mardi 12 novembre 2019

Clorinde, ma colocataire


1-


– Maxime ! Comment tu vas ? Ça fait si longtemps…
– Vingt ans. Plus de vingt ans. La dernière fois, c’était à Mougins juste avant la naissance de Clorinde.
– Que je ne connais pas du coup.
– Que tu ne connais pas, non. Et justement : c’est à propos d’elle que je t’appelle. Si tu pouvais nous rendre un petit service, ça nous retirerait une sacrée épine du pied.
– Si c’est dans mes cordes…
– Que je t’explique. On lui avait trouvé un petit appart sympa à deux pas de la fac, sauf qu’hier, quand on s’est pointés, il s’est avéré que c’était une arnaque. Le type a loué une bonne douzaine de fois un truc qui lui appartenait pas et s’est barré avec les cautions. Sans doute à l’étranger. Et on se retrouve le bec dans l’eau. À deux jours de la rentrée.
– Je vois.
– Alors comme t’habites quasiment la porte à côté de la fac, on se demandait si t’aurais pas pu l’héberger. Juste quelques jours. En dépannage. Le temps qu’on se retourne. Qu’on lui cherche quelque chose de potable. Mais si ça te dérange, tu me dis franchement, hein ! Je me vexerai pas.
– Aucun souci. J’ai de la place.
– Elle t’encombrera pas, tu verras. C’est pas le genre. Elle mènera sa petite vie de son côté et te laissera mener tranquillement la tienne.
– Mais oui, j’te dis ! Amène-la quand tu veux.

Ce fut le lendemain matin.
C’était une fille aux yeux vifs, châtain clair, bronzée, qui m’a gratifié d’un large sourire.
– Merci. c’est sympa. Parce que sans vous…
Et a aussitôt voulu aller visiter sa chambre.
– Oh, mais c’est immense ! Je vais être comme une poule en pâte, moi, là-dedans. Je peux voir le reste ?
Je l’ai accompagnée de pièce en pièce.
– Mais c’est un palace ! Un vrai palace.
Elle s’est penchée à la fenêtre qui donnait sur l’arrière.
– Et il y a une piscine ! C’est pas vrai qu’il y a une piscine ! Oh, mais je repars pas, moi ! Je reste là jusqu’à la fin des temps.
Maxime a souri, haussé les épaules.
– Elle est nature, hein ! Bon, mais je te la laisse. Et encore merci.

Elle s’est installée.
Dans la chambre. La porte du dressing s’est ouverte et fermée à plusieurs reprises.
Dans la salle de bains.
– Hou ! Hou ! Vous êtes par là ? Je peux pas avoir un peu de place sur la tablette au-dessus du lavabo ?
Des flacons. Des tubes. Des sprays. Des boîtes.
– Tout ça !
– Ah, ben, eh ! Si je veux être un minimum présentable…
Je lui ai libéré un peu d’espace.
– C’est tout ?
Un peu plus.
– Je voudrais vous demander un truc, tiens, tant que j’y suis.
– Je t’écoute.
– Ma chambre, là, je pourrai pas y faire venir quelqu’un des fois ?
– T’as un petit copain ?
– Attitré, non. Mais des fois ça arrive qu’il y ait un mec qui me plaise bien.
– Tu feras bien comme tu voudras.
– Oh, mais allez pas vous faire un film non plus, hein ! Ce sera pas le défilé. Bon, mais vous savez quoi ? Je crève d’envie d’aller me baigner, moi. Vous venez ? On y va ?
Et elle a dévalé l’escalier sans attendre ma réponse.

2-


– Comment elle est bonne ! Un vrai délice !
Elle n’avait pas perdu de temps. Elle était déjà à l’eau.
Toute nue.
– On en profite vachement mieux comme ça, vous trouvez pas ?
J’en étais, moi aussi, intimement convaincu.
– Ah, vous voyez ! Eh ben allez, alors ! Virez-moi toutes vos frusques et venez me rejoindre. Qu’on fasse la course. Vous tenez pas trois longueurs de piscine, je suis sûre…
– Oui, ben c’est ça, ce qu’on va voir.
– C’est tout vu.

On s’est affalés, hors d’haleine, sur deux matelas pneumatiques, côte à côte.
– Comment je vous ai pelé, n’empêche !
– Forcément, t’as triché.
– Wouah ! Cette mauvaise foi ! Je vous parle plus puisque c’est comme ça.
Et elle a fermé les yeux. Elle s’est voluptueusement offerte aux caresses du soleil auquel elle a abandonné ses seins en pente douce, aux larges aréoles claires, aux pointes légèrement dressées. Son ventre au galbe parfait. Ses cuisses resserrées qui ne laissaient à découvert que l’extrémité supérieure, totalement glabre, de son encoche d’amour.
Elle s’est retournée. De l’autre côté. La nuque. La longue descente du dos. Les deux petites fesses si gentiment rebondies.
À nouveau pile. À nouveau face. Longtemps.

Elle a fini par se redresser, par se tourner vers moi, appuyée sur un coude.
– Pourquoi vous restez toujours sur le ventre ? Vous voulez vous bronzer que le dos ?
J’ai haussé les épaules.
– C’est comme ça. Je sais pas.
– Oui, ben moi, je sais ! C’est que vous bandez comme un âne que je sois là, comme ça, à côté de vous et que vous voulez pas que je m’en aperçoive. C’est pas vrai peut-être ? Ah, vous voyez ! Vous répondez pas. Ça veut tout dire. Oh, mais c’est normal, pour un mec, de bander, hein ! C’est le contraire qui l’est pas.
Elle a chassé, d’une pichenette, un insecte venu se poser sur son sein.
– En même temps, je vous comprends de réagir comme ça. Parce qu’il y en a plein des filles de mon âge qui supportent pas l’idée de faire de l’effet à un homme du vôtre. Vu qu’elles n’éprouvent pas d’attirance pour lui, elles voudraient qu’il en ait pas non plus pour elles. Ben oui, mais c’est pas comme ça que ça se passe ! Une fille, à vingt ans, elle est au top du top. Elle brille de tous ses feux. Qu’elle le veuille ou non, elle attise le désir. Il a beau avoir quarante ans le type, ou cinquante ou soixante, elle l’émeut. Elle lui chavire la tête et les sens. C’est comme ça. Faut faire avec. Moi, ça me dérange pas. Pas du tout. Même qu’on soit nettement plus âgé que moi. Du moment qu’on reste dans les clous. Qu’on essaie pas de passer à l’acte. Parce que coucher alors là, non, non et non. Pas question ! C’est réservé aux jeunes comme moi, ça. Et c’est pas négociable. Par contre, qu’on flashe sur moi, quel que soit l’âge, j’y vois pas vraiment d’inconvénient. C’est même plutôt gratifiant. Carrément flatteur, oui. D’ailleurs, c’est pas pour me vanter, mais…
– Mais ?
– C’est quand même plutôt souvent que ça m’arrive. Et des types bien de leur personne, hein ! Des messieurs. Ce qu’est trop, c’est quand ils essaient de le cacher et qu’ils y arrivent pas. Que c’est plus fort qu’eux. Qu’ils arrêtent pas de te jeter des coups d’œil par en dessous. Tu te régales à les voir faire. Deux, il y en a eu hier. Un dans le bus. Cinquante ans. Quelque chose comme ça. Juste en face de moi il était assis. Et un autre à la poste, pendant que j’attendais mon tour. Dans la file d’à côté, il faisait la queue. Et aujourd’hui, il y a eu vous.
Elle s’est levée.
– Tout de suite, dès que vous m’avez vue, dès que j’ai passé la porte, je vous ai tapé dans l’œil. Je me trompe ?
Et elle s’est jetée à l’eau.
Elle se trompait pas, non.


3-


Elle a émergé à onze heures. Au radar. Et vêtue, en tout et pour tout, d’une toute petite culotte blanche qui mettait généreusement en relief – et en valeur – ce qu’elle était supposée dissimuler.
– Tu veux du café ?
– Ce serait sympa, oui. Que j’y voie plus clair !
Elle a soupiré.
– Cinq messages il m’a laissés depuis ce matin, aux aurores. Cinq.
– Maxime ?
– Ben, oui ! Et tout ça pour me dire qu’il faut que je prospecte au plus vite. Qu’il est pas question que je reste ici à vous ennuyer.
– Mais tu m’ennuies pas.
– J’ai vraiment pas l’impression, non.
Son téléphone a sonné.
– Qu’est-ce vous pariez que c’est lui ? Ah, non, tiens, c’est ma mère, ce coup-ci… Allô, oui… Oui… Mais tu me l’as déjà dit dix mille fois, ça, enfin, maman ! Mais non ! Non ! Mais oui, j’te promets, oui ! C’est ça ! Moi aussi…
Elle a raccroché.
– Qu’est-ce qu’elle peut être lourde quand elle s’y met ! Toujours le même refrain : « Ne parle pas à tort et à travers, Clorinde ! Ne dis pas n’importe quoi ! Un jour ou l’autre, ça te retombera sur le coin de la figure. » En gros, elle a peur que je vous vexe. Mais ça, moi, je suis pas d’accord. Faut le dire ce qu’on pense. Ou ce qu’on ressent. Et tant pis si l’autre, en face, ça lui plaît pas. Ou s’il le prend de travers. Il y a rien de pire que de tout garder pour soi. Non ? Vous croyez pas, vous ?
– Fais comme tu le sens !
– Et son autre grand dada, c’est de me répéter, sur tous les tons, qu’il faut que je sois un minimum décente. Elle me bassine avec ça. « T’es pas à la maison, Clorinde ! Tu te balades pas à poil chez ce monsieur ! Ça se fait pas ! » Mais moi, ce qui se fait ou ce qui se fait pas, les conventions, tout ça, j’en ai strictement rien à battre. Et c’est depuis toute petite que j’ai l’habitude d’être à mon aise, alors c’est sûrement pas aujourd’hui que je vais changer. Qu’elle y compte pas ! D’autant que, de toute façon, ça regarde que nous, vous et moi, ce qui se passe ici. Et je me balade comme j’ai envie.
– Ce qui ne me gêne absolument pas.
– Tu parles que ça vous gêne pas ! Vous vous régalez, oui ! Ça saute aux yeux. Si bien que, finalement, tout le monde est content. Sauf elle ! Mais elle le saura pas.
Elle s’est étirée.
– Je pourrais pas ravoir un café ? Non, attendez ! Bougez pas ! Je vais y aller. Je vais me servir.
Elle a chaloupé jusqu’au plan de travail. Je n’ai pas quitté ses fesses des yeux ni, au retour, la douce échancrure voilée dont je me suis désespérément efforcé de percer le secret, du regard, sous le fin tissu blanc.
Elle s’est rassise.
– J’appréhende… Vous pouvez pas savoir comme j’appréhende…
– Quoi donc ?
– D’en trouver un d’appart. Parce que je vais l’avoir sans arrêt par les pieds. À vouloir l’aménager comme elle l’entend, elle ! Ça va être prise de tête permanente. Parce que, dans son esprit, ses goûts à elle ont valeur universelle. Elle ne conçoit pas une seule seconde qu’on puisse en avoir d’autres. Et comme j’ai pas du tout envie que, chez moi, ce soit l’exacte réplique de chez elle, on va s’engueuler vingt fois par jour.
– Eh bien, gagne du temps ! Fais semblant de mettre toute ton énergie à chercher. Et ne trouve pas ! Moi, de mon côté, je rassurerai Maxime. Mais oui, tout se passe bien ! Mais non, tu ne me gênes pas. Pas le moins du monde. Au contraire ! Ça me fait une présence. Ça met un peu d’animation et de jeunesse dans la maison. Et tutti quanti… Petit à petit ça va devenir une situation de fait. À laquelle ils vont s’habituer. Ils n’en parleront presque plus. De moins en moins. Dans trois mois, Ils n’en parleront plus du tout. Et le tour sera joué.
– Vous savez que vous êtes plein de ressources, vous, quand vous voulez ? Bon, mais en attendant faudrait peut-être bien que je fasse un saut à la fac, moi ! Louper la rentrée, ça ferait quand même désordre…


4-


– Déjà ! Eh ben, dis donc, c’était un petit saut.
– Oui, oh ! Ça va être aussi plan plan que l’an dernier. Et, à moins que, parmi les nouveaux, il y ait deux ou trois mecs consommables, je vais encore m’emmerder comme un rat mort, moi, c’est couru d’avance. Bon, mais passons aux choses sérieuses. Vous avez vu ce temps ? Piscine, non ? Ça s’impose. D’autant que je vous dois une revanche, même si le résultat fait pas le moindre doute. Vous allez encore vous traîner lamentablement loin derrière.
– Non, mais écoutez-moi cette petite prétentieuse ! Tu vas voir ce que tu vas voir…

– Et là, pas calmée ?
On venait de se laisser tomber, comme la veille, sur les matelas.
– Forcément ! Je vous ai laissé gagner. Faut bien que je vous caresse un peu dans le sens du poil si je veux pouvoir rester ici.
– Non, mais alors là ! Alors là ! Quelle petite saloperie tu fais !
Elle m’a tiré la langue.
– En douce que vous avez quand même fait de sacrés progrès depuis hier. Et pas seulement dans l’eau.
J’ai levé sur elle un regard interrogateur.
– Ben, oui ! Vous vous êtes décoincé. Vous bandez un peu, pas mal même, mais au moins, cette fois-ci, vous vous planquez pas honteusement, sur le ventre, pour le faire.
Et son regard s’est tranquillement installé sur moi en bas. S’y est longuement attardé.
Elle a constaté, avec un petit sourire amusé.
– Vous êtes souvent comme ça, n’empêche, vous, les mecs ! Suffit qu’on vous pose les yeux dessus pour qu’elle se mette à grimper. Et alors si, en plus, on vous cause d’elle !
Elle s’est absorbée dans sa contemplation.
– J’aime trop voir ça, moi ! Ça monte. Ça redescend. Ça repart. Ça fait tout un tas de soubresauts. On sait jamais jamais si elles sont à fond ou si elles ont encore de la marge. N’empêche, il y en a pas deux pareilles, si on y réfléchit bien. C’est ce qui fait tout l’intérêt de la chose d’ailleurs.
Elle s’est laissée retomber sur le dos.
– Stop ! Suffit. C’est tout pour aujourd’hui. Faut pas abuser des bonnes choses. On finit par s’en lasser sinon. C’est ce qu’elle dit toujours ma copine Emma. Et, là-dessus, elle a raison. Elle est trop, Emma. Ah, pour une vedette, c’est une vedette ! Je vous la ferai connaître, vous verrez ! Elle vous plaira, j’en suis sûre. Elle est encore pire que moi.
Son portable a bipé.
– C’est pas vrai ! Ils me ficheront pas la paix…
Elle y a jeté un coup d’œil. A soupiré. L’a reposé.
– En attendant, si je suis comme je suis maintenant, c’est grâce à elle, Emma. Parce que vous m’auriez vue, il y a encore seulement deux ans ! Pleine de principes, la fille ! Bardée de tout un tas de préjugés. Comment elle m’a fait voler tout ça en éclats ! « Ben, quoi ! Ils passent bien leur temps à nous mater tout partout, les mecs. Pourquoi on aurait pas le droit de faire pareil avec eux, nous ? » Et elle ne s’en privait pas. Dès qu’il y avait une occasion, elle sautait dessus. Je comprenais pas au début. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien y trouver ? Et puis, à force de la voir faire, de l’entendre en parler, j’ai fini par me donner le droit d’y prendre, moi aussi, du plaisir. On aime toutes ça en fait, nous, les filles, voir comment les mecs sont montés. Mais on ose pas se l’avouer. On se l’interdit. C’est pas du regard des autres qu’on a surtout peur, en l’occurrence, c’est du regard de soi-même sur soi-même. Qu’est-ce que je vais penser de moi ? Ben rien, en réalité ! Il y a aucune espèce de raison d’avoir honte, si on y réfléchit bien. De laisser des idées convenues qui n’ont aucun fondement réel nous dicter leur loi. Une fois que t’as a compris ça… Eh ben, une fois que t’as compris ça, qu’est-ce que t’as comme retard à rattraper !


5-


Il ne nous a fallu que quelques jours pour prendre notre vitesse de croisière.
Elle se levait vers huit heures.
– Mais vous me réveillez, hein, si je m’oublie…
Surgissait, tout ensommeillée, en petite tenue – ou carrément à poil, c’était selon – dans la cuisine.
– Salut !
– Bien dormi ?
Elle ne répondait pas, se versait, en le faisant bien souvent déborder, un grand bol de café noir qu’elle avalait d’un trait.
Et elle filait à la salle de bains. D’où elle m’appelait presque aussitôt.
– Venez me parler ! Ça me réveillera. J’aime pas ça, rester toute seule, n’importe comment.
Elle se douchait. Et puis moi. Elle se séchait les cheveux, se maquillait devant la glace au-dessus du lavabo. Tout en poussant de profonds soupirs.
– Encore une journée à tirer. C’est la purge ! Non, mais quelle idée j’ai eue d’aller m’engouffrer là-dedans, moi ? Psycho. Tu parles ! On te gave de certitudes soi-disant scientifiques qui n’auront plus cours dans dix ans. Et que je te fais des nœuds au cerveau. Et que je te m’écoute causer. Et tout ça pour quoi ? Pour rien. T’auras pas de boulot à la sortie. Plus personne en veut des psychologues. C’est passé de mode. Et on est des milliers sur le marché.
Elle me tendait la joue.
– Bon, allez, courage, j’y vais.

Elle rentrait vers cinq ou six heures. Quelquefois sept.
– Non pas que j’aie passé tout ce temps-là à la fac, hein, je suis pas maso. Non, j’ai traîné à droite, traîné à gauche. Discuté. Fait quelques magasins. Passé un coup de fil à Emma. Et quand on se téléphone, toutes les deux, en général, ça dure…
Il était hors de question de descendre à la piscine. La température ne s’y prêtait plus.
Alors elle s’éclipsait dans sa chambre.
– Je vais bosser.
Et en ressortait dès qu’elle m’entendait m’agiter aux fourneaux.
– Je vais pas vous laisser tout faire, attendez ! Et puis faudra voir aussi pour les courses. Que je participe…
– Oui, oh…
– Ah, si, si ! Faut pas exagérer. De toute façon, ils accepteront jamais ça, mes parents. Alors si vous voulez pas qu’ils me rapatrient…

Le meilleur moment de la journée, c’était le soir. Après le repas. On s’installait au salon. On n’allumait pas la télé.
– C’est pour les vieux, ça, la télé, vous trouvez pas ?
Elle sirotait un limoncello. Moi, un Lavagulin. Et elle entrait en confidences.
– Mine de rien, il y en a quand même trois qui me tournent autour depuis la rentrée. Et des pas mal du tout. Un surtout. Un petit blond. Un belge. Dont je ferais bien mon quatre heures.
– Eh, ben, vas-y ! Qu’est-ce t’attends ? Fonce !
– Ah, ben non ! Non ! Surtout pas. Faut lui laisser le temps de monter en pression au mec. De se demander s’il va parvenir à ses fins ou pas. Ce n’en est que meilleur le jour où ça se fait. Pour lui comme pour toi.
– C’est toujours vous, les filles, qui menez le jeu en fait. À votre guise.
– Encore heureux ! Manquerait plus que ça !


6-


– Ça va comme ça ?
Elle sortait.
– T’es ravissante.
– Ça fait pas trop la fille qui part en chasse ?
– Pas du tout, non. T’es plutôt en mode subtilement coquette. Et c’est quoi l’objectif ? Le belge ?
– Oh, non ! Non. Il y sera pas, lui, n’importe comment à cette soirée. Et puis même… Je suis pas sûre d’en avoir vraiment envie. Il y a des trucs qui me gonflent chez lui. Non, là, ce soir, l’artiste travaille sans filet. Je connais personne. Alors tout est possible. Ou rien. J’aime bien m’aventurer en terre inconnue comme ça. Sans avoir la moindre idée de ce qui va se passer. Bon, ben à demain alors. J’y vais..
Et elle m’a envoyé un baiser. Du bout des doigts.

Elle est rentrée sur le coup de trois heures du matin. En compagnie de quelqu’un. Ils ont monté l’escalier à pas de loup. Dans la chambre, il y a d’abord eu des mots murmurés bas. Un rire étouffé. Le sommier a grincé. De plus en plus vite. Ça s’est arrêté. Leurs voix. La porte. Elle l’a raccompagné jusqu’en bas.

– Alors ?
Elle a fini de beurrer sa tartine.
– Ben alors, rien du tout… Le coup foireux, mais vraiment foireux. Pire, il y a pas. Le mec, il te grimpe. Il fait sa petite affaire et il se casse. De toi il a strictement rien à foutre.
– Charmant…
– C’est un peu de ma faute aussi… J’aurais dû m’en douter. Il y avait des signes. Qui ne trompent pas quand on a l’habitude. J’ai pas voulu les voir. J’étais obnubilée.
– Par quoi ?
– Par sa queue, tiens ! Qu’était dressée toute droite contre ma cuisse quand on dansait. Et ça, moi, dans ce cas-là, j’ai l’imagination qui part au triple galop. J’essaie de deviner comment elle est faite. Je m’en construis un portrait-robot. Et au bout d’un moment, forcément, je crève d’envie de le comparer à l’original. Et, pour ça, il y a pas trente-six mille solutions. Sauf que là, ça a complètement foiré. J’ai même pas pu vraiment la lui voir vraiment en plus. Comme j’aime bien. En prenant tout mon temps. En la détaillant sous toutes les coutures. Bon, mais ça arrive. Il y a pas de quoi en faire toute une maladie non plus. Ce sont les aléas. La prochaine fois, ça se passera mieux. Ou pas. De toute façon, quand je veux vraiment prendre mon pied, j’ai la solution toute trouvée. Jérémie. Avec lui je suis sûre de grimper aux rideaux. À chaque fois. Il me connaît bien, il sait comment je fonctionne et il prend tout son temps. C’est des après-midis entières qu’on y passe des fois. J’en sors complètement épuisée, mais comblée. Il est plein de qualités en plus. Il est drôle. Il sait plein de trucs. Il se prend pas la tête. C’est un amour, Jérémie ! Faudra que je vous le fasse connaître un jour, tiens !
– Ce que je comprends pas, c’est pourquoi, si vous vous entendez si bien…
– On se met pas ensemble ? Je sais, oui, tout le monde nous le dit qu’on est faits l’un pour l’autre. Mais non. Non. Je suis pas idiote. Et lui non plus. Du jour où on serait vingt-quatre heures sur vingt-quatre l’un sur l’autre, ça partirait en vrille. Il a son caractère et moi, j’ai le mien. Ça durerait un an, peut-être deux, et ça ferait comme les autres. Exactement pareil. Faut pas se raconter d’histoires. Parce qu’on en a des dizaines et des dizaines des copains qui se sont mis en couple. Que, soi-disant, eux, ce serait différent. Qu’ils se laisseraient leur liberté. Qu’ils se rogneraient pas les ailes. Que ce serait le bonheur au quotidien. Seulement à l’arrivée… Non, non. On reste comme ça…


7-


Maxime m’avait adressé un chèque. Un gros chèque.
– Non, parce que pas question que tu la nourrisses. En plus ! Ce serait la meilleure…
Et on était allés, tous les deux, Clorinde et moi, faire des courses. Des monceaux de courses. Elle remplissait tant et plus les chariots.
– Hou là ! Mais on va avoir des provisions pour au moins six mois.
– Tant mieux ! Vous pourrez pas me foutre dehors avant comme ça…
– Comme si j’en avais l’intention !

À la caisse, on m’a tapé sur l’épaule.
– Martial ! Mais qu’est-ce tu fiches là ?
– Ben, et toi ?
– J’habite dans le coin.
– Pareil.
– Non, mais c’est trop, ça ! Attends ! Donne-moi ton numéro… Faut absolument qu’on s’organise un truc, là. Qu’on se fasse une bouffe. Quelque chose.
– Et comment ! Ça s’impose…
Il s’est discrètement penché à mon oreille.
– Ben, dis donc, tu te mouches pas du pied, toi !
– C’est pas du tout ce que tu crois.
– Que ce soit ça ou pas, en tout cas il y a un sacré petit lot, là.

Elle a attaché sa ceinture.
– Vous me dites ?
– Quoi donc ?
– C’était qui ce type ?
– Martial.
– Oui, ça, j’avais compris, merci. Je suis pas complètement idiote. Mais encore ?
– Je l’ai connu au lycée, Martial. On a fait les quatre cents coups ensemble. Avant de travailler quelque temps pour la même boîte. On est ensuite restés épisodiquement en contact pour, finalement, se perdre complètement de vue.
– Et vous vous êtes retrouvés. Par hasard. C’est un signe du destin, ça ! Faut que vous restiez amis.
– On verra.
– Il vous a dit quelque chose tout bas à un moment. C’était pour pas que j’entende ?
– Tu es très perspicace.
– C’était quoi ?
– Il se demandait pourquoi je traînais une fille aussi moche avec moi.
– Non. Sérieux…
– Il te trouvait ravissante.
– Je lui ai tapé dans l’œil, j’ai bien vu. Il te me jetait de ces regards en douce !
– Ah, ça t’a bien plu, ça, hein !
– Il va venir à la maison ?
– Sûrement pas, non.
– Hein ! Ben, pourquoi ?
– Parce que j’ai pas du tout envie de te jeter dans la gueule du loup.
– Oh, tu parles !
– Alors là, je suis bien tranquille. Tu vas lui tomber dans les bras, te tirer aussi sec avec et moi, je vais rester là, tout seul, comme un con.
– N’importe quoi ! Je coucherai jamais avec un vieux. Jamais ! Vous avez pas encore capté ça depuis le temps que je vous le répète ? Je veux juste…
– Tu veux juste ?
– Sentir que je lui plais… Comme si vous le saviez pas !


8-


Le lendemain était un dimanche.
Elle s’est levée tôt. Beaucoup plus tôt que d’habitude.
– Ça va ce matin ?
– Oh, oui, ça va, oui. Nickel.
Avec un petit sourire mutin.
– Ce que je ne comprends pas…
– Je sais ce que vous allez dire, je sais.
– C’est que, l’autre nuit, t’es rentrée avec un garçon et calme plat. Silence radio. Alors qu’hier soir…
– J’étais toute seule et…
– Un véritable tsunami. Ah, pour donner ça a donné.
– Ben, oui, qu’est-ce que vous voulez ! On maîtrise pas toujours tout.
– L’effet Martial ? Évidemment, l’effet Martial. Bien sûr, l’effet Martial. Tu racontes ?
– Hein ? Oh, non ! Non !
– Alors c’est moi qui vais le faire. D’abord, tu as imaginé que tu repartais faire des courses, mais toute seule cette fois. À la caisse, il est venu déposer ses achats sur le tapis, juste derrière les tiens. Il t’a reconnue. Tu l’as reconnu. Un bref bonjour. Il t’a demandé comment j’allais. « Oh, bien ! Bien ! » Et tu ne t’es plus préoccupée, en apparence, que de remettre tes courses dans ton chariot, le plus vite possible, mais, en réalité, tu ne pouvais penser qu’à lui, qu’à ses regards qui se gorgeaient de toi, qui profitaient de ce que tu avais le dos tourné pour s’en rassasier. Tu le savais. Tu le sentais. Qu’ils étaient bons ses regards ! D’admiration. D’émerveillement. De désir. Tu les ignorais superbement, mais qu’ils étaient bons ! Comment ils te troublaient ! Au-dehors, tu as mis une éternité à ranger tes achats dans le coffre pour lui laisser le temps de régler les siens, de surgir à son tour sur le parking, de s’installer au volant de sa voiture garée là, quelque part, derrière toi, d’enfouir sa main dans son pantalon en te dévorant des yeux et de donner libre cours à son plaisir. Et c’est alors que le tien t’a emportée. C’est pas comme ça que ça s’est passé ?
– Un peu, mais pas tout à fait quand même.
– C’était pas au super marché d’hier ?
– Si ! Sauf que j’étais beaucoup plus coquine et audacieuse que ça. Je suis montée à côté de lui dans la voiture et je l’ai regardé faire.
– J’aurais dû m’en douter. Tu l’as touché ?
– Des yeux. De tout près.
– Et c’est là que t’es venue.
– On devrait arrêter d’en parler. Ça me redonne trop envie.
– Je vois ça, oui ! Ta petite culotte te trahit.
– Hein ? Oh, là là, oui ! Et vous ?
– Quoi, moi ?
– Vous allez quand même pas me dire que vous êtes resté les mains sagement jointes sur la couverture alors qu’à côté j’étais en train de brailler comme une forcenée ?
– Non. De toute façon, tu ne me croirais pas.
– Ah, ça, c’est sûr ! Vous pensiez à quelque chose ?
– À rien de précis. Tu m’as pris de court. Alors j’ai juste laissé flotter des images.
– De moi ?
– Ben oui, de toi. Vu les circonstances, ça s’imposait, non ?
– C’était quoi ?
– Toi, à la piscine. Toi, toute nue devant le lavabo de la salle de bains. Toi, affalée sur le canapé avec la culotte qui te rentrait dans la raie des fesses.
– Vous m’avez imaginée en train de me le faire ?
– C’était le moment ou jamais.
– Quand c’est que vous avez spermé ? En même temps que moi ?
– Un tout petit peu après.
– Et d’habitude ? Quand je vous oblige pas à vous précipiter… Vous vous en inventez des histoires ?
– Toujours.
– Je suis dedans ?
– Très souvent.
– Vous me les raconterez ?
– On verra.
– Ah, ben si, si ! Ce serait normal. Je suis quand même la première concernée, non ?
– On verra, j’te dis !
– Bon, ben, en attendant, vous savez pas ? Comme c’est dimanche, je vais retourner paresser un peu au lit, moi.
Elle a laissé la porte entrebaîllée. D’un tout petit demi-centimètre.


9-


– J’ai téléphoné à Martial.
Elle est restée la fourchette en l’air.
– Ah !
– Un bon moment on a passé ensemble au téléphone.
– Et alors ?
– Il m’a posé des tas de questions sur toi. Comme ça, mine de rien, sans avoir l’air d’y toucher.
– Quel genre de questions ?
– Qui tu étais. D’où je te connaissais. Qu’est-ce tu fabriquais chez moi. Et s’il y avait quelque chose entre nous. Ça le préoccupe beaucoup, ça, apparemment.
– Et vous avez répondu quoi ?
– Que tu es étudiante, que je t’héberge momentanément pour rendre service à tes parents et qu’il n’y a rien entre nous. Strictement rien. Point barre.
– Il vous a pas cru, j’parie !
– Il a eu du mal. Il a pas lâché le morceau comme ça. Il y avait peut-être pas, mais il y aurait, non ? Une jolie petite caille comme toi, j’allais quand même pas laisser passer une occasion pareille ! Si ? Ah, mais il voyait… T’avais un mec. Auquel t’étais sacrément accro. C’était ça, hein ? Il m’a seulement pas laissé le temps de répondre. Ben oui, forcément que c’était ça. Et sûr que, du coup, j’avais effectivement tout intérêt à faire profil bas. Parce qu’une nana, quand elle était toquée d’un mec, c’était peine perdue. Valait mieux attendre patiemment son heure. Je t’avais vue à poil au moins ? Non ? Même pas ? Oh, putain ! Lui, il y aurait une nana canon comme toi qui serait venue habiter chez lui, mais il aurait rien eu de plus pressé, dès le début, que de se débrouiller pour voir comment elle était fichue, si elle se rasait le minou, tout ça…
– Ben, tiens !
– Ah, pour lui taper dans l’œil, tu lui as tapé dans l’œil, ça, on peut pas dire.
– Vous l’avez invité ?
– Samedi prochain. Il est absolument ravi.
Elle a fait la moue.
– Mouais…
– Non ? Ça te va pas ? Si t’as peur qu’il te drague plein pot, je peux te rassurer tout de suite. Je le connais depuis le temps. Martial, c’est le type qui parle beaucoup, qui fantasme beaucoup, qui, à l’entendre, a couché avec tout le pays. En réalité, avec les femmes, il est plutôt du genre réservé. Il va te bouffer des yeux, ça, c’est sûr. Bouillonner à l’intérieur. Sûrement bander comme un furieux, mais il aura pas un mot déplacé, pas un geste inconvenant. Pas même un regard trop appuyé. Rien. Il te foutra la paix.
– Je l’ai pas vu très longtemps, mais c’est bien l’impression que j’ai tout de suite eue, oui. C’est pour ça : je trouve que c’est un peu prématuré samedi. Pourquoi si vite ? Il faut lui laisser le temps de la rêver cette rencontre, de l’idéaliser, de ne plus penser qu’à ça. Il ne l’en appréciera que davantage. Et à moi, il faut me laisser le temps de penser à lui en train d’y penser. Je vais adorer.
– Je vois. Bon, ben je vais le rappeler alors. Et reporter à une date ultérieure.
– Ce serait bien, oui.
– Et, au final, tout le monde va y trouver son compte.
– Même vous ?
– Même moi, oui ! Te voir savourer, à discrètes petites lampées gourmandes, l’intense satisfaction que tu vas éprouver à sentir son désir se poser sur toi, s’y installer, y séjourner, ça va être, pour moi, un véritable enchantement.
– Oh, vous, faudra que je vous emmène avec moi dans mes expéditions, quand j’erre par les rues, pendant des heures, que j’y croise, par dizaines, des regards qui s’enchantent de moi quelques fractions de seconde et qui m’emportent avec eux comme un trésor. Qui me ramènent secrètement chez eux. Avec eux.
– Et dont tu vas partager, de longues semaines durant, tous les plaisirs.


10-


Elle m’a à peine laissé le temps de refermer la porte. Elle m’a quasiment sauté dessus.
– Vous savez, ma copine Emma ?
– Celle qui t’a fait découvrir tant et tant de choses ?
– Elle-même. Eh bien, à force que je lui parle de vous, elle voudrait vous connaître…
– Rien de plus facile.
– Pas tellement, non. En ce moment, elle est au Guatemala.
– Vu comme ça, effectivement…
– Pour son boulot. Elle est photographe. Ce qui l’arrange bien. Ce qui l’a toujours bien arrangée. Parce que, du coup, quand elle a envie de savoir comment un mec est fait, eh ben il lui suffit d’invoquer une histoire de projet artistique quelconque. En général, ça marche. Tant et si bien qu’à l’arrivée elle se retrouve avec des monceaux de photos toutes plus évocatrices les unes que les autres.
– Tu les as vues ?
– Certaines, oui. Faut reconnaître qu’elle a du goût et qu’en général ils sont sacrément bien foutus, les types.
– Et bien montés, j’imagine.
– La plupart. Bon, mais tout ça pour dire qu’en attendant de vous voir en chair et en os, ce qu’elle voudrait, c’est que je lui envoie des photos de vous. Aussi précises et explicites que possible. « Je pourrai bien me le représenter, comme ça, quand tu m’en parleras.
– Ben, tiens !
– Ça vous pose problème ?
– Tu penses bien que oui.
– Ce dont je me fiche complètement ! Allez, hop, à poil !
– Ça presse vraiment tant que ça ?
– Un peu que ça presse. On a parlé de vous tout l’après-midi.
– Je vois…
– Vous voyez rien du tout. Bon, alors, ça y est ? Vous y êtes ?
– Et, bien sûr, dans un souci d’équité, elle va me rendre la pareille, ton Emma… M’offrir ses charmes à contempler.
– C’est prévu. Entre autres…
– Entre autres ? C’est-à-dire ?
– Vous verrez bien. Ce sera plus une surprise sinon… Tenez, allez vous mettre là-bas ! Dans la lumière. On va commencer par en faire en pied. Qu’elle ait une vue d’ensemble. Attention, bougez plus, le petit oiseau va sortir. Super ! Tournez-vous maintenant ! Côté pile. Et là, faut pas que je me loupe. Parce que les fesses, elle adore ça. Comment elle va halluciner, les vôtres ! Non, c’est vrai, elles tiennent vraiment la route. Surtout pour dire que vous avez quarante-six ans. Bien fermes. Bien musclées. On en mangerait. Bougez pas ! Restez comme ça. En gros plan, ce coup-ci. Attendez ! Attendez ! Faut qu’on mette la dose. On va la gâter. Après tout ce qu’elle a fait pour moi, Emma… Là, ça devrait être bon ! Il y a de quoi faire. De toute façon, au pire, je vous ai sous la main. Bon, allez, on zoome sur le morceau de choix ? Oh, mais c’est que c’est la forme, on dirait ! Elle vous fait de l’effet, cette petite séance photo, n’empêche ! On en profite. On mitraille. En tout cas, elle va apprécier. Sûr qu’elle va apprécier. Oui, bon, mais maintenant, si vous pouviez arrêter de bander, ce serait sympa. Que je puisse vous l’avoir aussi au repos. Et, après, à toutes les étapes quand elle remonte. De quoi on pourrait parler pour la faire redescendre ? De politique ? De la tectonique des plaques ? Du linéaire B ? Ça vous fait rigoler, oui, mais ça vous fait pas débander pour autant. Alors, vous savez pas le mieux ? Ce sera que je vous la prenne par surprise. Quand elle sera toute molle. Au moment où vous vous y attendrez le moins. En attendant, je vais déjà lui envoyer ça à Emma. C’est déjà pas si mal. C’est même l’essentiel. Elle pourra en faire son quatre heures. Et on aura du concret pour discuter toutes les deux. Sans compter que moi aussi, maintenant, je vais vous avoir constamment à disposition. Et que je pourrai profiter de vous quand ça me chantera. Même derrière votre dos, si j’ai envie. C’est pas super, ça ?


11-


Elle avait revêtu une délicieuse petite jupette verte dessus du genou. Très largement dessus du genou. Enfilé un petit haut assorti qui lui dessinait les seins au plus près. Et s’était fait une queue de cheval qui lui battait la nuque. Le maquillage était discret, tout en nuances et en harmonie avec sa tenue.
– Tu es en mode conquête ?
– Non, en mode climat subtilement sensuel.
– C’est particulièrement réussi. Tu es ravissante.
– Merci.
– Et tu vas où comme ça, si c’est pas indiscret ?
– Nulle part et partout. Me promener, par les rues, au hasard.
– Et cueillir des regards.
– Ben oui, vous savez bien. Vous venez avec moi ? Vous m’avez promis l’autre jour, vous vous rappelez ?
– Je viens.
– Et alors vous savez ce qui serait bien ? Ce serait que vous marchiez un peu derrière moi. Pas trop loin. Mais pas trop près non plus. Comme si on n’était pas ensemble. Vous verriez les réactions derrière mon dos comme ça. Et, après, vous me raconteriez. Seulement ceux dans vos âges. Ou même plus. Parce que ça m’intéresse pas, les jeunes. Du moins pour ça. C’est trop toujours pareil leurs réflexions. Et c’est d’un bête ! Non ? Ça vous dit pas ?
– Allez ! En route !

Elle plaisait. Ça ne faisait pas l’ombre d’un doute. On l’admirait. On la désirait. Le plus souvent discrètement. On détournait un peu la tête, on jetait un coup d’œil intéressé à son délicieux petit postérieur et on poursuivait sa route. Mais les regards pouvaient aussi se faire plus insistants, la balayer longuement de haut en bas et de bas en haut, à plusieurs reprises, avant de l’abandonner, manifestement à regret.
Un vieux monsieur m’a fait un clin d’œil et lancé un « Bonne chance » au passage. Il était à l’évidence persuadé que je la suivais et que j’allais monter à l’assaut.
Un autre, entre deux âges, s’est tourné en soupirant vers son compagnon…
– Il y a des jours où on regrette vraiment de plus être célibataire.
Un autre encore, la cinquantaine bien sonnée, s’est arrêté, a hésité une fraction de seconde et lui a résolument emboîté le pas. Il s’est rapproché, rapproché encore. A cheminé quelques instants à ses côtés, tenté d’engager la conversation.
Elle s’est retournée.
– Vous venez ? Qu’est-ce que vous faites ?
Le type s’est éclipsé.
– C’est pas qu’il avait l’air d’être spécialement lourd, mais bon, j’avais pas vraiment envie. Et puis, de toute façon, je sais comment ça se serait fini : il aurait voulu coucher. Et ça, c’est hors de question.
On a fait quelques pas.
– En attendant, qu’est-ce que j’en ai eu des regards ! Et des qui valaient sacrément le coup.
Et elle est tombée en arrêt devant un café aux grandes baies vitrées.
– On rentre boire un coup là-dedans ? Que vous me racontiez, vous, de ton côté…
L’arrière-salle était presque déserte : un étudiant plongé dans ses bouquins ; deux jeunes femmes qui discutaient à mi-voix ; une autre qui faisait des mots fléchés.
On s’est installés un peu à l’écart.
– Je vous écoute !
Elle m’a écouté. En suivant du regard, au-delà de moi, le mouvement de la rue.
Sa main a disparu sous la table. Ses yeux se sont embrumés. Son épaule et son coude ont été pris d’un léger tremblement.
– Continuez ! Continuez !
Qui s’est accentué.
Elle a fermé les yeux et, de sa main libre, a saisi la mienne.


12-


– Vous venez ? Je me suis fait couler un bain. On discutera comme ça pendant ce temps-là.
Elle s’y est voluptueusement immergée. Jusqu’au cou.
– Ça t’arrive souvent de t’offrir des petites gratouilles en public ?
– Oh, oui ! J’adore. Vous auriez vu ces délires qu’on se tapait avec ça, toutes les deux, Emma et moi…
– Et vous vous êtes jamais fait capter ?
– Oh, si ! Deux fois. Et alors là, je peux vous dire que c’était pas triste. On fait attention pourtant. Vous avez bien vu tout-à-l’heure. Mais bon, il arrive qu’il y ait des impondérables. D’autres fois aussi ça a failli. Il y en a qu’ont manifestement eu des doutes. Mais c’en est resté là.
Mon téléphone a sonné.
– Ah, tiens ! Ce brave Martial…
– Mettez le haut-parleur ! Vous mettez le haut-parleur ?
On a d’abord échangé quelques banalités. Et puis il a insensiblement amené la conversation là où il avait envie qu’elle aille.
– Ça tient toujours ton invitation ?
– Bien sûr, oui ! Pourquoi ça tiendrait plus ?
– Et, excuse-moi de te demander ça, mais ce sera quand ?
– Dès que possible. Comme je t’ai dit, en ce moment je sais plus trop où donner de la tête. Je suis pris quasiment tous les soirs et…
– Je sais bien… J’me doute ! Mais mets-toi à ma place : je te rencontre avec une merveille de petite nana qui mettrait l’eau à la bouche de n’importe qui. À laquelle j’arrête pas de penser depuis l’autre jour…
– Oh, à ce point ?
– À ce point, oui…
– Te fais pas trop d’illusions quand même !
– Elle a quelqu’un, c’est ça, hein ? J’en étais sûr qu’elle avait quelqu’un.
Clorinde m’a fait signe que oui. De la tête. De lui dire que oui.
– Après, je sais pas trop au juste ce qu’il y a entre eux. La seule chose que je puisse te dire avec certitude, c’est qu’elle prend un sacré pied avec, ça !
– Tu les as entendus ?
– Mieux que ça.
– Tu les as vus ? C’est pas vrai que tu les as vus !
– Eh, si ! Un soir que je suis rentré plus tôt que prévu. Ils étaient en pleine action sur le tapis du salon. Si bien en pleine action qu’ils m’ont pas entendu arriver.
– Et t’en as bien profité, mon salaud !
– Ah, ben ça !
Elle s’est un peu redressée dans la baignoire. Ses seins ont doucement navigué à la surface de l’eau. Et elle m’a menacé du doigt. En riant.
– Mais alors, du coup, tu l’as vue à poil finalement !
– Et comme il faut ! Elle était à quatre pattes. Le derrière en l’air. En train de lui tailler une pipe. J’te dis pas le panorama.
Elle a arrondi les lèvres en un « Oh ! » scandalisé. Mais ses yeux souriaient.
– Elle est comment ? Ben, raconte, quoi !
– Comment ça « comment » ?
– Je sais pas, moi ! Son minou, elle l’ébarbe ?
Elle a eu un long rire silencieux.
– Complètement. Il y a pas un poil. Rien.
– Oh, putain ! Et t’es sûr que tu peux pas nous trouver un soir dans la semaine ?
– Je vais voir ça ! Je vais essayer de me débrouiller.
– Oh, oui, hein ! Je compte sur toi…
J’ai raccroché.
Elle a enjambé le rebord de la baignoire.
– Faut le faire venir sans trop tarder maintenant…
C’était bien aussi mon avis.


13-


– Tu veux un dessert ?
– Oui, s’il vous plaît. Un cône vanille-fraise.
Qu’elle s’est mise à lécher à petits coups de langue gourmands.
– Ça te dégouline sur le menton.
– Ah, oui ?
Et elle s’est mise à rire. De bon cœur.
– Qu’est-ce qu’il y a de si amusant ?
– Non, rien. Enfin, si ! Je repense à tout-à-l’heure, à Martial, au téléphone. À ce que vous lui avez raconté que vous nous aviez trouvés en train de faire sur le tapis du salon, Jérémie et moi. Ça pourra peut-être un jour, hein, qui sait ? Encore faudrait-il que je commence par l’amener ici.
– Oh, mais tu peux, hein ! C’est quand tu veux.
Elle a mordu dans sa glace. À pleines dents.
– Ah, ben ça ! C’est sûr que c’est pas vous qu’allez à trouver à redire. Même que vous allez les ouvrir toutes grandes, vos oreilles, quand on sera en train. Ce qui me donne une idée, tiens, d’ailleurs !
– Qui est ?
Elle s’est attaquée au cornet.
– Vous verrez bien !
– Inutile que j’insiste, j’imagine !
– Inutile, en effet.
– En attendant, avec tout ça, tu m’as toujours pas raconté…
– Quand je me suis fait gauler ? Oh, ben, la première fois, c’était dans une cabine d’essayage. Toutes les deux, on était. Emma et moi. C’est elle qu’a commencé. Plutôt en mode déconnade au début. Seulement on s’est vite prises au jeu. Surtout qu’entendre les gens qui parlent tout autour, qui vaquent à leurs petites occupations, sans savoir que là, tout près, t’es en train de te donner du plaisir, comment c’est troublant ! Super excitant en fait ! Et donc, on était là, toutes les deux, à s’activer, la main dans la culotte. C’était en train de s’emballer. Et le plus dur, quand tu te mets à plus rien maîtriser, c’est de te retenir de crier. Ou même de gémir. S’agit pas d’ameuter les populations. Alors tu te concentres, tu te mords les lèvres. Ou les joues. Au premier abord, ça peut paraître frustrant, mais pas tant que ça, finalement. Il est différent, ton plaisir. Plus renfermé. Plus ramassé. Enfin, bref… Ce qui s’est passé, ce jour-là, c’est qu’au pire moment le rideau s’est brusquement soulevé et une tête de vieille horrifiée est apparue dans l’embrasure.
– Mais elle avait pas vu que c’était occupé ?
– Faut croire que non. Comment elle l’a laissé retomber le rideau. À croire qu’il lui brûlait les doigts. Et elle s’est mise à hurler : « Ah, ben ça alors ! Ah, ben ça alors ! Non, mais ces petites dégoûtantes qu’il y a là-dedans ! » Vous auriez entendu ce silence d’un seul coup ! Et puis des chuchotements. Des « C’est pas vrai ! » à mi-voix. Je vous dis pas l’ambiance quand on est sorties. Tous les regards sur nous. Les uns, offusqués. Les autres, carrément rigolards. Mais alors une fois sur le trottoir, je vous dis pas cette crise de fou rire qu’on s’est tapée toutes les deux. Plus moyen de s’arrêter. Et pareil chaque fois qu’on en reparle. N’empêche qu’avec le recul, il est pas désagréable du tout, ce souvenir. C’est souvent que je m’en sers quand je me le fais.
– Et la deuxième fois ?
– C’était au cinéma. Il n’y avait pas grand-monde dans la salle. Et le film, bof ! Il cassait pas trois pattes à un canard. Du coup, je me suis mise à m’occuper de moi. Après avoir d’abord pris bien soin d’étaler mon manteau sur mes genoux. À doigts feutrés. Flottants. La tête un peu ailleurs. Et puis vous savez ce que c’est : on y prend goût. Ça devient exigeant. Les caresses se font de plus en plus précises. De plus en plus insistantes. Il finit par se franchir un cap. Au-delà duquel il est quasiment impossible de revenir en arrière. Je venais justement d’en arriver là quand une voix masculine a susurré, doucereuse, à mon oreille : « Mais c’est qu’elle se branle, la petite mademoiselle ! » D’où il sortait celui-là ? Il n’y avait pourtant personne à la rangée derrière, quand l’obscurité s’était faite. J’ai laissé la question en suspens. Peu importait n’importe comment. Il était là. Et il savait. M’arrêter ? Oui, mais non. Parce qu’elle avait quelque chose d’extrêmement sensuel et troublant, sa voix. D’envoûtant. Parce que je la ressentais comme bienveillante et complice. Alors je me suis laissé aller. C’est venu vite. Très vite. Avec son souffle dans mon cou. Quand la lumière s’est rallumée, il n’était plus là. Je n’ai jamais su lequel c’était, de tous les hommes qui se sont dirigés vers la sortie, quand la lumière s’est rallumée.
– Et tu le regrettes.
– Un peu.


14-


– Ça va comme ça ?
Un petit short bleu moulant. Un haut assorti plus clair qui lui dessinait les seins au plus près.
– Tu veux lui faire avoir un infarctus à ce pauvre Martial ?
– Oh, ben attendez ! Faut bien qu’il ait un peu de plaisir à me regarder.

Pour en avoir, il en a eu. Il a profité de toutes les allées et venues qu’elle a multipliées comme à plaisir, pendant tout le repas, sous les prétextes les plus divers, pour la dévorer des yeux. Pour se repaître d’elle.
Dès qu’elle se rasseyait, il la soumettait à un interrogatoire en règle. Ça consistait en quoi, au juste, la psychologie à la fac ? Ça lui plaisait ? Oui ? Et le cinéma ? C’était quoi son genre de films préféré ? Et en musique ? Shaka Ponk, elle appréciait ? Et ses vacances ? Elle les passait où, ses vavances ? C’était un feu roulant de questions auxquelles elle répondait de bonne grâce sans jamais se départir d’un lumineux sourire.
Aussi s’est-il senti autorisé à s’aventurer sur un terrain plus personnel. Ravissante comme elle était, elle devait avoir une foule d’adorateurs. Et il y avait sûrement un heureux élu, non ? Elle a éludé. Non. Oui et non. Elle avait bien le temps. En attendant, elle s’amusait. C’était de son âge. Une fois l’un, une fois l’autre. Comme ça se trouvait. Sans se prendre la tête. On n’était plus au Moyen-Âge. Et les filles aujourd’hui, elles menaient leur vie comme elles l’entendaient. Il a abondé dans son sens. Elle avait bien raison. Et c’est sûrement pas lui qu’allait lui dire le contraire. Ah, non alors ! Il allait d’autant moins le lui dire qu’il commençait à se frotter intérieurement les mains. Eh, mais c’est que s’il s’y prenait bien, il allait peut-être pouvoir la mettre dans son lit, cette jolie petite caille. À condition de ne pas s’emballer. De poser un à un les jalons.

Au dessert, son portable a bipé. Un SMS. Qu’elle a lu en haussant les épaules.
– Non, mais ces pauvres mecs, des fois !
Je lui ai posé la main sur le poignet.
– Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
– C’est Jeanne, là, une copine. Son mec veut la larguer. Et vous savez pourquoi ? Je vous le donne en mille. Parce qu’elle veut pas se raser le minou. Il ferait beau voir qu’un mec, il me demande un truc pareil, moi ! Il aurait pas fait le plus dur.
Je suis entré dans le jeu.
– Ce serait si grave que ça ?
– Ce qui serait grave, c’est qu’il veuille décider à ma place de comment faut que je sois. Non, mais ils vont bien, eux. Mon minou, je me le rase quand ça me chante. Et quand ça me chante, je laisse repousser. Et je le taille ou pas. À la française ou à l’anglaise. Selon l’humeur du moment. Et, à l’occasion, en forme de cœur ou de papillon. On n’a que l’embarras du choix en fait.
J’ai saisi la perche qu’elle me tendait.
– Et en ce moment, il est comment ?
Elle m’a tiré la langue.
– Vous saurez pas.

On a raccompagné Martial jusqu’à sa voiture. Qu’on a regardée s’éloigner.
Elle a éclaté de rire.
– Sa tête ! Non, mais vous avez vu sa tête quand j’ai parlé de Jeanne ?
– Faut dire que lui brandir ton petit minou sous le nez, comme ça ! Le lui décrire dans toutes les configurations possibles et imaginables. Déjà qu’il flashait complètement dessus…
– Ben justement, c’est pour ça ! Qu’il puisse mieux l’imaginer. En rêver tout son saoul.
– Sauf que maintenant que tu lui as mis l’eau à la bouche…
– Il va vouloir y jeter un œil pour de bon ? Oui, ben ça on verra. Je dis pas non. Mais je dis pas oui non plus. Ça va dépendre si j’en suis ou pas. Et de plein d’autres choses.


15-


– Il m’a téléphoné. Ce matin. Aux aurores.
– Il a pas perdu de temps, dites donc ! Et alors ?
– Et alors je lui ai dit que je pouvais pas lui parler, que j’étais surbooké. De rappeler à six heures.
– Histoire que je sois rentrée. Que je puisse écouter. Vous êtes un amour.
Elle a jeté un coup d’œil à la pendule.
– Moins cinq. Il va pas tarder.
S’est fait un nid de coussins au creux du canapé.
– N’empêche… Vous vous êtes pas rendu compte, hein, hier soir !
– Que quoi ? Que tu t’es offerte à toi-même, après, dans ta chambre ? Si ! Bien sûr que si ! Tu étais même très expansive.
– Oui. Non, mais pas ça. Avant. Quand il était là. Sous la table, je me le suis fait. Pendant qu’il me posait toutes ces questions, là.
– Ça s’est absolument pas vu.
– Oui, oh, j’ai pas poussé le bouchon trop loin non plus. Juste quelques effleurements. En mode discrétion absolue. C’était trop tentant, attendez, de voir l’effet que je lui faisais. Je peux pas résister, moi, à ça. Et puis alors me dire que c’était devant lui, comme ça, en causant, et qu’il se doutait de rien…
Mon portable a sonné.
– C’est lui ?
C’était lui.
– Maxime ? Oui. Excuse-moi pour ce matin.
– Oh, c’est pas grave !
– Ça va ?
– Ça va, oui ! Sauf que je suis crevé. J’ai pas fermé l’œil de la nuit. Me demande pas pourquoi.
– Clorinde ?
– Ben, oui, Clorinde, oui. Une fille comme ça, tu peux pas rester insensible, attends, c’est pas possible.
– Ah, elle a du charme, hein !
– Du charme ! Elle est super canon, oui, tu veux dire…
– Sans compter qu’elle a tout plein de qualités par ailleurs.
– Je me demande comment tu fais. Je me demande vraiment comment tu fais. Vivre, comme ça, avec une nana de rêve, sous le même toit, sans que… Non, mais je deviendrais fou, moi ! Complètement fou. Me dis pas que… T’as quand même bien tenté ta chance, non ?
– J’ai vingt ans de plus qu’elle. Vingt-cinq, pour être précis.
– Qu’est-ce tu t’en fous de ça, tu parles !
– Mais elle, elle s’en fout peut-être pas.
– T’as qu’à y croire ! Un type qu’a un peu de bornes, elles apprécient toujours, les filles, à cet âge-là. Il y a de l’expérience. Il y a du savoir-faire. Ça les rassure. Ça les valorise. Et ça rend les copines jalouses. Non, si t’y vas pas, je monte au créneau, moi !
– Tu fais bien comme tu veux !
– D’autant que t’as entendu. Elle l’a dit. Elle pense qu’à s’amuser en ce moment. Ah, non, j’y vais, moi ! J’y vais ! Pas question de laisser passer une occasion pareille. J’en aurais du remords toute ma vie. Je peux compter sur toi ?
– Pour ?
– Me faciliter les choses. M’inviter aussi souvent que possible. Me laisser éventuellement seul avec elle. Essayer de savoir ce qu’elle a dans le ventre. La faire parler. Lui faire dire ce qu’elle pense de moi. Enfin tout, quoi ! Tout ce qu’est possible.
Elle m’a fait signe d’accepter.
– Tu peux compter sur moi.
– Merci. Je te revaudrai ça.


16-


Elle a hoché la tête.
– Il est bien sûr de lui, votre Martial, là.
– Je l’ai toujours connu comme ça.
– Oui, ben il me passera pas à la casserole. De ce côté-là, il y a pas le moindre risque. Par contre, quel pied je vais prendre à le regarder faire la roue devant moi, alors ça ! Bon, mais dites-moi ! On est quel jour ?
– Le quinze. Non, le seize. Pourquoi ?
– Le seize, oui. Et vous avez pas oublié quelque chose ?
– Wouah ! C’est ton anniversaire.
– C’est mon anniversaire, oui. Depuis ce matin. Et vous vous en fichez complètement.
– Mais non, mais… Je suis désolé. Va vite te préparer, tiens ! Je t’emmène au restaurant.
– Et un bon, hein ! Vous avez intérêt. Si vous voulez que je vous pardonne…

Un bon. Étoilé. Avec des nappes blanches. Des chandeliers. Et des serveurs aux petits soins.
Elle s’est penchée.
– Qu’est-ce tu regardes ?
– La nappe. Elle descend bas. Elle cache. Comme ça, si jamais l’envie me prend d’aller me rendre une petite visite là-dessous…
– Tu es infernale.
– De plus en plus. Et c’est de votre faute.
– Ben, voyons !
– Enfin, grâce à vous, plutôt ! C’est vrai qu’il y a eu – et qu’il y a encore Emma – mais Emma, c’est pas pareil. C’est une femme. Vous, vous êtes un homme et vous me jugez pas. Jamais. Du coup, je peux me laisser aller à être complètement ce que je suis. Comment ça fait du bien ! Je me sens au large. Et je me découvre. Si, c’est vrai, hein ! Il y a tout un tas de pans de moi-même dont je me rends compte que je ne leur laissais pas vraiment les coudées franches. Que je les bridais. Ou que je les vivais en demi-teinte. On a beau se dire qu’on se fout du qu’en-dira-t-on comme de l’an quarante – quitte à faire quelquefois de la provoc ; et ça, je sais faire, quand il faut ! – c’est jamais tout à fait vrai. On a toujours le regard des autres qui nous traîne plus ou moins dessus. Sauf que le vôtre, de regard, il rend tout ce qu’il touche simple. Naturel. Tout va de soi. J’adore capter les regards des hommes ? Les retenir ? C’est bien. C’est même très bien. Les exciter m’excite ? Vous n’y trouvez absolument rien à redire. Bien au contraire. Chaque fois que j’en ai l’occasion, je mate leurs queues avec délectation ? Et alors ? Vous voyez vraiment pas pourquoi ça devrait poser problème. Du moment que j’y trouve mon compte. Mais le « pire », depuis que je vous connais, c’est ça : me branler. Non, mais comment ça me tient ! Dix fois plus qu’avant. Et c’est pas peu dire. Sans arrêt j’y pense. Tous les jours je me le fais. Au moins une fois. Quand c’est pas plus. Il y a toujours quelque chose, à un moment ou à un autre, qui me donne envie. Et vous savez ce qu’a changé ? C’est que maintenant j’accepte complètement l’idée que je prends bien plus de plaisir toute seule qu’avec un mec. Avant, ça n’empêchait rien, non, bien sûr, mais j’avais quand même toujours une petite voix en arrière-fond qui me disait que c’était pas normal. Que j’étais pas normale. Que c’était dans l’autre sens que ça devait être. Eh ben, non ! C’est comme ça. Je suis comme ça. Et puis voilà.
– Et qu’est-ce j’ai à voir, moi, dans cette métamorphose-là ?
– Je sais pas. Tout ce que je sais, c’est que c’est lié à vous. Et ça, j’en suis sûre. D’ailleurs…
– D’ailleurs ?
Elle n’a pas répondu. Ses yeux se sont perdus dans le lointain.
– D’ailleurs ?
– Non, rien. Plus tard je vous dirai. Tout-à-l’heure. À la maison.
– Clorinde…
– Oui ?
– Donne-moi ta main.
Elle m’a tendu la gauche.
– Non. L’autre… Celle qu’est sous la table.
Je l’ai portée à mes narines. Y ai posé les lèvres. En ai englouti un doigt.
– Tu as bon goût. Très.


17-


– J’ai pas eu de cadeau hier, n’empêche !
– Tu manques pas d’air, toi ! Et le restaurant alors ?
– C’est pas un cadeau qui se garde, ça, le restaurant. Ça compte pas.
– Ben, voyons !
– Non, ce qu’on pourrait peut-être, c’est aller faire un tour dans un magasin de sapes. On sait jamais. Des fois qu’on trouve un truc qui m’aille. Et puis les cabines d’essayage, moi…
– Ça t’inspire…
– Ben oui, je vous ai bien raconté la fois avec Emma… Sauf que ce coup-ci, ce serait avec vous. Ce serait encore mieux. C’est ça que je voulais vous dire, hier soir, là-bas, quand on mangeait. Seulement…
– Seulement t’étais déjà tellement avancée que t’avais peur, si on parlait de ça, de plus rien pouvoir maîtriser du tout.
– Voilà, oui.
– Et dans un endroit chic et feutré comme celui-là, tes hurlements de jouissance débridée auraient fait tache, ça, c’est sûr…
– Oui, bon, mais on cause… On cause… Si on y allait, non, plutôt ?

Et on a arpenté, en long et en large, quatre on cinq rues commerçantes.
– Là ?
– Oh, non, pas là, non !
Il y avait tout un tas de conditions à remplir.
D’abord, il fallait qu’il y ait le choix.
– Si je veux trouver quelque chose qui me plaise… Et qui m’aille…
Ensuite qu’il y ait beaucoup de clients.
– Que ce soit excitant de les entendre autour.
Et enfin que le patron ait un certain âge.
– Et le genre à laisser discrètement traîner les yeux sur les nanas.

Elle a enfin, après nous avoir fait effectuer un interminable périple, trouvé la boutique de ses rêves.
Et elle a essayé. Une robe. Une autre. Une troisième. A fini, par s’asseoir, en petite culotte et soutien-gorge vert amande, sur le tabouret. Dans la cabine voisine, on s’esclaffait. Des voix de femmes. Jeunes. « Eh ben, dis donc, si tu lui fais pas attraper l’infarctus avec ça ! »
Elle s’est doucement caressée. Les seins. Les deux. Les doigts faufilés sous les bonnets. Et puis le minou. À travers le tissu. De bas en haut. Et de haut en bas. Les yeux plantés dans les miens. De plus en plus vite. Le souffle de plus en plus court.
Au-dehors, il y avait des bruits de pas. Qui longeaient notre rideau. Une vendeuse insistait… « Si, si, Madame, ça vous va, je vous assure ! » Le patron encaissait, d’une voix grave. « Au revoir ! Au plaisir ! »
Elle a enfoui une main dans sa culotte. Qui y a ardemment moutonné. J’ai déboutonné mon pantalon. Je me suis sorti. J’ai refermé mes doigts sur moi. Et tous les deux. Ensemble. Elle a haleté.
– Je vais jouir ! Je vais jouir ! Oh, c’est trop bon…
Les yeux chavirés de bonheur.
J’ai senti venir la catastrophe. Ça allait la déborder. Elle allait la submerger, sa jouissance. Retentir dans tout le magasin. Je me suis précipité. Je l’ai bâillonnée de la paume de ma main. Sur laquelle elle a refermé les dents. De toutes ses forces. J’ai étouffé un hurlement. Elles les y a laissées enfoncées jusqu’à ce que son plaisir soit retombé. Ce n’est qu’alors qu’elle a relâché son étreinte.
– Pardon… Pardon… Je suis désolée.

Une fois au-dehors, on a fait quelques pas sur le trottoir.
– Eh ben dites donc, heureusement que vous étiez là. Parce que je maîtrisais plus rien, moi !
Elle m’a pris la main.
– Faites voir ! Ah, quand même ! Quand même ! J’y suis allée de bon cœur, dites donc !
Elle a esquissé un petit sourire taquin.
– Oui, mais c’est votre faute aussi ! Si vous m’aviez pas déballé votre queue sous le nez…
– Ce culot ! Non, mais alors là, ce culot…


18-


– Bon, mais alors qu’est-ce qu’elle fout ? Elle se connecte ?
– Qui ça ?
– Ben, Emma, tiens ! Qu’on lui raconte notre petite expédition de tout-à-l’heure. Elle va adorer. En attendant, en douce que sur ce coup-là, on n’a pas vraiment assuré. On a détalé comme des lapins. Comme si on avait le feu au cul. Non, ce qu’il aurait fallu, c’est s’attarder au contraire. Pour bien en profiter. Parce que pas besoin de vous en faire que, même que vous m’ayez empêchée de beugler, ils se sont forcément rendu compte de quelque chose. Vu comment vous étiez rouge en sortant de là-dedans…
– Tu peux parler, toi ! T’étais pas mal non plus dans ton genre. Écarlate. Et tout échevelée.
– C’est pour ça ! À tous les coups, ils ont dû croire qu’on y avait baisé dans la cabine. Et on serait restés à se balader entre les portants, je serais retournée essayer, on aurait eu droit à tout un tas de regards pleins de sous-entendus, de chuchotements derrière notre dos. Des quantités de trucs. Comment je me serais régalée, moi ! Pas vous ? Remarquez, rien nous empêche d’y retourner, hein ! D’autant que je l’ai pas eu mon cadeau, finalement ! Ah, la v’là, Emma ! Ça y est ! La v’là ! Salut, toi ! Ben, approchez-vous ! Qu’elle vous voie ! Plus près ! Alors, qu’est-ce tu deviens ?
– Oh, ben tu sais, moi, c’est photos, photos et encore photos…
– Et beaux mecs, beux mecs et encore beaux mecs.
– T’as tout compris.
– Oui, ben en attendant, ça fait quand même un sacré moment que tu m’as pas envoyé d’échantillons.
– Ça peut s’arranger.
– J’y compte bien. Et de jolis petits specimens, hein ! Tu connais mes goûts !
– Oh, pour ça, oui ! Bon, mais et toi ? De ton côté, qu’est-ce tu deviens ?
– Moi ? Ça baigne. Je suis toujours chez lui, là. On s’entend comme larrons en foire. Tu verrais comment on s’éclate tous les deux. On se tape de ces délires. Comme là, tout-à-l’heure… Figure-toi qu’il a voulu m’offrir une robe… Et moi, tu me connais. Les cabines d’essayage, ça me rend folle.
– Ah, ça, je suis bien placée pour le savoir…
– Du coup, à peine on a été bouclés là-dedans que ça m’a prise. Et comme, en plus, lui, il s’y est mis aussi. Et que c’est trop excitant la façon dont il se le fait…
– Je vois… T’as mis la révolution dans la boutique, expansive comme tu es.
– Oui. Enfin, non. Ça a failli. Seulement failli. Parce qu’il m’a plaqué la main sur la bouche. De toutes ses forces. Sauf que, moi, d’instinct, j’ai planté les dents dedans.
– Aïe !
– Tu peux le dire ! Comment je l’ai arrangé, le pauvre ! Tiens, regarde !
Elle m’a pris la main, l’a approchée de l’œil de la caméra.
Emma a émis un petit sifflement.
– Eh ben dis donc ! Tu fais pas les choses à moitié, toi, quand tu t’y mets.
– Surtout que là, il est perdant sur toute la ligne. Non seulement il a pas eu le temps de se finir, mais maintenant, en plus, vu l’état dans lequel je la lui ai mise, il peut plus trop se servir de sa main.
– Prête-lui la tienne ! Tu lui dois bien ce petit dédommagement, non ? Après tout ce qu’il vient de faire pour toi.
– Oui. C’est vrai. T’as raison. C’est la moindre des choses. S’il a rien contre, bien sûr !
Hein ? Ah, mais non ! Non ! J’avais rien contre. Rien du tout. Au contraire.
– Dans ces conditions…
Et elle me l’a résolument sortie. Elle me l’a empoignée et elle a entrepris un lent mouvement de va-et-vient. Sur l’écran, Emma s’était rencognée dans son fauteuil. Ses lèvres étaient légèrement entrouvertes. Ses narines palpitaient. Son coude bougeait.
Clorinde a accéléré le mouvement. Vite. De plus en plus vite. Je me suis répandu.
Sur l’écran, Emma a gémi.


19-


Elle a repoussé son assiette, picoté des miettes du bout du doigt, posé ses coudes sur la table.
– Dites-moi un truc… Ça vous a plu tout-à-l’heure comme je vous l’ai fait devant Emma ?
– Beaucoup, oui.
– Je sais pas. J’avais pas vraiment l’impression.
– Comment ça ?
– Un peu comme si vous auriez préféré vous le faire tout seul finalement. À votre rythme à vous. En freinant, en accélérant, en marquant des temps d’arrêt juste quand il le fallait dans votre tête. Oh, mais vous pouvez le dire, hein ! Parce que moi aussi c’est pareil, dans un sens. Quand c’est quelqu’un qui me le fait, ce que j’aime, c’est l’idée que c’est quelqu’un qui me le fait justement, mais en vrai, c’est jamais autant le top que quand je suis aux commandes. Parce qu’on s’y prend pas comme j’aurais envie, parce que c’est pas au moment où moi je l’aurais fait qu’on me fait venir, parce que… bref, plein de trucs. Et je suis sûre que pour vous, c’est un peu la même chose. Non ? Je me trompe ?
– Tu ne te trompes pas, non.
– Ah, vous voyez ! N’empêche qu’il faut tout vous sortir au forceps à vous, hein ! Parce que moi, je vous parle. Je vous dis ce que je sens, ce que je pense, mes envies, tout ça, mais vous, jamais. Faut que je devine. Faut que je suppute. Faut que je conjecture. C’est comme les initiatives. C’est toujours moi qui les prends. Et c’est pas marrant, à force, vous savez. Pourquoi vous êtes comme ça ? À cause de moi ? Je vous bloque, c’est ça ? Vous avez peur de me choquer ?
– Oh, non. Non. Pas du tout. Non.
– Eh ben alors ! Allez, racontez-vous ! Dites-moi ! Je vous écoute.
– Qu’est-ce tu veux savoir ?
– Tout. Et puis tiens, d’abord, si vous en avez déjà eu des femmes.
– Évidemment ! Comme tout le monde.
– Non, mais c’est pas ça que je vous demande. Que vous ayez déjà tiré votre coup, j’me doute bien. Non, mais en couple. Vous avez déjà vécu en couple ?
– Une fois. Non, deux. Quelque mois ça a duré.
– Et vous en êtes resté là. Vous avez pas réessayé. Pourquoi ?
– L’occasion ne s’est pas présentée.
– Parce que vous l’avez pas cherchée. Et je sais pourquoi.
– T’es bien sûre de toi.
– Oui. C’est parce que vous préférez mille fois mieux vous branler que de coucher. Être dans votre imagination. Inventer des tas de situations qui vous parlent. Alors vos deux femmes, là, elles vous encombraient plutôt qu’autre chose. Vous aviez pas les coudées franches. Et pas seulement parce qu’elles étaient demandeuses, qu’elles voulaient que vous les sautiez quand vous aviez envie de vous occuper vous-même de vous, mais aussi parce qu’elles pouvaient vous gauler à tout moment, qu’elles auraient pas compris, que ça les aurait vexées à mort. Sans compter qu’elles vous entravaient dans vos expéditions. Ben oui ! Parce que je suis bien tranquille que vous avez vos endroits. Où vous allez secrètement faire provision d’images et de fantasmes. Où vous ne pouviez plus vous rendre aussi facilement en les ayant par les pieds. Alors quand on met tout ça bout à bout, pas étonnant qu’elles aient fait long feu vos histoires de couple et que vous en soyez pas d’y remettre le nez. Pourquoi vous riez ?
– T’as une de ces façons de résumer les choses…
– C’est pas vrai peut-être ?
– Dans les grandes lignes, si !
– Ah, vous voyez ! En attendant, en douce que comment vous avez déteint sur moi ! Parce qu’avant, c’était deux ou trois mecs par semaine qu’il me fallait. Au bas mot. Alors que depuis que je suis ici avec vous…
– C’est deux ou trois gratouilles par jour. Au bas mot.
Elle a hoché la tête.
– Quand c’est pas plus… Mais dites, vous m’emmènerez ?
– Où ça ?
– Là où vous vous les fabriquez vos fantasmes. Je vous ai bien emmené dans la cabine d’essayage, moi !


20-


– Et donc, c’est ici que vous venez…
– Entre autres, oui.
Accoudés à la rambarde, on a regardé monter, descendre, juste en dessous de nous, en un flot ininterrompu, des dizaines, des centaines de femmes. Des jeunes. Des moins jeunes. Des blondes. Des brunes. Des rousses. Longtemps.
– Bon. Et vous faites quoi, planté là, au juste, si c’est pas indiscret ?
– Je m’imprègne. Je prends un bain de nanas. Des heures et des heures je peux y passer.
– Je vois ça, oui. Vous bandez ?
– De la queue, non. Mais dans ma tête, oui. Comme un forcené.
– Qu’est-ce qu’on se ressemble, tous les deux, hein, finalement !

– Viens !
– Où ça ?
– Je sais pas. Ça dépend pas de nous. Attends ! Ralentis ! Va pas si vite…
– Pourquoi ? Qu’est-ce que vous… ?
Elle a levé la tête.
– Ah, oui, d’accord ! On la suit, celle-là ! C’est ça, hein ?
C’était une petite brune, d’une trentaine d’années, les fesses enchâssées dans un pantalon de velours grenat qui les moulait au plus près.
– On la suit, oui.
– Pourquoi elle ? Parce qu’elle a un beau cul ?
– Pas seulement. Elle a une adorable petite gueule d’ange. J’ai vu tout-à-l’heure.
– En tout cas, elle le remue, son popotin, ce qu’il y de sûr ! Et pas qu’un peu !

La fille est sortie de la galerie marchande, a pris à droite, s’est arrêtée, en bordure de trottoir, en attendant que le feu passe au rouge.
Elle s’est résolument engagée sur le boulevard. On lui a emboîté le pas.
– Je me demande bien où elle va…
– Elle rentre peut-être tout simplement chez elle.
Coralie a fait la moue.
– M’étonnerait… Elle a rendez-vous quelque part. Sûrement. Ça fait plusieurs fois qu’elle regarde sa montre.
– Peut-être chez le médecin. Ou le dentiste. Ou le coiffeur.
– Ou le banquier. À moins que…
Elle s’est brusquement engouffrée dans un couloir, sur la gauche.
– Ah, ben d’accord !
– Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
– Je connais, là. J’ai une copine qui y travaillait à une époque. C’est la porte de derrière d’un l’hôtel dont la façade se trouve de l’autre côté, sur l’autre avenue. C’est bien pratique pour les couples qui veulent pas qu’on les voie ensemble. Chacun son entrée.
– Ce qui signifie…
– Qu’elle vient se faire tirer là en douce, oui, il y a toutes les chances.
– Et qu’elle est mariée.
– Ah, ben ça ! Elle se planquerait pas, sinon. En attendant, vous avez le coup, vous, dites donc ! En plein dans le mille. Bon, mais et maintenant ? Qu’est-ce vous voulez faire ?
– Il reste des chambres de libres, tu crois, là-dedans ?
– À trois heures de l’après-midi ? Sûrement que oui. Oh, mais c’est que ça presse, vous, on dirait, maintenant que vous vous êtes gorgé d’elle tout votre saoul. Eh, ben allez ! Je suis curieuse de vous voir à l’œuvre. D’autant qu’avec un peu de chance on sera pas loin d’elle et qu’on l’entendra miauler.


21-


– Eh ben, voilà ! On a la chambre à côté de la leur.
– Comment tu sais ça, toi ?
– il nous a donné la 114, le type. Et la seule clef qu’était pas au tableau, c’était la 112. Donc…

Elle est allée s’installer en direct dans le fauteuil en face du lit.
– Que je sois aux premières loges pour vous regarder faire.
Et on a tendu l’oreille.
– Il ne se passe rien.
– Mais si ! Écoutez bien !
Effectivement. Le matelas grinçait. En petits couinements feutrés.
– Oui, ben eux, ils perdent leur temps en préliminaires, c’est le moins qu’on puisse dire.
Ça s’est presque aussitôt accéléré. Emballé. La fille a gémi. Et crié comme une perdue.
Clorinde y est allée de son petit commentaire.
– Ou bien c’est la première fois qu’ils font ça ensemble ou bien il y a longtemps qu’ils se sont pas vus. Ça a été expédié en tout cas. Vous avez même pas eu le temps de vous déshabiller.
Elle a suggéré.
– Vous devriez le faire. Parce qu’ils vont recommencer. Ils vont forcément recommencer.
Il s’est passé une dizaine de minutes. Et puis…
– Tiens, bingo ! Qu’est-ce que je disais !
La fille a haleté un plaisir longuement suspendu que j’ai accompagné d’une main résolue, en en épousant au plus près les méandres, les pleins et les déliés. Jusqu’à la tonitruante explosion finale qui m’a, moi aussi, libéré. En interminables et abondantes giclées blanches.
Clorinde a quitté ma queue des yeux.
– J’ai cru que vous alliez crier, vous aussi, à un moment.
– C’était à deux doigts.
– J’ai bien vu.
– Tu te l’es pas fait, toi !
– Non. Ce que je voulais, c’était tout bien observer et écouter. Dans tous les détails. Ça m’aurait parasitée de me le faire. Mais peut-être ce soir. En y repensant. Sûrement même.

À côté, ça a bougé.
– Attendez ! Écoutez !
Ça a paisiblement parlé.
– C’est fini. Ils se rhabillent.
On est allés se poster, côte à côte, à la fenêtre. Et on a attendu. Pas très longtemps.
– La v’là !
D’un pas décidé, sur le trottoir.
– Elle va où, à votre avis ?
– Peut-être bosser…
– Ou bien retrouver son mari. Ça l’excite, si ça tombe, de courir vers lui pleine du foutre d’un autre. Parce qu’on n’a pas entendu d’eau couler, ce qu’il y a de sûr.
On l’a perdue de vue.
– Ils reviendront peut-être.
– S’ils doivent se revoir, ce sera sûrement ici, oui, il y a toutes les chances.
– Même jour, même heure ?
– On vérifiera, c’est facile. Faudra aussi essayer de voir la tronche qu’il a, le type. Et tâcher de savoir où elle va, elle, après, quand elle le quitte.
On s’est éloignés de la fenêtre. Elle m’a regardé me rhabiller.
– Je sais pas pourquoi, mais je sens qu’on va faire tout un tas de découvertes plus passionnantes les unes que les autres, nous deux.


22-


Un texto. De Martial.
– On l’avait oublié, celui-là !
– Vous, peut-être ! Mais pas moi.
– Ce qui veut dire ?
– À votre avis ?
– Que tu te rends délicieusement et discrètement visite en pensant à lui. En imaginant ses regards fous de désir qui te parcourent tout partout encore et encore. Jusque dans tes moindres recoins. Et que ça te met dans tous tes états.
– On peut rien vous cacher, à vous. Bon, mais il dit quoi, ce texto ?
– Que je suis un salaud. Que je lui avais promis de tout faire pour lui arranger le coup avec toi, que le temps passe et qu’il voit rien venir.
– C’est vrai, ça ! Faudrait peut-être lui donner un os à ronger.
– Tu veux que je l’invite ?
– Après avoir préparé un peu le terrain avant, oui.
– C’est-à-dire ?
– En lui donnant une photo de moi. Dénudée. Et en lui disant que vous l’avez prise en douce. Sans que je m’en rende compte. Du coup, quand il viendra manger, il pourra plus penser qu’à ça. Tout le temps qu’il sera là.
– Il y pensera même avant. Et il fera pas qu’y penser.
– Oui, ben ça, évidemment !
– Et j’en connais une autre que l’idée qu’il fait pas qu’y penser mettra en appétit.
– La seule chose que je me demande…
– C’est ?
– Ce qu’il vaut mieux que je lui montre. Pas tout, ça, c’est sûr. Qu’il puisse imaginer. Et espérer en voir plus. Mais quoi ? Si vous deviez me voir, vous, qu’est-ce que vous préféreriez ? Les nénés ou les fesses ?
– J’ai déjà tout vu.
– Oui, non, mais ça, je sais bien. Mais imaginez que vous deviez me découvrir. Pour la première fois. Sans savoir comment je suis faite. Des deux vous choisiriez quoi ?
– Je serais bien en peine. J’aurais trop envie et des uns et des autres.
– Oui, bon. Va falloir que je décide toute seule, quoi !

J’ai finalement photographié les deux.
– On choisira après.
D’abord les seins.
Elle s’est allongée de tout son long sur le canapé, a fait mine de dormir profondément. Et j’ai mitraillé. De dehors. À travers la baie vitrée. En plans larges. En plans rapprochés. Avec le visage. Sans le visage. Je m’en suis donné à cœur joie.
Et puis les fesses qu’elle a tenues bien serrées. Fermées.
– Faut pas trop lui en donner non plus. Pour une première fois…

Elle a longuement hésité.
Opté pour les seins.
– Ça, c’est sûr. Mais laquelle ?
Elle a fait défiler.
– Il en faut une où on voit ma figure. Qu’il aille pas se servir de mes nénés en imaginant que ce sont ceux d’une autre.
– Alors ça, il y a pas le moindre risque.
– Oui, oh, avec les mecs, on sait jamais. Bon, mais celle-là ! Allez, celle-là ! On va pas y passer la soirée.
– Je lui envoie ?
– Ah, non, non ! En mains propres vous irez lui remettre. Que vous puissiez voir ses réactions. Et me raconter…


23-


– Vous l’avez vu, Martial ?
– Je l’ai vu, oui.
– Alors ! Ben, racontez, quoi !
– Il en croyait pas ses yeux. « Ses nichons, putain ! C’est pas vrai que t’as réussi à lui capter les nichons ! » Il te les a dévorés un long moment des yeux. « Des petites merveilles ! De véritables petites merveilles ! » Qu’il m’a supplié de lui transférer. « Que je puisse en profiter un peu, moi aussi ! »
– Et il s’est sauvé aussitôt avec, j’parie ! Ça pressait trop.
– Non. À l’évidence, c’est pas l’envie qui lui en manquait, mais non ! Parce qu’en fait, ce qu’il se demandait, c’est si, par hasard, il y en avait pas d’autres, des photos, à grappiller. Des fois que je me la sois jouée perso. Que t’aies été complètement à poil sur ce canapé, que je t’aie mitraillée tant et plus, que je lui aie fait l’aumône de tes seins et que je me sois gardé le reste pour moi tout seul.
– La confiance règne. Et alors ? Vous vous en êtes sorti comment ?
– En jurant mes grands dieux que jamais j’aurais fait une chose pareille, enfin ! Il pensait bien que, si j’avais eu davantage, je l’en aurais fait profiter aussi. J’étais pas comme ça. Non. En réalité, en bas t’avais gardé un espèce de short de nuit. Qu’avait pas franchement d’intérêt. Du coup, je m’étais concentré uniquement sur ce qui était à découvert.
– Il vous a cru ?
– Il a eu l’air. Mais il ne s’est pas avoué vaincu pour autant. « Tu restes sur le qui-vive, hein, tu me promets ? T’essaies de nous avoir le reste… Tout le reste. Si tu y arrives, je te vouerai une reconnaissance éternelle. »
– Rien que ça ! Eh ben, dis donc ! Je lui fais de l’effet, on peut pas dire.
– Tu fais de l’effet à beaucoup de monde.
– J’espère bien ! Et alors ? Après ? Il a parlé de venir ?
– Même pas, non !
– Ce qui veut dire qu’il va nous tomber dessus, sans prévenir, incessamment sous peu.
– Il y a de fortes chances, oui.

Il a appelé. Sur le coup de dix heures du soir.
– T’es tout seul ?
J’ai mis le haut-parleur.
– Je suis tout seul, oui.
– Elle est où, elle ?
– Sous la douche.
– Sous la douche ? Oh, putain ! Tu sais que je la regarde ? Je l’ai sous les yeux, là. Je fais que ça, depuis tout-à-l’heure. La regarder…
– Que ça, t’es sûr ?
– Oui, enfin, je me comprends ! Non, mais attends ! Comment tu veux résister ? Cette paire de nibards qu’elle a ! C’est à se mettre à genoux devant. Et puis cette petite gueule d’amour. En plus ! Elle me rend fou. Non, je t’assure ! Elle me rend fou.
Clorinde m’a fait signe de la suivre. Jusqu’à la porte de la salle de bains. Qu’elle a repoussée derrière elle. Sans la refermer complètement.
L’eau a ruisselé.
– Martial ? T’es toujours là ?
– Oui.
– Écoute ! T’entends ? C’est la douche. Elle est dessous.
– Oh, la vache ! Oh, la vache !
Il a haleté. Il a gémi.
– Oh, putain ! Je jouis ! Je jouis !


24-


Elle était passée chez ses parents.
– Cet après-midi. Vite fait.
– Et alors ?
– Ils m’ont mis une de ces soufflées ! Ils veulent que je parte de chez vous. Soi-disant que ça suffit de vous envahir. Que maintenant il faut que je m’en aille. Que je trouve quelque chose ailleurs.
– Laisse-les dire !
– Oui, mais non ! Il va bien falloir. Parce qu’ils vont pas arrêter de me tanner sinon. Jusqu’à ce qu’ils aient obtenu gain de cause.
– Tu va pas partir ?
Je l’ai crié.
Et elle s’est jetée à mon cou.
– Votre tête ! Non, mais votre tête ! Et comment vous avez dit ça ! Vous êtes trop adorable. Ah, vous y tenez à moi, hein ! Mais non, je vais pas partir, non ! Enfin, si ! Mais non quand même ! Attendez ! Que je vous explique…
Elle s’est servi un grand verre de jus d’orange qu’elle a avalé d’un trait.
– Vous vous rappelez l’hôtel, l’autre jour ?
Évidemment que je me rappelais.
– Et vous avez pas fait attention ?
– À quoi ?
– Juste en face de la porte par où elle est entrée, la fille qui vous avait tapé dans l’œil, de l’autre côté de la rue, au deuxième étage, il y avait un panneau « À louer. » J’ai téléphoné. Demain je vais le visiter. Et je vais le prendre. Je m’en fous, de toute façon, je l’habiterai pas. Et comme ça, au moins, ils seront contents, mes parents. Non, et puis ce qu’il y a aussi, c’est que ça nous fera un petit pied à terre, à tous les deux, si on veut. On sera aux premières loges pour voir ce qu’il s’y passe dans cet hôtel. Les entrées. Les sorties. On pourra surveiller. Et, si ça nous chante, essayer d’en savoir plus. Sur les uns. Sur les autres. Sur la fille aussi, si elle revient. Non, je sens que je vais adorer, moi… Pas vous ?
Moi aussi, oui.

– Encore lui !
– Martial ?
– Évidemment, Martial.
– Vous répondez pas ?
– Il y a pas le feu. Qu’on puisse finir de dîner en paix. Ça lui fait pas de mal n’importe comment de mariner un peu.
– Le pauvre ! Il doit être en train de tirer une langue de douze kilomètres sur mes nénés. Vous êtes un sans-cœur.
– À propos, c’est quand qu’on lui montre tes fesses ?
– Oh, pas tout de suite ! Chaque chose en son temps. Faut l’inviter ici avant. Que je le voie d’abord en train de penser qu’il les a vus, mes seins. Et leur jeter des regards à la dérobée. Surtout que… je sais déjà ce que je vais m’habiller.
– Je crains le pire.
– Oh, vous pouvez… Parce que je vais faire fort. Il va pas débander de tout le repas. Bon, mais allez, rappelez-le !
– Pour lui dire quoi ?
– Je sais pas. Improvisez ! Que j’aie la surprise, moi aussi.

Il a décroché tout de suite.
– Elle est où ? Sous la douche ?
– Non. Dans sa chambre. Avec un type.
– C’est qui ?
– Ah, ça, j’en sais rien. C’est la première fois que je le vois.
– Ils baisent ?
– Pas pour le moment.
– Mais ils vont le faire. Sûrement. Va ! Va écouter. Tu me raconteras.


25-


Une gamine ! Une vraie gamine. Qui courait partout, d’une pièce à l’autre. Qui visitait les placards. Qui ouvrait les robinets.
– C’est génial ! C’est trop génial ! Je m’attendais pas à ça, moi ! Pas du tout. Et puis alors pour le prix… C’est donné, avouez !
Elle est allée se pencher à la fenêtre.
– Ça devrait pas trop circuler la nuit.
Y est restée un long moment accoudée.
– Il y en a une !
– Une quoi ?
– Une bonne femme qui sort de l’hôtel en face. Venez voir ! Celle avec la veste marron. Qui longe le magasin de sport. Vous voyez ? Quel âge elle peut avoir ? Pas loin de soixante, je suis sûre. Et peut-être même qu’elle les a. Qu’est-ce vous pariez que c’est un petit jeune qu’elle se tape ?
– Ça, t’en sais rien du tout.
– Oh, si ! Sûrement. Derrière le dos de son mari. C’est dégueulasse. Elle a pas le droit, à son âge, de nous piquer nos affaires comme ça, à nous, les filles.
– Il vous en reste bien assez. Et puis, de toute façon, pour ce que tu t’en sers, toi !
– C’est pas une raison. Elle en sait rien. Et puis je pourrais avoir envie. Et justement de celui-là.
Elle s’est appuyée contre moi.
– D’un autre côté, c’est rassurant de se dire que sa mécanique, elle est toujours en état de marche. Ça veut dire que moi aussi, j’ai encore pas mal d’années devant pour pouvoir en profiter.
Son visage s’est illuminé, d’un coup.
– Et si on restait dormir là ? Puisqu’on nous a laissé les clefs.
– Mais il y a rien. C’est vide.
– Qu’est-ce ça fout ? Au contraire. Ce sera marrant. On campera. Suffit qu’on repasse là-bas chercher votre grand matelas qui se gonfle, nos couettes, nos trousses de toilette, quelques affaires de rechange et le tour est joué. Allez, on y va !

– Vous voyez qu’elle était pas si mal, mon idée, finalement ! On n’est pas bien là ?
Couchés tous les deux, côte à côte, dans la semi-obscurité.
On était pas mal, oui. On était même très bien.
– Ça fait quand même bizarre, vous trouvez pas, quand on se trouve dans un endroit complètement nouveau comme ça ? Il y a des tas de bruits, on sait pas ce que c’est. D’où ça vient. On arrête pas de se demander.
– Tu t’y feras vite.
– Pas vraiment, non. Parce qu’il a beau être très bien cet appart, j’ai pas du tout l’intention de m’y installer. Comme je vous ai dit, c’est chez vous chez nous. Ici, je serai jamais que de passage.
Elle s’est redressée sur un coude.
– Ce qui m’empêchera pas de m’approprier quand même l’environnement. D’essayer de savoir qui il y a autour. À côté. Au-dessus. En dessous. D’en profiter, s’il y a moyen. Et il y aura. Parce que j’ai déjà repéré une fille tout à l’heure, quand je suis descendue chercher les pizzas. La trentaine. On s’est souri. C’est le genre de nana chaude comme une baraque à frites. Ça se sent tout de suite, ça ! Comment ils doivent défiler les mecs, chez elle, j’vous dis même pas ! Et comme c’est juste à droite, là, derrière la cloison, suffira de tendre un peu l’oreille. Et il y aura sûrement pas qu’elle. Parce qu’il y en a du monde, apparemment, dans cet immeuble. Sans compter en face. Parce qu’avec l’hôtel ! Toutes ces fenêtres… Surtout que les gens, quand ils sont pas chez eux, ils font beaucoup moins attention. Non, je sens qu’on va bien se plaire. Bon, mais c’est pas tout ça… C’est bien beau de parler, mais…
– Mais ?
– Faudrait peut-être qu’on l’inaugure cette chambre, non ? C’est la première fois qu’on y dort.
– C’est-à-dire ?
– Comme si vous le saviez pas ! On le fait ensemble ? En se regardant ?
Et elle a allumé.


26-


– Ah, enfin ! C’est pas trop tôt. J’ai cru que vous alliez jamais vous réveiller.
– J’avais besoin de récupérer.
– Ah ben ça, j’imagine… Comment vous en étiez de la comédie hier soir !
– Tu peux parler, toi !
– C’était de vous voir complètement déchaîné. Et de me dire que c’était à cause de moi. Parce que vous étiez en train de me regarder me le faire. N’empêche que deux fois vous avez giclé. Et que les deux fois vous avez crié.
Elle s’est redressée dans le lit.
– Je vais vous dire un secret. Mais vous allez pas vous fâcher ? Promis ?
– Promis.
Elle a extirpé un petit enregistreur de dessous son oreiller, l’a mis en marche. À plein volume. Des gémissements de plaisir ont envahi la pièce.
– C’est qui ?
– Ben, c’est moi, tiens ! Vous me reconnaissez pas ?
Si ! Effectivement, si ! C’était elle. Maintenant qu’elle le disait.
– Vous, ça va venir. Juste après. Là… Là… Écoutez ! Vous entendez ?
– À côté aussi ils doivent entendre.
– Et croire qu’on remet ça.
– Ils sont persuadés qu’on couche, je suis sûr.
– Ah, ben ça, forcément ! Mettez-vous à leur place ! En attendant, en douce que je vais me taper une de ces réputations, moi, ici ! À peine arrivée, dès le premier soir, je fais trembler les murs. Elles vont me tirer une de ces tronches les femmes de l’immeuble. Et ramasser leurs bonshommes. Des fois que je leur saute à la braguette.
Elle a arrêté.
– Là, c’est tout. Mais c’est pas à cause d’eux. Eux, j’en ai rien à foutre. Seulement, si je le laisse, ça va nous redonner envie.
– Ce serait pas un drame.
– Non, évidemment. Mais on peut pas non plus passer toutes nos journées à ça. Oh, mais on y reviendra. Surtout que j’en ai plein d’autres. Trente-deux exactement.
– Trente-deux !
– Ben, oui ! Chaque fois que je me caresse maintenant, je m’enregistre. Chaque fois que c’est possible, du moins. Et j’ai un petit carnet sur lequel je note tout. Le jour où ça s’est passé. L’heure. À quel endroit c’était. S’il y avait quelque part autour des gens qui pouvaient entendre. Ce qui m’a donné envie. De quels fantasmes je me suis servie. À quel moment je l’ai eu mon plaisir. En pensant à quoi. Tout, je note. Tout. Même ce qui, sur le moment, semble sans importance, mais qui peut en avoir après, plus tard, on sait jamais.
– Eh ben dis donc !
– Je me réécoute, du coup, des fois…
– Et ça te redonne envie.
– Oui, ben ça, évidemment ! Et vous savez ce que j’aimerais ?
– C’est qu’on les écoute ensemble.
– Voilà, oui.
– C’est quand tu veux.
– Et puis ce qu’on pourrait aussi, c’est… ce Martial, là…
– Toi, je te vois venir…
– Mais juste une… En lui faisant croire que c’est vous qui m’avez enregistrée en douce et que je suis avec un mec.
– Tu vas le rendre fou.
– Tant pis pour lui. Ou tant mieux.
Elle s’est levée, est allée tirer les rideaux.
– Non, mais vous avez vu ce soleil ? Allez, debout, grand feignant ! Qu’on descende déjeuner dans un café quelque part. Je crève de faim. Pas vous ?


27-


– C’est pas mal finalement ici, hein ?
On avait passé la matinée à faire des courses.
– Faut bien… Si on veut y venir de temps en temps. Il manque plein de trucs. Et puis même, que ça ait l’air un minimum habité. Parce qu’ils vont vouloir venir voir, mes parents. Je sais bien que je suis majeure, que je fais ce que je veux, mais j’ai vraiment pas envie de me prendre le chou avec eux à propos de ça.
Et le début de l’après-midi à suspendre des photos à droite et à gauche. À arranger une porte qui coinçait. À nettoyer la douche.
– Ils l’ont laissée dans un état, ces cochons !
Maintenant, assise sur le radiateur, près de la fenêtre, elle dressait la liste de tout ce qu’il manquait. Et qu’il fallait absolument se procurer.
– La v’là !
– Qui ça ?
– La fille de l’autre jour. Celle qu’on avait suivie. Elle y rentre à l’hôtel. Elle y rentre encore. Bon, allez, cette fois on s’en occupe. On descend, on attend qu’elle ressorte et on la piste. Qu’on sache où elle va quand elle sort de là-dedans.

– Bon, alors, qu’est-ce qu’elle fout ?
– Elle baise.
– Ça, je sais bien. Mais faut quand même pas trois heures pour s’envoyer en l’air.
– Des fois, si ! Tout dépend de la façon dont ça se passe.
– Ah, ça y est ! Elle sort. Bon, allez, on y va. Mais pas trop près. Qu’elle se doute pas de quelque chose.
– Ni trop loin. Qu’on risque pas de la perdre.
– Et surtout que vous puissiez bien lui mater le cul. Non ? C’est pas ça ?
On l’a suivie tout au long du boulevard. Elle marchait d’un bon pas, en regardant droit devant elle. Sans jamais tourner la tête. Ni à droite ni à gauche.
– Vous savez ce que je me demande ? C’est si elle l’a gardée, la jute du mec. Si elle l’a encore dedans. C’est ce que je fais, moi, quand j’ai eu un type. J’adore ça, la sentir dégouliner. Et puis me dire que les gens, tout autour, ils savent pas. Ils se doutent pas. Tu te prends un de ces pieds.
Elle a tourné à droite, la fille.
– Faudra quand même que j’y remette le nez un de ces jours, moi, aux mecs. Parce que c’est bien beau ce qu’on fait tous les deux, c’est même super, mais je risque de perdre la main à force.
Puis à gauche.
– Où c’est qu’elle peut bien aller par là ?
Encore à gauche.
– Ce qu’on aurait dû, c’est se séparer, tiens ! Qu’il y en ait un de nous deux qui la suive et que l’autre, il s’occupe du bonhomme, sur l’autre rue. Qu’on sache comment il est fichu. Et ce qu’il fait. Non, on a pas été vraiment bons sur ce coup-là.
– Ils sont appelés à se revoir.
– Ah, ça, sûrement !
– Alors ce n’est que partie remise.

La fille s’est résolument engagée sur le parking du Super Marché. À l’intérieur duquel elle s’est engouffrée. Et où on l’a perdue. On a eu beau parcourir les allées en long, en large et en travers, elle n’était nulle part. Elle s’était évanouie.
– Non, mais alors là, c’est la meilleure !
On a refait un tour et puis Clorinde m’a attrapé par le bras.
– Regardez ! Regardez là-bas.
Revêtue de la tenue lie-de-vin du magasin, elle était en train d’ouvrir sa caisse.
– Ah, ben d’accord !
– Filez ! Filez ! Laissez-moi faire. On se retrouve là-bas…


28-


Elle a jeté sur la table un filet d’oranges. Et deux avocats.
– Là… Voilà. J’ai posé un premier jalon. J’ai échangé quelques mots, vite fait, à la caisse, avec elle. J’y retournerai. Demain. Après-demain. Et tous les jours suivants. Je vais sympathiser. En mode discret. Sur la pointe des pieds.
– Et c’est quoi, le plan ?
– Qu’elle accepte qu’on se voie ailleurs. Je vais lui raconter une salade. Par exemple, que je fais un mémoire sur l’état d’esprit des employées de grande surface. Leurs projets. La façon dont elles envisagent leur avenir. Tant professionnel que personnel. Tout ça. Alors si elle voulait bien répondre à un petit questionnaire… Elle sera flattée que j’aie pensé à elle. Que je l’aie choisie. À moi alors de savoir la jouer subtil Pour l’amener à entrer en confidences. À se déboutonner. Il y aura plus qu’à aviser. En fonction de.
– Et mon rôle, à moi, dans tout ça, ce sera quoi ?
– Ce que vous pourriez, vous, c’est faire la même chose, de votre côté, avec le type. Aller l’attendre devant l’entrée principale. Entrer en contact. Vous débrouiller pour lui tirer les vers du nez. On aurait les deux versions comme ça. Les tenants et les aboutissants. S’ils se cachent dans cet hôtel, il y a forcément des raisons. D’autres personnes concernées. Qui ? Son mec à elle ? Sa femme à lui ? Les deux ? Faudra aussi chercher dans ces directions-là. À moins que ce ne soit complètement autre chose. À quoi on pense pas du tout. Oh, non, je sais pas vous, mais moi, maintenant qu’on y a mis le nez, j’ai trop envie de savoir. De connaître le fin mot de l’histoire. Et même, éventuellement, si l’occasion se présente, d’y mettre mon grain de sel.

– Et Martial ?
Elle était sous la douche.
– Hein ? Et Martial ? Il appelle plus ?
– Je sais pas. J’ai laissé mon portable dans la voiture.
– Ben, allez le chercher ! Qu’est-ce vous attendez ? Qu’on sache !
Il y avait sept appels en absence. Et quatre SMS.
– Qui disent quoi ?
– Toujours la même chose. Que tu l’excites que le diable. Que tes nibards le rendent fou. Qu’il en peut plus. Et quand est-ce que je lui montrerai d’autres photos ? Et que je l’invite ? C’est quand que je l’invite ?
Elle est sortie de la douche. En se frictionnant vigoureusement avec sa grande serviette blanche.
– Le pauvre ! Là, faut vraiment faire quelque chose. On peut pas le laisser dans cet état-là. Ce serait cruel. Allez, appelez-le !
– Pour lui dire quoi ?
– Ce qu’il a envie d’entendre. Et même davantage.
Elle est venue s’asseoir à mes côtés, flanc contre flanc.
– Et mettez le haut-parleur, hein !

– Allô… Martial ?
– Ah, ben, c’est pas trop tôt. Qu’est-ce tu foutais ?
– J’ai des photos.
– D’elle ?
– Évidemment, d’elle. De son cul.
– Oh, putain !
– Mais ça a été chaud. D’un peu plus, je me faisais gauler.
– Envoie ! T’envoies ?
Clorinde a glissé sa main entre ses cuisses.
– Je les ai pas là. Je suis pas chez moi. Mais on se voit, si tu veux.
– Quand ?
– Demain. Demain soir. Six heures. Même endroit que d’habitude.
– Ça marche.
On a raccroché.
– Vous me raconterez, hein !
– Tu sais bien que oui.
Sa main s’est activée plus vite entre ses cuisses.


29-


Elle m’a attentivement écouté. Jusqu’au bout.
– Et c’est tout ?
– Ben oui, c’est tout. C’est déjà pas mal, non ?
– Mouais…
Avec une petite moue de désappointement.
– Qu’est-ce t’aurais voulu d’autre ?
– Je sais pas, mais autre chose en tout cas. Non, parce qu’il est bien gentil votre Martial, là. Il s’excite comme un fou en me matant le cul et les nichons. C’est bien. C’est même très bien. C’est gratifiant. Je vais pas prétendre le contraire. Mais bon, il arrive un moment où ça peut guère que tourner en rond. Parce qu’il va se passer quoi maintenant ? On peut continuer à le chauffer, si on veut, oui, bien sûr. Lui offrir des photos de ma chatte en pâture. L’inviter. Que je le voie baver tant et plus devant moi. Et après ? De toute façon, je donnerai pas suite. Je coucherai pas avec, c’est hors de question. Alors ou bien ça va durer indéfiniment comme ça, moi à l’allumer et lui à m’encercler de désir, ce qui va être terriblement répétitif au bout du compte et mortellement ennuyeux. Ou bien il va se faire pressant. Il va devenir lourd et je vais être obligée de l’envoyer sur les roses. Dans les deux cas… Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi vous faites cette tête-là ? Ça vous étonne ce que je vous dis là ?
– Un peu, oui.
– Parce que j’étais à fond sur Martial et que d’un seul coup… Ben oui, mais ça m’amuse plus. Finalement il y a rien qui ressemble plus à un mec qui te désire qu’un autre mec qui te désire. Ils sont désespérément interchangeables. Et il y rien de plus facile pour une nana, quand elle est pas trop mal foutue et qu’elle sait y faire, que d’avoir des dizaines et des dizaines d’adorateurs prosternés à ses pieds dans l’espoir de décrocher le jackpot. J’en ai fait le tour de tout ça. Peut-être que ça reviendra. Je sais pas. On peut jurer de rien. Mais, pour le moment, j’ai envie d’autre chose. De nouveau. De différent.
– Et donc, Martial…
– On le met sur la touche, oui.
– Qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui raconter ?
– N’importe quoi ! Par exemple, qu’on couche ensemble, vous et moi. Il va se sentir en porte-à-faux vis-à-vis de vous du coup. Et vous abandonner le terrain. Ou alors c’est qu’il m’a vraiment dans la peau. Et là, ça va être beaucoup plus compliqué. Bon, mais allez, on verra bien. Assez parlé de Martial. Il y a pas que Martial dans la vie. Il y a aussi la fille de l’hôtel. Surtout la fille de l’hôtel. Et son amant.
– Ah, je comprends mieux.
– Vous savez ce que j’ai fait à midi ? Je suis allée au resto.
– Toute seule ! Vilaine ! T’aurais pu m’attendre…
– Celui en face de la grande surface.
– Et tu l’as vue…
– Non, mais j’ai déjeuné juste à côté de deux filles qui travaillent avec. Et qu’ont parlé d’elle.
– T’es sûre que c’était d’elle ?
– Une caissière qui s’appelle Alexandra et qu’a un casoar tatoué sur l’avant-bras, il doit pas y en avoir douze mille.
– Et alors ?
– Alors à ce qu’il paraît qu’elle en a après le patron. Qu’elle fait des pieds et des mains pour le mettre dans son lit.
– Ce sont peut-être des racontars.
– Et puis peut-être pas.
– Tu crois que c’est lui qu’elle voit à l’hôtel ?
– Qu’est-ce que vous voulez que j’en sache ? Oh, mais on en aura le cœur net. Faites-moi confiance qu’on va en avoir le cœur net.


30-


Et on a passé les deux jours suivants, le nez quasiment rivé au carreau.
– Mais qu’est-ce qu’ils foutent ?
– Ils ont peut-être décidé de mettre un terme…
– Portez bien la poisse, vous ! Ah, ça y est ! La v’là ! Bon, alors vous avez compris ? Vous passez dans l’avenue, de l’autre côté et, dès qu’il sort, vous le prenez en chasse. En voiture si il faut. Vous êtes garé où ?
– Sur le parking devant l’entrée principale.
– Parfait ! Moi, pendant ce temps-là, je m’occuperai d’elle. Allez, feu !

Plus d’une heure j’ai attendu. Et puis mon portable a sonné.
– Elle vient de sortir. Vous allez sûrement le voir.
Il a effectivement fait son apparition.
– Putain ! Comment il est jeune !
– Combien ?
– Son âge à elle. La trentaine. À peu près.
– Donc, c’est pas le patron.
– Il monte en voiture.
– Oui, ben le perdez pas de vue ! Je vous laisse. À tout-à-l’heure !

– Alors ?
– Une dizaine de kilomètres on a fait. Il habite un petit immeuble à la périphérie. Et il est marié.
– Comment vous savez ça ?
– Parce que je suis allé me garer un peu plus loin, que je suis discrètement revenu et que j’ai jeté un œil dans le hall. Il y a huit appartements. Et forcément, huit boîtes aux lettres. Sur toutes il y a « Monsieur et Madame Untel. »
– Donc, vous avez raison : il est marié. Vous avez pas relevé les noms ?
– Si ! Et même les prénoms.
– Génial ! Ça peut servir. On sait jamais. Il est beau gosse ?
– Je suis pas très bon juge en la matière, mais j’ai l’impression que c’est le genre de type qui doit faire des ravages chez les nanas.
– Faudra que j’aille jeter un coup d’œil dessus alors ! Le prochain coup, c’est moi qui le pisterai. Et vous, vous occuperez d’Alexandra. Ce qui vous donnera l’occasion de lui reluquer une fois de plus le popotin.
– Ça a donné quoi, elle ?
– Elle est allée bosser. J’ai fait quelques courses. Je suis passée à sa caisse. J’ai échangé quelques mots avec. Et puis voilà. En tout cas, elle a pas d’alliance.
– Elle est peut-être en couple quand même.
– Possible, oui. Mais j’en suis pas restée là. Après, je suis allée boire un café en face. Il y avait deux de ses collègues caissières attablées devant un thé. Qui parlaient de médecines parallèles. D’astrologie. De magnétisme. Tout ça. L’occasion ou jamais. Je me suis mêlée à la conversation.
– Et tu les as fait parler d’Alexandra.
– Ça va pas, non ? Elles me connaissent pas. Elles se seraient méfiées. Et je me serais grillée. Toute seule. Comme une grande. Non. J’ai posé des jalons. Je me suis passionnément intéressée à toutes leurs histoires de médiums, de rebouteux et de coupeurs de feu dont je me soucie comme de l’an quarante. Comme ça il me suffira, la prochaine fois, de reprendre la conversation là où on l’avait laissée et de la faire progressivement glisser, peu à peu, vers là où je veux qu’elle aille.

De grands traits. Des petites cases. De toutes les couleurs.
– Qu’est-ce tu fabriques ?
– Un planning. Parce que c’est sûrement aux mêmes jours et aux mêmes heures qu’ils se voient. En fonction de leurs horaires respectifs. On n’aura plus à guetter des heures à la fenêtre comme ça. On saura quand il faut qu’on soit opérationnels.


31-


Elle se tournait, se retournait, soupirait.
– Tu dors pas ?
– Non. Je réfléchis.
– À quoi ?
– Oh, à plein de trucs. Et vous savez ce que je me dis ? C’est que, dès que je saurai à quoi il ressemble, le type, il faudra qu’on retourne à l’hôtel les écouter s’envoyer en l’air. Dans la chambre d’à côté. Parce que déjà que c’est super excitant d’entendre un couple baiser, mais alors quand en plus tu connais leurs tronches, que tu peux imaginer la tête qu’ils font quand ils jouissent, alors là !
Elle a marqué un long temps d’arrêt.
– Non, et puis il y a pas que ça… Ce qui y fait aussi, dans leur cas, c’est qu’on est en train de les prendre dans nos filets, c’est qu’on s’est mis à quadriller leur vie. Et qu’ils n’en ont pas le moindre soupçon. On va en savoir de plus en plus sur eux. On va leur aller dans tout un tas de recoins. D’une certaine façon, on peut dire qu’on va se les approprier Complètement. J’adore, moi ! J’adore vraiment…
Elle s’est tue. Ça a imperceptiblement bougé sous les draps.
– J’ai toujours adoré ça, moi, me faufiler à leur insu dans l’existence des autres.
Ça a bougé plus vite. Son souffle s’est fait plus court. Elle a pris ma main, l’a serrée.
– C’est trop bon…
Elle a doucement gémi. S’est apaisée. A laissé tomber sa tête sur mon épaule. Sans lâcher ma main.
Et elle s’est endormie.

– C’était comment ?
On venait de se réveiller.
– Hein ? C’était comment, moi, hier soir ?
Et elle a glissé sa main sous l’oreiller, en a extirpé son petit enregistreur.
– Ah, parce que…
– Oh, ben oui, attendez, oui. Je l’ai toujours à portée de main. Au cas où…
Elle l’a mis en marche. A fermé les yeux. Écouté.
– C’était tout doux en fait. C’est bien ce qu’il me semblait, mais bon, j’étais pas sûre. Parce que, quand t’es dedans, tu te rends pas toujours forcément compte. Je me suis surprise, des fois, le lendemain. Si, c’est vrai, hein !
Elle s’est redressée sur un coude.
– N’empêche que vous savez tout de moi, vous, maintenant, hein, mine de rien. Presque tout.
– Et c’est quoi ce presque ?
– Un truc.
– Quel truc ?
Elle a tapoté, du bout du doigt, son petit enregistreur.
– C’est là-dedans.
A cherché mes yeux.
– Non, parce qu’on est jamais autant soi-même que quand on se donne du plaisir.
– Ah, ça !
– On se livre à fond quand on se caresse. Ils te disent tout, tes fantasmes. Tout. Ils te laissent rien dans l’ombre. Ils veulent pas que tu triches. Et ils vont obstinément te chercher là où t’as une trouille monumentale d’aller, mais très envie quand même. Là où t’es essentiel. Alors ils insistent, ils insistent. Jusqu’à ce que tu cèdes. Ça vous le fait jamais à vous ?
– Oh, que si !
– Moi, il y en a un, de fantasme, comment j’ai lutté contre ! J’en voulais pas. À aucun prix. Mais maintenant que je l’ai laissé entrer, alors là ! Il me lâche plus. C’est presque toujours lui que je prends en ce moment. Et je peux vous dire que ça dépote. Quand je me réécoute le lendemain…
– Et il y a pas moyen de savoir ?
– Oh, vous, si ! Au point où j’en suis maintenant n’importe comment avec vous. Et en plus…
Elle m’a tiré un tout petit bout de langue.
– Vous êtes concerné.
– Moi ?
– Vous, oui.
Son portable a bipé. Un texto.
– Wouah ! C’est mes parents. Qui veulent voir l’appart. Ils sont là dans dix minutes. Partez ! Partez ! Parce que, s’ils vous trouvent là, ils vont plus rien y comprendre. Ils vont se faire tout un film. Et on n’est pas sortis de l’auberge.


32-


Elle a débarqué chez moi en fin d’après-midi.
S’est affalée de tout son long sur le canapé.
– Hou là là ! Quelle purge !
– Tes parents ? Ça s’est mal passé ?
– J’en ai pris plein la tête. Mais ça, je m’y attendais. J’ai eu droit à tout. Non, mais comment je pouvais vivre dans un gourbi pareil ? « C’est pas comme ça qu’on t’a élevée, Clorinde, c’est pas du tout comme ça qu’on t’a élevée… » Et j’avais même pas de quoi me faire correctement à manger. « Tu te gaves de pizzas et de hamburgers, j’imagine ! Mais continue ! Continue bien à te détruire la santé ! Tu verras plus tard. » Et le lit ! Ah, le lit ! « Non, mais regarde-moi ça, Maxime ! Elle dort par terre, sur un matelas pneumatique. Comme si, avec tous les chèques dont on l’inonde, elle pouvait pas s’offrir une literie correcte. Quitte à la payer en trois ou quatre fois. Mais qu’est-ce tu fais de tout l’argent qu’on te donne, tu peux me dire ? »
– Oui. C’était ta fête, quoi !
– Mais la cerise sur le gâteau, c’est quand ils ont cru découvrir qu’il y avait un homme dans ma vie. Ben oui, forcément ! Deux serviettes de bain. Deux brosses à dents. Un rasoir. Et évidemment, pour eux, il pouvait y avoir qu’un marginal, un drogué, pour accepter de vivre dans des conditions pareilles. « Tu files un mauvais coton, Clorinde, un très mauvais coton. J’espère qu’au moins tu te protèges ? » C’est là que ça a dégénéré. Je faisais ce que je voulais avec mon cul. Ça les regardait pas. Et elle, elle est montée sur ses grands chevaux. « Si, ça nous regarde, si, figure-toi ! Parce que tu es complètement irresponsable, ma pauvre fille ! Tu l’as toujours été. À jouer les originales. À vouloir à tout prix te singulariser. Ce qui t’a mise maintes et maintes fois, permets-moi de te le rappeler, dans des situations impossibles. Dont il a fallu qu’on fasse des pieds et des mais pour te sortir. Alors il serait quand même grand temps que tu deviennes adulte, non, tu crois pas ? »
– Eh ben dis donc !
– Le risque, maintenant, c’est qu’ils déboulent tous les quatre matins.
– Ils habitent loin.
– Oui, oh, ben alors là, on voit que vous les connaissez pas. Surtout elle. Je l’entends d’ici. « Faut qu’on aille voir ce qu’elle fabrique. C’est notre fille quand même, Maxime ! On peut pas la laisser partir complètement à la dérive. » Et tralali et tralala… Et lui, même que ça le gave de prendre la route…
– Tu sais ce que je crois, moi, plutôt ? C’est qu’il va m’appeler, Maxime. Me demander d’avoir un œil sur toi. « Elle a vécu chez toi. Elle t’a à la bonne. Tu as une excellente influence sur elle. Alors si tu pouvais… Parce qu’elle nous inquiète, je t’assure. »
– Effectivement ! C’est pas impossible, ça, qu’il vous appelle.
– Sinon, s’il le fait pas, c’est moi qui le ferai.
– Et vous saurez trouver les mots. Là-dessus, je vous fais confiance. Bon, mais allez, assez parlé d’eux. Devinez où je suis allée après, quand ils ont été partis ?
– Voir Alexandra.
– Qu’était pas à sa caisse. Ni au café, en face. Par contre, il y avait une des filles de l’autre jour. Que j’ai rebranchée sur les médecines parallèles. Et, de fil en aiguille, je lui ai demandé si, par hasard, elle connaîtrait pas un bon magnétiseur. Parce que j’avais des migraines comme c’était pas possible depuis quelque temps. Ça me pourrissait la vie. Oh, mais un peu qu’elle en connaissait un. Un peu ! C’était le mari d’une collègue. Hyper doué. Il obtenait de sacrés résultats. Et toutes les autres autour de confirmer à qui mieux mieux. Il y en avait une, grâce à lui, elle avait arrêté de fumer. Une autre, c’était ses vertiges qu’il avait guéris. Une troisième, elle avait perdu huit kilos. Bref, je me suis retrouvée avec l’adresse et le numéro de téléphone du type.
– Tu vas y aller ?
– Oh, sûrement, oui. Ne serait-ce que pour pouvoir aller leur en parler après. Comme vous voyez, je continue, peu à peu, à creuser le sillon. Et ce serait bien le diable si, au bout du compte…


33-


Bon alors qu’est-ce qu’on faisait ? On restait passer la nuit là ou on retournait là-bas ?
– Ce que tu veux. Tu choisis.
– Je suis partagée. Parce que c’est vrai qu’ici, chez vous, on a tout le confort. Et on est tranquilles. Pas de voisins à proximité immédiate. Mais, d’un autre côté, ça a aussi ses avantages, les voisins. Parce qu’on peut les entendre et ils peuvent nous entendre. Surtout au début, comme ça, c’est pas mal, moi, je trouve, de prendre ses marques. De savoir qui il y a, à droite, à gauche, au-dessus, en dessous. Si c’est des tout seuls. Ou si c’est des couples. S’ils s’engueulent. S’ils s’envoient souvent en l’air. Si elle braille comme une possédée, la fille, quand elle jouit. Enfin plein de trucs, quoi !
– Sans compter qu’il y a l’hôtel juste en face.
– En plus, oui !
– Bon, ben allez, en route alors !

On s’est pris des pizzas au passage. Des quiches. Des sodas.
– Tout ce qui va bien, quoi !
Et on s’est retrouvés, sur le palier, en compagnie d’un type brun, frisé, avec qui on a échangé un rapide bonjour et qui s’est engouffré dans l’appartement d’à côté.
– Vous voyez qu’on a bien fait finalement ! Parce que le mec de la fille de droite, on sait à quoi il ressemble comme ça, maintenant…
– C’est peut-être pas son mec… C’est peut-être juste UN mec.
– Qu’a les clefs ? Ça m’étonnerait. Oui, oh, de toute façon, dans un cas comme dans l’autre, il fera pas long feu. C’est le genre de nana qu’aime le changement. Ça se voit tout de suite, ça !

Elle a dévoré trois parts de pizza, assise sur le radiateur, en jetant de fréquents coups d’œil, par la fenêtre, sur ce qui se passait au-dehors.
– Bon, mais allez, il y a plus qu’à se coucher. Qu’est-ce vous voulez faire d’autre ?
Et elle s’est déshabillée.
– Heu… Clorinde…
– Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
– Je te signale quand même que les volets sont pas fermés, qu’il y a pas de rideaux et que t’es en pleine lumière.
– Oui, je sais. Et alors ? C’est l’hôtel en face. Ils sont de passage. Ils me connaissent pas et je les connais pas.
Elle a tranquillement continué. Le soutien-gorge. La culotte. Qu’elle a jetés sur une chaise.
– Alors s’il y en a qui veulent mater, qu’ils matent ! C’est pas moi que ça dérange. Et si leur légitime peut en profiter…
Elle a tourné, viré, entièrement nue, dans la pièce, farfouillant dans son sac, allant se servir un verre d’eau, vérifier que le verrou était bien mis, que le gaz était fermé.
Et elle venue se glisser dans le lit à mes côtés.
– Là… Et maintenant chuuut ! On écoute.
Il y avait de la musique, pas très fort, quelque part. Au-dessus, à droite, de l’eau coulait. Quelqu’un a crié. « Bon, cette fois, ça suffit, Mathias, tu vas te coucher… » À côté, il y a eu un murmure de voix. En sourdine.
– C’est du papier à cigarettes, les cloisons, là-dedans ! Je suis sûre que si on y collait l’oreille, on pourrait entendre tout ce qu’ils se disent.
– Et t’en crèves d’envie…
– Non, mais ça va pas ? Pour qui vous me prenez ? Enfin, si ! Quand même un peu…
– Beaucoup, oui, tu veux dire…
– Attendez ! Écoutez ! Il est juste de l’autre côté, leur lit. On est tête à tête.
– Aux premières loges en somme…
– Encore faudrait-il qu’ils y mettent un peu du leur…


34-


– Qu’est-ce tu regardes ?
Elle avait enfilé un long tee shirt blanc qui lui tombait jusqu’au dessous des genoux et buvait son café, assise sur le radiateur.
– Hein ? Qu’est-ce tu regardes ?
– Oh, rien de spécial. Mais ce que je me demande quand même, c’est s’il y en a qui m’ont vue hier soir.
– Oh, ça, sûrement ! Un type, à l’hôtel, il laisse souvent traîner les yeux dehors. On sait jamais. Des fois que…
Elle a vidé sa tasse d’un trait.
– En attendant, ils ont pas été très coopératifs à côté. Ni ailleurs, dans les étages. Va falloir que ça change. Sinon, on va être obligés de prendre les choses en mains.

Elle est sortie de la salle de bains toute pomponnée, vêtue d’une ravissante robe rouge.
– Hou là ! C’est le grand jeu ! Et tu vas où comme ça ? On peut savoir ?
– Chez le type, là. Le magnétiseur dont les caissières m’ont parlé au café. Qu’est le mari d’une collègue à elles. Vous savez bien…
Elle a renversé son sac sur la table.
– Sauf que je sais plus ce que j’ai fichu de sa carte. Ah, ça y est, la v’là ! Henri Guillemot. C’est ça…
– Qui tu dis ?
– Henri Guillemot. Pourquoi ?
– Parce que sur l’une des boîtes aux lettres de l’immeuble où habite le type que j’ai suivi l’autre jour, à la sortie de l’hôtel…
– Il y avait écrit Henri Guillemot. C’est pas vrai !
– Eh, si !
– Ce qui veut dire qu’Alexandra couche avec le mari d’une collègue. CQFD. C’est clair comme de l’eau de roche. Et ça peut pas être un hasard. Et on sait qui c’est. Ah, ben bravo ! Bravo ! Tu m’étonnes qu’ils se planquent pour se voir… Bon, ben en tout cas, ça nous débroussaille bien le terrain. Et ça motive que le diable… J’y vais. Je vous raconterai.

Elle est revenue en toute fin de matinée.
– Alors ?
– Alors, ben ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il est beau mec. Là-dessus il y a pas photo. Après, pour ce qui est de ses talents de magnétiseur, c’est carrément du pipeau. Il y a pas photo non plus. Il t’étourdit de tout un tas de grands discours prétentieux. Il te colle les mains là où tu dis que t’as mal. Et puis voilà : le tour est joué. À mon avis, il y croit pas lui-même à tout ça. Reste à savoir s’il s’est lancé là-dedans pour le fric ou pour draguer.
– Ou les deux.
– Possible aussi, oui.
– Tu vas y retourner ?
– Évidemment que je vais y retourner. Je veux savoir ce qu’il a au juste dans le ventre cet oiseau-là. Et si on veut savoir ce qu’Alexandra fiche avec… Quels sont les tenants et les aboutissants…
– Ça te passionne tout ça, hein !
– Carrément ! Je sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression qu’il y a un mystère là-dessous, que c’est pas une histoire de fesses ordinaire. Ce qu’il faudrait déjà, moi, je crois, c’est savoir s’il a qu’Alexandra, en plus de sa femme, ou s’il se multiplie à tout va. Déjà, la façon dont il va se comporter avec moi, ça va nous donner une petite idée. Mais ce sera pas suffisant. L’idéal, ce serait que vous, de votre côté, vous essayiez de savoir ce qu’il a dans le ventre. Que vous entriez en contact avec et que vous le fassiez causer. Les mecs, entre eux, c’est souvent qu’ils se vantent de leurs conquêtes. Vous jouez à la pétanque ?
– Non. Pourquoi ?
– Parce que, dans l’entrée de son appart, il y a tout un tas de coupes gagnées à des concours de pétanque. Et de la publicité pour le club local. Alors…
– Alors je sais ce qu’il me reste à faire.


35-


– Jamais ça baise ici ! Nulle part. C’est pas possible, ça.
Une heure, plus d’une heure qu’elle maugréait.
– Non, mais c’est vrai, quoi ! C’est pas la peine d’avoir des voisins si c’est pour jamais les entendre s’envoyer en l’air.
Elle a sorti son petit enregistreur de sous l’oreiller.
– Je vais te les mettre en appétit, moi, vous allez voir !
A tripatouillé les boutons.
– Je sais pas quoi choisir. Vu le nombre de fois où je me suis enregistrée… Décidez, vous !
– Il en faudrait un où t’es complètement déchaînée. Où tu maîtrises plus rien.
– Oui, ben c’est pas ça qui manque…
– L’autre jour, tu m’as parlé d’un fantasme tout récent. Que tu convoques souvent. Qui te met dans tous tes états.
– Et dans lequel vous intervenez, oui.
– Tu l’as ?
– Évidemment que je l’ai. Tout un tas de fois.
– Et c’est quoi, ce fantasme ? On peut savoir ?
– Ben oui ! Oui. Je vous l’avais dit que je vous le dirais.
– Alors je t’écoute…
– Vous vous rappelez la fois où on s’est branlés tous les deux, face à face, dans la cabine d’essayage, avec tous les gens autour ?
– Si je me rappelle !
– Vous avez voulu m’empêcher de crier quand je suis venue. Et je vous ai mordu un grand coup la main.
– Ah, ça, sûr que tu y es allée de bon cœur !
– Eh bien je recommence. C’est sans arrêt que je vous mords dans mes fantasmes. Encore dans une cabine, oui. Mais aussi au restaurant, quand je me suis bien excitée sous la table et que ça me déferle. À des tas d’autres endroits aussi. À la fac. À la piscine. J’imagine tout un tas de circonstances. Bien en détail. Avec des gens autour. Des fois je les connais. Des fois pas du tout. Mais toujours ça finit, au moment où je jouis, de la même façon. Je vous referme un grand coup les dents dessus.
– Et c’est systématiquement moi ton souffre-douleur ?
– Presque. C’en est d’autres des fois, mais je reviens toujours à vous. Parce que vous, ça a vraiment eu lieu. Je vous choque ?
– Oh, non, non ! Pas du tout, non ! Tu verrais tes yeux quand tu racontes…
– Je vais vous mettre un jour où j’y étais retournée toute seule à la cabine. Où je me l’étais fait, mais retenu. Frustrant. Où je m’étais dépêchée de rentrer du coup. Et où j’avais recommencé. Tout de suite. En imaginant que vous y étiez avec moi. Comme la fois en vrai.
Elle a enclenché.
On s’est tus.
Son souffle d’abord. Précipité. De plus en plus. Ses gémissements. En demi-teinte. Qui, très vite, ont pris de l’ampleur. Se sont, en quelques instants, transformés en cris de jouissance éperdue. Une tempête, un raz-de-marée de plaisir.
– Eh ben dis donc !
Elle m’a souri.
– Oui, hein ?
Elle a remis au début.
Et, cette fois, elle s’est accompagnée. De ses doigts en tournoiement frénétique sur son bouton, la tête renversée en arrière, les yeux mi-clos.
Elle est venue en même temps qu’elle. Je lui ai offert ma main. Elle y a planté énergiquement ses crocs. De toutes ses forces.
Quelque part, au-dessus, une femme a joui aussi. À longs sanglots libérés.


36-


C’est le ruissellement de la douche qui m’a réveillé.
Dans un grand bâillement.
– Ah, ça y est, enfin ! Ben, venez me rejoindre. Elle est assez grande. Et puis on pourra parler comme ça.
Elle était toute ensavonnée. Des pieds à la tête.
– Eh, ben dis donc, vous, quand vous dormez, vous dormez, on peut pas dire. N’empêche que vous avez raté quelque chose. Ça s’est complètement débondé après, cette nuit. Un couple juste en dessous. Comment elle donnait de la voix, la nana ! Et ils ont remis deux fois le couvert. Un autre aussi, un peu plus loin, à gauche. J’ai bien essayé de vous réveiller. Que vous en profitiez, vous aussi. Il y avait pas de raison. Mais il y a jamais eu moyen. Vous bougonniez et vous vous retourniez de l’autre côté. J’ai même cru que vous alliez me coller une gifle à un moment. Alors bon, j’ai pas insisté. Je suis pas suicidaire. Vous avez vraiment tout loupé, du coup. Parce que moi aussi, je me suis amusée comme une petite folle. En silence. C’est bien aussi, des fois. Ça change. En silence et en les écoutant. Et en imaginant. Parce que je suis bien tranquille qu’il y en avait aussi tout un tas tout autour, des types comme des filles, qui faisaient marcher tant et plus leurs doigts. Ou qui se faisaient aller et venir des trucs dedans. C’est pour ça : il faut absolument qu’on sache. Qui est qui. Et qui est où. Pour bien se rendre compte. Vous savez quoi, le mieux ? Eh bien on va faire un plan de l’immeuble. Avec les noms. Et tous les renseignements qu’on pourra trouver. Sur les uns et sur les autres. Elle est pas géniale mon idée ? Si, hein ? Vous me passez le shampooing ? Non, l’autre. Le flacon vert. Là, oui. Merci.
Elle s’est vigoureusement frictionné le cuir chevelu.
– Ah, ils aiment ça qu’on les déclenche ici ? Eh, bien on va les déclencher. On va leur mettre un de ces bordels. Ils ont encore rien vu. Et vous non plus, d’ailleurs…
Elle s’est rincée. Ébrouée.
– Vous faites voir ?
– Quoi, donc ?
– Ben, votre main, tiens ! Qu’est-ce vous voulez d’autre ?
Je la lui ai tendue.
Elle l’a prise dans la sienne.
– Wouah ! Comment je vous les y ai enfoncées loin ! À ce point, je m’étais pas rendu compte. En douce que j’ai un sacré bon coup de dents, ça, on peut pas dire.
Elle a délicatement caressé. Du bout du doigt.
– Ça vous fait mal ?
– Un peu.
– Alors ça, ça m’étonnerait. Sûrement plus qu’un peu. Beaucoup plus.
Elle a appuyé.
J’ai grimacé.
– Ah, vous voyez !
Encore plus fort. D’un coup.
Il m’est échappé un petit gémissement.
– Vous aimez ça avoir mal à cause de moi ? Oh, oui que vous aimez, oui ! Vous bandez. Et pas qu’un peu !
Elle m’a envoyé une petite pichenette sur la queue.
– On recommencera alors puisque ça lui plaît, à elle. Mais pas forcément dans le gras de la main. Vous avez plein d’autres endroits où je peux avoir envie de me faire les dents.
Elle m’a effleuré un téton.
– Ici, par exemple.
En a approché les lèvres.
– Et l’autre, en bas, qu’en peut plus. Qui se hausse du col comme c’est pas permis. Oui, ben va falloir que t’attendes, ma grande ! On a une journée chargée comme c’est pas permis, nous, aujourd’hui !


37-


Elle est allée déposer son bol dans l’évier.
– Bon, allez, feu ! Je pars rôder du côté de la grande surface. Il y a des courses à faire n’importe comment. Et vous, j’ai pas de conseils à vous donner, mais moi, à votre place, j’irais jeter un coup d’œil du côté de ce club de pétanque. Histoire de tâter le terrain. Et de vérifier qu’il en fait bien partie, notre magnétiseur. Mais enfin, c’est vous qui voyez, hein !

Le local était fermé, mais il y avait une femme sur le boulodrome. La trentaine. Châtain foncé. Bouclée. Seule.
Elle m’a interpellé à travers le grillage.
– Vous cherchez quelque chose ?
– Non. Enfin si, oui. Je me demandais si, éventuellement, il serait possible de s’inscrire.
– Bougez pas ! J’arrive.
Elle a fait le tour par derrière, m’a ouvert.
– Allez-y, entrez !
Elle s’est activée derrière le comptoir, a déplacé des dossiers, ouvert des tiroirs.
– C’est toujours pareil ! Quand on cherche quelque chose… Faut dire aussi que normalement, les inscriptions, c’est pas moi qui m’en occupe. Mais je peux toujours vous faire remplir la feuille. C’est à la bonne franquette, ici. Pour le reste, les frais, l’assurance, tout ça, vous aurez qu’à voir avec Nadine. C’est la secrétaire, Nadine. Elle est là tous les après-midis. De deux à cinq.
Elle m’a tendu un stylo, regardé remplir le formulaire.
– Vous devez me prendre pour une folle, non ?
Je lui ai lancé un regard interloqué.
– Non. Pourquoi ?
– Ben, une fille qui joue aux boules toute seule, ça craint, non ?
– Ah ! Oh, chacun fait ce qu’il veut.
– En fait, on a une grosse compét le mois prochain, au niveau régional, et si je veux être prête, il y a pas de secret : entraînement, entraînement et encore entraînement.
– Je sais pas si…
– Vous débutez, hein ! Oh, mais faut pas faire de complexes. Vous serez pas le seul, vous verrez. Et puis faut bien commencer par commencer. Tenez, venez, tant qu’on y est, je vais vous donner un casier. Que vous puissiez y mettre vos affaires.
Elle a farfouillé dans un bocal.
– Le 42, il est libre. C’est là-bas. Venez, je vais vous montrer.
On est passés devant le sien. Qui était ouvert. Qu’elle a refermé.

– Et alors là, je te le donne en mille.
– Quoi ? Ben, accouchez !
– Le nom, sur le casier… Mégane Hugonnet.
– C’est pas vrai !
– Eh, si ! C’est pas le mari magnétiseur, l’amant d’Alexandra, qui gagne des trophées à la pétanque, mais sa femme.
– C’est peut-être les deux…
– Non. Parce que tu penses bien que je suis restée bavarder un peu avec. Et que je lui ai posé la question, l’air de pas y toucher. « Mon mari ? À la pétanque ? Oui, oh, ben alors ça, c’est pas demain la veille. Non, lui, à part son boulot et les films américains à la télé, il y a pas grand-chose qui l’intéresse. »
– Et le cul de sa collègue Alexandra. Mais ça, en principe, elle est pas au courant. Bon, ben vous avez sacrément bien avancé, dites donc ! Je suis fière de vous. Et maintenant que vous êtes dans la place, il y a plus qu’à dérouler. On avance… On avance… D’autant que moi, de mon côté, il y a eu mèche avec Alexandra. Elle était au café aujourd’hui. Alors vous pensez bien que j’ai sauté sur l’occasion. On a discuté. Bien. Pas mal. De plein de trucs. Presque une demi-heure durant. Et on remettra ça : je lui ai soutiré ses horaires.


38-


– Vous savez quoi ? J’ai une furieuse envie de me faire mater aujourd’hui. D’avoir plein de désirs sur moi.
– Normalement, ça, ça devrait pouvoir s’arranger.
– Vous pensez bien que oui ! Sans problème. On va à la piscine ? La municipale ? C’est le jour ou jamais le jeudi. Il y a pas les scolaires. On est tranquille.
– Eh ben, allez !

Elle avait revêtu un maillot de bains noir une pièce qui lui moulait le fendu et les fesses au plus près.
– Hou là ! Mais ça relève carrément du cameltoe, ton truc, là, dis donc !
– Faut ce qu’il faut. Bon, mais je compte sur vous, hein ! Vous regardez bien les réactions. Et vous me direz.
Elle a majestueusement longé le rebord de la piscine, à pas lents, jusqu’au plongeoir, de l’autre côté, là-bas. Elle y est restée debout, un long moment, immobile, à contempler la surface de l’eau. Avant de s’y jeter.
On l’avait suivi tout du long des yeux. Un type d’une quarantaine d’années, ouvertement, sans dissimuler le moins du monde son intérêt. Deux autres, plus âgés, aussi discrètement que possible. Un autre encore, la soixantaine bien sonnée, que la présence de sa femme à ses côtés contraignait, manifestement à contre-cœur, à une certaine retenue. Et puis il y avait ce jeune, d’à peu près son âge, qui la buvait littéralement des yeux, qui s’est précipité à l’eau quand elle y a sauté, qui a nagé dans son sillage.

Elle est venue s’étendre à mes côtés. A relevé une jambe.
– Alors ?
– Tu as ton petit succès.
– Mais encore ?
Le jeune est sorti de l’eau. Lui a jeté, au passage, un regard appuyé.
– Celui-là, s’il te fait envie, c’est quand tu veux.
– Non, merci. Sans façons. C’est pas déplaisant de lui faire de l’effet, mais bon…
– Sinon, ben ça m’a tout l’air de bander à tout-va. Même si ça s’efforce de le dissimuler. Il y a des signes qui ne trompent pas. Et c’est pour toi. Aucun doute là-dessus.
Elle s’est retournée. Sur le ventre. A fait claquer l’élastique du maillot contre sa fesse.
– Et le couple ? Qu’est-ce qu’il fait, le couple ?
– Elle, elle compulse un magazine. Et lui, il lit un journal. Il fait semblant. Parce qu’en réalité, il arrête pas de jeter tout un tas de coups d’œil dans notre direction. Sur toi, en fait.
Elle s’est lascivement étirée.
– Qu’est-ce vous pariez que, ce soir, sa bobonne va y attraper ?
– Ça, c’est pas impossible.
– C’est même quasi certain. Quand il se sera bien gorgé de moi… J’adore. Je suis peut-être tordue, sûrement même, mais j’adore ça, me dire que la bonne femme, elle croit que c’est elle qui l’excite, son mec, alors qu’en réalité, dans sa tête, c’est moi qu’il est en train de baiser. Bon, mais après, elle a pas trop à se plaindre non plus. Parce que, sans moi, elle aurait rien du tout. Elle me doit une fière chandelle finalement !
Elle s’est remise sur le dos.
– Il y aura peut-être pas qu’elle d’ailleurs. Parce que tous ces types, là, qui me reluquent à qui mieux mieux, va bien falloir qu’ils fassent retomber la pression. D’une façon ou d’une autre. À un moment ou à un autre. Avec leur nana, s’ils en ont une. Ou tout seuls.
Elle s’est appuyée sur un coude.
– Vous devriez pas me faire penser à des trucs pareils. Ça me donne envie.
– Ben, voyons ! C’est de ma faute. Non, mais alors là, c’est la meilleure !
– Beaucoup trop envie. On va se prendre une douche ? Il y en a près des vestiaires.
Elle s’est levée.
– Mais d’abord, un dernier tour de piste. Histoire de…
Elle a rajusté son maillot, chaloupé jusqu’au plongeoir, apparemment indifférente aux regards. Posés sur elle. Rivés à elle.
Une longueur de bassin. Une autre. Encore une.
Elle est sortie de l’eau, est revenue lentement vers moi, s’est penchée en avant, saisie de sa serviette, longuement essuyée.
– On y va ?

On a refermé sur nous la porte de la douche. Elle a retiré son maillot. Presque aussitôt, quelqu’un est venu occuper la cabine voisine.
Elle a silencieusement ri.
Chuchoté.
– J’en étais sûre. C’est lequel à votre avis ?


39-


– C’était bien, hein, cette petite incursion à la piscine, tout à l’heure ?
– Pas mal du tout, oui.
– Vous me diriez le contraire… Je sais tout ce que vous pensez, n’importe comment, moi, maintenant. Suffit juste que je regarde vos yeux. En attendant, en douce que vous étiez pas trop tranquille, hein, sous la douche, quand il a commencé à me monter le plaisir. Vous aviez qu’une trouille, c’était que je vous morde. La trouille et, en même temps, ça vous aurait pas déplu tant que ça, je suis sûre. Bon, mais je suis pas idiote non plus, hein ! J’allais pas tenter le diable. Parce qu’imaginez que vous ayez pas pu vous empêcher de crier. C’était un coup à ce que le gardien rapplique, ça ! Et, deux dans une cabine, c’est formellement interdit. On se ferait interdire de séjour.
– Ce qu’aurait été dommage.
– Sûr ! C’est un super terrain de jeu. C’est pour ça que j’ai fait gaffe, moi aussi, de mon côté. Je peux jouir en silence, si je veux. Pourquoi vous ricanez ?
– Parce que t’as une notion très personnelle du silence.
– Quoi ! J’ai pas braillé.
– T’as pas braillé, non ! Mais tu t’es néanmoins exprimée. De façon très explicite.
– Comment ça ?
– Tu as haleté. Tu as gémi. Et tu as allègrement clapoté.
– Ah, oui ? Je me suis pas rendu compte. Oh, mais faut pas trop m’en demander non plus. Une fois que je suis partie… Il s’est aperçu de rien, le gardien. C’est l’essentiel.
– Dans la cabine voisine, par contre, sûrement que…
– Oui, ben il en aura profité. Tant mieux pour lui. Lequel c’était, à votre avis ?
– Alors ça ! Pour savoir…
– C’est dommage ! J’aurais bien aimé. Oh, mais il devrait y avoir moyen… Parce qu’il va revenir, le type. Forcément. La semaine prochaine. Peut-être même avant. Mais la semaine prochaine, sûr. Même jour. Même heure. En espérant de toutes ses forces que j’y serai.
– Ce qui sera le cas ?
– Probable, oui. Bon, mais on verra. Pour le moment, on n’en est pas là. Il y pas que la piscine dans la vie. Et j’ai mené ma petite enquête sur notre environnement immédiat. Alors voilà…
Elle a déployé une grande feuille de papier, l’a étalée sur la table.
– Ça, c’est le plan de l’immeuble. Les quatre étages.
En traits et en petites cases. De toutes les couleurs.
– D’après mes sources – une bonne femme, au rez-de-chaussée, qui passe sa vie dans l’entrée et qui demande qu’à parler – notre voisine de droite, elle s’appelle Letizia Donizetti. Et elle est prof d’italien. Comme – j’ai vérifié – il y a que son nom à elle sur la boîte aux lettres, probable que le type de l’autre soir, il vit pas vraiment là. Mais ça reste à confirmer. De toute façon, j’ai bien l’intention de trouver un prétexte quelconque, dans les jours qui viennent, pour aller frapper à sa porte et tenter de lier connaissance.
– Je peux m’en charger, si tu veux.
– Ben, tiens ! Je vous vois venir, vous ! Non, non ! C’est gentil, mais c’est pas la peine. Je m’en occupe. À part ça, de l’autre côté, il y a un type tout seul. D’une quarantaine d’années. Vincent Louviot, il s’appelle. Il sort pratiquement jamais de chez lui. Elle trouve ça louche, la voisine d’en bas. « De quoi il peut bien vivre ? Il bosse pas. Et, en plus, il parle à personne. » Ce qu’il y a de sûr, en tout cas, c’est que nous, ici, on l’entend pas. Jamais un bruit. Pas de musique. Pas de télé. Rien. Il y aurait pas l’eau qui coule, de temps en temps, on pourrait croire qu’il est vide, l’appart. Ça donne quand même envie de savoir ce qu’il en est, non, vous trouvez pas ? Surtout que, d’après elle, à ce qu’il paraît, il est beau mec.
– Ce que t’as bien l’intention de vérifier par toi-même.
– On peut rien vous cacher. Quant à ceux du dessous qui baisaient comme des bêtes, l’autre nuit, pas étonnant. C’est des jeunes mariés. Léa et Paul. Étudiants tous les deux. Affaire à suivre. Quant aux autres, on verra. Au fur et à mesure.


40-


Elle m’a sorti du lit manu militari.
– Allez, hop, debout, grand feignant ! Le devoir nous appelle.
Et le devoir pour elle, c’était…
– Tes cours à la fac ?
– Vous avez pas d’autres idioties à dire ? Non, vous savez le grossiste en sapes où je me fournis d’habitude, là, qu’a pas le droit de vendre aux particuliers normalement, mais bon, il y a des arrangements quand on sait s’y prendre, eh ben je lui en ai parlé à Alexandra. Elle est intéressée. Tu parles ! Il y a de quoi. Quand on voit les prix… Et donc, on doit se retrouver toutes les deux à dix heures là-bas. Et vous, pendant ce temps-là, j’ai pas de conseils à vous donner, mais moi, à votre place, vu qu’on est mardi et que, mardi dernier, elle y était la femme de son amant à Alexandra, ben j’irais faire un saut du côté du club de pétanque.

Elle était effectivement là, seule, à s’entraîner. Et m’a souri, quand elle m’a vu, à travers le grillage.
– Les papiers sont prêts, si vous voulez…
– Eh bien, allez !
Je suis entré. J’ai signé. Trois feuilles. Quatre feuilles.
– Là ! Vous v’là en règle. Il vous reste plus qu’à venir jouer.
– Comme je vous l’ai dit, je débute. Je débute vraiment.
– Oui, oh ben, on a tous commencé par là, hein ! Vous vous y mettrez vite, vous verrez.
Elle a glissé le dossier dans un tiroir.
– Je peux vous demander, si c’est pas indiscret, ce qui vous a amené à la pétanque ?
– Je m’encroûtais. Fallait absolument que je fasse quelque chose.
– Pourquoi spécialement la pétanque ?
– Et pourquoi pas ?

Clorinde m’a jeté un petit regard tout à la fois amusé et inquisiteur.
– Et après ? Vous êtes allé jouer avec elle, j’parie.
– Comment tu le sais ?
– Longtemps ?
– Toute la matinée.
– Et vous avez discuté. Elle vous plaît ? Oui, je le vois bien à votre air qu’elle vous plaît. Ben, faut pas vous gêner, hein, si elle vous tente. Elle est cocue. Ce sera jamais qu’un prêté pour un rendu. Et puis vous pourrez me raconter comme ça.
– Et toi ? Alexandra ?
– Oh, ben, ça s’est super bien passé, Alexandra. Mais bon, il y avait pas de raison. De toute façon, nous, les nanas, dès qu’on a le nez dans les sapes, on est tout de suite complices. On est allées manger toutes les deux du coup, à midi. Et on a parlé. De vous. Entre autres.
– De moi ?
– Oui. Qu’on vivait ensemble tous les deux. Mais qu’on couchait pas. Elle arrivait pas à y croire. « Un type de son âge ! Avec une petite jeune comme toi. Mignonne comme tout en plus ! Et il tente rien ? Il est impuissant. C’est pas possible autrement. » Ça m’a fait rire. Vous l’étiez pas, non. Je suis pas entrée dans les détails de ce qui se passe entre nous, ça la regarde pas, mais ce qu’il y avait de sûr, c’est que vous l’étiez pas. Ah, non, alors ! Du coup, elle brûle d’envie de vous connaître. « Je voudrais bien voir à quoi il ressemble, cet oiseau rare ! » Mais ça, rien de plus simple, non ? Et comme il faut battre le fer tant qu’il est chaud, je l’ai invitée demain soir. Chez vous. Ce sera mieux. Ça en jettera plus. Vous avez rien contre ?
– Bien sûr que non !
– J’en étais sûre. Et vous savez ce que j’ai fait après ? Juste après l’avoir quittée ? Je suis allée voir son amant. Henri. J’avais un besoin urgent d’être magnétisée.
– Ben, voyons !
– Il m’a un peu draguée. Juste un peu. Et je me suis laissée faire. C’est vilain, hein ?
– Tu es infernale.


41-


On a frappé.
J’ai jeté un coup d’œil sur le réveil. Huit heures. Qui ça pouvait bien être ?
On a insisté.
– Clorinde…
– Quoi ?
Elle était couchée sur le flanc, couette rabattue jusqu’au pied du lit, vêtue en tout et pour tout d’une petite culotte blanche.
– On frappe.
– Ben, allez ouvrir ! Qu’est-ce vous attendez ?
D’une voix empâtée.
C’était un type en peignoir bleu, la serviette de bains sur l’épaule, la trousse de toilette à la main.
– Excusez-moi ! Je suis le voisin à gauche. Elle est pas là la jeune femme ?
J’ai chuchoté.
– Elle dort.
Il a chuchoté aussi.
– Non, parce que je l’ai vue hier. Et elle m’a proposé de venir me laver si je voulais. Comme ma douche est en panne.
– Ben, allez-y ! Mais faites pas de bruit. La réveillez pas !
Un doigt sur les lèvres, il m’a fait signe que oui… Oui… Bien sûr.
Elle n’avait pas changé de position.
Il a tiré sur lui la porte de la salle de bains. L’eau a giclé.

Je suis allé la rejoindre.
– Il m’a regardée ? En passant. Il m’a regardée ?
– Ah, ben ça !
– Appuyé ?
– Encore assez. Mais pas trop quand même. Parce que j’étais là, mais sinon…
– Et si ça se trouve, il est en train de se branler comme un furieux, là, à côté, en pensant à ce qu’il vient de voir.
– Possible, oui.
– Plus que probable, vous voulez dire. Et même, quasiment certain. J’aime bien. Comment elle est sa queue, vous croyez ?
– Qu’est-ce que tu veux que j’en sache ?
– Ben, allez voir ! Trouvez un prétexte, je sais pas, moi !
– Que je…
Elle a éclaté de rire.
– Vous verriez votre tête ! Vous êtes vraiment trop drôle.
Elle s’est levée.
– Bon, mais que je m’habille quand même ! Avant qu’il sorte. Qu’il aille pas s’imaginer des trucs. Parce que tout à l’heure j’étais censée dormir, mais maintenant…
– Tu m’en avais pas parlé de ce type…
– Entre la Mégane de la pétanque, son mari, Alexandra, et tout et tout, ça m’était complètement sorti de la tête. Oh, mais c’est tout bête, hein ! On s’est trouvés en même temps sur le palier. Il sortait de chez lui. Je rentrais. On a un peu discuté. Il m’a dit qu’il était embêté parce que sa douche marchait plus, que le plombier était débordé, qu’il allait venir, oui, mais quand ? Je lui ai proposé d’utiliser la mienne, du coup, en attendant. Et puis voilà !
Elle a boutonné son pantalon.
– Cela étant, que sa douche soit HS, je suis loin d’en être convaincue, mais bon…

Il a fait sa réapparition.
– Hou ! Ça fait du bien…
Elle lui a proposé un café.
– Non, merci. Désolé. Faut que j’y aille. Je suis déjà à la bourre. Une autre fois…
– En tout cas, hésitez pas, hein ! Revenez quand vous voulez.
– Oui. Merci. C’est gentil. C’est très gentil.


42-


C’est Clorinde qui a fait faire à Alexandra le tour du propriétaire.
– Je peux ?
– Bien sûr…
– Alors là, c’est le séjour… Regarde-moi ça ! Non, mais regarde-moi ça ! Et puis alors la vue !
Qu’elle ne lui a pas laissé le temps de contempler. Elle l’a entraînée dans la cuisine.
– Tu te mets aux fourneaux par plaisir dans un truc pareil. Des heures t’y passerais !
Puis dans sa chambre.
– Une vraie salle de bal, t’as vu ça ! Et le lit ! Il est d’un moelleux !
Ce qu’elle lui a fait vérifier. Poing fermé.
– Cela étant, j’y suis pas souvent. C’est plutôt avec lui que je dors. À côté.
Où elle l’a entraînée.
– Et v’là le travail ! Avoue que j’ai pas à me plaindre…
Un petit tour dans la salle de bains.
– Baignoire avec remous, s’il vous plaît…
Elle l’a fait redescendre.
– Et maintenant la cerise sur le gâteau. Par là ! Non, à droite. Là ! Tu y es.
Devant la piscine.
– Hou ! La vache !
– Oui, hein ! Et il y a pas de vis-à-vis. L’été complètement à poil on se baigne. Pas de marques de maillot comme ça. Tu pourras venir si tu veux.

On est passés à table.
– Alors ? Qu’est-ce t’en dis ?
Elle en disait que… Que c’était bien… Que c’était même très bien.
– Oui, hein ! Oh, mais je sais ce que tu penses. T’y crois pas une seule seconde qu’on couche pas.
Alexandra a fait mine de protester.
– Mais si ! Bien sûr que si que c’est ce que tu penses ! C’est trop le schéma classique, attends ! La petite étudiante sans le sou avec le quinquagénaire bourré de thunes. Qui l’entretient. Qui lui offre tout ce qu’elle veut. En contrepartie de quoi elle écarte les cuisses. C’est ce que tout le monde s’imagine. Forcément. Eh ben, c’est pas ça du tout. Bien sûr qu’on en a des moments érotiques. Souvent. Et intenses. À notre façon à nous. Mais on couche pas. Non, non et non. Ça gâcherait tout. Et on se perdrait.
C’était pas vraiment qu’elle y croyait pas, Alexandra. C’était…
– Qu’il y a pas grand-monde qu’est capable de ça. Alors que presque tout le monde en rêve. Et, du coup, on préfère se persuader que c’est pas possible. On n’a pas envie de se dire qu’il y en a qui y arrivent.

Dans la foulée, Clorinde a évoqué ses mecs.
– Et il y en a eu ! Mais bof ! Ça cassait pas trois pattes à un canard. J’en ai fait le tour. C’est toujours à peu près pareil finalement, hein ! Avant tu t’imagines des tas de trucs, mais une fois que t’es avec, le type ! Alors je cherche plus. C’est trop décevant. Et puis je suis bien comme je suis. Un petit coup vite fait, comme ça, à la rigueur, si l’occasion se présente, mais ça s’arrête là. Et toi ?

Elle a hésité.
– Oh, moi !
Haussé les épaules.
– J’ai quelqu’un, oui, mais qu’est marié.
– Et t’espères que…
– Qu’il quitte sa femme ? Non. De toute façon je suis pas sûre qu’au quotidien avec lui… Alors je prends les bons moments. Sans trop me poser de questions.


43-


Le lendemain matin, devant son café au lait, elle tirait une tronche de douze kilomètres.
– Holà ! Ça va pas, toi !
Ah, non, ça allait pas, non !
– Faut que j’aille à la fac. Je peux pas y couper : il y a un partiel. Et ça m’emmerde ! Si vous saviez ce que ça m’emmerde. Parce que, de toute façon…
Elle a soupiré, léché sa cuillère.
– Vu que j’ai strictement rien révisé… Bon, mais vous allez faire quoi, vous, pendant ce temps-là ?
– Un petit tour à la pétanque, sûrement !
– Ben, tiens ! Bonne chance alors ! Vous me raconterez ?
– Tu sais bien que oui !

Mégane était là, toute seule, fidèle au poste, à s’entraîner.
– Vous allez croire que j’y passe ma vie, mais il me reste tout un tas de congés à prendre. Alors j’en profite. Et puis il faut bien que de temps en temps, il y ait quelqu’un qu’assure une permanence ici. Bon, mais vous voulez jouer ?
C’était pas de refus, oui.
– Et moi, ça m’arrange. Parce que jouer toute seule, c’est pas vraiment l’idéal.
On a équitablement entrelacé parties et pauses. Des pauses dont j’ai profité pour essayer de la faire parler un peu d’elle. De son métier.
– Oui, oh, vous savez, caissière en grande surface, ça n’a rien d’exaltant.
De ses hobbies.
– À part la pétanque, je peux pas dire qu’il y ait grand-chose qui me passionne.
Elle avait des enfants ?
Oui, oh, alors là, c’était un sujet… Elle aurait aimé, oui. Évidemment qu’elle aurait aimé. Comme tout le monde. Seulement…
– Votre mari n’en veut pas.
– C’est pas qu’il en veut pas, c’est que…
Elle a marqué un long temps d’arrêt.
– Il m’a pas touchée depuis six mois.
– Ah !
Elle a haussé les épaules.
– Ce qui revient au même, finalement.
Je voulais pas être indiscret, mais…
– Il a quelqu’un d’autre ?
Peut-être. Elle savait pas. Il y avait des jours où elle se disait que oui, forcément, il avait une maîtresse. Et d’autres, où elle n’était plus certaine de rien.
– Ce qu’il y a de sûr, par contre, c’est qu’il me voit plus. Je suis complètement transparente à ses yeux. Et ça fait mal. Vous pouvez pas savoir ce que ça fait mal. Et comment voulez-vous, en dehors du fait qu’il se passe plus rien entre nous sur le plan sexuel, comment voulez-vous que je puisse envisager d’avoir des enfants avec lui ? Alors que j’arrête pas de me demander combien de temps ça va pouvoir encore durer comme ça tous les deux ? Si c’est pour qu’on se sépare six mois après et que le gamin soit ballotté en permanence de droite et de gauche, non, merci bien.
– Vous l’aimez encore ?
Elle a poussé un profond soupir.
– Que je l’aie aimé, ça, c’est sûr. On a eu trois ans de pur bonheur. Sans le moindre nuage. Et puis, petit à petit, ça s’est effiloché. Comment ? Pourquoi ? Ça reste pour moi un mystère. Peut-être qu’il y a un cap qu’on n’a pas su franchir. Ou que c’est dans l’ordre des choses. Ce que j’éprouve pour lui maintenant ? Franchement, je sais pas. Je sais plus. Peut-être que le mot qui conviendrait le mieux, ce serait affection. Une certaine affection. Et c’est horrible, si on y réfléchit bien.
Elle s’est levée.
– Mais je vous embête avec mes histoires.
– Pas du tout, non.
– Allez, venez, on joue.


44-


Elle a jeté son sac sur le fauteuil, près de l’entrée.
– Alors ! La bouliste ? Eh ben, racontez, quoi !
Elle m’a écouté, jusqu’au bout, sans jamais m’interrompre, avec infiniment d’attention.
– C’est tout ?
C’était tout, oui.
– C’est clair comme de l’eau de roche où elle veut en venir, attendez ! Parce qu’une nana qui fait des confidences comme ça à un type qu’elle a à peine vu trois fois, elle a forcément des idées derrière la tête. Et là, elle y est pas allée par quatre chemins, elle. « Il y a six mois qu’il m’a pas tirée. » Si c’est pas un appel du pied, ça, à moi la peur ! Et je donne pas huit jours avant que vous l’ayez grimpée dans votre lit. Maintenant, je sais pas. Peut-être que c’est le genre avec qui il va falloir que vous mettiez quand même un peu les formes. Qui veut pas admettre que c’est juste un plan cul. Qui va vous demander d’être son confident pour enrober tout ça. Qui en a peut-être réellement besoin, d’ailleurs. Mais de toute façon, à l’arrivée, le résultat sera le même. Ce sera nique-nique. Et je la comprends, la pauvre ! Parce que si c’est être mariée pour jamais voir le loup… Et à trente ans en plus…
Elle a esquissé un petit sourire mutin.
– Pourquoi tu te marres ?
– Non. Pour rien. Je pense à un truc.
– Ben, dis !
– Oh, non ! Vous allez me trouver vraiment très très tordue.
– Mais si ! Dis !
– Non. Ce que j’imaginais, c’est que c’était à l’hôtel là-bas que vous alliez la retrouver. Dans la chambre même où son mari s’envoie en l’air avec sa collègue Alexandra.
– C’est vrai que t’es particulièrement tordue. Mais c’est aussi ce qui fait ton charme. Entre autres choses, bien sûr !
– Bon, mais en attendant, puisqu’on parle d’Alexandra, vous savez ce que j’ai fait aujourd’hui ?
– T’avais pas un partiel ?
– Si ! Mais je me suis tirée au bout de dix minutes. Ça servait à rien que je reste. Quand on sait pas, on sait pas. Et donc, je suis passée lui rendre une petite visite à Alexandra, histoire de voir comment elle avait vécu notre petite soirée d’hier et, surtout, ce qu’elle avait pensé de vous. Elle avait pas beaucoup de temps à m’accorder, parce qu’elle partait bosser, mais j’ai pas été déçue du voyage.
– Comment ça ?
– Ben, vous lui avez carrément tapé dans l’œil, oui ! Elle a pas arrêté de me chanter vos louanges. Sur tous les tons. Comment vous êtes calme ! Rassurant ! Et puis beau avec ça ! « Il a vraiment un charme fou… » Non, mais alors là, elle me comprenait pas. Pas du tout ! « Je peux te dire que moi, je vivrais sous le même toit qu’un type comme ça, je me poserais pas de questions, alors là, je foncerais ! » Oh, mais elle pouvait, hein ! Je n’y voyais pas, pour ma part, le moindre inconvénient. Qu’elle se fasse plaisir ! Qu’elle s’éclate ! Ben, franchement, elle avait bien envie de se laisser tenter. Parce qu’il y avait des éternités qu’un type l’avait pas remuée comme ça. Et donc, à moins qu’elle vous inspire vraiment pas…
– Tu sais bien que si !
– Ah, ben ça, vous me diriez le contraire. Vu comment vous lui matez le cul chaque fois que l’occasion se présente… Bon, ben il y a plus qu’à l’inviter. Et le plus tôt sera le mieux. Comment vous allez jouer sur du velours, vous, n’empêche…
– Mais son magnétiseur, là ?
– Lui ? Il n’en a pas été du tout question. Mais, à mon avis, c’est pas le genre de fille à qui ça pose un problème de courir deux lièvres à la fois. À vous non plus, j’espère ! Parce que, si tout se passe bien, vous allez être pris entre deux feux, là. La maîtresse et la légitime. C’est pas banal, avouez, comme situation. Je me demande d’ailleurs si moi, pendant ce temps-là, je vais pas s’occuper de son cas, du coup, au magnétiseur. Histoire de faire bonne mesure. Oui, je crois bien que moi aussi, je vais me laisser tenter.


45-


Elle a voulu qu’on aille passer la nuit « chez elle ».
– Parce que le pauvre Vincent, à côté, si sa douche est toujours pas réparée, il doit commencer à puer.
Elle s’est déshabillée, allongée toute nue sur le lit. Sans l’ouvrir.
– Non, et puis c’est bien beau Alexandra, Mégane, le magnétiseur, tout ça, mais il faut aussi qu’on soit dans notre truc à nous. Parce que c’est ça le plus important, non ?
J’en étais bien d’accord. Et je suis venue m’étendre auprès d’elle.
Elle m’a posé la main sur la queue.
– Même qu’on couche pas, j’ai des droits dessus. Bien plus que n’importe qui d’autre.
Elle me l’a lissée. Du bout du doigt. L’a fait grimper. Contemplée. A déposé un petit baiser au bout.
– On fait quoi ? Qu’est-ce vous avez envie ?
Je savais pas. Ce qu’elle voulait, elle. Qu’elle décide !
– C’est toujours moi ! Vous êtes pas marrant à force.
Elle s’est soulevée, appuyée sur un coude.
– C’est trop marrant des couilles, n’empêche !
J’ai senti son souffle dessus. Elle leur a envoyé une petite pichenette. Une autre.
– C’est complètement improbable en fait comme truc.
Elle en a pris la peau entre ses dents, a serré, relâché.
– Faudra que je vous les morde un jour… Un bon coup. Un jour que j’en serai bien. Bon, mais allez ! Qu’est-ce qu’on fait ?
Elle s’est penchée à mon oreille. A chuchoté, rieuse.
– On le fait s’astiquer, le Vincent, là, de l’autre côté ?
Elle a sorti son petit enregistreur.
– Qu’est-ce que je vais lui choisir ? Oui, cette fois-là, tiens ! C’était à l’hôtel. Et je savais qu’on pouvait m’entendre autour. Un type surtout qu’avait pas arrêté de me lorgner de tout le repas.
Elle a mis en mode lecture. Ses soupirs. Ses halètements. Ténus d’abord. Retenus.
On s’est levés sans bruit. On s’est approchés de la cloison. On y a collé l’oreille.
Elle m’a fait signe, de sa main refermée, agitée de haut en bas. Et de bas en haut. « Ça y est ! Il y va. »
C’était vrai. On percevait un souffle précipité, accompagné de légers crissements réguliers de matelas.
Sur le lit, dans le petit enregistreur, elle s’est emballée. En grondements sourds. Qui se sont amplifiés. Qui sont devenus raz-de-marée de jouissance éperdue. Clamée à pleine voix.
Elle s’est silencieusement accompagnée, l’index en tourbillons impétueux sur son bouton, l’oreille plaquée contre la cloison, les yeux fixés sur ma queue dressée dont je m’occupais avec conviction.
À côté, il est allé plus vite, plus profond. Il a lâché un cri étouffé. Un seul.
Elle a fermé les yeux, renversé la tête en arrière, entrouvert la bouche. Et joui sans bruit. Et puis elle s’est penchée à mon oreille.
– Qu’est-ce que vous pariez que demain il va se pointer à la première heure ? En se disant qu’avec un peu de chance je serai à moitié à poil.

Ce qui n’a pas loupé.
Sauf qu’elle s’était levée avant. Et habillée.
Dans son regard est passé un éclair de déception. Qu’il a très vite réprimé.
Elle lui a souri.
– Votre chauffe-eau est toujours pas réparé ?
– Je sais pas s’il le sera un jour. Pour avoir un professionnel au jour d’aujourd’hui, c’est la croix et la bannière.
Ben tiens ! Il devait pas trop les bousculer non plus.

Quand il est sorti de la douche, elle lui a tendu un double des clefs.
– On risque d’être absents quatre-cinq jours. Alors hésitez pas, hein, venez vous doucher. Faites comme chez vous !


46-


Mégane n’était pas sur le terrain. Elle s’était réfugiée à l’intérieur. Et elle pleurait à chaudes larmes.
– Ben, qu’est-ce qui vous arrive ? C’est quoi, ce gros chagrin ?
– Rien. C’est rien.
– Mais si ! Dites !
– C’est que…
Et ses larmes ont redoublé. Se sont transformées en sanglots.
– Allons ! Allons !
Je l’ai prise dans mes bras. Elle s’est abandonnée contre moi. Je lui ai doucement caressé la joue. La tempe. La nuque.
Elle s’est calmée, a relevé la tête, m’a souri à travers ses larmes.
– Venez vous asseoir. Venez !
Sur le banc à côté des casiers. Je lui ai pris la main, ai entrecroisé mes doigts avec les siens. Elle m’a encore souri.
– C’est votre mari, hein !
Elle a fait signe que oui. Oui.
– Il a été odieux. Plus bas que terre il m’a mise. Que je suis invivable. Que personne pourrait me supporter. Personne. Et qu’il se demande ce qu’il fout encore avec moi.
Elle s’est tue. J’ai posé sa main sur ma cuisse. Elle l’y a laissée, a levé sur moi un regard bouleversé.
– Vous me trouvez moche, vous ?
– Jamais de la vie ! Vous êtes mignonne comme tout.
– Vous dites ça pour me faire plaisir.
– Je vous assure que non.
– C’est gentil. Et ça fait du bien. Parce que c’est pas facile à vivre, vous savez, quand votre mari vous trouve tous les défauts du monde.
– Oui, mais enfin, il a pas toujours dit ça…

Clorinde s’est étirée.
– Oui. Bon, bref. Vous avez fait la causette. Un bon bout de temps. Elle, à se lamenter. Et vous, à la consoler. Et puis après, vous l’avez embrassée. Non ?
– Un peu.
– Tu parles ! Je suis bien tranquille que vous vous êtes roulé pelle sur pelle un sacré moment, oui ! Et que vous, vous, en avez profité pour laisser traîner vos paluches ici et là. C’est pas vrai peut-être ? Bon, mais alors finalement, vous l’avez décroché le jackpot ou pas ?
– Sur le banc, avec le risque que quelqu’un déboule à tout moment, les conditions n’étaient pas vraiment idéales.
– Et donc, la partie de jambes en l’air est reportée à une date ultérieure. C’est pour bientôt ?
– On doit déjeuner, demain midi, dans une petite auberge de campagne, à l’écart de tout.
– Avec des chambres au-dessus, j’imagine. Je suis pas sûre que ce soit une bonne idée.
– Ah, non ? Pourquoi ?
– Parce que vous n’avez plus vingt ans. Et qu’une rude soirée vous attend. J’ai invité Alexandra.
– Oui, mais Alexandra…
– N’attend que ça. Vous entendriez comment elle parle de vous. « J’ai jamais eu autant envie avec un type. Jamais. Rien qu’à le voir, rien qu’à penser à lui, tu peux pas savoir ce que ça me fait. Non, mais comment il est séduisant, c’est de la folie. Et patati et patala. » Vous allez quand même pas la laisser dans cet état-là ! Ce serait inhumain. Et puis, de toute façon, vous aurez pas le choix.
– Comment ça ?
– Je recevrai un coup de téléphone urgent. Et je serai obligée de vous laisser tous les deux.
– T’as calculé ça avec elle, je suis sûr.
– Ben, évidemment !
– Tu es démoniaque.
– Comme si vous le saviez pas déjà !


47-


Elle a jeté son sac sur la petite table de l’entrée.
– Changement de programme !
– Hein ! Elle vient plus, Alexandra ?
– Oh, mais paniquez pas comme ça ! Si ! Enfin non ! Non, ce qu’il y a, c’est qu’on a encore discuté toutes les deux et que ce qu’elle aimerait, c’est que ce soit en boîte qu’ils se passent les travaux d’approche. C’est son truc à elle, ça ! Parce que son premier mec, celui qui l’a dépucelée, c’est là que… Enfin bref, je vous passe les détails. Toujours est-il qu’on ira en boîte. Et que je me tirerai vite fait. Comme convenu. D’autant que j’ai rendez-vous avec son magnétiseur d’amant, là.
– Ah, oui ? Ça y est ! Et elle est au courant ?
– Ça va pas, non ? Vous êtes pas bien ? Il y a des choses qui ne se font pas. Parce qu’elle a beau dire qu’elle en a rien à foutre, que c’est juste pour le cul avec lui, dans ce genre de situation, t’as tout intérêt à marcher sur des œufs. Parce qu’il y a des nanas, c’est quand on veut leur piquer le mec auquel elles tiennent soi-disant pas qu’elles en tombent amoureuses. Et ça vous retombe sur le coin de la figure. Vous devriez savoir ça depuis le temps.
– Et alors Mégane ce soir, du coup, elle va se retrouver toute seule.
– Pas grave. Elle passera la soirée à penser à vous. Ce n’en sera que meilleur demain. Pour elle comme pour vous.

C’est d’abord Clorinde que j’ai invitée à danser.
– Vous voulez faire diversion, oui, je comprends bien, mais ça vous sert strictement à rien. Parce que vous jouez sur du velours, je vous dis ! Elle va vous tomber toute rôtie dans le bec. Alors allez-y ! Foncez !
– Oui, mais…
– Mais quoi ?
– J’ai aussi envie de danser avec toi.
– C’est gentil, mais on en aura d’autres, des occasions. Plein d’autres. Parce que je sais pas si vous avez remarqué, mais on vit ensemble au quotidien, hein ! Je file n’importe comment. Henri m’attend.

Et j’ai fait danser Alexandra. Qui a suivi des yeux Clorinde en train de prendre la poudre d’escampette.
– Elle va où ?
– Aucune idée. Elle me dit pas tout, hein ! Elle vit sa vie de son côté. Et moi, la mienne du mien. Mais, la connaissant, il y aurait quelque séduisant jeune homme là-dessous… À l’attendre quelque part…
On s’est souri.
Elle s’est abandonnée plus librement contre moi. Mes mains sont descendues, sont venues se loger au creux de ses reins. Juste au-dessus des fesses. Elle a posé sa tête contre ma poitrine. Et on s’est tus.
Mon souffle dans ses cheveux. Elle a eu un imperceptible frémissement. Je les ai effleurés de mes lèvres. Sa poitrine s’est soulevée plus vite. En bas je me suis dressé vers elle, pressé contre elle. Elle n’a pas tenté de se dérober. Elle a levé vers moi des yeux pleins de désir. Je me suis penché. Et nos lèvres se sont jointes.
Un quart d’heure plus tard, on était chez moi.


48-


Je me suis réveillé en sursaut. J’ai tâté l’absence à mes côtés et je me suis précipité à la cuisine où ne se trouvait que Clorinde.
– Elle est partie Alexandra ?
Elle a tranquillement vidé sa tasse.
– Il est dix heures, je vous ferai remarquer. Et elle a un métier, elle !
– Tu l’as vue ? Elle t’a dit quelque chose ?
– Oh, plein de choses ! Fort intéressantes d’ailleurs ! Non, parce que, si je veux me faire une idée de la façon dont vous baisez, vu que je peux pas juger moi-même sur pièces, le mieux, c’est encore que je me renseigne. Et vous vous en êtes pas si mal sorti que ça, à ce qu’il paraît. Mais enfin, faut bien reconnaître aussi que vous avez bénéficié d’un préjugé favorable au départ. Très favorable. Elle était de parti pris, Alexandra. Elle est enchantée, ce qu’il y a de sûr. Et vous pouvez remettre le couvert quand vous voulez. La prochaine fois, si tout se passe bien, vous aurez même droit à une petite pipe. Elle a pas osé hier. Parce qu’au début, comme ça, elle avait peur de ce que vous pourriez penser d’elle. Mais elle en crevait d’envie. N’empêche… Qui aurait cru, hein ? Qui aurait cru, le jour où on s’est mis à la suivre parce que vous aviez flashé sur son cul, qu’elle se retrouverait dans votre lit ? C’était pas gagné. Après, reste à savoir comment ça va tourner, tout ça.
– Comment ça va tourner ?
– Ben oui. Oui. Parce que vous êtes libre. Et elle aussi. Alors il y a toutes les chances qu’il lui pousse des idées derrière la tête. Si c’est pas déjà fait…
– C’est pas l’impression qu’elle m’a donnée.
– Oui, non, mais ça, évidemment ! Évidemment ! Une nana, aujourd’hui, elle se pointe pas comme ça, tranquille, la fleur au fusil : « Coucou, c’est moi ! Je viens te mettre le grappin dessus. » Non. Elle se la joue fine. Elle te fait croire ce que t’as envie de croire. Que c’est juste pour prendre du bon temps. Qu’elle a pas l’intention de s’investir le moins du monde. Et puis, petit à petit, elle grignote. Elle gagne du terrain. Elle t’enrobe. Et, au final, tu te retrouves installé avec sans trop savoir au juste comment ça s’est passé. T’es piégé. Et alors après, pour réussir à te dégager… Surtout vous ! Je vous vois mal dans le rôle.
– Pourquoi tu me dis tout ça ? Tu sais quelque chose ? Elle t’a fait ses confidences ?
– Pas vraiment, non ! Mais je sais lire entre les lignes. Après, c’est vous que ça regarde, hein ! Vous faites bien ce que vous voulez… Mais je vous aurai prévenu. Vous courez des risques. Surtout que…
– Que quoi ?
– Qu’elle commence à en avoir soupé de son magnétiseur. Et qu’elle se demande ce qu’elle fout encore avec. Ce que je peux comprendre. Parce que des nuits aussi nulles que celle que je viens de passer, j’en ai rarement connu. Non, mais attendez ! Le mec qui débande quand vous l’avez dedans, c’est quand même pas banal. Il a passé son temps à ça. Bander. Débander. Rebander. Redébander. Et à s’excuser. Qu’il était désolé. Que j’étais une fille hyper attirante pourtant. Qu’il avait une envie folle de moi. Alors il comprenait vraiment pas ce qu’il se passait. Peut-être les médicaments. On lui avait changé son traitement. Ce dont j’avais strictement rien à foutre. Que ce soit ça ou autre chose, moi, un mec qu’arrive pas à me satisfaire, j’ai pas l’intention de perdre mon temps avec.
– Mais Alexandra…
– On l’a entendue jouir, oui, je sais… Mais apparemment c’est plus vraiment le cas. Depuis un bon petit moment déjà. Bon, mais et vous ?
– Quoi, moi ?
– Vous êtes monté deux fois à l’assaut cette nuit, à ce qu’elle m’a dit. Deux fois et demi même. Vous croyez que vous allez pouvoir assurer avec la Mégane, là ? Surtout que, si elle a pas vu le loup depuis des mois, comme elle le prétend, elle va être sacrément demandeuse.
– On verra. Je te dirai.
– Oh, oui, hein ! Avec tous les détails. Je veux tout savoir.


49-


Mégane était déjà là.
On s’est précipités dans les bras l’un de l’autre.
Il était tôt. Trop tôt pour passer à table.
– Vous voulez qu’on fasse quoi en attendant ?
Elle a souri.
– Qu’on se tutoie.
– Bien. Alors… Tu veux qu’on fasse quoi ?
Elle a haussé les épaules.
– N’importe !
Et on s’est promenés, main dans la main, dans le petit parc autour de l’auberge.
– Tu sais quoi ? J’ai failli pas venir.
– Ah, oui ! Et pourquoi donc ?
– Parce que… Parce que j’avais peur de ce que t’allais penser de moi.
J’ai froncé les sourcils.
– Ben oui, attends ! Tout juste si on s’est vus trois fois et je me jette à ton cou. Alors tu serais en droit de penser…
– De penser quoi ?
Elle a cherché ses mots.
– Que je suis… Que je n’ai pas… C’est la première fois, tu sais ! Que je fais ça. Que je rencontre un homme en cachette. Depuis que je suis mariée, c’est la première fois. Si, c’est vrai, hein !
– Mais j’ai jamais prétendu le contraire.

Clorinde a levé les yeux au ciel.
– Oh là là ! Mon pauvre ! Vous avez tiré le gros lot, là. La fille qui veut, mais qui veut pas. Tout en voulant quand même. Qui transpire la culpabilité de partout, c’est la purge, ça ! Vous avez pas fini de vous en voir. Vous avez réussi à la tirer au moins ?
– Une fois avant de passer à table. Et une fois après.
– Ah, quand même ! Et c’était bien ?
– Disons qu’elle avait beaucoup d’appétit.
– Tu m’étonnes ! La nana qu’a rien vu venir depuis des mois… Bon, mais racontez, quoi !
– Qu’est-ce tu veux que je raconte ?
– Faites bien l’imbécile ! Ben, comment ça s’est passé, tiens !
– Le premier coup, c’était un peu empoté. Mais alors le deuxième coup, par contre…
– Elle s’est lâchée…
– C’est le moins qu’on puisse dire… Pour donner de la voix, elle a donné de la voix, ça !
– Elle est bien fichue ? De corps ? Elle est bien fichue ?
– Elle a des seins magnifiques. Juste comme il faut. Bien en chair. Mais pas trop quand même. Et puis alors réactifs d’une force ! Quand tu en prends les pointes dans la bouche…
– Elle vous a sucé ?
– Pas encore, non !
– Et vous ? Vous lui avez fait minette ?
– Non plus.
– Et après ? Quand vous avez eu fini ? Elle vous a reparlé de son mari, je suis sûre.
– Un peu.
– Ben, tiens ! Et elle vous a dressé une liste de griefs contre lui longue comme ça. Histoire de se dédouaner de l’avoir trompé. Bon, mais vous vous revoyez quand ?
– Après-demain. En principe…
– Déjà ! Eh, mais c’est que vous allez être très très pris, là ! Mégane. Alexandra. Oubliez pas un truc, hein, dans tout ça. C’est que je suis prioritaire.


50-


– Oh, vous vous réveillez ?
Je me suis redressé d’un bond, le cœur battant à tout rompre.
– Hein ? Quoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ?
– Ah, quand même ! Eh, ben dis donc, ça vous réussit pas à vous, à ce qu’on dirait, de baiser à tout-va.
– Tu m’as fait une de ces frayeurs !
– Oh, le pauvre chéri ! Bon, mais dépêchez-vous ! On va être en retard.
– En retard ? Mais pour quoi faire ? On va où ?
– Là-bas. Chez moi. Grouillez, j’vous dis ! Habillez-vous ! Je vous expliquerai dans la voiture.

Au-dehors il faisait encore nuit noire.
– Forcément ! Il est que six heures. Vous avez pas une petite idée de ce qu’on va faire ?
– Pas la moindre, non.
Elle a soupiré.
– Faut vraiment tout vous expliquer à vous, hein ! Bon alors… le Vincent dans l’appart à côté qu’a son chauffe-eau en panne, à qui j’ai donné un double des clefs pour qu’il puisse venir se laver, il en a profité pour faire quoi à votre avis ?
– Fouiller un peu partout ?
– Il y a toutes les chances, oui. Et à la recherche de quoi ? Vous savez pas ? Même pas une petite idée ? Faut tout vous expliquer à vous, hein ! Ben, de mes petites culottes, tiens ! Qu’il a trouvées. Forcément. C’était pas bien difficile. Et il en a fait quoi ? Ben, il est allé se jeter sur notre lit avec, tiens ! Là où il s’imaginait nous avoir entendus baiser. Il a enfoui sa tête dans mon oreiller, dans mon parfum, et il s’est acharné sur sa queue comme un forcené. Et vous pouvez être tranquille qu’il a pas mis trois heures à décharger, alors là !
– Ça se tient, ton truc.
– Un peu que ça se tient. Et même que, dans la foulée, il est resté carrément dormir dans notre lit. Il y dort tous les soirs, vu qu’il est convaincu qu’on y reviendra pas tout de suite. Et donc…
– On va aller le prendre sur le fait.
– Voilà. Vous avez tout compris. Et on risque de bien s’amuser, non, vous croyez pas ?

Elle a collé son oreille à la porte, mis un doigt sur ses lèvres et chuchoté.
– Il est là. Il ronfle. Allez ! À la une, à la deux et à la trois !
Elle a ouvert la porte en trombe, a allumé la lumière.
Il s’est assis dans le lit, hirsute, l’air affolé.
– Je…
– Vous, quoi ? Et qu’est-ce que vous fichez dans mon plumard d’abord ?
– Rien. Rien. Je passais.
Elle a froncé les sourcils.
– Vous passiez ?
– Oui, mais je m’en vais. Je m’en vais. Je pars.
Il s’est précipitamment levé, s’est jeté sur son pantalon de pyjama. Qu’elle ne lui a pas laissé le temps d’enfiler. Qu’elle lui a arraché des mains.
– Ah, non, vous ne partez pas, non ! Pas avant de m’avoir expliqué ce que vous faisiez là. Eh bien ? J’attends.
– Je…
– Oui ?
Elle a brusquement poussé un cri horrifié.
– Mais c’est ma culotte, là, par terre ! C’est ma culotte ! Ah, mais je comprends mieux. Vous vous branliez dedans, hein, grand dégoûtant que vous êtes !
– Mais non, mais…
– Bien sûr que si ! Allez me la chercher !
Il la lui a tendue, tête basse, la queue pendouillant entre les jambes.
Elle l’a giflé avec. Par deux fois.
– Fichez-moi le camp ! Allez, ouste ! Dehors !
Et elle l’a expédié tout nu dans le couloir.


51-


Une fois la porte refermée, elle a été prise d’un immense fou rire.
– Sa tête ! Non, mais sa tête ! Comment il était trop marrant ! Vous avez vu ça ? Oh, mais on va pas s’arrêter en si bon chemin. On va te lui mijoter un de ces petits feux d’artifice qu’il va s’en souvenir un sacré moment.
Elle s’est laissée tomber de toute sa hauteur sur le lit.
– Bon, mais en attendant on va s’occuper de nous. Parce que c’est bien beau les deux autres, là, avec qui vous vous envoyez allègrement en l’air, mais si j’y mets pas un peu du mien, si je reprends pas la main, il va plus y en avoir que pour elles et vous allez me mettre vite fait sur la touche.
– Tu sais bien que non.
– Oui, oh, alors ça ! Ben, venez là ! Sur le lit avec moi. Restez pas planté. Et dites-moi : de quoi vous avez envie ?
Elle a soupiré.
– Je sais ce que vous allez dire. Je le sais. Que j’ai qu’à choisir. Vous êtes d’un chiant avec ça ! Finalement…
Elle s’est redressé sur un coude.
– Finalement, ce que ça veut dire, si on y réfléchit bien, c’est que vous en avez rien à battre, qu’il y a rien qui vous tente vraiment avec moi.
– Ah, tu crois ça, toi !
– Ben, prouvez-moi le contraire alors !
– Ce dont j’ai très envie, là, maintenant, tout de suite, c’est de te regarder en bas.
– De me regarder ? Ma chatte ? Mais vous l’avez déjà vue des milliers de fois !
– Je m’en lasse pas.
– Dans ces conditions…
Et elle a retiré son pantalon. Voulu faire glisser la culotte.
– Attends ! Attends ! Que je te la devine d’abord à travers.
Elle a ri.
– Oh, mais c’est qu’on serait fin gourmet…
Je me suis penché. Approché. Penché encore.
Elle a remonté la culotte qui lui a épousé les lèvres au plus près. Qui les lui a sculptées.
J’ai posé les mains sur ses hanches et je me suis absorbé dans ma contemplation.
Elle a murmuré.
– Je sens votre souffle. Même à travers. Il est tout chaud.
Une petite tache humide a perlé.
– Tu aimes que je te regarde ?
Elle n’a pas répondu. La tache s’est étendue.
J’ai glissé mes deux pouces, de chaque côté, sous l’élastique. Elle a soulevé les fesses pour laisser passer. Je la lui ai descendue. Complètement retirée. Elle s’est ouverte un peu plus au large. Et je suis revenu à son encoche ciselée. Je me suis enivré, du regard, de ses replis nacrés. De ses méandres ourlés.
Un peu de mouille a ruisselé le long de sa fesse. Je l’ai recueillie du bout du doigt, portée à mes lèvres.
– Tu as bon goût.
Elle m’a doucement repoussé.
– Chut ! Il faut pas abuser des bonnes choses. Jamais.
Elle s’est penchée, m’a effleuré les lèvres des siennes.
– La prochaine fois vous pourrez avec votre langue, si vous voulez.
Tu parles si je voulais !
– Quand ?
– Bientôt. Faut qu’on profite à plein l’un de l’autre n’importe comment parce que…
Elle n’a pas achevé.
– Parce que quoi ?
– Non, rien. J’ai pas envie d’en parler.


52-


– Alors ? Votre journée ? Vous l’avez vue, Mégane ? Oui ? Et c’était bien ?
– Plus que bien. Elle se laisse de plus en plus aller. Une vraie boule de jouissance. Faut dire aussi qu’avec tout le retard qu’elle a à rattraper…
– Ah, ça ! Oui, mais faites gaffe alors ! Elle va vous mettre sur les rotules à force. D’autant qu’il faudrait pas que vous oubliiez que vous avez aussi Alexandra à satisfaire !
– Mais j’oublie pas !
– Tiens, d’ailleurs, à propos, je l’ai vue, elle, cet après-midi…
– Ça allait ?
– Ça allait, oui ! On a beaucoup parlé toutes les deux. Et elle envisage très sérieusement de mettre un terme à sa relation avec notre magnétiseur, là. Ce que je peux parfaitement comprendre, maintenant que j’ai baisé avec.
– Tu lui as dit ?
– Que ? Je me l’étais tapé ? Ça va pas, non ! Vous me prenez pour une demeurée ? C’était la dernière des choses à faire. Mais elle, par contre, elle a été en veine de confidences. En fait, contrairement à ce qu’on a pu croire, vous et moi, ça a jamais été vraiment folichon entre eux, côté cul. Le plus souvent, elle faisait semblant.
– Pourquoi elle restait avec alors ?
– Par habitude. Pour pas être toute seule. Pour se donner l’illusion d’avoir quelqu’un. Ou tout ça ensemble. Il peut y en avoir plein des raisons. Mais enfin toujours est-il que ça n’a plus beaucoup d’importance maintenant. Parce qu’elle va le quitter. C’est quasiment fait. Et c’est de votre faute.
– De ma faute ? Comment ça, de ma faute ?
– Vous êtes tout seul. Vous êtes libre. Et vous avez tout plein d’autres qualités. Alors forcément une nana, ça lui donne envie de vous mettre le grappin dessus.
– Oh, tu crois ?
– Je crois pas. Je suis sûre. Seulement vous, les types, c’est le genre de choses que vous voyez pas. Ou bien alors quand il est trop tard, que le mal est fait, que vous êtes complètement englués. Mais bon, je vous aurai prévenu, hein ! Elle va sortir le grand jeu. Tout faire pour vous enfumer. Tenez-vous le pour dit. Parce que je serai peut-être pas toujours derrière vous pour veiller au grain.
– Ce qui signifie ?
– Non, rien. Allez nous chercher le Vincent à côté, tiens, plutôt ! Ça nous distraira un peu.

J’ai frappé. Il a entrouvert la porte.
– Ah, c’est vous. Entrez ! Je suis désolé, hein, pour ce matin.
– Elle veut vous voir.
– Là ? Maintenant ? Tout de suite ?
– Ben oui, maintenant, pas dans six mois.
– Elle est très fâchée ?
J’ai haussé les épaules.
– Oui, bon, j’arrive. J’arrive.

Elle s’est redressée de toute sa hauteur.
– Ah, vous voilà, vous ! Vous êtes content de vous ?
Il s’est littéralement liquéfié.
– Oui… Non… C’est que…
– Parce que moi j’ai la gentillesse de vous rendre service. Et vous, vous en profitez pour vous comporter comme le dernier des grands dégoûtants. Ah, c’est bien ! Bravo ! Bravo !
– Mais non, mais…
– Mais quoi ? Qu’est-ce que vous allez bien pouvoir trouver pour justifier ça ? Hein ? Alors ? J’attends. J’écoute.
Il n’a pas répondu. Il a baissé la tête en jouant nerveusement avec ses doigts.
– Rien. Évidemment, rien. Ça peut pas se justifier, un truc pareil. Bon, mais vous savez pas ce que je vais faire, moi, du coup ? Mettre tout l’immeuble au courant qu’il y a un pervers qui y habite.
– Vous n’allez pas faire ça ?
– Je vais me gêner ! C’est faire œuvre de salubrité publique n’importe comment. Il faut bien que les femmes sachent à quoi s’en tenir avec vous, qu’elles se protègent de vous.
Il s’est fait implorant.
– Je vous en supplie. Je vais passer pour…
– Pour ce que vous êtes. Bon, écoutez ! Trêve de bavardages. Je veux bien vous laisser une dernière chance.
Il a levé sur elle un regard plein d’espoir.
– Et ne rien dire à personne. Mais, par contre, en échange de mon silence, je vais vous punir. Une bonne fessée. C’est plus que mérité, avouez ! Allez ! Baissez votre pantalon !
Il a obtempéré.


53-


Elle a attendu que sa porte, à côté, se soit ouverte, refermée et elle a éclaté d’un long fou rire silencieux.
– Trop forte, la fille ! Trop forte ! Non, mais vous avez vu ça, l’autre ? Il a suffi que je lui ordonne : « Allez, hop, baissez-moi tout ça que je vous mette une fessée ! » et ni une ni deux, il s’est flanqué le cul à l’air.
– Parce qu’il avait une trouille bleue, ça se voyait, que tu mettes tes menaces à exécution, que t’ailles raconter un peu partout ce qu’il s’était passé. Ce qu’il ne voulait à aucun prix. Il avait pas envie d’avoir à raser les murs.
– Et pas seulement ça, moi, je crois… Parce que vous avez vu la tête d’obsédé qu’il a ? Je suis bien tranquille qu’il y a plein de filles et de couples qui y attrapent avec lui dans l’immeuble. Qu’il se faufile un peu partout pour regarder ou écouter, la queue à la main. Alors que je vende la mèche et il serait complètement grillé. Tout le monde se méfierait de lui. Et c’en serait définitivement terminé de ses petites activités de voyeur. Alors oui, mieux valait une bonne fessée, tout compte fait, et qu’on n’en parle plus.
– Tu y es pas allée de main morte en tout cas !
– Oh, pas tant que ça, moi, j’trouve !
– Hein ! Ben, je sais pas ce qu’il te faut. T’as pas entendu comment il piaulait ?
– Parce qu’il est doudouille.
– Et dans quel état il avait les fesses quand t’en as eu terminé ?
– Parce qu’il marque facilement.
– Non, je t’assure ! C’était une de ces corrections !
– Je me suis pas rendu compte. Attendez ! Écoutez ! Écoutez ! Vous entendez pas ?
– Quoi donc ?
– Sa douche !
– Faut bien qu’il se rafraîchisse un peu le derrière. Après ce qu’il vient de subir, le pauvre, c’est une nécessité absolue.
– Oui, mais soi-disant qu’elle était en panne. Elle marche en fait.
– Tu en doutais ?
– Non. Bien sûr que non.
Elle a plissé les yeux, froncé les sourcils, s’est mordu la lèvre inférieure.
– Ça me perturbe drôlement n’empêche ce que vous venez de me dire, que j’y allais vraiment fort, parce que, si c’est vrai, hein, je me rendais pas compte. Pas du tout.
– Tu y prenais du plaisir en tout cas, ce qu’il y a de sûr.
Elle a esquissé un petit bout de sourire.
– Ça se voyait tant que ça ?
– Et comment !
– Oui, mais vous, vous me connaissez ! Mieux que personne. Alors ça vaut pas.
Elle s’est laissée tomber sur le lit.
– Vous savez ce que je me demande ? Ben, si ça lui plaisait pas, tout compte fait, à lui que je le lui claque, le derrière. Non, parce que vous avez vu ? Il bandait.
– C’était peut-être purement mécanique.
– Peut-être, oui. Et puis peut-être pas. Parce qu’un type de son âge, ça l’excite, si ça tombe, de se faire tanner le cul par une gamine comme moi, allez savoir ! Pourquoi pas après tout ? Vous aimez bien, vous, quand je vous mords.
– C’est pas que j’aime bien…
– Ah, non ? C’est quoi alors ?
– C’est que…
– C’est que vous aimez que j’aime vous le faire. Ce qui revient au même finalement.
Elle m’a fait signe.
– Venez avec moi ! Venez près de moi.
Elle m’a pris la main. Et s’est brusquement rembrunie.
– Comment j’aimerais pas ça plus vous avoir avec moi.
– Il y a pas de raison.
– On sait pas. On peut pas savoir.
Et elle s’est blottie contre moi.


54-


Des reniflements dans la nuit. De petits hoquets. Des sanglots réprimés.
Je me suis penché sur elle.
– Tu pleures ?
– Non, je pleure pas. Non.
J’ai allumé. Les larmes lui ruisselaient sur les joues, sur le menton et jusque dans le cou.
– C’est quoi, ce gros chagrin ?
– Rien, je vous dis. Rien.
Et elle a voulu se tourner de l’autre côté.
Je l’en ai empêchée, ai cherché à l’attirer vers moi. Elle a résisté. Un peu. Pas bien longtemps. Et a fini par venir se réfugier, d’elle-même, contre ma poitrine. Où elle a redoublé de sanglots.
Je lui ai doucement caressé le front, les tempes, la commissure des yeux.
– Là ! Là ! C’est tout… C’est tout…
Elle s’est peu à peu calmée, m’a souri à travers ses larmes.
– Je suis idiote. Je suis vraiment idiote.
– Si tu me disais de quoi il retourne plutôt…
– C’est pas facile…
– Essaie toujours…
– C’est à cause de vous.
– De moi ?
– Oui. Enfin non. C’est que je sais pas ce que je dois faire. Enfin, si, je le sais ! Si ! C’est une chance inouïe que j’ai là. Mais c’est pas simple quand même.
– Si tu t’efforçais d’être un peu plus claire.
– J’avais fait la demande. Sans vraiment y croire. Et je suis prise. Dans une grande école de psycho. La plus grande. À New York.
– Hein ? Mais c’est magnifique !
– Oui, dans un sens, oui. Bien sûr. Mais dans un autre, je vais plus vous voir. Ce sera fini tout ce qu’on vit là.
– On s’écrira. On se verra par Internet. On se racontera.
– Au début, oui. Et puis après vous m’oublierez. C’est toujours comme ça que ça se passe. Pour tout le monde.
– T’oublier ? Alors ça, c’est complètement impossible.
Elle a haussé les épaules.
– Bien sûr que si ! Il y a Alexandra. Il y a Morgane. Et puis il y a pas que ça. Vous avez une grande maison. Avec piscine et tout le tintouin. Alors vous pensez bien que des filles qui voudraient être à ma place, il y en a tout un tas. J’en connais. Qui auront rien de plus pressé que de venir vous assiéger. Et vous, bonne pâte comme vous êtes, vous finirez par vous laisser embobiner. Surtout qu’elles, elles auront pas de scrupules. C’est le genre à coucher pour arriver à leurs fins, alors là ! Et qu’il y en ait d’autres dans ma chambre, dans mon lit, rien que d’y penser, vous pouvez pas savoir ce que ça me fait…
– Il y en aura pas. Je te promets.
– Mais même ! Me passer de vous, plus vous voir, plus faire tout ce qu’on fait ensemble depuis des semaines, c’est trop dur.
– Ça n’aura qu’un temps.
– Trois ans. Au moins.
– C’est pas la mer à boire. D’autant que je ferai des petits sauts là-bas de temps à autre.
– C’est vrai ? Souvent ?
– Le plus souvent possible.
– C’est pas une réponse, ça !
– Alors disons… Une fois par mois. Au moins. Ça te va ?
Elle m’a sauté au cou.
– Vous êtes un amour. Mais vous le ferez, hein ? Vous le ferez vraiment.
– Tu m’as déjà vu ne pas tenir mes promesses ?
– Jamais, non. Je vais peut-être partir alors finalement, du coup !
– T’as tout intérêt ! Parce que je te flanque une fessée sinon ! Comme t’as fait au voisin, là !


55-


Elle nous a voulu un restaurant.
– Celui où on est si souvent allés tous les deux.
Elle y a soupiré.
– C’est peut-être la dernière fois.
– Tu pars quand au juste ?
– Je sais pas trop. Peut-être en fin de semaine. Peut-être la suivante. Ou celle d’après.
Ses yeux se sont embués.
– Enfin si, je le sais quand je pars ! Évidemment que je le sais ! Mais je veux pas vous le dire. Je veux pas qu’il y ait ça entre nous. Pour le peu de temps qu’il reste. Qu’on compte les jours. Ou les heures. Tout ça pour, à la fin, se faire des adieux déchirants. Comme dans les films.
Au dessert, elle a sorti deux clefs USB de son sac, m’en a tendu une.
– Ça, c’est la copie intégrale de tout ce qu’il y a sur mon petit enregistreur, là, vous savez bien. De tous ces tas de fois où j’ai joui. C’est pour vous. Vous en ferez ce que vous voudrez. Tout ce que vous voudrez.
Elle a eu son petit sourire mutin.
– Je sais bien ce que vous allez en faire ! Mais c’est le but.
Et puis l’autre.
– Et là, sur celle-là, ce sont des photos de moi. Sous toutes les coutures. Exprès pour vous je les ai faites. Que vous m’ayez encore. Même quand je serai partie.
J’ai fouillé dans ma poche. À mon tour de lui donner quelque chose. Une enveloppe. Une enveloppe que j’ai posée à côté de son verre.
– Qu’est-ce que c’est ?
– Eh bien, regarde !
– Une clef, mais une vraie.
– Celle de ta chambre. Tu seras sûre, comme ça, que personne n’y viendra jamais en ton absence.
Elle m’a pris la main par dessus la table, l’a portée à ses lèvres, s’est levée.
– Venez ! On rentre.

Elle s’est déshabillée. Complètement. Étendue, mains sous la nuque, sur le lit.
– Vous pouvez me regarder, si vous voulez. Tant que vous voudrez. Ce que vous voudrez.
Je me suis penché sur elle, lui ai effleuré le front d’un baiser, ai plongé mes yeux dans les siens. Je les y ai laissés. Longtemps. Les couleurs en ont doucement chatoyé.
Et puis je suis lentement descendu, me suis arrêté à hauteur de ses seins en pente douce. Dont les pointes se sont orgueilleusement dressées.
– Ils sont magnifiques.
Je les ai avidement contemplés.
Plus bas. Je me suis approché de son ravissant petit réduit d’amour. Plus près. Encore plus près. Elle s’est redressée. Ses doigts se sont enfouis dans mes cheveux.
– Vous pouvez aujourd’hui, avec votre bouche, si vous voulez.
Si je voulais !
J’y ai posé mes lèvres. Je les ai fait courir tout au long de la douce encoche. Inlassablement. Dans un sens. Dans l’autre. Quelques gouttes de liqueur ont perlé. J’ai passé mes bras sous ses cuisses. Je l’ai doucement, tout doucement, ouverte. Je me suis aventuré, du bout de la langue, dans ses replis soyeux. Je les ai investis. Elle a doucement gémi. Sa main s’est posée sur ma nuque. Elle m’a pressé la tête contre elle, a exigé.
– Encore ! Encore !
Ses doigts m’ont rejoint. Ma bouche. Ses doigts. Ses doigts. Ma bouche. En un somptueux vertige. Et son plaisir a surgi. Tempétueux. Ravageur. Elle l’a proclamé. Elle l’a hurlé. Ça s’est apaisé. C’est reparti de plus belle. En longs sanglots éperdus. C’est retombé.
Je suis remonté, lui ai effleuré les lèvres.
– Et votre plaisir à vous ?
Elle me l’a donné. Avec ses doigts. On est restés les yeux dans les yeux. Jusqu’au bout.
Elle s’est endormie la première, lovée contre moi.

Au réveil, elle n’était plus là, mais il y avait un mot sur la table de la cuisine.
« J’ai horreur des adieux. Et des larmes qui vont avec. Je pars. Je m’envole tout à l’heure. Mais je vous attends là-bas. Vous avez promis.
Je vous aime.
CLORINDE »

FIN

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire