RATES D'HÔTEL
Dessin de Louis Malteste
Tout se passait bien. En général, à midi, tout se passe toujours bien. Les clients sont en bas. Ils déjeunent. Les chambres sont vides. On peut donc les visiter et s’y approvisionner tout à loisir. Tout se passait d’autant mieux que la récolte était d’importance. Montres, bijoux, liquidités. On en avait pour notre argent. Si on peut dire.
On allait en finir. On était dans la toute dernière chambre, au bout du couloir, quand la porte s’est brusquement ouverte et on s’est trouvées nez à nez avec un petit vieux à la mine stupéfaite.
– Mais… qu’est-ce que vous faites là ?
– Rien. Rien. On s’en va. On s’est trompées de chambre.
Il n’a pas été dupe. Il a jeté un coup d’œil à nos sacs gorgés de butin et il s’est mis à hurler à pleins poumons tandis qu’on détalait, à toutes jambes, dans le couloir.
– Au voleur ! Au voleur !
En haut de l’escalier, la patronne nous a barré la route, sa sœur sur les talons.
– Qu’est-ce qui se passe ici ?
Le vieux nous a rejointes, soufflant et vociférant.
– Elles m’ont volé ! Elles m’ont dépouillé. Gourgandines ! Canailles ! Les gendarmes ! Qu’on appelle les gendarmes !
Elles ont exigé.
– Vos sacs ! Faites voir vos sacs !
On n’avait pas le choix. On les leur a remis, la mort dans l’âme. Elles y ont plongé les mains.
– Oui. Bon. C’est clair. Effectivement, les gendarmes !
On a eu beau sortir le grand jeu : il était tuberculeux, mon père. Et la mère de Marthe, phtisique. Il y avait plein de frères et sœurs à la maison. Qu’avaient rien mangé depuis trois jours. Et tra la la… Et tra la la… Elles ont rien voulu savoir quand même.
– Vous les nourrissez avec des montres, ces marmots ? C’est ça ?
– Mais non, mais…
Derrière le vieux arrêtait pas de glapir.
– Les écoutez pas ! Ce sont des malfaisantes. Les gendarmes ! En prison ! En prison !
On était en mauvaise posture. En très mauvaise posture. Alors on a sorti notre arme fatale. Celle qui jusque là, dans ce genre de situation, nous avait toujours remarquablement bien réussi.
– Oh, s’il vous plaît, Madame, pas les gendarmes. Donnez-nous la fessée plutôt ! Et on recommencera pas. On vous promet.
Il y a eu un long moment de flottement. Les deux sœurs se sont regardées, indécises.
Quant au vieux grigou, il s’est bizarrement montré beaucoup plus conciliant tout à coup.
– C’est sûrement la première fois. Tout le monde peut commettre une erreur. Faut leur laisser une chance. Et sûrement qu’une bonne fessée, ce sera tout aussi efficace, au bout du compte, que les gendarmes, les juges et tout le saint-frusquin.
Elles se sont concertées à voix basse.
– Bon, ben allez, alors !
Nous ont poussées dans une chambre où le vieux cochon s’est empressé de se faufiler à notre suite.
Elles ont refermé la porte, se sont assises, nous ont attirées à elles.
– C’est par ici que ça se passe…
Elles nous ont troussées, déculottées… Et alors là… Ouille ! Ouille! Ouille ! On en avait déjà eu, des fessées, oui. Les deux fois qu’on s’était fait prendre. Mais jamais aussi fortes. Ni aussi longues. Elles riaient tout ce qu’elles savaient. En plus !
– Vous avez voulu une fessée ? Eh ben, vous plaignez pas, vous êtes servies.
Et elles y allaient de leurs commentaires.
– Le cul de la mienne, il rougit plus vite.
– Oui, mais la mienne, elle piaule davantage. T’entends cette jolie voix qu’elle a ?
Quant au gros pervers, derrière, il perdait rien du spectacle. Le visage violacé, suffocant, il transpirait à grosses gouttes.
Elles s’interrompaient de temps à autre.
– On s’en tient là ?
– T’es fatiguée ?
– Oh, non, non ! Pas du tout !
– Moi non plus !
– Alors…
Et elles reprenaient de plus belle.
Elles ont quand même fini par arrêter.
– Là ! Elles ont leur compte.
– Oui. M’étonnerait qu’elles reviennent s’y frotter.
Elles nous ont raccompagnées jusque sur le trottoir.
– Les garces ! Non, mais quelles garces ! T’as vu leurs têtes ? Ah, ça leur plaisait, il y a pas à dire, de nous tambouriner le popotin. Elles adoraient, oui !
– On leur a tendu le bâton pour se faire battre. Elles en ont profité. C’est de bonne guerre. Mais en attendant, on repart sans rien.
– Tu voudrais quand même pas… ?
– Qu’on essaie ailleurs ? Ben…
– Ah, non, pas tout de suite, attends ! J’ai le derrière dans un état !
– On se fera pas prendre ce coup-ci.
– Alors ça, t’en sais rien du tout !
LA PASSION DE MADAME LA BARONNE
Dessin de Gaston Smit (1933)
C’est le moment qu’elle préfère. Quand elle passe la porte. Qu’elle croise leurs regards. Que leurs sourires se font mi-narquois mi-complices.
Helga s’avance vers elle, faussement obséquieuse.
– Madame la baronne est en manque ? Nous allons remédier rapidement à cet état de choses.
Elle soulève un pan du grand rideau grenat.
– Si Madame veut se donner la peine de passer dans le petit salon, derrière.
Elle la laisse seule.
– Je reviens. J’en ai pour une minute.
Dix minutes. Vingt minutes. Parfois davantage. Des minutes voluptueusement insupportables. Il y a, à côté, le bruissement feutré du magasin. Les voix des vendeuses qui vaquent à leur tâche, vont et viennent. De temps à autre, l’une d’elles passe la tête. Suzon. Ou Alice.
– Tout va comme Madame le désire ?
Ou Margaux. Qui la fixe longuement d’un petit air moqueur.
– On va encore bien s’amuser.
Et elle éclate d’un rire insolent.
Elles ferment. Juste le temps de s’occuper d’elle. Elles ferment. Elle inspire. Profondément. Son cœur s’emballe. C’est le moment. C’est enfin le moment.
Elles sont là, toutes les quatre. Elles l’entourent.
– Alors, à nous !
Helga avance une chaise.
– Prenez place ! À genoux, allez !
Elle obéit.
– Là ! Et maintenant tu vas nous montrer ton cul.
Les mots. Leurs mots. Elle adore. Elle en frissonne toute.
– Ben, alors ! Qu’est-ce t’attends ?
– Peut-être qu’elle est sourde ?
– Non, mais c’est qu’on a ses petites pudeurs dans la haute…
Et il y en a une – elle ne sait pas laquelle – qui la trousse. Qui la déculotte sèchement.
Elle pousse un petit cri de surprise effarouchée. Qui déclenche leurs rires.
– T’en verras d’autres, va !
– Et pas plus tard que tout de suite.
Une main l’effleure.
– Comment il est blanc, son petit popotin d’aristo !
– Ce qui va pas durer.
– À quoi on lui fait aujourd’hui ?
Suzon propose…
– Au fouet-fagot. Il y a longtemps. Ça changera.
Le fouet-fagot. Elle frémit. C’est épouvantablement éprouvant, le fouet-fagot. Ce sont des milliers de mini-brûlures qui s’incrustent, en même temps, sur toute la surface. Au bout de cinq ou six cinglées on est littéralement en feu.
Les autres approuvent.
– Oh, oui, oui ! Le fouet-fagot !
Suzon lui susurre à l’oreille…
– Comment tu vas te trémousser, baronne !
Margaux la contourne, lui fait face.
– Que je voie ta petite frimousse quand ça va tomber.
Et ça tombe.
Elle sursaute. Elle se cabre. Il y en a une, derrière, qui rit. De bon cœur.
Les coups se succèdent, méthodiques, réguliers. Ils lui arrachent des soubresauts. Des gémissements.
Suzon encourage Helga.
– Plus fort ! Plus fort ! Tu te relâches, là.
La douleur se fait plus vive. Plus intense. Elle crie. Elle supplie.
– Encore ! Encore !
Margaux l’oblige à relever la tête, plonge ses yeux dans les siens.
– Elle va jouir, les filles !
Elle jouit. À petits sanglots émerveillés. Elle jouit sous les coups. Et sous leurs rires.
Tout retombe. Elle aussi, satisfaite, épuisée.
À côté, elles ont rouvert. Des clientes entrent, achètent, ressortent. Il y a la voix de Suzon, paisible, sereine…
– Si Madame veut m’en croire, ce parme lui va très bien au teint.
Celle d’Alice, plus forte, plus déterminée.
– Il suffira d’une petite retouche, je vous assure.
Margaux passe la tête. Son petit rire offensant.
– T’as toujours le cul à l’air, toi ? Eh ben, dis donc !
Elle l’a toujours. Elle est bien. Ça brûle. Ça irradie dans tous les sens. Si bien.
Elle finit par se redresser. À regret. Par se rajuster. Par soulever le rideau grenat.
Helga la raccompagne jusqu'à la porte, s’incline cérémonieusement.
– Que Madame la baronne revienne ! Quand elle voudra. Ce sera toujours avec plaisir.
LA DEMOISELLE DU CHÂTEAU
Dessin de Louis Malteste
– Qu’est-ce vous faites là, Mademoiselle Lise ?
– Je regarde. Comment elles sont rouges, ses fesses à Honorine.
– Et elles vont l’être davantage encore.
– Pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle a fait ?
– Ce qu’elle a fait ? Elle s’est comportée d’une façon absolument ignominieuse. Voilà ce qu’elle a fait…
– Elle a volé ?
– Si c’était que ça !
– C’est quoi alors ?
– C’est ça ! Gigote, toi ! Gigote !
– Ah, je sais ! Elle a couché avec ton fiancé. C’est ça, hein ? Tu veux pas le dire ? Pourquoi tu veux pas le dire ?
– Et pleurniche bien ! Si tu crois que c’est comme ça que tu vas m’amadouer.
– Tu me le feras après, Léonie ?
– Certainement non, Mademoiselle Lise…
– Ben, pourquoi ?
– Parce que ça se donne pas pour rien, une fessée. Il faut qu’il y ait une raison.
– Mais il y en a, des raisons ! Des quantités et des quantités. Si tu savais…
– Quand même ! Ce n’est pas possible.
– Pourquoi ? Parce que je suis la fille des châtelains, la fille des maîtres, c’est ça, hein ? Mais je fais ce que je veux. Je suis majeure.
– N’insistez pas ! C’est non.
– Bon, tant pis. Je vais me débrouiller autrement.
– C’est-à-dire ?
– Je trouverai quelqu’un d’autre.
– Et qui donc ?
– Basile, le jardinier. Je vais lui demander. Il me refusera pas, lui !
– Ne faites pas ça !
– Et pourquoi donc ?
– Parce que c’est un homme. Et parce que c’est Basile. Et Basile…
– Qu’est-ce qu’il a, Basile ?
– Non, rien.
– J’y vais alors. Il doit être à la serre à cette heure-ci.
– Non ! Attendez !
– Tu vas me le faire ?
– Peut-être.
– Peut-être ou sûrement ?
– Sûrement. Pas question que je vous laisse aller trouver Basile.
– Mais alors aussi fort qu’à Honorine tu vas me le faire, hein ! Plus, même.
– Comme Mademoiselle voudra…
– Allez, vite ! Finis-la ! À mon tour maintenant. J’ai trop hâte.
DÉFAITE
Dessin : Louis Malteste
– Jamais on aurait dû la perdre, cette finale ! Jamais !
– Ah, ça !
– On était largement au-dessus d’elles, faut dire ce qui y est !
– Marthe a été vraiment lamentable.
– Elle a quasiment tout raté. C’est pas son habitude pourtant…
– Un jour sans. Ça arrive.
– Vous me faites rire, les filles ! Non, mais alors là, vous me faites trop rire. Vous avez vraiment rien vu ?
– Non. Quoi ?
– Elle le faisait exprès. C’est clair qu’elle le faisait exprès.
– Moi aussi, je me suis demandé.
– C’est vrai que ça paraissait bizarre. Elle était au-dessous de tout aujourd’hui.
– Pourquoi elle aurait fait ça ?
– Pourquoi ? Ils sont riches à millions en face.
– Tu veux dire que…
– Qu’ils l’ont achetée, oui. L’argent et elle, ça a toujours été une grande histoire d’amour.
– Oh, quand même !
– À votre avis, elle est où, là ?
– C’est vrai, ça, pourquoi elle est pas avec nous ? Il y a qu’elle qu’est pas là.
– Elle est partie chercher ses sous, tiens ! Moitié avant le match. Et moitié après. En général c’est comme ça que ça se passe.
– Et en plus elle nous fait ça quasiment sous le nez.
– Quelle garce !
– Tiens, ben la v’là justement !
– T’étais où ?
– Là-bas… Je discutais.
– Gros sous ?
– Non. Pourquoi tu dis ça ?
– On est au courant, Marthe.
– Au courant ? Mais au courant de quoi, grands dieux ?
– Fais bien l’innocente !
– Vide tes poches, plutôt ! Vide tes poches ! Non, pas celle-là. L’autre devant. Celle qu’est bien gonflée. Qu’est-ce t’es empotée ! Attends, je vais t’aider… Là ! Voilà ! C’est quoi tout ce blé ?
– C’est à moi !
– Et ça sort d’où ?
– De… Je… J’ai travaillé.
– Fous-toi bien de nous ! En plus !
– Mais non, mais…
– On la connaît la vérité. Quelqu’un t’a balancée. Quelle espèce de petite saloperie tu fais ! Parce que, nous, on a passé des heures et des heures à s’entraîner pour cette finale. On y croyait. On s’est investies. On a consenti tout un tas de sacrifices pour la gagner. Et toi, au dernier moment, tu nous plantes un poignard dans le dos.
– Je suis désolée.
– Ça nous fait une belle jambe. En tout cas, je peux te dire qu’il va y en avoir du monde au courant de ce que t’as fait ! Les dirigeants, bien sûr. Nos familles. Nos amis. Tous ceux à qui on aura l’occasion de le faire savoir. D’une façon ou d’une autre.
– Vous allez pas faire ça !
– On va se gêner !
– Pour qui je vais passer, moi !
– Pour ce que t’es !
– Je vous en supplie…
Pénélope et Mathilde se sont concertées à voix basse.
– Oh, oui, oui. C’est une idée, ça !
Se sont tournées vers elle.
– Ou bien alors on te flanque une bonne fessée déculottée. Au choix !
– Une fess… Oh, non, non.
– Comme tu voudras.
Et elles lui ont tourné le dos.
– Attendez !
– T’as changé d’avis ?
– Non !
Elles ont fait mine de s’éloigner.
– Oui. Si !
Elles sont revenues.
– T’as raison ! C’est qu’un mauvais moment à passer. Tandis que sinon, c’est tous les jours que t’auras le nez dedans. Bon, ben allez !
Elles ne lui ont pas laissé le temps de se raviser.
Pénélope l’a fait tomber à genoux, lui a relevé la robe, enserré la taille avec son bras.
Et Mathilde l’a déculottée.
– La ménagez pas, hein, les filles ! Qu’elle le sente passer.
– Et faites-lui honte. Surtout ça ! Bien honte.
– Comptez sur nous. Elle va s’en souvenir.
Et la première claque est tombée.
GERTRUDE, CUISINIÈRE FESSEUSE
Dessin de Louis Malteste
Elle a reposé sa tasse, froncé les sourcils.
– Il y a des gens qui se disputent quelque part, on dirait…
– En bas, oui.
– Des femmes. Ce sont des voix de femmes.
– L’entente n’est en effet pas toujours des plus harmonieuses au sein de mon personnel féminin.
– Et vous n’intervenez pas ?
– Rarement. Je laisse le plus souvent Gertrude, ma cuisinière, régler les conflits qui surviennent. Elle le fait de façon très efficace et, il faut bien l’avouer, parfois fort plaisante.
– Comment cela ?
– Le ton monte. Venez ! Descendons ! Vous verrez par vous-même.
– Elle a recommencé, Madame ! Elle a recommencé. Elle peut pas s’empêcher. Alors…
– Je vois, Gertrude, je vois…
– Il y a que ça qu’elle comprend. C’est la seule solution avec elle. Ah, garce, je vais te le rougir ton pétrousquin, moi, tu vas voir ! Même que tu vas pas pouvoir t’asseoir d’un moment !
– S’il te plaît, Gertrude !
– Quoi ? C’est pas la première fois que Madame te voit les fesses à l’air. Quant à l’autre Madame, elle est sûrement pas née de la dernière pluie non plus.
– Ça fait bien trop honte devant elles.
– Parce que voler dans le garde-manger et dans les réserves, ça, par contre, ça te fait pas honte. Accuser effrontément les autres de ton forfait non plus…
– Je le ferai plus.
– Ah, non, tu le feras plus, non. Parce que je vais t’en faire passer l’envie.
– Ça fait mal !
– Tu m’en diras tant… C’est ça, gigote ! Et laisser les autres faire la besogne à ta place pendant que tu te roules dans le foin avec Basile, ça non plus, ça te fait pas honte. Quand on a le feu au cul, hein !
– S’il te plaît, Gertrude ! Je t’en supplie…
– Là, au moins, tu vas l’avoir pour quelque chose le feu au cul ! Et ce que t’as fait le soir de la Saint-Ignace, tu veux que je leur raconte aux madames ? Tu veux ?
– Oh, non, hein ! Non !
– Alors arrête tes simagrées. C’est ça, chiale ! Tu pisseras moins. Mais si tu crois que c’est ça qui va m’apitoyer, tu te fourres le doigt dans l’œil, ma petite, et jusqu’au coude.
– Vous reprendrez bien une tasse de thé, ma chère ?
– Volontiers, oui. En tout cas, on peut pas dire… Votre cuisinière a la main lourde.
– N’est-ce pas ?
– Et après la correction qu’elle vient de recevoir, je doute que cette petite servante soit tentée de récidiver.
– Victoire ? Détrompez-vous ! La leçon portera un mois. Peut-être deux. Et elle recommencera. Elle est incorrigible.
– Et les autres ? Votre cuisinière les soumet-elle au même traitement ?
– Pas toutes, non. Loin de là. Mais il y a trois ou quatre indociles, ou paresseuses, ou étourdies dont c’est fréquemment le lot.
– Oh, mais je sens que je vais venir prendre le thé beaucoup plus souvent chez vous, moi !
– Quand vous voudrez, ma chère ! Quand vous voudrez… Ce sera avec plaisir.
CINQ À SEPT
Dessin de Georges Topfer
– Qu’avons-nous fait, Léon ? Mais qu’avons-nous fait ?
– L’amour, très chère…
– Mon Dieu, mais c’est horrible.
– Ah, vous trouvez ?
– Non… Enfin, si ! Oui.
– Cela semblait pourtant, il y a quelques instants, vous paraître fort plaisant. C’est même vous qui, à deux reprises, êtes remontée à l’assaut.
– J’ai honte…
– Et de quoi donc, chère amie, je vous prie ?
– Je suis mariée.
– Qu’à cela ne tienne ! Moi aussi.
– Ce n’est pas la même chose.
– Vraiment ?
– Vraiment. Votre femme ne vous satisfait pas.
– Ah, parce que votre mari, lui, par contre…
– Est mon mari. Et je lui avais juré fidélité. S’il apprenait…
– Il n’apprendra pas.
– Oui, mais moi, je sais. Comment voulez-vous que je puisse désormais…
– Quoi donc ?
– Non, il faut que je rachète ma faute. D’une façon ou d’une autre, il faut que je la rachète.
– Je puis m’en charger.
– Comment cela ?
– En vous infligeant la sanction que vous estimez avoir méritée.
– Que faites-vous ?
– Vous le voyez, très chère. Je détache ma ceinture.
– Pour ? Vous n’allez tout de même pas me…
– Fouetter ? N’est-ce pas la punition la plus appropriée pour vous laver de la faute que vous avez commise ?
– Sans doute, mais…
– Mais ?
– Non, rien. Faites, Léon, faites ! Punissez-moi !
* *
*
– Là, ma chère… Voilà. Vous sentez-vous quelque peu rassérénée ?
– Oh, oui, mon ami, oui. Vous m’avez soulagée d’un grand poids. Je me sentais si coupable…
– Vous avez été fort courageuse. Parce que j’ai fait preuve, à votre égard, d’une grande sévérité.
– Il le fallait. Ma faute était d’une telle gravité…
– Vous vous rhabillez ?
– Oui. Je dois rentrer.
– Quand nous reverrons-nous ?
– Nous ne nous reverrons plus, Léon.
– Vous savez bien que si…
– Laissez-moi croire le contraire. Au moins quelque temps.
– Ça s’est sûrement passé quand ce pauvre abbé Demichel a fait son malaise, que tout le monde s’est précipité autour de lui. Sûrement.
LA KERMESSE
– Ça s’est sûrement passé quand ce pauvre abbé Demichel a fait son malaise, que tout le monde s’est précipité autour de lui. Sûrement.
– Jamais il aurait fallu laisser la caisse sans surveillance.
– En même temps, dans la panique, on peut comprendre…
– J’ai vraiment cru qu’il était mort, moi, ce pauvre curé.
– Moi aussi ! Le voir étendu comme ça, inanimé, en plein soleil.
– N’empêche que s’emparer de la recette d’une kermesse qui devait revenir, dans sa totalité, aux pauvres de la paroisse, faut vraiment n’avoir aucune moralité.
– Ah, ça ! Mais aujourd’hui, on peut s’attendre à tout.
– Qui a bien pu faire une chose pareille ? Qui ?
– Je le sais, moi !
– Toi, Alice ?
– Oui. J’étais un peu à l’écart, là-bas, au pied du grand chêne. J’ai tout vu.
– C’est qui ? Léopold, hein, c’est lui ? Il a déjà si souvent été pris la main dans le sac.
– Non.
– Le type de la ferme des Aussanges, alors ! Il vient d’arriver. Personne le connaît ici. Et puis il a l’air tellement bizarre.
– Non plus, non.
– Ben c’est qui alors, dis ! Nous fais pas languir.
– L’une de nous cinq. Les bénévoles.
– L’une de… Non, mais c’est pas possible.
Mathilde baisse la tête.
– C’est toi ? Non, mais c’est pas vrai que c’est toi !
Tous les regards convergent vers elle.
– Je rendrai tout.
Rose hausse furieusement les épaules.
– Encore heureux… Manquerait plus que ça. Viens là !
Elle obéit.
– Penche-toi !
En travers de ses genoux.
– Trousse-toi !
Elle hésite. Quelques fractions de seconde. Mais elle le fait.
– Plus haut !
Plus haut. Allez, plus haut !
Ses fesses d’albâtre pointent résolument vers nous.
– J’ai honte !
D’une toute petite voix.
– Ah, ça, tu peux ! Il y a de quoi !
Alice me passe un bras par-dessus l’épaule, se serre contre moi.
– Ça te plaît ?
– Chut ! Tais-toi ! Regarde !
Rose brandit le battoir à tapis. Mathilde tourne la tête vers elle.
– Tu vas me…
– Flanquer une bonne fessée, oui ! C’est mérité, avoue, non ?
– Oui. Si !
– J’aime te l’entendre dire.
Et elle l’abat résolument. À pleines fesses.
Mathilde sursaute, pousse un cri.
Rose poursuit sur sa lancée. À grands coups espacés, réguliers. Que Mathilde accompagne, chaque fois, d’une sorte de ahanement essoufflé et d’une poussée en rythme du derrière. Haut. Très haut. De plus en plus haut. Ce qui ne laisse rien ignorer des ciselures rosées de ses replis intimes. Je pose une main sur le genou d’Alice. Qui se serre contre moi.
Rose s’interrompt.
– On s’en tient là ?
On proteste. Toutes les trois. Avec véhémence.
– Oh, non ! Non. Continue !
Et elle reprend de plus belle.
LA FESSÉE DE GISÈLE
Dessine de Louis Malteste
Chaque fois qu’elle descendait à Châteauroux, Gisèle venait me rendre visite. Et, chaque fois, elle s’efforçait de me convaincre.
– Tu vas périr d’ennui dans ce trou perdu. Viens avec moi ! Monte à Paris !
Et elle me dépeignait, sous les couleurs les plus riantes, la vie là-bas. Ce n’était que fêtes perpétuelles, repas pantagruéliques. Quant aux jeunes gens… Ah, les jeunes gens ! Polis, courtois, raffinés, cultivés, ils n’avaient strictement rien à voir avec le tout-venant de Châteauroux.
– C’est le jour et la nuit. Allez, viens ! Qu’est-ce que tu risques ? Elle t’embauchera, Mademoiselle Guibert. Elle me l’a promis.
– Et j’habiterai où ?
– Avec moi. Au-dessus de l’atelier. Ces crises de fou rire qu’on va se prendre !
J’ai fini par me laisser tenter. Et je n’ai pas eu à le regretter. La couture n’avait pas de secrets pour moi et, à l’atelier, je me suis tout de suite sentie dans mon élément. Avec les quatre autres filles, je n’avais pas le moindre problème. Quant à Mademoiselle Guibert, elle se félicitait haut et fort de la qualité de mon travail.
– Et tu avances vite. En plus !
La chambre de Gisèle n’était pas très spacieuse, mais le lit, lui, si ! Et on disposait, juste à côté, d’une sorte de grand débarras dans lequel on pouvait entreposer nos affaires à notre gré. Tant et si bien qu’on ne se sentait pas vraiment à l’étroit.
On s’endormait tard. De plus en plus tard. On avait toujours une foule de choses à se raconter. Et puis il y avait les deux messieurs bien mis. Qui passaient presque tous les jours à l’atelier, sous un prétexte ou sous un autre, pour nous voir et nous parler. Qui voulaient absolument nous inviter à aller au spectacle avec eux. Ils nous faisaient trop rire.
– Ils ont au moins quarante ans, attends !
– Et qu’est-ce qu’ils sont laids ! En plus !
On était justement en train de se moquer d’eux, un soir, quand Mademoiselle Guibert a brusquement fait irruption dans la chambre.
– Non, mais vous savez l’heure qu’il est ? Ça va pas de faire un raffût pareil ! Alors maintenant vous vous couchez ! Et vous me laissez dormir.
Ce qui n’a absolument pas impressionné Gisèle. Elle a continué à rire et à parler fort comme si de rien n’était. Encore plus fort, même.
– Chut ! Elle va revenir…
– Et alors ? On s’en moque. On fait bien ce qu’on veut.
Ce qui a eu pour effet quasi immédiat de la faire réapparaître.
– Alors toi, ma petite, tu cherches… Eh bien, tu vas trouver !
Elle l’a attrapée par un bras, tirée dans le couloir.
– Oh, non, Mam’zelle, s’il vous plaît…
– T’étais prévenue. T’étais pas prévenue ?
– Si, mais…
– Eh bien alors !
Elle s’est assise sur le canapé d’angle, l’a courbée en travers de ses genoux, lui a tout relevé.
– Oh, Mam’zelle !
Et lui a mis une fessée. Cul nu.
J’étais stupéfaite. Et terrifiée. Est-ce qu’après ça allait être mon tour ? J’étais d’autant plus effrayée que ça avait l’air de faire très mal. Elle se contorsionnait dans tous les sens, Gisèle. Elle possait des tas de petits cris. « Hou… hou…hou… » Et ça les lui mettait rouges, les fesses, mais rouges !
– Là ! Et maintenant tu vas te coucher et tu la fermes. Quant à toi, Alice, tâche d’en prendre de la graine. Parce que si j’ai à me plaindre de toi, pour quoi que ce soit, tu subiras le même sort. C’est compris ?
C’étais compris, oui.
On a filé sans demander notre reste.
Dans le lit, Gisèle m’a attrapé la main.
– Elle sont brûlantes. Tiens, touche ! Mais si, touche !
Elle l’étaient.
– Comment elle a tapé fort ! Bien plus que les autres fois. Mais ça, c’est parce que t’étais là.
Elle s’est voluptueusement étirée.
– En attendant, comment ça fait du bien !
– Du bien !
– Enfin, non ! Du mal, oui ! Mais du mal qui fait tellement du bien… T’en as jamais eu, hein ?
– Jamais.
– Tu peux pas comprendre alors ! Mais tu verras ! Tu verras. Quand on en a eu reçu une, après, on peut plus jamais s’en passer.
DERRIÈRE LES ARBRES
Carman. Trente ans.
– Il est là ?
– Bien sûr qu’il est là…
– Où ça ?
– Te retourne pas surtout ! Dans le bouquet d’arbres juste derrière. Il y a que là qu’on peut vraiment se cacher.
– C’est loin !
– Pas tant que ça. Et puis il aura pris sa longue-vue.
– Tu lui as dit quoi au juste ?
– Que t’avais mérité une bonne fessée. Et que je viendrais te la flanquer ici. Parce que là-bas, avec les voisins, c’était pas possible. On nous aurait entendues.
– Et alors ?
– Il m’a baisé la main. Et il m’a souri. « Je ne sais rien. Vous ne m’avez rien dit. »
– On le fait un peu attendre ?
– Oh, si tu veux…
Et on s’est allongées, côte à côte, un brin d’herbe entre les dents.
– Combien de temps ça fait ?
– Pas loin d’une heure. Il doit commencer à s’impatienter.
– Et si on reportait à demain ?
– Le pauvre ! Il serait horriblement déçu.
– Il n’en aurait que plus envie encore.
– À moins qu’il ne se décourage…
– Oui. Non, mais n’importe comment ça me démange trop que tu me la donnes.
– On y va alors ?
– On y va.
Et je me suis tournée sur le ventre.
Elle m’a lentement, très lentement, dénudé les fesses. Et elle a tapé. En prenant bien soin de rester sur le côté. Qu’il puisse jouir pleinement du spectacle. J’ai battu des jambes. J’ai enfoui ma tête dans l’herbe pour étouffer mes cris. Elle, elle tapait de plus en plus fort. De plus en plus vite. De plus en plus cuisant.
– Elles sont rouges ?
– Assez… Mais pas tant que ça quand même…
– Alors continue…
Elle ne s’est pas fait prier. À grandes claquées qui m’ont fait bondir du derrière, crier comme une perdue.
– Là ! Tu as ton compte, non ?
Je l’avais. Je me suis relevée. Reculottée.
– Il a dû se régaler, l’autre, là-bas, derrière.
– Et pas qu’un peu !
– Tu me raconteras ce qu’il t’a dit, hein ?
– Évidemment !
On a pris le chemin du retour.
– Et demain, c’est toi qui ramasses. Il y a pas de raison…
– Si tu veux.
– Peut-être qu’un jour il y aura pour de bon quelqu’un à nous regarder, là-bas, dans les arbres. Qu’on aura pas besoin de l’inventer.
– Ou beaucoup plus près. Un passant qu’on n’aura pas entendu arriver.
– Qu’est-ce qu’on fera ?
– Semblant de pas l’avoir vu.
Et on s’est prises en riant par la taille.
– Madame a l’air bien fatiguée.
LA FESSÉE DE MADAME
– Madame a l’air bien fatiguée.
– Oh là là, oui. Elle a une mine de déterrée.
– C’est l’absence de Monsieur qui chagrine Madame ?
– Absence qui ne l’empêche pas de passer ses journées par monts et par vaux.
– On se demande bien à quoi faire, d’ailleurs.
– Oh, non, on se le demande pas. On sait.
– Madame les prend vraiment très jeunes.
– C’est que c’est plein de sève à cet âge-là…
– Et que ça n’hésite pas à remettre le couvert autant de fois que nécessaire.
– Madame ne dit rien ?
– Qu’est-ce que tu veux qu’elle dise ?
– À part nous supplier de lui garder le secret.
– Et elle est bien trop fière pour ça.
– Quand Monsieur va apprendre…
– Et il apprendra…
– Oui. Il faut qu’il sache.
– Quand Monsieur apprendra, alors là Madame va vraiment passer un très très mauvais quart d’heure.
– À moins que…
– On règle ça entre nous ?
– Ce peut-être une solution. On administre à Madame une bonne fessée de derrière les fagots. Bien cuisante, à la fois pour son fondement et pour son amour-propre.
– Ce qui est, à tout le moins, amplement mérité.
– Et on ne dit rien. À personne. Même pas à Monsieur.
– Surtout pas à Monsieur.
– Muettes. De vraies tombes.
– Que pense Madame de tout ça ?
– Rien. Qu’est-ce tu veux qu’elle en pense ? Elle s’en veut. Elle s’en veut énormément. Pas d’avoir écarté les jambes, non. C’était trop bon. Mais d’avoir manqué de prudence. Parce qu’on sait toutes les deux. Elle se demande bien comment, mais on sait. Le fait est là. Et, du coup, elle est entièrement à notre merci. Obligée d’en passer, si elle ne veut pas aller au-devant de très très gros ennuis, par tout ce qu’on veut. Elle n’a pas le choix. Et ce qu’on veut maintenant, c’est qu’elle aille bien docilement s’agenouiller au bord de son lit.
– Oh, là ! Ce regard ! Elle n’aime pas, mais alors là, pas du tout cette perspective.
– Ce dont on se fiche éperdument.
– Tu crois qu’elle va le faire ?
– Et comment qu’elle va le faire ! Elle a trois secondes pour ça. Sinon… Eh ben, voilà ! Tu vois, suffit de demander. Elle est docile finalement notre maîtresse, hein ?
– Très. Ce qui est, ma foi, fort agréable.
– N’est-ce pas ? Et elle va l’être davantage encore. Parce qu’elle va se laisser bien gentiment mettre le cul à l’air. Là ! Voilà… Et maintenant, on va s’en donner à cœur-joie. Tu commences ou je commence ?
– Oh, ensemble ! Ensemble ! Ça portera plus.
– Eh bien, allez, alors ! Feu !
– Eh bien, allez, alors ! Feu !
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