mercredi 3 avril 2019

Julie, artiste peintre fesseuse


1-




– Allô ? David ? C’est Julie ! Vous vous souvenez ?
Évidemment que je me souvenais ! Évidemment ! Vienne. Le Belvédère. On s’était rencontrés devant un tableau dont, quand elle avait compris que j’étais français, elle m’avait vanté les mérites en long, en large et en travers. On avait poursuivi la visite ensemble. Klimt. Egon Schiele. Tant d’autres. Et on avait fini par aller prendre un verre. Au moment de la quitter, je lui avais grifouillé mon numéro de portable, sans vraiment y croire, sur un post-it. Au cas où, une fois rentrés à Paris…
On a échangé quelques banalités. Et puis…
– On déjeune ensemble un de ces quatre ? Ça vous dit ?
Et comment que ça me disait !
– Avec plaisir. Quand vous voudrez.
– Demain soir alors !

Elle avait revêtu une petite robe turquoise toute simple, relevé ses cheveux en chignon et s’était contentée d’un léger maquillage qui faisait chanter le vert de ses yeux.
Le serveur a déposé les menus devant nous.
– J’avoue avoir été très agréablement surpris hier…
Elle a souri.
– En fait, j’ai retrouvé votre numéro par hasard, en changeant de sac. J’ai failli le jeter et puis, au dernier moment, je me suis ravisée. Parce que, je sais pas vous, mais moi, dans mon entourage, les gens férus de peinture, ils se bousculent pas au portillon. Des prétentieux, oui, ça, il y en a. À la pelle. Des peintres du dimanche qui se croient de grands artistes parce qu’ils parviennent à reproduire à peu près convenablement « Les nymphéas » ou « Les tournesols », mais qui n’ont seulement jamais entendu parler de Saudek ou de Bellmer. Non. Les vrais connaisseurs, on peut pas dire que ça court les rues.
– Et vous pensez que moi… J’ai bien peur que vous ne me surestimiez.
Elle a haussé les épaules.
– Non. Vous, j’ai pu le constater à Vienne, vous avez une véritable sensibilité artistique. Les tableaux, vous les sentez. Vous avez un regard qui les pénètre. Qui leur fait donner toute leur mesure. Vous en avez une perception enrichissante. Et j’avoue que la perspective de passer une après-midi, de temps à autre, à Orsay ou au Louvre avec vous ne serait pas pour me déplaire.
– Confidence pour confidence, j’avoue que, de mon côté…
On nous a apporté les entrées.
– Bon appétit !
– Merci. Vous aussi…
– Je peux me montrer indiscrète ?
– Vous pouvez toujours essayer.
– J’ignore ce que vous faites dans la vie.
– Oh, c’est pas vraiment indiscret. Je suis prof…
– Et prof de ?
– Musique.
– J’aurais dû m’en douter. Ça doit être passionnant, non ?
– Quand les élèves sont réceptifs et motivés, oui. Énormément. Et vous, vous faites quoi ?
– Oh, rien de bien extraordinaire ! Je préside aux destinées d’une agence immobilière.
– Et vous occupez vos loisirs à peindre.
– Comment vous le savez ?
– Je me trompe ?
– Non, mais…
– Vous me montrerez ?
– Oh, c’est juste des barbouillis, vous savez !
– Que vous dites… Vous me montrerez ?
– Si vous y tenez…
– Oh, oui, j’y tiens, oui.


2-


C’était un atelier immense avec de grandes baies vitrées donnant sur les toits de Paris.
– C’est magnifique !
– Et ça ne me coûte quasiment rien. Il faut bien que travailler dans l’immobilier présente quelques avantages.
Il y avait une quarantaine de toiles, toutes tournées nez au mur.
– Elles sont punies ?
Elle a souri.
– On peut dire ça comme ça, oui.
Et une autre, toute seule, en pleine lumière, recouverte d’un drap.
Je m’en suis approché.
– C’est l’œuvre en cours ?
– En effet.
– Et… on peut voir ?
– Ben, allez-y, soulevez !
Je m’y suis employé. Avec précaution. Et j’ai fait apparaître… un homme nu. Il était représenté debout devant une grande glace en pied, légèrement de côté. En sorte qu’on pouvait voir tout à la fois ses fesses, striées de longues boursouflures violacées, son visage au regard perdu, vaguement coupable, et sa verge flasque qui lui pendait entre les jambes.
– Techniquement, vous maîtrisez sacrément bien, dites donc !
– Techniquement, peut-être… Mais à part ça ?
– C’est quoi ? Une commande ?
– Dans un sens, oui. Tenez, vous allez comprendre…
Et elle a remis à l’endroit deux des tableaux qui nous tournaient le dos le long du mur. Le même homme. Exactement dans la même position. La même attitude. Sauf que, sur le premier, on ne voyait pas trace du moindre coup. Sur le second, par contre, ils étaient bien présents et il était clair, vu leur texture et leur couleur, qu’ils venaient d’être tout récemment donnés. L’expression du visage aussi différait. Dans le premier cas, on sentait une sorte d’appréhension, une inquiétude diffuse. Dans l’autre, une honte intense mâtinée d’une espèce de jubilation.
– Vous voyez ?
– Pas trop, non.
– Là, c’est juste avant. Il ne s’est encore rien passé. Et là, c’est juste après. Il vient de se la prendre sa volée. Quant au troisième, celui qui trône sur le chevalet, c’est l’état des lieux douze heures plus tard. On ne va d’ailleurs pas s’arrêter en si bon chemin. Il y aura un nouvel état des lieux toutes les douze heures. Jusqu’à ce que toute trace résiduelle ait disparu. Ce qui n’empêchera évidemment pas de tout reprendre à zéro par la suite, de la même façon ou d’une autre, si le monsieur en fait expressément la demande.
– Et qui se charge de traiter son postérieur avec autant de conviction ?
– Au jour d’aujourd’hui, mon pauvre monsieur, on est souvent obligé de tout faire soi-même.
– Vu comme ça…
– Je vous choque ?
– Oh, non ! Non ! Il m’en faut plus. Beaucoup plus. Mais il va en faire quoi de tous ces tableaux alors, le type ?
– Les accrocher dans son salon, tiens, pardi ! Que tout le monde, la famille, les amis, les invités, le facteur, puissent en profiter tout à loisir.
– Fichez-vous bien de moi !
– Non. Ils vont rester ici, ces tableaux, bien évidemment ! Ici, où il pourra venir les voir chaque fois que bon lui semblera.


3-


– Je vous dérange pas ?
– Non. Je vous attendais.
– Comment ça, vous m’attendiez ?
– Je me doutais bien que vous auriez envie de venir me voir en plein travail. Et comme on est dimanche…
Elle était installée devant son chevalet, le pinceau à la main, la palette sur les genoux. Sur le mur blanc, devant elle, une photo en couleur, grand format, qu’elle était en train de reproduire à l’identique. Celle de l’homme aux fesses meurtries.
– Ah, parce que…
– Je travaille sur photos, oui. Le moyen de faire autrement ? Je ne peux matériellement pas réaliser un tableau toutes les douze heures. Faut bien que j’aille travailler. Que je mange. Que je dorme. Je n’ai donc pas d’autre solution que de stocker les clichés au fur à mesure et de m’atteler à la tâche dès que je dispose d’un peu de temps.
– Ce qui fait que, du coup, vous en avez tout un tas d’avance.
– De lui, sept. Vous voulez les voir ?
– Ah, parce qu’il y a pas que lui ?
Elle n’a pas répondu. Elle a fait défiler les photos, lentement, une à une. De l’une à l’autre, le changement était spectaculaire. Le rouge se faisait violet. De larges taches jaunes, puis noires, s’étendaient, s’élargissaient. Les zébrures s’épaississaient, se boursouflaient. Et puis tout se résorbait, peu à peu, avant de disparaître totalement.
– Il passe de temps en temps ? Il vient voir si votre travail avance ?
– Pas bien, non…
– Ça l’intéresse pas ?
– Il a le double des photos. Je suppose que ça lui suffit.
– Oui, alors si ça tombe, vous le reverrez jamais.
– Il y a des chances, en effet. À moins que ça le démange de se reprendre une volée. Ce qui n’est pas forcément à exclure.
– En gros, vous faites tout ça pour rien, quoi !
– Pas pour rien, non ! Si je n’y trouvais pas mon compte, d’une façon ou d’une autre…
– Et vous l’y trouvez comment, si c’est pas indiscret ?
Elle a haussé les épaules.
– Je vais pas vous raconter d’histoires. J’aime fouetter. Les hommes. Exclusivement les hommes. J’aime le bruit des lanières qui s’abattent sur leurs fesses. J’aime les voir se tortiller. J’aime voir leurs culs s’enflammer. J’aime les entendre gémir de douleur.
Ça avait au moins le mérite d’être clair.
– Et j’aime prolonger. Me pencher, des heures durant, sur ces postérieurs qui se sont offerts à moi, les caresser amoureusement, du bout du pinceau, là où je les ai si généreusement entamés, raviver encore et encore leurs rougeurs et leurs boursouflures. Ils sont à moi. Comme je veux. Autant que je veux. Beaucoup plus encore que lorsqu’ils étaient vraiment là. Vous comprenez ?
Ça, pour comprendre, je comprenais, oui. Mais, par contre, ce qui m’échappait complètement, c’est le pourquoi de toutes ces confidences.
– Non, parce que… on se connaît à peine. C’est la troisième fois qu’on se voit…
– Quatrième.
– Et ce que vous me révélez là…
– Est de l’ordre de l’intime. Je sais, oui. Vous êtes l’une des très très rares personnes à être au courant.
– Pourquoi alors ? Pourquoi moi ?
– J’ai sans doute mes raisons…
– Qui sont ?
– Vous le saurez, le moment venu…


4-


– Ah, ben vous vous mettez dans l’ambiance, vous au moins, on peut pas dire…
Des claquements de fouet. À intervalles réguliers. Des halètements. Des gémissements. Les coups se sont faits plus rapides, plus sonores. des plaintes. Des cris. Déchirants.
– C’est lui ? C’est ce bonhomme ?
Elle fait signe que oui. De la tête. Oui.
– Faut bien qu’il participe un peu ! C’est son portrait après tout.
Et elle a précisé.
– J’enregistre toujours. Systématiquement.
Je me suis penché par-dessus son épaule.
– En attendant, ça avance ? Oh, oui, dites donc ! Vous en voyez le bout, là.
– Le bout, c’est le cas de le dire.
Elle était en train de lui fignoler la queue.
J’ai esquissé un sourire.
– Seulement…
– Ce n’est pas reproduit à l’identique, je sais !
La queue et les boules étaient effectivement réduites de moitié. Au moins.
– Et la raison ?
– Vous devez bien vous en douter un peu, non ? C’est que vous êtes tellement fiers, vous, les hommes, de ce qui vous pend entre les jambes qu’il est extrêmement tentant de ramener tout ça à de plus justes proportions.
Elle s’est levée. A pris du recul.
– Je suis pas trop mécontente de moi.
– Oh, vous pouvez ! Vous avez vraiment un sacré coup de pinceau.
J’ai soupiré.
– Et dire que personne le verra jamais, ce tableau.
– Par la force des choses.
– Peut-être que…
– Que quoi ? Une expo ? Une galerie d’art ? Pour que je me retrouve avec un procès au cul ? Perdu d’avance. Non, merci. Sans façons. Très peu pour moi.
– Mais quand même ! Quel gâchis !
– C’est comme ça ! J’en ai pris mon parti : tout ce que je peins est condamné à rester ici.
– Où personne n’en profite. Même pas vous. Tous vos tableaux ont le nez au mur.
– Oh, vous, vous crevez d’envie de les voir, non ?
– Il s’agit aussi de messieurs punis ?
– Bien sûr.
– Il y en a beaucoup ?
– Six. Six en tout. Sans compter celui qu’est en cours de traitement.
– Six ! Eh, ben dites donc !
– Avec une moyenne de cinq tableaux par tête de type. Mais allez-y ! Retournez-en un ! Vous vous rendrez mieux compte. N’importe ! N’importe lequel. Celui que vous voudrez.
Je ne me suis pas fait prier. J’en ai attrapé un hasard que j’ai fait pivoter sur lui-même.
C’était un type d’une quarantaine d’années, grand, athlétique, les fesses striées de grands coups de lanières.
– Je l’aime bien celui-là. C’est un de mes préférés.
Exactement dans la même position que l’autre. Devant le même miroir.
– Ah, ben oui, oui ! Il me les faut de face et de profil. En même temps. Ça vaut pas sinon…
– Et vous n’œuvrez qu’au martinet ? Exclusivement ?
– Oh, non ! Non ! Je varie les plaisirs. Martinet. Main. Fouet. Paddle. Badine. Orties. Tout m’est bon. Et dépend de l’inspiration du moment. Vous allez voir, tenez ! Aidez-moi !
Et on les a tous remis à l’endroit.


5-


Elle avait accroché les tableaux aux murs.
– C’est mieux, non ?
C’était mieux, en effet. Nettement mieux. J’en étais bien d’accord.
Elle en a remis un d’aplomb.
– Et puis mes prochains souffre-douleur, comme ça, ils seront tout de suite dans l’ambiance.
– Ah, ça, pour savoir ce qui les attend, ils sauront ce qui les attend.
– Lequel vous préférez, vous ?
J’ai refait un tour.
– Peut-être celui-ci.
– Germain ? Il était trop, Germain. Il voulait et puis il voulait pas. En même temps. J’en ai usé avec lui beaucoup plus sévèrement du coup. Parce que faut savoir ce qu’on veut dans la vie. Vous croyez pas, vous ?
Elle avait effectivement mis la dose. Le sang perlait. Les chairs avaient éclaté par endroits. Et ses fesses étaient d’un rouge incandescent.
– Il avait adoré au final. Comme quoi !
Pas moins de huit tableaux lui étaient consacrés.
– Ben oui, forcément ! Il a fallu sacrément du temps pour qu’elles s’effacent complètement, les marques.
Je suis tombé en arrêt devant un petit rouquin aux fesses joufflues d’une vingtaine d’années.
– En général, les jeunes, j’aime pas trop. Je préfère donner dans l’âge mûr, voire carrément très mûr. Mais là, Kevin, j’avais fait une exception. Je le trouvais attendrissant avec ses airs de gros bébé. Je l’ai même laissé revenir. C’était une erreur. Une grossière erreur. Parce qu’à l’arrivée, j’ai été obligée de le foutre carrément dehors. Il devenait d’un encombrant ! C’est tous les jours qu’il avait fini par venir quémander sa fessée.
– Il y en a beaucoup qui veulent revenir comme ça ?
– La plupart. Mais Kevin m’a servi de leçon. Je ne remets désormais jamais le couvert. Je ne refuse pas, non, je suis pas idiote. Je dis plus tard. On verra. Je réserve l’avenir. Parce qu’on sait jamais. Peut-être qu’avec l’un ou l’autre, un jour, j’aurai envie. Même si ça m’étonnerait. J’aime pas trop le réchauffé. Non, ce qu’il y a d’exaltant dans ce truc, c’est la nouveauté. C’est de sentir tout à la fois l’excitation et l’appréhension de celui qui s’en remet pour la première fois à toi. De le découvrir. De le pousser dans ses ultimes retranchements. Tu te prends un de ces pieds !
– Peut-être qu’à force le filon va se tarir, non ?
– Oh, alors là, il y a vraiment aucun risque. J’ai une liste d’attente longue comme le bras. Et de nouvelles candidatures affluent tous les jours. Ça vous étonne, on dirait.
– Un peu quand même, oui ! Vous recrutez où ? Sur Internet ?
– Essentiellement, oui ! Il y a des quantités d’hommes, vous savez, qui rêvent qu’on leur rougisse le derrière.
– Et quantité de femmes prêtes à le leur rougir.
– Contre monnaie sonnante et trébuchante. Ce qui n’est pas mon cas. Moi, je me contente d’y prendre du plaisir. Ce que je revendique haut et fort. Et ce qui les comble d’aise. Ils se bousculent dans ma boîte mail. Du coup, je n’ai que l’embarras du choix.
– Un choix que vous opérez sur quels critères, si ce n’est pas indiscret ?
– Déjà, il faut qu’ils acceptent de se laisser photographier. Pour la raison que vous savez. Ils ne s’y refusent pratiquement jamais. Après, c’est au feeling. À l’instinct. En fonction de ce qu’ils sont. De ce qu’ils ont vécu. De ce qu’ils souhaitent. De ce qu’ils appréhendent. Le prochain, par exemple… Oh, mais j’y pense… Vous faites quoi demain ?
– Demain ? Rien de spécial. Pourquoi ?
– Ça vous dirait pas d’assister ?
– Je sais pas. Je…
– Oh, si ! Si ! Venez ! Il faut que vous soyez là. Pour plein de raisons. Je vous dirai…


6-


Quand le type m’a aperçu, un grand brun, d’une quarantaine d’années, il a esquissé un bref mouvement de recul. Qu’il a très vite réprimé.
Elle l’a poussé à ma rencontre.
– David, un ami.
Il m’a tendu une main hésitante. Sans me regarder vraiment.
Elle a froncé les sourcils.
– Et ? Vous vous appelez comment déjà ?
– Julien.
– Et Julien. Qu’il s’avère malheureusement indispensable de remettre dans le droit chemin. Par des méthodes éprouvées.
Elle l’a pris par le bras, lui a lentement, très lentement fait faire le tour de l’atelier. Avec un arrêt devant chaque tableau.
– Alors ?
– Je sais pas. Choisissez, vous !
– Certainement pas, non !
Un deuxième tour.
– Décidez-vous ! On va pas y passer la journée.
Il s’est lancé.
– Le martinet.
– Eh bien, va pour le martinet. Déshabillez-vous ! Tout, vous enlevez tout.
Il a jeté un regard furtif dans ma direction.
– Mais…
– Mais quoi ? Il y a un problème ?
– Je vous avais dit…
– Que vous vouliez que ça se passe sans témoin. Je sais, oui, mais moi, j’ai envie qu’il y en ait un. Maintenant, si ça vous convient pas, vous pouvez partir. La porte est grande ouverte.
Il n’a pas répondu. Il a quitté ses vêtements. Tous ses vêtements. En nous tournant le dos. Et il a attendu.
Elle a fait durer. Exprès. Deux ou trois interminables minutes.
– Contre le mur, mains sur la tête.
Il a obéi.
Elle s’est approchée, tout près, a fait claquer, à plusieurs reprises, le martinet en l’air. À quelques centimètres de son postérieur. Et puis elle est allée se servir un café. M’en a proposé un.
– On s’assied, on sera mieux.
Et on a discuté. De l’exposition Kupka au Grand Palais. De Giacometti. Des « Fiancés » de Manzoni. De Palestrina. Longtemps.
– Bon, mais c’est pas tout ça ! Faudrait peut-être que je l’expédie, l’autre, là-bas. Il va sécher sur pied, sinon.
Elle s’est levée.
– J’en ai pas pour longtemps.
Lui a promené les lanières tout au long du dos.
– Inutile de faire de longs discours. Tu sais ce qu’on te reproche. Et ce que TU te reproches.
– Oui.
– Eh bien allez, alors !
Et elle a cinglé. Sept ou huit coups. À toute volée. Qui se sont inscrits en longues hachures horizontales, à pleines fesses. Il a hurlé.
– Mais faut pas crier comme ça ! Quelle doudouille vous faites…
Elle a suivi, du bout de l’index, sur sa croupe, les contours des traînées rosées que le martinet y avait déposées.
– Bon, mais on va s’offrir un petit bonus, du coup. Ça vous apprendra. Et tâchez de vous comporter en homme, cette fois…
Encore cinq ou six coups. Il a serré les dents, les poings, mais a quand même fini par crier. Une sorte de long sanglot étranglé en continu.
Elle a haussé les épaules.
– Vous êtes décidément irrécupérable. Venez là !
Devant le miroir.
– Tournez-vous très légèrement vers la droite. Comme ça, oui. Ne bougez plus !
Elle a pris cliché sur cliché.
– Je garderai le meilleur.
Lui, pendant ce temps-là, il s’efforçait désespérément d’éviter mon regard dans la glace. Sans y parvenir. C’était plus fort que lui : il y était constamment ramené.
– Là, c’est bon. Vous pouvez aller vous rhabiller.
Il s’est précipité sur ses vêtements.
– Mais n’oubliez pas ! Il est dix heures. Je vous attends à dix heures ce soir.


7-


Aussitôt la porte refermée, elle m’a applaudi. Du bout des doigts.
– Vous avez été parfait. Absolument parfait.
– Moi ?
– Vous, oui. Comment vous l’avez mis mal à l’aise !
– Je n’ai pourtant rien fait pour ça.
– Que vous dites.
– Je vous assure…
– Vous aviez une de ces façons de le regarder. Vous le dévoriez des yeux, oui !
– Je me suis pas rendu compte.
– Lui qui voulait pas de témoins, surtout masculins, ben, pour le coup, il était servi. Ah, il a pas fini d’y repenser. Et d’appréhender de vous trouver encore là ce soir. Vous y serez ?
– Je sais pas, je…
– Bien sûr que si ! Vous en crevez d’envie, avouez ! On va pas le ménager, vous allez voir ! J’adore. J’adore vraiment. Bon, mais en attendant, c’est pas tout ça. J’ai du travail.
Elle s’est installée devant son chevalet. A fait défiler les photos qu’elle venait de prendre. Hésité.
– Spontanément, j’irais plutôt vers celle-là. Les zébrures y sont bien mises en valeur. Mais, d’un autre côté, sur l’autre, là, j’adore l’expression de son visage. Il y a un petit je ne sais quoi… C’est pas le plaisir. C’est pas la honte. C’est un peu des deux. Avec quelque chose en plus. Que j’arrive pas vraiment à définir. Non. J’hésite. J’hésite vraiment. Laquelle vous choisiriez, vous ?
– Oh, la première. Sans la moindre hésitation.
– J’en étais sûre.
Elle a éclaté de rire.
– Pourquoi vous riez ?
– Non. Pour rien. Comme ça.
– Mais si ! Dites…
– Ses attributs masculins y sont très apparents.
– Je n’y avais pas prêté la moindre attention.
– Ça vous attire, les hommes, hein !
– Absolument pas.
– Oh, mais je vous crois ! Je vous crois.
Avec un petit sourire entendu qui signifiait, à l’évidence, qu’elle n’en pensait pas un mot.
Elle a déposé une première touche de couleur sur la toile.
– On pourrait faire une sacrée bonne équipe, tous les deux, n’empêche, si on voulait !
– Comment ça ?
– Une femme seule, qui reçoit des hommes chez elle, dans les conditions que vous savez est exposée à ce qu’à un moment ou à un autre, les choses dérapent. Quand bien même elle ferait preuve de la plus extrême prudence.
– Ça vous est déjà arrivé ?
– Une fois. Non deux. J’ai réussi à me tirer d’affaire, mais c’est passé fin. Très fin. Si bien que si je disposais, en permanence, d’un comparse, je vivrais les choses de façon beaucoup plus sereine. Et ça me permettrait de retenir des candidatures que je rejette, à l’heure actuelle, impitoyablement parce qu’elles me paraissent présenter des risques sérieux.
– Je comprends mieux.
– Vous comprenez mieux quoi ?
– Pourquoi vous avez tant tenu à reprendre contact avec moi.
– C’est peut-être l’une des raisons. Ce n’est pas forcément la plus importante.
– Ah… Et c’est quoi la plus importante ?
Elle a posé un doigt sur ses lèvres.
– Chuuuut…


8-


– Dix heures et quart. On peut faire une croix dessus. Il viendra plus.
J’ai voulu lui trouver des excuses.
– Il est peut-être juste un peu en retard. Il va arriver.
– Et il repartira aussi sec. Avec moi, l’heure, c’est l’heure. Je suis pas à sa disposition. Non, mais, de toute façon, il se pointera pas. Vous trouver là, ce matin, l’a complètement perturbé. Mais ça, le connaissant, je m’en doutais bien un peu. J’ai voulu tenter le coup quand même. Je le regrette absolument pas. J’ai passé un excellent moment.
– Pour ce qui est de votre série de tableaux, par contre…
– Oh, mais ce n’est que partie remise, vous verrez ! Dans trois ou quatre jours, il va reprendre contact avec moi. Je lui battrai froid. Il s’excusera platement, me suppliera de lui donner une seconde chance. Je finirai par accepter. Après avoir longtemps fait mine de tergiverser. Et à la condition qu’il accepte d’en passer par tout ce que je voudrai.
– Je crains le pire.
– Ah, ça, je vais pas le ménager. À un vrai feu d’artifice il va avoir droit.
– Qui consistera en quoi ? On peut savoir ?
– Vous verrez. Le moment venu. Parce qu’évidemment vous serez là.

On a dîné ensemble.
– Mais à la bonne franquette, hein ! Je me mets pas aux fourneaux à cette heure-ci.
Elle avait quand même trouvé moyen de nous sortir deux truites de je ne sais où et une bouteille de Pouilly fumé – bien fraîche – de derrière les fagots.
– Je peux vous poser une question ?
– Essayez toujours, vous verrez bien…
– Vous prenez manifestement beaucoup de plaisir à infliger de cuisantes corrections et à en caresser ensuite amoureusement les marques, du bout du pinceau. Ce traitement de faveur est-il réservé exclusivement aux hommes ou vous arrive-t-il parfois d’en faire bénéficier vos consœurs ?
– Cela ne s’est encore jamais produit. Et ne se produira sans doute jamais.
– Les croupes masculines sont donc les seules à vous tenter ?
– Vous êtes très perspicace.
– Et la raison ?
– En faut-il absolument une ?
– Ça vous vient bien de quelque part cette envie… Il y a toujours une origine à tout, non ? Vous avez peut-être vu des films ou lu des livres qui vous ont particulièrement marquée…
– Si c’est le cas, je ne m’en souviens pas.
– Ou alors vous en avez reçu. À un moment ou un autre de votre existence. De la main d’un homme. Et c’est la réponse de la bergère au berger.
– Pas davantage.
– Il y a sûrement quelque chose. Forcément. Que vous avez oublié. Que vous vous êtes forcée à oublier.
– Ou dont je me souviens très bien au contraire.
– Ah, vous voyez ! C’est quoi ?
– Vous êtes bien curieux. Si on parlait de vous plutôt ? Racontez-moi ! Vous en avez déjà donné, vous, des fessées ?
– Jamais, non !
– Reçu alors ?
– Non plus.
– Et ça ne vous a jamais tenté ?
– Absolument pas.
– Ça viendra peut-être, qui sait ?
– Alors ça, ça m’étonnerait.


9-


Elle m’a laissé quinze bons jours sans nouvelles. Je faisais, de temps à autre, un saut jusqu’à son atelier. En vain. Elle n’était pas là. Ou ne voulait pas répondre.
Tant et si bien que je me posais une foule de questions. Est-ce que j’avais fait ou dit quelque chose qui lui avait déplu ? Est-ce qu’elle avait finalement trouvé mon comportement avec ce Julien, même si je n’en avais, sur le moment, absolument pas eu conscience, complètement déplacé ? À moins que les questions que je m’étais laissé aller à lui poser l’aient fortement indisposée à mon égard. Ou bien encore qu’elle n’ait jeté son dévolu sur moi que parce qu’elle espérait pouvoir me martyriser, à moi aussi, le derrière, et comme je ne lui avais guère laissé d’espoir de ce côté-là…

J’en étais là de mes réflexions quand, un beau matin, mon portable a enfin sonné.
– David ? C’est moi, Julie.
Ben oui. Je l’avais reconnue, oui.
– Écoute, tu voudrais pas me rendre un service ?
Le tutoiement. Spontanément. Pour la première fois.
– Si c’est dans mes possibilités…
– Il y a en un qui doit venir demain matin. Pour ce que tu sais. A priori, je crois pas qu’il y ait vraiment de danger, mais, vu le contexte dans lequel ça doit se passer, il n’est quand même pas exclu que les choses dégénérent. Alors, si tu pouvais être là…
– C’est sans problème. Tu me dis juste à quelle heure faut que je vienne.
– Sept heures.
– J’y serai.

C’est moi qui lui ai ouvert la porte. Un type d’une cinquantaine d’années, très à l’aise, qui m’a serré la main.
– Charles…
– Enchanté. David…
Il a jeté un regard indifférent autour de lui, s’est laissé tomber dans le premier fauteuil venu.
– Elle est pas là, Julie ?
– Elle va arriver. Par contre, elle a demandé qu’aussitôt arrivé, vous vous déshabilliez. Complètement.
– À ses ordres.
Et il l’a fait. Tranquillement. Posément. Chaque vêtement soigneusement plié, déposé avec précaution sur le fauteuil. Avant d’aller s’absorber dans la contemplation des tableaux, mains croisées dans le dos.
– J’ai de la concurrence, on dirait…
C’est alors qu’elle a surgi, seins nus, vêtue en tout et pour tout d’une minuscule petite culotte noire ajourée qui ne laissait pas ignorer grand-chose de ce qu’elle était supposée dissimuler.
Il lui a jeté un bref regard. Et lui a aussitôt tourné le dos.
– Face à moi !
Il a fait celui qui n’entendait pas.
– J’ai dit : face à moi !
Il s’est retourné.
– J’en étais sûre !
Il bandait comme un cerf.
– Je vous l’avais interdit. Formellement. Non ? Je vous l’avais pas interdit ?
– Ben si, mais…
– Mais quoi ?
– Je peux pas. Quand je vous ai vue… Quand je vous vois… Non, je peux pas.
– Bien sûr que si, vous pouvez ! Tout le monde peut !
– Pas moi !
– Vous aussi ! On va faire ce qu’il faut pour, vous allez voir…
Et elle a abattu le martinet.


10-


– Tu dis rien ?
Il venait de partir, le type. Et elle, d’enfiler un peignoir. Vert à petites fleurs roses.
– Hein ? Tu dis rien ? T’es choqué, c’est ça ?
– Choqué ? Bien sûr que non. Pourquoi je serais choqué ?
– Parce que je lui reproche de bander. Que je le lui interdis. Que t’es un mec. Et que bander, c’est le genre de truc à quoi un mec il tient plus qu’à n’importe quoi au monde.
– Faut reconnaître qu’il pouvait difficilement prétendre qu’il bandait pas.
– En fait, c’est quelqu’un qui voudrait absolument réussir à se maîtriser de ce côté-là.
– Ça risque de pas être simple…
– Si j’ai bien compris, mais j’ai pas cherché à approfondir non plus, si j’ai bien compris, il est soumis à des tentations auxquelles il est impératif pour lui de parvenir à résister. Il a donc sollicité mon aide.
– Que tu as généreusement consenti à lui apporter. Quelle bonne Samaritaine tu fais !
– Fiche-toi bien de moi ! Non, il est bien évident que si je n’y avais pas trouvé mon compte…
– Et largement… Ah, tu y es pas allée de main morte. Il va pas pouvoir s’asseoir d’un moment, le pauvre homme !
– C’était pas la mer à boire non plus.
– Enfin…
– Il s’en remettra.
– On se remet toujours de tout. En tout cas, ce qu’il y a de sûr, à te voir faire, c’est que tu prends un pied pas possible à mettre des derrières en feu.
– Je n’ai jamais prétendu le contraire, mais, au risque de te surprendre, ce n’est pas ce qui est vraiment essentiel à mes yeux.
– Ah, oui ? Et c’est quoi alors ?
– Moi, tu sais, dès qu’il y a un challenge à relever…
– Et celui-là, il est de taille.
– Mais surtout, il me parle. Parce que, quand t’es une femme, c’est sans arrêt… sans arrêt… sans arrêt qu’ils t’emmerdent avec leur queue, les mecs. D’une façon ou d’une autre. Ils sont totalement incapables de se réfréner là-dessus. Et, au quotidien, ça te pourrit littéralement la vie. Alors, quand il t’en tombe un entre les pattes, bien décidé à faire de louables efforts pour modifier son inacceptable comportement dans ce domaine, faudrait être complètement stupide pour ne pas sauter sur l’occasion.
– Je vois. En somme, tu ne choisis jamais tes victimes au hasard.
– Jamais. Quand on a l’embarras du choix, on peut se permettre d’être très sélective.
– Et Julien, lui alors, quels ont été les critères ?
– Oh, Julien ! C’est tout un poème, Julien. Au départ, je l’avais éliminé. Il a insisté, m’a adressé d’interminables missives. J’ai fini par le trouver attachant et par lui soupçonner, à tort ou à raison d’avoir des tendances homosexuelles dont il n’a absolument pas conscience. Et je me suis lancé pour défi de les faire progressivement remonter à la surface. Et de l’amener à les accepter.
– Vaste programme ! Et… d’autres challenges en vue ?
– Bien sûr.
– Qui sont ?
– Ah, ça, cher ami, c’est encore mon secret. Chaque chose en son temps. Et, pour l’heure, ce qui est d’actualité, c’est Charles. Qui fera sa réapparition tout à l’heure quand les douze heures fatidiques se seront écoulées. Tu seras là ?
– Si ma présence t’est encore indispensable.
– Elle l’est.


11-


– En espérant qu’il va pas nous poser aussi un lapin, celui-là…
– Alors là, lui, je suis bien tranquille. J’ai assez discuté avec. Il y a pas le moindre risque. Par contre, ce que je me demande, c’est si je vais suivre le cérémonial habituel.
– Comment ça ?
– Ben, ça devient lassant à force. En tout cas pour moi. Je les dérouille. Photos. Douze heures. Rephotos. Redouze heures. Rerephotos. Jusqu’à extinction des feux fessiers. Quelques petits coups de pinceau par là-dessus, à mes moments perdus. Et je remets ça avec un autre. Non, faudrait peut-être bien que je change un peu de registre. De façon de procéder. Même si, sur le fond, je touche absolument à rien.
– Oh, toi, t’as une idée derrière la tête…
– Non ? Tu crois ?
Elle a regardé l’heure, s’est levée.
– Il va arriver. Tu lui ouvres ? Je reviens.

Un bref…
– Ça va depuis ce matin ?
Et il s’est déshabillé sans un mot.
Elle a presque aussitôt fait son apparition. En peignoir. Le même peignoir.
– Tournez-vous !
Il lui a docilement obéi.
Elle lui a contemplé un long moment les fesses.
– Mouais… Ça a pas trop bougé depuis ce matin. Ça veut pas vraiment s’épanouir en jolis rouges profonds. Le mieux, du coup, ce serait peut-être qu’on reprenne tout à zéro. Non ? Vous croyez pas ? Ben, regardez-moi !
Il s’est retourné, a été sur le point de dire quelque chose, s’est ravisé, finalement tu.
– À moins que ce ne soit finalement pas nécessaire. Que la leçon de ce matin n’ait porté ses fruits. C’est le cas ?
– C’est le cas.
Elle a eu une moue dubitative.
– Espérons-le ! Non, parce que ce qu’il faut bien que vous finissiez par vous mettre dans la tête, vous, les mâles, c’est que vous n’avez absolument pas à éprouver de désir à notre égard tant que nous ne le souhaitons pas. C’est parfaitement inacceptable. Nous ne sommes pas des instruments voués à la satisfaction de vos appétits sexuels. Quant aux lieux communs éculés habituels, « Ça ne se commande pas ! » « C’est une réaction physiologique incontrôlable », et autres sornettes du même tabac, vous n’en êtes plus là, j’espère…
– Non.
– Sûr ?
– Sûr.
– Me voilà rassurée. Je peux donc laisser tomber mon peignoir sans susciter, de votre part, de réaction inappropriée ?
– Vous le pouvez.
– Sachant quand même que, là dessous, je suis complètement nue.
À peine a-t-elle eu le temps de faire mine d’en dénouer la ceinture que la queue du type a fait un bond, s’est élancée, dressée toute droite, palpitante.
Elle s’est interrompue. A éclaté de rire.
– Va encore falloir que j’aille au charbon. Vous êtes décidément incorrigibles, vous, les mecs, hein ! Bon, mais allez !
Avec un grand soupir.
Elle s’est emparée du martinet qui était posé au pied du chevalet. Est passée derrière lui. A lentement promené les lanières sur ses épaules, sur son dos, sur ses fesses.
– Je vais l’enlever mon peignoir. Je serai beaucoup plus à l’aise pour vous corriger. Mais vous ne verrez pas. Vous ne verrez rien. Vous avez interdiction formelle de vous retourner.
Et elle l’a fouetté. Entièrement nue.


12-


– Celle-là ? Ou celle-là plutôt, non ?
Elle n’arrivait pas à se décider.
– Mais aide-moi plutôt, au lieu de rester planté là comme une bûche…
J’en savais rien, moi. Qu’est-ce qu’elle voulait que j’en sache ? Elles se ressemblaient toutes ces photos. À d’infimes détails près.
– Bon, allez ! On va pas tergiverser comme ça pendant des heures. Ce sera celle-là. J’aime bien l’expression qu’il a là-dessus. Tout penaud. Tout repenti. Avec, en même temps, une pointe d’arrogance qu’il s’efforce tant bien que mal de dissimuler.
Elle a posé une toile vierge sur le chevalet, s’est installée, saisie d’un pinceau.
– Bon, mais et toi ? Raconte ! Comment tu l’as vécu tout ça ?
– Il a pris cher. J’aurais pas aimé être à sa place.
– C’est pas ce que je te demande. Ce que je veux savoir, c’est comment t’as vécu ça de ta place à toi.
– C’est-à-dire ?
– Fais bien l’innocent !
– Tu veux la vérité vraie ?
– De préférence, oui…
– Ça va être difficile.
– Parce que ?
– Parce que tu as des idées très arrêtées sur le sujet, que tu es terriblement bien foutue, que je ne suis pas de bois et que…
– Et que, quand j’ai laissé tomber mon peignoir, tu t’es mis à bander comme un furieux… Bon, ben voilà, c’est dit. Cela étant, je m’en doutais, hein ! Je suis pas complètement idiote.
– Et tu ne m’en tiens pas plus rigueur que ça ? Après tout ce que tu…
– Non, mais faut pas tout mélanger, attends ! Parce qu’un mec comme Charles dont la queue se dresse systématiquement pour n’importe quelle nana, sans distinction, qui veut qu’elle sache, qu’elle sente que, pour lui, elle n’est qu’un trou à remplir et rien d’autre, c’est un véritable calvaire pour nous, les femmes. T’en as partout de ceux-là. Ils est visqueux leur désir. Il est glauque. Il t’humilie. Il t’écœure. Il te donne envie de gerber. Alors oui, oui ! Ceux-là il faut la leur refouler dans la gorge, leur envie de nous. La leur renvoyer dans la gueule. L’anéantir. C’est faire œuvre de salubrité publique. Mais heureusement, t’as pas que ça. T’en as d’autres, par contre, tu perçois parfaitement que leur désir, c’est un hommage qui t’est personnellement destiné. Que c’est toi, en tant que telle, et personne d’autre, qui les met dans cet état-là. Ça a quelque chose de gratifiant, d’émouvant, même si, au bout du compte, ça te laisse complètement indifférente. Si tu n’as pas la moindre intention de les payer de retour. Ils ont envie de toi ? Eh bien, qu’ils aient envie de toi ! Tant qu’ils veulent. Ça les regarde. Et ça te dérange pas. Tant que ça reste dans les clous. Et puis, t’as les autres, ceux qui t’émeuvent, dont le désir éveille le tien. Que t’as envie de sentir dressés contre ton ventre. Dans les bras desquels tu aspires à t’abandonner. Complètement. Avec qui ça se passe. Ou ça se passe pas.
– Et moi, alors ? Dans quelle catégorie tu me ranges ?
– À ton avis ?
– La deuxième ?
– Peut-être.
– Seulement peut-être ?
– De toute façon, pour le moment, la question n’est pas là.
– Ah, bon ! Et elle est où alors ?
– Elle est que j’ai besoin de toi. D’un assistant. D’un garde-fou. Je ne veux peux pas courir le risque qu’un de ces jours Charles, ou un autre du même acabit, me « saute » dessus. Et que t’es très bien dans le rôle. J’ai misé sur le bon cheval. Même si t’as encore quand même pas mal de progrès à faire. Si tu pourrais t’investir davantage. Me donner des conseils, des idées, j’sais pas, moi ! Oh, mais ça viendra, ça, avec le temps. Sûrement. Quand t’auras trouvé tes marques et que, d’une façon ou d’une autre, t’y prendras vraiment du plaisir à tout ça.


13-


Elle avait voulu que je dorme là. Chez elle. Dans la chambre d’amis.
– Ben oui, attends ! Je vais pas te foutre dehors à cette heure-ci pour te faire revenir aux aurores. D’autant que t’habites pas la porte à côté.

Quand il est arrivé, le lendemain matin, à sept heures tapantes, elle était sous la douche. Elle m’a crié d’aller ouvrir.
– Ben, oui ! Ça fait partie de tes attributions, ça, maintenant.
Il était tout sourire. Parfaitement détendu. Parfaitement à l’aise. Du moins en apparence.
– Salut ! Faut que je fasse quoi, moi, là, maintenant ? Elle vous a dit ?
– Non, mais comme d’habitude, je suppose…
– Il y a de grandes chances, oui.
Et il a entrepris de se dévêtir. Tout en me faisant un brin de causette.
– Vous êtes qui, vous, en fait ? Son mec, c’est ça ?
– Si on vous le demande…
– Oui, bon, okay ! Ça me regarde pas. En attendant, en douce que vous devez bien vous marrer à me voir me démener comme un beau diable pour essayer de pas bander.
– Sans y arriver…
– Ah, ça ! C’est pas faute de prendre mes dispositions avant pourtant ! Dans la voiture. Juste avant de monter. Vous voyez ce que je veux dire. Ça y fait rien. Rien n’y fait rien n’importe comment. Et, de toute façon, quand bien même j’y arriverais, ça prouverait quoi dans des conditions pareilles ? Je l’abuserais peut-être, elle –et encore ! –, mais je ne m’abuserais pas, moi. Non. Faut que je me fasse une raison. Que j’en prenne mon parti. J’aurai beau dire et beau faire, ce truc que j’ai entre les jambes m’emmerdera toute ma vie.
– Mais non ! Pas forcément !
– Oh, que si ! J’ai tout essayé. Tout. Les médecins. Ils m’ont filé des traitements de merde qui m’ont transformé en zombie. Les psys. Ils m’ont fait raconter mon enfance. J’ai perdu mon temps. Je suis tombé entre les pattes de deux ou trois charlatans qui m’ont sucé mon pognon. Sans résultat. Et là, ici, c’est pareil. Sauf qu’elle me demande pas un rond. On m’avait pourtant assuré que ce serait radical. Tu parles !
– C’est si handicapant que ça ?
– C’est rien de le dire. Ne pouvoir penser qu’à ça… Toute la journée… Toute la journée… Toute la journée… Et à rien d’autre. Jamais. Non, mais vous imaginez ?
– Mal.
– J’en crève, il y a des jours. Si vous saviez comme je rêve de pouvoir m’intéresser à autre chose. Au foot. À l’Histoire. Aux voyages. À n’importe quoi. Mais à autre chose. Seulement, non. Non. J’y suis en permanence ramené. C’est plus fort que moi. Je suis emprisonné là-dedans. Rien d’autre ne compte. Jamais. Et les femmes ! Ah, les femmes ! Ce que j’aimerais, parfois, qu’on puisse discuter, elles et moi. Les écouter. Sans arrière-pensée. Partager. Mais non ! Non ! Pour moi ce ne sont jamais rien d’autre que des proies. Des proies vers lesquelles ça se dresse, là, en bas. Des proies qu’il me faut. Et que je vais dépenser des trésors de diplomatie, de persuasion et d’hypocrisie pour m’efforcer d’obtenir. Non. Je me fais plus d’illusions. C’est sans issue. Je suis condamné à mariner éternellement dans mon jus.
– Il doit quand même bien y avoir une solution !
– Laquelle ? Votre copine, là, avec ses tableaux ? J’y crois pas. J’y crois plus.
– Vous allez mettre un terme ?
– Même pas, non ! Et vous savez pourquoi ? Ça va sûrement vous paraître très con. Parce que je sais que j’ai aucune chance avec elle. Que je parviendrai pas à mes fins. Et ça a quelque chose d’extraordinairement reposant.

– Eh bien, les garçons ! On est en pleine discussion à ce que je vois…
Elle était nue.
Il a bandé.


14-


– Ah, il t’a dit ça ?
– Mot pour mot.
– Et tu l’as cru ?
– Ben…
– Il y avait certainement une bonne part de comédie là-dedans, va, pas besoin de t’en faire !
– Ça donnait pas vraiment cette impression.
– Tu parles qu’il y arrive pas à se maîtriser ! À d’autres ! T’y arrives bien, toi ! T’y arrives pas peut-être ?
– Mais si, mais…
– Ah, tu vois ! Toi, t’as pas la queue en l’air à tout bout de champ. T’as pas la langue qui pend de dix kilomètres à chaque nana qui passe. Alors ce qu’est possible pour toi, pourquoi ce serait pas possible pour lui ?
– Parce qu’on réagit pas tous pareil.
– Oui, oh, alors ça ! Non, je vais te dire ce que c’est son problème, à Charles. C’est qu’en réalité, au fin fond de lui-même, il a pas vraiment envie de modifier en quoi que ce soit à son comportement. Il s’en donne l’illusion. Pour tout un tas de raisons. Parce que ses agissements lui ont causé – et ne cessent pas de lui causer – toutes sortes de désagréments. Parce que l’image que tout ça lui renvoie de lui-même n’est pas très gratifiante, c’est le moins qu’on puisse dire. Alors il prend la pose. « Je vais changer. Il faut que je change. Je demande que ça. Et, pour preuve de sa bonne volonté, il tente un peu tout et n’importe quoi. Ce qui lui donne bonne conscience. « J’ai fait ce que j’ai pu. Tout ce que j’ai pu. Ça n’a servi strictement à rien. » Forcément. Quand on n’a pas fondamentalement envie de changer, eh bien on ne change pas. C’est pas plus compliqué que ça…
– Quand même ! Quand même ! Il avait l’air vraiment mal…
– Et les femmes sur lesquelles il jette, au quotidien, des regards affamés, elles sont pas mal, elles ? Tu sais ce que c’est, toi, de devoir essuyer, à longueur de trottoir des avances humiliantes, des commentaires salaces, de se faire traiter de pute ou de salope parce qu’on est en jupe ou en robe ? Tu sais ce que c’est d’être en permanence sur le qui-vive ? De devoir, dès qu’on se trouve dans une foule un peu compacte, repousser des mains résolument baladeuses ? Tu sais ce que c’est de jamais pouvoir profiter d’un moment de tranquillité quand on s’aventure à l’extérieur ? Et tout ça à cause de types comme Charles. Copies conformes. Alors je vais te dire : ses états d’âme, il peut se les carrer où je pense. Parce que tu vas voir que bien pris, parti comme c’est, à l’entendre, ça va être lui la victime. Alors non, David, non ! Je ne plaindrai pas Charles. Sûrement pas. Ni lui ni les autres.
– Il y a peut-être quand même une petite chance, non ?
– Une petite chance que quoi ?
– Qu’il change. Qu’il s’amende. Je sais pas, moi !
– J’y crois pas une seule seconde.
– Tu vas faire quoi alors, du coup, avec lui ?
– Mais rien. Rien du tout. Qu’est-ce tu veux que je fasse ?
– Tu vas pas le garder ?
– Demain, après-demain au plus tard, les marques auront complètement disparu. Il n’y aura plus aucune espèce de raison pour que je le garde par les pieds.
– Il y compte bien pourtant.
– Oui, ben alors ça, c’est le cadet de mes soucis. Il est pas seul au monde. Tu verrais tous ceux qu’attendent derrière !
– Avec les mêmes motivations que lui ?
– Plus ou moins. Mais ça, je m’en fiche un peu, en réalité, de leurs motivations. C’est pas ça, à mes yeux, l’essentiel. Même si j’en tiens compte. Même si je m’en sers. Par contre, ils ont tous en commun de ne considérer la femme que comme un objet voué à la satisfaction de leurs instincts les plus primaires.
– Ce qui te permet de régler tes comptes.
– Dans un sens, on peut dire ça comme ça, oui.


15-


Elle lui a lancé une petite claque sur les fesses.
– Bon, ben voilà. Vous pouvez vous rhabiller. On a fait le tour de la question.
– Mais…
– Mais quoi ? Il n’y a plus la moindre marque.
– Oui, mais le problème n’est pas réglé pour autant.
Ah, ça, pour pas l’être, il l’était pas. Il bandait tout ce qu’il savait, le bougre.
– Il ne le sera jamais, réglé, le problème. Et vous le savez très bien. Vous êtes irrécupérable.
– Mais non, je vous assure…
– Assez discuté. Rhabillez-vous !
– Vous pouvez pas me laisser une petite chance ?
– Rhabillez-vous !
Il a commencé à le faire. Avec un profond soupir.
– Je pourrai voir les tableaux, au moins, quand ils seront finis ?
– Je ne sais pas. J’aviserai. Je vous dirai.
Et elle lui a tourné le dos. Elle a regagné sa chambre.
Il m’a jeté un regard suppliant.
– Vous pourriez pas intercéder, vous ?
– Je verrai ce que je peux faire. Mais vous savez, elle, pour la faire changer d’avis… Mais j’essaierai. Je vous promets d’essayer.
– Merci.

– Il est parti ?
– Il est parti, oui. Mais comment il avait l’air déçu !
Elle a levé les yeux au ciel.
– Ils sont tous déçus quand c’est fini. Tous ! Ou quasiment. T’as vu le nombre qu’il y en a déjà ? Sans compter ceux qu’attendent. Alors je peux matériellement pas me mettre sur le pied de jouer les prolongations avec tout ce monde. J’en sortirais plus. Cela étant, je les garde quand même sous le coude. On sait jamais. Je réserve l’avenir.
– On n’aurait vraiment pas dit tout à l’heure.
– J’avais pas le choix. Charles, c’est le genre de type que je cours le risque de trouver tous les matins sur mon paillasson si je le recadre pas d’entrée de jeu. Il sera toujours temps, après, de desserrer un peu l’étau. Parce qu’il va m’écrire. Je te parie tout ce que tu veux que, dès ce soir, demain au plus tard, j’aurai un mail, voire deux ou trois. Je me montrerai alors beaucoup plus conciliante. Je lui distillerai un peu d’espoir. À la condition expresse qu’il attende mon bon vouloir. Qu’il s’abstienne de m’assaillir de récriminations intempestives. Bon, mais allez ! Assez parlé de lui… Surtout qu’il y en a un autre, là, qui devrait pas tarder à arriver.
– Déjà ! Tu perds pas de temps, dis donc !
– Jamais. C’est un dénommé Domitien. Vingt-deux ans. Que mon projet de tableau toutes les douze heures enthousiasme, paraît-il.
– Un artiste…
– Oui, oh… Ses véritables motivations sont très vraisemblablement ailleurs. Le challenge, pour moi, va consister à les débusquer. Mais il y a pas que ça ! Il y a qu’il ressemble comme deux gouttes d’eau à un type que j’ai connu jadis.
– Un ex ?
– Oui, oh, ben alors ça, il y a pas de risque. Non. C’était quand j’étudiais la peinture, à Vienne, avec un maître de renom. Lui aussi, il suivait ses cours. Une belle enflure, oui ! Je te raconterai.


16-


Il avait vraiment pas l’air rassuré, ce Domitien, c’est le moins qu’on puisse dire. Il était blême. Ses mains tremblaient.
Julie a fait tournoyer le martinet autour de sa tête.
– Bon, allez ! On y va ?
– Attendez ! Attendez ! Dites-moi avant… Ça va se passer comment ?
Elle a haussé les épaules.
– Comment tu veux que ça se passe ? Tu vas te désaper et je vais te fouetter. C’est pas plus compliqué que ça.
– Oui, mais…
– Mais quoi ?
– Ça va faire mal ?
– Ah, ben oui ! Ça ! Forcément…
– C’est obligé ?
– Évidemment que c’est obligé ! Parce que le but, je te le rappelle, c’est d’obtenir des marques significatives et suffisamment durables pour qu’on puisse en tirer quatre ou cinq tableaux des plus décoratifs. J’ai été assez claire là-dessus, ce me semble.
– Vous l’avez été, oui.
– Eh bien alors ?
– C’est que…
– Tu te dégonfles ? Tu serais pas le premier. Bon, mais, c’est pas un problème, ça ! J’attends pas après toi. Il y en a des dizaines et des dizaines qui rêvent d’être à ta place. Alors tu arrêtes de me faire perdre mon temps et tu dégages…
– Oh, non ! Non ! S’il vous plaît !
– Faudrait savoir ce que tu veux…
– Mais je le sais ! Seulement ça me fout quand même une trouille bleue.
– La peur est faite pour être dépassée. Bon, mais ça suffit. Assez discutaillé. T’as quinze secondes pour te mettre à poil. Passé ce délai, je considérerai que tu renonces. Et ce sera sans appel.
Il a jeté un regard dans ma direction. Comme pour solliciter de l’aide. Et puis il s’est décidé. Il a arraché tous ses vêtements qu’il a abandonnés à même le sol.
– Eh bien voilà ! Va te mettre là-bas ! Non, là-bas ! Devant le miroir. Et les mains sur la tête. Pour te punir de cette petite comédie que tu viens de nous infliger. Non, mais qu’est-ce que c’est que ces façons de danser d’un pied sur l’autre ? Je veux. Je veux plus. Je veux quand même. Pour la peine je vais te corriger beaucoup plus sévèrement que je ne l’aurais fait si tu t’étais comporté, d’entrée de jeu, avec un peu plus de courage. Ah ben si, si ! Tu vas pas encore recommencer à faire tout un tas d’histoires ?
Il a baissé la tête.
– Non.
Elle est venue se placer derrière lui. Leurs regards se sont croisés dans la glace. Se sont retenus. Elle lui a promené longuement les lanières le long des fesses. Le long des jambes.
– Je vais te donner un conseil. Pour qu’elle soit plus supportable, la douleur. Tu as sûrement fait, dans ta vie, des choses pas bien jolies. Dont tu n’as vraiment pas de quoi être fier. Tu en fais même très probablement encore. Non ?
– Si !
– Ah, tu vois… C’est quoi ?
– Je…
– Tu veux pas le dire ? C’est pas grave. Tu y viendras. En temps voulu. L’essentiel, pour le moment, c’est que toi, tu le saches et que tu gardes bien à l’esprit que c’est pour ça que tu es puni. Que ce n’est que justice. Vu ?
– Oui.
– Alors, cette fois, on y va.
Elle a cinglé. De toutes ses forces. Il a hurlé.


17-


– Cette raclée qu’il s’est ramassée !
– Oui, hein ! Je suis pas mécontente de moi.
– Et quel pied t’as pris à la lui flanquer !
– Ça s’est vu tant que ça ?
– Comme le nez au milieu de la figure.
– C’est sa faute aussi ! On n’a pas idée de ressembler, comme deux gouttes d’eau, à cette espèce d’enflure de Christopher.
– C’était qui ce Christopher ?
– Une belle petite saloperie. Et il était pas le seul. Il y en avait d’autres.
– Tu m’avais dit que tu me raconterais.
– On ira manger quelque part ensemble à midi. On aura tout notre temps comme ça.

– Je t’écoute…
Elle a repoussé son assiette sur le côté, croisé les bras sur la table.
– C’était le nec plus ultra de l’enseignement de la peinture, Weber, à l’époque. LE professeur. Avec un grand P. Celui aux cours duquel tout le monde rêvait d’assister. J’avais postulé. Sans grande conviction. Il y avait beaucoup d’appelés et peu d’élus. Alors je te dis pas mon ravissement quand j’ai reçu sa réponse. Positive ! Je sautais partout. J’embrassais tout le monde. Avec Weber, j’allais devenir une grande artiste. Un peintre de renom. Je serais exposée partout dans le monde. J’étais sur mon petit nuage. Je me suis précipitée à Vienne, toutes affaires cessantes. Weber était très sélectif. On était cinq. Que cinq. Et j’étais la seule fille. Une fille dont le maître ne cessait pas de vanter les mérites. Dont il plaçait les qualités très au-dessus de celles de ses petits camarades. Il le disait. Il le répétait. Dix fois par jour. Ça me flattait. Et eux, évidemment, ils ne le manifestaient pas ouvertement, mais ça les rendait jaloux. Profondément jaloux. Je ne m’en rendais absolument pas compte. J’étais dans ma bulle. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, pour eux, c’est quand il m’a demandé de poser. Poser pour Weber ? Être peinte par Weber ? Même dans mes rêves les plus fous… Alors c’était oui, bien sûr que c’était oui ! Oui. Et encore oui. Sauf que poser pour Weber, dans le cadre de ses cours, c’était, en même temps, poser pour eux. Ce dont je me fichais éperdument. Je n’ai jamais été spécialement pudique. Et puis, de toute façon, ils ne comptaient pas. Weber allait me peindre, moi ! Je ne voyais que ça. Le reste n’avait pas la moindre importance. Ils ont été absolument odieux. Oh, pas en sa présence, bien sûr ! Non. En sa présence, ils étaient sagement installés devant leurs toiles. Ils me peignaient sans broncher. Ils écoutaient ses conseils. On leur aurait donné le bon Dieu sans confession, mais je peux te dire que, dès qu’il avait le dos tourné, j’en prenais plein la tête. Dans le registre « T’adores ça te foutre à poil, hein ? Mais si ! Mais si ! Tu crois que ça se voit pas ? Tu mouilles comme une petite folle, j’parie ! Non ? Tu mouilles pas peut-être ? » Ou bien alors… « Tu peux pas savoir comment j’ai hâte d’y avoir mis la dernière main, moi, à ce tableau ! Je l’installerai dans ma chambre, juste en face de mon lit, et je me branlerai devant ta chatte et tes nénés de petite cochonne. Parce qu’une fille comme toi, à part pour le cul, elle ne présente pas le moindre intérêt. » Je t’en passe… Et des meilleures.
– Et c’était tous ? Tous les quatre ?
– À des degrés divers. Mais le plus acharné de tous – et de loin – c’était Christopher.
– Je comprends mieux.
– Ils m’ont pourri toutes les séances. Je savais ce qu’ils avaient dans la tête. Alors leurs regards sur moi, c’était, à proprement parler, insupportable.
– T’en as pas parlé à Weber ?
– Si ! Bien sûr que si !
– Et ?
– Et c’était un artiste, Weber. Ça lui passait à cent mille lieues au-dessus de la tête, tout ça. Il n’a pas compris. Ou n’a pas voulu comprendre. Et j’ai dû renoncer, la mort dans l’âme à mes études de peinture. Je n’avais pas d’autre solution. Je n’en pouvais plus.
– Et les tableaux ?
– Ils n’avaient été qu’ébauchés, les tableaux. Ils n’ont jamais été terminés . Ni le sien ni les leurs. Du moins je le suppose. Et je l’espère.


18-


Comment il avait marqué ! Ça s’était incrusté en longues stries violacées, boursouflées, qui s’étalaient au large sur toute la surface.
Elle a pris photo sur photo. Pas loin d’une centaine.
– Là ! Bon, ben tu peux y aller, toi, maintenant ! Rendez-vous dans douze heures. Et tâche d’être ponctuel…
Il s’est lentement dirigé, comme à regret, vers ses vêtements. S’est retourné.
– Je pourrais pas ?
– Quoi donc ?
– Les voir ?
– Oh, si tu veux !
Il a lâché le boxer qu’il s’apprêtait à enfiler. Est revenu sur ses pas. Le temps de glisser la carte dans l’ordinateur et elle a fait défiler. Lentement. Il n’a pas quitté l’écran un seul instant des yeux. Jusqu’à la fin.
– Laquelle vous allez peindre ?
– Je sais pas encore. Je verrai.
– Et sur celles d’hier soir, de juste après, vous n’avez pas décidé non plus ?
– T’es bien curieux.
– Oh, vous pouvez bien. Je suis le premier concerné après tout.
Elle l’a affichée.
– C’est celle-là !
Il l’a longuement contemplée.
– Ça me fait tout drôle de me dire que je vais être en tableau. Surtout comme ça ! Vous allez le commencer bientôt ?
Elle a découvert la toile posée sur le chevalet.
– C’est déjà commencé.
– Ah, oui ! Et drôlement avancé en plus. Vous allez le continuer quand ?
– Dès que tu seras parti.
Il s’est rembruni.
– Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Tu veux me voir peindre, c’est ça ? Bon, mais une demi-heure. Pas plus. Attrape une chaise et assieds-toi là, près de moi.
Il ne se l’est pas répéter deux fois. Il s’est installé. Sans même prendre le temps d’aller se rhabiller.
Et il l’a regardée faire, fasciné.
– Vous travaillez à une allure…
– Question d’habitude.
Il s’est absorbé dans sa contemplation.
– Vous allez en faire quoi après ?
– Qu’est-ce tu veux que j’en fasse de spécial ? Tu seras suspendu au mur. Comme les autres.
– Je pourrai pas l’avoir ?
– Certainement pas, non.
– À moins que… Vous pourriez peut-être m’en faire un deuxième.
– Non, mais écoutez-le, celui-là ! Exigeant en plus !
– Oh, vous auriez vite fait.
Sur la toile, elle lui a fignolé une fesse.
– Tu y tiens vraiment ?
Son visage s’est illuminé.
– Oh, oui ! Oui !
– Alors tu as une solution toute trouvée. Tu m’as dit que tu peignais, toi aussi, non ?
– Ben oui, mais…
– Mais quoi ? On n’est jamais mieux servi que par soi-même. On t’a pas appris ça à l’école ? Alors ce soir, après la séance photo, au boulot…


19-


– Tu crois que c’est la peine ?
– De quoi donc ?
– Que je revienne ce soir.
Un éclair de déception est passé dans ses yeux. Qui a très vite disparu.
– Comme tu veux. C’est toi qui vois.
– Je crois franchement pas que tu aies grand-chose à craindre d’un type comme lui.
– On sait jamais. On peut pas savoir. Surtout si je le pousse dans ses derniers retranchements.
– C’est ton intention ?
– Peut-être. Ça va dépendre. De tout un tas de choses. Je verrai. J’improviserai. Au coup pour coup. Mais faut pas te croire obligé de venir non plus, hein ! Je veux pas te faire perdre ton temps.
– Je le perds pas.
– Un peu quand même, si ! Parce que tu me rends service. Ce dont je te remercie. Mais à toi, ça n’apporte pas grand-chose. Pour pas dire rien du tout.
– Qui sait ?
Elle m’a coulé un bref regard en coin.
– Ah, oui ?
– Le plaisir manifeste que tu prends à tout ça a quelque chose de très communicatif et, disons-le, de très jubilatoire.
Elle m’a gratifié d’un éclatant sourire.
– Eh ben alors ! Il est où est le problème ? Si c’est le trajet…
– C’est vrai que ça fait quand même au bout.
– Il y a une chambre d’amis. Où t’as déjà passé la nuit. Tu peux t’y installer si tu veux. Ça t’évitera toutes ces allées et venues, deux fois par jour. Tu bosses chez toi en plus. Sur ordi. C’est quelque chose que tu peux très bien faire ici. Non ?
Si. Bien sûr que je pouvais. Si.
– Je reviens.
Et je suis allé chercher quelques affaires.

Elle a passé la tête.
– Ça va ? T’es bien installé ?
– C’est parfait.
– Si t’as besoin de quoi que ce soit, surtout t’hésites pas, hein !
– Promis. Merci.
J’ai pris mes marques. Rempli de mes sous-vêtement et de mes tee-shirts le tiroir d’une commode, suspendu mes pantalons dans la penderie, branché mon imprimante, jeté un coup d’œil, par la fenêtre, sur la cascade grise des toits rendus luisants par la pluie.
Et je me suis mis au travail.
Pas bien longtemps. Elle a frappé, entrouvert la porte.
– Je te dérange pas ?
– Bien sûr que non.
– J’en ai pas pour longtemps. C’est juste que je voulais te dire : je suis vraiment très contente que tu restes. Très. Parce que, maintenant que je me suis habituée à ta présence, j’aurais vraiment beaucoup de mal à envisager tous ces trucs-là sans toi. Je sais pas trop comment expliquer en fait. C’est pas seulement que ça me rassure, c’est pas seulement que c’est dissuasif, c’est que ça prend une autre dimension. De l’ampleur. Tu comprends ?
Elle ne m’a pas laissé le temps de répondre. Elle a refermé la porte. Qu’elle a presque aussitôt rouverte.
– Et puis aussi… Tu sais ce que je me disais ? C’est que ce serait encore mieux si tu pouvais participer. D’une façon ou d’une autre.
Et elle est repartie. Pour de bon, cette fois.


20-


Ça avait pris des teintes très sombres. Qui s’étaient rejointes. Enchevêtrées et superposées les unes aux autres.
Elle a étudié tout ça de près. De très très près.
– J’ai bien fait de pas te ménager, toi ! Ça s’est profondément incrusté. Ça dure du coup. Et c’est pas déplaisant du tout à regarder.
Elle a fait les traditionnelles photos. En plus grand nombre encore que d’habitude.
– T’es toujours décidé à te peindre ?
Il a fait signe que oui. De la tête. Oui.
– Eh bien installe-toi alors !
Elle lui avait préparé un chevalet. Qu’elle avait placé très en hauteur, un peu en avant du sien.
Il a semblé chercher quelque chose, du regard, autour de lui. Une chaise.
– Non, non. Debout, tu vas peindre. T’es jeune, tu peux. Et à poil. Comme ça, moi, pendant ce temps-là, je pourrai contempler mon œuvre tout à loisir. Sur le vif. Ça m’inspirera.
Il s’est emparé d’un pinceau. A mélangé des couleurs. Jeté un coup d’œil sur sa toile à elle. Poussé un profond soupir.
– Jamais j’y arriverai.
– À quoi ?
– À faire aussi bien que vous.
– Personne te le demande.
– Mais quand même ! Comment j’aimerais ça…
Ils ont travaillé quelques instants en silence.
– Bon, ben je t’écoute…
– Vous m’écoutez ?
– Tu devais nous dire… Toutes ces vilaines choses, là, que t’as à te reprocher.
– Ah, oui ! Oh, il y en a pas tant que ça, finalement !
– Ben, voyons !
– Si, c’est vrai, hein !
– T’as une copine ?
– Oui. Non. Enfin, si ! Ça dépend.
– De quoi ?
– De ce qu’on entend par là.
– Ce qui veut dire, en fait, que tu tiens pas vraiment à elle.
– Pas trop, non.
– Qu’elle te sert juste à te vider les couilles.
– Pas seulement. On fait des trucs ensemble. Des kebabs. Des cinés.
– Le minimum syndical, quoi ! Histoire de l’entretenir dans l’illusion qu’elle compte un peu pour toi. Et elle ? Tu comptes pour elle ?
– Je crois. Je sais pas.
– Et tu cherches pas à savoir. C’est le cadet de tes soucis. Ce qu’elle pense, ce qu’elle ressent, ce qu’elle espère, t’en as strictement rien à battre. La seule chose qui compte à tes yeux, c’est ton intérêt à toi, ta petite satisfaction égoïste. Le reste… Et quand t’en auras soupé d’elle ou que tu lui auras trouvé une remplaçante, tu t’en débarrasseras. Sans autre forme de procès. C’est pas vrai ce que je dis là peut-être ? Hein ? C’est pas vrai ? Bien sûr que si ! Tu la jetteras comme t’as jeté toutes les autres avant elle. Sans le moindre état d’âme. Il y en a eu combien ? On peut savoir ? Eh bien ?
– Six ou sept. Peut-être huit. Quelque chose comme ça.
– Et t’es fier de toi ?
Il a baissé la tête. Il n’a pas répondu.
– Comme quoi la correction que je t’ai flanquée était amplement méritée, avoue ! Non ?
– Si !
– Oh, mais fais-moi confiance ! On va pas s’en tenir là…


21-


Sur le coup de onze heures elle l’a carrément fichu dehors.
– Bon, allez, ouste ! Du balai ! Tu dégages. Je t’ai assez vu.
Il a pris un petit air désolé.
– Mais…
– Mais rien du tout. Il y a pas de mais qui tienne. Ton tableau ? Oui, ben il y a pas le feu, ton tableau. On est appelés à se revoir. Pas plus tard que demain matin. Alors tu circules. Allez, hop ! Et plus vite que ça…
Elle lui à peine laissé le temps de se rhabiller. Elle l’a poussé vers la porte. Qu’elle a refermée sur lui.
– Là ! Bon, ben moi, maintenant, je vais prendre une douche…

Dans la salle de bains quelque chose a claqué. Il y a eu des ruissellements. Et puis des soupirs, des gémissements ne laissant planer aucun doute sur la nature de l’activité à laquelle elle était en train de se livrer. À laquelle il lui avait donné envie de se livrer. Ça s’est emballé. En longues plaintes éplorées. Éperdues. À nouveau des ruissellements. Et elle a fait sa réapparition. Dans un long pyjama de satin bleuté.
– Tu sais quoi ? Eh bien, quand je regarde ce Domitien, j’ai vraiment l’impression d’être en présence de Christopher. Sauf que, cette fois, c’est moi qui tiens la barre. Qui dirige la manœuvre. Et je peux te dire que ce qu’il m’a fait subir, là-bas, à Vienne, il va me le payer. Au centuple.
Elle est allée s’installer devant son ordinateur.
– Ah ! Eh ben voilà ! Voilà !
– Voilà quoi ?
– J’ai trouvé son Facebook. Hou là là ! Près de trois cents amis il a. En majorité des filles. Évidemment ! Sûrement son réservoir. Dans lequel il vient puiser en cas de besoin.
Je me suis penché par-dessus son épaule.
– Eh, mais c’est qu’il y en a des pas mal foutues du tout !
– Tu vas pas t’y mettre, toi aussi !
– Si le Bon Dieu m’a donné des yeux…
– Et moi, s’il m’a donné des mains, c’est pour manier le martinet. Tenté ?
– Pas vraiment, non.
– C’est de toute façon exclu. Le rôle qui t’est dévolu…
– Est celui de garde du corps.
– Pas seulement. Tu es aussi mon confident. Ce qui n’est possible que parce qu’on est de la même race tous les deux. Ce que j’ai tout de suite senti. Dès que je t’ai vu, j’ai su que tu apprécierais infiniment de me voir châtier des postérieurs masculins qui l’avaient amplement mérité. Ou, plus exactement, que tu éprouverais un très vif plaisir à me voir éprouver du plaisir à le faire. Je me trompe ?
– Tu sais bien que non.
– Mon plaisir se nourrissant à son tour de celui que je te vois éprouver à me voir en avoir quand je traite l’un de ces messieurs. Je suis pas trop confuse ?
– Tu es très claire au contraire.
– Bon, mais si on revenait à notre Domitien ? Tu sais ce que je me demande ? C’est si, parmi toute cette tripotée de nanas, il a gardé certaines de ses ex comme amies.
– Ce serait bien dans le style du personnage.
– Encore faudrait-il savoir lesquelles.
– Pour…
– On lui réserverait une jolie petite surprise.
– Je vois…
– Il doit y avoir moyen. En épluchant leurs profils, on trouverait sûrement des indices. Des photos. Des commentaires. Je sais pas, moi ! On tire un fil et tout le reste vient.
– Un véritable travail de titan.
– Dont tu te tirerais, j’en suis certaine, avec les honneurs. Non ?


22-


Elle a surgi dans le séjour, nue, ébouriffée, tout ensommeillée.
– Qu’est-ce qu’il se passe ? Quelle heure il est ? T’es déjà levé ?
– Non. Je me suis pas couché.
– Tu t’es pas couché ! Mais qu’est-ce tu fais ?
– Comme convenu, j’épluche son Facebook.
Elle a contourné le canapé. S’est penchée, par-dessus mon épaule, sur l’écran de l’ordinateur.
– Ah, oui ! Et alors ?
– Et alors j’ai une Estelle. Avec laquelle il est brièvement sorti, en juin dernier. Ça a duré une semaine. Quelque chose comme ça. Avec des cœurs et des bisous partout. Laquelle Estelle a, de son côté, une amie, une dénommée Carla, qui n’est pas – ou plus – dans sa liste à lui. Qui fait fréquemment allusion à « l’autre animal ». C’est lui, de toute évidence. Il y a pas mal de commentaires et, vu leur teneur, bon nombre de celles qui se manifestent ont eu maille à partir avec lui. Ça saute aux yeux. Et si je continue à fouiller, si j’établis des connexions entre ce qui s’est écrit sur les différents murs, je dois pouvoir encore faire des découvertes très intéressantes.
– C’est peut-être pas nécessaire. On a suffisamment de grain à moudre comme ça.
– Il parlait de six ou sept filles, mais, à mon avis, il y en a beaucoup plus, mais alors là vraiment beaucoup plus.
– Ce qui me surprend pas. Il le porte sur lui qu’il a pas le moindre scrupule. Dans quelque domaine que ce soit. Comme l’autre. Le Christopher. Quand je te dis qu’ils sont copie conforme tous les deux. Tu sais ce qu’il m’a fait à Vienne ? Attends ! Que je te raconte…
Elle a fait le tour du canapé. A été sur le point de s’asseoir. S’est ravisée.
– Et moi qui me balade à poil. Tranquille. Faudrait peut-être quand même que j’aille passer un truc…
J’ai haussé les épaules.
– Si tu veux, mais…
– Ça te dérange pas.
– Pas le moins du monde. C’est même…
– Tu m’as déjà vue n’importe comment… Quand il y avait Charles. Alors un peu plus, un peu moins…
Et elle s’est assise.
– Oui. Tu sais ce qu’il m’a fait ? J’avais rencontré un type à Vienne. Ullrich. Beau comme un dieu. Tendre. Calin. Viril. Bref, le genre de mec improbable que t’as une chance sur cent millions de rencontrer. On s’était tourné un bon moment autour et puis finalement, un soir, ça avait fini par le faire. Il baisait bien. En plus. Et pas seulement. Ça prenait vraiment tournure tous les deux. On s’entendait du feu de Dieu. On commençait à parler de s’installer ensemble. On faisait des projets d’avenir, tout ça ! J’étais sur un petit nuage. Et puis, d’un coup, du jour au lendemain, il a commencé à prendre ses distances. Il n’était plus le même. Il me battait froid. Il y avait quelque chose. Je voyais bien qu’il y avait quelque chose. Mais quoi ? Je l’interrogeais. Il éludait. « Mais non, il y a rien. Tu te l’imagines. » À force d’insistance, il a pourtant fini, excédé, par cracher le morceau. « Je suis pas le seul. T’en as d’autres. » « Quoi ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? » C’était eux, à l’atelier. Je m’étais bien gardée de leur parler de lui. Et pour cause. Mais ils avaient eu des soupçons. Ils m’avaient discrètement pistée et ils avaient décidé de me casser le coup. Comme ça. Gratuitement. Par pure méchanceté. Parce qu’ils m’avaient pris en grippe. C’est Christopher qui s’en est chargé. Il a pris contact avec Ullrich qui savait, bien sûr, que j’étudiais la peinture avec Weber, mais je ne lui avais pas dit, parce que ça ne s’était pas présenté, parce que ça ne m’avait pas paru important, parce que j’attendais l’occasion, que je posais nue pour lui. Pour eux. Il a accusé le coup. Et Christopher a joué sur du velours. Il lui a raconté les pires horreurs sur mon compte. Qu’ils m’étaient tous passés dessus à l’atelier. Absolument tous. Il a voulu les rencontrer. Pour en avoir le cœur net. Et comme ils étaient de mèche, non seulement ils ont fait chorus, mais ils m’ont prêté, en prime, toutes sortes d’aventures imaginaires. J’ai eu beau nier, jurer mes grands dieux, argumenter, protester tant et plus, rien n’y a fait. Il me croyait le lundi et ne me croyait plus le mardi. On s’est épuisés en discussions stériles qui ont fini par tourner régulièrement en disputes. C’était épuisant. Pour l’un comme pour l’autre. Et on a mis un terme. Tu comprends comment j’ai pu avoir la haine ? Comment je l’ai encore ?


23-


Elle lui a minutieusement examiné le fessier.
– C’est en voie de résorption. Ce soir – demain au plus tard – ça aura complètement disparu. Bon, mais tu peux te remettre au travail…
Ce qu’il a aussitôt fait.
Je suis venu me pencher par-dessus son épaule.
Il a levé sur moi un regard inquiet.
– C’est nul, hein ?
– Nul, non, mais, pour être franc, ton coup de pinceau est loin de valoir celui de Julie.
– Oui, mais ça !
Elle est intervenue.
– On s’en fiche un peu de la façon dont il peint. C’est son problème. Non, on va reprendre notre petite conversation d’hier soir, plutôt.
Il s’est raidi.
– Allez, on t’écoute…
– Vous m’écoutez ?
– Oui. Parle-nous d’Estelle, tiens, par exemple…
– Estelle ?
– Estelle, oui. Prends pas cet air idiot. T’es bien sorti avec ?
– Oui. Si ! Mais comment vous savez ?
– On sait énormément de choses. Beaucoup plus que tu ne le crois. Alors, Estelle ?
– On est sortis, oui. Pas longtemps.
– Et tu l’as larguée. Pourquoi ?
– J’en avais fait le tour.
– Avec quelle délicatesse ces choses-là sont dites. Et elle a pris ça comment ?
– Pas très bien.
– Et pour cause. Elle s’est accrochée ?
– Oh, pour ça, oui !
– Ce qui t’a gonflé. Quelle emmerdeuse, hein ! Et maintenant ?
– J’ai plus de nouvelles.
– Eh bien, je vais t’en donner, moi, des nouvelles ! Elle est détruite, Estelle. Elle ne peut plus avoir confiance. En personne. Dès qu’un garçon commence à s’intéresser d’un peu près à elle, elle freine des quatre fers. Il a pourtant l’air sincère, ce type. Oui, mais toi aussi tu paraissais l’être. Et tu t’es fichue d’elle. Dans les grandes largeurs. Alors qu’est-ce qui lui dit que ça va pas recommencer ? Qu’une fois qu’il aura eu ce qu’il voulait, le type, il va pas la bazarder sans autre forme de procès. Du coup elle ne s’aventure qu’avec précaution. Du bout des sentiments. Résultat des courses : elle lui paraît tiède à ce brave garçon. Pas vraiment investie. Tout simplement pas amoureuse. Et il n’insiste pas. Est-ce que tu te rends compte que tu as bouzillé quelque chose d’essentiel en elle ? Que tu lui as gâché la vie ?
– Je…
– Tu ?
– Je me rendais pas compte.
– La belle excuse ! Et le pire, c’est que tu continues ! C’est que tu lamines toutes celles qui passent à ta portée. C’est que tu piétines leurs sentiments. Tu es un être immonde, tiens ! Ignoble.
– Je suis désolé. Je voyais pas les choses comme ça. Je réfléchissais pas.
– T’es désolé… Ça leur fait une belle jambe. Ce qu’il faut surtout, maintenant, c’est que tu changes de comportement. Seulement ça !
– Si ! Si ! Je vais essayer.
– C’est pas essayer qu’il faut, c’est réussir. Bon, mais tu sais pas ? Puisque tu es dans d’aussi bonnes dispositions, on va commencer par la faire venir Estelle… Que tu puisses t’excuser, c’est la moindre des choses.
– Je sais pas. Je…
– Si tu te défiles déjà…
– Je me défile pas.
– Je la fais venir alors ?
– Si vous voulez.


24-


– Tu t’occupes de nous la contacter, cette Estelle ?
Moi, je voulais bien. Je demandais pas mieux.
– Seulement d’ici ce soir, ça risque quand même d’être un peu short.
– Je sais bien, oui. Prends tout ton temps. Fais au mieux. Ce sera quand ce sera. En attendant, je vais nous le tenir bien au chaud sur le gril, notre petit Domitien. Qu’il morfle un peu ! Chacun son tour.

Établir le contact avec Estelle n’a pas été vraiment compliqué. Je lui ai envoyé un message, en privé, pour lui dire que j’aurais aimé l’entretenir d’un certain Domitien. Message auquel elle a presque aussitôt répondu.
– Qu’est-ce qu’il a encore fait cet oiseau-là ?
Non. Rien. Enfin si, peut-être ! J’en savais rien en fait. Mais est-ce que c’était quelqu’un à qui une femme pouvait se fier ?
– Lui ? C’est la dernière des enflures ! Un enfoiré de première.
Carrément ! Elle l’avait pourtant dans sa liste d’amis.
– Pour garder un œil dessus, tiens ! C’est le genre de type dont tu sais jamais à quel moment ça va l’attraper de te la faire à l’envers.
Je trouvais qu’elle en dressait un tableau…
– Encore bien en-dessous de la vérité, je vous assure ! Si vous saviez le nombre de filles avec lesquelles il s’est montré absolument odieux. À commencer par moi.
– Ah, oui ! Comment ça ?
On s’est branchés en cam.
– Parce que ça risque d’être long.
Et elle s’est lancée.
– Vous savez ce qu’il m’a fait ? Au café, il m’a larguée. Un soir. Devant tous ses copains. En prétendant que j’étais pas un bon coup au lit. « On s’emmerde avec, les mecs. On s’emmerde comme c’est pas possible. C’est le genre à écarter les cuisses et à attendre que ça se passe. T’as l’impression de baiser un bout de bois. Ou une poupée en latex. Quant aux pipes, ben c’est en option. Il vaut mieux d’ailleurs. Parce qu’à part te baver tant et plus sur la queue… Maintenant, s’il y en a un que ça tente, je la lui laisse. C’est de bon cœur. Mais il fera pas vraiment une affaire. » Cette claque que je me suis prise ! Je m’étais investie, moi. Même si ça faisait pas beaucoup de temps qu’on était ensemble. Et il m’avait laissée faire. Il m’avait même encouragée. Il avait parlé d’avenir, de projets en commun. De plein de trucs. Alors se ramasser une rupture en pleine gueule, comme ça, devant tout le monde ! Sans que rien, absolument rien, ait pu le laisser prévoir… Mais encore ça, qu’il me plaque, c’était dur, un grand coup par la tronche, oui, mais c’était pas ça, le pire. Le pire, c’était cette volonté délibérée de m’humilier. Publiquement. Et gratuitement. Parce qu’il y avait pas un mot de vrai dans tout ce qu’il a raconté. Ça m’a fait mal, mais mal, vous pouvez pas savoir…
– Quel petit personnage infect, ce Domitien !
– Ah, ça, vous pouvez le dire… Et je suis pas la seule à avoir eu maille à partir avec. Tenez, ma copine Carla, par exemple. Avec elle aussi il est sorti. Eh bien un soir qu’ils étaient en boîte tous les deux, il en a dragué une autre sous ses yeux. Et quand je dis dragué, c’est dragué. Avec roulage de pelles et pelotage des fesses sur la piste. Mais c’est pas tout. Parce qu’en prime la fille, il s’est enfermé avec, pour la tirer, dans la voiture de Carla. Qu’était folle de rage. Mais elle a eu beau hurler, tempêter, frapper aux vitres, taper sur le capot, il en a strictement rien eu à foutre. Il a tranquillement terminé son affaire, il est descendu et il lui a jeté les clefs à la figure. « Tiens, la v’là ta tire ! Et tu te casses. Je veux plus jamais entendre parler de toi .» Et tout ça sur le parking de la boîte. Devant cinquante personnes qu’en perdaient pas une miette.
– C’est le genre d’individu à qui une bonne petite leçon ferait le plus grand bien.
– Ah, ça, c’est sûr… Et je peux vous dire que si j’avais l’occasion…
– Oui. Eh bien justement… Justement vous allez l’avoir si vous voulez. Et pas plus tatrd que ce soir.


25-


Ils étaient tous les deux sagement en train de peindre. Installés côte à côte devant leurs chevalets. Julie était revêtue de l’un de ses sempiternels peignoirs, le vert à minuscules petites fleurs roses, et Domitien était à poil, comme il se devait.
– Oh, mais c’est qu’on est sacrément studieux ici, dites-moi !
– Ce qui nous empêche pas de parler. Et je peux te dire que j’en ai appris de belles. Il a fallu que je les lui arrache au forceps, mais j’en ai appris de belles.
Domitien a baissé la tête.
– Ah, oui ? Eh bien, moi aussi, de mon côté.
– T’as vu Estelle ?
– Et Carla. Toutes les deux.
Il s’est tassé sur son siège.
– Elles vont venir ?
– Peut-être. Je sais pas. C’est pas sûr. Je dois les revoir. Elles me diront.
Il a poussé un imperceptible soupir de soulagement.

Il s’est passé une bonne vingtaine de minutes et puis on a frappé.
– À cette heure-ci ? Qui ça peut être ?
– Oh, Estelle et Carla. Sûrement…
Il m’a lancé un regard épouvanté.
– Mais je croyais que…
– Elles auront changé d’avis.
A cherché un hypothétique secours du côté de Julie.
Qui le lui a refusé.
– Assume, mon cher, assume !

C’est moi qui suis allé leur ouvrir. Elles ont fait une entrée tonitruante.
– Mais oui, il est là !
– Et il fait moins le fier, on dirait…
Elles ont salué Julie. Et, aussitôt après, voulu qu’il se lève.
– Parce que t’en as pris une bonne, à ce qu’il paraît.
Il s’y est résolu de mauvaise grâce.
– Ben, tourne-toi ! Allez !
– Ah, oui, dis donc ! Elle t’a pas loupé.
– Et on a eu raison. Parce que t’as mérité. Alors là, aucun doute que t’as mérité.
– Ça nous fait drôlement plaisir à nous, en attendant, de voir ça ! Si, c’est vrai, tu sais !
Elles lui ont longuement scruté les fesses.
– De sacrées belles couleurs ça lui a donné à ton joufflu n’empêche.
Elles les ont palpées, malaxées, y ont enfoncé leurs doigts.
Il s’est crispé.
– Aïe !
– Oh, pauvre trésor ! Il a mal ?
Estelle en a empoigné une à pleines mains.
– Là aussi ?
Il a poussé un cri.
– Qu’est-ce tu peux être doudouille ! Non, mais franchement c’est pas possible d’être doudouille comme ça…

Elles ont levé la tête vers la photo-modèle sur l’écran.
– On pourrait pas l’avoir ?
Julie a souri.
– Oh, que si ! Je vous l’imprime…
Elles s’en sont emparées.
– Merci.
Ont filé vers la porte.
– On reviendra.
Qu’elles ont claquée.
Domitien l’a longuement fixée.
– Qu’est-ce qu’elles vont en faire ?
– À ton avis ?

26-


Quand il est revenu, le lendemain matin, il avait la mine défaite, le teint blafard.
– Oh, toi, t’as pas beaucoup dormi…
Julie a rectifié.
– Tu veux dire qu’il a pas fermé l’œil de la nuit, oui !
Il nous a regardés, l’un après l’autre, d’un air suppliant.
– Elles en ont fait quoi de la photo, vous croyez ?
Julie a soupiré.
– Encore ! Mais c’est une obsession. Qu’est-ce tu veux qu’on en sache ? Remets-toi au boulot, tiens, plutôt ! Tu verras bien…
Il s’est installé.
– Elles ont dit qu’elles allaient revenir.
– Oui. Et alors ?
– Ce sera quand ?
– Quand elles en auront envie. Bon, mais maintenant tu la fermes. Parce que si c’est pour ressasser sans arrêt. Alors tu bosses et tu la boucles.

Ça a été sur le coup de neuf heures du soir. Il y a d’abord eu leurs pas dans l’escalier.
– Les v’là !
Et elles ont fait irruption en grands fous rires.
– Qu’est-ce qu’on s’est amusées !
– Oh, oui, alors !
– Tu sais le café où tu m’as larguée devant tout le monde ? Eh bien c’est là qu’on est allées. En direct. Ils y étaient presque tous. Sauf Valentin. Et Hugo. Ils voulaient pas y croire au début quand on a sorti la photo. « Mais si, c’est lui ! Oh, putain, c’est Domitien, les mecs ! » Je peux te dire que ça y est allé les commentaires. Et qu’est-ce qu’ils se sont fichus de toi ! Ah, tu vas en entendre quand tu vas y retourner ! Moi, j’ai pas de conseils à te donner, mais, à ta place, j’éviterais de me pointer là-bas. Au moins dans un premier temps.
Carla a surenchéri.
– T’en prendrais plein la gueule. Pour pas un rond.
– D’autant qu’on va y retourner.
– Oui. Et puis après, vendredi soir, direction la boîte de nuit où tu m’as flanqué la méga honte. Ah, elle va circuler, la photo. On va même la dupliquer. Que tout le monde puisse en profiter.
– Vous allez pas faire ça !
– On va se gêner ! Et même… Sur Internet, on va la mettre.
Il n’a pas répondu. Il est devenu tout pâle. Les larmes lui sont montées aux yeux.
Elles ont eu pitié.
– Mais non, oh, on n’est pas comme ça… C’est pas parce que toi, t’es pourri jusqu’à la moëlle que nous, on doit forcément l’être aussi…
Une lueur d’espoir s’est allumée dans son regard.
– Vous l’avez pas montrée alors !
– On l’a pas montrée, non ! Mais on peut encore. Si tu y tiens absolument…
– Oh, non, non ! Non, non, non…
D’un air si convaincu qu’elles ont éclaté de rire.
– Par contre, tu vas nous devoir une compensation.
– Oui, tu vas gentiment nous offrir ton petit derrière à fesser. C’est la moindre des choses, non, tu crois pas ?
Il a baissé la tête.
– Si !
– Ah, tu vois… Qu’est-ce tu préfères ? Fouet ? Martinet ? Ceinture ? Cravache ? Paddle ? Autre chose ?
– Je sais pas. Je…
– Eh bien tu réfléchiras. Tu nous diras. Sinon… C’est nous qu’on décidera. Et, dans ton intérêt, vaudrait mieux pas. Bon, ben allez, bonsoir tout le monde. À bientôt.


27-


Le lendemain matin, à peine Domitien venait-il de s’installer, de s’emparer de ses pinceaux et de se mettre au travail qu’on a sonné.
– C’est elles ?
Julie a haussé les épaules.
– Évidemment que c’est elles. Qui veux-tu que ce soit ?
Il s’est ratatiné sur son tabouret.
– Eh bien va leur ouvrir, qu’est-ce t’attends ?
Il a esquissé un geste vers ses vêtements.
– Qu’est-ce tu fais ? Mais laisse ça ! Dépêche-toi ! Elles attendent.
Il a dodeliné des fesses jusqu’à la porte.

Le temps de boire un café.
Que Julie a demandé à Domitien de leur servir.
Et elles ont voulu savoir.
– Alors ? Tu t’es décidé ?
– Oui.
– Et tu as opté pour quoi ?
– Le martinet.
– On l’aurait parié. Sauf que le martinet, nous, on n’est pas trop chaudes.
– Oui, parce que c’est d’un commun, le martinet !
– Ça te ressemble en fait.
Estelle a vidé sa tasse d’un trait.
– Non. Voilà ce qu’on va faire plutôt… On va d’abord laisser passer un peu de temps. Le temps qu’elles disparaissent complètement les marques dont Julie a décoré ton derrière. Le temps que tu sois redevenu tout neuf. Et puis je m’occuperai de toi. Une bonne fessée, je te donnerai. À la main. C’est ce qui sera le plus vexant. Et je peux te dire que tu vas déguster. Qu’il va te cuire le popotin. Parce que je me suis procuré un de ces amours de petit gant en cuir redoutablement efficace. Et comme j’ai bien l’intention de faire durer… Ah, pour brailler, tu vas brailler. Et te tortiller tant et plus. Rien que d’y penser… Mais c’est mérité, avoue ! Hein que c’est mérité ?
Il a baissé la tête.
– Oui.
– Ah, tu vois ! Cramoisi, je vais te le mettre, le cul. Que ça nous fasse de magnifiques photos-souvenirs. Tout un album on en fera. Oh, mais n’aie pas peur ! Il y en aura un aussi pour toi. Que tu puisses te rappeler tout à loisir ces délicieux moments. Et te dire que si jamais tu me mécontentes, d’une façon ou d’une autre, je pourrai en faire bon usage. Un excellent usage. Alors à bon entendeur, salut ! Bon, mais je parle, je parle… Carla aussi elle a des choses à dire.
Ah, oui, alors ! Un peu qu’elle avait des choses à dire… Et à faire…
– Non, parce qu’après, dès que ton joufflu aura retrouvé figure humaine, ce sera à moi de prendre le relais. Aux orties. C’est très différent, tu verras. La brûlure n’est pas du tout la même. Moins profonde, mais tout aussi efficace. Sinon plus. Surtout quand, comme ce sera le cas, on prend tout son temps, et qu’on dispose de tout un stock d’orties fraîches. Ça donne de très jolies boursouflures et quantité de petites cloques du plus bel effet sur les photos. J’adore… Bon, mais tu dis rien… T’es toujours d’accord pour nous laisser œuvrer tout à loisir sur ton postérieur au moins ? Non, parce que sinon, c’est pas un problème, hein ! On va trouver tes copains avec les photos qu’on a déjà en notre possession et, cette fois, on les leur montre pour de bon.
Il a hurlé.
– Non ! Non ! Je ferai ce que vous voudrez.
– Tout ce qu’on voudra ?
– Tout.
– On aime à te l’entendre dire. D’autant qu’on a encore plein d’idées.
– Tout plein.
– Qu’on mettra petit à petit à exécution.
– Oui, on a tout notre temps.
– Je sens qu’on va bien s’amuser, toutes les deux. Pas vrai, Carla ?
– Et comment !


28-


Quand je suis redescendu de chez Julie, ce soir-là, il y avait quelqu’un dissimulé dans l’ombre au bas de l’escalier. Quelqu’un, un homme, qui s’est brusquement avancé vers moi.
– Je peux vous parler ?
J’ai sursauté.
– Vous m’avez fait peur.
– Hein ? Je peux vous parler ? C’est important.
S’il voulait, oui.
Et on s’est engouffrés dans le premier café venu. Attablés devant une bière.
– Je veux pas la perdre. Ma femme. Je veux pas la perdre.
C’était tout à son honneur, mais je voyais pas trop ce que je pouvais y faire.
– Que je vous explique… Je joue. C’est plus fort que moi. Des sommes importantes. Colossales. Je joue tant et plus. Au casino. En ligne. Je peux pas m’en empêcher.
– Et toute votre paye y passe. Le cinq du mois, vous n’avez plus rien.
– Pire que ça. J’ai emprunté. Et falsifié les papiers. Tant et si bien qu’elle s’est retrouvée caution solidaire sans le savoir.
– Aïe !
– Elle l’a découvert. Et très mal pris.
– Ce qu’on peut comprendre.
– Et elle veut divorcer. À moins que je n’aille faire un stage chez cette femme, là-haut. De chez qui vous sortez. Dont elle a entendu dire le plus grand bien.
– À juste titre.
– Elle est persuadée qu’elle parviendrait à me guérir de cette passion invétérée du jeu.
– C’est fort probable en effet. Contactez-la !
– Je l’ai fait. Elle n’a rien voulu savoir. Soi-disant que je manque de motivation.
– C’est peut-être vrai ?
– Oh, non, non ! Je vous assure !
– Bon, mais vous attendez quoi de moi, alors, au juste ?
– Apparemment vous êtes très proche d’elle. Tous les jours vous êtes là-haut, à ce qu’elle me dit ma femme. Alors si vous pouviez…
– Intercéder en votre faveur ?
– Voilà, oui. Je veux pas divorcer. Je veux pas.
– Votre femme ne mettra peut-être pas ses menaces à exécution ?
– Alors là, on voit que vous la connaissez pas.
– Faites-vous donner des fessées par quelqu’un d’autre.
– J’y ai bien pensé. Mais elle est pas née de la dernière pluie. Elle l’appellera. Elle vérifiera.
– Bon, écoutez, on va pas y passer la soirée. Je vais voir ce que je peux faire.
– Oh, merci ! Merci ! Je vous revaudrai ça. Au centuple.

Julie a fait la moue.
– Je vois très bien qui c’est, oui. Martin, il s’appelle.
– Et t’as pas voulu le prendre ?
– Non. Je le sens pas, ce type. Aucun feeling avec. D’autant que son histoire de divorce et d’addiction au jeu, j’y crois qu’à moitié. Alors comme ce sont pas les candidats qui me manquent…
– Bon, mais je lui dis quoi, moi, alors ?
– Que c’est non. J’ai horreur qu’on cherche à me forcer la main. Mais rien ne t’empêche de te substituer à moi, si tu veux.
– Hein ? Mais…
– Ça te tente pas ?
– Je sais pas.
– Tu te découvrirais peut-être sous un autre angle. Sûrement même…
– Et si elle t’appelle ?
– Je vous couvrirai. C’est pas un problème.


29-


Le lendemain soir, il était encore là, au bas de l’escalier.
– Alors ?
– C’est non.
– Non ?
D’un air désolé.
– Par contre, ce qu’elle propose, c’est que ce soit moi qui m’occupe de vous.
– Comment ça, vous ?
– Moi, oui. Sachant que vous pourrez toujours prétendre que c’est elle qui vous a pris en mains. Et que si, d’aventure, votre femme vient aux renseignements, elle ne vous démentira pas.

Julie a hoché la tête.
– Et il a accepté ?
– De mauvaise grâce. De très mauvaise grâce. En fait, l’impression qu’il m’a donnée, c’est de n’y consentir que dans l’espoir d’arriver, d’une façon ou d’une autre, à ses fins. À savoir être fouetté par toi.
– Oui, ben ça, c’est pas demain la veille.
– Cela étant, je crois que t’as raison. Il a tout inventé. Il est même pas marié, si ça se trouve.
– Je te le disais. Il est pas franc du collier, ce type. Non, tu sais quoi ? C’est quelqu’un qu’a entendu parler de moi, je sais pas trop comment, et de ce qui se passe ici. Et qui crève d’envie que je le dérouille. Sauf que moi, cingler les fesses d’un mec juste parce qu’il aime ça et que ça l’excite, c’est vraiment pas mon truc. Tu me connais suffisamment pour savoir que j’aspire à autre chose. Et, de toute façon, j’ai horreur qu’on essaie de me forcer la main. Cela étant, que ça ne t’empêche pas de le faire venir. On trouvera bien le moyen, à un moment ou à un autre, de lui donner une petite leçon.

Domitien est arrivé sur le coup de midi.
– Ben alors ! On s’offre des grasses matinées somptueuses ?
– Non… Non… Mais c’est-à-dire que…
– Que t’étais pas tranquille. Et si, malgré tout, elles étaient allées les montrer, ces photos ? Parce qu’on savait jamais. Elles étaient capables de tout. Et t’as voulu aller faire un petit tour au café où t’as tes habitudes. Et la plupart de tes copains. Ce qui t’a rassuré. Ils n’étaient, à l’évidence, au courant de rien. Mais t’as quand même poussé, dans la foulée, à tout hasard, jusqu’à la boîte de nuit où tu t’es conduit de façon aussi odieuse avec Carla. Tu as discuté. Sondé. Aussi discrètement que possible. Et non. Décidément, non. Personne n’avait entendu parler de quoi que ce soit. Vu quoi que ce soit. Tu n’avais aucune espèce de raison de t’inquiéter. Et tu es rentré te coucher. Il était tard. Très tard. En attendant la confiance règne, on peut pas dire. Quand elles vont savoir ça…
Il a baissé la tête, voulu dire quelque chose, s’est ravisé.
– Et elles le sauront.
Il n’a pas relevé. Il s’est déshabillé. Complètement. S’est dirigé vers son chevalet.
– Attends ! Attends ! Fais voir !
Elle l’a fait pivoter sur lui-même. Lui a examiné les fesses.
– C’est en bonne voie. Demain, après-demain au plus tard, tout aura disparu. À leur tour de jouer. Et, à mon avis, elles vont s’en donner à cœur-joie.
Il est allé s’asseoir. S’est emparé d’un pinceau. S’est mis au travail.
– Est-ce que ?
– Est-ce que quoi, Domitien ?
– Non. Rien.
Ils ont peint, tous les deux, elle et lui, côte à côte, un long moment, en silence.
– Qu’est-ce que tu voulais savoir ? Si Estelle et Carla vont passer aujourd’hui ? La réponse est oui. Jeter un coup d’œil sur l’état des lieux. Et puis elles t’ont concocté une petite surprise.
– Une surprise ?
– Et une belle, tu verras !


30-




Elles étaient hilares.
– On a amené du renfort.
Deux autres filles, une brune et une blonde, qui ont ont jeté sur Domitien un œil amusé.
Estelle l’a fusillé du regard.
– Tu pourrais te lever quand même pour dire bonjour, non ? C’est la moindre des politesses.
Il a rougi.
– Ah, oui, oui. Pardon.
Et il s’est empressé de le faire.
– Bon, alors on te présente Jessica.
Qui lui a tranquillement laissé traîner les yeux dessus en bas.
Il s’est avancé pour lui faire la bise.
Elle lui a tendu la main.
– Et Pauline.
Qui ne s’est pas approchée.
– On leur a beaucoup parlé de toi. Et elles ont eu très envie de faire ta connaissance du coup. Enfin, c’est pas exactement ça. Parce que les types dans ton genre, quand on sait ce qu’ils valent, on a pas franchement envie de les côtoyer de plus près. Non. En fait ce qui les branche, c’est de nous voir, Carla et moi, te flanquer une bonne correction. Et on a vraiment pas eu le cœur de les priver de ce petit plaisir. Tu n’y vois pas d’inconvénient, j’espère ?
Il a bafouillé.
– Oui. Enfin non. C’est-à-dire… Je pensais… Il me semblait que…
– Mais on s’en fiche de tes états d’âme, mon pauvre Domitien. Tu n’es pas en position d’en avoir. C’est nous qui menons le jeu. À notre guise. Et tu sais parfaitement pourquoi. Non ?
Il a baissé la tête.
– Si !
– Parfait ! Alors tourne-toi !
Elle lui a consciencieusement exploré les fesses. Elle a cerné, empoigné, trituré.
– Mouais… Encore un tout petit peu de patience et à mon tour de m’occuper de ton cas. Tu perds rien pour attendre.
Et elle lui a lancé une petite claque dessus.
Pauline a protesté.
– Je croyais que ce serait aujourd’hui, moi !
Sa copine a renchéri.
– C’est vraiment obligé d’attendre ?
Carla a fait chorus.
– Il y a plus grand-chose. Pour ainsi dire plus rien.
Et Estelle s’est finalement rangée à l’avis de la majorité.
– Dans ces conditions, puisque tout le monde est d’accord, c’est maintenant que tu vas y attraper.
Elle a tiré la chaise qu’il occupait à leur arrivée, s’y est assise. S’est tapoté les genoux du plat de la main.
– Il vient ici, le grand garçon. Et il se dépêche.
Il s’est avancé. Arrêté.
– Eh bien ? Tu aggraves ton cas.
Il s’est approché. Encore arrêté. S’est remis en route.
Elle l’a attrapé par un coude, fait fermement basculer en travers de ses genoux, l’y a confortablement installé.
– Là… Parce que ça va durer… Mais dis-nous… Tu as bien conscience au moins que c’est mérité ? Amplement mérité ?
– Oui.
– Parfait.
Elle lui a posé une main sur les fesses.
– Première étape, les filles, s’approprier le théâtre des opérations.
Elle l’a longuement prospecté, occupé.
– Ensuite le préparer, le terrain, le rendre réceptif…
Et elle a lancé une première claque.


31-


Domitien s’est relevé en se frottant les fesses.
Les filles ont protesté.
– Oh, non ! Pas déjà !
– Il a à peine crié.
– On peut pas avoir un peu de rab ?
Estelle a dit que non. Non. Qu’il fallait pas abuser des bonnes choses. Que c’était qu’un échantillon n’importe comment.
– Parce que vous verrez ça le jour où je vais lui faire avec mon gant en cuir. C’est pour le coup que vous l’entendrez piauler…
Oui, mais quand même. Quand même ! Elles trouvaient que c’était frustrant…
– Parce que tu nous mets l’eau à la bouche et…

Julie s’est tournée vers moi.
– Et Martin ? Si tu l’appelais ?
Aussitôt dit, aussitôt fait.
– Il arrive.
Elles ont voulu savoir.
– Mais c’est qui, ce Martin ?
On le leur a expliqué. En deux mots.
Elles ont battu des mains.
– Super ! On va bien s’amuser…

Quand il a vu qu’on n’était pas seuls, Julie et moi, il a eu un mouvement de recul. Voulu battre en retraite.
Je l’ai pris par le bras. Ramené.
– De quoi vous avez peur ? Elles vont pas vous manger. Allons, venez !
Elles l’ont considéré toutes les quatre d’un petit air amusé.
– Et donc, comme ça, votre femme veut vous guérir de la passion du jeu…
– Voilà, oui !
– Vous mentez !
Il s’est récrié.
– Ah, mais non ! Non ! Pas du tout !
– Oh, ben on va voir ! On va l’appeler, votre femme. Donnez votre portable. Allez, donnez ! C’est quoi son nom ?
J’ai fait défiler son répertoire.
– Mimine… Je suis sûr que c’est ça. Vous avez une tête à appeler votre femme Mimine…
Les filles se sont esclaffées.
– S’il vous plaît, l’appelez pas !
– Donc, vous mentez… Mais vous savez que c’est pas bien du tout, ça ? Que ça mérite une bonne correction.
Il a levé sur les filles un œil de chien battu.
– Oui, mais…
– Ah, si, devant elles, si ! Ce n’en sera que plus efficace. Allez, on se déshabille.
Il s’y est résolu. De mauvaise grâce.
Le pull. Par-dessus la tête. Le maillot de peau. Il a marqué un long temps d’arrêt.
– Eh bien ?
Il a dégrafé son pantalon, l’a descendu. En est sorti, une jambe après l’autre. Et est resté comme ça, indécis, bras ballants.
Elles se sont mises à scander, toutes les quatre en chœur, sur l’air des lampions.
– Le calbut ! Le calbut ! Le calbut !
Il a soupiré, passé les mains sous l’élastique, l’a lentement fait glisser.
Elles ont applaudi à tout rompre.
J’ai brandi le martinet.
– Attendez !
Jessica s’est levée.
– Donnez, je vais m’en occuper…


32-


– Fais voir !
Il s’est tourné.
Jessica a fait la moue.
– Pas mal ! Je suis pas mécontente du tout. Mais quand même ! Faudrait rajouter une petite touche ici.
Elle a cinglé.
– Et une autre là ! Pour l’harmonie de l’ensemble.
Il a gémi.
– Là ! Parfait. T’es beau comme un sou neuf. Tu peux aller retrouver Mimine.
Il s’est empressé de se rhabiller. Et a détalé.
Elles ont éclaté de rire.
– Le pauvre ! Comment tu l’as arrangé…

Pauline a levé les yeux sur moi.
– Bon, mais c’est qui lui au juste, en fait ?
Julie a souri.
– Lui ? C’est David.
– Et qu’est-ce qu’il fait là ?
Elle a haussé les épaules.
– Tout et rien. Disons que c’est un peu comme mon assistant.
– Pour fouetter ?
– Oh, non, non ! Là, Martin, c’était un cas particulier. Une exception.
– Ah, j’aime mieux ça ! Parce que c’est le genre de type qu’on voit pas du tout dans le rôle.
Jessica a surenchéri.
– C’est bien pour ça que je le lui ai retiré des mains, ce Martin.
Et les deux autres ont fait chorus.
– Oui. On l’imagine plutôt en train d’en recevoir qu’en donner.
– C’est vrai qu’il a le profil à ça.
Pauline a insisté.
– Ce qui nous dit toujours pas ce qu’il fait là.
Julie a précisé.
– Il regarde. Il écoute. Et, éventuellement, il donne son avis.
– En gros, il sert à rien, quoi !
– Vous savez ce que je crois, moi, les filles ? C’est que c’est quelque chose qui le fascine, les fouettées. Il passerait pas son temps ici sinon…
Estelle était bien de cet avis.
– Il prend son pied à regarder les autres se ramasser des branlées, à défaut de pouvoir admettre qu’il crève d’envie d’en recevoir.
– Faudrait lui en faire prendre conscience alors.
– Ce serait lui rendre service, oui. Il s’épanouirait enfin…
– Alors l’idéal, ce serait qu’il y en ait une d’entre nous qui le prenne en charge à temps plein. Pour le faire aller au bout de lui-même. À condition, évidemment, que Julie veuille bien nous l’abandonner.
Laquelle Julie s’est défaussée.
– C’est à lui de voir.
– C’est tout vu. Il dit rien. Qui ne dit mot consent.
– Rien qu’à regarder la tête qu’il fait n’importe comment, c’est clair qu’il est partie prenante.
– Mais qu’il est dans l’incapacité de l’avouer.
– Il apprendra à le faire. Petit à petit. À condition de tomber entre de bonnes mains.
– Les miennes.
– Ou les miennes.
– On verra, les filles… On verra… Ça, on va en parler entre nous.



33-


Elles sont parties. Domitien aussi. Et je me suis retrouvé tout seul avec Julie.
– Alors ?
– Quoi, alors ?
– Ces jeunes personnes ont très envie, dirait-on, de te prendre sous leur coupe.
– Elles plaisantaient.
– Je ne crois pas, non. Elles étaient on ne peut plus sérieuses. Et, à mon avis, elles ne vont pas tarder à revenir à la charge. Tu comptes faire quoi, sans indiscrétion, si c’est le cas ?
– Mais rien. Rien. Je ne sais pas.
– Oui. Eh bien, moi, je sais ! Tu vas capituler. Et elles feront de toi tout ce qu’elles voudront. Non ? C’est pas ça ?
– Oh, mais j’en sais rien, j’te dis !
– T’énerve pas comme ça ! Pourquoi tu t’énerves ?
– Je m’énerve pas, seulement…
– Seulement tu n’aimes pas qu’on te perce à jour. Ce qu’elles ont fait. Tu es quelqu’un, elles l’ont parfaitement perçu, qui ne peut trouver son épanouissement que dans la dépendance. Dans l’obéissance. Tu as besoin d’être dirigé, c’est clair. D’une main ferme et résolue.
– Tu crois ?
– Je crois pas. Je suis sûre. Ça fait maintenant des semaines et des semaines que tu es là, avec moi. Que je te regarde. Que je t’observe. Que je t’écoute. Que je te surveille, mine de rien. Et je peux te dire que ça te transpire de partout. Alors accepte-le ! Admets-le ! Une bonne fois pour toutes. Tu t’en sentiras apaisé. En harmonie avec toi-même. Et abandonne-toi ! C’est une chance inouïe pour toi, ces filles ! Elles sont déterminées, volontaires, offensives. Ne résiste pas ! Laisse-les s’emparer de toi. Comme bon leur semble. Comme elles l’entendent. Lâche prise…
– Ça se passerait comment, si ça se faisait ?
– T’as entendu comme moi. C’est l’une d’entre elles qui se chargerait de toi.
– Laquelle ?
– Ah, ça, c’est à elles de décider.
– Ce sera peut-être Estelle…
– Tu aimerais que ce soit elle ?
– Pas trop, non. Elle tape fort.
– Jessica aussi, elle tape fort. Peut-être même encore plus.
– C’est vrai, oui.
– Et t’as pas vu les autres à l’œuvre. Elles sont peut-être encore pires.
– Peut-être…
– Que ce soit Estelle, Jessica ou l’une des deux autres, il faut que tu t’attendes, de toute façon, à ce qu’elle ne te ménage pas.
– J’me doute, oui !
– N’importe comment, c’est pas les coups, l’essentiel. C’est juste la traduction d’autre chose, les coups. Non, ce qui compte c’est l’emprise morale. C’est la façon dont la fille, elle va être capable de tisser sa toile pour t’engluer dedans, pour que tu ne puisses plus lui échapper. Et, ce faisant, tu vas autant la révéler à elle-même qu’elle va te révéler à toi-même. Ça va être quelque chose d’extrêmement fort entre vous.
– Je me demande vraiment laquelle ça va être.
– Tu verras bien.
– Je pourrai continuer à venir ici ?
– Ici ? Me voir ? Si elle t’y autorise, oui, bien sûr. Tu seras toujours le bienvenu.
– Peut-être même qu’elle voudra que tu me peignes.
– Peut-être. Tu feras ce qu’elle te dira de faire n’importe comment…


34-


– Alors ? Prêt ? C’est le grand jour.
– Elles sont pas là ?
– Non. Pas encore. Mais elles vont pas tarder. Pas trop peur ?
– Si ! Je suis mort de trouille en fait.
– Mais tu t’es pas défilé. C’est tout à ton honneur.
– T’es sûr ?
– De quoi donc ?
– Que je fais pas une connerie.
– Mais non ! C’est ce qui peut t’arriver de mieux. Et tu le sais très bien.
– Non, je le sais pas justement.
Elle n’a pas répondu. Elle s’est absorbée dans sa peinture. J’ai jeté un coup d’œil par-dessus son épaule et puis je me suis mis à marcher de long en large. De la porte à la baie vitrée. De la bais vitrée à la porte.
– Tu peux pas t’asseoir, s’il te plaît ? Tu me donnes le tournis.
M’asseoir ? Ah, oui, oui, bien sûr !
Je l’ai fait pour me relever, presque aussitôt.
– Elles viendront peut-être pas ?
Elle a ri.
– T’en as envie et pas envie en même temps, hein ! Mais si, elles vont venir, si ! Ça ne fait pas l’ombre d’un doute.

Elles sont venues. Toutes les quatre. Avec tout un remue-ménage. Du parler fort. De grands rires. Elles ont entouré Julie.
– Vous savez ce qu’on a décidé ? On va se le jouer aux cartes.
Elle a souri.
– C’est une excellente idée, les filles !
– Allez, perdons pas de temps…
Et elles se sont assises par terre. En rond. Ont sorti des cartes. Les ont battues.
Estelle s’est tournée vers moi.
– Mets-toi à poil, toi ! Que ça nous motive !
Elles m’ont regardé faire, un petit sourire au coin des lèvres.
– Et approche maintenant ! Plus près ! Là…
Elles se sont absobées dans leur partie. En jetant, de temps à autre, un coup d’œil sur moi.
Les cartes s’abattaient. Carla notait les scores. Assise à son chevalet, Julie suivait avec curiosité le déroulé des opérations.
Moi aussi. Je ne connaissais strictement rien à ce jeu qu’elles semblaient parfaitement maîtriser, mais, par contre, j’ai vu, avec inquiétude, Estelle faire largement course la tête avant d’être progressivement rattrapée par Jessica qui l’a coiffée sur le fil.
Et qui a poussé un cri de triomphe.
– Il est à moi, les filles ! T’es à moi, petit bonhomme !
– Et il a pas fait le plus dur…
– Oui. Parce qu’avec elle, il va morfler.
– Et quelque chose de rare.
Elle est venue vers moi, m’a pesé sur les épaules, fait agenouiller devant elle.
– T’es content ?
Je l’étais.
– Ça a pas l’air.
– Oh, si, si !
– Eh ben, dis-le alors !
– Je suis heureux d’être à vous.
Elle a jeté un regard circulaire tout autour d’elle.
– Il y a pas un martinet quelque part ? Que je marque mon territoire…
Julie lui a indiqué, d’un hochement de tête, le tiroir où il se trouvait.
– Eh bien, va me le chercher, toi, qu’est-ce t’attends ?
Je me suis exécuté. Je le lui ai rapporté. Tendu.
– C’est la première fois. Fais un vœu. Et tourne-toi !
Le martinet s’est abattu. À pleines fesses.

FIN

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