vendredi 17 mai 2019

Vintage (2)




 ENTREZ, FACTEUR !




Dessin de Martin Van Maele

– Eh bien, facteur, faut pas se gêner !
– Mais j’ai frappé ! C’est vous qui…
– Qui t’ai dit d’entrer. Je sais, oui ! Ferme donc la porte, idiot ! Ça fait courant d’air. Et profite de l’occasion au lieu de discourir ! C’est pas tous les jours qu’on doit t’offrir, sur ta tournée, des spectacles comme celui-là. Si ?
– Oh, pour ça, non !
– Ah, tu vois ! Tu sais que t’es pas mal du tout de ta personne ? Ça change de celui qu’il y avait avant. Tu dois sacrément plaire aux filles, je suis sûre. Non ? Je me trompe ?
– On se défend.
– Et modeste avec ça ! Mais c’est que t’as toutes les qualités, toi ! Si, en plus, là-dessous, t’es monté comme un taureau, alors là ! Là ! C’est le cas ?
– Je…
– Non ! Non ! Dis rien ! Je préfère imaginer. N’empêche que tu sais que c’est tous les jours que je t’attends ? Que je te regarde, derrière mes volets clos, glisser le courrier dans ma boîte aux lettres ? Et d’ailleurs, tiens, tu veux un aveu ? Neuf fois sur dix, les lettres que je reçois, c’est moi qui me les suis envoyées. Pour avoir le plaisir de t’avoir là, à disposition, quelques instants, sous ma fenêtre. Et pour, après, laisser courir mes doigts, en pensant à toi, là où ils ont envie d’aller. C’est pour ça : je me suis bien juré que le jour où tu m’apporterais enfin un colis, je ferais en sorte que tu saches à quoi t’en tenir. C’est plus honnête, non, tu trouves pas ? Surtout que t’es le premier concerné. Et voilà qu’il est enfin arrivé, ce jour béni. Et que je suis dans tous mes états. Ça te choque pas trop au moins tout ça ? Si, hein ! Un peu quand même. J’m’en fous ! J’m’en fous complètement. Parce que si tu savais comment c’est excitant de le faire comme ça, là, devant toi. Depuis le temps que j’en rêvais ! Et tiens, faut que je te dise quelque chose. T’es le seul maintenant. Et ça, depuis des mois. Parce qu’avant il y en avait aussi d’autres. Le fils du boulanger. Celui du premier adjoint au maire. Mais ils me satisfaisaient pas autant que toi. Tant s’en faut. Alors je n’ai gardé que toi. Je te suis fidèle. Ça te fait plaisir au moins ? Oui ? On dirait pas. Tu manques sérieusement d’enthousiasme, mon garçon. Oh, mais je sais ce que tu penses. Que je suis une dépravée. Une perverse. Une vilaine cochonne lubrique qui mériterait une bonne fessée pour lui apprendre à se conduire d’une façon aussi éhontée. C’est pas vrai peut-être ?
– Ben…
– Oh, mais tu as raison. Tu as entièrement raison. Je me comporte là, avec toi, devant toi, d’une manière absolument scandaleuse. Je mérite d’être punie pour ça. Et c’est toi qui vas le faire. C’est toi qui vas me rendre ce menu service. Hein ? Tu veux bien ? Merci. T’es un amour. Attends ! Attends ! Laisse-moi me mettre en position. Là ! Voilà ! Bon, mais tu tapes, hein ! Tu fais pas semblant. Et même si je crie, même si je te demande d’arrêter, tu m’écoutes surtout pas. Au contraire. Tu tapes encore plus fort. Aussi fort que tu peux. Allez, vas-y, je suis prête. Fais-moi jouir !







ENTRE COLLÈGUES




Dessin de Louis Malteste

Dès le matin ça commence. Elle se gare à ma place sur le parking du boulot. Je laisse pas passer. Ah, non, alors ! Manquerait plus que ça…
– Tu peux pas mettre ton tas de ferraille ailleurs ?
– Il y a pas de places attitrées, que je sache !
– Places attitrées ou pas, je me suis toujours mise là. Depuis la nuit des temps.
Et on se fait la gueule.

Après, c’est mon tour. Je profite de ce qu’elle soit descendue à la machine à café pour mettre un code d’accès bien tordu sur son ordinateur. Et je l’éteins.
– Qui c’est qu’est venu à ma place ?
– J’sais pas. Pas moi, en tout cas !
– Tu parles !
Elle râle. Elle cherche. Elle tempête.
– Et merde ! Tu vas le dire à la fin ?
Je la fais attendre. Tant et plus. Et puis je le lui lâche.
– Tu me paieras ça. Je te jure que tu me paieras ça.
J’éclate de rire.
– Mais bien sûr !

On saisit toutes les occasions. À longueur de journée. On se provoque. On s’engueule. On se menace. Pour la plus grande joie, plus ou moins affichée, des collègues. Qui en font des gorges chaudes. Et pour la nôtre. Parce qu’en réalité, c’est du flan tout ça. On est les meilleures amies du monde. On s’entend comme larronnes en foire pour leur donner le change.
– Leurs têtes ! Non, mais leurs têtes ! J’adore.
– Ah, pour ça, oui ! Moi aussi !

Le soir, on part chacune de notre côté. Et puis on se retrouve. Chez l’une. Ou chez l’autre.
– N’empêche que t’as été infernale aujourd’hui !
– Tu peux parler, toi !
On se donne de petites tapes. Pour rire. Pour jouer. De plus en plus fortes. Qui finissent par faire mal.
– Oh, mais alors là, tu vas voir !
– T’as que de la gueule.
On se lève et on lutte, enlacées. Toujours par jeu. On est de force à peu près égale. Alors parfois c’est elle qui prend le dessus et parfois c’est moi. Mais ça se termine toujours de la même façon. Il y en a une qui trousse l’autre, qui lui met les fesses à l’air et qui lui flanque une bonne claquée. Quand on en arrive là, je me laisse faire. Ou elle se laisse faire. C’est selon.
– Alors là, je peux te dire que tu vas t’en souvenir, ma petite !
Pour s’en souvenir, on s’en souvient. Parce qu’on ne se ménage pas. De vraies fessées on se donne. Bien rougissantes et bien cuisantes.
– Plus fort ! Plus fort ! Tu caresses, là !
On ne se fait pas prier. On se déchaîne.
Cris. Gémissements. Supplications. Rien n’y fait. On se montre intraitables. Jusqu’à ce que la main fatigue.
– J’en peux plus.
On reprend nos esprits.
– En attendant, qu’est-ce que ça fait du bien !
– Oui, mais le prochain coup, c’est mon tour.
– Promis, juré.
On se passe de la crème. On contemple et on commente l’étendue des dégâts.
– Tu t’imagines demain, là-bas, au boulot, le cul en feu ?
– Et personne qui sait. Et personne qui se doute. J’adore…





 LE FANTÔME






Dessin de Louis Malteste.

– Un fantôme ? Mais ça n’existe pas, les fantômes, ma pauvre Amélie !
– Ah, si ça existe, si ! Même que ça fait trois nuits qu’il me rend visite, celui-là.
– Ben, voyons !
– Oh, mais il est pas méchant, hein ! Il a juste besoin de parler. De vider son sac.
– Et il te raconte quoi, on peut savoir ?
– Qu’il a été assassiné, ici, dans cette maison, il y a près de deux siècles et demi et que, depuis, il est condamné à y errer sans pouvoir trouver le repos. À moins qu’une âme charitable ne consente à lui porter assistance.
– Et comment donc ?
– Il m’a pas dit. Mais il me dira, il m’a promis. D’autant… qu’il aimerait bien que ce soit moi qui lui rende ce menu service.

– Alors ?
– Alors quoi ?
– Ben, ton fantôme ! Tu l’as revu ? Il t’a dit ?
– Oui. Il veut me fouetter.
– Te fouetter ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
– Une femme aurait pu empêcher qu’il soit tué. Elle ne l’a pas fait. Par lâcheté. Une autre doit expier, à sa place, de son plein gré. Faute de quoi, il ne retrouvera jamais sa tranquillité.
– Et donc, tu vas gentiment lui offrir ton petit derrière à claquer.
– Il me fait pitié. Il est si malheureux.
– La tête te joue vraiment des tours, toi, hein !
– Tu me crois pas ?
– Ce que je crois surtout, c’est que t’as beaucoup d’imagination et que les histoires que t’inventes, tu finis par y croire toi-même. Et que t’aurais besoin de repos. De beaucoup de repos. Ou d’une cure d’ellébore.

– Et ça ? Je l’ai imaginé, peut-être ?
– Oh, là ! T’as les fesses dans un état !
– Elles peuvent. Parce que comment il a tapé fort ! Et longtemps. C’était interminable. J’en pouvais plus à la fin.
– Mouais… Je voudrais pas te décevoir, mais, à mon avis, ton fantôme, il n’a de fantôme que le drap. Il est bien vivant. En chair et en os. Je crois même pouvoir te dire qui c’est.
– Le dis pas ! Je t’en supplie, le dis pas !
– T’as pas reconnu la voix ?
– Non. C’est quelqu’un qui la déguise. Elle est toute caverneuse.
– Tu veux vraiment pas savoir ?
– Non. Ça peut être qui j’ai envie que ce soit comme ça.
– Juste une chose alors… Continue à ne pas fermer ta porte à clef la nuit. Des fois qu’il faille plusieurs séances pour qu’il puisse jouir enfin d’un repos bien mérité.








SPANKING DAY








– Il se passe quoi au juste ?

Coralie a pris un air étonné.
– Mais rien ! Qu’est-ce tu veux qu’il se passe ?
– Je sais pas. Il y a toute une agitation, là. Ça s’affaire. Ça court dans tous les sens. De bureau en bureau. Magda se promène partout avec des listes. Elle fait une collecte ? Quelqu’un se marie ?
– Pas du tout, non. Non. Disons qu’on prépare le Spanking Day de mercredi prochain.
– Qu’est-ce c’est que ça ?
– Le jour de la fessée. Tous les ans, le 8 août, c’est le jour de la fessée.
– Ah ! Jamais entendu causer. Et ça consiste en quoi ?
– Tu te doutes bien, non ?
– Je sais pas, moi ! À se mettre des fessées ?
– Voilà, oui.
– Et vous allez faire ça ici ? Dans la boîte ?
Elle a éclaté de rire.
– Ah, non ! Sûrement pas, non ! Il y a pas de risque. On se retrouve ailleurs. Dehors. Avec d’autres gens.
– Et pourquoi personne m’en a parlé de tout ça à moi ?
– À toi ? Mais…
– Mais quoi ? Je suis la coincée de service, c’est ça ?
Et je suis partie furieuse. J’allais me la traîner encore longtemps cette réputation à la con ?

J’en ai rêvé toute la nuit de leur truc. Toutes les filles du service se pourchassaient à qui mieux mieux dans les couloirs, le cul à l’air. Elle s’envoyaient des grandes claques dessus. Elles escaladaient les bureaux, se coinçaient les unes les autres contre les classeurs de rangement et les photocopieuses. C’était des gloussements. C’était de grands cris. C’était des rires à n’en plus finir. Je me réveillais en sursaut. Quelles dindes ! Fallait vraiment qu’elles soient complètement barrées dans leurs têtes, hein ! Je me rendormais. Et je les retrouvais. En ville, cette fois. En pleine ville. Sur une grande place avec des sièges. On aurait dit un théâtre d’extérieur. Et ça se tapait, le derrière pointé en l’air. Et ça se claquait tant que ça pouvait. Il y avait des gens autour qui regardaient. Qui commentaient. Que ça avait l’air de beaucoup amuser.

– Non ? T’es pas de mon avis ? C’est pas complètement tordu, ce machin ?
Ma copine Sélène a hoché la tête avec un petit sourire.
– Oui, oh, tu sais, il y a pas de quoi en faire un plat non plus… En général, ça va pas bien loin. Quelques petites tapes sur les fesses, pas forcément déculottées d’ailleurs, ça dépend, et puis voilà ! C’est très ludique en fait.
– Quand même !
– Je peux te dire quelque chose ?
– Vas-y !
– Tu te plains de pas être intégrée. D’avoir une réputation de fille complexée. Ce serait le moment ou jamais de leur prouver le contraire. Non ? Tu crois pas ?

Magda m’a considérée d’un air stupéfait.
– Toi !
– Non ? C’est pas possible ?
Elle s’est tout de suite reprise.
– Si ! Si ! Bien sûr que si ! Je t’inscris. Tout de suite. Et attends ! Je vais te filer un plan pour y aller.
Parce que c’est pas forcément facile à trouver.







SPANKING DAY (2)







Dessin de Dagy

On était une vingtaine. À peu près. Quelques hommes. Pas beaucoup. Magda jouait les affairées, courait à droite, courait à gauche. Coralie était en grande conversation avec deux filles que je ne connaissais pas. Une autre me lorgnait avec insistance, du coin de l’œil. Mais qu’est-ce que j’étais venue fiche là, moi ? Le mieux, c’était encore que je m’éclipse discrètement. Je n’en ai pas eu le temps. Magda a pris la parole.
– Bon, on est au complet. Et en nombre pair, ce qui tombe bien.
Elle nous a séparés en deux groupes. Les donneurs d’un côté et les receveurs de l’autre.
Il y a eu des murmures. Des protestations. Des sifflets.
– Non, mais ça, c’est juste pour commencer. Le coup d’envoi en quelque sorte. Après, vous vous débrouillerez bien comme vous voudrez. Allez, on y va ! Aurore…
Et une fille s’est dirigée droit sur Coralie.
– Hugo…
Il est venu vers moi, le type. S’est penché à mon oreille.
– C’est la première fois, hein ?
– Oui.
– J’en étais sûr.
Et je me suis retrouvée le nez dans l’herbe. Sans autre forme de procès. Il s’est agenouillé devant moi.
– Que je puisse voir ta tête…
Et m’a mis les fesses à l’air.
– À nous deux !
Ça a été des petites claques d’abord. Pas très fortes.
Sur Coralie, à côté, la fille les envoyait beaucoup plus sèches. Derrière aussi. Je voyais pas qui, mais ça y allait beaucoup plus fort. Et une fille gémissait.
– Tu aimes ?
Peut-être. Je savais pas. C’était pas vraiment désagréable.
– Hein ? Tu aimes ?
Lui, oui, en tout cas. La bosse dans son pantalon ne laissait pas planer le moindre doute à ce sujet.
Il a tapé plus intense.
Une fille a crié.
– J’ai mal ! J’ai mal ! Mais que c’est bon !
Les fesses de Coralie, à gauche, étaient d’un rouge incandescent.
Encore plus intense. Et plus rapide. À toute allure.
Ça m’a tourbillonné dans le bas-ventre. J’ai fermé les yeux. D’autres mains – Deux ? Trois ? – sont venues se joindre à la sienne. Ça m’a crépité en grêle sur le derrière.
Quelque part une fille a joui. Moi aussi. À pleine gorge.

Quand je suis revenue à moi, le type avait disparu. Il était un peu plus loin là-bas. Quelqu’un me massait doucement les fesses. C’était Coralie.
– Ben, dis donc, comment tu y as attrapé !
Elle a enfoncé, par endroits, du bout du pouce.
– Ça fait mal ?
– Un peu.
– Et là ?
– Aussi.
– Moi, c’est du feu ! Ça te me brûle là-dedans ! Mais j’aime. J’adore. Pas toi ?
– Si !
– Tu me dirais le contraire… Parce que ça s’est entendu. Comment t’as couiné !
Elle m’a doucement modelé une fesse.
– En douce que ça leur donne de sacrées belles couleurs.
L’autre.
– Mais c’est encore mieux le lendemain. Plus varié. Et plus profond. On se fera voir, hein ?
– Si tu veux…

Deux types se sont approchés.
– Dites, les filles, faudrait voir à pas s’arrêter en si bon chemin. Les festivités ne font que commencer






LA GOUVERNANTE





Dessin d’Eugène Reunier



– Vous étiez prévenue, Mademoiselle Longstone.
– Je suis désolée. Je demande à Madame d’avoir la bonté de bien vouloir me pardonner. Et je puis l’assurer que cela ne se reproduira plus.
– C’est tout de même la troisième fois que cela vous arrive.
– Je me suis laissé emporter. J’en suis absolument navrée.
– Vous avez eu à mon endroit des propos absolument inqualifiables. Et ce, en présence de ma fille, ma fille dont je vous ai confié l’éducation. Croyez-vous que ce soit acceptable ?
– Je regrette, Madame. Je regrette profondément. Mon caractère impulsif a pris le dessus.
– Et le prendra encore, sans aucun doute possible, si l’on n’y met bon ordre. On va donc y mettre bon ordre.
– Comment cela ?
– Une bonne correction, à la badine, donne généralement d’excellents résultats.
– Madame…
– À moins que nous n’envisagions des solutions beaucoup plus radicales. Que je ne décide de me passer de vos services.
– Je supplie Madame de n’en rien faire.
– Dans ces conditions… Eh bien, ne tergiversons pas alors… Mettez-vous en position !
– Dès à présent ?
– Bien entendu. Le plus tôt sera le mieux. D’autant que nous sommes seules. Angèle est chez ses cousines, mon mari à ses affaires.
– Il y a…
– Suzon ? À l’égard de laquelle vous vous comportez, fort souvent, de façon extrêmement offensante. Ce n’est pas parce qu’elle se trouve, ici, dans une position que vous estimez inférieure à la vôtre que cela vous donne pour autant le droit d’en user avec elle de façon ouvertement méprisante. Bon, mais allez ! Ne me faites pas perdre mon temps.
– Mais, Madame, elle va entendre !
– Eh bien, elle entendra.
– Madame ne peut pas m’imposer une telle humiliation.
– Qui ne fera que la dédommager quelque peu de toutes celles que vous lui faites subir au quotidien.
– Elle va se moquer.
– Assurément. Et c’est tant mieux. Ce n’en sera que plus efficace. L’apprénension des petits sourires entendus et ironiques dont elle ne manquera pas de vous gratifier dès ce soir vous dissuadera de retomber, à l’avenir, dans les mêmes errements. Allez, installez-vous ! Confortablement. Et mettez à découvert la partie de votre anatomie qui va faire l’objet de toute ma sollicitude. Là ! Parfait ! Vous êtes prête ?
– Je le suis.
– Alors, action !
– Ouille que ça fait mal ! Hou là là ! Hou là là ! Mais hou là là !
– Si vous hurlez de la sorte, il n’est pas douteux que Suzon va entendre. Qu’elle a déjà entendu.
– C’est si douloureux, Madame…
– Alors je vais faire preuve d’un peu de compassion à votre égard. Nous allons marquer une petite pause. Je vais sonner Suzon. Qu’elle nous monte du thé. Non, non, ne bougez pas. Restez comme ça ! Elle sera ravie.







AU POTAGER







– Mademoiselle Lise ! Mais vous voilà de bien bonne heure ce matin !
– Il fait si beau, Basile !
– Oh, pour ça, oui, Mademoiselle ! Et c’est pas trop tôt… Avec toute cette pluie qui nous est tombée.
– Il y a plein de petites pousses, là. C’est quoi ?
– Des haricots. Qui sortent tout juste de terre.
– Je peux les piétiner ?
– Les piétiner ? Mademoiselle n’y pense pas !
– Si ! J’ai envie.
– Envie ? Mais…
– Tu me ferais quoi si je les piétinais ? Tu me mettrais une fessée ?
– Mademoiselle !
– Ben, quoi ! Elle lui en met bien Léonie* à Honorine, des fois.
– Léonie ? À Honorine ?
– Oui. Mais faut pas en parler. C’est un secret. À moi aussi, elle m’en a donné une un jour. Même que j’aie vingt-deux ans, elle me l’a fait quand même.
– À vous ?
– C’est normal quand on fait des bêtises, non, vous trouvez pas ?
– Non. Si ! Peut-être. Ça dépend.
– Ah, vous voyez ! Des bêtises comme d’écraser les haricots, par exemple. Les haricots et le reste.
– C’est beaucoup de travail de s’occuper du potager. Beaucoup de peine et de fatigue.
– Je sais bien, mon pauvre Basile. C’est bien pour ça que je mériterais, si je le faisais, non ?
– Sûrement un peu.
– Beaucoup tu veux dire, oui. T’en as déjà donné, toi, des fessées ?
– Quelquefois.
– C’est vrai ? Et tu tapes fort ?
– Encore assez.
– Et tu le mets tout nu le derrière ? Ben oui, forcément, c’est pas une une vraie fessée, sinon…
– Vous allez où, comme ça, Mademoiselle Lise ?
– Massacrer toutes ces plantations, là. J’ai trop envie…






L’INSOLENTE









Dessin de Louis Malteste

– Oui, Madame la comtesse, oui. Elle a été punie comme elle le mérite. Ce matin même.
– Une telle insolence ! À mon égard ! Venant d’une petite servante de rien du tout. Qu’on a sortie du ruisseau. C’est une honte ! Une véritable honte !
– Soyez assurée, Madame la comtesse, que cela ne se reproduira pas.
– En êtes-vous bien certaine ? Avec des natures aussi viciées, on peut s’attendre à tout.
– La leçon aura nécessairement porté ses fruits. Nous ne l’avons pas ménagée.
– Vraiment ?
– Vraiment. Elle va vous montrer. Eh bien, toi, qu’est-ce que tu attends ? Fais voir à Madame la comtesse. Mais là ! Là ! Devant la chaise ! Et à genoux ! Ce que tu peux être empotée quand tu t’y mets !
– C’est surtout qu’elle renâcle. Quand je vous dis que vous n’en tirerez jamais rien.
– Eh bien ! Trousse-toi ! Tu vois bien que tu fais attendre Madame la comtesse. Elle n’a pas que ça à faire… Plus haut ! Encore ! Encore, j’te dis ! Là… Vous voyez ? Reconnaissez que nous avons eu à cœur de lui infliger une correction exemplaire.
– Qui aurait pu l’être davantage, me semble-t-il, eu égard à son inqualifiable comportement.
– Si Madame la comtesse estime…
– J’estime, en effet…
– Dix coups ?
– Disons quinze. Sévèrement appliqués.
– Comme Madame la comtesse voudra…

– Ça t’a plu aujourd’hui ?
– Oh, oui ! Et à elle aussi, on aurait dit, hein ?
– Aucun doute là-dessus.
– Plus que d’habitude ?
– Au moins tout autant.
– Elle se doute pas au moins que j’aime ça ?
– Absolument pas.
– Non, parce que ça gâcherait tout.
– Elle se doute pas, sois tranquille !
– Comment vous avez tapé fort, n’empêche…
– Trop ?
– Oh, non, non ! Elles vont rester longtemps, comme ça, les marques. Et je pourrai les regarder dans la glace. J’adore…
– Je sais.
– On recommencera, hein !
– Bien sûr qu’on recommencera.
– Bientôt ?
– Très bientôt.
– Et ce coup-là, je la traiterai de vieille peau. Vous croyez que ça ira « Vieille peau » ?
– Ce sera parfait.






HÉRITAGE







Elle avait une idée, Alexandrine.
– Et une bonne ! Tu sais, le père Victor ?
– Celui chez qui tu fais le ménage ? Qu’est riche à millions ?
– Lui-même.
– Eh bien ?
– Eh bien, il a pas d’héritier.
– Toi, je te vois venir…
– Et il a un petit péché mignon, le père Victor.
– Qui est ?
– La fessée…
– Carrément.
– Il a tout un tas de trucs là-dessus. Des photos. Des dessins. Bien planqués. Enfin à ce qu’il croit. Parce que t’as vraiment pas bien de mal à les dénicher. Et alors ce que j’ai pensé, c’est que tu pourrais peut-être venir m’aider à faire le ménage chez lui. Tu casseras un truc. Je te punirai. On recommencera. Ça le rendra fou. Et, avant trois mois, on est héritières.
– Tu crois ?
– Je suis sûre. Et vu l’âge qu’il a, on aura tôt fait de toucher le pactole.

J’y suis allée de bon cœur. Je l’ai lancé de toute ma hauteur, cette horreur de vase. Il a éclaté en tout un tas de petits morceaux qui sont allés s’éparpiller aux quatre coins de la pièce. Et jusque sous le buffet.
– Ah, ben bravo ! Bravo !
– Je l’ai pas fait exprès.
– Encore heureux ! Manquerait plus que ça ! Tu pourrais t’excuser au moins…
– Je suis désolée, Monsieur Victor…
– C’est malheureux ! J’y tenais, moi, à ce vase. C’est un vase que…
– Elle en fera jamais d’autres. Oh, mais je vais t’apprendre à faire attention, moi, ma petite, tu vas voir ! Une bonne fessée, c’est encore ce qu’il y a de plus efficace.
– Oh, non ! Pas la fessée !
– Si ! Et comment !
Et elle m’a empoignée.
– Pas devant lui, Alexandrine ! S’il te plaît, pas devant lui, je t’en supplie !
Elle n’a rien écouté. Je me suis débattue tant que j’ai pu. Fait semblant. Pour finir, je me suis retrouvée les fesses pointant en l’air. Avec elle qui tapait allègrement dessus. Ah, elle y allait de bon cœur, la garce ! Lui, il en perdait pas une miette, les yeux exorbités. Chaque fois qu’elle ralentissait la cadence, qu’elle faisait mine de s’interrompre, il exigeait…
– Encore ! Encore ! Et ça repartait de plus belle.
Ça s’est enfin arrêté.
Il a constaté, la mine ravie.
– Comment elle l’a rouge !
Lui, c’était la figure qu’il avait toute rouge. Et il transpirait à grosses gouttes.
Il a hoché la tête.
– N’empêche que ça me rendra pas mon vase, tout ça ! Un vase que mon fils m’avait ramené tout exprès du Viet-Nam. Qu’est-ce que je vais lui dire, moi, maintenant ?
– Un fils ? Vous avez un fils ?
– Deux même. Et une fille. Vous savez bien. Vous l’avez vue l’autre jour.

– Tu t’es bien fichue de moi !
– Je savais pas… Je croyais… Je l’avais oubliée, sa fille.
– Prends-moi bien pour une imbécile ! En plus !
– J’avais trop envie.
– C’est pas une raison !
– T’as apprécié. Ça se voyait que t’appréciais.
– Pas du tout, non.
– Menteuse !
– Un petit peu. Juste un petit peu.
– Tu m’en veux ?
– Oui. Beaucoup. Non, en fait. Pas tellement. Presque pas.



 LE PRIX DU SILENCE




Dessin de Louis Malteste


– Devine ce que j’ai fait cette nuit…
– Qu’est-ce tu veux que j’en sache ! Tu t’es tapé un mec ?
– Non. Mieux que ça. J’ai épluché les comptes du cabinet.
– T’as vraiment du temps à perdre.
– Pas du tout, non ! Parce que j’ai fait des découvertes extrêmement intéressantes.
– Ah, oui ?
– Tu me demandes pas lesquelles ?
– Lesquelles ?
– Tu es vraiment une comptable hors pair.
– Tu me flattes, là. Tu me flattes vraiment.
– Surtout quand il s’agit de détourner des fonds.
– Tu as beaucoup d’imagination.
– Tu t’es allègrement servie, dis donc !
– Bon, écoute, t’es bien gentille, mais tes petites insinuations, là, tu peux te les mettre où je pense. Parce que je voudrais pas te vexer, mais la comptabilité et toi, ça fait deux.
– On verra.
– On verra quoi ?
– Ce qu’ils en pensent, nos patrons. Des avocats, ça se roule pas dans la farine comme ça. Ils voudront en avoir le cœur net.
– T’aimes vraiment ça, foutre la merde, toi, hein !
– Disons surtout que je suis foncièrement honnête.
– Ben, voyons ! Bon, parlons clair. Tu veux quoi ? Qu’on partage ?
– Ah, non, non ! Sûrement pas. Ce serait trop facile. Je deviendrais ta complice. Ce qui me réduirait au silence. Non, j’ai beaucoup mieux que ça.
– Quoi ? Mais parle à la fin ! C’est d’un agaçant !
– Je vais te foutre une fessée.
– Rien que ça ! Et puis quoi encore ? Non, mais tu m’as bien regardée ?
– Ben oui, justement ! Ça fait des mois que je fais que ça. Que je contemple ton petit cul bien moulé dans des trucs bien collants et que je me dis qu’un cul comme ça, c’est vraiment criminel de pas le mettre à l’air. De pas lui flanquer une bonne tannée. C’est du gâchis.
– T’es vraiment complètement barge.
– Ah, je peux te dire que ça fait un moment que je cherche comment je vais bien pouvoir parvenir à mes fins. Alors une occasion pareille, ça se laisse pas passer.
– Écoute…
– Non, non, non, j’écoute rien du tout. Tu vas encore chercher à m’embrouiller. Comme tu sais si bien faire. Alors tu te déculottes et tu discutes pas. Sinon, demain matin, à la première heure, je suis dans le bureau de Berthier.
– Tu es…
– Immonde… Ignoble… Abjecte… Tout ce que tu veux. Mais tu te décides. Et vite. Ou tu te déculottes ou tu assumes les conséquences de tes actes.
– Tu es vraiment…
– Je sais… Je sais… Tu l’as déjà dit. Ah, ben voilà ! Tu vois quand tu veux… Bon, ben allez ! Et crois-moi, tu vas t’en souvenir…






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