Maman l’a annoncé triomphalement, ce
soir-là, en posant la soupière sur la table…
– Vous savez quoi ? Eh bien ça y
est ! On a de nouveaux voisins…
Papa a relevé la tête…
– Ah, oui ! C’est qui ?
– Un couple… La quarantaine… Ils ont
emménagé cet après-midi… Lui, il serait commercial dans une boîte de je sais
pas trop quoi à ce qu’il paraît… Et elle, apparemment , elle fait rien…
Oh, mais je tarderai pas à en savoir plus… En attendant tâche d’être poli, toi,
hein, Luc ! Oublie pas de dire bonjour…
J’ai haussé furieusement les épaules…
– Oh, quand même ! Je suis plus un
bébé…
– Oui, ben ça ! On serait parfois en
droit d’en douter…
Le vieux père Cauet montait la garde
derrière son portail…
– Tu l’as vue ?
– Qui ça ?
– La Stéphanie, pardi ! Le gentil petit
lot qui vient de nous arriver… C’est juste la maison à côté de chez toi et tu
l’as pas vue ?! Ben, mon garçon ! C’est pour quoi faire qu’il t’a
donné des yeux le bon Dieu alors ? Il y a pas que les bouquins dans la
vie… Et moi, je peux te dire une chose, c’est que j’aurais vingt ans de moins
comment je te l’aurais entreprise la donzelle… J’y serais pas allé par quatre
chemins… Ah, non alors ! Et ça l’aurait fait… Parce qu’on peut bien dire
ce qu’on veut, mais le Marcel quand il en voulait une, il mettait pas six mois
à l’avoir… Même qu’elle en redemandait… Oh, pour ça j’ai pas à me plaindre…
J’en ai eu… Et celui qu’en aura autant que j’en ai eu sûr qu’il est pas encore
né… Et que c’est pas demain la veille… Mais si tu rentrais boire un café
plutôt ? Je te raconterais tout ça et tu verrais que…
– Une autre fois, monsieur Cauet, une
autre fois… Déjà que je suis en retard…
Elle a reposé sa fourchette…
– Vous me demandez pas ? Ça vous
intéresse pas ?
Papa l’a regardée, éberlué…
– On te demande pas quoi ?
– Ben, pour la voisine… Parce que je
l’ai vue…
– Ah…
– Oui… J’y suis passée… Ç’aurait plutôt
été à elle de venir se présenter, vu qu’ils viennent d’arriver, mais bon… faut
pas être trop à cheval sur les principes non plus… Elle m’a reçue… Sympa… On a
bu le café… De Boulogne ils viennent… On l’a changé de secteur son mari… On lui
donne de nouvelles responsabilités… C’est pour ça qu’ils débarquent ici… Et non
pas parce que… Mais ça ! Les gens ils sont tout de suite prêts à raconter
n’importe quoi… En attendant en douce que les Lambert ils leur ont laissé la
maison dans un état ! Ah, elle peut refaire les peintures ! Dès
demain elle compte s’y mettre… Je lui ai dit que tu viendrais l’aider à
déplacer les meubles, Luc… Parce que, évidemment, les déménageurs lui ont tout
laissé en vrac dans le séjour… Et c’est par là qu’elle a l’intention de
commencer…
Elle m’a ouvert un pinceau à la main… Un
foulard bleu lui recouvrait entièrement la tête… Un vieux tee-shirt tout délavé
tombait sur un court short kaki… Dessous les seins étaient libres… Et les
jambes, fuselées, toutes bronzées, interminablement longues…
– Oui ?
– Je viens pour… Ma mère m’a dit… Les
meubles… Pour les déplacer…
– Ah, tu es le petit voisin… C’est très
gentil à toi d’avoir accepté de venir me donner un coup de main… Parce que
toute seule… Tiens, entre ! C’est par là… Ce qu’il faudrait d’abord, c’est
pousser ce gros bahut, là, au milieu… Que je puisse accéder au mur… Tu y
es ?... Un… Deux… Trois… Là… Parfait… Et si c’est pas trop te demander on
va aussi déplacer ce grand truc… Comme ça je devrais pouvoir avoir fini au
moins cette pièce avant le retour de mon mari samedi… Hou là ! Il pèse
celui-là, hein ! Vas-y encore un peu… Juste un peu… Voilà… Bon, ben merci…
– Si vous avez encore besoin…
– Je ferai appel à toi… C’est entendu…
Je me gênerai pas…
– Mais même…
– Même ?
– Si vous voulez que je vous donne un
coup de main pour vos peintures… Ça vous avancera…
– Faut pas exagérer… Ce serait abuser…
– Oh, non… Non… Ça m’occupera… C’est que
dans trois semaines la rentrée en fac… Alors en attendant…
– Dans ces conditions… C’est pas de
refus… Mais je te dédommagerai…
– Oh, non… Non… C’est pas la peine… Bon,
mais je reviens… Je reviens tout de suite… Je vais me mettre en tenue…
– Tu sais pas la meilleure ? Ton
fils… Ton fils qu’il y a pas moyen de lui faire passer la tondeuse ou tailler
la haie tu sais pas ce qu’il a fait de sa journée ?
– Comment veux-tu que je sache ?
– Les peintures chez la voisine… Et le
plus beau… Parce que tu sais pas le plus beau ? C’est qu’il y retourne
demain…
– Tu avances vite, toi, dis donc !
J’ai bien fait de t’embaucher… Par contre… Par contre faut bien reconnaître que
t’es pas très causant… T’es toujours comme ça ?
– Oh, non… Non… Je parle d’habitude…
– Mais pas à moi… C’est que je suis trop
vieille, c’est ça ? Et qu’à une vieille comme moi tu sais pas trop quoi
raconter…
– Hein ? Mais vous êtes pas
vieille ! Ah, non alors ! Vieille, vous ! Ah, non ! Alors
ça, non !
– C’est gentil... Eh bien parle-moi
alors ! Raconte-moi des choses… Tiens… Ta petite amie par exemple… Elle
s’appelle comment ?
– Ma petite amie ?
– Ta petite amie, oui… T’as bien une
petite amie quand même ! À dix-huit ans tout le monde a une petite amie…
Pas toi apparemment… Vu ton air… Pourquoi ? Elles t’intéressent pas les
filles ?
– Oh, si ! Si !
– Eh ben alors !
– Je sais pas…
– Elles te font peur, c’est ça ?
– Oh, non… Non… Souvent je suis avec…
Des tas en plus… On discute… On rigole… On déconne…
– Et c’est tout… Ça en reste là… T’en
crèves d’envie, mais ça va pas plus loin… Jamais… C’est ça, hein ? Et il
te vient pas à l’idée que… Parce que t’es beau garçon… Agréable à regarder…
Pour autant que je puisse en juger t’as l’air d’avoir excellent caractère… Et
il te vient pas à l’idée que, parmi toutes ces filles, il y en a sûrement qui
en crèvent d’envie autant que toi ? Et beaucoup plus que tu ne crois…
Seulement si t’oses pas… Si tu leur fais pas voir…
– Ben oui, mais…
– Mais t’as la trouille… De pas savoir
faire… De pas être à la hauteur… Qu’elles se moquent de toi… Parce que… t’es
puceau, hein ? Oui… Évidemment que tu l’es… Le jour où tu le seras plus tu
verras que tout sera beaucoup plus facile… Seulement pour plus l’être encore
faut-il finir par se lancer...
– C’est pas encore fini ces peintures
depuis le temps ?
– Parce que tu crois que ça se torche
comme ça, toi ? En deux temps trois mouvements… Il y a tous les enduits à
faire… Les sous-couches à passer… Et si on veut que ce soit à peu près
potable...
– Oh, mais moi ce que j’en dis ! Tu
peux bien y rester tant que tu veux… Au contraire… Pendant ce temps-là
j’entends pas ta musique beugler…
– Quelle chaleur ! Pour un mois de
septembre, c’est de la folie…
– On va y crever, oui !
– On dégouline… Aussi bien l’un que
l’autre… Et tu es rouge ! Tu te verrais ! Alors tu sais pas ce que je
propose ? C’est qu’on lâche nos pinceaux… Qu’on marque une pause… Et qu’on
en profite pour aller se prendre une bonne douche… Ça nous rafraîchira… Allez,
viens !
Elle a tout retiré… Tout… Toute nue… Elle
a escaladé le rebord de la baignoire… Fait couler l’eau…
– Ça fait un bien, mais un bien !
J’te dis pas… Eh ben reste pas planté là ! Viens ! Qu’est-ce
t’attends ?
Je me suis déshabillé… À mon tour j’ai enjambé…
– Houlala ! C’est quoi qui te met
dans cet état-là ? De me voir ? C’est vrai ? C’est flatteur pour
moi… Très…
Elle a tendu la main… Doucement
effleuré… Juste un peu enserré… Et c’est venu…
Elle a ri…
– Quel impatient tu fais ! Bon…
Mais maintenant on va pouvoir passer aux choses sérieuses…
Dans sa chambre… Dans son lit…
– Ben non… Non… Je vais pas te raconter
d’histoires… Tu t’es bien rendu compte que non n’importe comment… Mais c’est
pas grave… C’était la première fois… T’apprendras… Un corps de femme ça
s’apprend… Pas à pas… Je t’apprendrai… Jusqu’à ce que tu en connaisses toute la
gamme… Que tu sois capable de le faire chanter encore et encore…
– Je me permettrai quand même de te
faire remarquer que la rentrée universitaire a eu lieu… Ça fait même quinze
jours…
– Je sais… Je sais…
– Oui, ben on dirait pas… Parce que…
Qu’est-ce qu’il y a de si intéressant à côté ?
– Oh, tout de suite… Mais rien !
Seulement repeindre une maison de fond en comble, ça se fait pas en huit jours,
figure-toi ! Sans compter qu’à la cave ça fuit de partout… Et que les
circuits électriques tu te demandes comment les Lambert ils se sont pas fait
sauter la tête avec…
– T’es grand… T’es majeur… Alors tu
prends tes responsabilités… La seule
chose qu’on ait à te dire, ton père et moi, c’est qu’il n’est pas question que
tu rates ton année pour des motifs qui n’en sont pas… À bon entendeur…
– Elle a pas complètement tort non plus…
Il faut que tu penses à ton avenir…
– Oui, maman…
– Sans compter qu’ils commencent à
parler les gens…
– Oh, mais on s’en fout de ça !
– Jusqu’à un certain point… Parce que si
ça revient aux oreilles de mon mari…
– Il y a pas de raison…
– T’en sais rien du tout… Quand ça
démarre les ragots…
– Il ferait quoi ?
– J’en sais rien ce qu’il ferait… Et je
tiens pas vraiment à le savoir… Non… Le plus sage, c’est qu’on lève le pied,
que tu te consacres à tes études et que…
– Ce que t’es en train de me dire, c’est
que c’est fini, nous deux… C’est ça, hein ?
– Jamais de la vie ! Mais qu’il
faut qu’on se voie moins… C’est tous les jours… Et depuis plus d’un mois… C’est
beaucoup trop…
– Tu t’ennuies avec moi, quoi !
– Tu sais bien que non… Tu as vite
appris… Tu es doué… Tu es devenu, en un rien de temps, un amant d’exception…
Attentionné… Fervent… Passionné… Tu es, en plus, d’une conversation infiniment
agréable…
– Eh bien alors ?! Il est où le
problème ?
– Le problème, il est que tu es en train
de t’attacher beaucoup trop à moi… Qu’il faudrait que tu ailles vers des filles
de ton âge… Que tu en tombes amoureux…
– C’est avec toi que j’ai envie d’être…
C’est à toi que j’ai envie de faire l’amour… Et qu’à toi… À personne d’autre…
– Ce que je voudrais que tu comprennes,
Luc, c’est que c’est le meilleur moyen de me perdre… Qu’à ne plus vivre que par
moi tu vas m’OBLIGER à tirer un trait définitif sur nous… Dans ton intérêt à
toi… Et dans mon intérêt à moi…
– Faut que je fasse quoi alors ?
– Ce que je viens de te dire… Que tu
regardes ailleurs… Que tu t’intéresses aux filles…
– Et on pourra encore se voir ?
– Bien sûr qu’on se verra… Tu viendras
me raconter ce que tu fais… Comment ça se passe avec elles… J’ai le droit de
savoir après tout… Si j’avais pas été là…
– Oui, mais… et nous ? On se fera
quand même encore l’amour ?
– Évidemment qu’on se le fera… Mais
moins… Beaucoup moins… Tu en auras beaucoup moins envie, tu verras…
– Alors ça… ça m’étonnerait…
Jessica était persuadée qu’on m’y
reverrait pas à la fac…
– Ben attends… C’est vraiment pas ton
style de sécher systématiquement les cours comme ça… Qu’est-ce qui t’est
arrivé ? T’étais amoureux ou quoi ?
– Oui… Non… Enfin c’est plus compliqué
que ça…
– En attendant c’est pas que je veuille
te saper le moral, mais si tu veux pas être largué tu vas avoir intérêt à
t’accrocher… Parce que ça a démarré sur les chapeaux de roues… Et c’est plutôt
hard le programme cette année… Mais passe à la maison si tu veux… Je te filerai
ce que j’ai… Et je te montrerai des trucs que c’est impossible de les
comprendre si t’as pas quelqu’un qui te les explique…
– Et avec la petite Jessica…
– Oui, oh, alors là… Il y a pas de
risques… On était au collège ensemble avec Jessica… Non… Si ça avait dû se
faire il y a longtemps que ça se serait fait… Elle est amoureuse comme une
folle de son Bastien en plus…
– Donc… Ce sera pas Jessica… Mais tu
sais ce que je t’ai dit… Et n’attends pas trop… Parce que tu pourrais bien trouver
porte close… Et beaucoup plus tôt que tu ne crois…
– Monsieur ? Ah, mais c’est toi,
Luc ! Je t’aurais pas reconnu depuis le temps… Comment tu as changé !
Tu es un homme maintenant… Oh, la la ! Mais c’est vraiment incroyable…
J’en reviens pas… Bon, mais tu viens voir Jessica, je suppose… Monte !
Elle est là-haut… Tu connais le chemin…
– Au Super Marché ? Une
caissière ? Alors ça y est ? Tu t’es enfin décidé… Tu as bien fait…
Parce que j’aurais tenu parole, tu sais… Bon, mais raconte ! C’est qui cette
caissière ?
– Une petite brune… Mignonne… À peu près
mon âge… Sûrement… Parce qu’elle a le permis…
– Et ?
– Et ma mère m’avait envoyé chercher des
patates… Juste ça… Sauf que quand je suis rentré avec mes patates… « Je
suis désolée, Luc, mais je viens de m’apercevoir que j’avais plus de carottes
non plus… » Et me v’là reparti… À la même caisse… Et la fille en
rigolant : « Si c’est pour faire la soupe vous devriez le prendre
tout de suite le poireau… Ça vous éviterait de revenir… – Non, mais ça, je crois
qu’il y en a des poireaux… » Seulement elle m’avait donné une idée du coup…
Et un quart d’heure plus tard je me repointais à sa caisse… Avec deux navets…
« Vous, on peut pas dire, vous faites vraiment les courses en décomposé… –
Ce qu’est loin d’être désagréable quand on a affaire à une caissière aussi
charmante que vous… » Elle a fait celle qui n’avait pas entendu, mais elle
souriait à l’intérieur… Ça se voyait… Elle souriait… « Bon, ben peut-être
à tout à l’heure… Des fois qu’il y ait plus de sel… » Elle n’a pas
répondu…
– Et tu y es retourné ?
– Non… Faut pas que ça devienne lourd
non plus…
– Et c’est tout ?
– Oui… Enfin non… Je la revois jeudi… Au
café de la paix… Parce que, pendant que je faisais la queue, la dernière fois,
avec mes navets, je l’ai entendue se plaindre à sa collègue derrière qu’elle en
avait ras le bol de ces horaires à trous… « Tu peux rien faire… Et quand
t’habites loin, comme moi, t’as même pas le temps de rentrer chez toi… Alors à
part aller t’emmerder au café d’en face… C’est deux heures que j’y passe tous
les jeudis après-midi… Deux heures… » Et donc jeudi prochain je passe à
l’attaque…
– D’autant que le discours à la
collègue, c’était peut-être bien un message dont tu étais le destinataire
finalement…
– Oh, tu crois ?
– Va savoir… C’est pas sûr, mais c’est
pas impossible… Les femmes, tu sais…
– Auquel cas… c’est carrément dans la
poche…
– Oui… Oh, alors ça ! On verra…
Faut jamais vendre la peau de l’ours… Jamais…
– Mais quand même ! t’es fière de
moi, hein ?
– Je te dirai ça jeudi…
– Entre ! Elle va arriver Jessica…
D’un moment à l’autre… Elle est partie faire une course… Assieds-toi ! Tu
vas l’attendre… Tu veux un café ? Non ? C’est vrai ? Si tu
savais comment j’ai du mal à me persuader que c’est toi… Quand je pense au
petit ado mal dans sa peau que tu étais… À qui on arrivait tout juste à
extirper trois mots… Qu’un rien désarçonnait… Et maintenant… Tu fais si sûr de
toi… Si homme… Si bien dans ta peau… Quelle métamorphose ! Ah, tu dois en
avoir des filles à tes pieds… Parce qu’on peut bien dire ce qu’on veut… On
adore ça, nous les femmes, nous sentir protégées… Poser la tête sur une épaule
et savoir que rien – absolument rien – ne peut nous arriver… La grande erreur
de ma vie ça aura été de le plaquer son père à Jessica… C’était un roc ce type…
Inébranlable… Mais qu’est-ce qui m’a pris ? Et tout ça pour quoi ? Pour
qui ? Un égoïste qui se soucie de moi comme d’une guigne… Qui vit
retranché dans son monde… Tout pourrait bien s’écrouler autour de lui qu’il ne s’en
rendrait seulement pas compte… Tu peux pas savoir ce que je l’appréhende le
jour où Jessica va quitter la maison… Parce qu’on parle toutes les deux…
Quelquefois pendant des heures… On fait des trucs ensemble… Elle ensoleille mes
journées… Mais ça n’aura qu’un temps… Et c’est dans l’ordre des choses… Elle
s’entend à merveille avec Bastien… Ils ont tout plein de projets tous les deux…
Je leur souhaite de tout cœur de les réaliser… Et d’être heureux… Et moi
pendant ce temps-là… Mais moi, ça n’a pas d’importance, moi… Aucune importance…
– Oh, mais faut pas dire des choses
pareilles ! On sait jamais de quoi demain sera fait… Et c’est souvent au
moment où on commence à désespérer que le ciel s’éclaircit et que…
– Oui, oh ! Mais voilà Jessica,
tiens ! Vas-y ! Allez travailler tous les deux…
Elle feuilletait distraitement une
revue, seule à une table, tout au fond de la salle…
– Bonjour…
– Ah, c’est vous… Vous m’avez fait peur…
Bonjour… Alors elle était bonne cette soupe ?
– Délicieuse… Mais beaucoup moins que
vous… Et de très loin…
Elle a souri… Elle était flattée… J’ai
posé ma main sur le dossier de la chaise en face d’elle…
– Je peux ?
– Franchement je préfère pas…
– On aurait parlé un peu… Fait
connaissance…
– Oui, mais ici il y a mes collègues…
Qu’arrêtent pas de rentrer… De sortir…
– Et qui n’auraient rien de plus pressé
que d’aller mettre votre petit ami au courant… C’est ça ?
– Oui, alors là il y a pas de risque…
J’en ai pas de petit ami… Pas pour le moment… Non… Mais vous les connaissez
pas… Si elles nous voient attablés ensemble ça va être toute une traînée de
poudre au magasin là-bas… Ça va se faire des films… Inventer des tas de trucs…
En raconter des tas d’autres… Me poser dix mille questions… J’ai vraiment pas envie…
– Si bien qu’à cause d’elles je vais
être privé du plaisir de discuter un peu avec vous…
– Oh, on peut bien discuter si vous
voulez… Mais pas ici…
– Où alors ?
– À « La Taverne » par
exemple… Vous voyez où c’est ?
– Ce soir ?
– Je finis à sept heures… Le temps de
rentrer me changer…
Elle avait passé une petite robe blanche
qui lui allait à ravir… Qui mettait son teint mat magnifiquement en valeur…
S’était recoiffée… Remaquillée…
– Vous m’en voulez pas pour tout à
l’heure ?
– Bien sûr que non… On sera beaucoup
plus tranquilles ici…
– Ce qu’elles peuvent être lourdes quand
elles s’y mettent !... Vous avez pas idée…
– J’imagine… Bon, mais parlons de vous
plutôt… Je connais même pas votre prénom…
– Chloé… Je suis quelqu’un de très
banal, vous savez…
– Que vous dites…
– Si, c’est vrai…
– Et c’est vrai ?
– Oh, non… Non… Alors là non… Qu’est-ce
qu’elle est agréable à discuter…
– Qu’à discuter ?
– Pas seulement, non…
– Eh bien raconte !
– Deux bonnes heures on y est restés à
« La Taverne »… Et puis on a eu faim… Quand on est sortis du Mac Do
pas loin de minuit il était… Je l’ai raccompagnée… Jusqu’en bas de chez elle… Et
là… Au moment de la quitter… Je me suis approché… penché… Elle ne s’est pas
dérobée… Un long baiser… Interminable… Un autre… Encore… Un sein… Doucement
modelé à travers la robe… Sous la robe… Sous le soutien-gorge… Elle a respiré
plus vite… S’est pressée contre moi… Décidée d’un coup… «
Viens ! »… Elle m’a pris par la main, on est montés et on a roulé sur
son lit…
– Et alors ?
– Ben… tu imagines, je suppose ?
– C’était bien ?
– Oui…
– T’as pas l’air vraiment convaincu…
– Si… Si… Oui…
– Mais ?
– Mais c’était nettement moins bien
qu’avec toi…
– En quoi ?
– Je sais pas… C’est tout un ensemble…
Elle se laisse faire… Elle aime bien ce que je lui fais… Elle a l’air en tout
cas… Je crois pas qu’elle simule… Mais de son côté elle fait rien… Pas une fois
elle m’a touché… Pris dans sa main…
– Oh, mais ça viendra… Laisse-lui le
temps de s’habituer à toi… D’oser avoir des audaces… Vous vous connaissez à
peine… Et puis elle a peut-être pas encore beaucoup d’expérience cette petite…
T’es peut-être l’un des tout premiers…
– Pas le premier en tout cas…
– Oui, mais bon… Sois patient… Est-ce
que je l’ai pas été avec toi ? Rassure-la… Apprends-lui… Montre-lui… En
épousant son rythme à elle… Ça a aussi son charme, tu verras…
– Qu’est-ce tu lui as fait à ma
mère ?
– À ta mère ?! Rien du tout… Pourquoi
tu me demandes ça ?
– Parce que… Depuis hier elle arrête pas
de me chanter tes louanges… Sur tous les tons… Soi-disant que tu es quelqu’un
d’exceptionnel… Que c’est un vrai plaisir de bavarder avec toi… Etc… Etc…
– Oui, oh, je l’ai surtout écoutée…
– C’est de ça dont elle a besoin… Parce
qu’on peut pas dire que son Bernard il soit très causant… Et moi… Moi, je suis
sa fille… Elle me confie beaucoup de choses, mais certainement pas tout… Alors
une oreille extérieure attentive comme ça ça lui fait forcément un bien fou…
Même si pour toi c’est pas forcément…
– Oh, non… Non… Je l’aime bien ta mère…
Et depuis le temps que je la connais…
– Alors attarde-toi un peu à bavarder
comme ça avec elle de temps en temps… Ne fût-ce que cinq minutes… Ça
ensoleillera un peu sa journée… Et Dieu sait si elle en a besoin… Parce que sa
vie n’est pas très drôle, tu sais…
Chloé m’a pris la main par-dessus la
table, m’a souri…
– Je suis contente… Je croyais pas que tu
viendrais… Que t’aurais envie de me revoir…
– Hein ? Mais pourquoi ça ?
– Parce que tu devais penser plein de
mal de moi…
– Du mal de toi ? V’là autre chose…
– Ben oui, attends ! Un garçon une
fille qu’il vient tout juste de la connaître et qui se laisse faire comme ça
tout de suite c’est obligé qu’il s’imagine des tas de choses sur elle… Qu’il
croie qu’elle est pareille avec tout le monde…
– Je crois rien du tout…
– Mais c’est pas vrai, tu sais… C’est
pas souvent que j’ai été avec des types… Presque pas… Presque jamais… Je te
raconterai… Tout… Tu verras si je t’ai menti… Parce que… Si ça a été comme ça
hier c’est parce que c’était toi… Parce que je me sentais bien… Que rarement je
m’étais sentie aussi bien… Alors du coup…
– Mais il est où finalement le
problème ? T’avais envie… J’avais envie… Bon, ben voilà...
– Oui, mais…
– Prends les choses dans l’autre sens…
Suppose qu’il se soit rien passé hier… Qu’est-ce j’aurais pensé de toi ?
Que t’étais une fille bien ? Ou au contraire une grosse coincée avec qui
on devait s’emmerder à cent sous de l’heure au lit… Et encore ! À
condition d’avoir d’abord réussi à l’y amener… Et sans doute – sûrement – que
j’aurais laissé tomber…
– Oui… Alors finalement, si je comprends
bien, nous, les filles, quoi qu’on fasse, ça se retourne toujours contre nous,
quoi !
– Et vous êtes allés chez elle…
– Évidemment…
– Et ?
– Comme l’autre jour… À peu près… J’ai
bien essayé…
– De ?
– De descendre avec ma bouche… Elle m’a
ramené par les cheveux, l’air horrifié… « Non ! Non ! Je
t’en supplie, non ! »
– Ça n’en sera que meilleur le jour où
elle se laissera faire…
– S’il arrive…
– Bien sûr que oui qu’il arrivera… Et
des tas d’autres avec… Tu as bien choisi… Très… Une petite sans expérience…
Bourrée de pudeurs et de réticences… Dont il va te falloir patiemment triompher
les unes après les autres… C’est une mine une petite comme ça… Je sens que ça
va être passionnant… Beaucoup plus que tu ne l’imagines… Tu me raconteras,
hein ? Tout… Tu me promets ?
– Évidemment que je te raconterai…
– Initier un type… Lui apprendre mille
et mille choses, sur lui, sur la femme, ça a déjà quelque chose de profondément
émouvant… Mais alors prendre en mains une petite nana pleine de préjugés et de
candeur ça doit être d’un exaltant !
– Rien ne t’empêche de te lancer…
– Parce que tu crois que j’y ai pas
pensé ?
– Et si ?
– Chut… Tais-toi ! Peut-être… On
verra… Le moment venu on verra…
Et elle est venue se blottir contre moi…
Elle était trempée…
– Bien travaillé ?
– Ah, ça, oui… On dépote tous les deux
quand on s’y met… Tu lui fais un petit café à Luc, maman, s’il te plaît ?
Moi, j’ai pas le temps… Je file… Il va m’attendre sinon Bastien… Parce que quatre
heures on avait dit…
Et la porte a claqué…
– Elle est toujours à la course… Ah,
c’est quelque chose pour elle son Bastien ! Je lui souhaite que ça dure…
De tout mon cœur je lui souhaite que ça dure… Le plus longtemps possible…
– Il y a pas de raison…
– Non… Bien sûr que non… Même si on ne sait
jamais à l’avance comment ça peut tourner un couple… Il suffit de pas
grand’chose quelquefois pour que tout parte à vau-l’eau… Et je sais de quoi je
parle…
– C’est peut-être pas si désespéré que
ça…
– Avec Bernard ? Oh, si !
Si ! Ça fait un moment qu’on l’a atteint le point de non-retour… Il y a
plus aucun dialogue… Aucun échange… D’aucune sorte… Et puis… je devrais
peut-être pas te parler de ça, mais… mais ça fait deux ans – plus de deux ans –
qu’il m’a pas touchée… Qu’il préfère se satisfaire tout seul devant son ordinateur…
Si tu savais comme c’est humiliant, ça, pour une femme !
– J’imagine… Ben restez pas avec
alors ! Cassez-vous !
– C’est pas si simple… Notre situation
matérielle est très compliquée… Pour pas dire inextricable…
– Prenez au moins quelqu’un…
Éclatez-vous !
– J’y ai pensé, mais bon… Je suis plus
de toute première jeunesse non plus…
– Oui, ben alors là je suis bien
tranquille… Je suis bien tranquille qu’il y a des quantités d’hommes qui vous
trouvent très à leur goût…
– Tu es gentil… Mais c’est un domaine où
il faut regarder où on met les pieds si on ne va pas s’attirer des
complications à n’en plus finir…
– C’est drôle… T’es pas comme les
autres…
– Les autres ? Quels autres ?
– Les mecs… Ceux avec qui j’ai été… Oh,
t’imagines pas qu’il y en a eu quarante mille, hein ! Si je compte pas les
petites amourettes qu’ont débouché sur rien deux il y en a eu… Juste deux…
– Et en quoi je suis pas comme
eux ?
– Je sais pas… C’est difficile à
expliquer… Tu t’y prends pas pareil… C’est comme si t’avais tout ton temps
quand on le fait…
– Mais je l’ai !
– Et même après, quand c’est fini, tu
restes avec moi… Tu me parles… Tu me caresses… On dirait que tu t’ennuies pas…
Que t’as envie qu’on soit encore ensemble…
– Évidemment que j’en ai envie…
– Oui, ben pas eux ! Stéphane tu
sentais qu’il pensait qu’à une chose : retourner le plus vite possible jouer
à la console… Quant à Kevin il t’annonçait d’entrée de jeu la couleur :
« J’ai pas beaucoup de temps… J’ai des trucs hyper importants à aller
faire » Et il t’expédiait ça à toute allure… Pas étonnant que ça ait pas
duré avec eux… Mais en même temps ça te fait poser des questions… Peut-être que
t’es pas intéressante comme fille… Même pas vraiment désirable que les mecs ils
ont juste envie de toi comme ça en surface… Sans s’attarder… Heureusement que
t’es arrivé, toi, finalement ! Parce que qu’est-ce que ça me rassure
comment tu es avec moi… Même si j’ai quand même sacrément la trouille…
– La trouille ?! La trouille de quoi ?
– Que tu me trouves nulle… Que par
rapport à toutes les autres filles que t’as connues tu sois déçu… Faut me dire,
hein ?! Les choses qui vont pas… Que je fais pas bien… Que tu aimes pas…
Faut me dire… Tu me promets ? Promets… Il y en a ?
– Il y en a forcément… Chez tout le
monde…
– J’m’en fous des autres… Mais chez moi…
Qu’est-ce qu’il y a chez moi ? Vas-y ! Franchement ! Aie pas
peur…
– Peut-être que…
– Que quoi ?
– Que tu te laisses pas toujours
vraiment aller… Il y a des choses…
– Je sais, oui…
– Que j’aurais envie qu’on fasse tous
les deux… Que je te fasse… Que tu me fasses…
– Oui, mais… Qu’est-ce que t’irais
penser de moi après ?
– Que c’est avec moi que t’as eu envie
de les faire… Que t’as réussi à les faire… Comment ce serait émouvant…
– Ça y est !
– Quoi… « ça y est » ?
– Eh ben ça y est… J’ai réussi… À lui
aller en bas avec la bouche… J’ai réussi… Ça a pas été sans mal, mais j’ai
réussi… Et elle a aimé en plus… Pas tout de suite… Pas la toute première fois,
mais elle a aimé… Et moi, alors là, moi, j’ai adoré…
– Ça, je m’en doute… Je t’ai déjà vu à
l’œuvre…
– Oui, mais en plus… Me dire que c’était
la première fois… Que personne lui avait jamais fait… L’avait jamais vue
d’aussi près… Lui sentir revenir des pudeurs… Qu’il fallait vaincre… Tu peux
pas savoir ce que ça fait…
– Oh, que si ! Et elle ?
– Sur moi ? Avec sa bouche ?
Oui, ben alors là faut pas rêver… C’est pas demain la veille… Ni ça ni plein
d’autres choses… Même simplement réussir à la faire parler… De ses désirs… De
ses fantasmes… De tout ce qui bouillonne là-dedans… De tout ce qui la
submergerait si elle consentait à se laisser libre cours… Oh, mais je saurai…
Ça prendra le temps qu’il faudra, mais tout je lui ferai sortir… Tout… Je la
veux tout entière… Toute nue… Abandonnée…
– Mais… vous avez pleuré…
– Non… Non… C’est rien…
– Mais si ! Vous pleurez… C’est
Bernard ?
– Non… Enfin si… C’est compliqué…
– Eh bien dites… Racontez… Ça vous fera
du bien… Ça vous soulagera…
– Je suis idiote…
– Vous vous êtes disputés, hein, c’est
ça…
– Même pas, non… Ce ne sont pas les
trois ou quatre banalités qu’on échange dans une journée qui peuvent nous en
donner l’occasion… Non… Mais il y a des moments où je ressens, plus qu’à
d’autres, combien ma vie est vide… Les jours s’enfilent, les uns derrière les
autres, sans que rien, jamais, vienne les habiter… Sans que… Jamais un plaisir…
Jamais un projet… Jamais une envie… Rien… Je sais pas si tu imagines ce que
c’est que de devoir te dire que tu vis pour rien…
– Ho là ! Ça te vous a un petit
fumet de dépression tout ça… Mais si vous vous imaginez que je vais vous
laisser continuer à vous enfoncer sans réagir eh bien vous vous trompez… Et,
pour commencer, je vous emmène faire un tour… Boire un verre quelque part… Il
fait beau… Ça vous fera le plus grand bien…
– Non, non… C’est pas la peine… T’as du
travail… Tes occupations… Des tas de choses beaucoup plus intéressantes à faire
que de perdre ton temps avec une vieille femme comme moi…
– Je vous demande pas votre avis… Je
vous embarque, un point c’est tout… Allez, hop ! En route…
– À quoi elle pense la petite
Chloé ?
– À rien… Je suis bien comme ça dans tes
bras… Je savoure, c’est tout… Et toi, tu penses à quoi ?
– Que pour quelqu’un qui refusait
catégoriquement que je descende poser mes lèvres en bas tu en redemandes… Et
pas qu’un peu…
– C’est vrai que… comment c’est
bon ! J’aurais jamais cru… Mais c’est parce que c’est toi aussi… Et
qu’avec toi…
– T’y avais jamais pensé avant ?
T’en avais jamais eu envie ?
– Jamais, non… Enfin si… Un peu quand
même… Des fois… Si… Si… Bien sûr que si… Mais juste comme ça… Sans avoir vraiment…
– Et il y en a d’autres des choses à
quoi tu penses juste comme ça ? Sans avoir vraiment…
– J’en étais sûre… Sûre que t’allais me
demander ça…
– Et moi sûr que c’était ça que
t’allais répondre… Il y en a ?
– Pourquoi tu demandes ? Puisque tu
sais…
– C’est quoi ces choses ?
– C’est pas toujours pareil… Ça dépend…
– Ce qui signifie… Qu’il y en a
beaucoup…
– Oh, non… Non… Pas tant que ça… Non… Presque
pas…
– Dis-m’en une… Juste une… Un truc que
tu imagines que tu me fais à moi…
– Des fois j’imagine que je te… Oh, non,
non… Je peux pas…
– Mais si !
– S’il te plaît, Luc ! M’oblige
pas…
– Alors c’est moi qui vais le dire… Des
fois tu imagines que tu m’enfonces un doigt… derrière… pendant qu’on le fait…
– Hein ? Mais comment tu le
sais ?
– Parce que deux fois tout à l’heure tu
t’es approchée… Tu as effleuré… Tu as failli…
– C’est vrai ? Oh, la honte !
– Et la prochaine fois, si je
l’effarouche pas, elle me le fait… Un doigt… Voire deux…
– Et tu lui fais aussi… Parce que si
elle a envie de te le faire il y a toutes les chances que ce soit parce qu’elle
a envie que tu lui fasses…
– Bien vu…
– Tu sais que décidément elle me plaît
bien ta copine… Oui… Elle me plaît bien… Et j’ai de plus en plus envie de faire
sa connaissance…
– C’est pas bien difficile…
– Tu lui apprendras des choses… Je lui
en apprendrai d’autres…
– Lesquelles ?
– Tu es bien curieux… Des choses…
– Je vois…
– Ça m’étonnerait… Tu risques d’être
surpris… Très très surpris…
– En tout cas, ce qu’il y a de sûr,
c’est que c’est ton truc, ça, hein ?! Initier… Modeler… Faire apparaître…
Remonter…
– Tu vas quand même pas t’en
plaindre !
– Sûrement pas… Si je t’avais pas eue…
Bon… Alors donc je te la présente Chloé… Quand ?
– Ah, non… Non… C’est hors de question…
Non… Tu me la présentes pas…
– Ben pourquoi ?
– Parce qu’il FAUT absolument qu’elle
ignore qu’on se connaît… Pour que j’aie les coudées franches… Tu
comprends ?
– Oui… Mais alors…
– Alors tu vas aller faire des courses
tout à l’heure… Tu passeras à sa caisse… Je serai dans les parages… Après je me
débrouillerai toute seule… Comme une grande…
– Tu peux pas savoir quel bien ça m’a
fait notre après-midi, l’autre jour… Tu m’as fait rire aux éclats… Changé les
idées… Obligée à penser à autre chose… Un vrai grand bol d’air j’ai pris…
– Et pourtant, pour vous décider, la
croix et la bannière ça a été… Bon, ben en tout cas maintenant je sais ce qui
me reste à faire… Vous embarquer, que vous le vouliez ou non, le plus souvent
possible…
– Pas trop souvent quand même… Ça
deviendrait vite une corvée pour toi…
– Alors ça ça m’étonnerait…
– Bien sûr que si !
– Je suis bien tranquille que non… Faut
pas croire que je vous fasse la charité, vous savez… J’aime bien être avec
vous… Parler avec vous…
– C’est surtout moi qui parle… Qui
occupe le devant de la scène… Qui te saoule avec mes problèmes… Alors que
t’aurais peut-être envie de me raconter des choses… De me confier tes espoirs…
Tes projets… Je suis en dessous de tout… Elle me le répète assez Jessica…
« C’est toujours à sens unique avec toi… Tu trouves normal qu’on t’écoute,
mais tu n’écoutes jamais personne… C’est pas comme ça que tu te trouveras un
mec… »
– Ah, parce que si je comprends bien…
– Je sais pas… J’en sais rien… C’est le
genre de truc que j’essaie de me faire croire des fois… Que la chance va
tourner… Que je vais enfin rencontrer celui qui me correspondra… On se
reconnaîtra d’emblée… Il suffira d’un regard… Et tout sera simple… Lumineux…
Chimères… Évidemment chimères… Mais qui m’aident à tenir le coup… Si je les
avais pas… Chimères qui agacent Jessica… « Faut toujours que tu compliques
tout… Que t’ailles chercher midi à quatorze heures… Trouve-toi quelqu’un pour
t’éclater… Tout simplement… T’y as droit comme tout le monde… » Elle en a
de bonnes, elle… Qu’est-ce qu’elle s’imagine ? Qu’il suffit de claquer des
doigts ? J’aurais vingt ans de moins peut-être… Et encore ! Mais
maintenant… On s’imagine que c’est facile pour une femme… Ben ça l’est pas tant
que ça… Je dois être transparente… On me voit pas… On me regarde pas… Peut-être
parce que je suis pas du genre à tout faire pour attirer l’attention… Ou à dire
carrément à un homme qu’il me plaît… Que j’ai envie de lui… J’en suis
parfaitement incapable… Question de génération sans doute… Ou d’éducation… Et
pourtant j’en crève certains jours… Un homme ! Un homme qui me prenne dans
ses bras… Un homme dont je sente le désir dressé contre moi… Un homme qui
vienne l’assouvir en moi… Mais qu’est-ce que je te raconte là ? Je suis
folle… Complètement folle… Excuse-moi… Allons faire un tour, tiens, plutôt…
Emmène-moi… Comme l’autre jour…
– Tu as aimé ?
– Pourquoi tu demandes ? Tu le sais
bien… T’as bien vu…
– Et entendu…
– Oh, la la oui… Les voisins… Qu’est-ce
qu’ils ont dû penser les voisins ?
– Que tu prenais ton pied… Et pas qu’un
peu…
– Ça craint… Mais c’est ta faute aussi…
Me faire un truc comme ça…
– T’étais bien en train de me le faire,
toi…
– Oui, mais pour toi on en avait parlé… On
l’avait dit que j’allais entrer là avec mes doigts… Tandis que moi, je m’y
attendais pas…
– Ça n’en a été que meilleur, non ?
– C’est surtout que c’était ensemble
qu’on se le faisait… En même temps… Jamais j’aurais cru que ça serait possible
un jour, ça… Avec personne…
– Tu y as déjà pensé ? T’as déjà imaginé que
ça arrivait ?
– Quelquefois, oui…
– Quand tu te le fais toute seule… C’est
ça, hein ? Et quand tu te le fais toute seule c’est ce petit côté-là que
tu préfères… Derrière… Non ?
– Quand je… Oh, non… Si… Ça dépend… Non…
Mais c’est pas… Tu…
– J’adore quand tu bafouilles et que tu
rougis comme ça…
– Méchant…
– J’adore même tellement que j’ai bien
envie d’en rajouter une couche…
– J’m’en fous… Je me cache la tête sous
les draps et je me bouche les oreilles… Comme ça tu peux bien raconter tout ce
que tu veux…
– Oui… Alors… Donc… Ce que je voulais
dire, c’est que je suis bien tranquille que la petite Chloé, c’est pas
seulement avec ses doigts qu’elle se rend visite de ce côté-là, mais avec tout
un tas d’objets…
– T’as parlé ? T’as dit quelque
chose ?
– T’as très bien entendu…
– Non… C’était important ?
– Fiche-toi bien de moi…
– Ça me fait peur, Luc… Tu me fais peur…
– Il y a vraiment pas de quoi…
– Si… Tu sais tout de moi… Tu devines
tout… Des choses que personne ne sait… Plus aucun secret je peux avoir…
Qu’est-ce tu vas penser de moi maintenant avec tout ça ? Qu’est-ce que tu
penses de moi ? Que je suis une obsédée qu’a des idées complètement
tordues, oui !
Voilà ce que tu penses…
– Au moins…
– Et s’il y a quelque chose que je
voudrais pour rien au monde c’est que tu me juges mal… C’est que tu me
méprises…
– Il y a vraiment aucune espèce de
raison…
– Ben si, attends, si ! Il aurait
su des trucs pareils Stéphane, non, mais t’imagines même pas tout ce que
j’aurais entendu… Que des cinglées comme moi il en avait encore jamais
rencontré… Que j’aurais intérêt à aller
me faire soigner… À chaque fois qu’on se serait vus j’y aurais eu droit… Et
Kevin ! Lui, des allusions salaces sans arrêt ç’aurait été… Quant aux
filles du boulot je t’en parle même pas… Si ça leur revenait aux oreilles tout
ça, mais j’ai plus qu’à démissionner le lendemain matin… Et à déménager… Loin…
Le plus loin possible…
– Je ne suis ni Stéphane ni Kevin ni les
filles du boulot…
– Ça, je sais bien, mais…
– Mais il y a rien de sale en amour… Il
y a rien d’interdit… Du moment que personne ne se sent contraint à rien… Moi,
j’aime bien que tu sois comme tu es… J’aime bien tes envies… J’aime bien les
partager… M’en sentir et m’en faire le complice…
– C’est vrai ?
– Évidemment que c’est vrai… Et puis
tiens, je vais te dire… J’apprécie et j’estime mille fois plus une fille comme
toi qui ne triche pas, qui s’accepte telle qu’elle est que celles qui passent
leur temps à se dissimuler à elles-mêmes ce qu’elles sont… À prendre la pose… À
jouer les mères la vertu… Alors qu’en réalité si elles consentaient à
s’écouter…
– Comment ça me rassure ce que tu me dis
là… Tu peux pas savoir comment ça me rassure… Parce que comment j’avais peur
que tu veuilles plus me voir à cause de tout ça…
– Oui, ben alors là il y a pas de
risque… Elle est bien trop fascinante cette petite Chloé… Et puis… Et puis elle
a encore tant de choses à me dévoiler… Non ?
– Si… Un peu…
– Un peu ? Alors là je suis bien
tranquille… Beaucoup tu veux dire, oui… Bon, mais allez, tu t’habilles ?
– M’habiller ? Pour quoi
faire ?
– Je t’emmène…
– Où ça ?
– À un endroit où tu ne connais pas les
voisins et où tu pourras t’exprimer tout ton saoul… Parce que… tu n’as pas envie ?
– De quoi donc ?
– De recommencer ce qu’on vient de
faire… Avec quelques délicieuses variantes…
– Je t’adore…
– Et c’était quoi ces variantes ?
– J’ai une bouche… J’ai une langue… Qui,
là aussi, peuvent se révéler particulièrement efficaces…
– Et tu n’as pas que ça…
– Chaque chose en son temps… Ne nous privons
pas du plaisir de savourer, pas à pas, chacune des étapes...
– Tu es la sagesse même…
– Tu veux toujours pas me dire ?
– Quoi donc ?
– Ce que tu comptes faire au juste avec
elle… Comment tu envisages de t’y prendre…
– Ça va dépendre… Il y a ce que tu me
racontes, oui… Dont je peux faire mon miel… Mais il faut aussi que je la
flaire… Moi-même… Que je la sente… Alors je vais d’abord la mettre sous
surveillance… Discrètement… L’observer… À sa caisse… Ailleurs aussi si c’est
possible…
– Jeudi elle va se faire faire des
mèches…
– Parfait… Tu sais où ?
– Non… Mais je saurai…
– Qu’est-ce qu’on a fait, Luc ? Non,
mais qu’est-ce qu’on a fait ?
– L’amour…
– C’est de la folie… C’est une folie…
Jamais on aurait dû… Jamais… Je voulais pas, tu sais… Je m’étais bien juré
qu’avec toi jamais… Jamais… Et puis voilà… Non… L’erreur, ça a été de venir
s’installer tous les deux sur ce foutu canapé… Je suis idiote… C’était obligé
que ça tourne comme ça… Obligé… Oh, mais je t’en veux pas, hein ! Je suis
autant fautive que toi… Sinon plus… C’était à moi de tout recadrer… De dire
stop avant qu’il soit trop tard… Mais au lieu de ça…
– Vous avez fait en sorte que ça
devienne inéluctable…
– Je sais, oui… Et je n’en suis pas
fière… Mais faut me comprendre aussi… Ça fait deux ans – plus de deux ans – que
personne ne m’a touchée… Au point que j’en avais presque complètement oublié ce
que c’était de sentir le désir d’un homme dressé contre son ventre… Le bonheur que
c’était de le sentir libérer son plaisir en soi… Et on était là… Tous les deux…
Cuisse contre cuisse… Et t’as posé la main sur mon genou… Et il y avait ce que
j’ai lu dans tes yeux… Comment j’aurais pu résister ?
– Mais il est où le problème ? On
en avait autant envie l’un que
l’autre… On l’a fait… Et puis voilà… Et il y a vraiment pas de quoi…
– Mais fallait pas, Luc, enfin ! On
pouvait pas…
– Je vois vraiment pas pourquoi…
– Mais parce que… T’es un ami de
Jessica…
– Elle saura rien Jessica… Ça la regarde
pas… Ça la concerne pas…
– C’est pas une raison… T’as dix-huit
ans…
– Justement… Je suis majeur…
– Ça veut rien dire, ça… Elle est pas là
la question…
– Elle est où alors ?
– Elle est que j’ai plus du double de
ton âge…
– Celle-là, je l’attendais…
– Mais oui, Luc, ça compte… Que tu le
veuilles ou non… Alors tu sais pas ? On va oublier ce qui vient de se
passer… Ça n’a pas eu lieu… Ça n’a jamais existé… On va tout remettre gentiment
comme c’était avant…
– Vous savez bien que c’est pas
possible…
– Il faut que ça le soit…
– J’ai pas envie…
– Sois raisonnable, Luc… Sois
raisonnable… Non, mais franchement… De quoi on aurait l’air tous les deux… Tu
imagines ?
– Oui, oh, l’opinion des gens… Et puis
on n’est pas obligés de s’afficher non plus… Ni d’aller chanter ça sur les
toits…
– Tu veux pas comprendre, hein…
– Non… Parce que j’ai trop aimé comment
vous vous êtes abandonnée tout à l’heure… Et vos yeux quand ça vous a
submergée… Transfigurée vous étiez… Et vous savez à quoi je pense, là tout de
suite ? Ce que je voudrais ?
– Tais-toi…
– Regardez-moi… Et dites-le en me
regardant que vous ne voulez pas la même chose que moi… Que vous n’en avez pas
envie autant que moi…
– Luc…
– Ah, ben ça y est ! Enfin ! Elle
est arrivée à t’avoir… Depuis le temps qu’elle tournait autour du pot…
– Je crois pas, non… Je crois pas
qu’elle ait prémédité quoi que ce soit… L’occasion a tout simplement fait le
larron…
– Ben voyons ! Tu as encore, par
moments, des naïvetés touchantes… Qui doivent l’enchanter…
– Chacune son tour…
– J’espère, en tout cas, que tu en as
bien profité et que, l’expérience aidant, elle t’a distillé de subtiles
gâteries…
– Oui, oh…
– Non ? Je t’ai connu plus exigeant…
– Elle était tout à son plaisir… Et rien
qu’à son plaisir… Qu’elle a pris sans se soucier de quoi que ce soit d’autre… Elle
avait un tel retard à rattraper… Deux ans… Plus de deux ans… Sans rien… Non,
mais t’imagines ?
– Je vois… Ben on est pas sortis de
l’auberge…
– Pourquoi tu dis ça ?
– Pour rien… Non… Pour rien… Bon, mais
bref… Passons… Parlons de Chloé plutôt…
– Chloé ? Tu l’as vue ?
– On a passé la matinée côte à côte chez
Jenny, avenue Émile Zola…
– Et alors ?
– Et alors il a été question de toi… Pas
nommément, non… Mais il a été question de toi…
– C’est-à-dire ?
– C’est-à-dire que dans un salon de
coiffure ça discute entre femmes… Ça se confie des petits secrets… Ça se donne
des conseils… Et que ta Chloé elle était toute contente d’annoncer à Jenny – apparemment
elles se connaissent bien toutes les deux… elle s’est toujours fait coiffer
là-bas – qu’elle avait « rencontré quelqu’un »… Et Jenny de
s’exclamer : « Je suis ravie pour toi… Depuis le temps que tu galères
côté coeur… Tu le mérites… Tu le mérites vraiment… J’espère que ça va le faire…
Que t’as enfin trouvé quelqu’un de bien… » Elle croyait, Chloé… Oui… Elle
croyait… Elle pensait… « Il donne
l’impression en tout cas… Et ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il est pas comme les
autres… » Il y a une une grande blonde, la quarantaine, qu’a cru bon
d’intervenir… « Je voudrais pas me mêler de ce qui me regarde pas, mais ceux-là
en général c’est les pires… Ceux qui jouent les originaux… Qui prétendent ne
pas être comme tout le monde… On s’en voit avec eux… Mais on s’en
voit ! » Jenny a soupiré… « On s’en voit avec tous les hommes… Tous…
Parce que pour arriver à les cerner… À savoir ce qu’ils ont vraiment dans la
tête… » Et la blonde de trancher : « Ils n’ont qu’eux dans la
tête… Leur petite personne… Il y a que ça qui compte… Mais enfin, moi je
veux pas décourager qui que ce soit, hein ! » C’est quand elle a été partie
que Jenny : « Oui, oh, l’écoute pas celle-là… C’est une vraie
calamité… Aigrie et tout… Pas étonnant que personne veuille d’elle… » J’en
ai rajouté une couche… « Si aucun homme ne tenait la route ça se saurait
depuis le temps… Non… Il y en a des très bien… Heureusement… » Et on est
passées à autre chose toutes les trois… On a parlé maquillage… Crèmes de nuit…
Recettes minceur… Règles douloureuses… J’ai un remède miracle contre ça… Dont
j’ai promis à Chloé de lui communiquer les références… Et donc… Donc j’ai son
adresse mail…
– Bien joué… Et maintenant ?
– Maintenant tu vas me faire l’amour…
– Excuse-moi… Je sais pas ce qui
m’arrive, mais…
– Mais elle t’a épuisé ton autre bonne
femme, là…
– C’est pas ça, non, mais…
– Bien sûr que si ! Elle avait tout
un retard à rattraper… Tu l’as dit toi-même… Ah, c’est sûr que pour ça valait
mieux qu’elle se trouve un petit jeune plein de sève et de vigueur…
– Mais t’es jalouse, ma parole !
– Je suis au-dessus de ça… Très
au-dessus de ça… Et tu le sais très bien…
– Ben franchement on dirait pas…
– Non, mais qu’est-ce que t’es allé
t’embarquer dans une histoire pareille ? Avec une femme pareille ? Ça
va t’apporter quoi, tu peux me dire ? Quel intérêt ça a, pour toi, d’aller
l’entendre pleurnicher, à longueur de temps, qu’elle est malheureuse avec son
Bernard ? Qu’elle mérite mieux… Autre chose… Et tout ça pour quoi ?
Pour la tirer en contrepartie ? Mais il y en a des dizaines des nanas qui
demanderaient pas mieux si elle te suffit pas Chloé… Si je te suffis pas… Et
des nanas autrement bien foutues… Autrement intéressantes…
– Raconte-moi ! Tu veux pas me
raconter ?
– Si… Mais ça me fait tout drôle… Parce
que jamais j’aurais pensé qu’un jour je pourrais parler de tout ça avec
quelqu’un…
– Eh bien tu vois… Bon, mais allez,
vas-y ! Je t’écoute…
– C’est que… au début… les premières
fois… quand j’ai commencé à…
– À… ?
– Hou la la… Comment c’est pas facile… À
me…
– À te caresser toute seule…
– Oui… Voilà… Eh ben il y avait des
fois, à force, ça me donnait trop envie de les rentrer les doigts… Seulement on
m’avait tellement pris la tête – ma mère, ma grand-mère, mes tantes, tout un
tas de monde – avec le truc, là, le pucelage… Qu’il fallait absolument le
garder… Que si tu l’avait plus il y avait aucun mari qui voulait de toi… Et que
même t’attrapais tout un tas de maladies… Elles te m’avaient foutu une trouille
avec ça ! Alors du coup pas question… Mais ça empêchait pas qu’elle était
quand même là l’envie… Et comme derrière il y avait pas ce problème ben c’est
là que je suis allée… En même temps… Avec l’autre main… Sans trop vraiment oser
au début… C’était agréable… Alors de plus en plus je me le suis fait… Et de
plus en plus agréable c’est devenu… Surtout que je savais de mieux en mieux
comment faire pour que ça le soit… Alors il y a pas eu que les doigts… Il y a
eu des trucs… Et puis voilà…
– Et tu aimes toujours autant ça…
– Je peux pas m’en passer… J’essaie pas
d’ailleurs… Non… Parce qu’avec un type c’est agréable, oui… Je serais menteuse
si je disais le contraire… Mais pas autant… Et de loin… Peut-être parce que je
me suis habituée comme ça… Ou parce que ça marque tellement les premières fois
qu’on cherche toujours à retrouver pareil… Je sais pas… Mais ce qu’il y a de
sûr, c’est qu’avec Stéphane – et avec Kevin aussi – il fallait que je continue
à me le faire en cachette… Et qu’on peut bien dire tout ce qu’on veut c’est meilleur…
C’est même pas que c’est meilleur : c’est pas comparable… Et alors tu peux
pas savoir ce que ça m’a fait quand je me suis rendu compte que t’avais tout
compris… Et que non seulement t’avais compris, mais que ça te choquait pas… Et qu’en
plus tu voudrais bien qu’on se le fasse l’un l’autre… Jamais j’aurais pensé
vivre ça avec quelqu’un… Jamais… Et quand je pense à tout le reste qu’il y a eu
la dernière fois… Comment elle était bonne ta langue, là ! Non, mais j’ai
cru mourir… J’ai vraiment cru mourir…
– Ouais… Ouais… Et donc je suppose que
maintenant elle sait – enfin ! – ce qu’on ressent quand un sexe d’homme
vient se faufiler par là…
– Elle sait, oui… Et je peux te dire
qu’elle a apprécié… Je l’avais jamais vue dans un état pareil… Ni elle ni
aucune autre femme d’ailleurs…
– Merci… C’est sympa pour moi, ça…
– Mais non, oh, c’est pas ce que je
voulais dire… Mais elle est tellement complètement dedans… Ça la rend tellement
folle… Que tu ne peux pas ne pas te sentir, toi aussi, complètement emporté… Elle
t’engloutit littéralement dans son plaisir à elle… Et…
– Et t’es en train de tomber amoureux…
– Je crois pas, non…
– Elle fait tout ce qu’il faut pour en
tout cas…
– Oh, non ! Elle est pas comme ça…
– Quand tu connaîtras un peu mieux les
femmes, mon cher, tu sauras que pour parvenir à leurs fins…
– Pourquoi tu dis ça ? Tu sais
quelque chose ?
– Pas du tout, non… Mais qu’elle soit en
train de te manipuler pour t’arrimer à elle, c’est une hypothèse qu’on ne peut
pas d’emblée écarter… Mais c’est de bonne guerre… Après tout si elle est
amoureuse de toi je vois pas au nom de quoi on pourrait lui reprocher de tout
faire pour que tu le deviennes d’elle…
– Tu sais des trucs…
– Mais non, j’te dis !
– Je suis sûr que tu sais des trucs…
C’est l’autre jour, hein ? Au salon de coiffure… Qu’est-ce qu’elle a
dit ?
– Ce que je t’ai dit qu’elle avait dit…
– Rien d’autre ?
– Rien…
– Ou alors c’est par mail… Vous
correspondez toutes les deux… Oui, c’est ça, hein ? Elle t’a fait ses
confidences par mail… Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?
– Et tu prétends ne pas être amoureux…
Qu’est-ce que ça serait si tu l’étais !
– T’as vu, Luc ? T’as vu ?
Rien que de poser ma joue contre elle… Rien que ça… L’effet que ça lui fait… Et
pourtant on vient juste de… J’aime trop comme elle se redresse… Comme elle
s’élance… Laisse-moi être avec elle, Luc… Laisse-moi la toucher… Lui parler…
– Je te la laisse…
– Tu es vrai, Luc… Elle est vraie… Elle
est vivante… Si tu savais ! Si tu savais ce que c’est que de devoir se
dire plus jamais... plus jamais des bras d’homme refermés sur soi… plus jamais
un sexe d’homme à palpiter en soi… Plus jamais… C’est à devenir folle certains
soirs… À en perdre complètement le goût de vivre… Je l’avais perdu… Mais tu es
là… Tu me serres contre toi… Tu prends ton plaisir avec moi… Comme j’ai eu peur
que tu ne reviennes pas, tu sais… Que tu ne me donnes jamais plus signe de vie…
– Il y avait aucune espèce de raison…
– Oh, si, il y en avait des raisons…
Si ! Plein… Mais une surtout… C’est que tu te dises que sûrement j’allais être
collante… Que j’allais m’accrocher comme une sangsue… T’aurais été en droit,
hein ! Après tout ce que je t’ai raconté sur moi… Sur ma vie… Mais faut
pas t’imaginer ça, tu sais…
– Je m’imagine rien du tout !
– Le jour où t’en auras assez de moi… Le
jour où tu me diras « Stop, Clara … Stop… C’est fini... »… Ce jour-là
je m’effacerai… Sans une larme… Sans un reproche… Sans une supplication… Si,
c’est vrai, tu sais… Je te promets…
– Mais qu’est-ce que t’as besoin d’aller
te mettre martel en tête avec des trucs pareils ? Profite ! Profite
des bons moments et te pose pas tant de questions…
– Tu l’as déjà fait… Je suis sûr que tu
l’as déjà fait…
– Hein ? Oh, non… Non…
– Bien sûr que si ! Quand tu prends
ton petit air par en dessous comme ça…
– Peut-être un peu, oui… Une fois ou
deux… Juste pour essayer… Pour voir ce que ça fait…
– Et ça fait quoi ?
– C’est agréable de marcher avec… Enfin
ça dépend… Faut bien le choisir… Ça te fait de drôles de sensations… Je sais
pas comment dire… C’est que ce soit en continu surtout… Et que ça te mette sans
arrêt au bord d’en avoir du plaisir… Comment ça te fout la trouille… Parce que
si ça t’arrivait… Comme ça… Dans la rue… Avec tous les gens autour…
– Suffit que ce soit loin… À un endroit
où personne te connaît…
– À t’y prendre comme tu t’y prends tu
peux l’emmener loin cette petite… Très loin… Et à nous deux tu vas voir ces
résultats qu’on va obtenir…
– T’en es où, toi, avec elle ? Tu
me racontes pas… Jamais…
– Il y a pas encore grand-chose à
raconter… Je prends mon temps… Je ferre…
– C’est-à-dire ?
– C’est-à-dire que de temps en temps –
pas à chaque fois – je passe à sa caisse… Histoire de maintenir un contact
physique… On échange quelques mots… Quelques banalités… Un sourire… Mais
l’essentiel n’est pas là… L’essentiel, ce sont les mails – de plus en plus
longs – qu’on échange toutes les deux… On y parle santé… Alimentation… Hygiène
de vie… Entre autres… Et, chaque fois que l’occasion se présente, je l’entretiens
des résultats spectaculaires que j’obtiens en massant mes amies avec une huile
que je fais venir tout spécialement du Kenya…
– Je vois… Et un de ces quatre matins tu
vas innocemment lui proposer de l’en faire profiter…
– Ça va pas, non ! Tu me prends
pour une demeurée ? Non… Je vais patiemment attendre que ça vienne d’elle…
Qu’elle me le demande… Ce qui, à mon avis, ne saurait tarder…
– Celui-là !
– Oh, non pas celui-là, non…
– C’est moi qui le choisis on a dit… On
était d’accord…
– Oui, mais pas celui-là ! S’il te
plaît, pas celui-là…
– Ben pourquoi ?
– Parce que… C’est celui qui me fait le
plus d’effet…
– Raison de plus !
– Non, mais t’imagines si ça me prend
pendant qu’on est dehors tout à l’heure ?
– Bien sûr que j’imagine… Et j’espère
bien que c’est ce qui va arriver… Qu’on n’a pas fait tous ces kilomètres pour
rien…
– Pas par là… Oh, non pas par là… Il y a
trop de monde…
– Ben justement !
– Oh, non… Déjà que…
– Déjà que quoi ?
– Que c’est pas loin… Que ça approche…
Et que ça va être trop… À marcher vite comme ça…
– Allez, viens… Effectivement… Que
de monde ! Et la petite Chloé qui
se promène tranquillement au milieu de tout ça avec un truc entre les fesses…
– Tais-toi !
– Un truc qui irradie dans tous les sens
en bas…
– Luc…
– T’imagines s’ils savaient ?
Tiens, les deux types, là, par exemple, qu’ont essayé d’accrocher ton regard au
passage… Ah, ils te verraient d’un autre œil… Ou bien la vieille qu’arrive –
mais si ! juste en face – en traînant son chariot… Elle en fait une
attaque la pauvre femme ! Et celui-là ! Tout bronzé… Une carrure
d’athlète… Ça, c’est le genre de type sur lequel toutes les femmes craquent…
Obligé… Toi comme les autres… Je lui dis ? Chiche que je lui dis ?
– Non… Je t’en supplie, non…
– Il te couverait de son œil bleu et
viendrait te murmurer, d’une voix chaude et grave, toutes sortes d’insanités à
l’oreille…
– Prends-moi dans tes bras, Luc…
Prends-moi contre toi… Vite !
Elle a enfoui sa tête dans mon cou…
– Ça vient… C’est là… Je veux pas crier…
Je veux pas… Empêche-moi ! Oh, mon amour… Que c’est bon ! Comment
c’est bon ! C’est trop bon… Je jouis… Je jouis…
– C’est vrai ? Fais voir… Oh, mais
oui, c’est vrai, oui… Je t’ai mordu… Et pas qu’un peu… J’ai carrément planté
les dents, oui… Désolée… Mais c’est ta faute aussi… Tu me fais faire de ces
trucs… Et c’était le seul moyen… Sinon j’ameutais tout le monde… Tu crois qu’il
y en a qui se sont quand même aperçus de quelque chose ?
– Qui se sont doutés en tout cas… Ça
fait pas l’ombre d’un doute…
– Ah, oui ?! Qui ?
Dis-moi ! Raconte !
– Effectivement elle t’a bien arrangé…
Et tu vas les garder un moment les marques… Mais enfin si elle a pris son
pied !
– Ça, je confirme… Pris et repris… Parce
qu’il a fallu que je lui décrive en long, en large et en travers les réactions
des deux ou trois personnes dont je soupçonnais qu’elles avaient soupçonné
quelque chose… Et que ça l’a – disons – réenflammée…
– Et elle ne demande qu’à recommencer…
– Elle ne parle plus que de ça…
– Et ?
– Ben oui… Évidemment… Oui…
– Dans les mêmes conditions ?
– Sans doute… Pourquoi ?
– Parce qu’il en existe que tu peux
actionner et faire vibrer à distance, sur différents rythmes, à l’aide d’une
télécommande… et qu’en la dissimulant dans ta poche…
– Tu es décidément pleine de ressources…
– N’est-ce pas ? Et pour info je la
masse mercredi prochain… À sa demande…
– Je devrais pas… Je sais que je devrais
pas… Parce que qu’est-ce que tu vas penser de moi ?! Que je suis une
véritable obsédée… Mais je peux pas m’empêcher… C’est plus fort que moi… Faut que je la voie… Faut que je la touche… Je
m’en lasse pas… Ça te choque ?
– Pas le moins du monde…
– J’adore… Surtout quand le bout il est
tout dégagé comme ça… Tout sorti… Comment c’est attendrissant ! C’est
comme ça que je la vois quand j’y pense, le soir, dans mon lit… Ou même… c’est
souvent que ça m’arrive dans la journée… Je ferme les yeux et… Je suis folle,
hein ? Il y a des moments je me dis que je suis complètement folle… Parce
que les autres femmes elles passent pas leur temps à penser comme ça sans arrêt
à la queue du type avec qui elles sont...
– Il y en a, si ! Et pas seulement
à cette queue-là… À d’autres aussi… Peut-être pas tout le temps, non… Mais
elles y pensent…
– T’en connais ?
– J’en ai connu, oui…
– Et elles le disent ?
– Si elles le disaient pas je le saurais
pas…
– C’est parce que ce sont des jeunes… Et
que les jeunes, aujourd’hui, elles sont décomplexées… Il y a des tas de choses qui,
pour elles, vont de soi, qui sont complètement naturelles alors que pour nous…
pour les femmes de ma génération… On a été volées en fait… Éprouver de
l’intérêt pour un sexe d’homme… Avoir envie de savoir comment c’était fait…
Mais c’était impensable… Ça relevait de la perversion la plus absolue…
Anormale… Tu es anormale… Si on savait ! Si on avait su… Je serais morte
de honte, là, sur place, si on avait seulement soupçonné que je passais le plus
clair de mon temps à essayer de satisfaire ma curiosité dans des dictionnaires,
des encyclopédies, des catalogues de musées qui ne faisaient en réalité que
l’attiser… En voir un… En voir une… En VRAI… À l’obsession ça tournait… Je
rôdais autour de celles de mes copines qui avaient des frères… des cousins…
Qui, elles, avaient vu… Qui en parlaient quelquefois, à mots couverts, en
pouffant de rire, à la récréation… Comme je les enviais ! Voir ! Moi
aussi, voir ! « Pour de bon »… J’aurais tout donné pour ça…
Tout… Évidemment, à force, ça a fini par arriver… Et tu sais quand ?
– Comment je pourrais ?
– À 19 ans… J’avais 19 ans… Tu te rends
compte ? 19 ans !
– Il y a bien eu des films quand même
avant… Des revues… Je sais pas, moi !
– Oui… Bien sûr… À l’occasion… En
catimini… À la sauvette… Parce que ce genre de trucs hors de question que je
prenne le risque de les ramener à la maison… Mais ce n’était que des films… Que
des revues… Qui avivaient, jusqu’au paroxysme, mon envie d’en voir des vraies…
Qui a tout de même fini par être satisfaite… Grâce à Clarisse… Clarisse,
c’était une fille de mon âge, rencontrée à la chorale, avec qui j’avais
sympathisé et qui avait absolument tenu à ce que je vienne passer quinze jours
avec elle dans les gorges du Verdon… « Parce que toute seule avec mes
parents qu’est-ce que je vais m’emmerder… Il y a bien mon frère, mais
bon… » Son frère, c’était un beau brun aux yeux bleus qui passait les
nuits dehors « Toutes les filles lui courent après alors… » et ses
journées à dormir… Nous, on s’installait confortablement sur la terrasse qui
surplombait le Verdon et on discutait… De tout… De rien… De son petit ami… Elle
savait pas si ça allait durer… « J’en ferai pas une maladie… il y en a
d’autres » Des mecs en général… Et puis de « ça »…Elle revenait
sur le sujet souvent… Avec complaisance… Jusqu’au jour où… « En douce que
mon frère il est sacrément bien monté… Impressionnant… Tu veux voir ? »
« Hein ? Mais je… » « Mais si ! Viens ! Il dort
toujours à poil… Et pas de risque qu’il se réveille… Avec tout ce qu’il a dû
picoler cette nuit… » Il dormait… Sur le dos… Une jambe relevée… L’autre
perpendiculaire… « T’as vu ça ? Et il bande en plus ce salaud !
Savoir à quoi il rêve encore ! » J’ai vu… Pour voir je voyais…
J’avais pas assez de mes yeux pour ça… Elle a tourné les talons…. « Oh,
mais reste, toi, si tu veux ! Mais si ! Reste ! » Je ne me
suis pas fait prier… Je suis restée… Le cœur battant… Je me suis approchée…
Plus près… Encore plus près… Elle épousait ses rêves… Elle s’élançait…
Hésitait… Reprenait vigueur… Retombait… Je regardais, fascinée… Je ne l’ai pas
quittée des yeux jusqu’à ce que… Clarisse vienne me chercher…
« Viens ! Ils se demandent où t’es passée mes parents… » Je l’ai
suivie à regret… Mais j’y suis revenue le lendemain… Et le surlendemain… Et
tous les jours suivants… Et puis s’est produit ce qui devait forcément finir
par se produire… Il s’est réveillé… J’ai voulu m’enfuir… Il m’a retenue… Par le
poignet… Fermement enserré… Il m’a souri… « Il y a longtemps que t’es
là ? » « Hein ? Non… Non… J’étais montée chercher un truc…
Mais c’est idiot… Je me suis trompée de porte et… » Il a ri… Franchement
cette fois… « Ben voyons ! » Et puis, redevenu sérieux…
« Tu veux toucher ? Tu peux si tu veux, tu sais… » « Oh,
non… Non... » Mais… Persuasif… Insistant… Rassurant… Et je l’ai fait… Du
bout des doigts… Avec des réticences… Des élans… Des pudeurs… Tout ça
entremêlé… Mais je l’ai fait… Et le lendemain…
– Vous avez couché ensemble…
– Non… Je lui ai donné du plaisir avec
mes doigts…
– Et le surlendemain ?
– J’étais repartie…
– Donc… ça y est… Je l’ai massée ta Chloé…
J’y ai quasiment passé l’après-midi…
– Et alors ?
– Et alors ben rien… Ça lui a fait le
plus grand bien… Comme souvent les massages quand on en maîtrise suffisamment
la technique… En tout cas c’est quelqu’un de très sensuel cette petite… Très
très sensuel…
– J’en sais quelque chose… Mais alors tu
as…
– Rien du tout, oui… Non, mais tu me
vois… Comme ça… D’emblée… Je sais heureusement faire preuve de beaucoup plus de
subtilité pour arriver à mes fins, mon cher…
Qu’elle soit sensuelle, oui, ça saute tout de suite aux yeux… Ça lui
transpire de partout… Raison de plus pour prendre son temps… Pour la mettre
d’abord en confiance… Lui donner envie de se livrer… Ce qui ne devrait pas
poser de gros problèmes… Elle est spontanément portée aux confidences…
– Elle t’en a fait ?
– Ce qui la préoccupe essentiellement,
c’est de savoir comment on peut reconnaître à coup sûr qu’un homme est
amoureux… Et, dans le cas où il l’est, comment faire en sorte qu’il le reste…
– Et tu as répondu quoi ?
– Que c’était la dernière des questions
à se poser… Que plus on cherchait à se comporter en fonction de l’attente
supposée d’un homme et plus on courait le risque d’être à côté de la plaque…
Qu’il fallait se contenter d’être soi-même… Et seulement soi-même…
– C’est quand même quelque chose les
femmes d’expérience…
– Continue à te foutre de moi et je te
flanque une fessée…
– C’est quoi ce truc ?
– Tu devines pas ?
– Ben si… Je suis pas idiote… Mais il a
quoi de spécial ?
– Une télécommande…
– Ah, oui ! Je vois… Je la planque…
Et je la déclenche quand je veux…
– Non… C’est moi qui déclenche… Quand
bon me semble…
– Hein ? Mais c’est horrible !
– Je suis sûr que non… Que tu vas
beaucoup apprécier…
– Tu me feras mourir…
– De plaisir… J’y compte bien… Bon,
allez ! On y va ?
– Tout de suite ? Là ?
Maintenant ?
– Ben oui… T’en crèves d’envie…
– Pouce ! Pouce ! Cinq
minutes… Juste cinq minutes…
– C’est efficace, hein ?
– C’est diabolique…
– J’en suis ravi…
– Le pire, c’est de pas savoir… Quand ça
va arriver… Combien de temps ça va durer… De quelle intensité ça va être… Comment
tu sais les choisir les moments en plus ! Ça met dans un état !
– Ça, j’ai vu…
– Tu crois qu’ils se rendent compte les
gens ?
– J’espère bien qu’il y en a… Au moins
un de temps en temps… Qui se demande… Qui se pose la question… Il est là
l’intérêt… C’est pas la peine sinon… Autant rester dans la chambre…
– Ça me fait peur, Luc… J’aime bien,
oui… Je vais pas dire le contraire… J’adore… Ça a quelque chose de tellement
fou… Mais en même temps tu peux pas savoir comment ça me fait peur…
– Qu’est-ce qui te fait peur ? Je
suis là… Et s’il se passe quoi que ce soit…
– C’est pas ça, non… C’est de moi que
j’ai peur… De plus rien contrôler du tout… D’être complètement débordée…
– Et ça s’est terminé comment ?
– À une terrasse de café… Où je l’ai
envoyée s’asseoir… Tout près d’un vieux monsieur qui lisait son journal… Tandis
que moi, je m’installais sur un banc juste en face…
– Et tu l’as amenée à l’extase…
– Une extase perceptible, mais malgré
tout relativement discrète…
– Qui a mis le petit vieux dans tous ses
états…
– Pas du tout, non… Il s’est rendu
compte de rien… Absolument rien… Mais la serveuse par contre, elle, a
parfaitement compris de quoi il retournait…
– Tu es sûr ?
– Elle lui a carrément dit à Chloé… Et
lui a laissé entendre qu’elle aussi à l’occasion… Elle est aux anges du coup
Chloé… « On croirait pas, hein ! Mais finalement je suis sûre qu’il
y en a plein des nanas qui font la même chose… Peut-être plutôt devant, elles…
Mais elles le font… Et tu sais ce que je me dis, là ? Ben que ce qui
serait super, c’est qu’un jour on le fasse quelque part toutes les deux… Ce
serait possible, hein ! Elle est drôlement sympa en plus… » J’avoue
que, pour ma part, c’est une perspective qui m’enchante…
– Ouais… À condition que ça se passe pas
dans ton dos tout ça…
– Il y a pas de raison…
– Alors ça t’en sais rien du tout…
– Quand je repense à tout ce que je t’ai
dit l’autre jour… Mais je regrette pas… J’avais besoin… Fallait que ça sorte…
– Tu l’as revu ce type ?
– Jamais, non… Mais c’est pas pour
autant que… Parce que tu crois que ma curiosité était enfin satisfaite ? Non…
C’est exactement le contraire qui s’est produit… J’avais toujours autant envie de voir… Sinon
plus… Et, en prime, maintenant que j’y avais goûté, j’avais une envie folle de
toucher… De caresser… De sentir une queue gonfler et durcir entre mes doigts…
De la faire jaillir… Je ne pensais plus qu’à ça… C’était trop bon… C’était trop
génial… Et ma rentrée en fac je l’ai faite avec une idée bien précise en tête : me trouver
quelqu’un avec qui renouveler au plus vite une expérience aussi exaltante… Ce
fut Richard… Qui n’était pas franchement beau… Qui n’avait pas vraiment de
charme non plus… Mais dont la timidité presque maladive ne pouvait que
favoriser mon dessein… J’ai dû prendre toutes les initiatives… Les unes après
les autres… Jusqu’à cet après-midi où, chez lui, sur son lit, j’ai fouillé son
pantalon… J’en ai sorti ce qui l’habitait… J’ai regardé… Touché… Fait venir… On
a recommencé… Souvent… Tous les jours… Il aimait… Moi aussi… De plus en plus…
Je contemplais… Longtemps… Je prenais en main… J’apprenais à faire durer… À le
suspendre au bord d’un plaisir que je ne lui octroyais qu’à la toute dernière
extrémité… Il se satisfaisait de ce que je lui accordais… Il en donnait le
sentiment en tout cas… Parce qu’il n’a
jamais pris la moindre initiative… Il n’a jamais réclamé – encore moins exigé –
quoi que ce soit… Ce qui m’arrangeait… Je bloquais toujours sur le pucelage… On
m’avait tellement bien fait la leçon que je m’attendais confusément à ce que
s’abattent sur moi, si d’aventure j’en venais à le perdre, tous les malheurs du
monde… Et puis… Et puis je n’avais pas vraiment envie de quoi que ce soit
d’autre… Voir… Toucher… Y repenser ensuite pendant des heures… Me caresser en
même temps… Ça suffisait à mon bonheur… Sauf que… Il était bien gentil Richard…
Mais il y en avait d’autres des types… Que je croisais tous les jours ici ou là…
Qui mettaient le feu à mon imagination… Auxquels je rêvais de faire subir le
même traitement… Et alors… Et alors il y a eu Olivier… Qui n’était pas d’aussi
bonne composition… Qui voulait bien me laisser m’occuper de lui tant que je
voulais, mais qui prenait des initiatives… Qui avait d’autres exigences… Qui
s’est fait pressant… De plus en plus pressant… À qui je n’ai pas accordé ce
qu’il voulait… Qui m’en a tenu rigueur… Qui a pris ses distances… Que je n’ai
plus revu… Après… Après il a bien fallu que je me rende à l’évidence… Ils
voulaient tous la même chose les types… Le reste, ce qui me passionnait, moi, ne
les intéressait qu’accessoirement… Très accessoirement… Et j’ai fini par céder…
À Pascal… Pour avoir, en contrepartie, ce à quoi j’aspirais le plus au monde… Au
moins un peu… Pourquoi Pascal ? Et pourquoi pas lui ? De toute façon
il fallait y passer… Alors lui ou un autre…
– Et ce fut le fiasco…
– Il aurait mieux valu… Mais non… Même
pas… C’était agréable tout compte fait… Pas désagréable plutôt… Mais ça n’avait
rien à voir avec le reste… Il n’y avait pas de comparaison possible…
– Tu sais… La fille… La serveuse…
L’autre jour… En terrasse… Quand je…
– Oui… Eh bien ?
– On s’est téléphoné…
– Et alors ?
– Et alors on a discuté… Vachement longtemps…
Et vachement bien… Sans tourner autour du pot…
– Ce qui veut dire ?
– Qu’on a décidé de le faire ensemble…
Toutes les deux… Ma télécommande, c’est elle qui l’aura… Et moi, j’aurai la
sienne… Je sens qu’on va s’éclater d’une force…
– Ça fait pas l’ombre d’un doute… Mais…
Et moi dans tout ça ?
– Toi… Ben toi…
– Oui ?
– Je lui ai pas parlé de toi… Pas
encore…
– Je suis pas fréquentable ?
– C’est pas ça, non… Tu sais bien que
c’est pas ça… Mais je me demande comment elle le prendrait de savoir que c’était
toi qui me pilotais l’autre jour… Peut-être qu’elle penserait que tu vas
vouloir la piloter aussi… Qu’on lui tend un piège… Qu’on a des idées derrière
la tête… Tout ça… Je sais pas comment elle réagirait… Je la connais pas assez…
Et je veux pas tout flanquer par terre…
– Bref… je suis sur la touche…
– C’est pas ça, non…
– Ben si, c’est ça… Si !
– Oh, mais c’est juste le temps que… Et
puis de toute façon rien t’empêche, en attendant, de nous suivre de loin… Au
contraire même… J’aimerais autant dans un sens… Mais alors tu t’approches pas,
hein ?! Tu nous parles pas… Tu te fais pas voir… Tu me promets ?!
– Et tu es sagement resté à distance…
– Sagement… Comme tu dis…
– Et alors ? Ça a donné, je
suppose…
– Pas trop au début… Elles devaient pas
oser… Se contenter de s’envoyer l’une l’autre de timides petites décharges…
Mais ça n’a pas duré… Et après ! Un festival… Un véritable feu d’artifice…
– Comme ça ? En pleine rue ?
– C’est là que ça a commencé, oui…
– Sans que personne se rende compte de
rien ?
– Tu sais, les gens, dans la rue –
surtout en ville – ils sont dans leur monde… Ils s’occupent pas de ce qui se
passe autour… À de très rares exceptions près…
– Il y en a eu ?
– Trois ou quatre… Dont elles ont
manifestement attiré l’attention… Mais de là à ce qu’ils aient réellement
compris ce qui se passait… Sans doute pas… Non… Et puis quand ça a atteint son
paroxysme elles s’étaient réfugiées sur un banc dans un petit square quasiment
désert…
– Quasiment… C’est-à-dire ?
– Un couple d’amoureux tout occupés d’eux-mêmes…
Et un petit vieux qui tenait des discours interminables à sa canne…
– Et toi ? Tu étais où ?
– Au-dessus… Je surplombais… À l’abri
d’une haie fort opportune… Et je peux te dire que ça a gigoté sur ce banc… Que
ça s’est cabré… Que ça les a ouvertes et refermées les jambes… Que ça l’a
rejetée en arrière la tête… Ah, ça y allait ! Pour y aller ça y allait…
– Et le vieux ? Et le couple ?
– Ils ne se sont apparemment rendu
compte de rien… Par contre, en haut, intrigués par ce que je pouvais bien être
en train de regarder par-dessus la haie avec autant d’attention, cinq ou six
types se sont arrêtés et ont profité allègrement du spectacle… Il y en a même
un…
– Qui a accompagné frénétiquement leur
plaisir…
– Frénétiquement, oui… C’est exactement
le mot qui convient…
– Et elles n’ont rien soupçonné…
– Absolument rien… Elles avaient mieux à
faire…
– Mais, quand tu t’es retrouvé seul à
seule avec elle, tu as cru de ton devoir de ne rien cacher à Chloé, des
réactions, des attitudes et des commentaires des uns et des autres…
– J’ai dû, à sa demande, lui en refaire
cinq ou six fois le récit…
– Il est temps… Il est grand temps que,
de mon côté, j’avance de façon significative avec cette petite…
– Tu sais ce qu’elle voudrait qu’on
fasse un jour Armelle ? Que ce soit au café, pendant qu’elle sert, que je
le lui déclenche le machin… En faisant gaffe que ce soit pas trop fort… Qu’elle
reste tout le temps au bord… Parce que s’il s’en apercevait le patron… Ou bien
les clients… Complètement grillée elle serait…
– C’est quand même prendre un sacré
risque…
– Elle sait bien… Mais elle a envie de
le courir… Parce qu’elle dit que c’est pas du tout la même chose de faire ça
avec des inconnus dont on a rien à foutre ou avec des gens qu’on côtoie tous
les jours… Là-dessus elle a raison… Évidemment qu’elle a raison… Parce que leur
parler… Les regarder… Les servir… En sachant qu’en bas… En le sentant… Et en se
demandant – même qu’on fasse tout pour se contrôler – s’il va pas arriver un
moment où elle sera tellement intense la décharge qu’il va forcément échapper
quelque chose… Une plainte… Un soupir… Un rictus… N’importe quoi qui va mettre
la puce à l’oreille… Ou qui va carrément faire comprendre…
– À la façon dont tu en parles il est
clair que tu en as au moins autant envie qu’elle…
– Oui, mais non… T’imagines ? À ma
caisse ? Et que ça m’attrape sans que je puisse plus rien arrêter ?
– C’est pas obligé que ce soit à ta
caisse… T’as aussi le droit de les faire tes courses… Et même, pour une
première fois, l’idéal, si ça peut te rassurer, ce serait que ce soit toi qui
l’aies la télécommande… Tu l’utiliserais ou pas… À ta guise… Non ?
Qu’est-ce t’en dis ?
– Que vu comme ça c’est quand même bien
tentant… Oui, c’est tentant…
– T’es le premier… T’es le premier à
m’avoir aussi bien comprise…
– Faut dire aussi que tu as été très
très explicite…
– Parce que tu m’as permis de l’être…
Parce que j’ai senti qu’avec toi je pouvais… C’est rare, tu sais… Ça m’est pas
arrivé souvent… C’est pas évident d’aller raconter à un type que ça t’intéresse
pas vraiment de coucher avec… Que tu préfères – et de loin – le contempler
pendant des heures… Le toucher… Le faire jaillir… Que tu t’en lasses pas… Et
encore moins évident qu’il te laisse faire à ta guise…
– C’est pourtant extrêmement agréable…
Et d’autant plus agréable qu’on sent que tu y prends énormément de plaisir…
–
Toi, oui ! Mais les autres, c’est dedans qu’ils veulent te jouir… Et que
comme ça… Ou quasiment… Deux fois avant toi j’en ai parlé… J’étais jeune… Et
naïve… Le premier à qui je l’ai dit il a disparu aussi sec… Dès le lendemain…
Sans explication… Quant au second il y a mis les formes, mais il m’a fait
comprendre qu’il me considérait comme un peu cinglée et n’a strictement rien
changé à sa façon de faire… Ça m’a vaccinée… Plus question de faire mes
confidences à qui que ce soit… Et sûrement pas au père de Jessica dont je ne
cesserai jamais de me demander pourquoi, alors que je n’en étais pas amoureuse,
j’ai si soudainement pris la décision de l’épouser… À Bernard ? Encore
moins… Bernard n’est pas quelqu’un à qui on a envie de confier quoi que ce
soit… Quant aux deux ou trois types qui ont, à l’occasion, croisé furtivement
ma vie n’en parlons même pas… Non… Jusqu’à toi personne n’a plus rien su…
L’essentiel, je l’ai vécu en secret… En pensée… En imagination… J’en ai ramené
des hommes chez moi le soir ! Des hommes qui n’en ont jamais eu le moindre
soupçon, mais dont je me suis occupée tout à loisir des nuits entières… Ce que
j’ai pu en collectionner des hommes… Des monceaux… En photo… En vidéo… Des
hommes à la queue sage ou exigeante… Des hommes dont le désir restait
obstinément et éternellement tendu – pour moi… grâce à moi – ou éclatait au
moment où je le décidais… Dont je ne pouvais alors détacher mes yeux… Des
hommes qui me hurlaient leur reconnaissance… Qui la râlaient éperdûment… Des
hommes qui étaient à moi… Que je pouvais aller retrouver quand bon me semblait…
Parmi lesquels je choisissais… Tantôt l’un… Tantôt l’autre… Je pouvais garder
le même des jours, voire des semaines durant, si le cœur m’en disait… Ou bien,
au contraire, en convoquer une dizaine dans la même soirée… Je décidais… Selon
mon bon plaisir… Selon mon bon vouloir…
– Et tu continues…
– Peut-être… Un peu… Quelquefois…
– Non… Souvent… Et tu les entremêles à
moi… À nous… C’est pas vrai peut-être ?
– Si… Mais comment tu le sais ?
– Et si tu m’as parlé d’eux, c’est que
tu crèves d’envie de me les présenter… Au moins certains d’entre eux… C’est que
tu voudrais qu’ils soient là, eux aussi, quand on est ensemble…
– Tu es démoniaque…
– Allez, va les chercher… Va vite…
– T’es sûr, hein ? Personne s’est
rendu compte de rien ?
– Certain…
– Tu me le jures ?
– Mais oui !
– Non, mais comment c’est important… Parce
que alors là j’ai plus qu’à démissionner, moi, si jamais elles s’en sont
aperçues mes collègues ! Et qu’à déménager je sais pas où… Qu’à
disparaître… Le plus loin possible…
– T’as aucune inquiétude à avoir… Même
moi, qui savais ce que t’étais en train de faire, qui t’ai pas quittée une
seule seconde des yeux, j’ai rien vu… Et si tu me l’avais pas dit…
– Ah, bon ! Ça me rassure… Tu peux
pas savoir comme ça me rassure…
– T’as parfaitement maîtrisé…
– Oui, ben c’était pas gagné… Parce que
comment ça a déferlé ! De la folie ! Je m’y attendais vraiment pas en
plus… Parce que tout doucement j’y allais… Par petites touches… Et au minimum
je l’avais mis le truc… Ben, ça a rien empêché du tout… D’un coup c’est venu…
Et va retenir, toi, va arrêter une fois que c’est parti…
– Ça !
– Surtout que là… je crois que j’ai
jamais connu quelque chose d’aussi intense…
– C’était le contexte… T’étais sur ton
lieu de travail… Avec tes collègues pas loin… Tes clients autour… C’était
forcément excitant…
– En tout cas je suis vaccinée… Je suis
pas près de recommencer là-bas… J’ai eu bien trop peur…
– Tu dis ça maintenant… Mais je suis
bien tranquille… D’ici une semaine…
– Oui, ben alors là sûrement pas !
– Mais si ! T’as trop aimé ça avoir
peur…
– Elle y prend goût à tes massages Chloé…
– Ah, ça, c’est sûr… De plus en plus… Et
pas seulement à mes massages… On discute toutes les deux…
– Et vous parlez de quoi si c’est pas
indiscret ?
– De quoi veux-tu qu’on parle ?
Franchement ? Des hommes bien sûr ! Qu’il est parfois si difficile de
comprendre… Dont on ne sait jamais vraiment ce qu’ils pensent… Ce qu’ils
ressentent… Comment ils les voient les filles… Ce qu’ils en attendent… Mais
enfin elle croit bien quand même que cette fois ça va vraiment être le bon le
type celui avec qui elle est… « Parce que ça commence à durer tous les
deux… Et puis avec lui je peux faire des trucs qu’on peut jamais faire avec un
mec normalement… » « Ah, oui ?! Quels trucs ? »
« Oh, des trucs ! » J’ai pas insisté… Je me suis contentée de lui
faire remarquer qu’elle avait bien de la chance… Parce que la plupart du temps
les couples… Elle savait, oui… Ah, ça, pour ça, elle savait… Elle avait tout un
tas de copines qui en bavaient les pauvres… Et même elle avant – avant lui, là,
maintenant – elle pouvait dire que… « Que… ? » Oh, ça avait pas
d’importance… Ça en avait plus… C’était du passé tout ça maintenant… Mais et
moi ? Parce qu’on parlait d’elle, là, mais et moi ? Oh, moi… J’étais
mariée, mais bon… « C’était pas ça ? » C’était pas ça, non… Oh,
j’étais pas malheureuse… Mais j’étais pas heureuse non plus… Disons que la
routine s’était installée… Qu’on faisait plus grand-chose ensemble… Et que
sexuellement c’était carrément le désert… « Ah, oui !? Eh ben dis
donc ! Moi, je supporterais pas ça… Alors là ! Il y a pas de risque…
Et je me prendrais quelqu’un… Ce serait vite vu... » C’est bien ce que
j’avais fait… Quelqu’un de beaucoup plus jeune que moi… Très ardent… Très
câlin… Très attentif à moi, mais… mais pas très disponible…
– Tu manques pas d’air… Tous les jours
je passe te voir… Ou pratiquement…
– J’ai enfoncé le clou… Seulement moi j’avais
de gros besoins sexuels… Comme la plupart des femmes… Même si on était encore
très peu à oser l’avouer…
– Je te vois venir…
– Et elle : « Vous avez pris
un amant ! » Pas du tout, non… Il y avait d’autres… mais je voulais
pas la choquer… La choquer, elle ? Oui, ben alors là il y avait pas de
risque… D’autres solutions ? C’est ça que je voulais dire ? Elle le
savait bien… Des tas de trucs il existait… Même qu’elle…
« Oui ? » Elle aussi des fois elle s’en servait avant… « Et
plus maintenant ? » « Si ! Des fois… Si ! Il y avait
pas de honte à ça… » « Oh, que non ! »
– Bien joué ! Remarquablement joué…
– N’est-ce pas ?
– Et maintenant ?
– Maintenant elle va me parler de vos
petits jeux à tous les deux… Elle en crève d’envie…
– Tu peux plus…
– Avec la meilleure volonté du monde, je
peux plus, non… Tu m’as mis sur les rotules…
– On le serait à moins… Quatre fois je
t’ai fait jaillir…
– J’ai pas compté…
– Moi, si ! Et comment j’ai
aimé !
– Ça, j’ai vu…
– C’était trop ! Regarder mes
videos préférées – celles qui me mettent toujours dans tous mes états… Qui me
font partir au quart de tour – tout en m’occupant de toi… Jamais j’aurais cru
ça possible un jour avec quelqu’un… Mais en douce que maintenant j’ai plus de
secret pour toi… Quand un homme sait devant quelles images une femme se caresse
elle est complètement toute nue…
– Et tu le regrettes…
– Oh, non ! Non… Sûrement pas, non…
Il y a pas de risque… Le contraire ce serait plutôt… Parce que quand je me les
repasserai à l’avenir je penserai forcément à toi… À ce qu’on les a vus
ensemble… À ce que je t’ai fait en même temps… Et alors là je te raconte
même pas…
– Un vrai feu d’artifice… Sans compter
que tu en as encore des quantités à me faire découvrir, je suis sûr…
– Des monceaux… T’as même pas idée… En attendant
elle veut pas se redresser, elle…
– Désolé…
– Oh, non… Non… C’est normal,
attends ! Vu comme je l’ai sollicitée… N’importe comment je l’aime bien
comme ça aussi… Toute petite… Toute fripée… Toute fragile… Comment c’est
attendrissant ! Et c’est pas souvent qu’on a l’occasion… Parce qu’un mec
en général – à moins qu’il ait des problèmes – dès qu’on la lui touche,
hop ! ça grimpe… Même rien qu’à la lui regarder des fois… Ah, ça y
est ! Elle revient… Un peu… Pas beaucoup… Mais elle revient…
– Ça y est !
– Quoi ? Qu’est-ce qui y est ?
– Armelle… Demain pendant qu’elle
bossera au café elle l’aura dedans le truc… Et c’est moi qui lui enverrai les
décharges…
– Il vaudrait peut-être mieux…
– Qu’elle se le fasse d’abord toute
seule ? Comme moi l’autre jour au boulot ? Ouais… Ben t’as vu le
résultat… Elle veut pas n’importe comment… Elle préfère que ce soit moi… Pour
l’effet de surprise… À condition que j’exagère pas non plus… Et alors tu sais
ce que j’ai pensé ? C’est qu’on pourrait faire ceux qui se connaissent pas
et tu viendrais t’y attabler, toi, là-bas… Au fond… Un peu à l’écart… Et alors
là je lui mettrais la dose à elle… Quelque chose de rare…
– Et tu ne t’es pas défilé…
– Il y avait pas de risque… Un petit
coup d’œil sur Chloé que j’ai superbement ignorée et je suis gentiment allé
m’installer dans le coin le plus reculé… Un rapide coup de torchon sur la
table… « Monsieur ? » Elle s’est mordu la lèvre… A rejeté la
tête en arrière… S’est reprise… « Vous désirez ? » « Un café,
s’il vous plaît… » Qu’elle est revenue presque aussitôt m’apporter…
« Merci… Je vous devrai ? » Elle n’a pas répondu… Elle s’est
cabrée, appuyée des deux mains au rebord de la table… « Ça va pas ?
Vous voulez que j’appelle quelqu’un ? » Non… De la tête… « Non…
Merci… Ça va passer… » Mais ça n’est pas passé… Elle a fermé les yeux…
Ouvert la bouche… Un râle… Étouffé… Un second… Plus affirmé… « Mais elle
jouit ! Mais vous jouissez ! » Son souffle s’est fait court… Ses
joues se sont creusées… Elle a haleté… S’est reprise… « Je sais pas ce qui
s’est passé… Le trou noir… Une absence… Excusez-moi ! Je suis désolée… »
« Vous avez joui… Tout simplement… Vous avez joui… Ah, on fait des petits
joujoux très efficaces maintenant, hein ! La seule chose, c’est qu’ils
entraînent quelquefois beaucoup plus loin qu’on ne l’aurait voulu… Mais
rassurez-vous ! Je ne me suis aperçu de rien… Bien entendu… » Un bref
regard de reconnaissance… Et elle s’est éloignée… J’ai laissé vingt euros sur
la table…
– Juste pour l’avoir regardée
jouir ? Tu es bien généreux… Et Chloé dans tout ça ?
– Chloé ? La porte tout juste
franchie j’avais un message « Ça l’a fait, hein ? J’ai cru voir que
ça le faisait… Faut dire que je lui avais mis la dose aussi… Tu me raconteras…
Je reste avec elle… »
– Maintenant ? Ben maintenant elle
se pose plein de questions par rapport à toi… Forcément… Qui tu peux bien être…
Où t’habites… Si tu vas revenir…
– Si je vais tenir ma langue ou pas…
– Pas ça, non… Ça, ça l’inquiéte pas…
Non… Ce qu’elle appréhende, c’est de se retrouver un jour ou l’autre en face de
toi… « Un mec devant qui je me suis donnée en spectacle comme ça… Et pas
qu’un peu en plus ! Non, mais je mourrais de honte ! » Elle
appréhende, oui, mais en même temps je parie qu’au fond d’elle-même…
– Elle en crève d’envie…
– Elle en crève pas d’envie, non, mais…
– Mais ça lui déplairait pas vraiment…
– Voilà, oui…
– Eh ben je vais y retourner… Et la
mettre sur le gril…
– C’est ça ! C’est ça ! Et
puis quoi encore ?
– Ben pourquoi ?
– Parce que… Je vois trop bien où ça
peut vous mener ce petit jeu-là tous les deux …
– Il y a vraiment pas de risque…
– Oui, oh, alors ça…
– Elle ignore qu’on se connaît… Elle te
fait ses confidences… Tu sauras tout de ce qu’on se dit… De ce qu’on fait… Je
vois vraiment pas où est le problème…
– Même… Quand même… Ça me fait peur…
– Et pour finir ?
– J’ai carte blanche… Enfin… Presque…
Chaque fois que je la verrai Armelle le soir faudra que je sois au rapport…
Elle fera des recoupements… Et si tout concorde pas parfaitement…
– J’imagine que tu as dû batailler
ferme…
– Ben… Aussi bizarre que ça puisse paraître…
pas tant que ça finalement… Je crois que la perspective d’être là, en
coulisses, à tout superviser à l’insu d’Armelle, la séduit énormément… Quant au
risque, pour nous deux, elle y croit pas beaucoup… Ou plutôt elle est persuadée
qu’elle arrivera toujours à tirer toutes les ficelles comme elle l’entend…
– Une chose est sûre en tout cas, c’est
que c’est particulièrement tordu tout ça… Parce que vous deux, vous vous
connaissez sans qu’Armelle le sache… Nous deux on se connaît et Chloé l’ignore…
Quant à toi tu fréquentes assidûment, en secret, la mère de Jessica sans que
personne le sache…
– Ben si ! Toi…
– Oui, oh… C’est comme si je savais pas…
Tu m’en parles jamais…
– C’est peut-être qu’il n’y a rien à en
dire…
– Ou beaucoup trop au contraire…
– Je crois bien que j’ai tout faux…
– Comment ça tout faux ?
– Oui… Comme je m’y suis pris avec toi…
Je me suis emballée… Je t’ai entraîné dans mon truc sans vraiment me soucier de
toi… De tes envies à toi… Tu vas te lasser, c’est obligé… Tu vas te mettre à venir
moins… À inventer des tas de prétextes… Et dans un mois – deux maximum – je te
verrai plus du tout… Bon, mais c’est ma faute… Je n’ai qu’à m’en prendre qu’à
moi-même… J’avais qu’à y réfléchir à deux fois au lieu de me lancer à faire
n’importe quoi…
– Tu es vraiment la reine du coupage de
cheveux en quatre, hein !
– Mais non, Luc, non… Seulement je
connais quand même un peu les hommes… Et qu’est-ce qu’on fait tous les
deux ? Je te branle, je te branle et je te branle… En regardant, en même
temps, d’autres types se le faire… Parce que j’adore ça… Parce que depuis des
années et des années c’est d’abord et avant tout par la vue qu’il passe mon
plaisir… Mais toi ! Toi ! Me dis pas que t’as pas envie d’y venir en
moi ! De t’y répandre… Seulement je t’ai tellement épuisé avant que c’est
plus possible… Chaque fois je prends tout un tas de bonnes résolutions :
« Bon, allez, aujourd’hui tu le touches pas… Tu le laisses venir… À sa
façon… Prendre toutes les initiatives qu’il veut… » Mais t’as à peine franchi
la porte que je me jette sur toi comme la misère sur le monde… Je peux pas
m’empêcher…
– Et j’adore…
– C’est vrai ?
– Si je te le dis…
– Je te l’avais dit que t’aurais envie
de le refaire là-bas… Et que ça tarderait pas… Je te l’avais pas dit ?
– Si… Oui…
– Qu’est-ce que c’est excitant de jouer
avec le feu, hein ?!
– À ce point-là jamais j’aurais cru…
– Et tu sais ce qu’il faudrait ce
coup-ci ? C’est que ce soit à ta caisse que ça se passe…
– Oh, non, non ! Je crois pas ça,
non… Jamais…
– T’as pas envie ?
– J’en crève d’envie…
– Eh ben alors !
– Non, mais c’est beaucoup trop
dangereux, attends… Tu te rends pas compte… T’es en pleine lumière à la caisse…
T’as les collègues tout près… Et puis t’es complètement bloquée… Tu peux pas
t’échapper… Je serais morte de trouille… Je profiterais de rien… Tandis que juste en
cliente t’as toujours une solution pour t’en sortir si ça te déborde… si
arrêter le machin ça suffit pas… Tu peux
détaler… Changer de rayon… Te retourner… Te pencher sur ton chariot… T’as plein
de trucs…
– Et t’as quand même le risque… Au moins
un minimum…
– Oh, ben oui… Oui… Quel intérêt
sinon ?
– Et si on y allait ?
– Là ? Maintenant ?
– Ben oui… C’est la bonne heure… Il y a
du monde sans trop y en avoir …
– J’ai bien envie, oui, mais en même
temps…
– Réfléchis pas ! Allez, hop !
Tu me donnes la télécommande et on y va…
– La télécommande ? À toi ?
– À moi, oui… Ce sera pas la première
fois…
– Là, si ! Et ça me fait peur…
C’est mon lieu de travail… Et si jamais…
– Je suis pas idiot… Et j’ai pas du tout
l’intention de te mettre en danger…
– Ça me tente bien… C’est vrai que ça me
tente bien que ce soit toi… Mais alors tout doucement t’y vas… Vraiment tout
doucement… Tu me promets ?
– Ben évidemment… Et tu sais pas ?
On va convenir d’un code… Si tu passes ta main dans tes cheveux je suspens… Je
suspens aussitôt… Et si t’y passes les deux j’arrête tout… Définitivement…
– Ça me va… Comme ça ça me va…
– Eh bien en route alors…
– Non, mais t’as vu ça ? On aurait
vraiment cru que c’était fait exprès… Que tous les gens que je connais
s’étaient donné rendez-vous là… Et qu’ils avaient tous envie de tailler une
bavette…
– Ça avait pas l’air de te déranger tant
que ça…
– Oh, non, non… C’était trop marrant… Tu
discutes comme ça de la pluie et du beau temps avec les uns… Avec les autres…
Et en même temps t’es en train de te dire qu’ils se doutent pas du tout que
t’as un truc entre les fesses... Qui te fait toute une petite musique de fond
de sensations…
– C’était bien alors comme je
faisais ?
– Oui… C’était bien… Oui…
– T’as pas l’air vraiment convaincue…
– Si ! C’était bien, si !
– Mais ?
– Mais j’aurais pu supporter plus…
Jamais j’ai été vraiment au bord… En danger… Au moins un peu…
– On avait dit que…
– Je sais bien, oui… Mais quand même
j’aurais bien aimé plus…
– Ce qu’il faudra alors, la prochaine
fois, c’est qu’on ait un code… Un truc qui signifierait :
« Vas-y ! Augmente la dose… »
– À ce compte-là autant que ce soit moi
qui l’aie dans la poche la télécommande et que je règle moi-même… L’intérêt que
ce soit quelqu’un d’autre qui le fasse, c’est de jamais savoir quand ça va
arriver ni avec quelle intensité… C’est la surprise…
– Oui, mais ça ! Vaut mieux se
contenter de le faire ailleurs, non ? Parce que là…
– C’est impossible… Et c’est parce que
c’est impossible que c’est surtout de ça que j’ai envie… Plus que de n’importe
quoi d’autre… Je suis compliquée, hein ?
– Je voudrais te demander un truc, Luc…
– Eh bien vas-y !
– T’as quelqu’un d’autre à part
moi ? Je veux dire… Quelqu’un de ton âge…
– Pourquoi tu me demandes ça ?
– Parce que… J’aimerais bien…
– T’aimerais bien quoi ? Que j’aie
quelqu’un d’autre que toi ?! Ça, au moins, c’est original…
– Ça me rassurerait… Tu peux pas savoir
ce que ça me rassurerait… Parce que j’arrête pas de me dire – sans arrêt j’y
pense – que si t’as que moi le jour où tu vas en rencontrer une tu vas presque forcément
vouloir me quitter pour rester qu’avec elle… Tandis que si t’en as déjà une ça
veut dire que ça te gêne pas d’être avec moi en même temps… Et donc que j’ai
des chances que ça dure un peu tous les deux… Quoi que tu fasses par ailleurs…
Tu comprends ?
– Très bien, oui…
– Et alors ?
– Et alors, une fois de plus, tu
compliques tout…
– Je complique pas, non… Je complique pas…
Mais tu peux pas savoir comment c’est important pour moi de t’avoir… Elle a
changé du tout au tout ma vie depuis que t’es là… Tu ensoleilles mes journées…
Je t’attends… Je repense à nous… À tout ce qu’on a fait… À tout ce qu’on va
faire…
– Alors profite… Profite de nous…
Profite de tout… Et te pose pas tant de questions…
– Oui, mais…
– Chut… Tais-toi ! Tais-toi et
viens là…
– J’ai carrément mis le paquet avec ta
Chloé aujourd’hui… J’ai senti que c’était mûr… J’ai foncé…
– C’est-à-dire ?
– C’est-à-dire que je lui ai raconté
l’histoire d’une soi-disant amie d’amie – inventée de toutes pièces –
décomplexée au point de sortir carrément un gode de son sac… De le brandir…
« Ça vous dérange si je… » et de prendre tranquillement son pied pendant
que je la massais… Elle a écarquillé les yeux… « Ah oui ? Eh ben dis
donc… Elle manquait pas d’air celle-là… Faut oser quand même… » Oui, oh,
c’était le genre de femme… il ne devait pas y avoir grand-chose qu’elle n’osait
pas oser… « Et vous pendant ce temps-là ? Ça devait pas être
évident pour vous quand même cette situation ?… » Moi ? Oh, il
m’en fallait beaucoup plus pour me désarçonner, moi… « J’ai fait ce que
j’avais à faire… Même si… Parce que faut être honnête… Quelqu’un – homme ou
femme – qui prend son envol vers son plaisir ça ne peut laisser personne
indifférent… Et ma prestation – je m’en rendais bien compte – n’était pas tout à fait la même que
d’habitude… Plus appuyée… Plus sensuelle… Plus voluptueuse finalement… » «
Elle est revenue ? Vous l’avez revue ? » « Jamais, non… »
« Peut-être que ça lui avait suffi alors… Que c’était juste un défi
qu’elle s’était lancé… » « Ou un fantasme qu’elle avait voulu
réaliser… » « Elle a été déçue alors… Elle aurait voulu recommencer
sinon… Parce que moi… » « Oui ? » Elle a hésité et puis…
« Oh, ben moi… » Ben justement elle, pendant longtemps elle avait eu
un fantasme qui lui avait trotté dans la tête à propos de ces trucs-là… C’était
de se balader dehors, dans la rue, au milieu des gens en en ayant un… Et du
jour où elle s’était lancée et qu’elle avait essayé il avait plus été question
qu’elle s’en passe… Ah, non alors ! Comme quoi réaliser un fantasme ça le
tuait pas forcément… Au contraire même quelquefois… La preuve… D’autant que son
petit ami, en plus, il marchait à fond avec elle là-dedans… Elle faisait de ces
trucs avec lui, mais de ces trucs ! « Quels trucs ? » Elle ne
s’est pas fait prier pour raconter… En long, en large et en travers… Avec force
détails… Et infiniment de complaisance… Pendant presque deux heures elle a
raconté, raconté et raconté… J’ai tout su – ou presque – de ce que je savais
déjà… Mais vu, cette fois, de son point de vue à elle… C’était extrêmement
intéressant… D’autant plus intéressant que…
– Que ?
– Que parler de tout ça l’avait
profondément émue… Elle avait la culotte trempée… Ce que je n’ai pas manqué de
lui faire remarquer… Avec un large sourire complice… Tout en continuant à la
masser… En me faisant de plus en plus précise… De plus en plus convaincante…
Elle ne disait rien… Pas un mot… Elle avait fermé les yeux… Respirait vite… De
plus en plus vite… « Retire ta culotte… » En chuchotement à
l’oreille… Ce qu’elle a aussitôt fait… Elle a murmuré… « Dans mon sac…
C’est dans mon sac… » Il y en avait deux… Un pour devant… Et un pour
derrière… Elle s’est ouverte…
– Et je suppose que…
– Tu supposes bien… Un vrai feu
d’artifice…
– Encore elle !
– Qui ça ?
– Armelle… C’est trois SMS par jour et
cinq coups de fil des fois…
– Qu’est-ce qu’elle veut ?
– Rien… Enfin si ! Discuter… Et qu’on
recommence comme l’autre fois à son café là-bas…
– Et t’as pas envie…
– C’est pas que j’ai pas envie, c’est
que si j’accepte elle va plus me lâcher… N’empêche que tu y es pas allé, toi…
On avait dit que t’irais la mettre un peu sur le gril… Tu l’as pas fait…
– T’étais pas très chaude… Et puis ça
nous avancerait à quoi ?
– Faut voir… On serait peut-être
surpris… Et puis ce que j’aimerais bien savoir, moi, c’est comment elle réagit
une nana dans son genre quand elle s’est fait gauler par un type et qu’elle le
retrouve sur son chemin… Surtout qu’en plus, là, maintenant, elle a dû oublier…
Se dire qu’elle te reverra pas… C’est le moment ou jamais de débarquer…
– Eh ben on y va si tu veux… Demain…
C’est samedi…
– Tu y vas… Toi… Tout seul… Parce que je
te rappelle que, pour elle, on se connaît pas tous les deux… Et que je tiens
pas à passer une après-midi entière à t’attendre en tournant en rond…
– Tu vas faire quoi ?
– Je sais pas… Je verrai… Peut-être
j’irai passer un moment chez Stéphanie…
– Qui c’est Stéphanie ?
– Stéphanie ? Une femme que j’ai
rencontrée un jour chez le coiffeur… Je t’en ai bien parlé…
– Non…
– Mais si ! Elle me fait des
massages relaxants…
– Ça me dit rien…
– T’écoutes pas ce que je te dis…
T’écoutes jamais… Ah, c’est agréable !
– Vous l’avez ?
– Pardon ?
– La dernière fois que je suis venu vous
aviez quelque chose entre les jambes qui avait l’air de vous faire le plus
grand bien…
Elle a jeté un coup d’œil par-dessus son
épaule…
– Pas si fort… S’il vous plaît… Pas si
fort…
– Oh, mais il y a pas de honte à avoir,
hein…
– Non… Je vous en prie… Si on nous
entend… Je vous en supplie… Pas ici…
– Où alors ?
– Mais nulle part… Je ne sais pas… Je…
– Vous finissez votre service à quelle
heure ?
– À neuf heures, mais…
– Eh bien à neuf heures je vous attendrai
près de la fontaine, sur la petite place derrière…
– Qu’est-ce que vous voulez au
juste ?
– Vous avez dîné ? Non, je parie,
hein !
– Si ! Non ! C’est sans
importance…
– Eh bien je vous emmène… J’ai repéré un
petit restaurant dans les rues piétonnes… Un délice, je suis sûr… À moins que
vous ne préfériez manger chinois… Ou que vous en connaissiez un autre… Après
tout c’est vous qui êtes du pays… C’est pas moi…
– Écoutez… Que les choses soient bien
claires : il n’est absolument pas dans mes intentions d’aller au
restaurant avec vous… Ni où que ce soit d’ailleurs…
– C’est clair en effet… Tant pis… Tant
pis pour moi… Je n’insiste pas… Mais je me pose quand même une question… Je me
demande si je suis le seul à vous avoir vue jouir là-bas ou s’il y a d’autres clients
qui s’en sont rendu compte… Bon… Mais le meilleur moyen, pour savoir, c’est
encore de leur poser la question… Vous croyez pas ? Ben si… Évidemment…
Oui… C’est ce que je vais faire… Ça tombe bien… J’ai quinze jours de vacances…
Alors je vais venir les passer là… Tous
les jours j’y serai à votre café… Je discuterai… Avec les uns… Avec les autres…
Et ce serait bien le diable si…
– Vous me lâcherez pas, hein !
C’est quoi que vous cherchez ? À coucher avec moi, c’est ça ?
– Mais jamais de la vie !
– C’est quoi alors ?
– Mais rien… À discuter… Juste à
discuter… À savoir… Si vous le faites souvent… Où… ce que vous ressentez… Tout
ça…
– Si c’est juste pour parler… Mais alors
vous me promettez… Vous dites rien… Jamais… À personne… Et surtout pas là-bas…
– Ça va de soi… Et pour le restaurant
alors ? On va où ?
– N’importe… Ça m’est égal… Choisissez…
– C’est souvent que vous vous amusez comme
ça ?
Elle a levé les yeux de son assiette…
– Si je vous dis que non…
– Je ne vous croirai pas…
– Alors je ne le dirai pas…
– Et que vous vous faites griller ?
– Ça, par contre, oui, c’est la première
fois…
– J’ai eu beaucoup de chance alors…
– Question de point de vue…
– Quand on joue avec le feu…
– Jusque là tout s’était toujours très
bien passé… Jamais j’aurais dû lui laisser la direction des opérations à cette
fille… Jamais… Mais elle faisait la même chose de son côté… Alors j’ai pensé… Et
puis ça me tentait bien d’essayer aussi comme ça… En duo… Seulement à fond elle
l’a mis le truc… Juste au moment où je vous apportais votre café… Et forcément…
– Pourquoi elle a fait ça ?
– Si je le savais ! Et elle
voudrait qu’on recommence… Elle arrête pas de me harceler avec ça… Mais il y a
pas de risque alors là ! Jamais une fille elle devrait faire confiance à
une autre fille… Jamais… Je devrais le savoir depuis le temps…
– Et à un homme ?
– Ça dépend… Ça dépend pour quoi…
– Pour ça justement…
– Faudrait vraiment qu’il ait fait ses
preuves alors…
– Vous me la donnez ?
– Quoi donc ?
– La télécommande que vous dissimulez
dans votre poche depuis le début du repas…
– Hein ? Mais je…
– Et que vous avez déjà actionnée quatre
fois…
– Elle te l’a donnée ?
– J’ai dû batailler un peu, mais oui,
elle me l’a donnée…
– Et ?
– Ben je m’en suis servi, tiens !
Judicieusement… D’une façon dont elle a paru satisfaite en tout cas… Mais ce
que je ne comprends pas… Elle dit que Chloé la harcèle… Chloé, elle, dit que
c’est le contraire… Laquelle croire dans tout ça ?
– Les deux… Ou bien aucune des deux… Va
savoir… Quand tu connaîtras un peu mieux les femmes…
– Tu l’as vue Chloé ?
– Un peu que je l’ai vue… T’avais à
peine tourné le coin de la rue qu’elle rappliquait…
– Inutile que je te demande ce qu’elle
voulait, je suppose…
– Inutile en effet… Tu sais, mon cher,
quand une femme a goûté aux caresses d’une autre femme il est rare qu’elle
puisse ensuite s’en passer…
– Elle lui sert de prétexte, quoi,
Armelle finalement ! Elle m’expédie là-bas pour pouvoir tranquillement
s’envoyer en l’air avec toi…
– C’est pas forcément aussi simple… Ce
que je crois, moi, c’est qu’elle lui en veut à Armelle…
– Parce qu’elle a coupé les ponts ?
– Peut-être… Ou parce qu’il y a eu une
embrouille quelconque entre elles… Dont elle ne t’a pas parlé… Et, à mon avis, elle
a bien l’intention de se servir de toi pour se venger… D’une façon ou d’une
autre…
– Alors là… S’il y a quelque chose dont
j’ai horreur…
– Tu l’as vue Armelle ?
– Ben oui… Oui… Au café… À la même place
que l’autre jour je m’étais mis…
– Et alors ? Elle t’a
reconnue ?
– J’en suis pratiquement sûr…
– Tu lui as pas parlé ?!
– Ah, non… Non… Laissons-la mariner un
peu… Se demander… Si je vais revenir… Ce que je compte faire… Elle doit être
sur des charbons ardents… Et toi pendant ce temps-là ?
– Oh, rien… J’ai fait un saut vite fait
chez Stéphanie… Et puis j’ai regardé la télé tout le reste de la soirée…
– N’empêche que tu m’as pas répondu
l’autre jour…
– À propos de quoi ?
– Si t’avais une copine de ton âge…
– T’as de la suite dans les idées, toi…
– Tu veux pas me dire, hein…
– Comment je pourrais ? On se voit
tous les deux-trois jours… Chaque fois tu me laisses sur les rotules…
Complètement lessivé…
– On récupère vite à ton âge…
– Et si je te retournais la
question ?
– Comment ça ?
– Et toi ? T’as quelqu’un
d’autre ?
– Tu sais bien que non…
– Et t’aurais envie ?
– T’as de ces questions !
– Toi non plus tu réponds pas… Bon… Mais
imagine que j’aie un bon copain… Un type de mon âge… Et imagine que je lui aie
parlé de ton petit dada… De tout ce qu’on fait ensemble tous les deux… Et qu’il
se soit montré très intéressé… Mais vraiment très intéressé… Qu’il crève
d’envie de m’accompagner… T’en dirais quoi ?
– Il existe ? C’est vrai ? C’est
qui ?
– Peut-être bien qu’il existe… Et puis
peut-être pas…
– Tu me fais marcher…
– Mais il peut exister… Tu n’as qu’un
mot à dire et il va exister… Alors ?
– Si tu veux…
– Non… Pas si je veux… Si tu veux, toi…
– M’oblige pas à le dire, Luc… S’il te
plaît… M’oblige pas à le dire…
– Dis-le ! Fais-moi plaisir…
Dis-le…
– Trouve-le vite, Luc… Dépêche-toi… J’ai
hâte…
– Je la vois quasiment plus Chloé…
– Forcément… Elle passe les trois quarts
de son temps libre avec moi… Et le quart qui reste… Je suis désolée de te dire
ça, mais…
– Mais ?
– Mais elle a quelqu’un d’autre Chloé…
– Ah…
– Et… il y a longtemps ?
– C’est tout récent…
– Et tu le sais depuis… ?
– Hier soir…
– Bon… Elle a l’intention de me larguer,
je suppose… Elle attend le moment propice pour le faire…
– Pas du tout, non… Pas dans l’immédiat
en tout cas… Elle tient à toi… « Il y a des choses que je pourrai jamais faire
qu’avec lui… J’en ai parfaitement conscience… Mais en même temps on peut pas
bâtir une vie de couple là-dessus… Ça n’a pas d’avenir notre truc… Et puis Luc…
Il fait des études, oui… Ça va déboucher sur quoi ? Personne en sait rien…
Même pas lui… Tandis qu’avec Charlélie… Il y aura pas la moindre fantaisie,
non, ça, c’est sûr… Mais c’est du solide… Du rassurant… Et s’il y a quelqu’un
avec qui je dois faire ma vie… Il arrive un moment où il faut y penser
aussi… »
– En attendant elle veut le beurre et l’argent
du beurre… Bon… Mais c’est qui ce Charlélie ? Il fait quoi dans la
vie ?
– Employé de banque…
– Ce qui signifie que je peux aller voir
à quoi il ressemble… Et aviser…
– On fait une petite expédition ? À
ta grande surface… Ou ailleurs… Comme tu veux…
– Une autre fois… J’en suis pas trop
aujourd’hui…
– Quand ?
– Je sais pas quand… Je te dirai… Le
moment venu…
– T’as plus envie, quoi !
– Mais si ! C’est pas ça… Seulement
on peut pas vivre non plus qu’à travers ça… J’ai besoin de souffler un peu… De
mettre tous ces petits jeux-là entre parenthèses… Au moins pendant quelque
temps… Tu comprends ?
– J’essaie…
– Je l’ai vu ce Charlélie…
– À sa banque ?
– Non… Au restaurant juste en face… J’ai
même déjeuné à midi à la table voisine de la sienne…
– Et alors ?
– Et alors il était avec une collègue…
Une collègue avec laquelle il semble parfaitement s’entendre… Et c’est un
euphémisme…
– Tu es sûr ?
– Pas d’équivoque possible…
– C’était lui au moins ?
– Et Charlélie par ci… Et Charlélie par
là… Elle en avait plein la bouche… Tu crois qu’il peut y en avoir deux qui
travaillent dans la même banque avec un prénom pareil ?
– Il tient peut-être quand même à Chloé…
– Et puis peut-être pas… Il tient
peut-être qu’à sa collègue Coralie… Et puis peut-être pas non plus… Il tient
peut-être à aucune… Ou aux deux… Ou à une troisième… Va savoir… Mais je saurai…
Je vais m’en occuper… Je saurai…
– Ferme les yeux… Ferme les yeux et
imagine… Je suis là sur le lit avec toi… On frappe à la porte… Il est beau
comme un dieu… Il est jeune… Bronzé… Musclé… Il s’étend près de nous… Je te
l’offre… Tu le palpes à travers son pantalon… Tu le sors… Tu la lui sors… Avec
une infinie lenteur… Elle est dressée… Elle palpite… Elle est à toi… Pour en
faire ce que tu veux… Et ce que tu veux, c’est…
– C’est ça, oui… Comme avec toi… C’est
qui ? Un ami à toi ? Tu lui as expliqué ? Il arrive ?
– Pas encore, non… Mais ça viendra…
Promis… Ça viendra… Un jour… Et ce jour-là…
– Sale gosse ! J’y ai cru,
moi ! J’ai cru qu’il était là… Derrière la porte… Oh, mais tu vas me payer
ça ! Pas plus tard que tout de suite… Et je peux te dire que quand je vais
te lâcher tu pourras plus bander d’un moment…
– Je savais que vous reviendriez… J’en
étais sûre…
Elle s’est assise à mes côtés sur la
margelle de la fontaine…
– Et je ne vous fais plus peur ?
– Oh, non… Non… Je suis certaine
maintenant que vous direz rien… Que je peux avoir confiance…
– Qu’est-ce qui vous rend si sûre de
vous ?
– L’autre soir au restaurant quand vous vous
êtes rendu compte… Un autre à votre place il aurait profité de la situation… La
commande il l’aurait poussée à fond… Pour me mettre en difficulté… Ça l’aurait
amusé… Pas vous… C’est resté très léger… Très mesuré… À aucun moment je me suis
sentie en danger… Alors je me dis que quelqu’un qui réagit comme ça c’est
impossible qu’il veuille me faire du mal…
– Surtout quand il n’a absolument aucune
raison de le faire…
– N’empêche qu’il y a quand même un truc
qui me turlupine c’est comment vous vous en êtes aperçu… Ça se voyait ?
– Oh, non, non… Je suis bien tranquille
qu’à part moi personne s’est rendu compte de rien… Non… Disons que moi je
savais, d’expérience, que c’était de l’ordre du possible… J’étais donc tout
paticulièrement attentif à la moindre de vos expressions, au moindre de vos
mouvements… C’était presque imperceptible, mais… Et puis cette main qui
traînait en permanence dans votre poche…
– Ça me rassure… Ça me rassure drôlement
ce que vous me dites… Qu’on se rend pas compte si on sait pas… Ça me rassure, oui,
mais en même temps ça me fout une de ces trouilles ! Parce que ça veut
dire que celui qu’a l’attention en éveil là-dessus il finit forcément par s’apercevoir…
Et qu’au café il suffirait qu’il y en ait un qui ait le moindre doute et je
serais grillée…
– Vous n’êtes pas obligée non plus de
faire ça là-bas… Il y a des tas d’autres endroits…
– Non… Bien sûr… Non… Mais si !
Parce qu’il y a que là que je prends vraiment mon pied… Enfin je veux dire… Pas
physiquement… Non… Physiquement ça reste tout retenu… Tout en demi-teinte… Sauf
la fois où vous étiez là et où j’avais laissé cette fille à la manœuvre… Mais
dans la tête… Alors là dans la tête… De se dire que c’est là que vous vous le
faites avec le patron et tous les clients autour… De vous envoyer de petites
décharges tout en discutant de tout, de rien… Avec les uns… Avec les autres… Vous
pouvez pas savoir ce qu’on ressent… Et comment, après, une fois rentrée…
– Et t’as passé la nuit avec…
– Même pas, non… Enfin si ! Mais
pas comme tu crois… On a discuté…
– Que ça ? Je t’ai connu plus
entreprenant… T’as pas envie d’elle ?
– Si… Mais j’ai surtout envie de prendre
mon temps… De laisser les choses venir à leur rythme… Et Chloé ? Tu l’as
vue ?
– Évidemment que je l’ai vue… Elle a
équitablement partagé son temps entre Charlélie et moi… Je l’ai accompagnée aux
courses… Tu es bien placé pour savoir ce que ça signifie…
– La garce ! Je croyais qu’elle
avait plus envie…
– Avec moi, si ! Il paraît
d’ailleurs que je m’y prends beaucoup mieux que toi… Que c’est plus subtil…
Plus raffiné… Plus judicieusement ciblé…
– Je n’en doute pas…
– On a beaucoup parlé de toi… Elle m’a
montré ta photo… Et elle compte te faire, dans les tout prochains jours, un
cadeau royal… Elle sera à sa caisse et c’est toi qui la piloteras…
– Royal… En effet… Alors ça y est… Elle
s’est enfin décidée… Je suppose que tu n’y es pas pour rien…
– Royal… Si on veut… Parce que tu ne la
piloteras qu’en apparence… Tu croiras la piloter… La véritable télécommande,
celle qui sera effectivement active, c’est moi qui l’aurai en main… L’idée semble
beaucoup l’exciter…
– Elle est tordue… Elle est complètement
tordue…
– On peut l’être beaucoup plus qu’elle…
Qu’est-ce qui nous empêchera d’échanger discrètement nos télécommandes entre
les rayons ?
– Tu seras décidément toujours pleine de
ressources…
– N’est-ce pas ?
– Il faut qu’on parle, Chloé… Il faut
vraiment qu’on parle…
– Qu’on parle ? De quoi ?
– De nous… Ça va plus… On s’éloigne l’un
de l’autre… On s’éloigne de plus en plus…
– Mais non ! C’est toi qui te
l’imagines…
– Non… Je l’imagine pas… Non… On se voit
presque plus… Et quand on est ensemble tu n’es pas là… Tu es ailleurs… Tu as
quelqu’un d’autre, hein, c’est ça ?
– N’importe quoi !
– Si tu as quelqu’un d’autre j’aime
encore mieux que tu me le dises… Parce que le doute il y a rien de pire…
– Idiot ! Mais non, j’ai personne…
Qu’est-ce que tu vas t’inventer des histoires pareilles ? J’ai personne et
j’ai pas du tout l’intention d’avoir qui que ce soit d’autre que toi… Tiens,
d’ailleurs… La preuve ! Je voulais pas t’en parler tout de suite, mais
t’as toujours envie ? Que je l’aie à ma caisse… T’as toujours envie ?
Et que ce soit toi qui me diriges… Oui ? Eh bien on va le faire…
– Quand ?
– Bientôt… Je te dirai… Parce que il y a
une collègue je voudrais que ce soit elle à la caisse d’à côté…
– Parce que ? Elle est au
courant ?
– Ça va pas, non ? Non. J’ai juste
envie qu’on fasse ça et que ce soit elle à côté…
– Je peux vous parler ?
– Oui, mais vite fait alors… On
m’attend…
– C’est Chloé ou Coralie qui vous
attend ?
– Ça ne vous… Mais vous êtes qui ?
Qu’est-ce que vous voulez ?
– Vous donner une information qui peut
éventuellement vous intéresser… Je sors, moi aussi, avec Chloé… Et, tout comme
vous, pas seulement avec elle…
– Je vois… Elle cache bien son jeu cette
petite… Très très bien… À l’entendre…
– Elle est d’un sérieux à toute épreuve…
– Non, mais quand même ! J’en
reviens pas…
– Et vous ne savez pas tout…
– Je sais pas quoi ? Allez-y !
Au point où on en est…
– Il n’y a pas que nous…
– Ah… Et c’est qui le troisième
bénéficiaire ?
– LA… troisième bénéficiaire… C’est une
femme…
– De mieux en mieux… Je sens qu’on
devrait avoir beaucoup de choses à se dire tous les deux…
– C’est aussi mon avis…
– Eh bien on reste en contact…
– Bien entendu pas un mot… Ni à elle ni
à qui que ce soit d’autre…
– Cela va de soi…
Armelle m’attendait…
– Vous savez que tous les soirs je viens
y faire un tour ici ? Je m’assieds là, sur notre margelle, et je repense à
quand vous y êtes avec moi… À ce qu’on a dit… À ce qu’on a fait… Et c’est
bizarre…
– Qu’est-ce qu’est bizarre ?
– Le prenez pas mal… Mais c’est presque
aussi bien quand vous êtes pas là que quand vous y êtes… De toute façon avec
vous rien se passe jamais comme on s’y attendrait…
– C’est-à-dire ?
– C’est-à-dire que normalement on a
beaucoup plus de plaisir à les faire les trucs qu’à en parler… Et que là c’est
exactement le contraire… C’est raconter qu’est le mieux… Et de loin… Et même…
Vous allez pas vous moquer ? Vous savez ce que je viens y faire ici toute
seule le soir en vrai ? Vous raconter ma journée… Avec tous les détails…
– Eh bien allez-y alors ! Faites
comme si j’étais pas là…
– Oui… Oui… Vous vous demandez, hein,
Luc ? Vous vous demandez si je l’avais aujourd’hui… Eh bien oui je
l’avais… Je l’ai même encore, là, pour parler avec vous… C’est souvent que je
me le mets le mardi… Parce que le mardi – tous les mardis, à onze heures
tapantes – il y a Adrien qui vient boire son coup au comptoir… Je vous ai bien
parlé d’Adrien ? Non ? Je croyais… Adrien, c’est vraiment l’obsédé de
base… Toujours le propos salace à la bouche… Le type qu’arrête pas de te faire
des avances plus ou moins déguisées et qu’il faut remettre en place… Il y a pas
le choix… Et sans prendre de gants… J’en prends pas… Non, mais qu’est-ce qu’il
croit ? Pour qui il me prend ? Je joue à fond la vertueuse… La fille
un peu coincée… Je m’offusque… Sauf que pendant ce temps-là le machin je l’ai à
l’intérieur… Que je m’envoie des petites pichenettes tout en mâchant pas mes
mots… Vous imaginez quel pied je prends dans ma tête ? Je sais pas… Je
sais pas si vous pouvez… Tant qu’on l’a pas vécu soi-même… En attendant j’ai
peut-être tort de vous raconter tout ça… Évidemment vous, vous allez me dire
que non… Mais quand même… Je me demande… Parce que quelle opinion vous allez
avoir de moi à force…
– Excellente… Rassurez-vous… Excellente…
– Et alors ? Vous avez quand même
pas passé la soirée sur cette margelle ?!
– La soirée, non… Mais un bon moment…
Elle avait tellement de choses à me raconter…
– La main dans sa poche…
– Même pas, non… Je les lui avais prises
les mains… Emprisonnées… Par jeu… Ce qui ne l’a pas empêchée d’avoir un gentil
petit orgasme spontané, à la fin, la tête dans mon cou…
– Et ça s’est terminé chez elle…
– Où je l’ai regardée s’en offrir un
autre…
– Uniquement en simple spectateur ?
– Uniquement… Pour le moment… Et toi
pendant ce temps-là ?
– Devine !
– T’étais avec Chloé…
– Gagné ! Une Chloé de plus en plus
sensible à mes caresses… Une Chloé qui, de son côté, prend, avec moi, de plus
en plus d’initiatives et s’émerveille d’oser les prendre… Qui se découvre
chaque jour un peu plus… Qui ne jure plus que par moi… Qui renoncerait sans
états d’âmes aux étreintes masculines si je manifestais le désir de la voir
s’en passer… Elle me plaît cette petite… Elle me plaît décidément beaucoup…
– C’est ta faute, Luc… C’est ta faute…
– Qu’est-ce qu’est ma faute ?
– Tu me l’avais promis que t’amènerais
un copain à toi… Et tu l’as pas fait… J’y pensais trop, moi… Et je suis allée
sur Internet…
– Où t’as trouvé ton bonheur…
– Je crois, oui… Un type de ton âge… Un petit
peu plus… Tout timide à la cam… Tout rougissant…
– Ça te plaît, ça, hein ! Et
donc ? Tu l’as vu…
– Non… Je dois le voir… Il va venir… Il
va arriver… D’un instant à l’autre… Alors… Pour la première fois… Vaudrait peut-être
mieux que tu sois pas là… Après on verra… J’arriverai bien à le
convaincre…
– Ah, ça pour la faire rire ça l’a fait
rire notre Chloé… De bon cœur… Et ça va la faire rire encore un bon bout de
temps… « Non, mais comment il y a cru ! Comment il y a cru que
c’était lui qui les tenait les commandes… Tu l’aurais entendu ! Il se
rengorgeait tout fier… S’il savait ! S’il savait que c’était toi en
réalité… »
– Et si elle, elle savait ! Si elle
savait que c’était vraiment moi…
– Elle ne le croirait pas… Elle a
reconnu mon toucher… ma « patte »… Elle en est persuadée… « Ça
n’a rien à voir… Quand c’est lui, c’est sans nuances… Primaire… Toujours
prévisible… Tandis que toi c’est tout dans la subtilité… Dans la délicatesse…
Un doigté de femme, quoi ! »
– Certitudes, quand vous nous tenez…
– Laissons-les lui…
– On est quand même redoutables tous les
deux dans notre genre, non ?
– Je te le fais pas dire…
Charlélie a hoché la tête…
– Tu es sûr ? Tu es sûr que c’est
la même que la mienne ta Chloé ? Parce que plus je t’entends parler d’elle
et moins je la reconnais…
– C’est la même… Là-dessus aucun doute
possible…
– J’en reviens pas… Comment est-ce qu’on
peut être aussi petite fille sage avec l’un et aussi délurée avec
l’autre ?
– Peut-être – sûrement même – que ça lui
permet de vivre deux facettes complètement différentes de sa personnalité… Ou
bien peut-être qu’elle se comporte, avec chacun de nous, comme elle imagine
qu’il attend qu’elle le fasse ?
– C’est gratifiant pour moi, ça !
– Et pour moi donc !
– J’en reviens pas… Non, j’en reviens
pas… Quand je pense que tu lui fais les fesses… Et qu’il suffit que moi je
fasse mine de m’en approcher de ce côté-là pour qu’elle se mette aussitôt à
pousser des cris d’orfraie…
– Qu’est-ce que t’irais penser
d’elle !
– La même chose que toi, je suppose…
– Bon… Qu’est-ce qu’on fait ?
– Comment ça ?
– On va quand même pas la laisser nous
manipuler éternellement comme ça ?!
– Et alors ? Vous avez décidé
quoi ?
– Rien de concret… On reste en contact…
Et à l’affût… Et à la première occasion…
– Tu lui as dit avec quoi elle se balade
dans le derrière ?
– Ça m’a paru un peu… disons… prématuré…
Parce qu’il a l’esprit relativement large, mais faut rien exagérer non plus…
– Dommage ! Parce que… Imagine !
Elle a apprécié Chloé l’autre jour… Et pas qu’un peu… Alors, si je la pousse un
peu, elle demandera pas mieux que de recommencer… Elle te fera croire que c’est
toi… Elle croira que c’est moi… Et si cette fois c’était lui ? Ce Charlélie…
Qu’on aurait mis dans la confidence ? Ce serait pas génial ?
– Le mot est faible… Bon, ben il y a
plus qu’à…
– Comme tu dis… Il y a plus qu’à…
– Et alors ? Ce type ? Pour
lequel tu m’as mis à la porte l’autre jour… Tu l’as vu ? Il est
venu ?
– Un peu qu’il est venu…
– Et rien qu’à voir ton sourire ravi…
– C’était trop le top, attends… Il
t’avait de ces pudeurs de jeune fille ! J’ai eu un mal fou à arriver à mes
fins… Mais une fois que je l’ai eu en mains ! Tu peux pas savoir…
– Un peu quand même !
– Il a perdu pied… Complètement perdu
pied…
– Et toi, t’as pris le tien…
– Ce que j’aime…
– C’est pouvoir en faire ce que tu veux…
Tout ce que tu veux… Qu’elle soit tout entière à toi… Entre tes doigts… Sous
ton regard…
– Grâce à toi… C’est avec toi que j’ai
pu, pour la première fois, enfin oser… Et maintenant… Mais dis… Si ça t’ennuie
pas…
– Tu préfères que je te laisse…
– Voilà, oui…
– Parce qu’il va arriver…
– Pas lui, non… Un autre…
– Carrément…
Chloé s’est redressée sur un coude…
– T’avais raison, Luc… Il faut qu’on
parle… Parce que c’est vrai… On est en train de s’éloigner tous les deux… À
vitesse grand V…
– Peut-être qu’il y a des raisons… Que
ça doit être comme ça… Qu’on est arrivés au bout de ce qu’on avait à vivre
ensemble…
– Je crois pas, non… Et puis surtout j’ai
pas envie…
– Moi non plus…
– Tout est de ma faute en fait…
– Ben voyons…
– Si, c’est vrai… À cause de ce que je
suis… De tous ces trucs que tu sais, là… Parce qu’il y a des moments je peux
pas m’en passer… Je suis à fond dedans… Il y a que ça qui compte… Et il y en a d’autres
je me hais d’être comme ça, mais je me hais ! Et je t’en veux… Je me dis
que c’est toi qui me retiens là-dedans… Que si t’étais pas là… Alors je prends
mes distances… Je me dis que le mieux, ce serait que je rencontre quelqu’un qui
en serait complètement éloigné de tout ça… Qui me le ferait oublier… Sauf que
ce serait juste mettre un caillou par dessus le couvercle… Et qu’à la première
occasion… Non… La seule solution, ce serait que j’accepte d’être ce que je suis…
Complètement… Peut-être que j’y arriverai à force… Sauf que probable que tu te
seras lassé avant… Si c’est pas déjà fait…
– Tu sais bien que non…
– Je sais pas… Je me demande… Tu sais ce
que je pense ? Ce que je pense qu’il faudrait qu’on fasse ?
– Dis…
– C’est qu’on s’en aille d’ici… Qu’on
coupe les ponts avec les gens qu’on connaît… Parce qu’à force on finit par être
englué dans des trucs… On recommence tout ailleurs… On s’en ferait d’autres des
connaissances… Ensemble on les choisirait…
– Et pourquoi pas ?
– Tu voudrais ? C’est vrai que tu
voudrais ?
– Je suis sûr qu’on s’en trouverait très
bien… L’un comme l’autre…
– Eh ben alors chiche ! Chiche qu’on
le fait…
– Chiche !
– J’en trouverai du boulot… Dans une
autre grande surface… Ça, c’est pas un problème…
Et puis toi, tu… On verra… On en
reparlera… C’est où qu’on va aller ? Faut bien qu’on réfléchisse… Faut pas
qu’on s’emballe… Qu’on soit sûrs de notre coup…
– Qu’on prenne notre temps, oui… Mais
alors on dit rien… À personne… Absolument personne…
– Et quand c’est mûr… Hop, on disparaît…
– En attendant tu sais ce que j’aimerais,
là, maintenant ?
– Oui… Qu’on aille faire un tour… Tiens,
v’là la télécommande…
Putain!
RépondreSupprimerC'est long!
Quand je l'ai publié (http://blog.dunehistoirelautre.net/) c'était en 33 épisodes qui, mis bout à bout, font effectivement un texte assez long... Ça a des inconvénients... Ça a aussi des avantages... Je crois...
RépondreSupprimerLa Fessée, c'est terrible! Moins long http://elleestceleste.blogspot.fr/2012/08/etoile-de-hasard-part-four-flow-la.html
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