jeudi 13 août 2015

Studieuses vacances (Damien)

STUDIEUSES VACANCES






1




– T’as rien fichu… Une fois de plus… Reconnais-le au moins !
Je pouvais difficilement prétendre le contraire… Mon bulletin était calamiteux… J’avais lamentablement échoué au bac de Français… 4 à l’écrit… 6 à l’oral… Et le conseil de classe n’avait consenti que du bout des lèvres à me laisser redoubler ma première…
– Après avoir redoublé ta sixième et ta troisième… Ah, c’est beau ! C’est magnifique… À quel âge tu comptes passer ton bac ? Vingt-huit ans ? Tu t’imagines tout de même pas qu’on va financer tes études jusque là, non ? Alors tu sais pas ? Tu vas aller goûter de la pension… Au moins là-bas tu seras tenu… Et on te forcera à travailler… Que tu le veuilles ou non…
– Ah, non, non ! Pas la pension, non…
– Il fallait y réfléchir avant…
J’ai eu beau supplier… Promettre… Jurer… Ils se sont montrés inflexibles…

Le ciel s’est quelque peu éclairci le surlendemain quand maman est rentrée des courses…
– Vous savez pas ce que j’ai appris ? Eh bien la femme qui vient de louer la grande maison après le cimetière, c’est une ancienne prof de Lettres… Peut-être qu’on pourrait aller la trouver… On sait jamais… Si elle pouvait faire quelque chose pour Julien…
Et papa d’approuver…
– Ça n’engage à rien d’essayer…

Ils en sont revenus enchantés…
– Elle accepte de te prendre en mains… Et se fait fort de te faire avoir ton bac de français… C’est une chance inouïe… Tâche de ne pas la laisser passer…
– Et j’irai pas en pension ?
– Oui, oh, alors ça on verra… On verra avec elle… Le moment venu… Si elle estime que tu as fait suffisamment d’efforts… Que tu es à niveau… On pourra peut-être reconsidérer notre décision… Mais on n’en est pas encore là…

J’ai fait sa connaissance, le lendemain, sur le pas de sa porte… Une grande femme à la peau parcheminée devant laquelle je me suis aussitôt senti mal à l’aise… Coupable… Sans trop savoir de quoi au juste… De n’avoir rien fichu en classe, oui… Mais d’autre chose… Au-delà… Bien plus grave… Sur quoi il m’était impossible de mettre un nom…
Elle m’a longuement examiné des pieds à la tête de ses petits yeux gris acier…
– Alors comme ça c’est toi ! C’est toi qui as raté ton bac de français ! Qui as un poil dans la main long comme ça…
J’ai voulu bredouiller quelque chose. Elle a haussé les épaules…
– Bien sûr que si ! Tu le portes sur ta figure… Bon, mais entre ! Assieds-toi ! Non pas là… Là…
Devant une grande table de l’autre côté de laquelle elle a, elle aussi, pris place…
– On va commencer par voir ce que tu sais faire… Tiens, lis !

– « Comme Mlle Lambercier avait pour nous l’affection d’une mère, elle en avait aussi l’autorité, et la portait quelquefois jusqu’à nous infliger la punition des enfants quand nous l’avions méritée. Assez longtemps elle s’en tint à la menace, et cette menace d’un châtiment tout nouveau pour moi me semblait très effrayante ; mais après l’exécution je la trouvai moins terrible à l’épreuve que l’attente ne l’avait été, et ce qu’il y a de plus bizarre est que ce châtiment m’affectionna davantage encore à celle qui me l’avait imposé… »
Elle m’a interrompu d’un claquement de doigts…
– Tu connais ce texte ?
– Pas du tout, non…
– Tu le situes à quelle époque ?
– Je sais pas, mais assez vieux quand même…
– Eh bien ça promet… Tu peux au moins me dire de quoi il s’agit ?
– D’une punition…
Elle a levé les yeux au ciel…
– D’une punition, oui… Laquelle ?
J’ai rougi, balbutié…
– Je… je crois… je crois bien… que c’est une fessée…
– Evidemment que c’est une fessée… Que veux-tu que ce soit d’autre ? Et sans doute que si tu en avais reçu plus souvent tu n’en serais pas là aujourd’hui… À devoir passer tes vacances à combler tes lacunes… Non, tu ne crois pas ? Eh bien réponds !
– Je sais pas…
– Eh bien moi, je sais ! Et je te conseille de te mettre sérieusement au travail, mon garçon… Très sérieusement…

2


Je me suis effectivement mis au travail… Avec la meilleure volonté du monde et la ferme intention de réussir à échapper à la pension… Seulement j’avais accumulé un tel retard que le résultat était loin de répondre à mes attentes… Et aux siennes… Elle fronçait les sourcils, pinçait les lèvres, poussait des soupirs accablés…
– T’es vraiment un flemmard-né, hein !
– Ah, mais non… Non… J’ai travaillé, je vous assure…
– Et menteur en plus… Un gamin… Un véritable gamin… Qui mériterait des paires de claque… Et, de temps à autre, une bonne fessée… Histoire de lui remettre les idées bien en place… Bon, mais tu sais pas ? On va en rester là… Ça sert à rien… Je perds mon temps… Alors rentre chez toi… J’irai trouver tes parents… Je leur expliquerai que c’est pas la peine… Que tu es une véritable loutre… Que ton cas est désespéré…
– Oh, non, s’il vous plaît, non… Je travaillerai… De toutes mes forces… Je vous en prie… Je vous en supplie… Ils vont me mettre en pension sinon…
– Tu serais pas le premier… Et ce serait quand même pas un drame…
– Oh, si, ce serait un drame, si ! Vous la connaissez pas leur pension… En Suisse elle est… Une vraie prison… Non… Et puis surtout…
– Et puis surtout ?
– Je pourrais plus la voir ma copine… Émilie… Qu’aux vacances… Et ça…
– Oui… Bon… Alors écoute-moi bien… Je veux bien te laisser une dernière chance…
– Oh, merci… Merci…
– On va, pour le moment, laisser tes parents en-dehors de tout ça… Par contre tu vas travailler… Et travailler vraiment… Pas faire semblant… Sinon je sévirai… C’est bien compris ? On est bien d’accord ?
On l’était… Oui… Oui…

Je suis rentré à la maison fou de joie : la terrifiante perspective de la pension s’était momentanément éloignée… Fou de joie et perplexe… Elle avait dit que, le cas échéant, elle sévirait… Elle entendait quoi par là ? Quand même pas que… Pas à mon âge… À presque vingt ans… Non… Évidemment non… C’était pas possible… Oui, mais alors si c’était pas ça c’était quoi ?.Ça pouvait être quoi ? Je voyais pas… Je voyais vraiment pas… N’importe comment il se poserait pas le problème… J’allais travailler… D’arrache-pied…

– Parce que t’appelles ça une dissertation ? Même un très médiocre élève de troisième aurait fait beaucoup mieux… Une fois de plus tu n’as rien fichu… C’est vraiment une habitude chez toi, hein… Bon… Mais tu sais ce qui t’attend… Une bonne fessée… T’étais prévenu…
– Je…
– Il n’y a pas de « je » ni de « mais » qui tienne… Viens ici ! Approche !
Elle a éloigné sa chaise de la table…
– Plus près ! Encore ! Allez ! Là… Et déculotte-toi !
Je lui ai lancé un regard implorant…
– Ah, on a passé un contrat tous les deux, hein ! Alors ou tu le respectes ou ça va être vite vu… Tu rentres chez toi et…
– Non ! Non !
– Eh bien allez alors ! Et tout t’enlèves… Tout…
Je l’ai fait… Je me suis exécuté… Tête basse… J’ai tout quitté… Tout abandonné… À même le tapis… Et j’ai attendu… Longtemps… Sans oser relever la tête… Une éternité… Sans oser la regarder…

Elle m’a brusquement saisi par le bras, sèchement fait basculer en travers de ses genoux où elle m’a solidement calé… J’ai crispé les fesses dans l’attente du premier coup… Qui n’est pas venu… Pas tout de suite…
– On va promettre de travailler correctement ?
– Oui…
– D’y consacrer tout sa volonté et toute son énergie ?
– Oui…
– De ne pas perdre son temps à des amusements sans consistance ?
– Oui…
– Parfait…
Et c’est tombé. Sonore. Dru. A grandes claques vigoureusement lancées. De plus en plus vigoureusement. De plus en plus vite. Ça a piqué. Ça a mordu. Ça a brûlé. Ça a fait crier. Battre des jambes dans tous les sens. Ça a continué. Ça a ralenti. Ça s’est arrêté…
– Là… Tu peux te rhabiller… Et maintenant au travail !

– Ah, ben voilà ! Voilà ! Voilà enfin un devoir digne de ce nom… C’est pas trop tôt… Mais c’est quand même malheureux, avoue, que, pour en arriver là, il ait fallu te punir comme un gamin de huit ans… À ton âge tu devrais quand même avoir assez de plomb dans la cervelle pour avoir conscience que c’est ton avenir que tu prépares et agir en conséquence… Mais non ! Tu préfères gaspiller ton temps à je ne sais quelles billevesées… Eh bien on saura à quoi s’en tenir dorénavant… On saura qu’avec toi la seule méthode qui soit efficace, c’est celle qui te fait rougir le derrière… Bon, mais allez ! Tu as ton livre ?

3


Je me rendais désormais tous les après-midis chez Mademoiselle Lancel… Elle en avait décidé ainsi…
– T’as accumulé un tel retard que ce ne sera vraiment pas de trop…
Je ne m’y rendais pas sans appréhension : j’avais beau m’être appliqué, avoir consacré un temps infini aux travaux qu’elle m’avait imposés, je redoutais qu’elle ne se montre néanmoins mécontente du résultat et qu’elle ne veuille m’imposer à nouveau cet humiliant châtiment… Mais non ! Elle paraissait satisfaite, me complimentait même parfois, ne me parlait en tout cas plus de quelque punition que ce soit…

Émilie était en vacances… J’attendais son retour avec impatience… Et un peu d’inquiétude… Comment allais-je parvenir à concilier mes cours avec nos moments à nous ? La question s’est posée beaucoup plus tôt que prévu, mes parents ayant inopinément décidé de partir passer une semaine à Rome… Elle m’est tombée dessus le lendemain de leur départ… Sans crier gare… Au retour de chez Mademoiselle Lancel, je l’ai trouvée confortablement installée dans le canapé du salon…
– Émilie ! Mais qu’est-ce que tu fais là ? C’était pas le 25 que tu devais rentrer ?
– Si ! Mais je m’emmerdais trop, attends, là-bas… C’était à mourir d’ennui… Et puis j’arrêtais pas de penser que tes parents avaient fichu le camp… Que c’était l’occasion ou jamais nous deux… Qu’on aurait la maison pour nous tout seuls…
On s’est jetés dans les bras l’un de l’autre…
– J’ai envie… Non, mais comment j’ai envie… Trois semaines que j’attends ça…
Et on est montés dans ma chambre… On a roulé sur le lit… On a fait l’amour… Toute la soirée… Plus de la moitié de la nuit…
Au petit matin j’ai voulu me lever sans bruit… Aller m’installer à mon bureau… Elle m’a retenu… Agrippé…
– Qu’est-ce tu fais ? Où tu vas ?
– Travailler… J’ai mon cours de français tout-à-l’heure… Et si j’arrive sans avoir rien fichu elle va vraiment pas apprécier…
– C’est pas pour une fois…
– Tu la connais pas !
Elle n’a pas répondu… M’a piqueté de petits baisers dans le cou… Sur le torse… Plus bas… Je suis resté…

J’ai décidé de jouer franc jeu… De toute façon j’avais pas le choix… Je l’ai appelée Mademoiselle Lancel… Pour lui dire que j’avais un empêchement… Que je ne pouvais pas venir…
– Quel empêchement ?
– C’est-à-dire que… C’est pas facile à expliquer… Mais je viendrai demain… Sans faute…
– Quel empêchement ?
– J’ai pas travaillé… J’ai pas pu…
– Et la raison ?
– Il y a Émilie, ma copine, qu’est revenue de vacances… Plus tôt que prévu…
– Et c’est une excuse ?
– Oui… Enfin non… Seulement…
– Seulement quoi ? Je t’attends… Dans un quart d’heure tu es chez moi…

J’y étais…
– Je suis désolé…
– Oh, tu peux… Tu es incorrigible, hein ! Toujours à privilégier l’amusement au détriment de l’essentiel…
– Ce n’est pas de l’amusement…
– Ça, c’est ce dont tu t’efforces de convaincre cette jeune fille, mais tu n’en crois pas toi-même un mot…
– Ah, si, si ! Je vous assure…
– Bien sûr que non ! Bon, mais là n’est pas la question… La question, c’est que cette jeune personne t’a complètement fait rater ton année scolaire et qu’à l’évidence elle est bien décidée à réciciver… Si bien qu’on est en droit de se demander si, finalement, la pension ne serait pas la meilleure solution… Voire même la seule…
– Oh, non… Non…
– Ça, ce n’est pas à toi d’en juger… Je vais y réfléchir… Bon, mais en attendant montre-moi ce que tu as fait…
– Mais rien ! Rien ! Je vous ai dit tout à l’heure au téléphone…
– Dans ces conditions… Tu sais ce qui va se passer, je suppose… Et inutile de soupirer…
– Je soupire pas…
– Pas avec moi, mon garçon… Pas avec moi… Tu as soupiré… Et je te conseille de le prendre sur un autre ton si tu ne veux pas aggraver ton cas… Bon, mais en attendant tu sais ce qu’il te reste à faire…
Je savais, oui… Me déshabiller… J’avais pas le choix… Me déshabiller… Tout enlever… Et me laisser basculer en travers de ses genoux… Elle m’y a calé… Et elle a tapé… Fort… Beaucoup plus fort que l’autre fois… Et beaucoup plus longtemps… J’ai crié… Je l’ai suppliée d’arrêter… Elle ne l’a pas fait… Au contraire… Encore plus fort elle a tapé…
– Et tu verras… Tu verras… Tu comprendras plus tard… Tu me remercieras…

4


Je n’y avais pas pensé… Pas une seule seconde… Ni pendant qu’elle « officiait » ni avant… Je ne me serais pas laissé faire sinon… Sûrement pas… C’est sur le chemin du retour que j’ai soudain réalisé… Émilie ! Pas question qu’elle se rende compte de l’état de mon derrière… Ah, non alors ! J’en mourrais de honte… Sauf que… j’allais faire comment ? Parce qu’elle rentrait tout juste de vacances Émilie… Et qu’elle était très demandeuse… Faire ça sans me déshabiller ? Elle allait se poser dix mille questions… M’en poser quinze mille… Et finirait par vouloir aller voir elle-même de quoi il retournait au juste… Insisterait jusqu’à avoir gain de cause… Ou agirait par surprise… C’était beaucoup trop risqué… Non, la seule solution…

– Écoute, Émilie… Faut qu’on parle…
– J’aime pas quand tu prends ton air sérieux comme ça… C’est quoi le problème ? Tu m’aimes plus, c’est ça ? T’en as une autre ?
– Oh, tout de suite !
– C’est quoi alors ?
– C’est que si je vais en pension en Suisse à la rentrée on pourra plus se voir… Ou alors que tous les tournants de lune…
– Je sais bien, oui…
– Et je ne pourrai échapper à la pension que si Mademoiselle Lancel est satisfaite de moi… Que si elle estime que j’ai fait suffisamment d’efforts… Sinon… Et je connais mes parents… Ils se montreront inflexibles…
– Oui… Bon… Et alors ?
– Et alors elle était furieuse après moi aujourd’hui… Et si ça se reproduit, je donne pas cher de ma peau…
– Qu’est-ce t’es en train d’essayer de me dire, là ? Que c’est moi qui t’empêche de travailler ?
– Reconnais que si j’ai rien fichu ce matin…
– C’est de ma faute ! Mais bien sûr !
– Quand on est ensemble on passe tout notre temps au lit… On peut pas s’empêcher… Alors forcément…
– C’est quoi que tu proposes du coup alors ? Qu’on se voie plus ?
– Mais non… Non… Bien sûr que non… Mais seulement quand je serai à jour du boulot qu’elle me donne… Que je courrai pas de risque… Et toi non plus par contre-coup…
– Mouais… Mouais…
Elle a fini par se laisser convaincre… Non sans mal…
– Mouais… Mouais… Et quand est-ce qu’on se voit alors, la prochaine fois ?
– Dans deux-trois jours… Je te ferai signe… Je te dirai…
Oui… Dans deux-trois jours… Que les marques aient le temps de disparaître…

Trois jours, c’est effectivement le temps qu’il a fallu pour qu’elles se soient complètement effacées… On allait pouvoir se voir avec Émilie… On allait pouvoir… Le soir même… J’allais l’appeler… Lui donner le feu vert… Sauf que l’après-midi…
– Alors ça t’a pas suffi ? Tu recommences ?
– Hein ? Ah, mais non, non… Je…
– Bien sûr que si ! C’est nul ce que t’as fait là… Il y a longtemps que t’avais pas fait quelque chose d’aussi nul… Tu sais ce que ça signifie…
– Oh, non !
– Bien sûr que si ! Et je sais vraiment pas pourquoi tu t’obstines à protester… À chaque fois… Parce que tu sais bien que de toute façon tu n’y couperas pas…
Je me suis bravement lancé…
– Oui, mais ma copine…
– Quoi, ta copine ?
– Ben, je vais pas pouvoir avec elle… Je veux pas qu’elle s’aperçoive…
– Oui… Ben, c’est pas plus mal… Ça te permet de te consacrer à l’essentiel… De toute façon cette fille t’a causé suffisamment de tort comme ça, non, tu crois pas ?
– Émilie ? Oh, non… Non…
– Ben, voyons ! T’as complètement raté ton année scolaire à cause d’elle… Rien que ça ! Et t’as le front de venir me dire… Bon, mais de toute façon, si je parviens à t’éviter la pension, il va falloir régler ce problème… D’une façon ou d’une autre… Les mêmes causes produisant les mêmes effets… Pas question qu’elle continue à te perturber tes études… Mais chaque chose en son temps… En attendant tu te déshabilles…
– Ça peut pas attendre demain ?
– C’est hors de question…
– Oh, s’il vous plaît…
– J’ai dit : Tu te déshabilles…
Je me suis exécuté…
– Approche ! Tu sais bien comment ça se passe… Tu commences à avoir l’habitude… Là… Installe-toi bien… Ça risque d’être un peu long aujourd’hui… Il faut que ça marque… En profondeur… Puisque c’est le seul moyen pour que tu te consacres vraiment à ton travail…
Ça a été long… Et ça a marqué…

5-


– Coucou… C’est moi…
Émilie…
– Je t’avais dit que je te ferais signe…
– Oui, mais t’avais aussi dit deux jours… Ça fait deux jours… Pile-poil… Et je suis en manque… Alors, allez !
– Non, attends !
– Attendre ? Attendre quoi ? Tu vas pas encore remettre ça avec tes histoires de devoirs de vacances… C’est pas parce qu’on va passer une heure ensemble… T’auras bien le temps de bosser après n’importe comment…
Elle m’a poussé vers le lit… Fait tomber dessus… Couchée sur moi, elle a cherché mes lèvres…

Elle s’est nichée au creux de mon épaule…
– C’était bon… Comment c’était bon… Pas toi ?
– Si ! Oui…
– Faut dire qu’est-ce que j’avais envie aussi ! Et qu’est-ce que j’ai encore envie !
On a recommencé… Et on s’est endormis…

– Hein ? Mais qu’est-ce que c’est que ça ?
Réveillé en sursaut, je me suis précipitamment remis sur le dos… Ai tiré drap et couverture sur moi…
– Non, mais attends ! Fais voir ! Fais voir, j’te dis !
Elle n’a eu de cesse qu’elle ne m’ait fait retourner… Ce que, de guerre lasse…
– Mais oui ! Une fessée tu t’es pris… Et une bonne ! Non, mais c’est pas vrai que tu t’es pris une fessée ! C’est qui ?
– C’est rien… C’est personne…
Et j’ai voulu me lever…
– Non, non, non, non, non… Tant que tu m’auras pas dit… Dis-moi ! C’est qui ?
– Oh, mais elle ! Tu te doutes bien…
– Qui ça, elle ? La bonne femme qui te donne des cours ? C’est trop, ça ! Et pourquoi elle t’en donne ? Pour te faire bosser, ben oui, évidemment ! Et c’est pour ça que… Ah, ben oui ! Oui… Je comprends mieux maintenant pourquoi t’es aussi acharné à te plonger le nez dans tes bouquins… C’est que t’as pas envie de t’en ramasser une… Comme quoi ça marche… Avec toi ça marche… Mais ça, ça m’étonne pas… C’est bien plus tôt qu’elle aurait dû te prendre en mains en fait… Ça t’aurait évité de perdre ton temps… Et de redoubler à tire-larigot… »
– Bon, allez, faut que j’y aille…
– Non… Attends !  T’as bien deux minutes… C’est pas l’heure… Ça te fait mal quand je touche ? Et là ? Non plus ? Et si j’appuie ? Ah, oui, hein ! Ça devait être pire au début, non ? Qu’est-ce tu sentais ? Ça devait drôlement brûler, non ? À quand ça remonte ? Deux jours… Ben oui… Forcément puisque c’est deux jours que t’avais dit qu’on resterait sans se voir… Sauf que c’est raté… Elles sont restées les marques… Bien fait pour toi… Ça t’apprendra à vouloir me cacher des trucs…Pourquoi tu voulais pas que je sache ? T’avais honte, c’est ça ? Et là-bas, quand elle te le fait, t’as honte ? Oui… Évidemment… Tu me dirais le contraire… Comment ça se passe ? C’est elle qui te déculotte ou bien elle veut que tu le fasses toi-même ?
– Je vais être en retard… Cette fois je vais être vraiment en retard…
– Et alors ? Elle t’attendra bien cinq minutes, non ?
– J’y vais… Faut que j’y aille…

– Bien… Alors comme convenu je suis allée trouver tes parents… Et nous sommes tombés d’accord : tu poursuivras tes études dans le même établissement que l’année dernière…
– Merci… Oh, merci…
– À charge pour moi de faire en sorte que tu réussisses ton année… Je m’y suis engagée… Et j’ai bien l’intention d’y parvenir… Donc, outre les dispositions que nous avons déjà prises, toi et moi, concernant cette jeune fille, – et dont je ne leur ai évidemment pas fait part… Cela ne nous concerne que tous les deux – il a été décidé que tu te présenterais chez moi tous les mercredis et tous les samedis, en début d’après-midi, muni de ton carnet de correspondance, de ton cahier de textes et de tous les travaux, dans toutes les matières, que tu auras réalisés dans la semaine… J’aviserai alors sur pièces et déciderai de la conduite à tenir…
– Est-ce bien clair ?
Ça l’était, oui…
– Autre chose… Tu connais certainement Madame Lambredec…
– C’était ma prof d’Histoire l’année dernière…
– C’est également une vieille amie à moi… Je lui ai parlé de toi… Elle va faire en sorte de te compter parmi ses élèves cette année encore… Et elle me rendra compte, au jour le jour, de la façon dont tu te comportes…
– Vous lui avez dit ? Vous allez pas lui dire ?
– Que… ? J’ai été amenée à utiliser, avec toi, des méthodes qui ont fait leurs preuves ? Pas encore, non… Je ne le ferai que si j’y suis contrainte par ton attitude ou tes résultats… À bon entendeur…

– Alors ? Elle t’en a mis une aujourd’hui ?
– Non…
– C’est sûr, ça ? Tu me racontes pas encore une grosse menterie ? Fais voir…

6

Eh ben voilà ! Quelqu’un lui avait dit à Mademoiselle Lancel que, le soir, j’allais faire un petit tour au café avec les copains. Et quelquefois – souvent – le samedi aussi. Et le dimanche. Qui ? Qui ça pouvait être ? Lambert ? Avec qui j’avais eu des mots un jour… Il la connaissait pas… Ça tenait pas debout… Aucun d’eux ne la connaissait… Ou alors comme ça… De loin… Il n’y avait aucune espèce de raison que qui que ce soit soit allé lui raconter quoi que ce soit… Non… Il y avait un mystère là-dessous… Vraiment un mystère… Oh, mais j’en aurais le cœur net… En attendant, j’étais dans de beaux draps… Il allait falloir la jouer fine avec Mademoiselle Lancel… Parce que les copains, ça, pas question que je m’en passe…

– Qu’est-ce t’as ?
– Rien…
– Mais si, t’as quelque chose… Je le vois bien… T’as la tête complètement ailleurs… Depuis une heure que je suis là, c’est tout juste si tu m’as adressé deux fois la parole… Ah, c’est agréable, on peut pas dire…
– Non, mais c’est parce que… il y a quelqu’un qu’est allé lui raconter des trucs à Mademoiselle Lancel… Un copain sûrement… Mais je sais pas lequel…
– Quels trucs ?
– Que le soir, de temps en temps, j’allais faire un petit tour au café…
– De temps en temps ? T’y es tout le temps fourré…
– Oh, quand même !
– Ah, si ! Si ! Et c’est pas un petit tour… T’y passes carrément des heures…
– Si on peut même plus…
– Si tu peux même plus quoi ? T’enfiler des bières comme des bières… L’une sur l’autre… En racontant conneries sur conneries…
– Oui… Alors si je comprends bien, t’es de son côté, quoi !
– Je suis pas de son côté, non ! Seulement je vois ce que je vois… Et ce que je vois, c’est qu’en plus de te ruiner la santé, tu bousilles ton avenir…
– Oui, maman !
– Fais bien de l’humour ! Ce que je vois, c’est qu’elle aurait mieux fait de t’y laisser partir en pension… Qu’au moins, là, t’aurais bossé…
– Sauf que pour nous deux…
– Oh, arrête, s’il te plaît, arrête avec ça ! C’est pas pour les quelques instants dont tu me fais l’aumône par ci par là entre deux beuveries…
– J’en ai marre… J’en ai marre de cette bonne femme… Parce qu’on est en train de s’engueuler, là… Et à cause d’elle… Oh, mais je vais sûrement pas la laisser mettre la zizanie entre nous… Il va y avoir explication… Et puis d’abord, pour commencer, ça va être fini de me corriger comme un gamin de douze ans… Et elle pourra bien me menacer de la pension et de tout ce qu’elle veut…
– Elle a plus besoin de ça… Elle a pris le pas sur toi… Et elle t’en flanquera une chaque fois qu’elle l’aura estimé nécessaire…
– Oui, ben alors là, c’est ce qu’on va voir…
– C’est tout vu… Et c’est ce qui peut t’arriver de mieux… Parce qu’il y a qu’elle qui peut te mettre un peu de plomb dans la cervelle…

J’ai attaqué bille en tête…
– Je voulais vous dire…
– Oui ?
– J’ai décidé… Enfin je voudrais… Je préfèrerais…
– Que ?
– C’est plus de mon âge…
– Qu’est-ce tu me chantes là ? De quoi tu me parles ?
– Ben, vous savez bien…
– Je sais rien du tout… Tu devrais t’efforcer d’être plus clair…
– Que vous me corrigiez…
– Eh bien ?
– Je veux plus…
– Et en quel honneur, s’il te plaît ?
– Parce que…
– Ah, ça, c’est un argument, on peut pas dire… Bon, mais je vais être très claire… Pour ça, comme pour le reste, c’est moi qui décide… Et je vais te le prouver… D’abord tu commences par baisser les yeux…
J’ai obéi… À contre-cœur, mais j’ai obéi…
– Et maintenant tu te déculottes…
– Mais…
– J’ai dit : tu te déculottes… Et tu te dépêches ! Alors ? Fais attention, Damien ! Fais bien attention !
Et je me suis déculotté…
Elle m’a projeté, d’une grande bourrade dans le dos, au pied du canapé…
– Celle-là, tu vas m’en dire des nouvelles…


7


Ils sont venus me chercher… Kevin… Baptiste… Arthur… Tous les trois…
– Ben alors ! Arrive ! Qu’est-ce tu fous ? On te voit plus… Tu nous snobes ou quoi ?
– Mais non, mais…
– Mais quoi ?
– C’est la rentrée…
– Et alors ? Ça change quoi ? Ça t’empêche pas de venir boire un coup vite fait la rentrée…
– Si je foire encore mon année…
– Elle fait que commencer l’année… T’auras tout le temps de te rattraper après… Et puis, de toute façon, pour ce que ça sert les études… T’as neuf chances sur dix de finir chômeur… Comme tout le monde… Alors franchement on voit pas ce que tu t’emmerdes…
– Il y a aussi ma copine… Qui commence à me battre froid… Et grave…
– Raison de plus ! Une nana, si tu commences à la laisser décider à ta place de ce que tu dois faire ou pas, t’es fichu… Elle va pas arrêter de te monter dessus… Et tu finiras en laisse… Comme un bon toutou… C’est quand même pas ça que tu veux, merde !
Ils ont pas lâché le morceau… Tant et si bien que j’ai fini par céder…
– Bon, mais vite fait alors !
– Mais oui… Juste le temps de s’en jeter un petit et on se ramasse…
Quatre heures après j’y étais encore… Sans pouvoir en profiter vraiment : je pensais à Émilie… Qui devait m’attendre… Qui m’attendait forcément… Émilie dont j’appréhendais la réaction… Maintenant que Mademoiselle Lancel lui montait la tête… Elle ne me cafarderait pas, non… Elle n’était pas comme ça… Elle n’irait pas jusque là… Mais elle allait me mener la vie impossible… J’allais avoir droit à des reproches à n’en plus finir…

Elle dormait… Elle dormait paisiblement… Je me suis glissé à ses côtés sans bruit…

Au réveil, pas une remarque… Pas une réflexion… Rien… Elle ne faisait même pas la gueule… Elle était lisse… Neutre… Comme s’il ne s’était rien passé… Ou comme si elle s’en fichait complètement…

Mademoiselle Lancel, par contre, quand je me suis présenté chez elle, en début d’après-midi, a attaqué d’emblée…
– T’étais où hier soir ?
La garce ! Elle lui avait dit… La sale petite garce hypocrite… Elle n’avait rien eu de plus pressé que de venir pleurer dans son giron…
– Eh bien ? J’attends…
Inutile de nier… J’allais perdre mon temps… Et l’indisposer un peu plus encore contre moi…
– Non, mais c’est parce que…
– Parce que quoi ?
Parce que rien… Aucune excuse valable ne me venait à l’esprit…
– Fallait qu’on parle…
– Oh, mais je n’en doute pas… Vous avez certainement une foule de choses à vous dire… Ce qui tombe bien d’ailleurs… Moi aussi, j’ai des choses à te dire… Dont je suis sûre que tu les entendras beaucoup mieux les fesses à l’air…
Je n’ai pas protesté… Je me suis exécuté… Agenouillé, comme d’habitude, au bord du canapé… De toute façon je n’y couperais pas… Alors plus vite on en aurait fini… Mais ça n’est pas venu… Derrière moi elle ouvrait des tiroirs… Déplaçait des objets… Ne me prêtait plus la moindre attention…
On a sonné…
– Tu ne bouges pas… Tu restes comme ça…
Des chuchotements dans le couloir… Ça s’est rapproché…
– Regarde qui c’est qu’est là !
Émilie ! Non, mais c’était pas vrai que… Émilie !
– Non, non… Tu bouges pas, je t’ai dit… Ah, tu veux pas comprendre ? Eh bien je peux te dire que cette fois tu vas comprendre…
C’est tombé d’un coup… Une morsure de martinet… Une seule… Mais d’une force ! J’ai hurlé… De douleur tout autant que de surprise…
– Alors comme ça, c’était bien les copains hier soir ? Ah, ben tant mieux ! Tant mieux ! J’espère que t’en as bien profité… Parce que maintenant une autre paire de manches ça va être…
Trois autres cinglées… Très rapprochées… Une quatrième…
– Oui… Donc… Tu disais que tu t’es bien amusé hier soir… Ce qui veut dire que t’en as bu combien ?
– Pas beaucoup… Presque pas…
Une salve… Sept ou huit coups…
– Ça fait mal…
– Ah, ben ça, je sais, oui… T’en as bu combien ?
– Je sais plus au juste… Cinq… Six… Quelque chose comme ça…
– Ce qui veut certainement dire une dizaine… Ou une douzaine…
Et ça s’est abattu… À toute volée…
– Là… C’est tout pour aujourd’hui… Et la prochaine fois, s’il y en a une, mais il y en aura sûrement une, c’est Émilie qui se chargera de te remettre elle-même les idées en place…


8


J’ai joué mon va-tout…
– Émilie ?
– Oui… Quoi ?
– Tu tiens à ce que ça dure tous les deux, non ?
– T’as de ces questions idiotes par moments… Tu sais très bien que oui…
– Moi aussi… J’y tiens plus que tout au monde… Seulement il y a des trucs dont j’ai besoin… Vraiment besoin… Si je les ai pas…
– Tu fais allusion à tes beuveries, je suppose…
– À mes copains…
– À tes copains de beuverie…
– Oh, tout de suite… C’est pas parce que de temps à autre…
– De temps à autre ? C’est sans arrêt… Bon, mais j’ai pas du tout l’intention d’avoir avec toi d’interminables et stériles discussions à ce sujet-là… Alors écoute-moi bien… Je suis fermement décidée à ne pas te laisser te détruire… À ne pas te laisser NOUS détruire… Et je ferai ce qu’il faut pour…
– C’est-à-dire ?
– Tu le sais très bien…
– Oui… Alors ça il n’en est pas question…
– C’est ce qu’on verra…
– Parce que t’imagines que je vais me laisser faire…
– Bien sûr que oui… Sinon… Sinon il y aura beaucoup de monde au courant des fessées qu’elle t’a données Mademoiselle Lancel…
– Et Mademoiselle Lancel par ci… Et Mademoiselle Lancel par là… Il y a plus qu’elle qui compte… Vous commencez à me faire chier toutes les deux, mais vraiment chier !
Et j’ai claqué la porte…

Ils étaient tous là mes copains…
– Qu’est-ce qui t’arrive ? T’en fais une tête !
– Oh, rien ! Des conneries…
– Tu t’es engueulé avec Émilie, c’est ça ?
– Laisse tomber, j’te dis…
– Bois un coup, tiens ! Ça ira mieux…
J’ai bu un coup… Un autre… D’autres… On a plaisanté… On a ri… Plein de coups… Des copains de copains se sont joints à nous… Encore plus de coups… Ça s’est mis à tourner… À chavirer… J’ai vaguement entendu quelqu’un avertir dans le lointain…
– Attention ! Il va tomber…
On m’a retenu… Porté… Allongé… Je me suis endormi…

Encore des voix…
– Il peut pas rester là… Faut le ramener…
On m’a chargé dans une voiture… Ça a roulé… Ça s’est arrêté… On m’a descendu…
– Putain, il est lourd…
– C’est qu’il est plein…
– Me fais pas rire… Je vais le lâcher…
Et puis la voix d’Émilie brusquement…
– Qu’est-ce qui se passe ?
– On te ramène le colis…
– Ah, ben d’accord ! Et vous êtes fiers de vous ?
– Oui, oh, ben, on n’y est pour rien, nous, hein ! On lui a pas collé dans le gosier…
– Encore bien beau qu’on te le ramène…
– Tu te démerderas avec la prochaine fois si ça te va pas…
Et ils ont dévalé l’escalier…
– Aide-moi à le déshabiller Lisa…
Lisa… Sa copine Lisa… Qu’est-ce qu’elle fichait, là, elle ?
Leurs mains sur moi… À me dépiauter…
– Vas-y ! Vas-y ! Tout on lui enlève… Parce que s’il dégueule… Là… Et maintenant on le laisse cuver… Mais il perd rien pour attendre…

– Alors ? On a dessaoulé ?
– Comment j’ai mal au crâne…
– Oui, ben maintenant, c’est ailleurs que tu vas avoir mal…
Et elle a brandi un martinet…
– Non, Émilie… S’il te plaît, non…
J’ai désespérément tenté de me redresser… De me relever… Sans succès…
Elle a cinglé…
– Combien t’en as bu ? Vingt ? Trente ? Allez, on va dire vingt-cinq… Ça fera une moyenne… Alors vingt-cinq coups ce sera…
Elle ne m’a fait grâce d’aucun… À pleines fesses… Malgré mes supplications… Malgré mes cris à la fin…
– Là ! Et recommence pour voir…

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