Sylvain,
son fidèle cocher-palefrenier, l’aide à descendre de cheval.
– Merci.
Il
lui prend les rênes des mains, entraîne Flamboyant vers l’écurie.
– Ah,
oui, j’oubliais, Sylvain. Vous pourrez atteler cet après-midi ?
J’ai à sortir.
– Mais
certainement, Mademoiselle Blanche…
Elle
sourit intérieurement : il n’a jamais pu se résoudre à
l’appeler Madame.
– Place
Clichy…
Il
fouette.
Il
faut absolument qu’elle y aille. Qu’elle règle le problème de
vive voix. Qu’elle convainque Gontran de cesser de lui adresser ces
lettres enflammées qui lui font courir des risques insensés. Ces
lettres que Pierre finira nécessairement, un jour ou l’autre, par
intercepter. Avec toutes les conséquences que cela ne manquera pas
d’avoir. Elle soupire. C’était folie ce soir-là. Pure folie.
Vingt ans ! Un gamin qui a la moitié de son âge ! Un
moment d’égarement qu’elle regrette amèrement. Il faut qu’il
le comprenne et qu’il tire, lui aussi, définitivement un trait sur
ce qui n’aurait jamais dû avoir lieu. Qui n’a jamais vraiment eu
lieu.
– J’en
ai pour cinq minutes, Sylvain. Attendez-moi là…
Elle
gravit l’escalier. Elle sonne. Son pas. La porte. Il n’en croit
pas ses yeux.
– Vous,
Blanche ! Toi !
Il
veut la prendre dans ses bras. Elle le repousse doucement.
– Non !
Attends ! Il faut qu’on parle.
– Après !
Après ! Tu es là. Je l’ai tellement attendu ce moment.
Et
il lui couvre les cheveux, le front, les paupières de baisers.
– Gontran…
Les
lèvres, le cou.
– Tu
es fou…
Mais
elle s’abandonne contre lui. Elle laisse aller sa tête contre son
épaule. Il y a son désir dressé contre son ventre.
– Gontran…
Et
c’est elle qui cherche ses lèvres.
– Gontran…
Ils
chavirent ensemble sur le lit.
Il
se fait pressant. Passionné. Il s’enivre d’elle. De ses seins.
De ses fesses. De ses liqueurs intimes.
Et
elle s’abandonne. Et elle s’ouvre toute grande pour lui. Et son
plaisir la submerge. En longs sanglots d’un bonheur éperdu.
Elle
reprend son souffle, blottie contre lui. Elle lui caresse l’épaule,
du bout du pouce.
– Je
ne reviendrai pas, Gontran. Il ne faut pas. Il ne faut plus…
– Hein ?
Mais pourquoi ?
– Je
suis mariée.
– Il
te délaisse.
– C’est
trop dangereux.
– Mais
il ne saura pas. Il ne saura jamais.
Et
il la couvre de baisers.
Elle
le repousse.
– Non,
Gontran, non !
Mais
il veut. Tellement. Mais elle veut aussi.
Et
il est à nouveau en elle. Et elle suffoque de plaisir.
Cinq
heures.
Elle
est folle. Complètement folle.
Elle
s’habille en toute hâte.
– Tu
reviendras ?
Elle
reviendra.
En
bas, Sylvain est là. Qui l’attend.
2-
Sylvain
chevauche à ses côtés. Comme tous les matins. Comme toujours.
Une
légère brume déroule paresseusement ses volutes sur les prés
qu’ils longent. De temps à autre, un chevreuil caracole dans les
lointains.
– Pendant
la Commune…
Qu’il
a vécue, tout jeune homme, à Paris. Jadis les récits de Sylvain la
terrorisaient, mais elle ne pouvait s’empêcher de les lui
réclamer, malgré tout, encore et encore. Les rats dont les
parisiens étaient alors contraints de se nourrir. Les barricades. La
fumée. L’odeur de la poudre. Le mur des Fédérés. Depuis bien
longtemps maintenant elle ne l’écoute plus. Elle le laisse égrener
interminablement ses souvenirs qu’elle ponctue, de temps à autre,
d’un hochement de tête ou d’un « oui » distrait.
– On
avait cru… Mais non, c’était les Versaillais.
Il
parle. Il parle sans discontinuer. Et elle, elle est là-bas. Avec
Gontran. Gontran ! La chaleur de son corps. Ses yeux tout
embrumés d’elle. Sa vigueur. Son ardeur. Ses cuisses enserrent
plus fort Flamboyant. Folie ! Si Pierre apprenait… Pierre ou
d’autres. Les femmes de la société de bienfaisance. Par exemple.
Ou celles de la chorale de la paroisse. Elle en mourrait de honte.
Non. C’est un risque qu’elle ne peut pas, qu’elle ne veut pas
courir. Elle n’ira pas. C’est décidé, elle n’ira plus. Quoi
qu’il doive lui en coûter…
Il a
déjà disparu dans l’écurie avec Flamboyant quand elle le
rappelle.
– Vous
attellerez tout-à-l’heure, Sylvain…
– Comme
hier ?
– Comme
hier.
– Bien,
Mademoiselle…
Il
prend, de lui-même, la direction de la place Clichy.
De
toute façon, elle n’avait pas le choix. Elle devait revoir
Gontran. Une dernière fois. À cause des lettres. Il ne faut pas
qu’il lui écrive. Il ne faut plus. Jamais. En aucun cas. À elle
de se montrer suffisamment persuasive pour qu’il renonce
tout-à-fait à l’idée de lui en adresser. À tout jamais.
Ils
sont arrivés. Elle descend.
– J’en
ai pour cinq minutes.
Sylvain
ne dit rien, mais il esquisse un imperceptible semblant de petit
sourire.
Et
elle est dans ses bras.
Et
plus rien d’autre ne compte. Que ses baisers. Que ses caresses. Que
ses mains qui s’emparent d’elle. Que sa queue. Qu’elle veut.
Qu’elle s’approprie. Sur laquelle elle vient s’empaler avec
délectation. Toute honte bue. Toute pudeur dépouillée.
Elle
repose contre lui, apaisée.
Il
joue avec la pointe de ses seins.
– Cette
tornade aujourd’hui !
Elle
lui met un doigt sur les lèvres.
– Chut !
Ils
sont bien. Elle est bien. Il faut pourtant qu’elle lui dise.
– Gontran…
– Oui ?
Il
se penche sur elle.
– Non.
Rien.
Elle
l’entoure de ses bras, l’attire contre elle. Son désir se dresse
contre son ventre.
En
bas, Sylvain lui ouvre la portière. Sans un mot.
Il
est six heures.
3-
Sylvain
chevauche silencieusement à ses côtés. De temps à autre, il lui
coule un bref regard de côté.
Les
feuillages commencent à revêtir leurs couleurs d’automne. Deux
petites colonnes de buée s’échappent des naseaux des chevaux.
– Mademoiselle
Blanche…
– Oui,
Sylvain.
– Je
voulais vous dire… Votre équipage, stationné ainsi, des heures
durant, place Clichy…
Elle
se trouble. Elle balbutie.
– J’en
avais pour cinq minutes.
Il
ne répond pas. Il ne la regarde pas. Il sourit aux lointains.
Ses
joues s’empourprent. Il se doute. Non, il ne se doute pas. Il a
compris. Il sait. Et il a raison. Évidemment qu’il a raison. Si
elle retourne là-bas… Si on voit longuement séjourner sa voiture
aux abords de la place… C’est courir des risques insensés. Elle
n’y retournera pas. « Tu n’y retourneras pas ? Bien
sûr que si ! Arrête de te mentir à toi-même ! Tu ne
peux plus te passer de lui. De ses baisers. De sa tendresse. De ses
caresses. Tu l’as dans la peau. »
– Sylvain…
Elle
peut avoir aveuglément confiance en lui. Il l’a vue naître. Il la
connaît depuis toujours. Et il s’est toujours montré, quelles que
soient les circonstances, d’une discrétion absolue. Et puis, même
s’il n’en manifeste rien, s’il reste toujours extrêmement
déférent à son égard, il ne porte pas Pierre dans son cœur. Elle
le sait. Elle le sent. Non. Sylvain, elle n’a rien à craindre. Il
sera de son côté. Quoi qu’il arrive…
– Oui,
Mademoiselle Blanche…
– Vous
ne resterez pas place Clichy. Vous rentrerez. Et vous reviendrez me
chercher. À l’heure que je vous aurai préalablement fixée.
– Pour
que Monsieur se demande – et me demande – où j’ai
bien pu abandonner Madame seule sans équipage ?
Elle
soupire. Il a encore raison. Il va bien falloir, pourtant, trouver
une solution quelconque. Absolument… Renoncer à voir Gontran, elle
ne le pourra pas. C’est hors de question. C’est au-dessus de ses
forces.
– Je
pourrais peut-être…
– Dites…
– Faire
le tour, en vous attendant, de vos fournisseurs habituels. Votre
modiste. Votre chapelière. Votre cordonnier. On vous croirait, le
cas échéant, en train d’y faire vos emplettes.
Il
est décidément plein de ressources, ce cher Sylvain. Elle bat
intérieurement des mains, mais elle ne le montre pas. Elle fait la
moue.
– Je
n’ai pas le choix, n’importe comment.
Ils
ont fait l’amour. Deux fois. Trois fois. Si bien. Avec lui, elle
découvre. Elle se découvre. Tout devient possible. Tout devient
facile.
Elle
se presse contre lui.
– Je
ne veux pas te perdre…
– Il
y a pas de raison !
– Oh,
si, il y en a des raisons, si ! Il y en a plein. D’abord, j’ai
vingt-ans de plus que toi.
– Dix-sept !
– C’est
pareil.
– Mais
c’est pas important l’âge ! Qu’est-ce ça fait, l’âge ?
Et
il lui dévore les seins de tout un tas de petits baisers.
Elle
lui ébouriffe les cheveux.
– Tu
es fou…
Sylvain
l’aide à gravir le marchepied.
– Me
voyant stationné devant la boutique du mercier Divitis, Madame
Saintonge s’est étonnée de ne pas vous y avoir trouvée.
– Et
vous lui avez répondu ?
– Que
vous y étiez pourtant entrée. Que pouvais-je lui dire d’autre ?
4-
– Vous
avez mauvaise mine, Mademoiselle Blanche, ce matin. Très mauvaise
mine.
Et
pour cause ! Elle n’a pas fermé l’œil de la nuit. À tout
tourner et retourner dans sa tête. Et à pleurer.
– J’ai
mes soucis, Sylvain.
– Si
c’est ce monsieur…
Elle
ne répond pas. Elle fixe quelque chose au loin. Très loin.
Il
insiste.
– Je
n’ai pas de conseils à donner à Madame, mais elle ne doit plus
aller le voir en ville. C’est beaucoup trop dangereux.
Elle
explose. Pas en ville ? Et il veut qu’elle le voie où alors ?
Où ?
– Ici !
– Ici ?
Vous êtes complètement fou, Sylvain.
– Ici,
oui ! Donnez-vous donc la peine de réfléchir… Monsieur
Pierre n’y met pratiquement jamais les pieds. Pas plus que qui ce
soit d’autre, d’ailleurs. Et, de toute façon, je veillerai au
grain. On connaît votre amour pour les chevaux. Personne ne
s’étonnera donc que vous ayez envie d’être avec eux. Quant à
ce monsieur, il lui suffira de passer par le bois, derrière.
Personne n’y verra que du feu. Et, au pire, on prétendra que c’est
à moi qu’il est venu rendre visite.
C’est
séduisant. Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est
séduisant. La seule chose…
– Mon
fils est parti. Sa chambre est donc libre. Et d’une propreté
impeccable.
– Je
n’en doute pas, Sylvain… Je n’en doute pas, mais…
– Mais ?
Elle
ne sait pas. Ça lui paraît trop simple. Trop facile. Et puis elle
redoute confusément quelque chose. Sans vraiment savoir quoi.
Il
se pique.
– Si
vous avez une meilleure solution…
Elle
n’a pas. Si elle avait…
Et
elle se décide d’un coup.
– Je
vais lui écrire un mot. Vous allez le lui porter, Sylvain. Lui dire
que je l’attends cet après-midi ici. Et lui expliquer comment y
venir.
Il
ne sait pas où donner de la tête.
– Oh,
mais c’est magnifique ! C’est à toi tout ça ? Combien
il y en a des chevaux ? Quatre ? Tu les montes tous ?
Et c’est quoi, là ?
– La
grange.
– Je
peux voir ?
Il
n’attend pas la réponse. Il pousse la porte.
– Tout
ce foin ! Ça sent bon en plus ! Tu sens comme ça sent
bon ?
Il
en ramasse une brassée qu’il lui jette au visage, par jeu. Une
autre qu’il s’efforce d’enfouir dans son corsage.
– Arrête !
Ça pique !
– Mais
non, ça pique pas !
Il
la fait chavirer. Tombe sur elle.
– Gontran…
– Comment
tu vas y attraper !
Il
la dépouille de ses vêtements. Avec impatience. Avec frénésie. De
tous ses vêtements. Qu’il rejette au loin. Le foin sous son dos.
Sous ses fesses. Doux. Piquant. Et ses mains sur elle. Sa bouche. Sur
ses seins. Sur son ventre. Partout. Si ardent. Si amoureux.
Elle
referme ses bras autour de lui.
– Viens,
Gontran ! Viens !
Il
vient. Il l’emplit toute. Et son plaisir déferle.
5-
– Il
est bien jeune…
Sur
le ton de la simple constatation. Il n’y a pas de véritable
réprobation dans sa voix.
Il
est jeune, oui, et alors ? Elle n’a pas à se justifier. Elle
ne se justifiera pas.
Ils
chevauchent côte à côte en silence. Prennent à droite vers La
Bastide de Peuch.
– Avec
monsieur Pierre, Madame n’est pas heureuse. N’a jamais été
heureuse.
Inutile
de nier. Il la connaît depuis si longtemps. Et il vit à côté
d’eux. À leur contact. Il y a une foule de choses qu’il sent. Ou
dont il a pu se rendre évidemment compte.
Une
nuée de perdreaux les survole.
– Ce
mariage…
Que
ses parents ont voulu. Parce que Pierre avait une bonne situation.
Parce que leurs deux familles étaient liées depuis des temps
immémoriaux.
– Ce
mariage était une énorme sottise.
Jamais,
auparavant, il ne se serait permis de donner ainsi son avis. Jamais
il ne se serait octroyé une telle liberté. Seulement il y a… ce
qui s’est passé ces jours derniers. La complicité qu’elle a
été, par la force des choses, obligée de laisser s’instaurer
entre eux. Il s’imagine qu’elle lui donne des droits dont il ne
disposait pas auparavant.
– Vous
n’avez, Monsieur Pierre et vous, strictement rien en commun. C’est
le jour et la nuit.
Si
elle n’y met au plus vite bon ordre, il va en prendre de plus en
plus à son aise. Se permettre beaucoup. De plus en plus.
– Vous
vous trompez, Sylvain ! Vous vous trompez complètement. Il y
une foule de choses sur lesquelles, Pierre et moi, nous nous
entendons à merveille.
Il
insiste.
– Ah,
oui ! Et lesquelles ?
Elle
cherche désespérément. En toute hâte.
– Nous…
Nous apprécions tous les deux la peinture. Et… Et la musique du
XVIIIème siècle. Et puis…
– Et
puis ?
Un
lapin, sur le chemin, effraie Flamboyant. Qu’elle rassure de la
voix et du geste.
– Là…
Là… C’est tout…
Gontran
veut encore la grange.
– C’est
mieux, attends !
Et
ils sont dans le foin. Et il la chatouille. Les côtes. Sous les
bras. Sous les pieds.
– Arrête !
Arrête ! Je suis chatouilleuse.
– Ben,
justement, raison de plus !
Il
se déchaîne.
– Ah,
t’es chatouilleuse ! Ah, t’es chatouilleuse !
Elle
se tortille, tente, sans succès, de lui échapper.
– Pouce,
Gontran ! Pouce !
Il
l’immobilise, bras en croix, poignets fermement enserrés. Sa
bouche s’approche de la sienne, s’y pose. Elle ferme les yeux. De
sa langue, il lui entrouvre les lèvres. Sa queue est dure contre son
ventre. Elle tend la main vers elle. Elle s’en empare.
Ils
reposent l’un contre l’autre.
– On
est bien, hein ?
Ils
sont bien, oui.
Gontran
se redresse sur un coude, fixe, devant lui, la paroi de planches mal
jointes.
– Il
y a quoi, derrière ?
– Une
remise.
– Peut-être
qu’il nous regarde !
– Sylvain ?
Sûrement pas, non !
– Qu’est-ce
t’en sais ?
6-
Elle
jette un coup d’œil à la pendule, quitte son fauteuil.
– Bonne
nuit, mon ami !
Pierre
lève la tête de son journal.
– Puis-je
venir vous rejoindre ?
Elle
s’immobilise. Lui sourit.
– Mais
certainement !
Quatre
mois, presque cinq, qu’il ne le lui avait pas demandé. Il fallait
bien que cela finisse par arriver.
Elle
referme la porte, soupire. Un mauvais moment à passer.
Un
très mauvais moment.
Il y
a cette insupportable odeur de tabac. Son souffle dans son cou. Il y
a ses mains sur elle, adipeuses, suintantes. Son sexe qui la pénètre
d’un coup. Qui entreprend son va-et-vient. Il ahane. Il se vide. Il
retombe.
– C’était
bien, chère amie ?
– C’était
parfait.
Il
arbore un sourire satisfait. Il se lève. Il regagne sa chambre.
Elle
se précipite dans la salle de bains.
– Mademoiselle
a pleuré.
– Mais
non, Sylvain, non ! Une poussière.
Si,
elle a pleuré. Bien sûr que si ! Toute la nuit.
Il
se tait. Ils se taisent.
Un
grondement de tonnerre se fait entendre au loin.
– Mademoiselle
se sent coupable.
Comment
il sait ? Mais comment il sait ?
Il
ne la regarde pas. Il poursuit, imperturbable.
– Oui,
elle se sent coupable. Parce que Monsieur Pierre lui assure une
existence confortable. Parce qu’elle n’a rien d’autre à faire,
de toute la journée, que de donner des ordres à sa cuisinière. Que
de monter à cheval. Que d’aller errer, de magasin en magasin pour
y acquérir tout ce qu’il lui semble bon d’acquérir. Et comment
le remercie-t-elle du luxueux train de vie qu’il lui assure ?
En se pâmant de plaisir dans les bras d’un autre.
– Je…
– Vous
vous sentez néanmoins coupable. Et c’est tout à votre honneur.
Vous vous sentez d’autant plus coupable que vous vous savez
totalement incapable de mettre un terme à cette relation.
Il
lit en elle. Il lit en elle à livre ouvert.
– Et
que l’éducation que vous avez reçue ne vous prédispose guère à
vous absoudre d’une faute dont vous savez qu’elle est, dans le
cadre du mariage, l’une des plus graves qui soient.
Elle
voudrait parler. Elle voudrait lui dire…
Il
ne le lui en laisse pas le loisir.
– Cette
culpabilité, vous allez, au fil du temps, la ressentir de plus en
plus vivement. À tel point que, par moments, elle vous sera
parfaitement insupportable. Une chose , et une seule, pourra mettre
un peu de baume sur les souffrances qui seront alors les vôtres. Et
qui le sont peut-être déjà…
Elle
tourne la tête vers lui.
Il
prend tout son temps. Pour descendre de cheval. Pour l’aider à
descendre du sien.
Il
la fixe droit dans les yeux.
– Toute
faute mérite châtiment. C’est à ce prix seulement qu’on peut
retrouver un peu de sérénité. Et de tranquillité d’esprit.
Il
brandit sa cravache. Qu’il fait claquer plusieurs fois en l’air.
Elle
se détourne. Sans un mot.
7-
Il y
a sa mère. Installée dans le grand salon.
– Mais
tu es en pleine forme, dis-moi ! Tout épanouie. Tout en beauté.
Tu ne trouves pas, Charles ?
Son
père trouve, lui aussi, oui.
– Fais-toi
voir !
Elle
lui prend la main, la contemple longuement, s’attarde sur le
ventre.
– Est-ce
que, par hasard, tu ne serais pas ?
Enceinte ?
Elle espère bien que non. Il ne manquerait plus que ça.
– C’est
ce qui pourrait t’arriver de mieux. Depuis le temps.
Elle
leur échappe.
– Excusez-moi !
Quelques ordres à donner pour le repas.
Qui
se prolonge interminablement.
Pierre
pense que si le Titanic avait été construit par des ouvriers
français jamais il n’aurait coulé.
– Les
Anglais ne nous arrivent pas à la cheville. Dans quelque domaine que
ce soit.
Et
son père qu’il y aura la guerre.
– C’est
inéluctable. Guillaume II la veut.
Elle
frissonne. La guerre. Gontran. Qui a dû l’attendre. Que Sylvain a
très certainement prévenu – du moins l’espère-t-elle –
de l’arrivée intempestive de ses parents. La guerre !
Gontran ! Et si… N’y pas penser. Surtout n’y pas penser.
Gontran ! Son Gontran !
Son
père et son mari vantent à qui mieux mieux les qualités
professionnelles de maître Baldourin.
– Un
notaire hors pair.
– À
qui on peut confier ses affaires les yeux fermés.
Sa
mère fait la moue, plisse le front.
– Il
n’empêche que sa femme…
Ils
opinent du chef, font chorus.
– Se
comporte d’une façon parfaitement indigne, je vous l’accorde…
– Une
femme de son âge. De son rang. Aller se compromettre avec un gamin !
– Pour
lequel elle a déjà dépensé, paraît-il, des cents et des mille.
– Au
su et au vu de tout le monde.
– On
se demande ce que ce pauvre Baldourin attend pour y mettre bon ordre.
– Il
l’aime, que voulez-vous ! Il l’aime !
– Ce
qui ne saurait tout justifier.
– Il
y a effectivement des comportements qui ne sauraient être tolérés.
Quelles que soient les circonstances.
Les
yeux de sa mère lancent des éclairs.
– Ce
qu’elle mériterait une femme comme elle… Ce qu’elle
mériterait, c’est d’être fouettée d’importance en place
publique. Voilà, ce qu’elle mériterait !
Elle
se réveille en nage, haletante, le cœur battant.
Elle
a rêvé. Un épouvantable cauchemar. Sa mère hurlait…
– Toi
aussi ! Toi aussi ! Tu n’es qu’une catin !
Son
visage était distordu par la haine.
– Le
fouet, ma fille ! Le fouet ! Toute nue ! En place
publique !
Gontran
surgissait alors de nulle part, en uniforme de soldat.
– Je
pars ! C’est la guerre…
Elle
s’accrochait à lui.
– Je
ne veux pas ! Je ne veux pas !
Sa
mère lui tapait sur les doigts, la contraignait à le lâcher. À le
laisser partir. Elle riait.
– Tu
ne le reverras pas ! Tu ne le reverras jamais ! Il va
mourir…
Mais
il y avait Sylvain. Qui prenait sa défense. Qui la réconfortait.
Qui la rassurait.
– Non,
il ne mourra pas, non ! À une condition…
Il
brandissait la cravache.
Elle
s’agenouillait. Elle se dénudait les fesses. Elle les lui offrait.
– Sauve-le,
Sylvain, sauve-le !
8-
Elle
chevauche, comme une automate, un Flamboyant extrêmement nerveux.
– Calme,
Flambo, calme !
Elle
est encore dans son rêve. Dont elle ne parvient pas à s’extirper.
Dont les images l’obsèdent. Tout en paraissait si réel.
Sylvain
toussote.
– Ce
jeune homme est venu. Je lui ai dit que vous aviez un empêchement.
Et de quelle nature il était.
– Merci,
Sylvain.
– Il
paraissait déçu.
Un
coup de fusil résonne dans les lointains. Elle sursaute. Un autre.
– Vous
croyez qu’il y aura la guerre ?
– J’en
ai bien peur, Mademoiselle…
Elle
frissonne.
– Vous
êtes sûr ?
Il
hausse les épaules.
– Sûr,
on ne peut pas. Mais c’est, malheureusement, on ne peut plus
vraisemblable.
Son
cœur s’affole dans sa poitrine. Gontran ! Non, il ne mourra
pas. Il ne peut pas mourir. Et si son rêve avait raison ? Si ça
dépendait d’elle ? Non. Bien sûr que non ! C’est
stupide. Et pourtant ! Elle sait qu’il faut qu’elle fasse
quelque chose pour lui. Elle le sent. Quelque chose qui lui coûte.
Beaucoup. Il faut. On lui en tiendra compte. Forcément. On ne pourra
pas quelque part ne pas lui en tenir compte.
Encore
des coups de fusil. En rafale, cette fois.
Oui,
il faut. S’il lui arrivait quelque chose, par sa faute, elle ne se
le pardonnerait pas.
– Sylvain ?
– Oui,
Mademoiselle Blanche…
– Que
pensez-vous de mon comportement ?
– Votre
comportement ?
– Avec
Gontran.
– Je
n’ai pas à juger les faits et gestes de Madame.
Elle
descend de cheval.
– Répondez-moi !
Franchement. Je vous en prie instamment.
Lui
tend les rênes.
– J’ai
déjà donné mon opinion à Mademoiselle. Toute faute mérite
châtiment.
Elle
respire un grand coup. Et elle se lance.
– Je
dois convenir que vous avez raison. Entièrement raison.
Elle
s’éloigne, se retourne.
– Il
n’y a que vous qui soyez au courant. Il n’y a que vous à qui je
puis adresser cette requête. Vous me châtierez, Sylvain !
– Comme
Mademoiselle voudra…
Elle
s’enfuit.
Il
se montre ardent. Beaucoup plus encore que d’habitude.
– Tu
me fais mourir…
– Du
moment que c’est de plaisir…
Et
il repart à l’assaut. Trois fois. Quatre fois. Elle s’endort
contre lui, épuisée, dans l’odeur entêtante du foin.
Quand
elle se réveille, Gontran n’est plus là. Mais il y a Sylvain.
Près d’elle. Au-dessus d’elle. Une cravache à la main.
– Si
Madame veut bien se retourner…
Elle
obéit.
– Et
relever sa robe.
Elle
lui présente sa croupe dénudée. La cravache s’y abat avec force.
Elle
gémit.
D’autres
coups. Une dizaine. Réguliers. Espacés. Elle crie. Elle se
contorsionne. Elle hurle.
Encore
deux. Encore trois. Il s’arrête.
– Merci,
Sylvain, merci.
9-
Elle
se regarde, par-dessus l’épaule, dans sa psyché.
C’est
inscrit en rouge flamboyant sur toute la surface.
Il
n’y est vraiment pas allé de main morte.
Ben,
c’est toi qui lui as demandé !
Oui,
mais pas de taper comme un sourd !
T’avais
pas précisé…
Ça
coulait de source.
Elle
hausse les épaules. Elle sourit. Elle suit la ligne d’une cinglée
rougeoyante, du bout du doigt. L’y enfonce. Plus fort. Plus loin.
– Aïe !
Pas
question, en tout cas, que, pour le moment, Pierre l’approche. Mais
c’est quelque chose qu’il ne lui demandera pas, elle en est sûre,
avant plusieurs mois.
Elle
est couchée sur le ventre. Elle ne dort pas. Il y a un cœur brûlant
qui lui bat dans les fesses. Douloureux, mais pas vraiment
désagréable. Elle ferme les yeux. C’est pour Gontran. C’est
pour lui. Elle est heureuse. Apaisée.
Et
elle a honte. Tellement honte. Fouettée. Par un serviteur. Même si
c’est Sylvain. Qu’elle connaît depuis des années. Qui était
déjà au service de ses parents. Surtout parce que c’est Sylvain.
Comment a-t-elle pu ? Elle repousse les images. Elles
reviennent. Comment elle s’est trémoussée ! Elle rougit.
Quel spectacle obscène elle lui a offert ! Et comment elle a
crié ! Sans la moindre pudeur. Sans la moindre retenue. Honte…
Oh, oui, honte ! Mais cette honte, elle est… Non, ne dis
rien ! Elle ne veut pas savoir. Elle ne veut pas !
Sylvain
l’aide à mettre le pied à l’étrier. À enfourcher Flamboyant.
Elle
grimace.
Il
arbore un air faussement inquiet.
– Quelque
chose ne va pas, Mademoiselle ?
Elle
baisse les yeux.
– Si,
si ! Tout va bien.
Et
elle éperonne. Il la laisse caracoler un bon moment devant lui et
puis, le chemin s’élargissant, il vient à sa hauteur.
– Madame
a réfléchi ?
– Réfléchi ?
Mais à quoi donc ?
– À
ce qu’elle compte faire…
Ce
qu’elle compte faire ?
– Pour
ce monsieur…
Mais
rien. Rien de spécial. Rien du tout.
Il
insiste.
– Si
une faute se répète… Ou se prolonge…
Elle
ne répond pas.
Quand
elle lui tend les rênes, au retour, ses mains tremblent.
Gontran
l’étreint. L’étouffe de baisers.
– Tu
es fou…
– De
toi, oui…
Et
il lui dénude la poitrine, s’infiltre sous sa robe, s’empare de
ses fesses, s’arrête brusquement, la regarde, interloqué.
– Qu’est-ce
qu’elles ont ? Elles sont toutes chaudes. Fais voir !
Elle
veut l’en empêcher. Un peu. Pas vraiment. Pour la forme.
– Ah,
si ! Si ! Fais voir !
Il
les découvre, se penche sur elles.
– Eh,
ben dis donc !
Il y
promène une main.
– Ton
mari ?
Il
n’attend pas la réponse.
Il
la veut. Davantage encore que d’habitude. Elle est à lui.
10-
Pierre
lit. Son journal. En mangeant. Pousse, de temps à autre, une
exclamation. Commente à mi-voix…
– Et
ils comptent nous faire croire ça !
Il
ne la voit pas. Elle n’existe pas.
Elle
n’existe pas et c’est une envie soudaine en elle, violente, de
lancer un grand coup de pied dans la fourmilière, de lui jeter à la
figure qu’elle a un amant. Un amant, oui ! T’es cocu. Hein,
qu’est-ce que tu dis de ça ? Il lèverait les yeux sur elle.
Il soupirerait. Peiné ? Malheureux ? Furieux ?
Jaloux ? Même pas, non. Ennuyé. Seulement ennuyé. De voir
dérangée sa petite routine. De devoir prendre en considération,
d’une façon ou d’une autre, un problème qu’il n’avait pas
prévu.
Il
replie son journal. Il se lève, va jusqu’à la fenêtre, écarte
le rideau.
– Décidément,
la nuit tombe de plus en plus tôt.
Il
s’étire. Bâille.
– Je
monte me coucher, chère amie. Je vous souhaite le bonsoir.
Les
marques sont toujours là. Marques qui se sont estompées. Dont les
couleurs se sont altérées. Toujours du rouge, mais aussi par
endroits, par petites touches, du grenat, du noir, du jaune, du
bleuté.
Elle
appuie. Elle enfonce ses doigts. La douleur n’est plus la même.
Moins vive. Moins intense. Mais plus sourde. Plus ancrée.
Elle
sourit. Il a aimé, Gontran, que ses fesses soient zébrées.
Tellement. Avec quelle ardeur il les a caressées, redessinées,
pétries. ! Avec quelle passion il l’a prise ! Il l’a
comblée. Il l’a rendue folle. Elle l’aime.
Sa
chemise retombe.
Elles
s’effaceront, les marques. Non. Ah, non, non ! Elles ne
partiront pas. Elle ne veut pas. Il y en aura d’autres. Beaucoup
d’autres. Avant même que celles-ci aient disparu. Des marques
incrustées dans sa peau plus profondément encore. Des marques qui
le raviront. Qui lui donneront éperdument envie d’elle. Le fouet
la cuira, la brûlera, la mordra, lui fera infiniment mal. Oui, elle
sait. Tant pis. Ou tant mieux. Elle veut souffrir pour lui. Pour que
son désir s’affole. Pour qu’elle s’en enivre. Et elle est
prête à en payer le prix. Dès demain. Demain Sylvain la punira.
Elle
se laisse doucement descendre à proximité du sommeil. Ses doigts
font rouler les boursouflures sur ses fesses. Elle sourit. Elle est
heureuse. Elle pense à lui. Elle est dans la grange avec lui. Elle
est dans ses yeux.
Et
elle s’endort tout contre lui.
Il
est dans ses rêves. Des rêves doux et brûlants dont elle se refuse
à sortir. Dans lesquels elle se pelotonne voluptueusement.
Et
puis il y a quelqu’un dans son rêve. Quelqu’un qu’elle ne
connaît pas. Qui brandit une cravache. Qui veut la fouetter. Elle
s’affole. S’enfuir… Courir… Mais ses jambes refusent de lui
obéir. On la saisit par un bras. Se débattre… Crier… Hurler…
Elle n’y parvient pas.
– Faudrait
savoir ce que vous voulez !
C’est
alors qu’elle le reconnaît. Sylvain ! Elle pousse un immense
soupir de soulagement. C’est Sylvain.
– Êtes-vous
décidée à quitter ce jeune homme ?
Le
quitter ? Ah, mais non ! Non ! Jamais de la vie. Il
n’en est pas question.
– Alors
Mademoiselle va être punie.
Elle
ne proteste pas. Elle ne se dérobe pas. Elle s’agenouille, tend sa
croupe vers lui. Elle s’abandonne.
Un
premier coup tombe. Sèchement appliqué. Elle sursaute. Elle ferme
les yeux. C’est pour lui. C’est pour Gontran. Elle est heureuse.
Les
coups se succèdent. À toute volée. De plus en plus rapprochés.
Elle
gémit. De plus en plus fort. Elle ondule.
Il
s’arrête. Il est furieux.
– Ah
mais non, non ! C’est une punition. Une punition !
Elle
se réveille. En sursaut. C’est trempé entre ses cuisses.
11-
Sylvain
chevauche à ses côtés. Et il parle. Des châtaignes dont il y a
profusion cette année. Du vin qui ne devrait pas être aussi mauvais
que redouté, tout compte fait. Du nouveau vétérinaire qui est
jeune, si jeune, mais qui semble néanmoins connaître son affaire.
Elle
écoute et elle n’écoute pas. Elle est ailleurs. Encore dans son
rêve de la nuit. Et déjà dans son après-midi avec Gontran.
Sylvain
parle. Il parle inlassablement. De la Commune. Des exploits qu’il
aurait alors soi-disant accomplis.
– La
barricade de la rue Lepic, je l’ai tenue, à moi tout seul, près
d’une heure durant.
Et
puis de la guerre. De la guerre qui approche, hélas, à grands pas.
De la guerre dont personne ne veut, mais que les dirigeants finiront
malgré tout par faire advenir.
Elle
frissonne.
La
guerre. Gontran. Son Gontran. Elle ne veut pas.
Elle
l’interrompt.
– Sylvain…
Il
se tourne vers elle.
– Mademoiselle ?
– Je
ne pourrai pas. Je ne pourrai jamais…
– Vous
ne pourrez pas quoi ?
Il a
parfaitement compris, mais il veut qu’elle le dise. Il veut le lui
faire dire.
Elle
baisse la tête.
– Le
quitter. Quitter Gontran.
Il
saute à terre. Il lui tend la main.
– Que
Madame descende de cheval !
Elle
obéit.
Ils
sont au milieu des bois. Pas âme qui vive à des kilomètres à la
ronde. Il attache les chevaux. Il brandit la cravache.
Elle
sait ce qu’il lui reste à faire. Elle n’attend pas qu’il le
lui demande. Elle se détourne et elle se dénude. Les fesses. Et le
dos.
L’ordre
claque, sec, impérieux.
– À
genoux !
À
même le sol. C’est froid. Des brindilles lui picotent la peau. Et
elle a honte. Tellement honte. Mais c’est pour lui. Pour Gontran.
Il va tellement aimer voir sa peau striée, en suivre les
boursouflures du bout des doigts. Gontran…
Et
Sylvain frappe. Des coups appuyés. À intervalles réguliers. De la
base du cou au haut des cuisses. Méthodiquement. Sur toute la
surface. Elle serre les dents pour ne pas crier. Les larmes lui
montent aux yeux. Tu vas aimer, Gontran… Oh, comme tu vas aimer !
Et
ça repart. Dans l’autre sens. Insupportable, mais bon. Si !
Oui. Tellement bon. De plus en plus. Elle tombe face contre terre. Et
le plaisir la prend. Toute. La fulgure. Un plaisir fou. Elle enfouit
sa tête dans les feuilles pour ne pas le crier. Pour qu’il ne
l’entende pas le crier.
Il
s’arrête. Elle se relève. Elle n’est plu que brûlure. Elle se
rhabille. Le frottement des vêtements sur sa peau est un véritable
supplice, mais…
Elle
remonte à cheval. Ils chevauchent en silence.
Gontran
passe les mains sous sa robe.
– T’en
as reçu une ! Ah, si, si ! T’en as encore reçu une.
Ses
yeux brillent. Il est tout dur contre elle. Il veut voir.
Il
va voir.
– Oh,
là là, oui ! Et quelque chose de bien. C’est qui ? Ton
mari, hein ?
Non.
Elle fait signe que non.
– Qui
alors ? Dis-moi !
Elle
lui met un doigt sur les lèvres.
Il
n’insiste pas. Il la couvre de baisers. Et il est en elle.
Impatient. Impérieux. Il y éclate son plaisir. Et fait surgir le
sien.
12-
Elle
est dans son lit, sur le ventre. Nue. Elle a rejeté drap et
couverture. Sa peau ne supporte pas le moindre contact. Et elle a
mal. Tellement. Mais elle est heureuse. Tellement aussi. Heureuse,
oui. Même si elle redoute, par bouffées, que son bonheur ne prenne
brusquement fin. À cause de la guerre, oui, bien sûr… Mais aussi
parce qu’il est jeune, Gontran. Parce qu’il est beau. Et qu’il
doit faire rêver, par dizaines, les jeunes filles de son âge. Qu’il
s’en trouvera forcément une, un jour, dont il se sentira
éperdument épris et que, ce jour-là, il lui faudra s’effacer
pour ne pas être une entrave à son bonheur. Il ne lui restera plus
alors que ses souvenirs. Et ses larmes. N’y pas penser. Profiter.
Profiter, le plus possible, des instants qu’il lui donne.
– Je
ne monterai pas, ce matin, Sylvain.
– Comme
Madame voudra…
Il
étrille Flamboyant. Il lui flatte l’encolure.
– Il
vaut assurément mieux. Si Madame ne veut pas raviver la douleur…
Elle
rougit. Elle se détourne. Elle s’éloigne sous la futaie. Les
feuilles mortes craquent sous ses pas. Elle marche. Elle veut
marcher. Elle en a besoin. Sa chair est à vif sous ses vêtements.
Chaque pas est un calvaire. Mais elle marche. Sylvain l’a fouettée.
Il l’a fouettée et… La honte, une nouvelle fois, la submerge.
Est-ce qu’il s’est rendu compte hier ? Peut-être pas. Sans
doute pas. Sûrement pas. Ces gémissements-là, qu’elle a poussés,
qu’elle n’a pas pu s’empêcher de pousser, quand ça l’a
traversée, ressemblent tellement à ceux que procure la douleur.
Non. Non. Elle se fait des idées. Il ne s’est aperçu de rien. Il
était, de toute façon, tellement absorbé par ce qu’il faisait,
tellement attentif à ne pas lui laisser intact le moindre centimètre
de peau qu’il n’a certainement pas prêté la moindre attention à
la nature de de ses plaintes. Oui, mais si… Elle hausse les
épaules. Peu importe ce qu’il pense. Ce qu’il est allé
imaginer. Peu importe. Elle s’efforce, en vain, de s’en
convaincre.
Elle
attend Gontran. Il ne va pas tarder. Il va apparaître là-bas,
derrière la grange, entre les arbres. Courir vers elle. La saisir
dans ses bras. Et elle va défaillir de bonheur.
Elle
l’attend. Elle s’impatiente. Lui, toujours si ponctuel
d’habitude. Une demi-heure de retard. Une grosse demi-heure. Pourvu
qu’il ne lui soit rien advenu de fâcheux. Mais non ! Non.
Elle est folle. Il va surgir en riant. « Un bavard importun
dont j’ai eu toutes les peines du monde à me défaire… »
Il va la couvrir de baisers. Et tout va rentrer dans l’ordre.
Elle
est morte d’inquiétude. Deux heures. Plus de deux heures. Il s’est
passé quelque chose, elle en est sûre. En courant vers elle, il a
roulé sous un attelage. Ou bien il s’est battu et on l’a laissé
pour mort sur le pavé. Ou bien encore…
C’est
la dixième fois, au moins, qu’elle pose la question à Sylvain.
– Il
ne vous a rien dit ? Il n’est pas passé ce matin ?
– Mais
non, Mademoiselle ! Vous pensez bien que, s’il l’avait fait,
je me serais empressé de vous en tenir informée.
Le
jour baisse. Il ne viendra pas. Il ne viendra plus. Il a passé
l’après-midi avec une autre. Elle le sait. Elle le sent. Elle en
est sûre. Et elle ne peut même pas laisser libre cours à son
chagrin. Si Pierre s’apercevait qu’elle a pleuré…
Elle
vogue de cauchemar en cauchemar. Elle est de toute beauté, la fille.
Et comme il l’aime ! Comme il la caresse avec passion !
Elle la chasse. Elle s’estompe. Elle disparaît. Pour revenir, plus
triomphante que jamais. En robe de mariée, cette fois. Elle est
resplendissante. Ils se serrent l’un contre l’autre. Ils
s’embrassent. Sous les regards ravis des invités. Elle les
observe, en larmes, dissimulée derrière un arbre. Ils l’y
débusquent. Ils se moquent d’elle. Toute la noce se moque d’elle.
Et elle s’enfuit, vaincue.
13-
Il
ne vient plus. Jamais. Quatre jours qu’il n’est pas venu. Qu’elle
est sans nouvelles. Quatre jours que l’angoisse la ronge. La
dévore. Qu’il lui faut néanmoins faire bonne figure devant
Pierre. Lui donner le change.
Elle
passe ses nuits à pleurer. Et à se demander. Ce qu’il fait. Ce
qu’il pense. Et pourquoi il ne vient plus ? Pourquoi ?
Mais elle le sait pourquoi. Inutile de se bercer d’illusions. C’est
une autre. C’est l’autre. Il ne viendra plus. Plus jamais.
Le
seul avec lequel elle puisse parler un peu de lui, c’est Sylvain.
– Croyez-vous
qu’il ait pu lui arriver quelque chose ?
Il
fronce les sourcils, réprobateur, mais se fait malgré tout
rassurant.
– S’il
lui était survenu quelque accident ou s’il était tombé
sérieusement malade, nous l’aurions su. D’une façon ou d’une
autre, nous l’aurions forcément su.
Elle
insiste.
– Mais
alors, Sylvain ? Mais alors ?
Il
hausse les épaules.
– Il
reviendra, vous verrez. Il finira par revenir. Parce qu’il y a très
certainement une explication toute simple qui, pour le moment, ne
vient pas à l’esprit de Mademoiselle.
– Et
si ?
– Si,
Mademoiselle ?
– S’il
en avait rencontré une autre ?
Il
ne répond pas. Pas tout de suite. Il chevauche silencieusement à
ses côtés. Il regarde droit devant lui. Longtemps. Et puis…
– Vous
lui avez dit ? Que c’était moi qui vous fouettais ? Vous
lui avez dit ?
Elle
rougit. Elle se trouble.
– Oh,
non ! Non.
– Que
c’était monsieur Pierre alors ?
– Non
plus, non.
– Qui
alors ?
– Mais
personne.
– Alors
je crois que Madame fait fausse route. Qu’elle prend les choses à
l’envers.
– Que
voulez-vous dire ?
– Il
n’a personne, mais il a le soupçon, par contre, que Madame, elle,
a quelqu’un d’autre. Qui la fouette.
Mais
bien sûr ! Comment n’y-a-t-elle pas pensé ? Mais bien
sûr ! Quelle sotte elle fait ! Deux fois il lui a posé la
question. Deux fois il lui a demandé. Elle n’a pas répondu. Elle
a éludé. Alors il s’est imaginé…
– Je
vais lui écrire, Sylvain. Je vais lui expliquer. Vous porterez la
lettre.
Il
s’incline.
– Si
je puis me permettre… Madame ne va pourtant pas lui avouer que je
la châtie parce qu’elle ne parvient pas à le quitter ?
Non.
Évidemment, non.
– Quel
motif, dès lors, invoquera-t-elle donc ?
Mais
que…
Elle
ne sait pas. Elle verra. Elle improvisera. Elle lui expliquera que
c’est pour lui. Par amour pour lui. Il comprendra.
Ils
font demi-tour. Ils chevauchent en silence.
Elle
est déjà dans sa lettre. Dont elle cherche les mots. Dont elle
polit amoureusement les phrases. Qu’elle a hâte d’aller jeter
sur le papier.
Elle
tend les rênes à Sylvain. Les retient un moment.
– Et
s’il ne me croit pas ?
– Alors
il faudra lui en administrer la preuve. De toute façon Madame
mérite. Amplement. Plus que jamais. Parce que ce n’est plus
seulement qu’elle ne parvient pas à le quitter, c’est que,
maintenant, elle lui court après.
14-
– Alors,
Sylvain, alors ?
– Je
lui ai donné la lettre.
– Il
l’a lue ?
– Sur-le-champ.
Et il l’a tout aussitôt détruite.
– Qu’est-ce
qu’il a dit ?
– Rien.
Il s’est contenté de sourire.
– Mais
il viendra ?
– Il
viendra.
– Oh,
merci, Sylvain, merci.
Et
elle est dans les bras de Gontran.
– Toi !
Toi ! Comme tu m’as manqué ! Si tu savais…
Elle
le couvre de baisers. Il la couvre de baisers.
Et
il passe sa main sous sa robe.
– Il
y a rien aujourd’hui.
– C’est
parce que… T’es pas venu… Tu venais pas…
Il
sourit.
– Et
c’était pour toi. Si, c’est vrai, tu sais. C’était pour toi.
Que pour toi.
Il
sourit toujours. Il n’arrête pas de sourire.
– Je
sais pas.
– Tu
sais pas quoi ?
– Si
c’est vraiment ce Sylvain qui te le met dans cet état.
– Ah,
si, si ! Je t’assure.
Il
fait la moue.
– À
moins que…
Elle
appelle. Elle hurle.
– Sylvain !
Sylvain !
Qui
fait presque aussitôt son apparition dans l’encadrement de la
porte.
– Mademoiselle ?
– Cravachez-moi,
Sylvain ! Il veut pas me croire. Montrez-lui ! Allez,
montrez-lui !
Et
elle s’agenouille. Elle relève sa robe au-dessus de ses reins.
Elle lui tend sa croupe.
Il
prend tout son temps. Il attend. Il la fait attendre.
– S’il
vous plaît, Sylvain… S’il vous plaît !
Il
cingle. Avec force. Le premier coup lui arrache un gémissement de
douleur. D’autres suivent. À intervalles réguliers.
Elle
ferme les yeux. Gontran est là, derrière. Il voit. Elle est
heureuse.
Le
rythme s’accélère. Elle crie. Elle se cabre. Elle ondule. Elle
s’ouvre. Elle hurle. Elle n’a plus la moindre pudeur. Plus la
moindre honte.
– Là,
c’est tout. C’est fini.
Elle
se laisse aller contre Gontran. Contre son torse. Elle y pleure. À
chaudes larmes. Elle est bien. Si bien. Il la caresse doucement. Il
prend la pointe de son sein entre ses lèvres. Il l’agace. Il la
mordille. Il est tout dur contre elle. Tout gorgé. Elle le veut.
– Viens,
Gontran, viens !
Elle
ne lui en laisse pas le temps. Elle s’empare de lui. De sa queue.
Elle l’enfouit en elle. Et elle se jette, à grands coups de
bassin, éperdument contre lui. Leurs rythmes s’épousent, se
confondent.
Et
ils clament leur plaisir, ensemble, à pleine voix.
Ils
reprennent leurs esprits, tendrement enlacés.
– T’as
fait semblant, Gontran, hein !
– De
quoi donc ?
– De
pas croire que c’était Sylvain…
– Ben,
bien sûr.
– Tu
es un monstre. Je te parle plus.
Et
leurs lèvres se joignent.
15-
Couchée
sur le ventre dans l’obscurité, elle laisse le bien-être
l’envahir. Ses fesses la lancinent, mais elle est bien. Si bien.
Il est revenu. Il est à elle. Si passionné. Si ardent. Et elle est
encore toute pleine de lui. Ouverte. Abandonnée. Gontran. Son
Gontran. Elle sourit. Elle lui sourit.
Sylvain !
Elle
réalise d’un coup.
Sylvain !
Il était là, Sylvain. Il ne s’est pas retiré après l’avoir
fouettée. Elle n’y a pas, sur le moment, prêté attention, tout
occupée qu’elle était de Gontran, de son bonheur d’être avec
lui. Mais il est resté, maintenant elle en est sûre. Il l’a
regardée se pâmer dans les bras de Gontran. Il l’a regardée se
ruer éperdument contre lui, à la conquête de son plaisir.
La
honte la submerge.
Quel
méprisable petit personnage il fait !
Oui,
mais enfin, si tu n’avais pas…
Si
je n’avais pas quoi ?
Non.
Rien.
Il
devait me fouetter. Et partir. S’en aller. Oh, mais il va avoir de
mes nouvelles, alors là il peut s’y attendre…
Tu
vas faire quoi ?
Lui
dire ma façon de penser.
Tu
peux aussi ne t’être aperçue de rien, persuadée qu’il était
parti.
Tu
crois ?
D’autant
que ce n’est pas si désagréable que ça au fond pour toi, avoue,
que…
Tais-toi !
Tais-toi ! Tu vas te taire ?
Sylvain
ne desserre pas les dents. Ils ont contourné le bois de La Clanche,
longé les prés de Mironnet, pris à droite à la fontaine de
Saint-Urbain et il n’a toujours rien dit.
Il
est absent, lointain, préoccupé.
– Eh
bien, Sylvain, il y a quelque chose qui ne va pas ?
– Si,
Mademoiselle, si ! Tout va bien.
Mais
il soupire.
Ils
chevauchent. La plaine de La Longerie. Le moulin de La Coinette.
– Mademoiselle…
Il
se tourne vers elle, l’air grave.
– Oui,
Sylvain…
– Il
court des bruits. Au sujet de ce jeune homme. Il court des bruits.
Elle
pâlit.
– On
soupçonne quelque chose ?
– Oh,
non, Mademoiselle, non ! Pas ça… Non. Il se dit qu’il
serait parti.
– Parti ?
Comment ça parti ? Où ça parti ?
– Il
se serait enfui.
– Mais
pourquoi ? C’est absurde.
– Sa
classe est appelée sous les drapeaux. Il aurait fui à l’étranger
pour échapper à l’incorporation. Et à la guerre.
– Sans
m’en parler ? Sans me faire ses adieux ? C’est
impossible. Complètement impossible.
Elle
l’attend. Dans la grange. Ce sont des racontars. On cherche à lui
nuire. Il va venir. Elle en est sûre.
Il
se passe du temps. Deux heures. Trois heures. Elle ne sait pas. Elle
ne sait plus. Mais elle l’attend
Le
jour tombe. Elle pleure. Mais pourquoi ? Pourquoi il m’a fait
ça ? Pourquoi ?
On
entre. Elle sursaute. C’est Sylvain.
– Il
faut rentrer, Madame. Votre mari va s’inquiéter.
16-
Pierre
marche de long en large comme un furieux.
– Ah,
vous voilà ! Vous savez la nouvelle ?
Elle
feint l’étonnement.
– Non.
Quoi donc, mon ami ? Quelle nouvelle ?
– Le
fils De Fontvieille… Gontran… Il n’a pas rejoint son régiment.
Déserteur. Hein ? Qu’est-ce que vous dites de ça ?
Ce
qu’elle en dit, c’est que c’est une honte. C’est ce qu’il
faut qu’elle dise. C’est ce qu’il veut entendre.
Il
éructe.
– C’est
un scandale ! Un véritable scandale.
Il
ne décolère pas de tout le repas.
– Qu’on
le rattrape ! Conseil de guerre. Qu’on le fusille ! Qu’on
fasse un exemple ! S’enfuir lâchement quand la patrie est en
danger… Une balle en plein cœur, c’est tout ce qu’il mérite !
Oui. Parfaitement. Une balle en plein cœur. Devant le front des
troupes.
Elle
l’écoute. Et elle ne l’écoute pas. Elle se sent étrangement
vide. Comme absente d’elle-même. Plus grand chose n’a
d’importance. Plus rien n’a d’importance. Il est parti. Sans le
lui dire. Sans un adieu. Elle le déteste. Elle le hait.
Elle
l’aime. Comme elle l’aime !
Dans
sa chambre, après, sur son lit, elle ferme les yeux. Ils sont pleins
de larmes. Où est-il ? A-t-il quitté l’Europe ? Oui.
Forcément. Elle l’imagine. Il vogue. Vers ailleurs. L’Afrique ?
L’Amérique ? Les flots le bercent. Il est allongé sur le
pont d’un navire, au soleil. Soulagé. Heureux ? Non. Pas
heureux. Il se sent sale. Méprisable. Il s’efforce de n’y pas
penser. De sourire à son avenir. Comment se le représente-t-il ?
Est-ce qu’il lui y ménage une petite place ? Une toute petite
place ? Est-ce qu’il voudra qu’elle le rejoigne quand il
sera installé bien à l’aise dans sa nouvelle vie ? Quand
tous ces bruits de guerre et de violence se seront estompés ?
Oui, mais quand ? Dans un an ? Deux ? Trois ?
Elle esquisse un sourire. Elle aussi, à son tour, elle vogue. Vers
lui. Vers un pays où il fait toujours beau. Où il y a des arbres
gigantesques. Des plantes aux fleurs improbables, aux senteurs
enivrantes. Elle y débarque sur une plage de sable fin. On la
conduit vers lui. Dans un village aux maisons blanches qui
ruissellent de soleil. Il est là, entouré d’ouvriers, auxquels il
donne des ordres. Il lève la tête. Il l’aperçoit. Il court vers
elle. Elle se jette dans ses bras. Leurs lèvres se joignent. Ils
sont heureux. Jusqu’à la fin des temps.
Elle
se réveille en sursaut. Elle est en nage. Son cœur bat la chamade.
Elle a rêvé qu’on l’avait pris. Gontran. Capturé. Juste au
moment où il allait embarquer. On l’a battu. À coups de poing. À
coups de pied. À coups de crosse. Il a le visage en sang. Une
pommette éclatée. Il est couché à même le sol d’une cellule
glaciale. Elle serre ses deux mains contre sa poitrine. Ce n’est
qu’un méchant rêve. Un cauchemar. Elle ne sait pas. Elle a peur.
Et si c’était vrai ? C’était tellement présent. Tellement
réel.
Elle
ne se rendort pas. Elle se tourne. Elle se retourne. Finit par se
lever sans bruit. Il faut qu’elle bouge. Il faut qu’elle marche.
Ses
pas la conduisent là-bas. À la grange. C’est là que… Gontran…
L’odeur du foin. Elle s’y étend. À l’endroit même où, la
dernière fois… Elles étaient si bonnes, ses caresses. Si pleines
de passion. Et ses mains sont sur ses seins. Elle en caresse les
pointes du bout du pouce. Elles descendent. Se font insistantes.
Précises. De plus en plus précises. Il est là, avec elle. Ce sont
ses doigts qui la guident vers le plaisir. Qui vont le faire éclater.
Qui… Une brûlure intense, soudain, sur ses cuisses. Une autre…
– Madame
devrait avoir honte. Honte…
Mais
elle a honte. Oui, elle a honte. Comment elle a honte !
Et
elle se tourne. Elle lui présente ses fesses. Qu’il cingle à tout
va.
– Plus
fort, Sylvain ! Plus fort !
Et
elle jouit dans un grand râle.
17-
Elle
n’ira pas. Elle n’ira plus. Elle ne chevauchera plus à ses
côtés. Comment reparaître devant lui maintenant ? Elle s’est
comportée comme la dernière des dernières. Elle s’est avilie.
Comme jamais elle n’aurait cru pouvoir le faire.
Tu
as joui sous ses coups. Non, mais tu te rends compte ? Tu as
joui sous ses coups. Et de quelle manière !
Ce
n’est pas la première fois.
Certes,
mais les autres fois, tu avais l’excuse de Gontran. Hier soir, tu
n’en avais aucune. Alors il serait peut-être temps que tu te
regardes enfin en face. Telle que tu es.
Ce
qui veut dire ?
Que
le fouet te met en transes.
N’importe
quoi ! Vraiment n’importe quoi !
Tu
es sûre ?
Peut-être
que j’aime un peu ça quand même, oui.
Beaucoup,
tu veux dire ! Beaucoup plus que quoi que ce soit d’autre.
Tu
m’agaces !
Et
même, sois honnête avec toi-même, ce qui te met dans tous tes
états, c’est que ce soit Sylvain. Parce que c’est ton cocher.
Ton serviteur. Ce qui t’humilie. Et c’est précisément parce que
ça t’humilie profondément que…
Ça
suffit ! Cette fois ça suffit.
Elle
se lève. Ne plus penser. Elle va jusqu’à la fenêtre. Elle écarte
le rideau. Il fait beau dehors. Il fait si beau…
Il
l’aide à enfourcher Flamboyant. Il la laisse prendre un peu
d’avance et puis il la rejoint. Ils chevauchent de front. Il y
pense. Il y pense forcément. Elle aussi. Tout l’y ramène. Chaque
trépidation de la selle lui est une véritable torture.
– Mademoiselle…
– Oui,
Sylvain…
– S’agissant
de ce jeune homme…
– Gontran ?
– Gontran,
oui. Il se dit qu’il aurait préparé son départ de longue date.
Dans le plus grand secret.
Ce
qui signifie que, pendant tout ce temps qu’il a été avec elle, il
ne l’a jamais été vraiment. Déjà ailleurs.
Il
s’est joué d’elle. Et il y a quelque chose qui se brise.
Doucement. Lentement. Sans faire vraiment mal. Presque un
soulagement. Il est lâche. C’est un lâche. Il n’a aucun
courage. Ni celui de se battre ni celui de dire la vérité.
– Il
serait, paraît-il, en Asie.
Elle
hausse les épaules.
– Grand
bien lui fasse !
Il
peut bien être où il veut. Elle s’en moque. Elle ne le rejoindra
pas. Il n’existe pas. Il n’existe plus.
Ils
chevauchent. Des filaments de brume s’étendent à l’horizon. Des
étourneaux s’enfuient à leur approche. Il lui jette, de temps à
autre, un regard de côté. Sans un mot.
– J’ai
un peu froid.
Ils
font demi-tour.
Elle
descend de cheval. Elle lui tend les rênes.
– Merci,
Sylvain.
Pierre
lit devant la cheminée. Il lève la tête. Lui sourit.
– L’abbé
Maurel est passé. Il était pressé. Il ne vous a pas attendue.
– Que
voulait-il ?
– Vous
rappeler que c’est demain que se tient sa vente de charité.
– Je
n’ai pas oublié. J’y serai.
18-
Le
beau temps aidant, on se presse en foule autour des bacs.
L’abbé
Maurel se démène comme un beau diable.
Il
se frotte les mains. Il les joint.
– C’est
un succès ! Un véritable succès. Qui va nous permettre de
porter secours à nos déshérités.
Elle,
elle sourit. Elle emballe. Elle tend. Elle sourit encore. Elle
encaisse.
Ses
fesses lui font mal. Une douleur sourde. Pénétrante. Continue. Mais
qui, tout compte fait, n’est pas vraiment désagréable. Qui
s’avère même, par moments, – allons, ne te voile pas une
fois de plus la face – particulièrement agréable.
Il y
a des femmes. Qui vont. Qui viennent. Beaucoup de femmes. Surtout des
femmes. Qu’elle connaît, pour la plupart. Qui la saluent. Avec
lesquelles elle échange quelques mots. Des femmes qui ignorent que
son cocher la fouette, qu’elle en porte les marques, profondément
ancrées, et qu’elle jouit éperdument sous ses coups. Des femmes
qui sont à cent mille lieues de se douter. Et elle en éprouve une
intense jubilation.
– Je
suis moulue, mon ami. Ce bruit… Cette chaleur… Dînez sans moi !
Et
elle regagne sa chambre.
Elle
se dévêt, se jette, au passage, un regard dans la glace. Les
marques sont toujours là. En longues traînées parallèles.
Violacées. Boursouflées.
Elle
soupire. Elle sourit. Elle les parcourt, du bout du doigt.
Et
puis, elle s’étend. Elle glisse ses mains sous ses fesses,
s’endort.
Et
les femmes sont à nouveau là. Avec elle. Devant elle. Sous le
soleil. Anne Saintonge. Claire Delalande. Émilie Deshouraies.
D’autres encore. Beaucoup d’autres.
– C’est
un scandale !
Elle
a surgi d’un coup. Alice Maurepas, la mère de Gontran.
– Un
scandale, oui ! Cette traînée a couché avec mon fils.
Le
silence. Tous les regards convergent vers elle. Réprobateurs.
Haineux. Le silence s’éternise. Un silence qu’elles finissent
par rompre. Toutes en même temps.
– Avec
un gamin. Vous n’avez pas honte ?
– Oh,
mais avec elle, on peut s’attendre à tout.
– Dévergondée !
– Catin !
Une
gifle part. Une autre.
Elle
s’efforce, tant bien que mal, de se protéger le visage de son bras
replié.
Anne
Saintonge suggère.
– On
devrait la fouetter.
Les
autres font chorus.
– Oh,
oui ! Oui. Que ça lui en fasse passer l’envie. Une bonne fois
pour toutes.
Et
il y a leurs mains sur elle. Des dizaines de mains. Qui la
dépouillent de ses vêtements. Qui les lui arrachent.
Elle
est nue. Entièrement nue. Sous les yeux des hommes. Qui ne bougent
pas. Qui ne la défendent pas. Qui regardent.
Quelqu’un
constate.
– Il
y a son cocher, là-bas.
On
l’appelle. On la fait mettre à genoux. On la maintient solidement.
On pèse, de chaque côté, sur ses épaules.
Et
Sylvain cingle.
Le
cri qu’elle pousse la réveille en sursaut. Elle est en nage.
Et
c’est trempé entre ses cuisses.
19-
Quand
elle arrive, le matin, Flamboyant est prêt. Il ne lui reste plus
qu’à se mettre en selle.
Et
tout est exactement comme avant. Avant Gontran. Les chemins qu’ils
empruntent, ils les ont parcourus des dizaines de fois. Des centaines
de fois. Ce sont les mêmes prés, les mêmes carrefours, les mêmes
sous-bois. Et Sylvain a les mêmes mots. Lui assène les mêmes
récits. La guerre. Sedan. La Commune de Paris. Les morts. Les
blessés. Les coups de feu.
Et
c’est comme s’il n’y avait jamais rien eu. Comme si Gontran
n’avait jamais existé. Ni… le reste.
Cela
a pourtant eu lieu. Cela lui revient. Cela lui remonte. Par bouffées.
Elle jette alors à Sylvain de discrets regards de côté. Il l’a
fouettée. Il l’a vue nue. Il l’a vue jouir dans les bras de
Gontran. Il l’a même fait jouir. À grands coups de cravache.
Est-ce qu’il y pense de temps à autre ? Évidemment qu’il y
pense. Comment pourrait-il en être autrement ? Et la honte
l’anéantit.
L’après-midi,
elle n’a plus la moindre raison de retourner là-bas. Elle n’y
retourne pas.
Elle
vaque, indifférente, à des occupations du quotidien. Elle brode.
Elle coud. Elle s’ennuie. Comme elle s’ennuie !
Et
cela la prend d’un coup. Elle fait atteler. Elle sort. Pour voir du
monde. Pour s’étourdir.
Elle
fait quelques emplettes. Parfois une rencontre. Elle prend le thé.
Avec Anne Saintonge. Ou Émilie Desrouhais. Qui lui parlent, elles
aussi, de la guerre. Qui va avoir lieu. Qui ne peut pas ne pas avoir
lieu. Elles craignent. Pour leurs fils. Pour leurs maris. Pour leurs
frères.
Et
Pierre ? En cas de mobilisation générale, lui aussi il
partira. Bien sûr qu’il partira. Elle n’y pense pas. Elle n’y
veut pas penser. Le pire n’est jamais sûr. Et tout cela lui paraît
si lointain, si irréel.
Elle
rentre. Elle rentre et elle erre comme une âme en peine. Elle
s’apitoie sur son sort. C’est quoi, son existence ? Des
jours qui se succèdent les uns aux autres sans que jamais rien n’y
survienne. De surprenant. D’exaltant. De vivant. Sa vie est morte.
Et elle avec. Il lui prend des envies de pleurer.
Elle
se réfugie dans sa chambre. Elle ne veut pas qu’on l’y dérange.
Sous aucun prétexte.
Elle
s’allonge sur son lit. Elle ferme les yeux. Quelqu’un s’approche.
C’est Gontran. Pas Gontran, non. Elle ne veut pas. Elle ne veut
plus. Il insiste. Elle le repousse. Il s’éloigne.
Un
autre surgit. Qu’elle ne connaît pas. Il est jeune. Il est beau.
Il lui sourit. Elle lui tend les bras. Elle lui tend les lèvres.
Elle se réfugie contre lui. Elle s’y blottit. Ses baisers sont
doux. Ses baisers sont passionnés. Il glisse une main dans son
corsage. Elle la lui emprisonne.
– Il
ne faut pas. Non. Il ne faut pas.
– Mais
pourquoi ?
– Parce
que…
Mais
il a envie. Tellement ! Elle s’abandonne. Sa main est sur son
sein. Elle le parcourt. Elle le redessine. Elle en fait dresser la
pointe. C’est si bon ! C’est si doux ! C’est si
ardent !
Elle
va aussi en bas, sa main. Sous sa robe. Sous son jupon. Elle
s’aventure. Elle découvre. Elle fouille.
Il y
a son désir contre sa cuisse. Elle est dure. Gorgée de sève. Elle
s’approche. Elle est tout près. Elle la fait attendre. Elle ne
peut pas. Elle ne peut plus. Elle s’en empare. Elle l’enfouit en
elle. Elle l’y enfonce. Oh, que c’est bon !
– Mademoiselle
est incorrigible.
C’est
Sylvain. La voix de Sylvain.
– Mais
non !
– Mais
si ! La queue ! Pour Madame plus rien d’autre ne compte
désormais que la queue.
– Je
ne vous permets pas.
Mais
il n’écoute pas. Il n’écoute rien. Il brandit la cravache.
Elle
se retourne. Elle lui offre ses fesses. Elle lui offre son cul.
– Tapez,
Sylvain ! Tapez ! Ne me ménagez pas !
Il
ne la ménage pas. Il cingle. Il fouette. À tour de bras.
Et
elle jouit. Et elle mord furieusement l’oreiller pour étouffer ses
cris.
20-
Flamboyant
est couché dans son box, prostré.
Elle
s’effraie.
– Qu’est-ce
qui est arrivé, Sylvain ? Qu’est-ce qu’il a ?
– Je
n’en ai pas la moindre idée. Il est dans cet état depuis ce
matin. Le vétérinaire devrait arriver d’un instant à l’autre.
Elle
marche de long en large. Elle lui caresse l’encolure. Elle lui
prodigue des encouragements.
– Ça
va aller… Ça va aller…
Elle
va. Elle vient.Sur le pas de la porte de l’écurie, elle scrute le
chemin tout au bout, là-bas.
– Mais
qu’est-ce qu’il fabrique ?
C’est
un nouveau. Il est jeune. Il a les yeux verts. Il l’y enferme
quelques instants. Et puis il va droit à Flamboyant.
Il
retire sa veste. Il ausculte. Il palpe. Il hoche la tête.
– C’est
grave ?
– Sans
doute pas.
– Mais
ce peut l’être ?
Il
hausse les épaules. Il sourit.
– Je
ne crois pas.
Il
dresse une liste de remèdes.
– Vous
allez les chercher, Sylvain ?
– Mais
certainement, Madame…
Il
prend la feuille. Il s’éloigne.
Le
jeune vétérinaire range posément, méthodiquement, son matériel
dans sa trousse. Lève les yeux sur elle.
– Ne
vous inquiétez pas trop…
Elle
soupire.
– Ce
n’est pas chose aisée.
– Je
repasserai dans l’après-midi voir si son état s’est amélioré.
– Oh,
oui, oui ! S’il vous plaît… Je serai plus tranquille.
Elle
le raccompagne jusqu’à son attelage. Elle lui tend la main.
Il
la serre. Il la garde dans la sienne. Un peu plus qu’il ne
faudrait.
Il
est là, penché sur Flamboyant. Il a tenu parole.
– Il
va mieux. Beaucoup mieux. Demain il n’y paraîtra plus du tout.
Elle
lui sourit.
– Vous
êtes un magicien.
– Oui,
oh…
Elle
l’assaille de questions. Pour le retenir. Pour qu’il ne parte
pas. Pas tout de suite.
Est-ce
qu’il faut qu’elle lui change son régime alimentaire ?
Qu’elle le nourrisse moins ? Plus ? Et pour l’activité
physique ? Qu’est-ce qu’il lui conseille tant qu’il n’est
pas complètement remis ? Une heure ? Deux heures ?
Il
prend tout son temps pour lui répondre. Il entre dans les détails,
multiplie les précisions, se perd en de longues digressions.
Quand
il se résout enfin à partir, il lui retient la main un peu plus
longtemps encore. Elle ne cherche pas à la retirer.
– Mademoiselle
trouve ce vétérinaire très à son goût.
– Mais
pas du tout, enfin, Sylvain ! Qu’est-ce que vous allez
chercher ?
Il
relève la tête. Il sourit.
– Je
connais Mademoiselle. Et je sens que je vais devoir, sans tarder, la
rappeler à l’ordre.
Elle
ne répond pas. Elle rougit. Elle se détourne.
21-
Flamboyant
n’est pas vraiment remis. Il a l’œil vitreux. Le poil terne.
– Vous
ne trouvez pas, Sylvain ?
– Absolument
pas, non ! Madame se fait des idées. Il se porte comme un
charme.
Elle
n’insiste pas. Elle monte en selle.
Il
tranche.
– L’exercice
lui fera, au contraire, le plus grand bien.
Et
ils chevauchent. Sylvain égrène imperturbablement ses prétendus
exploits guerriers. Elle ne l’écoute pas. Elle fixe le chemin. La
cime des arbres. Un vol d’étourneaux.
Est-ce
que c’est cela, sa vie ? Est-ce que ce sera toujours cela ?
D’éternelles
matinées cheminées sans but aux côtés de Sylvain. Au milieu de
paysages qu’elle connaît par cœur. Sur des chemins mille et mille
fois parcourus et reparcourus. Jusqu’à l’écœurement.
Des
après-midis interminablement consumées à des riens. À des travaux
d’aiguille qui l’ennuient à mourir. À d’insipides
conversations avec des femmes de façade, de soi-disant amies, qui
jouent à se faire croire qu’elles sont ce qu’elles ne sont pas.
Et qu’elles ne seront jamais. À de rituelles sorties auxquelles
elle ne prend pas le moindre plaisir.
Des
soirées étirées, devant la cheminée, en compagnie de Pierre, qui,
plongé dans son journal, ne lui adresse pas la parole ou qui, s’il
le fait, se lance dans de grandes considérations politiques dont
elle se soucie comme d’une guigne.
À
l’entrée du sous-bois, une brusque envie de pleurer s’empare
d’elle. Il vaudrait mieux mourir. Elle est déjà morte.
– Rentrons,
Sylvain, J’ai un peu froid.
– Comme
Madame voudra…
– Et
puis il ne faut pas trop fatiguer Flamboyant.
Et
ils font demi-tour.
Elle
aperçoit son attelage de loin. Son cœur fait un bond dans sa
poitrine. Le vétérinaire. Il est là. Elle se retient d’éperonner
Flamboyant.
Il
est là, devant l’écurie. Il sourit. Il lui tend la main, l’aide
à descendre de cheval.
– Je
suis passé le voir… Comment va-t-il ?
Sylvain
s’éclipse discrètement.
– Oh,
bien ! Bien ! Beaucoup mieux, on dirait.
Il
lui flatte l’encolure, le palpe ici et là, lui examine la
mâchoire.
– Oui.
Ce ne sera bientôt plus qu’un très mauvais souvenir.
Il
plante ses yeux dans les siens.
– Et
pour moi un très bon.
Elle
se trouble. Elle rougit. Elle cherche, autour d’elle, un
hypothétique secours.
– J’aurai
eu le bonheur de vous avoir rencontrée. Et admirée.
Il
prend ses mains dans les siennes. Les deux. Il les porte à ses
lèvres.
– Tu
me rends fou !
Il
les baise éperdument.
– Cessez !
Elle
veut les lui retirer. Les lui arracher.
– Cessez !
Je vous en prie.
Mais
elle les lui laisse. Elle les lui abandonne.
Il
se fait pressant. Impérieux.
– J’ai
envie de toi. Tellement !
Il
l’attire contre lui. Il cherche ses lèvres.
Elle
se dérobe.
– Pas
ici ! Pas ici ! On pourrait nous voir. On pourrait nous
surprendre.
– Où
alors ?
– Viens !
Dans
la grange.
22-
Elle
est folle.
Une
dévoyée. Une dépravée.
Il
la couvre de baisers. Il se fait pressant. Sa main se faufile dans
son corsage.
Il
ne faut pas. Non, il ne faut pas.
Elle
le laisse pourtant faire. Sans se défendre. Parce que…
Parce
que c’est toi qui l’as amené ici. C’est toi !
Il
s’empare de l’un de ses seins. Il le fait surgir. Il en agace la
pointe. Il la fait se dresser.
Il
ne faut pas. Qu’est-ce qu’il va penser d’elle ?
– Edmond…
L’autre
sein. Ils sont nus tous les deux sous ses doigts. Il les redessine.
Il les apprend. Son membre est dur contre sa cuisse. Son souffle est
tiède dans son cou.
– Blanche…
Ses
mains sont sur ses épaules. Sous la robe. Qu’elle font glisser.
Qui tombe à terre. Ses mains sur ses fesses. Contre ses fesses. À
même la peau. Entre ses fesses. Dont elles suivent le sillon.
Il
ne faut pas…
Son
membre à nu palpite contre son ventre.
Il
ne faut pas.
Ils
basculent dans le foin.
Ses
lèvres. Sur ses yeux. Sur sa bouche. Sur ses seins.
Et
il est en elle. Et elle referme ses bras sur lui. Autour de lui. Elle
lance son bassin à la rencontre du sien. Vite. De plus en plus vite.
Son
plaisir surgit. Se déploie. Et elle le clame à pleins poumons.
Elle
repose contre lui, sa tête nichée au creux de son épaule. Elle lui
caresse le torse, du bout du pouce.
– Tu
vas partir, toi ?
Il
ne partira pas, non. Il est soutien de famille.
– Et
puis un vétérinaire… On a besoin de moi ici. À l’arrière.
Ils
se taisent. De l’autre côté de la paroi, un cheval s’ébroue.
Elle
ramène sa robe sur elle.
– J’ai
un peu froid.
Il
se lève.
– Je
dois y aller.
– Tu
reviendras ?
Il
se rhabille.
– Bien
sûr que je reviendrai… Bien sûr…
– Quand ?
– Bientôt.
Demain. Après-demain. Dès que je pourrai…
Un
dernier baiser, rapide, sur ses lèvres.
Elle
le raccompagne jusqu’à son attelage.
Il
fouette. Il s’éloigne. Elle le suit des yeux. Jusqu’à ce qu’il
ait disparu, là-bas, au bout du chemin.
Il
reviendra. Bien sûr qu’il reviendra. Il l’a dit.
Là
où ils se sont aimés, il y a un grand creux dans le foin. Elle s’y
laisse tomber, les mains sous la nuque.
Sa
semence chemine en elle. Redescend. Elle serre les cuisses, de toutes
ses forces, pour la garder.
À
côté, dans l’écurie, elle entend Sylvain s’activer.
23-
Mais
qu’il parle à la fin ! Qu’il parle ! N’importe
quoi. Qu’il la traîne dans la boue ! Qu’il la mette plus
bas que terre. Mais qu’il dise quelque chose. Tout plutôt que cet
insupportable silence réprobateur.
Mais
non ! Il chevauche à ses côtés. Sans un mot. Sans jamais se
tourner vers elle.
– Sylvain…
– Mademoiselle ?
Il
ne la regarde toujours pas.
Elle
explose.
– Mais
dites quelque chose enfin !
Il
hausse les épaules.
– Je
n’ai pas à juger des faits et gestes de Mademoiselle.
Il
marque un long temps d’arrêt.
– Si
elle estime devoir, en toute conscience, s’offrir au premier venu…
– Ce
n’est pas le premier venu…
– Madame
joue sur les mots.
– Mais
pas du tout enfin !
– Que
Madame me pardonne, mais il a suffi à ce vétérinaire de claquer
des doigts pour qu’elle s’allonge aussitôt dans le foin et
qu’elle lui ouvre ses cuisses.
Elle
rougit sous l’affront. Mais elle fait profil bas.
– Je
sais, Sylvain. Je sais. Je m’en veux tellement. Si vous saviez !
Il
se montre intraitable.
– Ce
qui n’empêchera pas Madame de recommencer.
– Mais
non, Sylvain, je vous assure…
D’un
ton mal convaincu.
Il
esquisse un imperceptible sourire.
– Non,
la seule chose que Madame comprenne…
Son
cœur s’accélère.
Il
les fait attendre, les mots. Il les fait venir de très loin. De très
très loin.
– C’est
une bonne fouettée.
Il
se tourne vers elle. Il la regarde cette fois. Il la fixe. Droit dans
les yeux.
Elle
baisse les siens.
– Sans
doute suis-je, moi aussi, quelque peu fautif. De ne pas m’être
montré suffisamment sévère à son égard. De l’avoir ménagée.
J’aurais dû cingler plus longtemps. Et plus fort.
Elle
frémit.
– J’aurais
dû trouver les mots. Ceux qui font mouchent. Qui mortifient. Qui
font passer à tout jamais l’envie de recommencer.
Elle
frissonne de tout son être.
Les
mots, oui. Les mots. Oh, oui !
Son
regard se fait dur. Rapace.
– Mais
il n’est pas trop tard. Il n’est jamais trop tard.
Et
c’est, soudain, humide entre ses cuisses.
Il
ramène les chevaux à l’écurie.
– Attendez-moi
là !
Dans
la grange.
D’un
ton qui ne souffre pas de réplique.
Elle
l’entend à côté. Il prend tout son temps. Il revient enfin.
– Dévêtez-vous !
Et tout ! Vous enlevez tout.
Elle
se détourne pour le faire.
Il
exige.
– Face
à moi.
Elle
obéit. Elle est nue devant lui. Entièrement nue. Bras ballants.
Immobile.
Et
elle a honte. Tellement honte…
24-
Trois
jours qu’elle ne monte plus. Qu’elle fait faux bond à Sylvain.
Trois jours qu’il selle Flamboyant pour rien. Qu’il l’attend en
vain.
Et
il attendra encore. Elle n’ira plus. Elle ne veut plus le voir.
Plus croiser son regard. Il a été odieux avec elle. Il a utilisé
des mots, mais des mots ! Il s’est comporté d’une façon
absolument inqualifiable…
Et
pas toi peut-être ?
Non !
Si ! Oui, mais moi…
Toi,
tu as joui comme une forcenée sous ses coups. Tu l’as hurlé à
tue-tête, ton plaisir. Il n’a pas été dupe, qu’est-ce que tu
t’imagines ? Et tu voudrais que…
Ce
n’est pas une raison.
Ah,
non ?
Tu
m’agaces, tiens ! Qu’est-ce que tu peux m’agacer !
– Sylvain…
– Oui,
Mademoiselle ?
– Il
est venu ces jours-ci quand je n’étais pas là ?
– Qui
donc ?
Elle
s’impatiente.
– Mais
Edmond ! Le vétérinaire.
– Non,
Mademoiselle.
– Ah…
Sa
gorge se noue.
Elle
se tait. Il se tait. Ils chevauchent. Longtemps.
Elle
soupire. Soupire encore.
– Je
voudrais dire à Madame…
– Oui,
Sylvain ?
– Il
reviendra sans doute.
Elle
serre les rênes plus fort. Il reviendra.
– Mais
il ne serait pas forcément dans l’intérêt de Madame de donner
suite.
Elle
fronce les sourcils.
– J’ai
pris mes renseignements. Ce monsieur multiplie les conquêtes. Et se
vante un peu partout d’avoir un tableau de chasse étoffé. Tant en
qualité qu’en quantité.
– Ce
ne sont peut-être que ragots. Il s’en dit tant ici.
– Je
puis assurer à Madame que non. Et que si elle ne veut pas que
revienne aux oreilles de monsieur…
Elle
coupe court.
Merci,
Sylvain. J’en prends bonne note.
Et
éperonne Flamboyant.
Il
la laisse chevaucher quelques instants devant lui. À bonne distance.
Et
puis il la rattrape.
– S’il
revient…
– Je
lui signifierai qu’il n’ait plus à le faire.
– Il
sait se montrer extrêmement persuasif quand il veut…
Il
hésite.
– Et
Mademoiselle est d’une nature ardente. Alors sans doute vaudrait-il
mieux…
Elle
le foudroie du regard.
– Que
quoi ?
– Je
ne veux que le bien de Mademoiselle.
Elle
se radoucit.
– Je
sais, Sylvain, je sais.
Il
la connaît si bien.
– S’il
revient, vous le renverrez. Vous ne le laisserez pas m’approcher.
Sous aucun prétexte.
Il
sourit. Il est satisfait.
– Comme
Mademoiselle voudra…
25-
Il a
attendu qu’ils se soient engagés dans l’allée forestière,
juste après le carrefour du tremble.
– C’est
fait, Mademoiselle.
– Qu’est-ce
qui est fait, Sylvain ?
Elle
le sait. Évidemment qu’elle le sait. Mais elle demande malgré
tout.
– Qu’est-ce
qui est fait ?
– Edmond,
le vétérinaire, il ne devrait plus revenir. Il ne reviendra plus.
– Merci,
Sylvain.
Ils
s’enfoncent sous les hêtres.
– Madame
ne regrette pas trop ?
Elle
fait signe que non. De la tête. Non.
– Et
maintenant ?
Elle
lève sur lui un long regard interrogateur.
– Monsieur
Pierre ne satisfait pas Madame. Il s’en faut de beaucoup.
Elle
baisse les yeux, fixe quelque chose au loin, très loin, devant elle.
– Et
Madame a des besoins. De gros besoins. Qu’il lui faut
impérativement satisfaire.
Elle
ne proteste pas. Elle continue à contempler les lointains.
– Avec,
de préférence, de fringants jeunes gens, pleins de sève et de
vigueur.
Une
branche basse lui cingle le visage. Des gouttes lui ruissellent dans
le cou.
– Seulement,
que Madame songe à l’épouvantable situation dans laquelle elle se
trouverait si, d’aventure, il revenait aux oreilles de monsieur
Pierre qu’elle a un amant ou, pire, qu’elle les collectionne.
Elle
frissonne. C’est une éventualité à laquelle elle ne veut pas
songer. Qu’elle ne veut même pas envisager.
Il
poursuit, imperturbable.
– Ce
n’est malheureusement pas exclu. Parce que les gens parlent. Parce
qu’ils se surveillent les uns les autres. Parce qu’ils se
délectent du moindre ragot. De la moindre rumeur. Et parce qu’ils
se réjouissent de voir leur prochain traîné dans la boue. Surtout
si ce prochain est une femme.
Il
saisit les rênes de Flamboyant. La force à s’arrêter.
– Je
conjure Mademoiselle de ne pas se mettre en danger.
Il
cherche ses yeux. Elle finit par les lui donner.
– Si
je puis me permettre…
Il
hésite. Se décide.
– J’ai
fouetté Mademoiselle.
Un
tremblement la parcourt toute.
– Et,
pour autant que j’aie pu en juger, elle y a pris du plaisir.
Beaucoup de plaisir. Presque autant que dans les bras de Gontran. Ou
ceux d’Edmond.
– Non.
Davantage.
Cela
lui échappe. Cela lui a échappé. Elle rougit.
Il
la prend dans son regard. Il l’y garde.
– Je
sais.
Il
lâche ses rênes. Ils font demi-tour.
Ils
sont dans la grange. Il ne dit rien. Elle ne dit rien.
Elle
se déshabille. Tout. Elle enlève tout.
Elle
s’agenouille. Et elle attend. La cravache siffle, s’abat. Sur son
dos. Sur ses fesses. Sur ses cuisses. La zèbre, la mord, la brûle.
Elle
se tend vers elle. Elle s’offre à elle. Elle lui ouvre ses jambes.
Qu’elle puisse s’y engouffrer.
Et
son plaisir monte. Son plaisir surgit, la submerge.
Elle
le proclame. Sans la moindre pudeur.
Elle
se relève.
– Merci,
Sylvain.
Elle
n’aura plus besoin de Gontran, d’Edmond ou de qui que ce soit
d’autre.
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