout un tas de
congés à prendre. Alors j’en profite. Et puis il faut bien que de
temps en temps, il y ait quelqu’un qu’assure une permanence ici.
Bon, mais vous voulez jouer ?
C’était
pas de refus, oui.
– Et
moi, ça m’arrange. Parce que jouer toute seule, c’est pas
vraiment l’idéal.
On a
équitablement entrelacé parties et pauses. Des pauses dont j’ai
profité pour essayer de la faire parler un peu d’elle. De son
métier.
– Oui,
oh, vous savez, caissière en grande surface, ça n’a rien
d’exaltant.
De
ses hobbies.
– À
part la pétanque, je peux pas dire qu’il y ait grand-chose qui me
passionne.
Elle
avait des enfants ?
Oui,
oh, alors là, c’était un sujet… Elle aurait aimé, oui.
Évidemment qu’elle aurait aimé. Comme tout le monde. Seulement…
– Votre
mari n’en veut pas.
– C’est
pas qu’il en veut pas, c’est que…
Elle
a marqué un long temps d’arrêt.
– Il
m’a pas touchée depuis six mois.
– Ah !
Elle
a haussé les épaules.
– Ce
qui revient au même, finalement.
Je
voulais pas être indiscret, mais…
– Il
a quelqu’un d’autre ?
Peut-être.
Elle savait pas. Il y avait des jours où elle se disait que oui,
forcément, il avait une maîtresse. Et d’autres, où elle n’était
plus certaine de rien.
– Ce
qu’il y a de sûr, par contre, c’est qu’il me voit plus. Je
suis complètement transparente à ses yeux. Et ça fait mal. Vous
pouvez pas savoir ce que ça fait mal. Et comment voulez-vous, en
dehors du fait qu’il se passe plus rien entre nous sur le plan
sexuel, comment voulez-vous que je puisse envisager d’avoir des
enfants avec lui ? Alors que j’arrête pas de me demander
combien de temps ça va pouvoir encore durer comme ça tous les
deux ? Si c’est pour qu’on se sépare six mois après et que
le gamin soit ballotté en permanence de droite et de gauche, non,
merci bien.
– Vous
l’aimez encore ?
Elle
a poussé un profond soupir.
– Que
je l’aie aimé, ça, c’est sûr. On a eu trois ans de pur
bonheur. Sans le moindre nuage. Et puis, petit à petit, ça s’est
effiloché. Comment ? Pourquoi ? Ça reste pour moi un
mystère. Peut-être qu’il y a un cap qu’on n’a pas su
franchir. Ou que c’est dans l’ordre des choses. Ce que j’éprouve
pour lui maintenant ? Franchement, je sais pas. Je sais plus.
Peut-être que le mot qui conviendrait le mieux, ce serait affection.
Une certaine affection. Et c’est horrible, si on y réfléchit
bien.
Elle
s’est levée.
– Mais
je vous embête avec mes histoires.
– Pas
du tout, non.
– Allez,
venez, on joue.
44-
Elle
a jeté son sac sur le fauteuil, près de l’entrée.
– Alors !
La bouliste ? Eh ben, racontez, quoi !
Elle
m’a écouté, jusqu’au bout, sans jamais m’interrompre, avec
infiniment d’attention.
– C’est
tout ?
C’était
tout, oui.
– C’est
clair comme de l’eau de roche où elle veut en venir, attendez !
Parce qu’une nana qui fait des confidences comme ça à un type
qu’elle a à peine vu trois fois, elle a forcément des idées
derrière la tête. Et là, elle y est pas allée par quatre chemins,
elle. « Il y a six mois qu’il m’a pas tirée. » Si
c’est pas un appel du pied, ça, à moi la peur ! Et je donne
pas huit jours avant que vous l’ayez grimpée dans votre lit.
Maintenant, je sais pas. Peut-être que c’est le genre avec qui il
va falloir que vous mettiez quand même un peu les formes. Qui veut
pas admettre que c’est juste un plan cul. Qui va vous demander
d’être son confident pour enrober tout ça. Qui en a peut-être
réellement besoin, d’ailleurs. Mais de toute façon, à l’arrivée,
le résultat sera le même. Ce sera nique-nique. Et je la comprends,
la pauvre ! Parce que si c’est être mariée pour jamais voir
le loup… Et à trente ans en plus…
Elle
a esquissé un petit sourire mutin.
– Pourquoi
tu te marres ?
– Non.
Pour rien. Je pense à un truc.
– Ben,
dis !
– Oh,
non ! Vous allez me trouver vraiment très très tordue.
– Mais
si ! Dis !
– Non.
Ce que j’imaginais, c’est que c’était à l’hôtel là-bas
que vous alliez la retrouver. Dans la chambre même où son mari
s’envoie en l’air avec sa collègue Alexandra.
– C’est
vrai que t’es particulièrement tordue. Mais c’est aussi ce qui
fait ton charme. Entre autres choses, bien sûr !
– Bon,
mais en attendant, puisqu’on parle d’Alexandra, vous savez ce que
j’ai fait aujourd’hui ?
– T’avais
pas un partiel ?
– Si !
Mais je me suis tirée au bout de dix minutes. Ça servait à rien
que je reste. Quand on sait pas, on sait pas. Et donc, je suis passée
lui rendre une petite visite à Alexandra, histoire de voir comment
elle avait vécu notre petite soirée d’hier et, surtout, ce
qu’elle avait pensé de vous. Elle avait pas beaucoup de temps à
m’accorder, parce qu’elle partait bosser, mais j’ai pas été
déçue du voyage.
– Comment
ça ?
– Ben,
vous lui avez carrément tapé dans l’œil, oui ! Elle a pas
arrêté de me chanter vos louanges. Sur tous les tons. Comment vous
êtes calme ! Rassurant ! Et puis beau avec ça ! « Il
a vraiment un charme fou… » Non, mais alors là, elle me
comprenait pas. Pas du tout ! « Je peux te dire que moi,
je vivrais sous le même toit qu’un type comme ça, je me poserais
pas de questions, alors là, je foncerais ! » Oh, mais
elle pouvait, hein ! Je n’y voyais pas, pour ma part, le
moindre inconvénient. Qu’elle se fasse plaisir ! Qu’elle
s’éclate ! Ben, franchement, elle avait bien envie de se
laisser tenter. Parce qu’il y avait des éternités qu’un type
l’avait pas remuée comme ça. Et donc, à moins qu’elle vous
inspire vraiment pas…
– Tu
sais bien que si !
– Ah,
ben ça, vous me diriez le contraire. Vu comment vous lui matez le
cul chaque fois que l’occasion se présente… Bon, ben il y a plus
qu’à l’inviter. Et le plus tôt sera le mieux. Comment vous
allez jouer sur du velours, vous, n’empêche…
– Mais
son magnétiseur, là ?
– Lui ?
Il n’en a pas été du tout question. Mais, à mon avis, c’est
pas le genre de fille à qui ça pose un problème de courir deux
lièvres à la fois. À vous non plus, j’espère ! Parce que,
si tout se passe bien, vous allez être pris entre deux feux, là. La
maîtresse et la légitime. C’est pas banal, avouez, comme
situation. Je me demande d’ailleurs si moi, pendant ce temps-là,
je vais pas s’occuper de son cas, du coup, au magnétiseur.
Histoire de faire bonne mesure. Oui, je crois bien que moi aussi, je
vais me laisser tenter.
45-
Elle
a voulu qu’on aille passer la nuit « chez elle ».
– Parce
que le pauvre Vincent, à côté, si sa douche est toujours pas
réparée, il doit commencer à puer.
Elle
s’est déshabillée, allongée toute nue sur le lit. Sans l’ouvrir.
– Non,
et puis c’est bien beau Alexandra, Mégane, le magnétiseur, tout
ça, mais il faut aussi qu’on soit dans notre truc à nous. Parce
que c’est ça le plus important, non ?
J’en
étais bien d’accord. Et je suis venue m’étendre auprès d’elle.
Elle
m’a posé la main sur la queue.
– Même
qu’on couche pas, j’ai des droits dessus. Bien plus que n’importe
qui d’autre.
Elle
me l’a lissée. Du bout du doigt. L’a fait grimper. Contemplée.
A déposé un petit baiser au bout.
– On
fait quoi ? Qu’est-ce vous avez envie ?
Je
savais pas. Ce qu’elle voulait, elle. Qu’elle décide !
– C’est
toujours moi ! Vous êtes pas marrant à force.
Elle
s’est soulevée, appuyée sur un coude.
– C’est
trop marrant des couilles, n’empêche !
J’ai
senti son souffle dessus. Elle leur a envoyé une petite pichenette.
Une autre.
– C’est
complètement improbable en fait comme truc.
Elle
en a pris la peau entre ses dents, a serré, relâché.
– Faudra
que je vous les morde un jour… Un bon coup. Un jour que j’en
serai bien. Bon, mais allez ! Qu’est-ce qu’on fait ?
Elle
s’est penchée à mon oreille. A chuchoté, rieuse.
– On
le fait s’astiquer, le Vincent, là, de l’autre côté ?
Elle
a sorti son petit enregistreur.
– Qu’est-ce
que je vais lui choisir ? Oui, cette fois-là, tiens !
C’était à l’hôtel. Et je savais qu’on pouvait m’entendre
autour. Un type surtout qu’avait pas arrêté de me lorgner de tout
le repas.
Elle
a mis en mode lecture. Ses soupirs. Ses halètements. Ténus d’abord.
Retenus.
On
s’est levés sans bruit. On s’est approchés de la cloison. On y
a collé l’oreille.
Elle
m’a fait signe, de sa main refermée, agitée de haut en bas. Et de
bas en haut. « Ça y est ! Il y va. »
C’était
vrai. On percevait un souffle précipité, accompagné de légers
crissements réguliers de matelas.
Sur
le lit, dans le petit enregistreur, elle s’est emballée. En
grondements sourds. Qui se sont amplifiés. Qui sont devenus
raz-de-marée de jouissance éperdue. Clamée à pleine voix.
Elle
s’est silencieusement accompagnée, l’index en tourbillons
impétueux sur son bouton, l’oreille plaquée contre la cloison,
les yeux fixés sur ma queue dressée dont je m’occupais avec
conviction.
À
côté, il est allé plus vite, plus profond. Il a lâché un cri
étouffé. Un seul.
Elle
a fermé les yeux, renversé la tête en arrière, entrouvert la
bouche. Et joui sans bruit. Et puis elle s’est penchée à mon
oreille.
– Qu’est-ce
que vous pariez que demain il va se pointer à la première heure ?
En se disant qu’avec un peu de chance je serai à moitié à poil.
Ce
qui n’a pas loupé.
Sauf
qu’elle s’était levée avant. Et habillée.
Dans
son regard est passé un éclair de déception. Qu’il a très vite
réprimé.
Elle
lui a souri.
– Votre
chauffe-eau est toujours pas réparé ?
– Je
sais pas s’il le sera un jour. Pour avoir un professionnel au jour
d’aujourd’hui, c’est la croix et la bannière.
Ben
tiens ! Il devait pas trop les bousculer non plus.
Quand
il est sorti de la douche, elle lui a tendu un double des clefs.
– On
risque d’être absents quatre-cinq jours. Alors hésitez pas, hein,
venez vous doucher. Faites comme chez vous !
46-
Mégane
n’était pas sur le terrain. Elle s’était réfugiée à
l’intérieur. Et elle pleurait à chaudes larmes.
– Ben,
qu’est-ce qui vous arrive ? C’est quoi, ce gros chagrin ?
– Rien.
C’est rien.
– Mais
si ! Dites !
– C’est
que…
Et
ses larmes ont redoublé. Se sont transformées en sanglots.
– Allons !
Allons !
Je
l’ai prise dans mes bras. Elle s’est abandonnée contre moi. Je
lui ai doucement caressé la joue. La tempe. La nuque.
Elle
s’est calmée, a relevé la tête, m’a souri à travers ses
larmes.
– Venez
vous asseoir. Venez !
Sur
le banc à côté des casiers. Je lui ai pris la main, ai entrecroisé
mes doigts avec les siens. Elle m’a encore souri.
– C’est
votre mari, hein !
Elle
a fait signe que oui. Oui.
– Il
a été odieux. Plus bas que terre il m’a mise. Que je suis
invivable. Que personne pourrait me supporter. Personne. Et qu’il
se demande ce qu’il fout encore avec moi.
Elle
s’est tue. J’ai posé sa main sur ma cuisse. Elle l’y a
laissée, a levé sur moi un regard bouleversé.
– Vous
me trouvez moche, vous ?
– Jamais
de la vie ! Vous êtes mignonne comme tout.
– Vous
dites ça pour me faire plaisir.
– Je
vous assure que non.
– C’est
gentil. Et ça fait du bien. Parce que c’est pas facile à vivre,
vous savez, quand votre mari vous trouve tous les défauts du monde.
– Oui,
mais enfin, il a pas toujours dit ça…
Clorinde
s’est étirée.
– Oui.
Bon, bref. Vous avez fait la causette. Un bon bout de temps. Elle, à
se lamenter. Et vous, à la consoler. Et puis après, vous l’avez
embrassée. Non ?
– Un
peu.
– Tu
parles ! Je suis bien tranquille que vous vous êtes roulé
pelle sur pelle un sacré moment, oui ! Et que vous, vous, en
avez profité pour laisser traîner vos paluches ici et là. C’est
pas vrai peut-être ? Bon, mais alors finalement, vous l’avez
décroché le jackpot ou pas ?
– Sur
le banc, avec le risque que quelqu’un déboule à tout moment, les
conditions n’étaient pas vraiment idéales.
– Et
donc, la partie de jambes en l’air est reportée à une date
ultérieure. C’est pour bientôt ?
– On
doit déjeuner, demain midi, dans une petite auberge de campagne, à
l’écart de tout.
– Avec
des chambres au-dessus, j’imagine. Je suis pas sûre que ce soit
une bonne idée.
– Ah,
non ? Pourquoi ?
– Parce
que vous n’avez plus vingt ans. Et qu’une rude soirée vous
attend. J’ai invité Alexandra.
– Oui,
mais Alexandra…
– N’attend
que ça. Vous entendriez comment elle parle de vous. « J’ai
jamais eu autant envie avec un type. Jamais. Rien qu’à le voir,
rien qu’à penser à lui, tu peux pas savoir ce que ça me fait.
Non, mais comment il est séduisant, c’est de la folie. Et patati
et patala. » Vous allez quand même pas la laisser dans cet
état-là ! Ce serait inhumain. Et puis, de toute façon, vous
aurez pas le choix.
– Comment
ça ?
– Je
recevrai un coup de téléphone urgent. Et je serai obligée de vous
laisser tous les deux.
– T’as
calculé ça avec elle, je suis sûr.
– Ben,
évidemment !
– Tu
es démoniaque.
– Comme
si vous le saviez pas déjà !
47-
Elle
a jeté son sac sur la petite table de l’entrée.
– Changement
de programme !
– Hein !
Elle vient plus, Alexandra ?
– Oh,
mais paniquez pas comme ça ! Si ! Enfin non ! Non, ce
qu’il y a, c’est qu’on a encore discuté toutes les deux et que
ce qu’elle aimerait, c’est que ce soit en boîte qu’ils se
passent les travaux d’approche. C’est son truc à elle, ça !
Parce que son premier mec, celui qui l’a dépucelée, c’est là
que… Enfin bref, je vous passe les détails. Toujours est-il qu’on
ira en boîte. Et que je me tirerai vite fait. Comme convenu.
D’autant que j’ai rendez-vous avec son magnétiseur d’amant,
là.
– Ah,
oui ? Ça y est ! Et elle est au courant ?
– Ça
va pas, non ? Vous êtes pas bien ? Il y a des choses qui
ne se font pas. Parce qu’elle a beau dire qu’elle en a rien à
foutre, que c’est juste pour le cul avec lui, dans ce genre de
situation, t’as tout intérêt à marcher sur des œufs. Parce
qu’il y a des nanas, c’est quand on veut leur piquer le mec
auquel elles tiennent soi-disant pas qu’elles en tombent
amoureuses. Et ça vous retombe sur le coin de la figure. Vous
devriez savoir ça depuis le temps.
– Et
alors Mégane ce soir, du coup, elle va se retrouver toute seule.
– Pas
grave. Elle passera la soirée à penser à vous. Ce n’en sera que
meilleur demain. Pour elle comme pour vous.
C’est
d’abord Clorinde que j’ai invitée à danser.
– Vous
voulez faire diversion, oui, je comprends bien, mais ça vous sert
strictement à rien. Parce que vous jouez sur du velours, je vous
dis ! Elle va vous tomber toute rôtie dans le bec. Alors
allez-y ! Foncez !
– Oui,
mais…
– Mais
quoi ?
– J’ai
aussi envie de danser avec toi.
– C’est
gentil, mais on en aura d’autres, des occasions. Plein d’autres.
Parce que je sais pas si vous avez remarqué, mais on vit ensemble au
quotidien, hein ! Je file n’importe comment. Henri m’attend.
Et
j’ai fait danser Alexandra. Qui a suivi des yeux Clorinde en train
de prendre la poudre d’escampette.
– Elle
va où ?
– Aucune
idée. Elle me dit pas tout, hein ! Elle vit sa vie de son côté.
Et moi, la mienne du mien. Mais, la connaissant, il y aurait quelque
séduisant jeune homme là-dessous… À l’attendre quelque part…
On
s’est souri.
Elle
s’est abandonnée plus librement contre moi. Mes mains sont
descendues, sont venues se loger au creux de ses reins. Juste
au-dessus des fesses. Elle a posé sa tête contre ma poitrine. Et on
s’est tus.
Mon
souffle dans ses cheveux. Elle a eu un imperceptible frémissement.
Je les ai effleurés de mes lèvres. Sa poitrine s’est soulevée
plus vite. En bas je me suis dressé vers elle, pressé contre elle.
Elle n’a pas tenté de se dérober. Elle a levé vers moi des yeux
pleins de désir. Je me suis penché. Et nos lèvres se sont jointes.
Un
quart d’heure plus tard, on était chez moi.
48-
Je
me suis réveillé en sursaut. J’ai tâté l’absence à mes côtés
et je me suis précipité à la cuisine où ne se trouvait que
Clorinde.
– Elle
est partie Alexandra ?
Elle
a tranquillement vidé sa tasse.
– Il
est dix heures, je vous ferai remarquer. Et elle a un métier, elle !
– Tu
l’as vue ? Elle t’a dit quelque chose ?
– Oh,
plein de choses ! Fort intéressantes d’ailleurs ! Non,
parce que, si je veux me faire une idée de la façon dont vous
baisez, vu que je peux pas juger moi-même sur pièces, le mieux,
c’est encore que je me renseigne. Et vous vous en êtes pas si mal
sorti que ça, à ce qu’il paraît. Mais enfin, faut bien
reconnaître aussi que vous avez bénéficié d’un préjugé
favorable au départ. Très favorable. Elle était de parti pris,
Alexandra. Elle est enchantée, ce qu’il y a de sûr. Et vous
pouvez remettre le couvert quand vous voulez. La prochaine fois, si
tout se passe bien, vous aurez même droit à une petite pipe. Elle a
pas osé hier. Parce qu’au début, comme ça, elle avait peur de ce
que vous pourriez penser d’elle. Mais elle en crevait d’envie.
N’empêche… Qui aurait cru, hein ? Qui aurait cru, le jour
où on s’est mis à la suivre parce que vous aviez flashé sur son
cul, qu’elle se retrouverait dans votre lit ? C’était pas
gagné. Après, reste à savoir comment ça va tourner, tout ça.
– Comment
ça va tourner ?
– Ben
oui. Oui. Parce que vous êtes libre. Et elle aussi. Alors il y a
toutes les chances qu’il lui pousse des idées derrière la tête.
Si c’est pas déjà fait…
– C’est
pas l’impression qu’elle m’a donnée.
– Oui,
non, mais ça, évidemment ! Évidemment ! Une nana,
aujourd’hui, elle se pointe pas comme ça, tranquille, la fleur au
fusil : « Coucou, c’est moi ! Je viens te mettre le
grappin dessus. » Non. Elle se la joue fine. Elle te fait
croire ce que t’as envie de croire. Que c’est juste pour prendre
du bon temps. Qu’elle a pas l’intention de s’investir le moins
du monde. Et puis, petit à petit, elle grignote. Elle gagne du
terrain. Elle t’enrobe. Et, au final, tu te retrouves installé
avec sans trop savoir au juste comment ça s’est passé. T’es
piégé. Et alors après, pour réussir à te dégager… Surtout
vous ! Je vous vois mal dans le rôle.
– Pourquoi
tu me dis tout ça ? Tu sais quelque chose ? Elle t’a
fait ses confidences ?
– Pas
vraiment, non ! Mais je sais lire entre les lignes. Après,
c’est vous que ça regarde, hein ! Vous faites bien ce que
vous voulez… Mais je vous aurai prévenu. Vous courez des risques.
Surtout que…
– Que
quoi ?
– Qu’elle
commence à en avoir soupé de son magnétiseur. Et qu’elle se
demande ce qu’elle fout encore avec. Ce que je peux comprendre.
Parce que des nuits aussi nulles que celle que je viens de passer,
j’en ai rarement connu. Non, mais attendez ! Le mec qui
débande quand vous l’avez dedans, c’est quand même pas banal.
Il a passé son temps à ça. Bander. Débander. Rebander.
Redébander. Et à s’excuser. Qu’il était désolé. Que j’étais
une fille hyper attirante pourtant. Qu’il avait une envie folle de
moi. Alors il comprenait vraiment pas ce qu’il se passait.
Peut-être les médicaments. On lui avait changé son traitement. Ce
dont j’avais strictement rien à foutre. Que ce soit ça ou autre
chose, moi, un mec qu’arrive pas à me satisfaire, j’ai pas
l’intention de perdre mon temps avec.
– Mais
Alexandra…
– On
l’a entendue jouir, oui, je sais… Mais apparemment c’est plus
vraiment le cas. Depuis un bon petit moment déjà. Bon, mais et
vous ?
– Quoi,
moi ?
– Vous
êtes monté deux fois à l’assaut cette nuit, à ce qu’elle m’a
dit. Deux fois et demi même. Vous croyez que vous allez pouvoir
assurer avec la Mégane, là ? Surtout que, si elle a pas vu le
loup depuis des mois, comme elle le prétend, elle va être sacrément
demandeuse.
– On
verra. Je te dirai.
– Oh,
oui, hein ! Avec tous les détails. Je veux tout savoir.
49-
Mégane
était déjà là.
On
s’est précipités dans les bras l’un de l’autre.
Il
était tôt. Trop tôt pour passer à table.
– Vous
voulez qu’on fasse quoi en attendant ?
Elle
a souri.
– Qu’on
se tutoie.
– Bien.
Alors… Tu veux qu’on fasse quoi ?
Elle
a haussé les épaules.
– N’importe !
Et
on s’est promenés, main dans la main, dans le petit parc autour de
l’auberge.
– Tu
sais quoi ? J’ai failli pas venir.
– Ah,
oui ! Et pourquoi donc ?
– Parce
que… Parce que j’avais peur de ce que t’allais penser de moi.
J’ai
froncé les sourcils.
– Ben
oui, attends ! Tout juste si on s’est vus trois fois et je me
jette à ton cou. Alors tu serais en droit de penser…
– De
penser quoi ?
Elle
a cherché ses mots.
– Que
je suis… Que je n’ai pas… C’est la première fois, tu sais !
Que je fais ça. Que je rencontre un homme en cachette. Depuis que je
suis mariée, c’est la première fois. Si, c’est vrai, hein !
– Mais
j’ai jamais prétendu le contraire.
Clorinde
a levé les yeux au ciel.
– Oh
là là ! Mon pauvre ! Vous avez tiré le gros lot, là. La
fille qui veut, mais qui veut pas. Tout en voulant quand même. Qui
transpire la culpabilité de partout, c’est la purge, ça !
Vous avez pas fini de vous en voir. Vous avez réussi à la tirer au
moins ?
– Une
fois avant de passer à table. Et une fois après.
– Ah,
quand même ! Et c’était bien ?
– Disons
qu’elle avait beaucoup d’appétit.
– Tu
m’étonnes ! La nana qu’a rien vu venir depuis des mois…
Bon, mais racontez, quoi !
– Qu’est-ce
tu veux que je raconte ?
– Faites
bien l’imbécile ! Ben, comment ça s’est passé, tiens !
– Le
premier coup, c’était un peu empoté. Mais alors le deuxième
coup, par contre…
– Elle
s’est lâchée…
– C’est
le moins qu’on puisse dire… Pour donner de la voix, elle a donné
de la voix, ça !
– Elle
est bien fichue ? De corps ? Elle est bien fichue ?
– Elle
a des seins magnifiques. Juste comme il faut. Bien en chair. Mais pas
trop quand même. Et puis alors réactifs d’une force ! Quand
tu en prends les pointes dans la bouche…
– Elle
vous a sucé ?
– Pas
encore, non !
– Et
vous ? Vous lui avez fait minette ?
– Non
plus.
– Et
après ? Quand vous avez eu fini ? Elle vous a reparlé de
son mari, je suis sûre.
– Un
peu.
– Ben,
tiens ! Et elle vous a dressé une liste de griefs contre lui
longue comme ça. Histoire de se dédouaner de l’avoir trompé.
Bon, mais vous vous revoyez quand ?
– Après-demain.
En principe…
– Déjà !
Eh, mais c’est que vous allez être très très pris, là !
Mégane. Alexandra. Oubliez pas un truc, hein, dans tout ça. C’est
que je suis prioritaire.
50-
– Oh,
vous vous réveillez ?
Je
me suis redressé d’un bond, le cœur battant à tout rompre.
– Hein ?
Quoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ?
– Ah,
quand même ! Eh, ben dis donc, ça vous réussit pas à vous, à
ce qu’on dirait, de baiser à tout-va.
– Tu
m’as fait une de ces frayeurs !
– Oh,
le pauvre chéri ! Bon, mais dépêchez-vous ! On va être
en retard.
– En
retard ? Mais pour quoi faire ? On va où ?
– Là-bas.
Chez moi. Grouillez, j’vous dis ! Habillez-vous ! Je vous
expliquerai dans la voiture.
Au-dehors
il faisait encore nuit noire.
– Forcément !
Il est que six heures. Vous avez pas une petite idée de ce qu’on
va faire ?
– Pas
la moindre, non.
Elle
a soupiré.
– Faut
vraiment tout vous expliquer à vous, hein ! Bon alors… le
Vincent dans l’appart à côté qu’a son chauffe-eau en panne, à
qui j’ai donné un double des clefs pour qu’il puisse venir se
laver, il en a profité pour faire quoi à votre avis ?
– Fouiller
un peu partout ?
– Il
y a toutes les chances, oui. Et à la recherche de quoi ? Vous
savez pas ? Même pas une petite idée ? Faut tout vous
expliquer à vous, hein ! Ben, de mes petites culottes, tiens !
Qu’il a trouvées. Forcément. C’était pas bien difficile. Et il
en a fait quoi ? Ben, il est allé se jeter sur notre lit avec,
tiens ! Là où il s’imaginait nous avoir entendus baiser. Il
a enfoui sa tête dans mon oreiller, dans mon parfum, et il s’est
acharné sur sa queue comme un forcené. Et vous pouvez être
tranquille qu’il a pas mis trois heures à décharger, alors là !
– Ça
se tient, ton truc.
– Un
peu que ça se tient. Et même que, dans la foulée, il est resté
carrément dormir dans notre lit. Il y dort tous les soirs, vu qu’il
est convaincu qu’on y reviendra pas tout de suite. Et donc…
– On
va aller le prendre sur le fait.
– Voilà.
Vous avez tout compris. Et on risque de bien s’amuser, non, vous
croyez pas ?
Elle
a collé son oreille à la porte, mis un doigt sur ses lèvres et
chuchoté.
– Il
est là. Il ronfle. Allez ! À la une, à la deux et à la
trois !
Elle
a ouvert la porte en trombe, a allumé la lumière.
Il
s’est assis dans le lit, hirsute, l’air affolé.
– Je…
– Vous,
quoi ? Et qu’est-ce que vous fichez dans mon plumard d’abord ?
– Rien.
Rien. Je passais.
Elle
a froncé les sourcils.
– Vous
passiez ?
– Oui,
mais je m’en vais. Je m’en vais. Je pars.
Il
s’est précipitamment levé, s’est jeté sur son pantalon de
pyjama. Qu’elle ne lui a pas laissé le temps d’enfiler. Qu’elle
lui a arraché des mains.
– Ah,
non, vous ne partez pas, non ! Pas avant de m’avoir expliqué
ce que vous faisiez là. Eh bien ? J’attends.
– Je…
– Oui ?
Elle
a brusquement poussé un cri horrifié.
– Mais
c’est ma culotte, là, par terre ! C’est ma culotte !
Ah, mais je comprends mieux. Vous vous branliez dedans, hein, grand
dégoûtant que vous êtes !
– Mais
non, mais…
– Bien
sûr que si ! Allez me la chercher !
Il
la lui a tendue, tête basse, la queue pendouillant entre les jambes.
Elle
l’a giflé avec. Par deux fois.
– Fichez-moi
le camp ! Allez, ouste ! Dehors !
Et
elle l’a expédié tout nu dans le couloir.
51-
Une
fois la porte refermée, elle a été prise d’un immense fou rire.
– Sa
tête ! Non, mais sa tête ! Comment il était trop
marrant ! Vous avez vu ça ? Oh, mais on va pas s’arrêter
en si bon chemin. On va te lui mijoter un de ces petits feux
d’artifice qu’il va s’en souvenir un sacré moment.
Elle
s’est laissée tomber de toute sa hauteur sur le lit.
– Bon,
mais en attendant on va s’occuper de nous. Parce que c’est bien
beau les deux autres, là, avec qui vous vous envoyez allègrement en
l’air, mais si j’y mets pas un peu du mien, si je reprends pas la
main, il va plus y en avoir que pour elles et vous allez me mettre
vite fait sur la touche.
– Tu
sais bien que non.
– Oui,
oh, alors ça ! Ben, venez là ! Sur le lit avec moi.
Restez pas planté. Et dites-moi : de quoi vous avez envie ?
Elle
a soupiré.
– Je
sais ce que vous allez dire. Je le sais. Que j’ai qu’à choisir.
Vous êtes d’un chiant avec ça ! Finalement…
Elle
s’est redressé sur un coude.
– Finalement,
ce que ça veut dire, si on y réfléchit bien, c’est que vous en
avez rien à battre, qu’il y a rien qui vous tente vraiment avec
moi.
– Ah,
tu crois ça, toi !
– Ben,
prouvez-moi le contraire alors !
– Ce
dont j’ai très envie, là, maintenant, tout de suite, c’est de
te regarder en bas.
– De
me regarder ? Ma chatte ? Mais vous l’avez déjà vue des
milliers de fois !
– Je
m’en lasse pas.
– Dans
ces conditions…
Et
elle a retiré son pantalon. Voulu faire glisser la culotte.
– Attends !
Attends ! Que je te la devine d’abord à travers.
Elle
a ri.
– Oh,
mais c’est qu’on serait fin gourmet…
Je
me suis penché. Approché. Penché encore.
Elle
a remonté la culotte qui lui a épousé les lèvres au plus près.
Qui les lui a sculptées.
J’ai
posé les mains sur ses hanches et je me suis absorbé dans ma
contemplation.
Elle
a murmuré.
– Je
sens votre souffle. Même à travers. Il est tout chaud.
Une
petite tache humide a perlé.
– Tu
aimes que je te regarde ?
Elle
n’a pas répondu. La tache s’est étendue.
J’ai
glissé mes deux pouces, de chaque côté, sous l’élastique. Elle
a soulevé les fesses pour laisser passer. Je la lui ai descendue.
Complètement retirée. Elle s’est ouverte un peu plus au large. Et
je suis revenu à son encoche ciselée. Je me suis enivré, du
regard, de ses replis nacrés. De ses méandres ourlés.
Un
peu de mouille a ruisselé le long de sa fesse. Je l’ai recueillie
du bout du doigt, portée à mes lèvres.
– Tu
as bon goût.
Elle
m’a doucement repoussé.
– Chut !
Il faut pas abuser des bonnes choses. Jamais.
Elle
s’est penchée, m’a effleuré les lèvres des siennes.
– La
prochaine fois vous pourrez avec votre langue, si vous voulez.
Tu
parles si je voulais !
– Quand ?
– Bientôt.
Faut qu’on profite à plein l’un de l’autre n’importe comment
parce que…
Elle
n’a pas achevé.
– Parce
que quoi ?
– Non,
rien. J’ai pas envie d’en parler.
52-
– Alors ?
Votre journée ? Vous l’avez vue, Mégane ? Oui ? Et
c’était bien ?
– Plus
que bien. Elle se laisse de plus en plus aller. Une vraie boule de
jouissance. Faut dire aussi qu’avec tout le retard qu’elle a à
rattraper…
– Ah,
ça ! Oui, mais faites gaffe alors ! Elle va vous mettre
sur les rotules à force. D’autant qu’il faudrait pas que vous
oubliiez que vous avez aussi Alexandra à satisfaire !
– Mais
j’oublie pas !
– Tiens,
d’ailleurs, à propos, je l’ai vue, elle, cet après-midi…
– Ça
allait ?
– Ça
allait, oui ! On a beaucoup parlé toutes les deux. Et elle
envisage très sérieusement de mettre un terme à sa relation avec
notre magnétiseur, là. Ce que je peux parfaitement comprendre,
maintenant que j’ai baisé avec.
– Tu
lui as dit ?
– Que ?
Je me l’étais tapé ? Ça va pas, non ! Vous me prenez
pour une demeurée ? C’était la dernière des choses à
faire. Mais elle, par contre, elle a été en veine de confidences.
En fait, contrairement à ce qu’on a pu croire, vous et moi, ça a
jamais été vraiment folichon entre eux, côté cul. Le plus
souvent, elle faisait semblant.
– Pourquoi
elle restait avec alors ?
– Par
habitude. Pour pas être toute seule. Pour se donner l’illusion
d’avoir quelqu’un. Ou tout ça ensemble. Il peut y en avoir plein
des raisons. Mais enfin toujours est-il que ça n’a plus beaucoup
d’importance maintenant. Parce qu’elle va le quitter. C’est
quasiment fait. Et c’est de votre faute.
– De
ma faute ? Comment ça, de ma faute ?
– Vous
êtes tout seul. Vous êtes libre. Et vous avez tout plein d’autres
qualités. Alors forcément une nana, ça lui donne envie de vous
mettre le grappin dessus.
– Oh,
tu crois ?
– Je
crois pas. Je suis sûre. Seulement vous, les types, c’est le genre
de choses que vous voyez pas. Ou bien alors quand il est trop tard,
que le mal est fait, que vous êtes complètement englués. Mais bon,
je vous aurai prévenu, hein ! Elle va sortir le grand jeu. Tout
faire pour vous enfumer. Tenez-vous le pour dit. Parce que je serai
peut-être pas toujours derrière vous pour veiller au grain.
– Ce
qui signifie ?
– Non,
rien. Allez nous chercher le Vincent à côté, tiens, plutôt !
Ça nous distraira un peu.
J’ai
frappé. Il a entrouvert la porte.
– Ah,
c’est vous. Entrez ! Je suis désolé, hein, pour ce matin.
– Elle
veut vous voir.
– Là ?
Maintenant ? Tout de suite ?
– Ben
oui, maintenant, pas dans six mois.
– Elle
est très fâchée ?
J’ai
haussé les épaules.
– Oui,
bon, j’arrive. J’arrive.
Elle
s’est redressée de toute sa hauteur.
– Ah,
vous voilà, vous ! Vous êtes content de vous ?
Il
s’est littéralement liquéfié.
– Oui…
Non… C’est que…
– Parce
que moi j’ai la gentillesse de vous rendre service. Et vous, vous
en profitez pour vous comporter comme le dernier des grands
dégoûtants. Ah, c’est bien ! Bravo ! Bravo !
– Mais
non, mais…
– Mais
quoi ? Qu’est-ce que vous allez bien pouvoir trouver pour
justifier ça ? Hein ? Alors ? J’attends. J’écoute.
Il
n’a pas répondu. Il a baissé la tête en jouant nerveusement avec
ses doigts.
– Rien.
Évidemment, rien. Ça peut pas se justifier, un truc pareil. Bon,
mais vous savez pas ce que je vais faire, moi, du coup ? Mettre
tout l’immeuble au courant qu’il y a un pervers qui y habite.
– Vous
n’allez pas faire ça ?
– Je
vais me gêner ! C’est faire œuvre de salubrité publique
n’importe comment. Il faut bien que les femmes sachent à quoi s’en
tenir avec vous, qu’elles se protègent de vous.
Il
s’est fait implorant.
– Je
vous en supplie. Je vais passer pour…
– Pour
ce que vous êtes. Bon, écoutez ! Trêve de bavardages. Je veux
bien vous laisser une dernière chance.
Il a
levé sur elle un regard plein d’espoir.
– Et
ne rien dire à personne. Mais, par contre, en échange de mon
silence, je vais vous punir. Une bonne fessée. C’est plus que
mérité, avouez ! Allez ! Baissez votre pantalon !
Il a
obtempéré.
53-
Elle
a attendu que sa porte, à côté, se soit ouverte, refermée et elle
a éclaté d’un long fou rire silencieux.
– Trop
forte, la fille ! Trop forte ! Non, mais vous avez vu ça,
l’autre ? Il a suffi que je lui ordonne : « Allez,
hop, baissez-moi tout ça que je vous mette une fessée ! »
et ni une ni deux, il s’est flanqué le cul à l’air.
– Parce
qu’il avait une trouille bleue, ça se voyait, que tu mettes tes
menaces à exécution, que t’ailles raconter un peu partout ce
qu’il s’était passé. Ce qu’il ne voulait à aucun prix. Il
avait pas envie d’avoir à raser les murs.
– Et
pas seulement ça, moi, je crois… Parce que vous avez vu la tête
d’obsédé qu’il a ? Je suis bien tranquille qu’il y a
plein de filles et de couples qui y attrapent avec lui dans
l’immeuble. Qu’il se faufile un peu partout pour regarder ou
écouter, la queue à la main. Alors que je vende la mèche et il
serait complètement grillé. Tout le monde se méfierait de lui. Et
c’en serait définitivement terminé de ses petites activités de
voyeur. Alors oui, mieux valait une bonne fessée, tout compte fait,
et qu’on n’en parle plus.
– Tu
y es pas allée de main morte en tout cas !
– Oh,
pas tant que ça, moi, j’trouve !
– Hein !
Ben, je sais pas ce qu’il te faut. T’as pas entendu comment il
piaulait ?
– Parce
qu’il est doudouille.
– Et
dans quel état il avait les fesses quand t’en as eu terminé ?
– Parce
qu’il marque facilement.
– Non,
je t’assure ! C’était une de ces corrections !
– Je
me suis pas rendu compte. Attendez ! Écoutez ! Écoutez !
Vous entendez pas ?
– Quoi
donc ?
– Sa
douche !
– Faut
bien qu’il se rafraîchisse un peu le derrière. Après ce qu’il
vient de subir, le pauvre, c’est une nécessité absolue.
– Oui,
mais soi-disant qu’elle était en panne. Elle marche en fait.
– Tu
en doutais ?
– Non.
Bien sûr que non.
Elle
a plissé les yeux, froncé les sourcils, s’est mordu la lèvre
inférieure.
– Ça
me perturbe drôlement n’empêche ce que vous venez de me dire, que
j’y allais vraiment fort, parce que, si c’est vrai, hein, je me
rendais pas compte. Pas du tout.
– Tu
y prenais du plaisir en tout cas, ce qu’il y a de sûr.
Elle
a esquissé un petit bout de sourire.
– Ça
se voyait tant que ça ?
– Et
comment !
– Oui,
mais vous, vous me connaissez ! Mieux que personne. Alors ça
vaut pas.
Elle
s’est laissée tomber sur le lit.
– Vous
savez ce que je me demande ? Ben, si ça lui plaisait pas, tout
compte fait, à lui que je le lui claque, le derrière. Non, parce
que vous avez vu ? Il bandait.
– C’était
peut-être purement mécanique.
– Peut-être,
oui. Et puis peut-être pas. Parce qu’un type de son âge, ça
l’excite, si ça tombe, de se faire tanner le cul par une gamine
comme moi, allez savoir ! Pourquoi pas après tout ? Vous
aimez bien, vous, quand je vous mords.
– C’est
pas que j’aime bien…
– Ah,
non ? C’est quoi alors ?
– C’est
que…
– C’est
que vous aimez que j’aime vous le faire. Ce qui revient au même
finalement.
Elle
m’a fait signe.
– Venez
avec moi ! Venez près de moi.
Elle
m’a pris la main. Et s’est brusquement rembrunie.
– Comment
j’aimerais pas ça plus vous avoir avec moi.
– Il
y a pas de raison.
– On
sait pas. On peut pas savoir.
Et
elle s’est blottie contre moi.
54-
Des
reniflements dans la nuit. De petits hoquets. Des sanglots réprimés.
Je
me suis penché sur elle.
– Tu
pleures ?
– Non,
je pleure pas. Non.
J’ai
allumé. Les larmes lui ruisselaient sur les joues, sur le menton et
jusque dans le cou.
– C’est
quoi, ce gros chagrin ?
– Rien,
je vous dis. Rien.
Et
elle a voulu se tourner de l’autre côté.
Je
l’en ai empêchée, ai cherché à l’attirer vers moi. Elle a
résisté. Un peu. Pas bien longtemps. Et a fini par venir se
réfugier, d’elle-même, contre ma poitrine. Où elle a redoublé
de sanglots.
Je
lui ai doucement caressé le front, les tempes, la commissure des
yeux.
– Là !
Là ! C’est tout… C’est tout…
Elle
s’est peu à peu calmée, m’a souri à travers ses larmes.
– Je
suis idiote. Je suis vraiment idiote.
– Si
tu me disais de quoi il retourne plutôt…
– C’est
pas facile…
– Essaie
toujours…
– C’est
à cause de vous.
– De
moi ?
– Oui.
Enfin non. C’est que je sais pas ce que je dois faire. Enfin, si,
je le sais ! Si ! C’est une chance inouïe que j’ai là.
Mais c’est pas simple quand même.
– Si
tu t’efforçais d’être un peu plus claire.
– J’avais
fait la demande. Sans vraiment y croire. Et je suis prise. Dans une
grande école de psycho. La plus grande. À New York.
– Hein ?
Mais c’est magnifique !
– Oui,
dans un sens, oui. Bien sûr. Mais dans un autre, je vais plus vous
voir. Ce sera fini tout ce qu’on vit là.
– On
s’écrira. On se verra par Internet. On se racontera.
– Au
début, oui. Et puis après vous m’oublierez. C’est toujours
comme ça que ça se passe. Pour tout le monde.
– T’oublier ?
Alors ça, c’est complètement impossible.
Elle
a haussé les épaules.
– Bien
sûr que si ! Il y a Alexandra. Il y a Morgane. Et puis il y a
pas que ça. Vous avez une grande maison. Avec piscine et tout le
tintouin. Alors vous pensez bien que des filles qui voudraient être
à ma place, il y en a tout un tas. J’en connais. Qui auront rien
de plus pressé que de venir vous assiéger. Et vous, bonne pâte
comme vous êtes, vous finirez par vous laisser embobiner. Surtout
qu’elles, elles auront pas de scrupules. C’est le genre à
coucher pour arriver à leurs fins, alors là ! Et qu’il y en
ait d’autres dans ma chambre, dans mon lit, rien que d’y penser,
vous pouvez pas savoir ce que ça me fait…
– Il
y en aura pas. Je te promets.
– Mais
même ! Me passer de vous, plus vous voir, plus faire tout ce
qu’on fait ensemble depuis des semaines, c’est trop dur.
– Ça
n’aura qu’un temps.
– Trois
ans. Au moins.
– C’est
pas la mer à boire. D’autant que je ferai des petits sauts là-bas
de temps à autre.
– C’est
vrai ? Souvent ?
– Le
plus souvent possible.
– C’est
pas une réponse, ça !
– Alors
disons… Une fois par mois. Au moins. Ça te va ?
Elle
m’a sauté au cou.
– Vous
êtes un amour. Mais vous le ferez, hein ? Vous le ferez
vraiment.
– Tu
m’as déjà vu ne pas tenir mes promesses ?
– Jamais,
non. Je vais peut-être partir alors finalement, du coup !
– T’as
tout intérêt ! Parce que je te flanque une fessée sinon !
Comme t’as fait au voisin, là !
55-
Elle
nous a voulu un restaurant.
– Celui
où on est si souvent allés tous les deux.
Elle
y a soupiré.
– C’est
peut-être la dernière fois.
– Tu
pars quand au juste ?
– Je
sais pas trop. Peut-être en fin de semaine. Peut-être la suivante.
Ou celle d’après.
Ses
yeux se sont embués.
– Enfin
si, je le sais quand je pars ! Évidemment que je le sais !
Mais je veux pas vous le dire. Je veux pas qu’il y ait ça entre
nous. Pour le peu de temps qu’il reste. Qu’on compte les jours.
Ou les heures. Tout ça pour, à la fin, se faire des adieux
déchirants. Comme dans les films.
Au
dessert, elle a sorti deux clefs USB de son sac, m’en a tendu une.
– Ça,
c’est la copie intégrale de tout ce qu’il y a sur mon petit
enregistreur, là, vous savez bien. De tous ces tas de fois où j’ai
joui. C’est pour vous. Vous en ferez ce que vous voudrez. Tout ce
que vous voudrez.
Elle
a eu son petit sourire mutin.
– Je
sais bien ce que vous allez en faire ! Mais c’est le but.
Et
puis l’autre.
– Et
là, sur celle-là, ce sont des photos de moi. Sous toutes les
coutures. Exprès pour vous je les ai faites. Que vous m’ayez
encore. Même quand je serai partie.
J’ai
fouillé dans ma poche. À mon tour de lui donner quelque chose. Une
enveloppe. Une enveloppe que j’ai posée à côté de son verre.
– Qu’est-ce
que c’est ?
– Eh
bien, regarde !
– Une
clef, mais une vraie.
– Celle
de ta chambre. Tu seras sûre, comme ça, que personne n’y viendra
jamais en ton absence.
Elle
m’a pris la main par dessus la table, l’a portée à ses lèvres,
s’est levée.
– Venez !
On rentre.
Elle
s’est déshabillée. Complètement. Étendue, mains sous la nuque,
sur le lit.
– Vous
pouvez me regarder, si vous voulez. Tant que vous voudrez. Ce que
vous voudrez.
Je
me suis penché sur elle, lui ai effleuré le front d’un baiser, ai
plongé mes yeux dans les siens. Je les y ai laissés. Longtemps. Les
couleurs en ont doucement chatoyé.
Et
puis je suis lentement descendu, me suis arrêté à hauteur de ses
seins en pente douce. Dont les pointes se sont orgueilleusement
dressées.
– Ils
sont magnifiques.
Je
les ai avidement contemplés.
Plus
bas. Je me suis approché de son ravissant petit réduit d’amour.
Plus près. Encore plus près. Elle s’est redressée. Ses doigts se
sont enfouis dans mes cheveux.
– Vous
pouvez aujourd’hui, avec votre bouche, si vous voulez.
Si
je voulais !
J’y
ai posé mes lèvres. Je les ai fait courir tout au long de la douce
encoche. Inlassablement. Dans un sens. Dans l’autre. Quelques
gouttes de liqueur ont perlé. J’ai passé mes bras sous ses
cuisses. Je l’ai doucement, tout doucement, ouverte. Je me suis
aventuré, du bout de la langue, dans ses replis soyeux. Je les ai
investis. Elle a doucement gémi. Sa main s’est posée sur ma
nuque. Elle m’a pressé la tête contre elle, a exigé.
– Encore !
Encore !
Ses
doigts m’ont rejoint. Ma bouche. Ses doigts. Ses doigts. Ma bouche.
En un somptueux vertige. Et son plaisir a surgi. Tempétueux.
Ravageur. Elle l’a proclamé. Elle l’a hurlé. Ça s’est
apaisé. C’est reparti de plus belle. En longs sanglots éperdus.
C’est retombé.
Je
suis remonté, lui ai effleuré les lèvres.
– Et
votre plaisir à vous ?
Elle
me l’a donné. Avec ses doigts. On est restés les yeux dans les
yeux. Jusqu’au bout.
Elle
s’est endormie la première, lovée contre moi.
Au
réveil, elle n’était plus là, mais il y avait un mot sur la
table de la cuisine.
« J’ai
horreur des adieux. Et des larmes qui vont avec. Je pars. Je m’envole
tout à l’heure. Mais je vous attends là-bas. Vous avez promis.
Je
vous aime.
CLORINDE »
FIN