1-
– Allô ?
David ? C’est Julie ! Vous vous souvenez ?
Évidemment
que je me souvenais ! Évidemment ! Vienne. Le Belvédère.
On s’était rencontrés devant un tableau dont, quand elle avait
compris que j’étais français, elle m’avait vanté les mérites
en long, en large et en travers. On avait poursuivi la visite
ensemble. Klimt. Egon Schiele. Tant d’autres. Et on avait fini par
aller prendre un verre. Au moment de la quitter, je lui avais
grifouillé mon numéro de portable, sans vraiment y croire, sur un
post-it. Au cas où, une fois rentrés à Paris…
On a
échangé quelques banalités. Et puis…
– On
déjeune ensemble un de ces quatre ? Ça vous dit ?
Et
comment que ça me disait !
– Avec
plaisir. Quand vous voudrez.
– Demain
soir alors !
Elle
avait revêtu une petite robe turquoise toute simple, relevé ses
cheveux en chignon et s’était contentée d’un léger maquillage
qui faisait chanter le vert de ses yeux.
Le
serveur a déposé les menus devant nous.
– J’avoue
avoir été très agréablement surpris hier…
Elle
a souri.
– En
fait, j’ai retrouvé votre numéro par hasard, en changeant de sac.
J’ai failli le jeter et puis, au dernier moment, je me suis
ravisée. Parce que, je sais pas vous, mais moi, dans mon entourage,
les gens férus de peinture, ils se bousculent pas au portillon. Des
prétentieux, oui, ça, il y en a. À la pelle. Des peintres du
dimanche qui se croient de grands artistes parce qu’ils parviennent
à reproduire à peu près convenablement « Les nymphéas »
ou « Les tournesols », mais qui n’ont seulement jamais
entendu parler de Saudek ou de Bellmer. Non. Les vrais connaisseurs,
on peut pas dire que ça court les rues.
– Et
vous pensez que moi… J’ai bien peur que vous ne me surestimiez.
Elle
a haussé les épaules.
– Non.
Vous, j’ai pu le constater à Vienne, vous avez une véritable
sensibilité artistique. Les tableaux, vous les sentez. Vous avez un
regard qui les pénètre. Qui leur fait donner toute leur mesure.
Vous en avez une perception enrichissante. Et j’avoue que la
perspective de passer une après-midi, de temps à autre, à Orsay ou
au Louvre avec vous ne serait pas pour me déplaire.
– Confidence
pour confidence, j’avoue que, de mon côté…
On
nous a apporté les entrées.
– Bon
appétit !
– Merci.
Vous aussi…
– Je
peux me montrer indiscrète ?
– Vous
pouvez toujours essayer.
– J’ignore
ce que vous faites dans la vie.
– Oh,
c’est pas vraiment indiscret. Je suis prof…
– Et
prof de ?
– Musique.
– J’aurais
dû m’en douter. Ça doit être passionnant, non ?
– Quand
les élèves sont réceptifs et motivés, oui. Énormément. Et vous,
vous faites quoi ?
– Oh,
rien de bien extraordinaire ! Je préside aux destinées d’une
agence immobilière.
– Et
vous occupez vos loisirs à peindre.
– Comment
vous le savez ?
– Je
me trompe ?
– Non,
mais…
– Vous
me montrerez ?
– Oh,
c’est juste des barbouillis, vous savez !
– Que
vous dites… Vous me montrerez ?
– Si
vous y tenez…
– Oh,
oui, j’y tiens, oui.
2-
C’était
un atelier immense avec de grandes baies vitrées donnant sur les
toits de Paris.
– C’est
magnifique !
– Et
ça ne me coûte quasiment rien. Il faut bien que travailler dans
l’immobilier présente quelques avantages.
Il y
avait une quarantaine de toiles, toutes tournées nez au mur.
– Elles
sont punies ?
Elle
a souri.
– On
peut dire ça comme ça, oui.
Et
une autre, toute seule, en pleine lumière, recouverte d’un drap.
Je
m’en suis approché.
– C’est
l’œuvre en cours ?
– En
effet.
– Et…
on peut voir ?
– Ben,
allez-y, soulevez !
Je
m’y suis employé. Avec précaution. Et j’ai fait apparaître…
un homme nu. Il était représenté debout devant une grande glace en
pied, légèrement de côté. En sorte qu’on pouvait voir tout à
la fois ses fesses, striées de longues boursouflures violacées, son
visage au regard perdu, vaguement coupable, et sa verge flasque qui
lui pendait entre les jambes.
– Techniquement,
vous maîtrisez sacrément bien, dites donc !
– Techniquement,
peut-être… Mais à part ça ?
– C’est
quoi ? Une commande ?
– Dans
un sens, oui. Tenez, vous allez comprendre…
Et
elle a remis à l’endroit deux des tableaux qui nous tournaient le
dos le long du mur. Le même homme. Exactement dans la même
position. La même attitude. Sauf que, sur le premier, on ne voyait
pas trace du moindre coup. Sur le second, par contre, ils étaient
bien présents et il était clair, vu leur texture et leur couleur,
qu’ils venaient d’être tout récemment donnés. L’expression
du visage aussi différait. Dans le premier cas, on sentait une sorte
d’appréhension, une inquiétude diffuse. Dans l’autre, une honte
intense mâtinée d’une espèce de jubilation.
– Vous
voyez ?
– Pas
trop, non.
– Là,
c’est juste avant. Il ne s’est encore rien passé. Et là, c’est
juste après. Il vient de se la prendre sa volée. Quant au
troisième, celui qui trône sur le chevalet, c’est l’état des
lieux douze heures plus tard. On ne va d’ailleurs pas s’arrêter
en si bon chemin. Il y aura un nouvel état des lieux toutes les
douze heures. Jusqu’à ce que toute trace résiduelle ait disparu.
Ce qui n’empêchera évidemment pas de tout reprendre à zéro par
la suite, de la même façon ou d’une autre, si le monsieur en fait
expressément la demande.
– Et
qui se charge de traiter son postérieur avec autant de conviction ?
– Au
jour d’aujourd’hui, mon pauvre monsieur, on est souvent obligé
de tout faire soi-même.
– Vu
comme ça…
– Je
vous choque ?
– Oh,
non ! Non ! Il m’en faut plus. Beaucoup plus. Mais il va
en faire quoi de tous ces tableaux alors, le type ?
– Les
accrocher dans son salon, tiens, pardi ! Que tout le monde, la
famille, les amis, les invités, le facteur, puissent en profiter
tout à loisir.
– Fichez-vous
bien de moi !
– Non.
Ils vont rester ici, ces tableaux, bien évidemment ! Ici, où
il pourra venir les voir chaque fois que bon lui semblera.
3-
– Je
vous dérange pas ?
– Non.
Je vous attendais.
– Comment
ça, vous m’attendiez ?
– Je
me doutais bien que vous auriez envie de venir me voir en plein
travail. Et comme on est dimanche…
Elle
était installée devant son chevalet, le pinceau à la main, la
palette sur les genoux. Sur le mur blanc, devant elle, une photo en
couleur, grand format, qu’elle était en train de reproduire à
l’identique. Celle de l’homme aux fesses meurtries.
– Ah,
parce que…
– Je
travaille sur photos, oui. Le moyen de faire autrement ? Je ne
peux matériellement pas réaliser un tableau toutes les douze
heures. Faut bien que j’aille travailler. Que je mange. Que je
dorme. Je n’ai donc pas d’autre solution que de stocker les
clichés au fur à mesure et de m’atteler à la tâche dès que je
dispose d’un peu de temps.
– Ce
qui fait que, du coup, vous en avez tout un tas d’avance.
– De
lui, sept. Vous voulez les voir ?
– Ah,
parce qu’il y a pas que lui ?
Elle
n’a pas répondu. Elle a fait défiler les photos, lentement, une à
une. De l’une à l’autre, le changement était spectaculaire. Le
rouge se faisait violet. De larges taches jaunes, puis noires,
s’étendaient, s’élargissaient. Les zébrures s’épaississaient,
se boursouflaient. Et puis tout se résorbait, peu à peu, avant de
disparaître totalement.
– Il
passe de temps en temps ? Il vient voir si votre travail
avance ?
– Pas
bien, non…
– Ça
l’intéresse pas ?
– Il
a le double des photos. Je suppose que ça lui suffit.
– Oui,
alors si ça tombe, vous le reverrez jamais.
– Il
y a des chances, en effet. À moins que ça le démange de se
reprendre une volée. Ce qui n’est pas forcément à exclure.
– En
gros, vous faites tout ça pour rien, quoi !
– Pas
pour rien, non ! Si je n’y trouvais pas mon compte, d’une
façon ou d’une autre…
– Et
vous l’y trouvez comment, si c’est pas indiscret ?
Elle
a haussé les épaules.
– Je
vais pas vous raconter d’histoires. J’aime fouetter. Les hommes.
Exclusivement les hommes. J’aime le bruit des lanières qui
s’abattent sur leurs fesses. J’aime les voir se tortiller. J’aime
voir leurs culs s’enflammer. J’aime les entendre gémir de
douleur.
Ça
avait au moins le mérite d’être clair.
– Et
j’aime prolonger. Me pencher, des heures durant, sur ces
postérieurs qui se sont offerts à moi, les caresser amoureusement,
du bout du pinceau, là où je les ai si généreusement entamés,
raviver encore et encore leurs rougeurs et leurs boursouflures. Ils
sont à moi. Comme je veux. Autant que je veux. Beaucoup plus encore
que lorsqu’ils étaient vraiment là. Vous comprenez ?
Ça,
pour comprendre, je comprenais, oui. Mais, par contre, ce qui
m’échappait complètement, c’est le pourquoi de toutes ces
confidences.
– Non,
parce que… on se connaît à peine. C’est la troisième fois
qu’on se voit…
– Quatrième.
– Et
ce que vous me révélez là…
– Est
de l’ordre de l’intime. Je sais, oui. Vous êtes l’une des très
très rares personnes à être au courant.
– Pourquoi
alors ? Pourquoi moi ?
– J’ai
sans doute mes raisons…
– Qui
sont ?
– Vous
le saurez, le moment venu…
4-
– Ah,
ben vous vous mettez dans l’ambiance, vous au moins, on peut pas
dire…
Des
claquements de fouet. À intervalles réguliers. Des halètements.
Des gémissements. Les coups se sont faits plus rapides, plus
sonores. des plaintes. Des cris. Déchirants.
– C’est
lui ? C’est ce bonhomme ?
Elle
fait signe que oui. De la tête. Oui.
– Faut
bien qu’il participe un peu ! C’est son portrait après
tout.
Et
elle a précisé.
– J’enregistre
toujours. Systématiquement.
Je
me suis penché par-dessus son épaule.
– En
attendant, ça avance ? Oh, oui, dites donc ! Vous en voyez
le bout, là.
– Le
bout, c’est le cas de le dire.
Elle
était en train de lui fignoler la queue.
J’ai
esquissé un sourire.
– Seulement…
– Ce
n’est pas reproduit à l’identique, je sais !
La
queue et les boules étaient effectivement réduites de moitié. Au
moins.
– Et
la raison ?
– Vous
devez bien vous en douter un peu, non ? C’est que vous êtes
tellement fiers, vous, les hommes, de ce qui vous pend entre les
jambes qu’il est extrêmement tentant de ramener tout ça à de
plus justes proportions.
Elle
s’est levée. A pris du recul.
– Je
suis pas trop mécontente de moi.
– Oh,
vous pouvez ! Vous avez vraiment un sacré coup de pinceau.
J’ai
soupiré.
– Et
dire que personne le verra jamais, ce tableau.
– Par
la force des choses.
– Peut-être
que…
– Que
quoi ? Une expo ? Une galerie d’art ? Pour que je me
retrouve avec un procès au cul ? Perdu d’avance. Non, merci.
Sans façons. Très peu pour moi.
– Mais
quand même ! Quel gâchis !
– C’est
comme ça ! J’en ai pris mon parti : tout ce que je peins
est condamné à rester ici.
– Où
personne n’en profite. Même pas vous. Tous vos tableaux ont le nez
au mur.
– Oh,
vous, vous crevez d’envie de les voir, non ?
– Il
s’agit aussi de messieurs punis ?
– Bien
sûr.
– Il
y en a beaucoup ?
– Six.
Six en tout. Sans compter celui qu’est en cours de traitement.
– Six !
Eh, ben dites donc !
– Avec
une moyenne de cinq tableaux par tête de type. Mais allez-y !
Retournez-en un ! Vous vous rendrez mieux compte. N’importe !
N’importe lequel. Celui que vous voudrez.
Je
ne me suis pas fait prier. J’en ai attrapé un hasard que j’ai
fait pivoter sur lui-même.
C’était
un type d’une quarantaine d’années, grand, athlétique, les
fesses striées de grands coups de lanières.
– Je
l’aime bien celui-là. C’est un de mes préférés.
Exactement
dans la même position que l’autre. Devant le même miroir.
– Ah,
ben oui, oui ! Il me les faut de face et de profil. En même
temps. Ça vaut pas sinon…
– Et
vous n’œuvrez qu’au martinet ? Exclusivement ?
– Oh,
non ! Non ! Je varie les plaisirs. Martinet. Main. Fouet.
Paddle. Badine. Orties. Tout m’est bon. Et dépend de l’inspiration
du moment. Vous allez voir, tenez ! Aidez-moi !
Et
on les a tous remis à l’endroit.
5-
Elle
avait accroché les tableaux aux murs.
– C’est
mieux, non ?
C’était
mieux, en effet. Nettement mieux. J’en étais bien d’accord.
Elle
en a remis un d’aplomb.
– Et
puis mes prochains souffre-douleur, comme ça, ils seront tout de
suite dans l’ambiance.
– Ah,
ça, pour savoir ce qui les attend, ils sauront ce qui les attend.
– Lequel
vous préférez, vous ?
J’ai
refait un tour.
– Peut-être
celui-ci.
– Germain ?
Il était trop, Germain. Il voulait et puis il voulait pas. En même
temps. J’en ai usé avec lui beaucoup plus sévèrement du coup.
Parce que faut savoir ce qu’on veut dans la vie. Vous croyez pas,
vous ?
Elle
avait effectivement mis la dose. Le sang perlait. Les chairs avaient
éclaté par endroits. Et ses fesses étaient d’un rouge
incandescent.
– Il
avait adoré au final. Comme quoi !
Pas
moins de huit tableaux lui étaient consacrés.
– Ben
oui, forcément ! Il a fallu sacrément du temps pour qu’elles
s’effacent complètement, les marques.
Je
suis tombé en arrêt devant un petit rouquin aux fesses joufflues
d’une vingtaine d’années.
– En
général, les jeunes, j’aime pas trop. Je préfère donner dans
l’âge mûr, voire carrément très mûr. Mais là, Kevin, j’avais
fait une exception. Je le trouvais attendrissant avec ses airs de
gros bébé. Je l’ai même laissé revenir. C’était une erreur.
Une grossière erreur. Parce qu’à l’arrivée, j’ai été
obligée de le foutre carrément dehors. Il devenait d’un
encombrant ! C’est tous les jours qu’il avait fini par venir
quémander sa fessée.
– Il
y en a beaucoup qui veulent revenir comme ça ?
– La
plupart. Mais Kevin m’a servi de leçon. Je ne remets désormais
jamais le couvert. Je ne refuse pas, non, je suis pas idiote. Je dis
plus tard. On verra. Je réserve l’avenir. Parce qu’on sait
jamais. Peut-être qu’avec l’un ou l’autre, un jour, j’aurai
envie. Même si ça m’étonnerait. J’aime pas trop le réchauffé.
Non, ce qu’il y a d’exaltant dans ce truc, c’est la nouveauté.
C’est de sentir tout à la fois l’excitation et l’appréhension
de celui qui s’en remet pour la première fois à toi. De le
découvrir. De le pousser dans ses ultimes retranchements. Tu te
prends un de ces pieds !
– Peut-être
qu’à force le filon va se tarir, non ?
– Oh,
alors là, il y a vraiment aucun risque. J’ai une liste d’attente
longue comme le bras. Et de nouvelles candidatures affluent tous les
jours. Ça vous étonne, on dirait.
– Un
peu quand même, oui ! Vous recrutez où ? Sur Internet ?
– Essentiellement,
oui ! Il y a des quantités d’hommes, vous savez, qui rêvent
qu’on leur rougisse le derrière.
– Et
quantité de femmes prêtes à le leur rougir.
– Contre
monnaie sonnante et trébuchante. Ce qui n’est pas mon cas. Moi, je
me contente d’y prendre du plaisir. Ce que je revendique haut et
fort. Et ce qui les comble d’aise. Ils se bousculent dans ma boîte
mail. Du coup, je n’ai que l’embarras du choix.
– Un
choix que vous opérez sur quels critères, si ce n’est pas
indiscret ?
– Déjà,
il faut qu’ils acceptent de se laisser photographier. Pour la
raison que vous savez. Ils ne s’y refusent pratiquement jamais.
Après, c’est au feeling. À l’instinct. En fonction de ce qu’ils
sont. De ce qu’ils ont vécu. De ce qu’ils souhaitent. De ce
qu’ils appréhendent. Le prochain, par exemple… Oh, mais j’y
pense… Vous faites quoi demain ?
– Demain ?
Rien de spécial. Pourquoi ?
– Ça
vous dirait pas d’assister ?
– Je
sais pas. Je…
– Oh,
si ! Si ! Venez ! Il faut que vous soyez là. Pour
plein de raisons. Je vous dirai…
6-
Quand
le type m’a aperçu, un grand brun, d’une quarantaine d’années,
il a esquissé un bref mouvement de recul. Qu’il a très vite
réprimé.
Elle
l’a poussé à ma rencontre.
– David,
un ami.
Il
m’a tendu une main hésitante. Sans me regarder vraiment.
Elle
a froncé les sourcils.
– Et ?
Vous vous appelez comment déjà ?
– Julien.
– Et
Julien. Qu’il s’avère malheureusement indispensable de remettre
dans le droit chemin. Par des méthodes éprouvées.
Elle
l’a pris par le bras, lui a lentement, très lentement fait faire
le tour de l’atelier. Avec un arrêt devant chaque tableau.
– Alors ?
– Je
sais pas. Choisissez, vous !
– Certainement
pas, non !
Un
deuxième tour.
– Décidez-vous !
On va pas y passer la journée.
Il
s’est lancé.
– Le
martinet.
– Eh
bien, va pour le martinet. Déshabillez-vous ! Tout, vous
enlevez tout.
Il a
jeté un regard furtif dans ma direction.
– Mais…
– Mais
quoi ? Il y a un problème ?
– Je
vous avais dit…
– Que
vous vouliez que ça se passe sans témoin. Je sais, oui, mais moi,
j’ai envie qu’il y en ait un. Maintenant, si ça vous convient
pas, vous pouvez partir. La porte est grande ouverte.
Il
n’a pas répondu. Il a quitté ses vêtements. Tous ses vêtements.
En nous tournant le dos. Et il a attendu.
Elle
a fait durer. Exprès. Deux ou trois interminables minutes.
– Contre
le mur, mains sur la tête.
Il a
obéi.
Elle
s’est approchée, tout près, a fait claquer, à plusieurs
reprises, le martinet en l’air. À quelques centimètres de son
postérieur. Et puis elle est allée se servir un café. M’en a
proposé un.
– On
s’assied, on sera mieux.
Et
on a discuté. De l’exposition Kupka au Grand Palais. De
Giacometti. Des « Fiancés » de Manzoni. De Palestrina.
Longtemps.
– Bon,
mais c’est pas tout ça ! Faudrait peut-être que je
l’expédie, l’autre, là-bas. Il va sécher sur pied, sinon.
Elle
s’est levée.
– J’en
ai pas pour longtemps.
Lui
a promené les lanières tout au long du dos.
– Inutile
de faire de longs discours. Tu sais ce qu’on te reproche. Et ce que
TU te reproches.
– Oui.
– Eh
bien allez, alors !
Et
elle a cinglé. Sept ou huit coups. À toute volée. Qui se sont
inscrits en longues hachures horizontales, à pleines fesses. Il a
hurlé.
– Mais
faut pas crier comme ça ! Quelle doudouille vous faites…
Elle
a suivi, du bout de l’index, sur sa croupe, les contours des
traînées rosées que le martinet y avait déposées.
– Bon,
mais on va s’offrir un petit bonus, du coup. Ça vous apprendra. Et
tâchez de vous comporter en homme, cette fois…
Encore
cinq ou six coups. Il a serré les dents, les poings, mais a quand
même fini par crier. Une sorte de long sanglot étranglé en
continu.
Elle
a haussé les épaules.
– Vous
êtes décidément irrécupérable. Venez là !
Devant
le miroir.
– Tournez-vous
très légèrement vers la droite. Comme ça, oui. Ne bougez plus !
Elle
a pris cliché sur cliché.
– Je
garderai le meilleur.
Lui,
pendant ce temps-là, il s’efforçait désespérément d’éviter
mon regard dans la glace. Sans y parvenir. C’était plus fort que
lui : il y était constamment ramené.
– Là,
c’est bon. Vous pouvez aller vous rhabiller.
Il
s’est précipité sur ses vêtements.
– Mais
n’oubliez pas ! Il est dix heures. Je vous attends à dix
heures ce soir.
7-
Aussitôt
la porte refermée, elle m’a applaudi. Du bout des doigts.
– Vous
avez été parfait. Absolument parfait.
– Moi ?
– Vous,
oui. Comment vous l’avez mis mal à l’aise !
– Je
n’ai pourtant rien fait pour ça.
– Que
vous dites.
– Je
vous assure…
– Vous
aviez une de ces façons de le regarder. Vous le dévoriez des yeux,
oui !
– Je
me suis pas rendu compte.
– Lui
qui voulait pas de témoins, surtout masculins, ben, pour le coup, il
était servi. Ah, il a pas fini d’y repenser. Et d’appréhender
de vous trouver encore là ce soir. Vous y serez ?
– Je
sais pas, je…
– Bien
sûr que si ! Vous en crevez d’envie, avouez ! On va pas
le ménager, vous allez voir ! J’adore. J’adore vraiment.
Bon, mais en attendant, c’est pas tout ça. J’ai du travail.
Elle
s’est installée devant son chevalet. A fait défiler les photos
qu’elle venait de prendre. Hésité.
– Spontanément,
j’irais plutôt vers celle-là. Les zébrures y sont bien mises en
valeur. Mais, d’un autre côté, sur l’autre, là, j’adore
l’expression de son visage. Il y a un petit je ne sais quoi…
C’est pas le plaisir. C’est pas la honte. C’est un peu des
deux. Avec quelque chose en plus. Que j’arrive pas vraiment à
définir. Non. J’hésite. J’hésite vraiment. Laquelle vous
choisiriez, vous ?
– Oh,
la première. Sans la moindre hésitation.
– J’en
étais sûre.
Elle
a éclaté de rire.
– Pourquoi
vous riez ?
– Non.
Pour rien. Comme ça.
– Mais
si ! Dites…
– Ses
attributs masculins y sont très apparents.
– Je
n’y avais pas prêté la moindre attention.
– Ça
vous attire, les hommes, hein !
– Absolument
pas.
– Oh,
mais je vous crois ! Je vous crois.
Avec
un petit sourire entendu qui signifiait, à l’évidence, qu’elle
n’en pensait pas un mot.
Elle
a déposé une première touche de couleur sur la toile.
– On
pourrait faire une sacrée bonne équipe, tous les deux, n’empêche,
si on voulait !
– Comment
ça ?
– Une
femme seule, qui reçoit des hommes chez elle, dans les conditions
que vous savez est exposée à ce qu’à un moment ou à un autre,
les choses dérapent. Quand bien même elle ferait preuve de la plus
extrême prudence.
– Ça
vous est déjà arrivé ?
– Une
fois. Non deux. J’ai réussi à me tirer d’affaire, mais c’est
passé fin. Très fin. Si bien que si je disposais, en permanence,
d’un comparse, je vivrais les choses de façon beaucoup plus
sereine. Et ça me permettrait de retenir des candidatures que je
rejette, à l’heure actuelle, impitoyablement parce qu’elles me
paraissent présenter des risques sérieux.
– Je
comprends mieux.
– Vous
comprenez mieux quoi ?
– Pourquoi
vous avez tant tenu à reprendre contact avec moi.
– C’est
peut-être l’une des raisons. Ce n’est pas forcément la plus
importante.
– Ah…
Et c’est quoi la plus importante ?
Elle
a posé un doigt sur ses lèvres.
– Chuuuut…
8-
– Dix
heures et quart. On peut faire une croix dessus. Il viendra plus.
J’ai
voulu lui trouver des excuses.
– Il
est peut-être juste un peu en retard. Il va arriver.
– Et
il repartira aussi sec. Avec moi, l’heure, c’est l’heure. Je
suis pas à sa disposition. Non, mais, de toute façon, il se
pointera pas. Vous trouver là, ce matin, l’a complètement
perturbé. Mais ça, le connaissant, je m’en doutais bien un peu.
J’ai voulu tenter le coup quand même. Je le regrette absolument
pas. J’ai passé un excellent moment.
– Pour
ce qui est de votre série de tableaux, par contre…
– Oh,
mais ce n’est que partie remise, vous verrez ! Dans trois ou
quatre jours, il va reprendre contact avec moi. Je lui battrai froid.
Il s’excusera platement, me suppliera de lui donner une seconde
chance. Je finirai par accepter. Après avoir longtemps fait mine de
tergiverser. Et à la condition qu’il accepte d’en passer par
tout ce que je voudrai.
– Je
crains le pire.
– Ah,
ça, je vais pas le ménager. À un vrai feu d’artifice il va avoir
droit.
– Qui
consistera en quoi ? On peut savoir ?
– Vous
verrez. Le moment venu. Parce qu’évidemment vous serez là.
On a
dîné ensemble.
– Mais
à la bonne franquette, hein ! Je me mets pas aux fourneaux à
cette heure-ci.
Elle
avait quand même trouvé moyen de nous sortir deux truites de je ne
sais où et une bouteille de Pouilly fumé – bien fraîche –
de derrière les fagots.
– Je
peux vous poser une question ?
– Essayez
toujours, vous verrez bien…
– Vous
prenez manifestement beaucoup de plaisir à infliger de cuisantes
corrections et à en caresser ensuite amoureusement les marques, du
bout du pinceau. Ce traitement de faveur est-il réservé
exclusivement aux hommes ou vous arrive-t-il parfois d’en faire
bénéficier vos consœurs ?
– Cela
ne s’est encore jamais produit. Et ne se produira sans doute
jamais.
– Les
croupes masculines sont donc les seules à vous tenter ?
– Vous
êtes très perspicace.
– Et
la raison ?
– En
faut-il absolument une ?
– Ça
vous vient bien de quelque part cette envie… Il y a toujours une
origine à tout, non ? Vous avez peut-être vu des films ou lu
des livres qui vous ont particulièrement marquée…
– Si
c’est le cas, je ne m’en souviens pas.
– Ou
alors vous en avez reçu. À un moment ou un autre de votre
existence. De la main d’un homme. Et c’est la réponse de la
bergère au berger.
– Pas
davantage.
– Il
y a sûrement quelque chose. Forcément. Que vous avez oublié. Que
vous vous êtes forcée à oublier.
– Ou
dont je me souviens très bien au contraire.
– Ah,
vous voyez ! C’est quoi ?
– Vous
êtes bien curieux. Si on parlait de vous plutôt ?
Racontez-moi ! Vous en avez déjà donné, vous, des fessées ?
– Jamais,
non !
– Reçu
alors ?
– Non
plus.
– Et
ça ne vous a jamais tenté ?
– Absolument
pas.
– Ça
viendra peut-être, qui sait ?
– Alors
ça, ça m’étonnerait.
9-
Elle
m’a laissé quinze bons jours sans nouvelles. Je faisais, de temps
à autre, un saut jusqu’à son atelier. En vain. Elle n’était
pas là. Ou ne voulait pas répondre.
Tant
et si bien que je me posais une foule de questions. Est-ce que
j’avais fait ou dit quelque chose qui lui avait déplu ?
Est-ce qu’elle avait finalement trouvé mon comportement avec ce
Julien, même si je n’en avais, sur le moment, absolument pas eu
conscience, complètement déplacé ? À moins que les questions
que je m’étais laissé aller à lui poser l’aient fortement
indisposée à mon égard. Ou bien encore qu’elle n’ait jeté son
dévolu sur moi que parce qu’elle espérait pouvoir me martyriser,
à moi aussi, le derrière, et comme je ne lui avais guère laissé
d’espoir de ce côté-là…
J’en
étais là de mes réflexions quand, un beau matin, mon portable a
enfin sonné.
– David ?
C’est moi, Julie.
Ben
oui. Je l’avais reconnue, oui.
– Écoute,
tu voudrais pas me rendre un service ?
Le
tutoiement. Spontanément. Pour la première fois.
– Si
c’est dans mes possibilités…
– Il
y a en un qui doit venir demain matin. Pour ce que tu sais. A priori,
je crois pas qu’il y ait vraiment de danger, mais, vu le contexte
dans lequel ça doit se passer, il n’est quand même pas exclu que
les choses dégénérent. Alors, si tu pouvais être là…
– C’est
sans problème. Tu me dis juste à quelle heure faut que je vienne.
– Sept
heures.
– J’y
serai.
C’est
moi qui lui ai ouvert la porte. Un type d’une cinquantaine
d’années, très à l’aise, qui m’a serré la main.
– Charles…
– Enchanté.
David…
Il a
jeté un regard indifférent autour de lui, s’est laissé tomber
dans le premier fauteuil venu.
– Elle
est pas là, Julie ?
– Elle
va arriver. Par contre, elle a demandé qu’aussitôt arrivé, vous
vous déshabilliez. Complètement.
– À
ses ordres.
Et
il l’a fait. Tranquillement. Posément. Chaque vêtement
soigneusement plié, déposé avec précaution sur le fauteuil. Avant
d’aller s’absorber dans la contemplation des tableaux, mains
croisées dans le dos.
– J’ai
de la concurrence, on dirait…
C’est
alors qu’elle a surgi, seins nus, vêtue en tout et pour tout d’une
minuscule petite culotte noire ajourée qui ne laissait pas ignorer
grand-chose de ce qu’elle était supposée dissimuler.
Il
lui a jeté un bref regard. Et lui a aussitôt tourné le dos.
– Face
à moi !
Il a
fait celui qui n’entendait pas.
– J’ai
dit : face à moi !
Il
s’est retourné.
– J’en
étais sûre !
Il
bandait comme un cerf.
– Je
vous l’avais interdit. Formellement. Non ? Je vous l’avais
pas interdit ?
– Ben
si, mais…
– Mais
quoi ?
– Je
peux pas. Quand je vous ai vue… Quand je vous vois… Non, je peux
pas.
– Bien
sûr que si, vous pouvez ! Tout le monde peut !
– Pas
moi !
– Vous
aussi ! On va faire ce qu’il faut pour, vous allez voir…
Et
elle a abattu le martinet.
10-
– Tu
dis rien ?
Il
venait de partir, le type. Et elle, d’enfiler un peignoir. Vert à
petites fleurs roses.
– Hein ?
Tu dis rien ? T’es choqué, c’est ça ?
– Choqué ?
Bien sûr que non. Pourquoi je serais choqué ?
– Parce
que je lui reproche de bander. Que je le lui interdis. Que t’es un
mec. Et que bander, c’est le genre de truc à quoi un mec il tient
plus qu’à n’importe quoi au monde.
– Faut
reconnaître qu’il pouvait difficilement prétendre qu’il bandait
pas.
– En
fait, c’est quelqu’un qui voudrait absolument réussir à se
maîtriser de ce côté-là.
– Ça
risque de pas être simple…
– Si
j’ai bien compris, mais j’ai pas cherché à approfondir non
plus, si j’ai bien compris, il est soumis à des tentations
auxquelles il est impératif pour lui de parvenir à résister. Il a
donc sollicité mon aide.
– Que
tu as généreusement consenti à lui apporter. Quelle bonne
Samaritaine tu fais !
– Fiche-toi
bien de moi ! Non, il est bien évident que si je n’y avais
pas trouvé mon compte…
– Et
largement… Ah, tu y es pas allée de main morte. Il va pas pouvoir
s’asseoir d’un moment, le pauvre homme !
– C’était
pas la mer à boire non plus.
– Enfin…
– Il
s’en remettra.
– On
se remet toujours de tout. En tout cas, ce qu’il y a de sûr, à te
voir faire, c’est que tu prends un pied pas possible à mettre des
derrières en feu.
– Je
n’ai jamais prétendu le contraire, mais, au risque de te
surprendre, ce n’est pas ce qui est vraiment essentiel à mes yeux.
– Ah,
oui ? Et c’est quoi alors ?
– Moi,
tu sais, dès qu’il y a un challenge à relever…
– Et
celui-là, il est de taille.
– Mais
surtout, il me parle. Parce que, quand t’es une femme, c’est sans
arrêt… sans arrêt… sans arrêt qu’ils t’emmerdent avec leur
queue, les mecs. D’une façon ou d’une autre. Ils sont totalement
incapables de se réfréner là-dessus. Et, au quotidien, ça te
pourrit littéralement la vie. Alors, quand il t’en tombe un entre
les pattes, bien décidé à faire de louables efforts pour modifier
son inacceptable comportement dans ce domaine, faudrait être
complètement stupide pour ne pas sauter sur l’occasion.
– Je
vois. En somme, tu ne choisis jamais tes victimes au hasard.
– Jamais.
Quand on a l’embarras du choix, on peut se permettre d’être très
sélective.
– Et
Julien, lui alors, quels ont été les critères ?
– Oh,
Julien ! C’est tout un poème, Julien. Au départ, je l’avais
éliminé. Il a insisté, m’a adressé d’interminables missives.
J’ai fini par le trouver attachant et par lui soupçonner, à tort
ou à raison d’avoir des tendances homosexuelles dont il n’a
absolument pas conscience. Et je me suis lancé pour défi de les
faire progressivement remonter à la surface. Et de l’amener à les
accepter.
– Vaste
programme ! Et… d’autres challenges en vue ?
– Bien
sûr.
– Qui
sont ?
– Ah,
ça, cher ami, c’est encore mon secret. Chaque chose en son temps.
Et, pour l’heure, ce qui est d’actualité, c’est Charles. Qui
fera sa réapparition tout à l’heure quand les douze heures
fatidiques se seront écoulées. Tu seras là ?
– Si
ma présence t’est encore indispensable.
– Elle
l’est.
11-
– En
espérant qu’il va pas nous poser aussi un lapin, celui-là…
– Alors
là, lui, je suis bien tranquille. J’ai assez discuté avec. Il y a
pas le moindre risque. Par contre, ce que je me demande, c’est si
je vais suivre le cérémonial habituel.
– Comment
ça ?
– Ben,
ça devient lassant à force. En tout cas pour moi. Je les dérouille.
Photos. Douze heures. Rephotos. Redouze heures. Rerephotos. Jusqu’à
extinction des feux fessiers. Quelques petits coups de pinceau par
là-dessus, à mes moments perdus. Et je remets ça avec un autre.
Non, faudrait peut-être bien que je change un peu de registre. De
façon de procéder. Même si, sur le fond, je touche absolument à
rien.
– Oh,
toi, t’as une idée derrière la tête…
– Non ?
Tu crois ?
Elle
a regardé l’heure, s’est levée.
– Il
va arriver. Tu lui ouvres ? Je reviens.
Un
bref…
– Ça
va depuis ce matin ?
Et
il s’est déshabillé sans un mot.
Elle
a presque aussitôt fait son apparition. En peignoir. Le même
peignoir.
– Tournez-vous !
Il
lui a docilement obéi.
Elle
lui a contemplé un long moment les fesses.
– Mouais…
Ça a pas trop bougé depuis ce matin. Ça veut pas vraiment
s’épanouir en jolis rouges profonds. Le mieux, du coup, ce serait
peut-être qu’on reprenne tout à zéro. Non ? Vous croyez
pas ? Ben, regardez-moi !
Il
s’est retourné, a été sur le point de dire quelque chose, s’est
ravisé, finalement tu.
– À
moins que ce ne soit finalement pas nécessaire. Que la leçon de ce
matin n’ait porté ses fruits. C’est le cas ?
– C’est
le cas.
Elle
a eu une moue dubitative.
– Espérons-le !
Non, parce que ce qu’il faut bien que vous finissiez par vous
mettre dans la tête, vous, les mâles, c’est que vous n’avez
absolument pas à éprouver de désir à notre égard tant que nous
ne le souhaitons pas. C’est parfaitement inacceptable. Nous ne
sommes pas des instruments voués à la satisfaction de vos appétits
sexuels. Quant aux lieux communs éculés habituels, « Ça ne
se commande pas ! » « C’est une réaction
physiologique incontrôlable », et autres sornettes du même
tabac, vous n’en êtes plus là, j’espère…
– Non.
– Sûr ?
– Sûr.
– Me
voilà rassurée. Je peux donc laisser tomber mon peignoir sans
susciter, de votre part, de réaction inappropriée ?
– Vous
le pouvez.
– Sachant
quand même que, là dessous, je suis complètement nue.
À
peine a-t-elle eu le temps de faire mine d’en dénouer la ceinture
que la queue du type a fait un bond, s’est élancée, dressée
toute droite, palpitante.
Elle
s’est interrompue. A éclaté de rire.
– Va
encore falloir que j’aille au charbon. Vous êtes décidément
incorrigibles, vous, les mecs, hein ! Bon, mais allez !
Avec
un grand soupir.
Elle
s’est emparée du martinet qui était posé au pied du chevalet.
Est passée derrière lui. A lentement promené les lanières sur ses
épaules, sur son dos, sur ses fesses.
– Je
vais l’enlever mon peignoir. Je serai beaucoup plus à l’aise
pour vous corriger. Mais vous ne verrez pas. Vous ne verrez rien.
Vous avez interdiction formelle de vous retourner.
Et
elle l’a fouetté. Entièrement nue.
12-
– Celle-là ?
Ou celle-là plutôt, non ?
Elle
n’arrivait pas à se décider.
– Mais
aide-moi plutôt, au lieu de rester planté là comme une bûche…
J’en
savais rien, moi. Qu’est-ce qu’elle voulait que j’en sache ?
Elles se ressemblaient toutes ces photos. À d’infimes détails
près.
– Bon,
allez ! On va pas tergiverser comme ça pendant des heures. Ce
sera celle-là. J’aime bien l’expression qu’il a là-dessus.
Tout penaud. Tout repenti. Avec, en même temps, une pointe
d’arrogance qu’il s’efforce tant bien que mal de dissimuler.
Elle
a posé une toile vierge sur le chevalet, s’est installée, saisie
d’un pinceau.
– Bon,
mais et toi ? Raconte ! Comment tu l’as vécu tout ça ?
– Il
a pris cher. J’aurais pas aimé être à sa place.
– C’est
pas ce que je te demande. Ce que je veux savoir, c’est comment t’as
vécu ça de ta place à toi.
– C’est-à-dire ?
– Fais
bien l’innocent !
– Tu
veux la vérité vraie ?
– De
préférence, oui…
– Ça
va être difficile.
– Parce
que ?
– Parce
que tu as des idées très arrêtées sur le sujet, que tu es
terriblement bien foutue, que je ne suis pas de bois et que…
– Et
que, quand j’ai laissé tomber mon peignoir, tu t’es mis à
bander comme un furieux… Bon, ben voilà, c’est dit. Cela étant,
je m’en doutais, hein ! Je suis pas complètement idiote.
– Et
tu ne m’en tiens pas plus rigueur que ça ? Après tout ce que
tu…
– Non,
mais faut pas tout mélanger, attends ! Parce qu’un mec comme
Charles dont la queue se dresse systématiquement pour n’importe
quelle nana, sans distinction, qui veut qu’elle sache, qu’elle
sente que, pour lui, elle n’est qu’un trou à remplir et rien
d’autre, c’est un véritable calvaire pour nous, les femmes. T’en
as partout de ceux-là. Ils est visqueux leur désir. Il est glauque.
Il t’humilie. Il t’écœure. Il te donne envie de gerber. Alors
oui, oui ! Ceux-là il faut la leur refouler dans la gorge, leur
envie de nous. La leur renvoyer dans la gueule. L’anéantir. C’est
faire œuvre de salubrité publique. Mais heureusement, t’as pas
que ça. T’en as d’autres, par contre, tu perçois parfaitement
que leur désir, c’est un hommage qui t’est personnellement
destiné. Que c’est toi, en tant que telle, et personne d’autre,
qui les met dans cet état-là. Ça a quelque chose de gratifiant,
d’émouvant, même si, au bout du compte, ça te laisse
complètement indifférente. Si tu n’as pas la moindre intention de
les payer de retour. Ils ont envie de toi ? Eh bien, qu’ils
aient envie de toi ! Tant qu’ils veulent. Ça les regarde. Et
ça te dérange pas. Tant que ça reste dans les clous. Et puis, t’as
les autres, ceux qui t’émeuvent, dont le désir éveille le tien.
Que t’as envie de sentir dressés contre ton ventre. Dans les bras
desquels tu aspires à t’abandonner. Complètement. Avec qui ça se
passe. Ou ça se passe pas.
– Et
moi, alors ? Dans quelle catégorie tu me ranges ?
– À
ton avis ?
– La
deuxième ?
– Peut-être.
– Seulement
peut-être ?
– De
toute façon, pour le moment, la question n’est pas là.
– Ah,
bon ! Et elle est où alors ?
– Elle
est que j’ai besoin de toi. D’un assistant. D’un garde-fou. Je
ne veux peux pas courir le risque qu’un de ces jours Charles, ou un
autre du même acabit, me « saute » dessus. Et que t’es
très bien dans le rôle. J’ai misé sur le bon cheval. Même si
t’as encore quand même pas mal de progrès à faire. Si tu
pourrais t’investir davantage. Me donner des conseils, des idées,
j’sais pas, moi ! Oh, mais ça viendra, ça, avec le temps.
Sûrement. Quand t’auras trouvé tes marques et que, d’une façon
ou d’une autre, t’y prendras vraiment du plaisir à tout ça.
13-
Elle
avait voulu que je dorme là. Chez elle. Dans la chambre d’amis.
– Ben
oui, attends ! Je vais pas te foutre dehors à cette heure-ci
pour te faire revenir aux aurores. D’autant que t’habites pas la
porte à côté.
Quand
il est arrivé, le lendemain matin, à sept heures tapantes, elle
était sous la douche. Elle m’a crié d’aller ouvrir.
– Ben,
oui ! Ça fait partie de tes attributions, ça, maintenant.
Il
était tout sourire. Parfaitement détendu. Parfaitement à l’aise.
Du moins en apparence.
– Salut !
Faut que je fasse quoi, moi, là, maintenant ? Elle vous a dit ?
– Non,
mais comme d’habitude, je suppose…
– Il
y a de grandes chances, oui.
Et
il a entrepris de se dévêtir. Tout en me faisant un brin de
causette.
– Vous
êtes qui, vous, en fait ? Son mec, c’est ça ?
– Si
on vous le demande…
– Oui,
bon, okay ! Ça me regarde pas. En attendant, en douce que vous
devez bien vous marrer à me voir me démener comme un beau diable
pour essayer de pas bander.
– Sans
y arriver…
– Ah,
ça ! C’est pas faute de prendre mes dispositions avant
pourtant ! Dans la voiture. Juste avant de monter. Vous voyez ce
que je veux dire. Ça y fait rien. Rien n’y fait rien n’importe
comment. Et, de toute façon, quand bien même j’y arriverais, ça
prouverait quoi dans des conditions pareilles ? Je l’abuserais
peut-être, elle –et encore ! –, mais je ne
m’abuserais pas, moi. Non. Faut que je me fasse une raison. Que
j’en prenne mon parti. J’aurai beau dire et beau faire, ce truc
que j’ai entre les jambes m’emmerdera toute ma vie.
– Mais
non ! Pas forcément !
– Oh,
que si ! J’ai tout essayé. Tout. Les médecins. Ils m’ont
filé des traitements de merde qui m’ont transformé en zombie. Les
psys. Ils m’ont fait raconter mon enfance. J’ai perdu mon temps.
Je suis tombé entre les pattes de deux ou trois charlatans qui m’ont
sucé mon pognon. Sans résultat. Et là, ici, c’est pareil. Sauf
qu’elle me demande pas un rond. On m’avait pourtant assuré que
ce serait radical. Tu parles !
– C’est
si handicapant que ça ?
– C’est
rien de le dire. Ne pouvoir penser qu’à ça… Toute la journée…
Toute la journée… Toute la journée… Et à rien d’autre.
Jamais. Non, mais vous imaginez ?
– Mal.
– J’en
crève, il y a des jours. Si vous saviez comme je rêve de pouvoir
m’intéresser à autre chose. Au foot. À l’Histoire. Aux
voyages. À n’importe quoi. Mais à autre chose. Seulement, non.
Non. J’y suis en permanence ramené. C’est plus fort que moi. Je
suis emprisonné là-dedans. Rien d’autre ne compte. Jamais. Et les
femmes ! Ah, les femmes ! Ce que j’aimerais, parfois,
qu’on puisse discuter, elles et moi. Les écouter. Sans
arrière-pensée. Partager. Mais non ! Non ! Pour moi ce ne
sont jamais rien d’autre que des proies. Des proies vers lesquelles
ça se dresse, là, en bas. Des proies qu’il me faut. Et que je
vais dépenser des trésors de diplomatie, de persuasion et
d’hypocrisie pour m’efforcer d’obtenir. Non. Je me fais plus
d’illusions. C’est sans issue. Je suis condamné à mariner
éternellement dans mon jus.
– Il
doit quand même bien y avoir une solution !
– Laquelle ?
Votre copine, là, avec ses tableaux ? J’y crois pas. J’y
crois plus.
– Vous
allez mettre un terme ?
– Même
pas, non ! Et vous savez pourquoi ? Ça va sûrement vous
paraître très con. Parce que je sais que j’ai aucune chance avec
elle. Que je parviendrai pas à mes fins. Et ça a quelque chose
d’extraordinairement reposant.
– Eh
bien, les garçons ! On est en pleine discussion à ce que je
vois…
Elle
était nue.
Il a
bandé.
14-
– Ah,
il t’a dit ça ?
– Mot
pour mot.
– Et
tu l’as cru ?
– Ben…
– Il
y avait certainement une bonne part de comédie là-dedans, va, pas
besoin de t’en faire !
– Ça
donnait pas vraiment cette impression.
– Tu
parles qu’il y arrive pas à se maîtriser ! À d’autres !
T’y arrives bien, toi ! T’y arrives pas peut-être ?
– Mais
si, mais…
– Ah,
tu vois ! Toi, t’as pas la queue en l’air à tout bout de
champ. T’as pas la langue qui pend de dix kilomètres à chaque
nana qui passe. Alors ce qu’est possible pour toi, pourquoi ce
serait pas possible pour lui ?
– Parce
qu’on réagit pas tous pareil.
– Oui,
oh, alors ça ! Non, je vais te dire ce que c’est son
problème, à Charles. C’est qu’en réalité, au fin fond de
lui-même, il a pas vraiment envie de modifier en quoi que ce soit à
son comportement. Il s’en donne l’illusion. Pour tout un tas de
raisons. Parce que ses agissements lui ont causé – et ne
cessent pas de lui causer – toutes sortes de désagréments.
Parce que l’image que tout ça lui renvoie de lui-même n’est pas
très gratifiante, c’est le moins qu’on puisse dire. Alors il
prend la pose. « Je vais changer. Il faut que je change. Je
demande que ça. Et, pour preuve de sa bonne volonté, il tente un
peu tout et n’importe quoi. Ce qui lui donne bonne conscience.
« J’ai fait ce que j’ai pu. Tout ce que j’ai pu. Ça n’a
servi strictement à rien. » Forcément. Quand on n’a pas
fondamentalement envie de changer, eh bien on ne change pas. C’est
pas plus compliqué que ça…
– Quand
même ! Quand même ! Il avait l’air vraiment mal…
– Et
les femmes sur lesquelles il jette, au quotidien, des regards
affamés, elles sont pas mal, elles ? Tu sais ce que c’est,
toi, de devoir essuyer, à longueur de trottoir des avances
humiliantes, des commentaires salaces, de se faire traiter de pute ou
de salope parce qu’on est en jupe ou en robe ? Tu sais ce que
c’est d’être en permanence sur le qui-vive ? De devoir, dès
qu’on se trouve dans une foule un peu compacte, repousser des mains
résolument baladeuses ? Tu sais ce que c’est de jamais
pouvoir profiter d’un moment de tranquillité quand on s’aventure
à l’extérieur ? Et tout ça à cause de types comme Charles.
Copies conformes. Alors je vais te dire : ses états d’âme,
il peut se les carrer où je pense. Parce que tu vas voir que bien
pris, parti comme c’est, à l’entendre, ça va être lui la
victime. Alors non, David, non ! Je ne plaindrai pas Charles.
Sûrement pas. Ni lui ni les autres.
– Il
y a peut-être quand même une petite chance, non ?
– Une
petite chance que quoi ?
– Qu’il
change. Qu’il s’amende. Je sais pas, moi !
– J’y
crois pas une seule seconde.
– Tu
vas faire quoi alors, du coup, avec lui ?
– Mais
rien. Rien du tout. Qu’est-ce tu veux que je fasse ?
– Tu
vas pas le garder ?
– Demain,
après-demain au plus tard, les marques auront complètement disparu.
Il n’y aura plus aucune espèce de raison pour que je le garde par
les pieds.
– Il
y compte bien pourtant.
– Oui,
ben alors ça, c’est le cadet de mes soucis. Il est pas seul au
monde. Tu verrais tous ceux qu’attendent derrière !
– Avec
les mêmes motivations que lui ?
– Plus
ou moins. Mais ça, je m’en fiche un peu, en réalité, de leurs
motivations. C’est pas ça, à mes yeux, l’essentiel. Même si
j’en tiens compte. Même si je m’en sers. Par contre, ils ont
tous en commun de ne considérer la femme que comme un objet voué à
la satisfaction de leurs instincts les plus primaires.
– Ce
qui te permet de régler tes comptes.
– Dans
un sens, on peut dire ça comme ça, oui.
15-
Elle
lui a lancé une petite claque sur les fesses.
– Bon,
ben voilà. Vous pouvez vous rhabiller. On a fait le tour de la
question.
– Mais…
– Mais
quoi ? Il n’y a plus la moindre marque.
– Oui,
mais le problème n’est pas réglé pour autant.
Ah,
ça, pour pas l’être, il l’était pas. Il bandait tout ce qu’il
savait, le bougre.
– Il
ne le sera jamais, réglé, le problème. Et vous le savez très
bien. Vous êtes irrécupérable.
– Mais
non, je vous assure…
– Assez
discuté. Rhabillez-vous !
– Vous
pouvez pas me laisser une petite chance ?
– Rhabillez-vous !
Il a
commencé à le faire. Avec un profond soupir.
– Je
pourrai voir les tableaux, au moins, quand ils seront finis ?
– Je
ne sais pas. J’aviserai. Je vous dirai.
Et
elle lui a tourné le dos. Elle a regagné sa chambre.
Il
m’a jeté un regard suppliant.
– Vous
pourriez pas intercéder, vous ?
– Je
verrai ce que je peux faire. Mais vous savez, elle, pour la faire
changer d’avis… Mais j’essaierai. Je vous promets d’essayer.
– Merci.
– Il
est parti ?
– Il
est parti, oui. Mais comment il avait l’air déçu !
Elle
a levé les yeux au ciel.
– Ils
sont tous déçus quand c’est fini. Tous ! Ou quasiment. T’as
vu le nombre qu’il y en a déjà ? Sans compter ceux
qu’attendent. Alors je peux matériellement pas me mettre sur le
pied de jouer les prolongations avec tout ce monde. J’en sortirais
plus. Cela étant, je les garde quand même sous le coude. On sait
jamais. Je réserve l’avenir.
– On
n’aurait vraiment pas dit tout à l’heure.
– J’avais
pas le choix. Charles, c’est le genre de type que je cours le
risque de trouver tous les matins sur mon paillasson si je le recadre
pas d’entrée de jeu. Il sera toujours temps, après, de desserrer
un peu l’étau. Parce qu’il va m’écrire. Je te parie tout ce
que tu veux que, dès ce soir, demain au plus tard, j’aurai un
mail, voire deux ou trois. Je me montrerai alors beaucoup plus
conciliante. Je lui distillerai un peu d’espoir. À la condition
expresse qu’il attende mon bon vouloir. Qu’il s’abstienne de
m’assaillir de récriminations intempestives. Bon, mais allez !
Assez parlé de lui… Surtout qu’il y en a un autre, là, qui
devrait pas tarder à arriver.
– Déjà !
Tu perds pas de temps, dis donc !
– Jamais.
C’est un dénommé Domitien. Vingt-deux ans. Que mon projet de
tableau toutes les douze heures enthousiasme, paraît-il.
– Un
artiste…
– Oui,
oh… Ses véritables motivations sont très vraisemblablement
ailleurs. Le challenge, pour moi, va consister à les débusquer.
Mais il y a pas que ça ! Il y a qu’il ressemble comme deux
gouttes d’eau à un type que j’ai connu jadis.
– Un
ex ?
– Oui,
oh, ben alors ça, il y a pas de risque. Non. C’était quand
j’étudiais la peinture, à Vienne, avec un maître de renom. Lui
aussi, il suivait ses cours. Une belle enflure, oui ! Je te
raconterai.
16-
Il
avait vraiment pas l’air rassuré, ce Domitien, c’est le moins
qu’on puisse dire. Il était blême. Ses mains tremblaient.
Julie
a fait tournoyer le martinet autour de sa tête.
– Bon,
allez ! On y va ?
– Attendez !
Attendez ! Dites-moi avant… Ça va se passer comment ?
Elle
a haussé les épaules.
– Comment
tu veux que ça se passe ? Tu vas te désaper et je vais te
fouetter. C’est pas plus compliqué que ça.
– Oui,
mais…
– Mais
quoi ?
– Ça
va faire mal ?
– Ah,
ben oui ! Ça ! Forcément…
– C’est
obligé ?
– Évidemment
que c’est obligé ! Parce que le but, je te le rappelle, c’est
d’obtenir des marques significatives et suffisamment durables pour
qu’on puisse en tirer quatre ou cinq tableaux des plus décoratifs.
J’ai été assez claire là-dessus, ce me semble.
– Vous
l’avez été, oui.
– Eh
bien alors ?
– C’est
que…
– Tu
te dégonfles ? Tu serais pas le premier. Bon, mais, c’est pas
un problème, ça ! J’attends pas après toi. Il y en a des
dizaines et des dizaines qui rêvent d’être à ta place. Alors tu
arrêtes de me faire perdre mon temps et tu dégages…
– Oh,
non ! Non ! S’il vous plaît !
– Faudrait
savoir ce que tu veux…
– Mais
je le sais ! Seulement ça me fout quand même une trouille
bleue.
– La
peur est faite pour être dépassée. Bon, mais ça suffit. Assez
discutaillé. T’as quinze secondes pour te mettre à poil. Passé
ce délai, je considérerai que tu renonces. Et ce sera sans appel.
Il a
jeté un regard dans ma direction. Comme pour solliciter de l’aide.
Et puis il s’est décidé. Il a arraché tous ses vêtements qu’il
a abandonnés à même le sol.
– Eh
bien voilà ! Va te mettre là-bas ! Non, là-bas !
Devant le miroir. Et les mains sur la tête. Pour te punir de cette
petite comédie que tu viens de nous infliger. Non, mais qu’est-ce
que c’est que ces façons de danser d’un pied sur l’autre ?
Je veux. Je veux plus. Je veux quand même. Pour la peine je vais te
corriger beaucoup plus sévèrement que je ne l’aurais fait si tu
t’étais comporté, d’entrée de jeu, avec un peu plus de
courage. Ah ben si, si ! Tu vas pas encore recommencer à faire
tout un tas d’histoires ?
Il a
baissé la tête.
– Non.
Elle
est venue se placer derrière lui. Leurs regards se sont croisés
dans la glace. Se sont retenus. Elle lui a promené longuement les
lanières le long des fesses. Le long des jambes.
– Je
vais te donner un conseil. Pour qu’elle soit plus supportable, la
douleur. Tu as sûrement fait, dans ta vie, des choses pas bien
jolies. Dont tu n’as vraiment pas de quoi être fier. Tu en fais
même très probablement encore. Non ?
– Si !
– Ah,
tu vois… C’est quoi ?
– Je…
– Tu
veux pas le dire ? C’est pas grave. Tu y viendras. En temps
voulu. L’essentiel, pour le moment, c’est que toi, tu le saches
et que tu gardes bien à l’esprit que c’est pour ça que tu es
puni. Que ce n’est que justice. Vu ?
– Oui.
– Alors,
cette fois, on y va.
Elle
a cinglé. De toutes ses forces. Il a hurlé.
17-
– Cette
raclée qu’il s’est ramassée !
– Oui,
hein ! Je suis pas mécontente de moi.
– Et
quel pied t’as pris à la lui flanquer !
– Ça
s’est vu tant que ça ?
– Comme
le nez au milieu de la figure.
– C’est
sa faute aussi ! On n’a pas idée de ressembler, comme deux
gouttes d’eau, à cette espèce d’enflure de Christopher.
– C’était
qui ce Christopher ?
– Une
belle petite saloperie. Et il était pas le seul. Il y en avait
d’autres.
– Tu
m’avais dit que tu me raconterais.
– On
ira manger quelque part ensemble à midi. On aura tout notre temps
comme ça.
– Je
t’écoute…
Elle
a repoussé son assiette sur le côté, croisé les bras sur la
table.
– C’était
le nec plus ultra de l’enseignement de la peinture, Weber, à
l’époque. LE professeur. Avec un grand P. Celui aux cours duquel
tout le monde rêvait d’assister. J’avais postulé. Sans grande
conviction. Il y avait beaucoup d’appelés et peu d’élus. Alors
je te dis pas mon ravissement quand j’ai reçu sa réponse.
Positive ! Je sautais partout. J’embrassais tout le monde.
Avec Weber, j’allais devenir une grande artiste. Un peintre de
renom. Je serais exposée partout dans le monde. J’étais sur mon
petit nuage. Je me suis précipitée à Vienne, toutes affaires
cessantes. Weber était très sélectif. On était cinq. Que cinq. Et
j’étais la seule fille. Une fille dont le maître ne cessait pas
de vanter les mérites. Dont il plaçait les qualités très
au-dessus de celles de ses petits camarades. Il le disait. Il le
répétait. Dix fois par jour. Ça me flattait. Et eux, évidemment,
ils ne le manifestaient pas ouvertement, mais ça les rendait jaloux.
Profondément jaloux. Je ne m’en rendais absolument pas compte.
J’étais dans ma bulle. La goutte d’eau qui a fait déborder le
vase, pour eux, c’est quand il m’a demandé de poser. Poser pour
Weber ? Être peinte par Weber ? Même dans mes rêves les
plus fous… Alors c’était oui, bien sûr que c’était oui !
Oui. Et encore oui. Sauf que poser pour Weber, dans le cadre de ses
cours, c’était, en même temps, poser pour eux. Ce dont je me
fichais éperdument. Je n’ai jamais été spécialement pudique. Et
puis, de toute façon, ils ne comptaient pas. Weber allait me
peindre, moi ! Je ne voyais que ça. Le reste n’avait pas la
moindre importance. Ils ont été absolument odieux. Oh, pas en sa
présence, bien sûr ! Non. En sa présence, ils étaient
sagement installés devant leurs toiles. Ils me peignaient sans
broncher. Ils écoutaient ses conseils. On leur aurait donné le bon
Dieu sans confession, mais je peux te dire que, dès qu’il avait le
dos tourné, j’en prenais plein la tête. Dans le registre
« T’adores ça te foutre à poil, hein ? Mais si !
Mais si ! Tu crois que ça se voit pas ? Tu mouilles comme
une petite folle, j’parie ! Non ? Tu mouilles pas
peut-être ? » Ou bien alors… « Tu peux pas savoir
comment j’ai hâte d’y avoir mis la dernière main, moi, à ce
tableau ! Je l’installerai dans ma chambre, juste en face de
mon lit, et je me branlerai devant ta chatte et tes nénés de petite
cochonne. Parce qu’une fille comme toi, à part pour le cul, elle
ne présente pas le moindre intérêt. » Je t’en passe… Et
des meilleures.
– Et
c’était tous ? Tous les quatre ?
– À
des degrés divers. Mais le plus acharné de tous – et de
loin – c’était Christopher.
– Je
comprends mieux.
– Ils
m’ont pourri toutes les séances. Je savais ce qu’ils avaient
dans la tête. Alors leurs regards sur moi, c’était, à
proprement parler, insupportable.
– T’en
as pas parlé à Weber ?
– Si !
Bien sûr que si !
– Et ?
– Et
c’était un artiste, Weber. Ça lui passait à cent mille lieues
au-dessus de la tête, tout ça. Il n’a pas compris. Ou n’a pas
voulu comprendre. Et j’ai dû renoncer, la mort dans l’âme à
mes études de peinture. Je n’avais pas d’autre solution. Je n’en
pouvais plus.
– Et
les tableaux ?
– Ils
n’avaient été qu’ébauchés, les tableaux. Ils n’ont jamais
été terminés . Ni le sien ni les leurs. Du moins je le suppose. Et
je l’espère.
18-
Comment
il avait marqué ! Ça s’était incrusté en longues stries
violacées, boursouflées, qui s’étalaient au large sur toute la
surface.
Elle
a pris photo sur photo. Pas loin d’une centaine.
– Là !
Bon, ben tu peux y aller, toi, maintenant ! Rendez-vous dans
douze heures. Et tâche d’être ponctuel…
Il
s’est lentement dirigé, comme à regret, vers ses vêtements.
S’est retourné.
– Je
pourrais pas ?
– Quoi
donc ?
– Les
voir ?
– Oh,
si tu veux !
Il a
lâché le boxer qu’il s’apprêtait à enfiler. Est revenu sur
ses pas. Le temps de glisser la carte dans l’ordinateur et elle a
fait défiler. Lentement. Il n’a pas quitté l’écran un seul
instant des yeux. Jusqu’à la fin.
– Laquelle
vous allez peindre ?
– Je
sais pas encore. Je verrai.
– Et
sur celles d’hier soir, de juste après, vous n’avez pas décidé
non plus ?
– T’es
bien curieux.
– Oh,
vous pouvez bien. Je suis le premier concerné après tout.
Elle
l’a affichée.
– C’est
celle-là !
Il
l’a longuement contemplée.
– Ça
me fait tout drôle de me dire que je vais être en tableau. Surtout
comme ça ! Vous allez le commencer bientôt ?
Elle
a découvert la toile posée sur le chevalet.
– C’est
déjà commencé.
– Ah,
oui ! Et drôlement avancé en plus. Vous allez le continuer
quand ?
– Dès
que tu seras parti.
Il
s’est rembruni.
– Quoi ?
Qu’est-ce qu’il y a ? Tu veux me voir peindre, c’est ça ?
Bon, mais une demi-heure. Pas plus. Attrape une chaise et assieds-toi
là, près de moi.
Il
ne se l’est pas répéter deux fois. Il s’est installé. Sans
même prendre le temps d’aller se rhabiller.
Et
il l’a regardée faire, fasciné.
– Vous
travaillez à une allure…
– Question
d’habitude.
Il
s’est absorbé dans sa contemplation.
– Vous
allez en faire quoi après ?
– Qu’est-ce
tu veux que j’en fasse de spécial ? Tu seras suspendu au mur.
Comme les autres.
– Je
pourrai pas l’avoir ?
– Certainement
pas, non.
– À
moins que… Vous pourriez peut-être m’en faire un deuxième.
– Non,
mais écoutez-le, celui-là ! Exigeant en plus !
– Oh,
vous auriez vite fait.
Sur
la toile, elle lui a fignolé une fesse.
– Tu
y tiens vraiment ?
Son
visage s’est illuminé.
– Oh,
oui ! Oui !
– Alors
tu as une solution toute trouvée. Tu m’as dit que tu peignais, toi
aussi, non ?
– Ben
oui, mais…
– Mais
quoi ? On n’est jamais mieux servi que par soi-même. On t’a
pas appris ça à l’école ? Alors ce soir, après la séance
photo, au boulot…
19-
– Tu
crois que c’est la peine ?
– De
quoi donc ?
– Que
je revienne ce soir.
Un
éclair de déception est passé dans ses yeux. Qui a très vite
disparu.
– Comme
tu veux. C’est toi qui vois.
– Je
crois franchement pas que tu aies grand-chose à craindre d’un type
comme lui.
– On
sait jamais. On peut pas savoir. Surtout si je le pousse dans ses
derniers retranchements.
– C’est
ton intention ?
– Peut-être.
Ça va dépendre. De tout un tas de choses. Je verrai.
J’improviserai. Au coup pour coup. Mais faut pas te croire obligé
de venir non plus, hein ! Je veux pas te faire perdre ton temps.
– Je
le perds pas.
– Un
peu quand même, si ! Parce que tu me rends service. Ce dont je
te remercie. Mais à toi, ça n’apporte pas grand-chose. Pour pas
dire rien du tout.
– Qui
sait ?
Elle
m’a coulé un bref regard en coin.
– Ah,
oui ?
– Le
plaisir manifeste que tu prends à tout ça a quelque chose de très
communicatif et, disons-le, de très jubilatoire.
Elle
m’a gratifié d’un éclatant sourire.
– Eh
ben alors ! Il est où est le problème ? Si c’est le
trajet…
– C’est
vrai que ça fait quand même au bout.
– Il
y a une chambre d’amis. Où t’as déjà passé la nuit. Tu peux
t’y installer si tu veux. Ça t’évitera toutes ces allées et
venues, deux fois par jour. Tu bosses chez toi en plus. Sur ordi.
C’est quelque chose que tu peux très bien faire ici. Non ?
Si.
Bien sûr que je pouvais. Si.
– Je
reviens.
Et
je suis allé chercher quelques affaires.
Elle
a passé la tête.
– Ça
va ? T’es bien installé ?
– C’est
parfait.
– Si
t’as besoin de quoi que ce soit, surtout t’hésites pas, hein !
– Promis.
Merci.
J’ai
pris mes marques. Rempli de mes sous-vêtement et de mes tee-shirts
le tiroir d’une commode, suspendu mes pantalons dans la penderie,
branché mon imprimante, jeté un coup d’œil, par la fenêtre, sur
la cascade grise des toits rendus luisants par la pluie.
Et
je me suis mis au travail.
Pas
bien longtemps. Elle a frappé, entrouvert la porte.
– Je
te dérange pas ?
– Bien
sûr que non.
– J’en
ai pas pour longtemps. C’est juste que je voulais te dire : je
suis vraiment très contente que tu restes. Très. Parce que,
maintenant que je me suis habituée à ta présence, j’aurais
vraiment beaucoup de mal à envisager tous ces trucs-là sans toi. Je
sais pas trop comment expliquer en fait. C’est pas seulement que ça
me rassure, c’est pas seulement que c’est dissuasif, c’est que
ça prend une autre dimension. De l’ampleur. Tu comprends ?
Elle
ne m’a pas laissé le temps de répondre. Elle a refermé la porte.
Qu’elle a presque aussitôt rouverte.
– Et
puis aussi… Tu sais ce que je me disais ? C’est que ce
serait encore mieux si tu pouvais participer. D’une façon ou d’une
autre.
Et
elle est repartie. Pour de bon, cette fois.
20-
Ça
avait pris des teintes très sombres. Qui s’étaient rejointes.
Enchevêtrées et superposées les unes aux autres.
Elle
a étudié tout ça de près. De très très près.
– J’ai
bien fait de pas te ménager, toi ! Ça s’est profondément
incrusté. Ça dure du coup. Et c’est pas déplaisant du tout à
regarder.
Elle
a fait les traditionnelles photos. En plus grand nombre encore que
d’habitude.
– T’es
toujours décidé à te peindre ?
Il a
fait signe que oui. De la tête. Oui.
– Eh
bien installe-toi alors !
Elle
lui avait préparé un chevalet. Qu’elle avait placé très en
hauteur, un peu en avant du sien.
Il a
semblé chercher quelque chose, du regard, autour de lui. Une chaise.
– Non,
non. Debout, tu vas peindre. T’es jeune, tu peux. Et à poil. Comme
ça, moi, pendant ce temps-là, je pourrai contempler mon œuvre tout
à loisir. Sur le vif. Ça m’inspirera.
Il
s’est emparé d’un pinceau. A mélangé des couleurs. Jeté un
coup d’œil sur sa toile à elle. Poussé un profond soupir.
– Jamais
j’y arriverai.
– À
quoi ?
– À
faire aussi bien que vous.
– Personne
te le demande.
– Mais
quand même ! Comment j’aimerais ça…
Ils
ont travaillé quelques instants en silence.
– Bon,
ben je t’écoute…
– Vous
m’écoutez ?
– Tu
devais nous dire… Toutes ces vilaines choses, là, que t’as à te
reprocher.
– Ah,
oui ! Oh, il y en a pas tant que ça, finalement !
– Ben,
voyons !
– Si,
c’est vrai, hein !
– T’as
une copine ?
– Oui.
Non. Enfin, si ! Ça dépend.
– De
quoi ?
– De
ce qu’on entend par là.
– Ce
qui veut dire, en fait, que tu tiens pas vraiment à elle.
– Pas
trop, non.
– Qu’elle
te sert juste à te vider les couilles.
– Pas
seulement. On fait des trucs ensemble. Des kebabs. Des cinés.
– Le
minimum syndical, quoi ! Histoire de l’entretenir dans
l’illusion qu’elle compte un peu pour toi. Et elle ? Tu
comptes pour elle ?
– Je
crois. Je sais pas.
– Et
tu cherches pas à savoir. C’est le cadet de tes soucis. Ce qu’elle
pense, ce qu’elle ressent, ce qu’elle espère, t’en as
strictement rien à battre. La seule chose qui compte à tes yeux,
c’est ton intérêt à toi, ta petite satisfaction égoïste. Le
reste… Et quand t’en auras soupé d’elle ou que tu lui auras
trouvé une remplaçante, tu t’en débarrasseras. Sans autre forme
de procès. C’est pas vrai ce que je dis là peut-être ?
Hein ? C’est pas vrai ? Bien sûr que si ! Tu la
jetteras comme t’as jeté toutes les autres avant elle. Sans le
moindre état d’âme. Il y en a eu combien ? On peut savoir ?
Eh bien ?
– Six
ou sept. Peut-être huit. Quelque chose comme ça.
– Et
t’es fier de toi ?
Il a
baissé la tête. Il n’a pas répondu.
– Comme
quoi la correction que je t’ai flanquée était amplement méritée,
avoue ! Non ?
– Si !
– Oh,
mais fais-moi confiance ! On va pas s’en tenir là…
21-
Sur
le coup de onze heures elle l’a carrément fichu dehors.
– Bon,
allez, ouste ! Du balai ! Tu dégages. Je t’ai assez vu.
Il a
pris un petit air désolé.
– Mais…
– Mais
rien du tout. Il y a pas de mais qui tienne. Ton tableau ? Oui,
ben il y a pas le feu, ton tableau. On est appelés à se revoir. Pas
plus tard que demain matin. Alors tu circules. Allez, hop ! Et
plus vite que ça…
Elle
lui à peine laissé le temps de se rhabiller. Elle l’a poussé
vers la porte. Qu’elle a refermée sur lui.
– Là !
Bon, ben moi, maintenant, je vais prendre une douche…
Dans
la salle de bains quelque chose a claqué. Il y a eu des
ruissellements. Et puis des soupirs, des gémissements ne laissant
planer aucun doute sur la nature de l’activité à laquelle elle
était en train de se livrer. À laquelle il lui avait donné envie
de se livrer. Ça s’est emballé. En longues plaintes éplorées.
Éperdues. À nouveau des ruissellements. Et elle a fait sa
réapparition. Dans un long pyjama de satin bleuté.
– Tu
sais quoi ? Eh bien, quand je regarde ce Domitien, j’ai
vraiment l’impression d’être en présence de Christopher. Sauf
que, cette fois, c’est moi qui tiens la barre. Qui dirige la
manœuvre. Et je peux te dire que ce qu’il m’a fait subir,
là-bas, à Vienne, il va me le payer. Au centuple.
Elle
est allée s’installer devant son ordinateur.
– Ah !
Eh ben voilà ! Voilà !
– Voilà
quoi ?
– J’ai
trouvé son Facebook. Hou là là ! Près de trois cents amis il
a. En majorité des filles. Évidemment ! Sûrement son
réservoir. Dans lequel il vient puiser en cas de besoin.
Je
me suis penché par-dessus son épaule.
– Eh,
mais c’est qu’il y en a des pas mal foutues du tout !
– Tu
vas pas t’y mettre, toi aussi !
– Si
le Bon Dieu m’a donné des yeux…
– Et
moi, s’il m’a donné des mains, c’est pour manier le martinet.
Tenté ?
– Pas
vraiment, non.
– C’est
de toute façon exclu. Le rôle qui t’est dévolu…
– Est
celui de garde du corps.
– Pas
seulement. Tu es aussi mon confident. Ce qui n’est possible que
parce qu’on est de la même race tous les deux. Ce que j’ai tout
de suite senti. Dès que je t’ai vu, j’ai su que tu apprécierais
infiniment de me voir châtier des postérieurs masculins qui
l’avaient amplement mérité. Ou, plus exactement, que tu
éprouverais un très vif plaisir à me voir éprouver du plaisir à
le faire. Je me trompe ?
– Tu
sais bien que non.
– Mon
plaisir se nourrissant à son tour de celui que je te vois éprouver
à me voir en avoir quand je traite l’un de ces messieurs. Je suis
pas trop confuse ?
– Tu
es très claire au contraire.
– Bon,
mais si on revenait à notre Domitien ? Tu sais ce que je me
demande ? C’est si, parmi toute cette tripotée de nanas, il a
gardé certaines de ses ex comme amies.
– Ce
serait bien dans le style du personnage.
– Encore
faudrait-il savoir lesquelles.
– Pour…
– On
lui réserverait une jolie petite surprise.
– Je
vois…
– Il
doit y avoir moyen. En épluchant leurs profils, on trouverait
sûrement des indices. Des photos. Des commentaires. Je sais pas,
moi ! On tire un fil et tout le reste vient.
– Un
véritable travail de titan.
– Dont
tu te tirerais, j’en suis certaine, avec les honneurs. Non ?
22-
Elle
a surgi dans le séjour, nue, ébouriffée, tout ensommeillée.
– Qu’est-ce
qu’il se passe ? Quelle heure il est ? T’es déjà
levé ?
– Non.
Je me suis pas couché.
– Tu
t’es pas couché ! Mais qu’est-ce tu fais ?
– Comme
convenu, j’épluche son Facebook.
Elle
a contourné le canapé. S’est penchée, par-dessus mon épaule,
sur l’écran de l’ordinateur.
– Ah,
oui ! Et alors ?
– Et
alors j’ai une Estelle. Avec laquelle il est brièvement sorti, en
juin dernier. Ça a duré une semaine. Quelque chose comme ça. Avec
des cœurs et des bisous partout. Laquelle Estelle a, de son côté,
une amie, une dénommée Carla, qui n’est pas – ou plus –
dans sa liste à lui. Qui fait fréquemment allusion à « l’autre
animal ». C’est lui, de toute évidence. Il y a pas mal de
commentaires et, vu leur teneur, bon nombre de celles qui se
manifestent ont eu maille à partir avec lui. Ça saute aux yeux. Et
si je continue à fouiller, si j’établis des connexions entre ce
qui s’est écrit sur les différents murs, je dois pouvoir encore
faire des découvertes très intéressantes.
– C’est
peut-être pas nécessaire. On a suffisamment de grain à moudre
comme ça.
– Il
parlait de six ou sept filles, mais, à mon avis, il y en a beaucoup
plus, mais alors là vraiment beaucoup plus.
– Ce
qui me surprend pas. Il le porte sur lui qu’il a pas le moindre
scrupule. Dans quelque domaine que ce soit. Comme l’autre. Le
Christopher. Quand je te dis qu’ils sont copie conforme tous les
deux. Tu sais ce qu’il m’a fait à Vienne ? Attends !
Que je te raconte…
Elle
a fait le tour du canapé. A été sur le point de s’asseoir. S’est
ravisée.
– Et
moi qui me balade à poil. Tranquille. Faudrait peut-être quand même
que j’aille passer un truc…
J’ai
haussé les épaules.
– Si
tu veux, mais…
– Ça
te dérange pas.
– Pas
le moins du monde. C’est même…
– Tu
m’as déjà vue n’importe comment… Quand il y avait Charles.
Alors un peu plus, un peu moins…
Et
elle s’est assise.
– Oui.
Tu sais ce qu’il m’a fait ? J’avais rencontré un type à
Vienne. Ullrich. Beau comme un dieu. Tendre. Calin. Viril. Bref, le
genre de mec improbable que t’as une chance sur cent millions de
rencontrer. On s’était tourné un bon moment autour et puis
finalement, un soir, ça avait fini par le faire. Il baisait bien. En
plus. Et pas seulement. Ça prenait vraiment tournure tous les deux.
On s’entendait du feu de Dieu. On commençait à parler de
s’installer ensemble. On faisait des projets d’avenir, tout ça !
J’étais sur un petit nuage. Et puis, d’un coup, du jour au
lendemain, il a commencé à prendre ses distances. Il n’était
plus le même. Il me battait froid. Il y avait quelque chose. Je
voyais bien qu’il y avait quelque chose. Mais quoi ? Je
l’interrogeais. Il éludait. « Mais non, il y a rien. Tu te
l’imagines. » À force d’insistance, il a pourtant fini,
excédé, par cracher le morceau. « Je suis pas le seul. T’en
as d’autres. » « Quoi ? Qu’est-ce que c’est
que cette histoire ? » C’était eux, à l’atelier. Je
m’étais bien gardée de leur parler de lui. Et pour cause. Mais
ils avaient eu des soupçons. Ils m’avaient discrètement pistée
et ils avaient décidé de me casser le coup. Comme ça.
Gratuitement. Par pure méchanceté. Parce qu’ils m’avaient pris
en grippe. C’est Christopher qui s’en est chargé. Il a pris
contact avec Ullrich qui savait, bien sûr, que j’étudiais la
peinture avec Weber, mais je ne lui avais pas dit, parce que ça ne
s’était pas présenté, parce que ça ne m’avait pas paru
important, parce que j’attendais l’occasion, que je posais nue
pour lui. Pour eux. Il a accusé le coup. Et Christopher a joué sur
du velours. Il lui a raconté les pires horreurs sur mon compte.
Qu’ils m’étaient tous passés dessus à l’atelier. Absolument
tous. Il a voulu les rencontrer. Pour en avoir le cœur net. Et comme
ils étaient de mèche, non seulement ils ont fait chorus, mais ils
m’ont prêté, en prime, toutes sortes d’aventures imaginaires.
J’ai eu beau nier, jurer mes grands dieux, argumenter, protester
tant et plus, rien n’y a fait. Il me croyait le lundi et ne me
croyait plus le mardi. On s’est épuisés en discussions stériles
qui ont fini par tourner régulièrement en disputes. C’était
épuisant. Pour l’un comme pour l’autre. Et on a mis un terme. Tu
comprends comment j’ai pu avoir la haine ? Comment je l’ai
encore ?
23-
Elle
lui a minutieusement examiné le fessier.
– C’est
en voie de résorption. Ce soir – demain au plus tard –
ça aura complètement disparu. Bon, mais tu peux te remettre au
travail…
Ce
qu’il a aussitôt fait.
Je
suis venu me pencher par-dessus son épaule.
Il a
levé sur moi un regard inquiet.
– C’est
nul, hein ?
– Nul,
non, mais, pour être franc, ton coup de pinceau est loin de valoir
celui de Julie.
– Oui,
mais ça !
Elle
est intervenue.
– On
s’en fiche un peu de la façon dont il peint. C’est son problème.
Non, on va reprendre notre petite conversation d’hier soir, plutôt.
Il
s’est raidi.
– Allez,
on t’écoute…
– Vous
m’écoutez ?
– Oui.
Parle-nous d’Estelle, tiens, par exemple…
– Estelle ?
– Estelle,
oui. Prends pas cet air idiot. T’es bien sorti avec ?
– Oui.
Si ! Mais comment vous savez ?
– On
sait énormément de choses. Beaucoup plus que tu ne le crois. Alors,
Estelle ?
– On
est sortis, oui. Pas longtemps.
– Et
tu l’as larguée. Pourquoi ?
– J’en
avais fait le tour.
– Avec
quelle délicatesse ces choses-là sont dites. Et elle a pris ça
comment ?
– Pas
très bien.
– Et
pour cause. Elle s’est accrochée ?
– Oh,
pour ça, oui !
– Ce
qui t’a gonflé. Quelle emmerdeuse, hein ! Et maintenant ?
– J’ai
plus de nouvelles.
– Eh
bien, je vais t’en donner, moi, des nouvelles ! Elle est
détruite, Estelle. Elle ne peut plus avoir confiance. En personne.
Dès qu’un garçon commence à s’intéresser d’un peu près à
elle, elle freine des quatre fers. Il a pourtant l’air sincère, ce
type. Oui, mais toi aussi tu paraissais l’être. Et tu t’es
fichue d’elle. Dans les grandes largeurs. Alors qu’est-ce qui lui
dit que ça va pas recommencer ? Qu’une fois qu’il aura eu
ce qu’il voulait, le type, il va pas la bazarder sans autre forme
de procès. Du coup elle ne s’aventure qu’avec précaution. Du
bout des sentiments. Résultat des courses : elle lui paraît
tiède à ce brave garçon. Pas vraiment investie. Tout simplement
pas amoureuse. Et il n’insiste pas. Est-ce que tu te rends compte
que tu as bouzillé quelque chose d’essentiel en elle ? Que tu
lui as gâché la vie ?
– Je…
– Tu ?
– Je
me rendais pas compte.
– La
belle excuse ! Et le pire, c’est que tu continues ! C’est
que tu lamines toutes celles qui passent à ta portée. C’est que
tu piétines leurs sentiments. Tu es un être immonde, tiens !
Ignoble.
– Je
suis désolé. Je voyais pas les choses comme ça. Je réfléchissais
pas.
– T’es
désolé… Ça leur fait une belle jambe. Ce qu’il faut surtout,
maintenant, c’est que tu changes de comportement. Seulement ça !
– Si !
Si ! Je vais essayer.
– C’est
pas essayer qu’il faut, c’est réussir. Bon, mais tu sais pas ?
Puisque tu es dans d’aussi bonnes dispositions, on va commencer par
la faire venir Estelle… Que tu puisses t’excuser, c’est la
moindre des choses.
– Je
sais pas. Je…
– Si
tu te défiles déjà…
– Je
me défile pas.
– Je
la fais venir alors ?
– Si
vous voulez.
24-
– Tu
t’occupes de nous la contacter, cette Estelle ?
Moi,
je voulais bien. Je demandais pas mieux.
– Seulement
d’ici ce soir, ça risque quand même d’être un peu short.
– Je
sais bien, oui. Prends tout ton temps. Fais au mieux. Ce sera quand
ce sera. En attendant, je vais nous le tenir bien au chaud sur le
gril, notre petit Domitien. Qu’il morfle un peu ! Chacun son
tour.
Établir
le contact avec Estelle n’a pas été vraiment compliqué. Je lui
ai envoyé un message, en privé, pour lui dire que j’aurais aimé
l’entretenir d’un certain Domitien. Message auquel elle a presque
aussitôt répondu.
– Qu’est-ce
qu’il a encore fait cet oiseau-là ?
Non.
Rien. Enfin si, peut-être ! J’en savais rien en fait. Mais
est-ce que c’était quelqu’un à qui une femme pouvait se fier ?
– Lui ?
C’est la dernière des enflures ! Un enfoiré de première.
Carrément !
Elle l’avait pourtant dans sa liste d’amis.
– Pour
garder un œil dessus, tiens ! C’est le genre de type dont tu
sais jamais à quel moment ça va l’attraper de te la faire à
l’envers.
Je
trouvais qu’elle en dressait un tableau…
– Encore
bien en-dessous de la vérité, je vous assure ! Si vous saviez
le nombre de filles avec lesquelles il s’est montré absolument
odieux. À commencer par moi.
– Ah,
oui ! Comment ça ?
On
s’est branchés en cam.
– Parce
que ça risque d’être long.
Et
elle s’est lancée.
– Vous
savez ce qu’il m’a fait ? Au café, il m’a larguée. Un
soir. Devant tous ses copains. En prétendant que j’étais pas un
bon coup au lit. « On s’emmerde avec, les mecs. On s’emmerde
comme c’est pas possible. C’est le genre à écarter les cuisses
et à attendre que ça se passe. T’as l’impression de baiser un
bout de bois. Ou une poupée en latex. Quant aux pipes, ben c’est
en option. Il vaut mieux d’ailleurs. Parce qu’à part te baver
tant et plus sur la queue… Maintenant, s’il y en a un que ça
tente, je la lui laisse. C’est de bon cœur. Mais il fera pas
vraiment une affaire. » Cette claque que je me suis prise !
Je m’étais investie, moi. Même si ça faisait pas beaucoup de
temps qu’on était ensemble. Et il m’avait laissée faire. Il
m’avait même encouragée. Il avait parlé d’avenir, de projets
en commun. De plein de trucs. Alors se ramasser une rupture en pleine
gueule, comme ça, devant tout le monde ! Sans que rien,
absolument rien, ait pu le laisser prévoir… Mais encore ça, qu’il
me plaque, c’était dur, un grand coup par la tronche, oui, mais
c’était pas ça, le pire. Le pire, c’était cette volonté
délibérée de m’humilier. Publiquement. Et gratuitement. Parce
qu’il y avait pas un mot de vrai dans tout ce qu’il a raconté.
Ça m’a fait mal, mais mal, vous pouvez pas savoir…
– Quel
petit personnage infect, ce Domitien !
– Ah,
ça, vous pouvez le dire… Et je suis pas la seule à avoir eu
maille à partir avec. Tenez, ma copine Carla, par exemple. Avec elle
aussi il est sorti. Eh bien un soir qu’ils étaient en boîte tous
les deux, il en a dragué une autre sous ses yeux. Et quand je dis
dragué, c’est dragué. Avec roulage de pelles et pelotage des
fesses sur la piste. Mais c’est pas tout. Parce qu’en prime la
fille, il s’est enfermé avec, pour la tirer, dans la voiture de
Carla. Qu’était folle de rage. Mais elle a eu beau hurler,
tempêter, frapper aux vitres, taper sur le capot, il en a
strictement rien eu à foutre. Il a tranquillement terminé son
affaire, il est descendu et il lui a jeté les clefs à la figure.
« Tiens, la v’là ta tire ! Et tu te casses. Je veux
plus jamais entendre parler de toi .» Et tout ça sur le
parking de la boîte. Devant cinquante personnes qu’en perdaient
pas une miette.
– C’est
le genre d’individu à qui une bonne petite leçon ferait le plus
grand bien.
– Ah,
ça, c’est sûr… Et je peux vous dire que si j’avais
l’occasion…
– Oui.
Eh bien justement… Justement vous allez l’avoir si vous voulez.
Et pas plus tatrd que ce soir.
25-
Ils
étaient tous les deux sagement en train de peindre. Installés côte
à côte devant leurs chevalets. Julie était revêtue de l’un de
ses sempiternels peignoirs, le vert à minuscules petites fleurs
roses, et Domitien était à poil, comme il se devait.
– Oh,
mais c’est qu’on est sacrément studieux ici, dites-moi !
– Ce
qui nous empêche pas de parler. Et je peux te dire que j’en ai
appris de belles. Il a fallu que je les lui arrache au forceps, mais
j’en ai appris de belles.
Domitien
a baissé la tête.
– Ah,
oui ? Eh bien, moi aussi, de mon côté.
– T’as
vu Estelle ?
– Et
Carla. Toutes les deux.
Il
s’est tassé sur son siège.
– Elles
vont venir ?
– Peut-être.
Je sais pas. C’est pas sûr. Je dois les revoir. Elles me diront.
Il a
poussé un imperceptible soupir de soulagement.
Il
s’est passé une bonne vingtaine de minutes et puis on a frappé.
– À
cette heure-ci ? Qui ça peut être ?
– Oh,
Estelle et Carla. Sûrement…
Il
m’a lancé un regard épouvanté.
– Mais
je croyais que…
– Elles
auront changé d’avis.
A
cherché un hypothétique secours du côté de Julie.
Qui
le lui a refusé.
– Assume,
mon cher, assume !
C’est
moi qui suis allé leur ouvrir. Elles ont fait une entrée
tonitruante.
– Mais
oui, il est là !
– Et
il fait moins le fier, on dirait…
Elles
ont salué Julie. Et, aussitôt après, voulu qu’il se lève.
– Parce
que t’en as pris une bonne, à ce qu’il paraît.
Il
s’y est résolu de mauvaise grâce.
– Ben,
tourne-toi ! Allez !
– Ah,
oui, dis donc ! Elle t’a pas loupé.
– Et
on a eu raison. Parce que t’as mérité. Alors là, aucun doute que
t’as mérité.
– Ça
nous fait drôlement plaisir à nous, en attendant, de voir ça !
Si, c’est vrai, tu sais !
Elles
lui ont longuement scruté les fesses.
– De
sacrées belles couleurs ça lui a donné à ton joufflu n’empêche.
Elles
les ont palpées, malaxées, y ont enfoncé leurs doigts.
Il
s’est crispé.
– Aïe !
– Oh,
pauvre trésor ! Il a mal ?
Estelle
en a empoigné une à pleines mains.
– Là
aussi ?
Il a
poussé un cri.
– Qu’est-ce
tu peux être doudouille ! Non, mais franchement c’est pas
possible d’être doudouille comme ça…
Elles
ont levé la tête vers la photo-modèle sur l’écran.
– On
pourrait pas l’avoir ?
Julie
a souri.
– Oh,
que si ! Je vous l’imprime…
Elles
s’en sont emparées.
– Merci.
Ont
filé vers la porte.
– On
reviendra.
Qu’elles
ont claquée.
Domitien
l’a longuement fixée.
– Qu’est-ce
qu’elles vont en faire ?
– À
ton avis ?
26-
Quand
il est revenu, le lendemain matin, il avait la mine défaite, le
teint blafard.
– Oh,
toi, t’as pas beaucoup dormi…
Julie
a rectifié.
– Tu
veux dire qu’il a pas fermé l’œil de la nuit, oui !
Il
nous a regardés, l’un après l’autre, d’un air suppliant.
– Elles
en ont fait quoi de la photo, vous croyez ?
Julie
a soupiré.
– Encore !
Mais c’est une obsession. Qu’est-ce tu veux qu’on en sache ?
Remets-toi au boulot, tiens, plutôt ! Tu verras bien…
Il
s’est installé.
– Elles
ont dit qu’elles allaient revenir.
– Oui.
Et alors ?
– Ce
sera quand ?
– Quand
elles en auront envie. Bon, mais maintenant tu la fermes. Parce que
si c’est pour ressasser sans arrêt. Alors tu bosses et tu la
boucles.
Ça
a été sur le coup de neuf heures du soir. Il y a d’abord eu leurs
pas dans l’escalier.
– Les
v’là !
Et
elles ont fait irruption en grands fous rires.
– Qu’est-ce
qu’on s’est amusées !
– Oh,
oui, alors !
– Tu
sais le café où tu m’as larguée devant tout le monde ? Eh
bien c’est là qu’on est allées. En direct. Ils y étaient
presque tous. Sauf Valentin. Et Hugo. Ils voulaient pas y croire au
début quand on a sorti la photo. « Mais si, c’est lui !
Oh, putain, c’est Domitien, les mecs ! » Je peux te dire
que ça y est allé les commentaires. Et qu’est-ce qu’ils se sont
fichus de toi ! Ah, tu vas en entendre quand tu vas y
retourner ! Moi, j’ai pas de conseils à te donner, mais, à
ta place, j’éviterais de me pointer là-bas. Au moins dans un
premier temps.
Carla
a surenchéri.
– T’en
prendrais plein la gueule. Pour pas un rond.
– D’autant
qu’on va y retourner.
– Oui.
Et puis après, vendredi soir, direction la boîte de nuit où tu
m’as flanqué la méga honte. Ah, elle va circuler, la photo. On va
même la dupliquer. Que tout le monde puisse en profiter.
– Vous
allez pas faire ça !
– On
va se gêner ! Et même… Sur Internet, on va la mettre.
Il
n’a pas répondu. Il est devenu tout pâle. Les larmes lui sont
montées aux yeux.
Elles
ont eu pitié.
– Mais
non, oh, on n’est pas comme ça… C’est pas parce que toi, t’es
pourri jusqu’à la moëlle que nous, on doit forcément l’être
aussi…
Une
lueur d’espoir s’est allumée dans son regard.
– Vous
l’avez pas montrée alors !
– On
l’a pas montrée, non ! Mais on peut encore. Si tu y tiens
absolument…
– Oh,
non, non ! Non, non, non…
D’un
air si convaincu qu’elles ont éclaté de rire.
– Par
contre, tu vas nous devoir une compensation.
– Oui,
tu vas gentiment nous offrir ton petit derrière à fesser. C’est
la moindre des choses, non, tu crois pas ?
Il a
baissé la tête.
– Si !
– Ah,
tu vois… Qu’est-ce tu préfères ? Fouet ? Martinet ?
Ceinture ? Cravache ? Paddle ? Autre chose ?
– Je
sais pas. Je…
– Eh
bien tu réfléchiras. Tu nous diras. Sinon… C’est nous qu’on
décidera. Et, dans ton intérêt, vaudrait mieux pas. Bon, ben
allez, bonsoir tout le monde. À bientôt.
27-
Le
lendemain matin, à peine Domitien venait-il de s’installer, de
s’emparer de ses pinceaux et de se mettre au travail qu’on a
sonné.
– C’est
elles ?
Julie
a haussé les épaules.
– Évidemment
que c’est elles. Qui veux-tu que ce soit ?
Il
s’est ratatiné sur son tabouret.
– Eh
bien va leur ouvrir, qu’est-ce t’attends ?
Il a
esquissé un geste vers ses vêtements.
– Qu’est-ce
tu fais ? Mais laisse ça ! Dépêche-toi ! Elles
attendent.
Il a
dodeliné des fesses jusqu’à la porte.
Le
temps de boire un café.
Que
Julie a demandé à Domitien de leur servir.
Et
elles ont voulu savoir.
– Alors ?
Tu t’es décidé ?
– Oui.
– Et
tu as opté pour quoi ?
– Le
martinet.
– On
l’aurait parié. Sauf que le martinet, nous, on n’est pas trop
chaudes.
– Oui,
parce que c’est d’un commun, le martinet !
– Ça
te ressemble en fait.
Estelle
a vidé sa tasse d’un trait.
– Non.
Voilà ce qu’on va faire plutôt… On va d’abord laisser passer
un peu de temps. Le temps qu’elles disparaissent complètement les
marques dont Julie a décoré ton derrière. Le temps que tu sois
redevenu tout neuf. Et puis je m’occuperai de toi. Une bonne
fessée, je te donnerai. À la main. C’est ce qui sera le plus
vexant. Et je peux te dire que tu vas déguster. Qu’il va te cuire
le popotin. Parce que je me suis procuré un de ces amours de petit
gant en cuir redoutablement efficace. Et comme j’ai bien
l’intention de faire durer… Ah, pour brailler, tu vas brailler.
Et te tortiller tant et plus. Rien que d’y penser… Mais c’est
mérité, avoue ! Hein que c’est mérité ?
Il a
baissé la tête.
– Oui.
– Ah,
tu vois ! Cramoisi, je vais te le mettre, le cul. Que ça nous
fasse de magnifiques photos-souvenirs. Tout un album on en fera. Oh,
mais n’aie pas peur ! Il y en aura un aussi pour toi. Que tu
puisses te rappeler tout à loisir ces délicieux moments. Et te dire
que si jamais tu me mécontentes, d’une façon ou d’une autre, je
pourrai en faire bon usage. Un excellent usage. Alors à bon
entendeur, salut ! Bon, mais je parle, je parle… Carla aussi
elle a des choses à dire.
Ah,
oui, alors ! Un peu qu’elle avait des choses à dire… Et à
faire…
– Non,
parce qu’après, dès que ton joufflu aura retrouvé figure
humaine, ce sera à moi de prendre le relais. Aux orties. C’est
très différent, tu verras. La brûlure n’est pas du tout la même.
Moins profonde, mais tout aussi efficace. Sinon plus. Surtout quand,
comme ce sera le cas, on prend tout son temps, et qu’on dispose de
tout un stock d’orties fraîches. Ça donne de très jolies
boursouflures et quantité de petites cloques du plus bel effet sur
les photos. J’adore… Bon, mais tu dis rien… T’es toujours
d’accord pour nous laisser œuvrer tout à loisir sur ton
postérieur au moins ? Non, parce que sinon, c’est pas un
problème, hein ! On va trouver tes copains avec les photos
qu’on a déjà en notre possession et, cette fois, on les leur
montre pour de bon.
Il a
hurlé.
– Non !
Non ! Je ferai ce que vous voudrez.
– Tout
ce qu’on voudra ?
– Tout.
– On
aime à te l’entendre dire. D’autant qu’on a encore plein
d’idées.
– Tout
plein.
– Qu’on
mettra petit à petit à exécution.
– Oui,
on a tout notre temps.
– Je
sens qu’on va bien s’amuser, toutes les deux. Pas vrai, Carla ?
– Et
comment !
28-
Quand
je suis redescendu de chez Julie, ce soir-là, il y avait quelqu’un
dissimulé dans l’ombre au bas de l’escalier. Quelqu’un, un
homme, qui s’est brusquement avancé vers moi.
– Je
peux vous parler ?
J’ai
sursauté.
– Vous
m’avez fait peur.
– Hein ?
Je peux vous parler ? C’est important.
S’il
voulait, oui.
Et
on s’est engouffrés dans le premier café venu. Attablés devant
une bière.
– Je
veux pas la perdre. Ma femme. Je veux pas la perdre.
C’était
tout à son honneur, mais je voyais pas trop ce que je pouvais y
faire.
– Que
je vous explique… Je joue. C’est plus fort que moi. Des sommes
importantes. Colossales. Je joue tant et plus. Au casino. En ligne.
Je peux pas m’en empêcher.
– Et
toute votre paye y passe. Le cinq du mois, vous n’avez plus rien.
– Pire
que ça. J’ai emprunté. Et falsifié les papiers. Tant et si bien
qu’elle s’est retrouvée caution solidaire sans le savoir.
– Aïe !
– Elle
l’a découvert. Et très mal pris.
– Ce
qu’on peut comprendre.
– Et
elle veut divorcer. À moins que je n’aille faire un stage chez
cette femme, là-haut. De chez qui vous sortez. Dont elle a entendu
dire le plus grand bien.
– À
juste titre.
– Elle
est persuadée qu’elle parviendrait à me guérir de cette passion
invétérée du jeu.
– C’est
fort probable en effet. Contactez-la !
– Je
l’ai fait. Elle n’a rien voulu savoir. Soi-disant que je manque
de motivation.
– C’est
peut-être vrai ?
– Oh,
non, non ! Je vous assure !
– Bon,
mais vous attendez quoi de moi, alors, au juste ?
– Apparemment
vous êtes très proche d’elle. Tous les jours vous êtes là-haut,
à ce qu’elle me dit ma femme. Alors si vous pouviez…
– Intercéder
en votre faveur ?
– Voilà,
oui. Je veux pas divorcer. Je veux pas.
– Votre
femme ne mettra peut-être pas ses menaces à exécution ?
– Alors
là, on voit que vous la connaissez pas.
– Faites-vous
donner des fessées par quelqu’un d’autre.
– J’y
ai bien pensé. Mais elle est pas née de la dernière pluie. Elle
l’appellera. Elle vérifiera.
– Bon,
écoutez, on va pas y passer la soirée. Je vais voir ce que je peux
faire.
– Oh,
merci ! Merci ! Je vous revaudrai ça. Au centuple.
Julie
a fait la moue.
– Je
vois très bien qui c’est, oui. Martin, il s’appelle.
– Et
t’as pas voulu le prendre ?
– Non.
Je le sens pas, ce type. Aucun feeling avec. D’autant que son
histoire de divorce et d’addiction au jeu, j’y crois qu’à
moitié. Alors comme ce sont pas les candidats qui me manquent…
– Bon,
mais je lui dis quoi, moi, alors ?
– Que
c’est non. J’ai horreur qu’on cherche à me forcer la main.
Mais rien ne t’empêche de te substituer à moi, si tu veux.
– Hein ?
Mais…
– Ça
te tente pas ?
– Je
sais pas.
– Tu
te découvrirais peut-être sous un autre angle. Sûrement même…
– Et
si elle t’appelle ?
– Je
vous couvrirai. C’est pas un problème.
29-
Le
lendemain soir, il était encore là, au bas de l’escalier.
– Alors ?
– C’est
non.
– Non ?
D’un
air désolé.
– Par
contre, ce qu’elle propose, c’est que ce soit moi qui m’occupe
de vous.
– Comment
ça, vous ?
– Moi,
oui. Sachant que vous pourrez toujours prétendre que c’est elle
qui vous a pris en mains. Et que si, d’aventure, votre femme vient
aux renseignements, elle ne vous démentira pas.
Julie
a hoché la tête.
– Et
il a accepté ?
– De
mauvaise grâce. De très mauvaise grâce. En fait, l’impression
qu’il m’a donnée, c’est de n’y consentir que dans l’espoir
d’arriver, d’une façon ou d’une autre, à ses fins. À savoir
être fouetté par toi.
– Oui,
ben ça, c’est pas demain la veille.
– Cela
étant, je crois que t’as raison. Il a tout inventé. Il est même
pas marié, si ça se trouve.
– Je
te le disais. Il est pas franc du collier, ce type. Non, tu sais
quoi ? C’est quelqu’un qu’a entendu parler de moi, je sais
pas trop comment, et de ce qui se passe ici. Et qui crève d’envie
que je le dérouille. Sauf que moi, cingler les fesses d’un mec
juste parce qu’il aime ça et que ça l’excite, c’est vraiment
pas mon truc. Tu me connais suffisamment pour savoir que j’aspire à
autre chose. Et, de toute façon, j’ai horreur qu’on essaie de me
forcer la main. Cela étant, que ça ne t’empêche pas de le faire
venir. On trouvera bien le moyen, à un moment ou à un autre, de lui
donner une petite leçon.
Domitien
est arrivé sur le coup de midi.
– Ben
alors ! On s’offre des grasses matinées somptueuses ?
– Non…
Non… Mais c’est-à-dire que…
– Que
t’étais pas tranquille. Et si, malgré tout, elles étaient allées
les montrer, ces photos ? Parce qu’on savait jamais. Elles
étaient capables de tout. Et t’as voulu aller faire un petit tour
au café où t’as tes habitudes. Et la plupart de tes copains. Ce
qui t’a rassuré. Ils n’étaient, à l’évidence, au courant de
rien. Mais t’as quand même poussé, dans la foulée, à tout
hasard, jusqu’à la boîte de nuit où tu t’es conduit de façon
aussi odieuse avec Carla. Tu as discuté. Sondé. Aussi discrètement
que possible. Et non. Décidément, non. Personne n’avait entendu
parler de quoi que ce soit. Vu quoi que ce soit. Tu n’avais aucune
espèce de raison de t’inquiéter. Et tu es rentré te coucher. Il
était tard. Très tard. En attendant la confiance règne, on peut
pas dire. Quand elles vont savoir ça…
Il a
baissé la tête, voulu dire quelque chose, s’est ravisé.
– Et
elles le sauront.
Il
n’a pas relevé. Il s’est déshabillé. Complètement. S’est
dirigé vers son chevalet.
– Attends !
Attends ! Fais voir !
Elle
l’a fait pivoter sur lui-même. Lui a examiné les fesses.
– C’est
en bonne voie. Demain, après-demain au plus tard, tout aura disparu.
À leur tour de jouer. Et, à mon avis, elles vont s’en donner à
cœur-joie.
Il
est allé s’asseoir. S’est emparé d’un pinceau. S’est mis au
travail.
– Est-ce
que ?
– Est-ce
que quoi, Domitien ?
– Non.
Rien.
Ils
ont peint, tous les deux, elle et lui, côte à côte, un long
moment, en silence.
– Qu’est-ce
que tu voulais savoir ? Si Estelle et Carla vont passer
aujourd’hui ? La réponse est oui. Jeter un coup d’œil sur
l’état des lieux. Et puis elles t’ont concocté une petite
surprise.
– Une
surprise ?
– Et
une belle, tu verras !
30-
Elles
étaient hilares.
– On
a amené du renfort.
Deux
autres filles, une brune et une blonde, qui ont ont jeté sur
Domitien un œil amusé.
Estelle
l’a fusillé du regard.
– Tu
pourrais te lever quand même pour dire bonjour, non ? C’est
la moindre des politesses.
Il a
rougi.
– Ah,
oui, oui. Pardon.
Et
il s’est empressé de le faire.
– Bon,
alors on te présente Jessica.
Qui
lui a tranquillement laissé traîner les yeux dessus en bas.
Il
s’est avancé pour lui faire la bise.
Elle
lui a tendu la main.
– Et
Pauline.
Qui
ne s’est pas approchée.
– On
leur a beaucoup parlé de toi. Et elles ont eu très envie de faire
ta connaissance du coup. Enfin, c’est pas exactement ça. Parce que
les types dans ton genre, quand on sait ce qu’ils valent, on a pas
franchement envie de les côtoyer de plus près. Non. En fait ce qui
les branche, c’est de nous voir, Carla et moi, te flanquer une
bonne correction. Et on a vraiment pas eu le cœur de les priver de
ce petit plaisir. Tu n’y vois pas d’inconvénient, j’espère ?
Il a
bafouillé.
– Oui.
Enfin non. C’est-à-dire… Je pensais… Il me semblait que…
– Mais
on s’en fiche de tes états d’âme, mon pauvre Domitien. Tu n’es
pas en position d’en avoir. C’est nous qui menons le jeu. À
notre guise. Et tu sais parfaitement pourquoi. Non ?
Il a
baissé la tête.
– Si !
– Parfait !
Alors tourne-toi !
Elle
lui a consciencieusement exploré les fesses. Elle a cerné,
empoigné, trituré.
– Mouais…
Encore un tout petit peu de patience et à mon tour de m’occuper de
ton cas. Tu perds rien pour attendre.
Et
elle lui a lancé une petite claque dessus.
Pauline
a protesté.
– Je
croyais que ce serait aujourd’hui, moi !
Sa
copine a renchéri.
– C’est
vraiment obligé d’attendre ?
Carla
a fait chorus.
– Il
y a plus grand-chose. Pour ainsi dire plus rien.
Et
Estelle s’est finalement rangée à l’avis de la majorité.
– Dans
ces conditions, puisque tout le monde est d’accord, c’est
maintenant que tu vas y attraper.
Elle
a tiré la chaise qu’il occupait à leur arrivée, s’y est
assise. S’est tapoté les genoux du plat de la main.
– Il
vient ici, le grand garçon. Et il se dépêche.
Il
s’est avancé. Arrêté.
– Eh
bien ? Tu aggraves ton cas.
Il
s’est approché. Encore arrêté. S’est remis en route.
Elle
l’a attrapé par un coude, fait fermement basculer en travers de
ses genoux, l’y a confortablement installé.
– Là…
Parce que ça va durer… Mais dis-nous… Tu as bien conscience au
moins que c’est mérité ? Amplement mérité ?
– Oui.
– Parfait.
Elle
lui a posé une main sur les fesses.
– Première
étape, les filles, s’approprier le théâtre des opérations.
Elle
l’a longuement prospecté, occupé.
– Ensuite
le préparer, le terrain, le rendre réceptif…
Et
elle a lancé une première claque.
31-
Domitien
s’est relevé en se frottant les fesses.
Les
filles ont protesté.
– Oh,
non ! Pas déjà !
– Il
a à peine crié.
– On
peut pas avoir un peu de rab ?
Estelle
a dit que non. Non. Qu’il fallait pas abuser des bonnes choses. Que
c’était qu’un échantillon n’importe comment.
– Parce
que vous verrez ça le jour où je vais lui faire avec mon gant en
cuir. C’est pour le coup que vous l’entendrez piauler…
Oui,
mais quand même. Quand même ! Elles trouvaient que c’était
frustrant…
– Parce
que tu nous mets l’eau à la bouche et…
Julie
s’est tournée vers moi.
– Et
Martin ? Si tu l’appelais ?
Aussitôt
dit, aussitôt fait.
– Il
arrive.
Elles
ont voulu savoir.
– Mais
c’est qui, ce Martin ?
On
le leur a expliqué. En deux mots.
Elles
ont battu des mains.
– Super !
On va bien s’amuser…
Quand
il a vu qu’on n’était pas seuls, Julie et moi, il a eu un
mouvement de recul. Voulu battre en retraite.
Je
l’ai pris par le bras. Ramené.
– De
quoi vous avez peur ? Elles vont pas vous manger. Allons,
venez !
Elles
l’ont considéré toutes les quatre d’un petit air amusé.
– Et
donc, comme ça, votre femme veut vous guérir de la passion du jeu…
– Voilà,
oui !
– Vous
mentez !
Il
s’est récrié.
– Ah,
mais non ! Non ! Pas du tout !
– Oh,
ben on va voir ! On va l’appeler, votre femme. Donnez votre
portable. Allez, donnez ! C’est quoi son nom ?
J’ai
fait défiler son répertoire.
– Mimine…
Je suis sûr que c’est ça. Vous avez une tête à appeler votre
femme Mimine…
Les
filles se sont esclaffées.
– S’il
vous plaît, l’appelez pas !
– Donc,
vous mentez… Mais vous savez que c’est pas bien du tout, ça ?
Que ça mérite une bonne correction.
Il a
levé sur les filles un œil de chien battu.
– Oui,
mais…
– Ah,
si, devant elles, si ! Ce n’en sera que plus efficace. Allez,
on se déshabille.
Il
s’y est résolu. De mauvaise grâce.
Le
pull. Par-dessus la tête. Le maillot de peau. Il a marqué un long
temps d’arrêt.
– Eh
bien ?
Il a
dégrafé son pantalon, l’a descendu. En est sorti, une jambe après
l’autre. Et est resté comme ça, indécis, bras ballants.
Elles
se sont mises à scander, toutes les quatre en chœur, sur l’air
des lampions.
– Le
calbut ! Le calbut ! Le calbut !
Il a
soupiré, passé les mains sous l’élastique, l’a lentement fait
glisser.
Elles
ont applaudi à tout rompre.
J’ai
brandi le martinet.
– Attendez !
Jessica
s’est levée.
– Donnez,
je vais m’en occuper…
32-
– Fais
voir !
Il
s’est tourné.
Jessica
a fait la moue.
– Pas
mal ! Je suis pas mécontente du tout. Mais quand même !
Faudrait rajouter une petite touche ici.
Elle
a cinglé.
– Et
une autre là ! Pour l’harmonie de l’ensemble.
Il a
gémi.
– Là !
Parfait. T’es beau comme un sou neuf. Tu peux aller retrouver
Mimine.
Il
s’est empressé de se rhabiller. Et a détalé.
Elles
ont éclaté de rire.
– Le
pauvre ! Comment tu l’as arrangé…
Pauline
a levé les yeux sur moi.
– Bon,
mais c’est qui lui au juste, en fait ?
Julie
a souri.
– Lui ?
C’est David.
– Et
qu’est-ce qu’il fait là ?
Elle
a haussé les épaules.
– Tout
et rien. Disons que c’est un peu comme mon assistant.
– Pour
fouetter ?
– Oh,
non, non ! Là, Martin, c’était un cas particulier. Une
exception.
– Ah,
j’aime mieux ça ! Parce que c’est le genre de type qu’on
voit pas du tout dans le rôle.
Jessica
a surenchéri.
– C’est
bien pour ça que je le lui ai retiré des mains, ce Martin.
Et
les deux autres ont fait chorus.
– Oui.
On l’imagine plutôt en train d’en recevoir qu’en donner.
– C’est
vrai qu’il a le profil à ça.
Pauline
a insisté.
– Ce
qui nous dit toujours pas ce qu’il fait là.
Julie
a précisé.
– Il
regarde. Il écoute. Et, éventuellement, il donne son avis.
– En
gros, il sert à rien, quoi !
– Vous
savez ce que je crois, moi, les filles ? C’est que c’est
quelque chose qui le fascine, les fouettées. Il passerait pas son
temps ici sinon…
Estelle
était bien de cet avis.
– Il
prend son pied à regarder les autres se ramasser des branlées, à
défaut de pouvoir admettre qu’il crève d’envie d’en recevoir.
– Faudrait
lui en faire prendre conscience alors.
– Ce
serait lui rendre service, oui. Il s’épanouirait enfin…
– Alors
l’idéal, ce serait qu’il y en ait une d’entre nous qui le
prenne en charge à temps plein. Pour le faire aller au bout de
lui-même. À condition, évidemment, que Julie veuille bien nous
l’abandonner.
Laquelle
Julie s’est défaussée.
– C’est
à lui de voir.
– C’est
tout vu. Il dit rien. Qui ne dit mot consent.
– Rien
qu’à regarder la tête qu’il fait n’importe comment, c’est
clair qu’il est partie prenante.
– Mais
qu’il est dans l’incapacité de l’avouer.
– Il
apprendra à le faire. Petit à petit. À condition de tomber entre
de bonnes mains.
– Les
miennes.
– Ou
les miennes.
– On
verra, les filles… On verra… Ça, on va en parler entre nous.
33-
Elles
sont parties. Domitien aussi. Et je me suis retrouvé tout seul avec
Julie.
– Alors ?
– Quoi,
alors ?
– Ces
jeunes personnes ont très envie, dirait-on, de te prendre sous leur
coupe.
– Elles
plaisantaient.
– Je
ne crois pas, non. Elles étaient on ne peut plus sérieuses. Et, à
mon avis, elles ne vont pas tarder à revenir à la charge. Tu
comptes faire quoi, sans indiscrétion, si c’est le cas ?
– Mais
rien. Rien. Je ne sais pas.
– Oui.
Eh bien, moi, je sais ! Tu vas capituler. Et elles feront de toi
tout ce qu’elles voudront. Non ? C’est pas ça ?
– Oh,
mais j’en sais rien, j’te dis !
– T’énerve
pas comme ça ! Pourquoi tu t’énerves ?
– Je
m’énerve pas, seulement…
– Seulement
tu n’aimes pas qu’on te perce à jour. Ce qu’elles ont fait. Tu
es quelqu’un, elles l’ont parfaitement perçu, qui ne peut
trouver son épanouissement que dans la dépendance. Dans
l’obéissance. Tu as besoin d’être dirigé, c’est clair. D’une
main ferme et résolue.
– Tu
crois ?
– Je
crois pas. Je suis sûre. Ça fait maintenant des semaines et des
semaines que tu es là, avec moi. Que je te regarde. Que je
t’observe. Que je t’écoute. Que je te surveille, mine de rien.
Et je peux te dire que ça te transpire de partout. Alors
accepte-le ! Admets-le ! Une bonne fois pour toutes. Tu
t’en sentiras apaisé. En harmonie avec toi-même. Et
abandonne-toi ! C’est une chance inouïe pour toi, ces
filles ! Elles sont déterminées, volontaires, offensives. Ne
résiste pas ! Laisse-les s’emparer de toi. Comme bon leur
semble. Comme elles l’entendent. Lâche prise…
– Ça
se passerait comment, si ça se faisait ?
– T’as
entendu comme moi. C’est l’une d’entre elles qui se chargerait
de toi.
– Laquelle ?
– Ah,
ça, c’est à elles de décider.
– Ce
sera peut-être Estelle…
– Tu
aimerais que ce soit elle ?
– Pas
trop, non. Elle tape fort.
– Jessica
aussi, elle tape fort. Peut-être même encore plus.
– C’est
vrai, oui.
– Et
t’as pas vu les autres à l’œuvre. Elles sont peut-être encore
pires.
– Peut-être…
– Que
ce soit Estelle, Jessica ou l’une des deux autres, il faut que tu
t’attendes, de toute façon, à ce qu’elle ne te ménage pas.
– J’me
doute, oui !
– N’importe
comment, c’est pas les coups, l’essentiel. C’est juste la
traduction d’autre chose, les coups. Non, ce qui compte c’est
l’emprise morale. C’est la façon dont la fille, elle va être
capable de tisser sa toile pour t’engluer dedans, pour que tu ne
puisses plus lui échapper. Et, ce faisant, tu vas autant la révéler
à elle-même qu’elle va te révéler à toi-même. Ça va être
quelque chose d’extrêmement fort entre vous.
– Je
me demande vraiment laquelle ça va être.
– Tu
verras bien.
– Je
pourrai continuer à venir ici ?
– Ici ?
Me voir ? Si elle t’y autorise, oui, bien sûr. Tu seras
toujours le bienvenu.
– Peut-être
même qu’elle voudra que tu me peignes.
– Peut-être.
Tu feras ce qu’elle te dira de faire n’importe comment…
34-
– Alors ?
Prêt ? C’est le grand jour.
– Elles
sont pas là ?
– Non.
Pas encore. Mais elles vont pas tarder. Pas trop peur ?
– Si !
Je suis mort de trouille en fait.
– Mais
tu t’es pas défilé. C’est tout à ton honneur.
– T’es
sûr ?
– De
quoi donc ?
– Que
je fais pas une connerie.
– Mais
non ! C’est ce qui peut t’arriver de mieux. Et tu le sais
très bien.
– Non,
je le sais pas justement.
Elle
n’a pas répondu. Elle s’est absorbée dans sa peinture. J’ai
jeté un coup d’œil par-dessus son épaule et puis je me suis mis
à marcher de long en large. De la porte à la baie vitrée. De la
bais vitrée à la porte.
– Tu
peux pas t’asseoir, s’il te plaît ? Tu me donnes le
tournis.
M’asseoir ?
Ah, oui, oui, bien sûr !
Je
l’ai fait pour me relever, presque aussitôt.
– Elles
viendront peut-être pas ?
Elle
a ri.
– T’en
as envie et pas envie en même temps, hein ! Mais si, elles vont
venir, si ! Ça ne fait pas l’ombre d’un doute.
Elles
sont venues. Toutes les quatre. Avec tout un remue-ménage. Du parler
fort. De grands rires. Elles ont entouré Julie.
– Vous
savez ce qu’on a décidé ? On va se le jouer aux cartes.
Elle
a souri.
– C’est
une excellente idée, les filles !
– Allez,
perdons pas de temps…
Et
elles se sont assises par terre. En rond. Ont sorti des cartes. Les
ont battues.
Estelle
s’est tournée vers moi.
– Mets-toi
à poil, toi ! Que ça nous motive !
Elles
m’ont regardé faire, un petit sourire au coin des lèvres.
– Et
approche maintenant ! Plus près ! Là…
Elles
se sont absobées dans leur partie. En jetant, de temps à autre, un
coup d’œil sur moi.
Les
cartes s’abattaient. Carla notait les scores. Assise à son
chevalet, Julie suivait avec curiosité le déroulé des opérations.
Moi
aussi. Je ne connaissais strictement rien à ce jeu qu’elles
semblaient parfaitement maîtriser, mais, par contre, j’ai vu, avec
inquiétude, Estelle faire largement course la tête avant d’être
progressivement rattrapée par Jessica qui l’a coiffée sur le fil.
Et
qui a poussé un cri de triomphe.
– Il
est à moi, les filles ! T’es à moi, petit bonhomme !
– Et
il a pas fait le plus dur…
– Oui.
Parce qu’avec elle, il va morfler.
– Et
quelque chose de rare.
Elle
est venue vers moi, m’a pesé sur les épaules, fait agenouiller
devant elle.
– T’es
content ?
Je
l’étais.
– Ça
a pas l’air.
– Oh,
si, si !
– Eh
ben, dis-le alors !
– Je
suis heureux d’être à vous.
Elle
a jeté un regard circulaire tout autour d’elle.
– Il
y a pas un martinet quelque part ? Que je marque mon territoire…
Julie
lui a indiqué, d’un hochement de tête, le tiroir où il se
trouvait.
– Eh
bien, va me le chercher, toi, qu’est-ce t’attends ?
Je
me suis exécuté. Je le lui ai rapporté. Tendu.
– C’est
la première fois. Fais un vœu. Et tourne-toi !
Le
martinet s’est abattu. À pleines fesses.
FIN
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