1 -
Deux femmes au bord de la route. Deux femmes dont les mains se lèvent
simultanément dans ma direction, quand je passe à leur hauteur. Qui pointent
vers moi quelque chose de rouge et de sphérique. Quelque chose qui me force à
m’arrêter. Mes jambes ne m’obéissent plus. Mes bras ne m’obéissent plus.
Impossible de bouger la tête. Elles s’approchent. Tout près. Débouchent un
flacon dont elles me font respirer le contenu. Tout chavire. Je perds connaissance…
Quand je reviens à moi, je suis dans un camion qui roule à
vive allure, assis, entravé, au beau milieu d’une douzaine de compagnons
d’infortune que les cahots de la route projettent les uns contre les autres.
– Qu’est-ce que je fais là ? Qu’est-ce qui s’est
passé ? Où on va ?
Mon voisin hausse les épaules.
– On est prisonniers.
– Prisonniers ? Mais de qui ?
– Des Cythriens. Ou plutôt des Cythriennes. Ce sont
elles qui ont le pouvoir là-bas.
– Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’on a fait ?
Qu’est-ce qu’elles nous veulent ?
– Elles ont besoin de main-d’œuvre. Alors de temps en
temps, comme ça, elles viennent se servir.
– Mais elles n’ont pas le droit !
Il éclate de rire.
– Parce que tu crois que ça les préoccupe ? Et qui
pourrait les en empêcher ? Nos dirigeants ? Depuis la catastrophe de
2072, ils sont réduits à l’impuissance la plus totale. S’opposer à elles ?
Avec quoi ? Comment ? On n’a plus d’armée. Plus de police. On n’a
plus rien. On serait laminés. Exterminés. Alors ils n’ont pas d’autre choix, en
haut lieu, que de laisser faire et de cacher, autant que faire se peut,
l’existence de ces expéditions qu’ils sont incapables d’empêcher. Inutile
d’affoler les populations.
Un grand rouquin intervient.
– Comment tu sais tout ça, toi ?
– Disons, pour faire bref, que, depuis des années, les
Cythriens me fascinent. Parce que voilà des gens que le grand cataclysme n’a
pas épargnés. Pas plus que le reste du monde. Mais qui ont réussi, en se
repliant sur eux-mêmes, en se coupant totalement de l’extérieur, à s’en sortir
et à développer, pour autant qu’on puisse en juger, une civilisation très
largement supérieure à la nôtre.
– Alors ça, je demande à voir. Parce que personne n’y
est jamais allé. Ou, du moins, n’en est jamais revenu.
– On va pas tarder à être fixés n’importe comment.
Le camion s’immobilise. Du silence. Un très long silence. Et
puis des voix. Féminines. Une langue étrangère. Ça s’éloigne. Ça revient. Les
bâches se soulèvent. Elles sont quatre, en uniformes verts, armées de longs
fouets. Quatre qui nous font descendre, un par un, nous poussent vers un vaste
bâtiment de brique rouge. Elles nous propulsent dans une grande pièce aux murs
clairs, aux larges baies vitrées, où elles nous ordonnent, par gestes, de nous
déshabiller. Complètement. Et vite. Les cravaches zèbrent l’air. Plus vite…
Plus vite… Nus. Tout nus. Mon voisin de tout à l’heure est projeté sans
ménagement vers une porte, au fond, derrière laquelle il disparaît. Un autre
lui succède. Un autre encore…
À mon tour. Derrière un bureau de bois sombre trône, entre
deux assistantes, une grande jeune femme brune au regard inquisiteur.
– Tu t’appelles comment ?
Dans un français impeccable.
– Hervain… Hervain Louquart…
Elle note.
– Et tu as quel âge ?
– 23 ans.
– Profession ?
– Étudiant.
– Sportif ?
– Je joue au handball.
– Tourne-toi ! Marche ! Va jusqu’à la fenêtre.
Reviens ! Encore !
Les deux assistantes s’avancent vers moi, me font lever les
bras, tendre les jambes. Me palpent les biceps. Les muscles des cuisses. Ceux
des fesses. L’une d’entre elles s’empare de ma queue, me la fait dresser,
insiste.
– Tu m’as l’air en très bonne forme, dis-moi ! Et
sur tous les plans.
Un grand coup de tampon sur la feuille
– Département SIB. C’est un grand honneur qu’on te fait
là. Tâche de t’en montrer digne. Sinon…
Sinon quoi ? Elle ne précise pas. On me remet entre les
mains de deux gardiennes qui m’empoignent fermement, m’entraînent à travers un
dédale de couloirs et d’escaliers jusqu’à une petite pièce aux murs nus dans
laquelle elles s’enferment avec moi.
– Excuse-toi !
– Hein, mais…
Le fouet s’abat. À toute volée.
– Et ferme-la !
Une autre grêle de coups. Sur le dos. Sur les fesses. Sur
l’arrière des cuisses.
– Alors ! Tu t’excuses, oui ?
Je m’excuse. Tout ce qu’on veut. Dix fois. Vingt fois. Je
demande pardon.
– Ah, quand même !
Une dernière rafale. Bien sentie. En point d’orgue. En
conclusion.
– Là ! Et que ça te serve de leçon !
Encore des couloirs. D’autres couloirs. Des escaliers. La
porte métallique d’une cellule dans laquelle elles me jettent sans ménagements.
Le cliquetis des clefs. La porte qui se referme. Leurs pas qui s’éloignent.
2 -
– Bienvenue à bord. Fais comme chez toi !
Un colosse, allongé nu sur son lit. Un colosse qui me
considère d’un œil amusé.
– Salut ! Moi, c’est Alrich. T’as l’air
complètement paumé, dis donc ! Normal au début. Mais on s’y fait, tu
verras. On s’y fait vite. De toute façon, on n’a pas le choix. Bon, mais
installe-toi ! Reste pas planté là. C’est l’autre, ton lit. Forcément. Il
y en a que deux. Et ton placard, c’est celui à gauche de la fenêtre. T’as tout
un tas de trucs dedans : des vêtements, ce qu’il faut pour se laver ;
et même des médicaments… T’as plus qu’à prendre tes marques. Ça surprend,
hein ?
– Quoi donc ?
– Ben, de se faire dérouiller comme ça, à peine arrivé.
– J’ai pas compris. Qu’est-ce qu’elles me
reprochaient ?
– Oh, mais rien du tout ! Non. C’est juste que les
petits nouveaux, elles leur donnent, d’entrée de jeu, un échantillon gratuit de
ce qui les attend si, d’aventure, il leur prenait l’envie de jouer les fortes
têtes. Avertissement sans frais. T’en recevras d’autres des raclées. À tort ou
à raison. Personne n’y échappe. Ce qu’il faut impérativement éviter, par contre,
c’est de les prendre de front, de t’opposer carrément. Elles auraient tôt fait
de te coller un rapport et, « là-haut », on ne chercherait pas à
comprendre. On te déclasserait direct et on t’enverrait au
« tout-venant ». Et là, je peux te dire que tu morfles. Tu manies la
pelle et la pioche douze heures par jour. Quand c’est pas plus. Sans compter
tout le reste : une bouffe dégueulasse. Des dortoirs à peine chauffés dans
lesquels t’es entassé à quarante. Des gardiennes peaux de vache qui t’en font
voir de toutes les couleurs. En comparaison, ici, c’est le paradis. Ou
quasiment. On bénéficie d’un sacré régime de faveur, nous, les SIB…
– Mais c’est quoi au juste, ça, SIB ?
– Qu’est-ce tu fais ? Tu t’habilles ? C’est
pas forcément une bonne idée.
– Ben, pourquoi ?
– Bon… Que je t’explique… Il y a ici, en gros, vingt
fois plus de Cythriennes que de Cythriens. Pourquoi ? Je n’en sais fichtre
rien. Elles sont pas du genre à nous faire leurs confidences. Et il y a plein
d’explications possibles. Ce qu’il y a de sûr, en tout cas, c’est que c’est
comme ça et que celles qu’ont un mec – c’est comme partout : les
mieux foutues, les plus riches ou les plus influentes – elles le mettent
sous cloche. Pas question de le laisser traîner dehors au risque de se le faire
souffler. T’as tout un tas de nanas, du coup, qu’en sont réduites à se
débrouiller entre elles ou à se faire du bien en solitaire. Les seuls mâles
qu’elles aient l’occasion d’apercevoir ou d’approcher, c’est nous, les assujettis.
Avec qui il est absolument exclu qu’il se passe quoi que ce soit : elles
finiraient leurs jours en prison dans des conditions particulièrement
éprouvantes. Quant au complice, ses jours seraient comptés. Il n’empêche :
on a malgré tout entre les jambes quelque chose qui pique leur curiosité et alimente
leurs fantasmes. Surtout nous, les SIB. On est jeunes, virils, musclés, parfois
beaux. Alors tu comprends bien qu’être gardienne, c’est très prisé ici. Celles qui
parviennent à le devenir nous ont en permanence sous la main et peuvent se
régaler les yeux tout leur saoul. Elles ne s’en privent d’ailleurs pas. Tu
pourras le constater par toi-même. Alors si tu veux qu’elles t’aient à la
bonne, – et tu apprendras qu’il vaut nettement mieux les avoir dans la
poche –, prête-toi au jeu. Ici, dans la piaule. C’est truffé de caméras.
Ou sous la douche : C’est là qu’elles en profitent au maximum. Surtout si
on a la bonne idée de se faire des trucs entre nous. Ce qui arrive souvent.
Presque chaque fois. Tu vas avoir l’occasion de te rendre compte par toi-même
d’ailleurs. Parce que ça va être l’heure d’y aller.
Un brouhaha dans le couloir. La porte s’ouvre. Une quinzaine
d’hommes, nus eux aussi, auxquels nous nous joignons, Alrich et moi. Les deux
gardiennes me détaillent de la tête aux pieds. Et des pieds à la tête.
– C’est toi, le nouveau ?
Elles font claquer leurs fouets.
– Eh, ben tâche de te tenir à carreau. Et tout ira bien.
Un léger petit coup, au passage, sur les fesses.
Alrich se penche discrètement vers moi.
– C’est Dorotine et Klardène, ces deux-là. C’est pas les
pires si on sait les prendre.
Les douches sont alignées, en enfilade, tout au long d’une
immense paroi. On s’installe au hasard. Comme ça se trouve. Il y en a un qui se
met, presque aussitôt, à en laver un autre. Elles ne disent rien. Elles le
regardent faire. Il prend tout son temps. Le dos. Les fesses. Entre les fesses.
Ils bandent. Tous les deux. Il introduit un doigt. Un deuxième. L’autre rejette
la tête en arrière, écarte les jambes, se penche à l’équerre, offert. Le type
s’enfonce lentement, très lentement, centimètre par centimètre, tout en lui
malaxant généreusement les couilles. Et puis il se met en mouvement. À grands
coups de reins. Profonds. Déterminés. Tout autour des bites se dressent. Qui s’élancent
éperdument à la recherche de leur délivrance. Un grand blond s’agenouille
devant son voisin, prend sa queue entre ses lèvres, l’engloutit goulûment. Une
bite éclate. Une autre. Les gardiennes, immobiles, silencieuses, nous dévorent
des yeux.
Le type, à côté de moi, prend ma main, se la pose en bas.
– Branle-moi !
Je le fais. En un rapide va-et-vient. Elle est dure, épaisse,
pas très longue. Il s’empare de moi, lui aussi, me lisse, tout au bout, avec le
pouce, me décalotte bien à fond. Ça va très vite. On se répand. Tous les deux.
En même temps.
Dans le couloir, Alrich me pose une main sur l’épaule.
– Il s’y prend pas trop mal Germie, hein ? Mais il
y a mieux pour ce genre de choses. Beaucoup mieux. Gamelot par exemple.
D’autres aussi. Et, pour les pipes, t’as un véritable spécialiste, c’est
Tiercelin. Tu montes direct au plafond avec lui. Mais tu verras tout ça à
l’usage. T’apprendras. Parce que, de toute façon, ici on n’a pas le
choix : faut se débrouiller entre mecs. Les nanas, on n’y a pas droit. Les
Cythriennes, c’est même pas la peine d’y penser. Il y danger de mort. Quant aux
assujetties, il ne semble pas y avoir d’interdiction formelle, mais comme on
n’est quasiment jamais en contact avec…
– Elles nous emmènent où, là, les gardiennes ?
– Au réfectoire. C’est l’heure d’aller casser la croûte.
– Comme ça ? À poil ?
– Faudra t’y faire. On l’est quasiment tout le temps ici
à poil. Soi-disant pour éviter qu’on se tire. C’est sûr qu’on n’irait pas bien loin.
On aurait vite fait d’être repérés. Et rattrapés. Ce genre de consignes, tu
penses bien qu’elles les font respecter à la lettre, les gardiennes. Ça les
arrange. T’as vu ça tout à l’heure ? T’as fait attention ? Elles n’en
perdaient pas une miette. Et elles mouillaient à fond, va, t’as pas besoin de
t’en faire.
– Je me demandais à un moment… Je me disais que peut-être
elles allaient se le faire toutes les deux…
– Devant nous ? Oui, ben alors là il y avait pas de
risque. Ça leur coûterait très cher. Non. Pas question. Après, elles se
rattrapent. Une fois toutes seules.
– Ça doit être sacrément frustrant quand même !
Devoir attendre, comme ça, quand t’es bien excitée.
– Ça, c’est leur problème.
C’est une salle immense. Il y a nous, notre groupe, à une
grande table. Et puis d’autres groupes, à d’autres tables, tout autour.
Tout en mangeant, ils veulent savoir. Je me suis fait prendre
comment ? Où ? Et je raconte : la matinée passée dans la forêt à
relever mes collets. À chercher des champignons ou n’importe quoi d’autre à
manger. Mon retour, bredouille. Les deux femmes sur le bord de la route. Leurs
bras qui se lèvent dans ma direction.
Pour eux ça a été la même chose. Tous. Exactement le même
scénario. Sans la moindre exception.
– C’est bien rôdé leur truc.
– Et apparemment il n’y a que les Français qui les
intéressent. Allez savoir pourquoi.
Germie me pose la main sur la cuisse, l’y laisse.
– Ici au moins tu mangeras à ta faim. Et puis non
seulement c’est copieux, mais c’est de qualité.
– Je vois bien, oui. Il y a longtemps que je n’ai été à
pareille fête.
– Ils sont aux petits soins. Parce que nous, les SIB,
faut impérativement qu’on soit en pleine forme.
– Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’on a de si différent
des autres ?
Ils veulent tous m’expliquer en même temps. Ça fait tout un
brouhaha. Les gardiennes froncent les sourcils, s’approchent en faisant claquer
leurs fouets. Tout se calme. Un type tout au bout de la table en profite pour
prendre la parole.
– Pour faire court : La Cythrie est divisée en
quatre secteurs. Qu’ils appellent, eux, des amillons. Nous, ici, on fait partie
du troisième. Chaque année, en juin, se déroulent les Jeux pancythriens qui
revêtent, à leurs yeux, une importance capitale. L’enjeu est en effet
considérable : les habitants de l’amillon vainqueur sont totalement
exonérés d’impôts et se voient gratifiés d’une foule d’avantages de toute sorte.
Les autres, par contre, sont lourdement taxés. Au prorata des résultats
obtenus. Lesquels résultats dépendent de nous, les SIB. Parce que les Cythriens,
eux, ne concourent pas. C’est à nous qu’il incombe de le faire. Alors tu penses
bien que c’est avec le plus grand soin que chaque amillon choisit ses
compétiteurs parmi les assujettis ramenés par ses recruteuses et qu’il fait en
sorte qu’ils soient au top de leur condition physique le jour J. C’est leur
intérêt, mais c’est aussi le nôtre : toute contre-performance se paie
cash. Et cher. Très cher.
3 -
La voix d’Alrich me parvient de très loin comme assourdie. D’au-delà du
sommeil.
– Hervain ! Réveille-toi, bon sang ! Lève-toi !
Il insiste, me secoue tant et plus.
– C’est Alvita et Parveille, les gardiennes ce matin. Et si elles te
trouvent encore au lit. Allez, debout ! Oh, et puis zut ! Tu fais
bien comme tu veux.
Les couvertures brusquement arrachées. Rabattues jusqu’au pied du lit.
Les deux gardiennes. Leurs cravaches s’abattent à pleines cuisses. Je me
retourne sur le ventre. Ça continue à cingler. Je crie. Ça ne s’arrête pas. Une
quinzaine de coups. Une vingtaine. Des mots que je ne comprends pas. Un répit.
Je me jette hors du lit. Encore des mots. Elles sont furieuses. Elles me
tournent le dos. Elles s’en vont.
– Je t’avais prévenu…
– Qu’est-ce qu’elles racontaient dans leur charabia ?
– Que quand c’est l’heure, c’est l’heure. Que là,
c’était juste un échantillon, mais que la prochaine fois, t’aurais droit à une
correction en règle.
– Ben, qu’est-ce ça doit être !
– Je te le fais pas dire. Un conseil : tiens-toi à
carreau à l’entraînement tout à l’heure. Parce que maintenant elles vont
t’avoir à l’œil.
– Bon… On y va ?
– Comme ça ?
– Ben oui, comme ça, oui.
– Mais on est tout le temps à poil ici !
Partout !
– Pratiquement, oui. Du moins quand le temps s’y
prête : faudrait pas qu’on tombe malades. C’est pas leur intérêt. Et puis
là, en plus, on va assurer le spectacle.
– Comment ça ?
– Tu verras.
On nous emmène. En car. Sous la surveillance de trois
gardiennes, assises l’une à l’avant et l’autre à l’arrière. Quant à la
troisième, elle arpente inlassablement le couloir central en brandissant son
fouet.
– Ce serait facile.
– Quoi donc ?
– On est plus de cinquante. Elles sont trois. Elles
feraient pas le poids.
– Personne te suivrait. Tous ceux – tous, sans la
moindre exception – qui ont tenté de s’enfuir, n’en ont pas réchappé.
Par la vitre se succèdent, des pavillons, des jardins
fleuris, de coquets petits immeubles, des rues animées, des magasins. Une foule
de magasins.
– Ça change, hein ? Ils crèvent pas de faim au
milieu des ruines, eux.
– Mais comment ils ont fait ?
– Ils ont travaillé. Et, surtout, fait travailler…
– C’est complètement fou.
– Et t’es pas au bout de tes surprises.
Le stade Un stade immense. Une clameur nous y accueille. Des
femmes. Que des femmes. Agglutinées au bord de la piste d’athlétisme. Des
centaines de femmes. Un millier peut-être. Qui nous ovationnent à qui mieux
mieux.
– Nos supportrices ?
– On peut dire ça comme ça. En fait elles viennent
surtout se distraire. Et nous reluquer. Contrairement aux gardiennes, elles,
c’est la seule occasion qu’elles aient de le faire. Sans compter qu’avec un peu
de chance, l’un ou l’autre d’entre nous se verra gratifié d’une bonne fouettée.
Il y en a, parmi elles, qui adorent ça, c’est clair…
Un tour de piste. Tous ensemble. Un autre.
Une femme en survêtement me fait signe. Tandis que les autres
continuent à courir.
– Moi ?
– Ben oui, toi ! Pas le roi de Prusse.
Elle parle français avec un fort accent.
Moi. Et deux autres « nouveaux ».
– Vous allez nous montrer ce dont vous êtes capables.
Et de nous faire sauter. Courir. Lancer le marteau. Le
javelot. Elle mesure. Chronomètre. Nous fait recommencer. Et décide finalement que
les deux autres ne font pas l’affaire.
– Emmenez-les !
Deux gardiennes se précipitent.
– Quant à toi, ce sera le saut en longueur. À l’essai.
Alors tâche de te montrer à la hauteur.
Une formatrice me prend aussitôt en mains. Vitesse de course.
Pied d’appui. Élan.
– T’as compris ? Bon, ben allez !
Des femmes se sont approchées En quantité. Regroupées autour
du sautoir. Elles ne me quittent pas des yeux. Applaudissent à tout rompre à
chacun de mes sauts. Chuchotent entre elles. M’encouragent du geste et de la
voix. Éclatent de rire, à l’occasion, à qui mieux mieux.
– Ce sera tout pour aujourd’hui. Va rejoindre les
autres.
On fait cercle autour de moi. Alrich. Germie. Gamelot.
Tiercelin. D’autres encore.
– Eh, ben dis donc, mon salaud, t’as eu ton petit
succès !
– Forcément ! Un nouveau, fallait qu’elles viennent
examiner ça de près.
– Ah, tu peux être tranquille que ça va allègrement penser
à toi ce soir dans les plumards !
– Et que ça fera pas que penser.
Les gardiennes s’approchent en faisant claquer leurs fouets.
– Allez, à la douche ! Qu’est-ce que vous
attendez ?
On se met en mouvement. Alrich se penche discrètement à mon
oreille.
– Que je te dise… On les verra pas, mais on va aussi avoir
des spectatrices dans les douches. De grosses huiles, celles-là. Celles qu’ont
les moyens, d’une façon ou d’une autre, d’obtenir tout ce qu’elles veulent. Je
t’expliquerai.
L’eau coule. À droite et à gauche, ça s’occupe avec
gourmandise les uns des autres.
Gamelot s’installe à mes côtés et constate, avec intérêt.
– Tu bandes !
C’est vrai. Je peux difficilement prétendre le contraire.
– C’est excitant, hein, toutes ces queues en batterie.
– Oui. Enfin, non ! Enfin si ! Mais pas
seulement. Il y a pas que ça. Il y a…
– Il y a toutes ces nanas qui se délectaient de toi tout
à l’heure au sautoir. Et puis l’idée qu’il y en a d’autres qui ne perdent pas
une miette de ce qui se passe. D’ailleurs faut leur en donner pour leur argent.
C’est la moindre des choses.
Il avance la main, m’y dépose les
couilles, la referme sur elles, me les palpe doucement.
– J’adore ça branler un mec.
Son autre main. Sur ma queue. Qu’elle
s’approprie. Savante. Décidée. Je gicle presque aussitôt.
– Oh, ben non ! Pas
déjà ! J’ai même pas pu en profiter.
Il m’y lance une petite claque.
– On remettra ça. Tu me dois une
compensation.
4 -
Deux gardiennes inconnues font brusquement irruption dans
notre cellule.
– Lequel des deux est Hervain Louquart ? Toi ?
Alors tu viens avec nous.
Elles m’emmènent. Un dédale de couloirs. Des cours. Des
escaliers. Encore des couloirs. Une petite salle.
– Entre là-dedans !
Un tableau. Un bureau Quelques chaises. Je me laisse tomber
sur l’une d’entre elles.
Un grand coup de fouet me zèbre les cuisses.
– Quelqu’un t’a dit de t’asseoir ?
Je me lève d’un bond.
– Non. Non. Personne.
– Et il répond en plus !
Une autre cinglée. Sur les fesses cette fois.
Des voix dans le couloir. Des pas. Qui se rapprochent. De
plus en plus près. On entre. Deux femmes. Poussées par d’autres gardiennes. Deux
femmes jeunes. Dans les vingt-cinq ans. Quelque chose comme ça. Et nues, elles
aussi. Complètement nues. En m’apercevant, elles poussent un petit cri de
surprise et essaient d’instinct, tant bien que mal, de se dissimuler. De leurs
bras, maladroitement plaqués contre leurs seins. De leurs mains ramenées en
coquilles devant leurs chattes.
Le fouet s’abat. Elles hurlent. Et renoncent à camoufler quoi
que ce soit.
Les gardiennes rient, échangent quelques mots dans leur
langue, s’esclaffent de plus belle. Disparaissent dans le couloir.
Elles n’y comprennent rien.
– Qu’est-ce qu’on fait là ?
Je n’en sais pas plus qu’elles.
– Et pourquoi nous ? Qu’est-ce qu’on nous
veut ?
Je hausse les épaules.
– On verra bien. Ici, n’importe comment, on peut
s’attendre à tout.
Ah, ça, là-dessus, elles sont bien d’accord avec moi.
– Bon, mais si on faisait un peu connaissance ?
Tant qu’à être là. Alors moi, c’est Hervain. Et vous ? La brune, c’est
Varine. Et la blonde, c’est Marla. Elles sont SIB, elles aussi. Quatre cents
mètres pour l’une, cent dix mètres haies pour l’autre.
– Après vous, on s’entraîne. Une fois que vous êtes
partis. C’est pour ça, c’est complètement incompréhensible : elles font
tout ce qu’elles peuvent, à longueur de temps, pour qu’on soit pas ensemble et
aujourd’hui…
– Il doit bien y avoir une explication.
Oui, mais on sait pas laquelle. On voit pas.
Elles sont nues. Et j’ai beau faire tous mes efforts pour m’obliger
à regarder ailleurs, je n’y parviens pas. Mes yeux reviennent obstinément se poser
sur elles. Sur leurs seins : ceux de Marla sont tout menus avec une vaste
aréole qui s’y étend tout à son aise. Quant à Varine, elle les a amples et
généreux, fermes et rebondis. Mais c’est surtout leurs chattes qui me fascinent.
Elles sont à nu. Rasées de frais. Tout juste subsiste-t-il, au-dessus, un
minuscule échantillon de toison. Presque transparent et tout frisottant pour
l’une. D’un noir profond pour l’autre.
Ça grimpe. Je n’y peux rien. Ça grimpe de plus en plus. Je
bande. Je bande tant que je peux. Je bande comme un fou.
– Je suis désolé. C’est parce que…
Varine ne me laisse pas finir.
– On sait bien pourquoi. On n’est pas idiotes. T’as pas
à être désolé. T’as pas besoin d’expliquer non plus. T’as pas eu de nana depuis
des semaines, hein ? T’en as même pas vu non plus, si ça se trouve.
– À part les gardiennes…
– Vous, vous avez au moins ça. Nous, même pas. Parce que
c’est aussi des femmes nos gardiennes. On est qu’entre nanas. Partout.
Toujours. C’est d’un déprimant ! Depuis six mois qu’on est là, t’es le premier
mec qu’on rencontre. Alors je vais être franche avec toi : que tu bandes,
et pour nous en plus, c’est sûrement pas le truc dont on va se plaindre.
Elle me jette un coup d’œil en bas. S’enhardit. Un autre,
plus appuyé. Elle finit par délibérément s’installer. Moi aussi. On se
contemple. On se laisse se contempler. Tous les trois. Je me gorge d’elles. Comme
un meurt-de-faim. De leurs seins. Je cours des uns aux autres. Les petits de la
blonde, si mignons. Les orgueilleux de la brune, si émouvants. Sans pouvoir
m’arrêter. Je me délecte de leurs petits fendus impudiquement offerts.
Complètement à découvert.
Varine précise.
– C’est les gardiennes. qui nous obligent à les avoir
comme ça. Même que c’est elles qui nous le font. Et elles aiment ça. Et elles
en profitent. Tu penses bien que c’est pas pour rien qu’elles ont choisi ce
boulot !
Du bruit dans le couloir. Une voix. Autoritaire. Déterminée.
On entre. Une Cythrienne. Tout de gris vêtue.
– Alors, c’est eux !
La gardienne confirme, d’une petite voix obséquieuse.
– C’est bien eux, oui ! Toutes les vérifications
ont été faites.
– Alors écoutez-moi, vous trois !
Elle nous regarde à peine.
– En tant que SIB, vous êtes en situation d’extrême
précarité. On peut estimer demain que vos performances ne sont pas à la hauteur
des espoirs qu’on avait placés en vous. Ou bien de nouvelles recrues peuvent s’avérer
meilleures et vous supplanter. De toute façon, vous vieillissez et que vous
fassiez encore l’affaire au-delà de trente ans relèverait du miracle. Être
alors reversé au « tout-venant » constitue une épreuve redoutable à
laquelle certains ne survivent pas. Toutefois, en ce qui vous concerne, on a
bien voulu, en haut lieu, se pencher avec bienveillance sur votre situation et
on a décidé de vous conférer, quand les échéances seront là, un statut spécial.
C’est une immense faveur dont j’espère que vous saurez vous montrer dignes.
On certifie que oui. Oui. Tous les trois. À grand renfort de
hochements de tête convaincus. On ne sait pas de quoi il retourne au juste, mais
oui. Oui.
– Parfait ! Alors pour commencer… Pour vous
préparer à votre nouvelle situation…
Elle appelle. D’une voix forte.
– Galberte !
Apparaît aussitôt une femme d’une cinquantaine d’années. Entièrement
nue. Rasée elle aussi. Qui nous gratifie d’un large sourire.
– Vous allez apprendre le cythrien. Voici votre
professeur. Au travail ! Je vous laisse…
Et elle referme la porte sur elle.
La professeure sourit. Elle ne cesse pas de sourire.
– Je suis une assujettie. Tout comme vous.
Oui, ben ça on se doute. On voit. Et on veut savoir
– C’est quoi ce statut spécial ? Ça consiste en
quoi ?
Elle n’en sait rien. Strictement rien. Et ne cherche pas à
savoir. On lui a fait comprendre qu’elle avait tout intérêt à ne pas se montrer
trop curieuse si elle ne voulait pas qu’on la reverse, elle aussi, dans le
« tout-venant ».
– Et je me le tiens pour dit. D’autant que j’ai, moi une
autre épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête : si mes élèves ne
font pas de rapides progrès en cythrien…
On n’insiste pas.
– Bon. Alors d’abord… l’alphabet.
5 -
Alrich m’écoute avec infiniment d’attention.
– Et elles étaient à poil ?
– Complètement.
– La prof aussi ?
– Aussi…
– Oui. Alors un conseil ! Pas un mot là-dessus. À
personne. Ou on te prendrait pour un gros mytho ou, pire, on te jalouserait à
mort. Mets-toi à leur place aux mecs : déjà de savoir que tu bénéficies
d’un régime de faveur, c’est pas facile à encaisser pour eux, mais alors s’ils
apprennent que ça te donne l’occasion de côtoyer des nanas, et à poil ce qui
plus est, ils vont devenir fous. Tu te rends compte que certains, il y a près
de dix ans que ça leur est pas arrivé ?
– Ce que je comprends pas, c’est pourquoi moi ? Et
comment on m’a sélectionné.
– Oh, alors ça, moi, je peux te le dire. Ça vient des
douches du stade. Où il y a des caméras. Comme dans tous les coins et recoins
ici. À cette différence près que celles-là sont directement reliées au domicile
des dirigeantes qui, du coup, peuvent nous mater en toute tranquillité et en
profitent, de temps à autre, pour faire leur marché. Elles sont en effet les
seules Cythriennes à avoir le droit de disposer d’assujettis chez elles. À leur
service. Mâles ou femelles, comme elles veulent. Ce sont elles qui font les
lois. Alors elles les peaufinent à leur main. Pourquoi se gêner ? Et les
SIB constituent bien évidemment un vivier de premier choix dans lequel il est
très tentant, pour elles, de venir puiser. Sauf qu’elles ne vont pas avoir la
stupidité de scier la branche sur laquelle elles sont assises : les jeux
pancythriens, il est vital pour elles de les gagner. Alors le type sur lequel
une dirigeante jette son dévolu, elle le laisse s’entraîner et concourir.
Jusqu’à ce qu’il ne soit plus en état de le faire. Elle se contente, dans un
premier temps, d’exercer sur lui une sorte de droit de préemption et de
commencer à le modeler, par petites touches, en fonction des intentions qu’elle
nourrit à son égard.
– Oui. Alors moi, c’est sûrement secrétaire qu’on me
veut. Quelque chose comme ça. S’il faut que j’apprenne le cythrien…
– J’en mettrais pas ma main au feu. C’est pas que je te
sous-estime, mais une nana qui choisit un mec en le voyant sous la douche,
c’est pas en fonction de ses qualités intellectuelles qu’elle se détermine. Fût-elle
dirigeante. Non, moi, je croirais plutôt qu’elle a une idée derrière la tête et
que l’apprentissage de la langue, c’est juste un alibi.
– Quelle idée ?
– Alors ça ! Avec elles, pour savoir ! Par contre,
j’aurais tendance à penser que c’est de Vassilène que t’as retenu l’attention.
– Qui c’est celle-là ? Et pourquoi elle ?
– Il y en a eu pas mal des types qui ont éveillé, comme
ça, l’intérêt des dirigeantes, mais, jusqu’à présent, il n’y en a que trois qui
se sont vu offrir des cours de cythrien et, chaque fois, quand ils ont quitté
les SIB, ce sont les gardes de Vassilène qui sont venues les chercher.
Alors ! Par contre, aucun n’a jamais évoqué la présence de la moindre nana.
C’est ce qui me rend perplexe.
– Tu le parles, toi, le cythrien.
– Oui, oh, disons que je me débrouille.
– Tu l’as appris comment ?
– Sur le tas. Ça fera sept ans le mois prochain que je
suis là. Sans doute plus pour très longtemps. La course de fond, ça use. Et il
y a des jeunes qui poussent derrière. Mais toi, donne tout ce que t’as à
l’entraînement, hein, surtout ! N’encours pas le moindre reproche. Ta
« patronne » sauterait sur l’occasion. T’y trouverais peut-être ton
compte. Et puis peut-être pas. Mais, en ce qui me concerne, je tiens pas du
tout à ce que tu nous quittes prématurément.
Il se lève, s’approche de mon lit.
– Tu me manquerais, tu sais !
S’y allonge à mes côtés. M’y entoure le torse de son bras. Sa
queue durcit contre mon flanc.
– Celles dont il faut surtout que tu te méfies
maintenant, ce sont les gardiennes. Parce que ça les déstabilise complètement
ce genre de situation. D’un côté, elles détestent qu’un de leurs assujettis bénéficie
d’un quelconque passe-droit. Ça leur ôte un peu de leur pouvoir sur lui et
elles crèvent d’envie de le lui faire payer. Mais, de l’autre, elles ne
tiennent absolument pas à s’attirer les foudres de quelque grosse huile que ce
soit. Alors elles naviguent à vue. Avec tous les risques que cela peut
comporter pour toi.
Il me caresse le ventre du bout du pouce. Descend. Descend
encore.
– J’adore ta bite.
Il la sollicite. Joue distraitement avec.
– Si tu me parlais un peu de toi… De ce que tu faisais avant…
Là-bas…
– Qu’est-ce tu voulais que je fasse ? Rien de
spécial. Comme tout le monde. J’essayais de trouver à bouffer. De quoi me
chauffer. De survivre, quoi !
– Avec ta belle petite gueule d’amour, tu devais avoir
un sacré succès auprès des nanas, non ?
– Disons que je me défendais.
– Et auprès des mecs.
– Ça, j’y faisais pas spécialement attention. J’avais
rien contre, mais c’était pas mon truc.
– Moi non plus. Mais ici ça l’est devenu. Par la force
des choses. T’as pas trop le choix. Et tu finis par y prendre goût.
– J’ai l’impression, oui…
– Toi, ça te posera pas vraiment de problème. Je te
regarde faire sous la douche. Tu te laisses caresser, branler. T’y prends du
plaisir, c’est clair.
Il se fait plus précis. Imprime à ma queue un doux mouvement
de va-et-vient.
– T’auras pas de mal à aller plus loin du coup. Beaucoup
plus loin. Moi, par contre, c’était pas gagné. J’étais bourré de préjugés et de
réticences par rapport à ça. Pas question qu’un type m’approche d’un peu trop
près au début. Ah, non alors ! Heureusement que personne m’a obligé à quoi
que ce soit. Je me serais définitivement bloqué. Tout doucement c’est venu. À
force de le voir faire autour de moi. De baigner dans le climat. Mais une fois
que j’ai été lancé ! Complètement acharné je suis devenu. Tu peux pas
savoir le pied que tu prends quand t’éclates bien serré dans un mec ou que tu
sens son plaisir se répandre en toi, que chaque saccade s’y répercute à
l’infini. Tu verras… Te précipite pas… Prends ton temps, mais tu verras…
Il se serre plus fort contre ma cuisse. Sa queue y palpite, tendue
à l’extrême.
– Je dis pas que pour autant… Si, par miracle, je sors
un jour d’ici, la première chose que je ferai, avant n’importe quoi d’autre,
c’est aller m’offrir une orgie de nanas. À m’en épuiser. Alors là faut qu’elles
s’y attendent, mais c’est pas pour autant que je renoncerai aux mecs. Ah, non,
alors ! S’il y a quelque chose qu’est hors de question maintenant, c’est
bien ça.
Il me branle un peu plus vite. De plus en plus vite.
– Non. Attends !
Je me tourne vers lui. Je lui fais face. Nos jambes
s’entremêlent. Nos bites se collent l’une à l’autre. Sa main se pose sur mes
reins, s’y promène doucement. S’insinue dans le sillon entre les fesses, s’y
installe. Descend. Plus bas. Encore plus bas. Un doigt vient me solliciter,
tente patiemment de m’ouvrir, y parvient. Se glisse en moi. Mon plaisir surgit
brusquement contre sa queue, l’inonde. Et puis le sien, presque aussitôt, à
grandes secousses échevelées.
On ne bouge pas. On reste encastrés l’un à l’autre.
6 -
Le même car. Le même itinéraire. Les mêmes gardiennes. Les
mêmes rues claires et dégagées. Les mêmes magasins illuminés. Les mêmes
coquettes petites maisons dans lesquelles il doit faire si bon vivre. Pourquoi
ici ? Pourquoi elles ? Les larmes me montent aux yeux. Je m’efforce,
tant bien que mal, de les retenir.
Et le même stade.
Un car vient se garer à côté du nôtre. Deux autres encore.
Gamelot fait la grimace.
– Et zut ! C’est une générale.
– Ce qui veut dire ?
– Que, contrairement à ce qui se passe d’habitude, où on
s’entraîne par petits groupes, tous les SIB qui défendent les couleurs de
l’amillon trois vont être, aujourd’hui, confrontés les uns aux autres.
– Et ça change quoi ?
– Qu’il va pas faire bon perdre. Que ceux qui
obtiendront les plus mauvais résultats, dans chaque discipline, le payeront
cash. Ils se ramasseront sur le champ une mémorable fouettée.
– Et voilà pourquoi elles sont si nombreuses
aujourd’hui.
Trois à quatre mille, au moins, entassées dans les gradins. À
faire tout un brouhaha.
– T’as tout compris. D’autant qu’un jour de générale, ce
ne sont pas les gardiennes qui manient le fouet, mais des spectatrices tirées
au sort. Alors tu penses bien que toutes celles qui le peuvent sont là. Des
fois que la chance leur sourie…
– Elles tapent fort ?
– Ah, ça, je peux te dire qu’elles y mettent tout leur
cœur. Vaut mille fois mieux avoir affaire aux gardiennes.
Un type s’est approché.
– Salut ! Toi aussi, c’est le saut en longueur à ce
qu’il paraît ? Oui ? On est quatre alors. Et tu fais combien sans
indiscrétion ?
– Sept mètres… Sept cinquante… Ça dépend.
Il fait la grimace.
– Et toi ?
Il ne répond pas. Il s’éloigne.
Le silence s’installe. D’un coup. Une Cythrienne, munie d’un
micro, vient de grimper sur l’estrade de fortune qu’on a dressée face aux
tribunes. Une autre plonge la main dans une urne, en retire un billet qu’elle
lui tend.
– Kebasela !
Un cri de joie dans les gradins. Une fille blonde, d’une
vingtaine d’années, dévale les marches à toute allure, escalade, tout aussi
vite, celles du podium. On lui tend un fouet qu’elle fait claquer en l’air avec
ravissement.
– Bathelare !
Une autre, plus âgée, la cinquantaine bien sonnée, mais tout
aussi enthousiaste.
– Vadoline.
Des noms. Encore des noms. Des femmes. Des Cythriennes. Une
dizaine. Des blondes. Des brunes. Des rousses. De tout âge. Qui parlent entre
elles, volubiles. Qui rien aux éclats.
On les fait descendre. On les lâche parmi nous. Elles
arpentent lentement la pelouse en brandissant leurs fouets, en menacent en
riant celui-ci ou celui-là.
Il y en a une qui regarde dans ma direction, qui me montre
aux autres du doigt. Elles viennent vers moi. Elles m’entourent.
– Je t’ai vu sauter, toi, l’autre jour !
Dans un français admirable. Quasiment sans accent.
Elle pose le bout de son fouet sur ma queue, l’y promène
lentement. Les autres observent. Avec un intérêt soutenu. Et commentent. Dans
leur langue. Avec force éclats de rire.
– Comment ça ballottait dans tous les sens tout ça quand
tu courais ! C’était trop drôle. Qu’est-ce qu’on a ri !
La pointe du fouet se fait plus audacieuse.
– Avec un peu de chance, c’est toi qui vas y attraper
tout à l’heure. Sûrement même ! Je m’occuperai personnellement de ton cas.
Et je ferai en sorte que tu la pousses la chanson. Sur tous les tons. Alors ça,
tu peux t’y attendre…
Elles s’éloignent dans un grand éclat de rire.
Sur la ligne de départ, « les quinze cents mètres »
sont prêts à s’élancer. S’élancent effectivement sous les encouragements. Très
vite, un grand brun se détache, prend sur les autres une confortable avance.
Derrière, on joue des coudes à qui mieux mieux. Dans les gradins on s’agite, on
tape des mains, on vocifère. Les coureurs s’égrènent, s’éparpillent tout au long
de la piste. Très vite, il y en a deux qui sont irrémédiablement lâchés,
suscitant, dans le public, rires et quolibets. Quand ils s’en approchent enfin,
les autres ont depuis longtemps franchi la ligne d’arrivée. Ils n’en sprintent
pas moins avec acharnement sous les hurlements de la foule. Le perdant
– il s’en faut de quelques centimètres – est aussitôt pris en mains
par deux des « heureuses élues », qui l’encadrent et le mènent, d’un
pas décidé, jusqu’au podium. Elles l’y font agenouiller, face au public, et
elles fouettent. À tour de rôle. En alternance. Elles fouettent. Un coup
chacune. À toi. À moi. Ça s’inscrit, en longues traînées brunâtres, sur le dos,
sur les fesses, sur les cuisses du malheureux. Les cris déchirants qu’il pousse
ne les apitoient pas. On dirait, au contraire, qu’ils les stimulent : les
claquées se font plus rapides, plus intenses.
Une gardienne me tombe littéralement dessus, manque me faire
tomber d’une grande bourrade dans le dos.
– Qu’est-ce tu fabriques là, toi ? File au sautoir.
Ça va être à vous.
C’est à nous. Je ne regarde pas les autres. Je les ignore. Je
me concentre sur ce que j’ai à faire. Ma course d’élan. Mon pied d’appel. Plus
rien d’autre ne compte. Il n’y a plus rien ni personne. Que moi.
Affalé sur son lit, Alrich gémit.
Les garces ! Non, mais quelles garces ! Dans quel
état elles m’ont mis.
Faut reconnaître qu’elles y sont pas allées de main morte. Sur
son dos, sur ses fesses, pas un coin de peau qui n’ait été labouré.
– Tu voudrais pas ?
– Quoi donc ?
– Dans mon armoire, il y a un grand tube de pommade. Si
tu pouvais m’en passer, tu serais un amour.
Mes mains sur lui. Qui étalent. Qui massent. Délicatement. Le
plus délicatement possible.
– Oh, putain, que ça fait du bien ! Je te revaudrai
ça. Au centuple.
Il se détend, s’abandonne.
– Et toi ? T’es passé à travers, hein ! T’as
fait quoi ?
– Deuxième. Et encore il s’en est fallu d’un cheveu que
je ne termine premier. Cinq centimètres.
– Et en plus t’as une marge de progression. Tu viens
d’arriver.
Il soupire.
– Ce qu’est malheureusement pas mon cas. Moi, je suis
sur le descendoir.
– C’est une mauvaise passe. Ça va s’arranger.
– Je crois pas, non ! J’ai beau n’avoir que trente
ans, il y a plein de petits signes qui ne trompent pas. Je récupère moins vite.
J’ai moins de souffle. Mes jambes me lâchent par moments. Pas la peine que je
me raconte des histoires. C’est ma dernière saison SIB. Après les Jeux, en
septembre, je dégage. Si tu savais ce que j’appréhende !
Il se tait.
Ses fesses. Que je presse doucement. Entre lesquelles je me
faufile. Il les écarte. Insensiblement. Plus franchement. Je m’y installe,
m’approprie ses burnes. Que je malaxe. Que je fais rouler.
Il halète. Se retourne. M’attire vers lui. Vers sa queue
raidie. Que je fais glisser entre mes lèvres. Dont j’enrobe le bout du bout de
ma langue. Il gicle, presque aussitôt, les mains enfouies dans mes cheveux.
7 -
Deux gardiennes inconnues m’extirpent de ma cellule,
m’entraînent dans la cour, m’enfournent sans ménagement dans une voiture dont elles
viennent occuper la banquette arrière avec moi. Une de chaque côté.
On s’engage dans la direction opposée à celle qui mène au
stade. Les maisons y sont beaucoup plus cossues que de l’autre côté, nichées au
cœur de jardins somptueux. C’est dans l’allée d’un véritable petit château
qu’on finit par s’engager. Jusqu’au pied d’un perron monumental en haut duquel
mes gardiennes me remettent entre les mains d’une assujettie, nue elle aussi, qui
m’accompagne à l’intérieur, me fait entrer dans une salle immense dont les
grandes baies vitrées donnent sur un parc orné de massifs soigneusement
taillés, d’arbres majestueux, de bassins dont les jets d’eau s’élèvent très
haut dans les airs.
Assise derrière un bureau, tout de blanc vêtue, une femme
écrit. Elle ne lève pas la tête, continue imperturbablement à écrire. On
attend. Un quart d’heure. Une demi-heure. Une heure. Je toussote. Je me dandine
d’un pied sur l’autre. Elle m’ignore superbement. Elle nous ignore superbement.
Et puis, d’un coup.
– Qu’est-ce que tu veux ?
L’assujettie me pousse du coude.
– C’est à toi qu’elle parle. Réponds !
– Mais rien. Je sais pas. On m’a amené là. On m’a rien
dit.
Elle hausse furieusement les épaules.
– Emmène ce crétin, Guizwa. Occupe-toi de lui.
Guizwa me fait signe de la suivre.
– Viens ! Par ici ! Viens !
Une minuscule petite pièce au fin fond d’un couloir.
– On sera tranquilles là. Il vient jamais personne. Mais
assieds-toi ! Reste pas planté comme ça. Bon, ben voilà ! Tu viens de
faire la connaissance de Jartège. Ça surprend, hein ?
– Oui et non. Je m’attends toujours un peu à tout, moi,
ici.
– C’est un air qu’elle se donne comme ça. Pour
impressionner. Prendre le dessus. Surtout que c’était la première fois qu’elle
te voyait. Mais c’est quelqu’un de très humain en réalité. Ce que t’auras
l’occasion de constater par toi-même. Si on te garde, évidemment… Si tu fais
l’affaire…
– Je comprends pas grand-chose. On me veut quoi au
juste ?
– Bon… Alors que je t’explique ! Ici, c’est chez
Korka, l’une des dirigeantes les plus haut placées de l’amillon trois. Jartège,
c’est quelque chose comme son intendante. À elle de gérer pour que tout se
passe au mieux. Sur tous les plans. Quant à moi, je suis, pour ainsi dire, la
chef des assujettis. Quatorze en tout. Que des femmes. Pour le moment. Mon rôle
consiste essentiellement à répartir les tâches entre elles. Ménage. Cuisine.
Service à table. Entretien des extérieurs. Etc. Il y a beaucoup à faire. Je
dois veiller à ce que le travail soit correctement effectué, dans les délais,
et à apaiser les tensions qui ne manquent pas de surgir, pour un oui ou un non,
entre les unes et les autres. Il ne peut pas être autrement : des femmes
confinées entre elles, à longueur de temps, sans jamais l’ombre d’un homme à
l’horizon, comment tu veux qu’elles soient pas à cran ? Qu’elles ne
deviennent pas querelleuses et aigries ? Pour Jartège, il y a pas
trente-six mille solutions : il faut qu’elles aillent de temps à autre au
mâle. Mais pas dans n’importe quelles conditions. Ce doit être perçu comme une
récompense. À laquelle elles vont aspirer de tout leur être. Qui va créer entre
elles une saine émulation dont leur travail ne manquera pas de se ressentir.
Korka, après s’être longtemps fait tirer l’oreille, a fini par donner son
accord pour qu’on fasse venir un assujetti mâle. Un seul, pour commencer. Si
l’expérience s’avère concluante, il sera toujours temps de s’en procurer d’autres.
Le choix, pour toutes sortes de raisons, s’est porté sur toi. Il ne te reste
plus qu’à te montrer à la hauteur. À faire tout ton possible pour qu’on te
garde. Dans ton intérêt. Parce qu’être SIB, ça n’a qu’un temps. Il y a un
après. Et l’après, à toi de voir : ou passer tes journées sur les
chantiers à manier la pelle et la pioche ou les passer à tirer allègrement ton
coup.
– C’est tout vu. Mais alors faut que je fasse quoi au
juste ?
– Je viens de te le dire. S’agira pour toi de tirer ton coup.
Avec celle que je te désignerai. C’est quand même pas trop compliqué, si ?
– Ça va. Normalement, je devrais savoir faire.
– Il vaut mieux. Et, dans ton intérêt, tâche d’éviter
les pannes. On aurait tôt fait de te remplacer. Bon, mais allez, viens !
Il est temps que tu fasses connaissance avec tes camarades de jeu.
Des couloirs. Des escaliers. Encore des couloirs. La porte de
ce qui semble être une grande cuisine. Une jeune assujettie, penchée, nue,
au-dessus d’un immense chaudron, lève la tête, écarquille les yeux.
– Oh, un couillu ! C’est pas vrai ! Un
couillu…
Aussitôt, de partout et de nulle part, surgissent une foule
d’assujetties qui nous entourent en piaillant à qui mieux mieux.
Guizwa les maintient à distance.
– On regarde, mais on touche pas.
– C’est lui ? C’est celui que vous avez dit qui va
nous… C’est lui ?
Elle fait signe que oui. De la tête. Oui.
– Il est pas mal, n’empêche !
– Plus que pas mal, moi, j’trouve !
– Carrément canon, oui !
– De toute façon, moi, ça fait deux ans que j’ai pas vu
le loup. Alors même que ce serait Quasimodo, je prendrais. Je prends tout.
– C’est quand qu’on commence ? Maintenant ?
Tout de suite ?
– Sûrement pas, non.
– Oh, allez, Guizwa, va ! Regarde ! Il bande.
On peut quand même pas le laisser comme ça… Ce serait trop cruel.
– J’ai dit non.
– Ce sera quand alors ?
– Samedi. Et il sera pour celle qui l’aura mérité.
– Moi, alors !
– T’as qu’à y croire. Non, moi !
– Je verrai. Retournez travailler.
– On peut pas toucher un peu avant ? Juste un peu.
– Oui. Ça nous motiverait comme ça pour bosser.
– Filez, j’ai dit !
Et elle se dirige résolument vers la porte. Je lui emboîte le
pas. Derrière son dos, quatre ou cinq mains m’effleurent les fesses, me les caressent
discrètement.
– Voilà ! Tu sais à quoi t’attendre.
– Il y a pire.
– Ça, c’est sûr.
Quelque chose sonne sur son bureau. Elle se penche, lit,
fronce les sourcils.
– Elles t’ont peloté les fesses quand on est sorties ?
– Un peu, oui. Certaines.
– Et t’as rien dit ?
– J’ai pas eu le temps. Ça a été tellement vite.
– Oui, ben, avec les caméras, Jartège, elle, elle a vu. Et
on va y attraper. Tous les deux. Toi, pour t’être laissé faire et moi, pour
m’être rendu compte de rien.
– Y attraper ?
– Une bonne cinglée. Faut pas que je te fasse un
dessin ? Ben oui ! Fais pas cette tête-là ! J’ai beau être la
chef là-dedans, je suis quand même une assujettie. Tout comme toi. Et Jartège
ne manque pas une occasion de me le rappeler. Elle la rate d’autant moins
qu’elle adore ça me voir fouetter. Bon, mais allez, on y va ! Plus vite ce
sera fini…
8 -
Du plus loin qu’elles m’aperçoivent, Varine et Marla se
précipitent à ma rencontre.
– Ah, te v’là ! On commençait à se dire que tu
viendrais pas.
Les gardiennes font claquer leurs fouets.
– Oh, on se calme, sinon…
Nous repoussent, à petits coups de lanière sur les mollets,
jusqu’à l’entrée de la salle de classe.
Les yeux de Marla plongent dans les miens.
– Comment on y a pensé à toi ! Si tu savais…
Glissent le long de mon torse, descendent.
Varine confirme.
– C’est tout le temps qu’on parle de toi. Sans arrêt.
Dès qu’on peut.
Leurs regards vont et viennent sur moi. Partout. S’accrochent
ici. S’attardent là. Me dévorent à qui mieux mieux.
Je me repais d’elles, moi aussi, tout mon saoul. De la brune.
De la blonde. Ouvertement. Avec délectation.
Marla soupire.
– C’est de la torture ! Parce qu’attends, ça fait
des mois et des mois qu’on n’a pas vu un mec. Même de loin. C’est tout juste si
on se rappelle comment c’est fait. Et, d’un seul coup, on nous en balance un
dans les pattes, comme ça, avec interdiction d’y toucher.
Varine la reprend.
– Ça, on n’en sait rien du tout si on a le droit ou pas.
– Ce qu’est encore pire.
Je pense à Jartège. Je pense à Guizwa. À ce qu’on attend de
moi là-bas.
– Il y a des cas où c’est autorisé les assujettis entre
eux. Où c’est même carrément organisé. De façon tout-à-fait légale.
Oui, elles savent. Elles ont entendu des tas de trucs
là-dessus. Vrais ou faux d’ailleurs. Mais ce qui se passe ailleurs, c’est pas
ça, la question. L’important, c’est ici. Maintenant. Elles. Nous.
– Il y a des filles qui disent qu’on nous tend un piège.
Qu’ils sont sûrs, en haut lieu, qu’on résistera pas. Qu’on va craquer. Et que
ce sera le prétexte pour nous virer aussi sec des SIB. Mais il y en a d’autres,
par contre qui pensent que c’est tout le contraire, qu’il y a, quelque part,
une dirigeante, une grosse huile, qu’a envie de se rincer l’œil. Et qui doit
vraiment pas apprécier qu’on fasse traîner les choses en longueur.
– À moins encore que son plaisir, ce soit de nous
regarder nous tourner autour sans savoir sur quel pied danser. De jouir de
notre frustration.
Elles n’avaient pas envisagé les choses sous cet angle-là.
– Ça se tient. Mais on n’est pas plus avancées pour
autant. Au contraire. Ça complique un peu plus.
– En tout cas, il y a forcément anguille sous roche. On
nous laisse du temps ensemble. Elle mettrait pas systématiquement dix plombes
pour arriver, sinon, la prof de cythrien.
Oui, ben justement, ce qu’elle voudrait bien savoir, elle,
Marla, c’est laquelle c’est d’anguille.
– Parce que si j’étais sûre que ce soit la bonne,
comment je te sauterais dessus. Et ton machin, là, qu’arrête pas de pointer, de
façon éhontée, vers là où il a envie de rentrer, il aurait intérêt à se montrer
opérationnel. Parce que sinon…
– Sinon, quoi ?
Du bruit dans le couloir. Je me retourne. M’avance un peu,
dos à elles.
– Wouah ! Mais qu’est-ce qui t’est arrivé ?
– Devinez !
– Comment elles t’ont arrangé ! Qu’est-ce t’avais
fait ?
– Des fois, ça tombe sans la moindre raison.
– Oui, ça, on sait. On connaît.
Un doigt m’effleure le dos, s’enhardit, épouse au plus près
le contour des boursouflures. Un autre le rejoint. Me parcourt.
– Oh là là, mon pauvre ! Comment tu dois avoir
mal !
Elles descendent. Les reins. Le bas du dos.
Les gardiennes s’approchent. S’esclaffent. Commentent
bruyamment. Avec des mots que l’on ne comprend pas.
Le haut de la fesse. Plus bas. Encore plus bas. La pression
se fait plus forte. Plus insistante.
Les rires des gardiennes aussi.
On s’enhardit. On s’insinue dans la rainure entre les fesses.
On la dégringole. On s’aventure de l’autre côté. On me frôle les boules. On
s’en éloigne. On y revient résolument. On s’en empare. Une main se referme sur
elles.
Et puis, soudain, la voix de Varine.
– Arrête, Marla, arrête ! On sait pas. C’est trop
dangereux. T’imagines les conséquences ?
Marla bat en retraite en maugréant.
La prof sourit. Elle ne cesse pas de sourire. Et d’écrire au
tableau.
Ses fesses sont amples. Charnues. D’un blanc insolent. Je me
laisse rêver dessus.
– Vous avez compris ?
– Hein ? Quoi ? Non. Rien du tout.
Les deux filles non plus.
Elle soupire.
– Vous n’êtes pas attentifs.
– Ah, si, si ! Très.
Elle hausse les épaules. Recommence.
Surgit la femme en gris de la semaine précédente.
– Alors comment ça se passe ici ? Bien ?
La prof arbore une mine ravie.
– Oh, oui ! Ils sont très appliqués.
– Eh bien, on va voir.
Elle efface les signes qui sont au tableau, les remplace par
d’autres.
– C’est quoi, ça ?
On n’en sait rien du tout.
– Et ça ?
Non plus.
– Vous filez un mauvais coton. Un très mauvais coton.
Elle nous fait agenouiller au pied du tableau.
– Toi aussi, Galberte. Tu es aussi coupable qu’eux.
La prof ne proteste pas. Elle vient nous rejoindre sans un
mot.
Un ordre claque sèchement. En cythrien.
Les gardiennes sont aussitôt derrière nous. Les fouets s’abattent.
Nos gémissements s’entremêlent. Nos plaintes se conjuguent. Marla me prend la
main. La serre de toutes ses forces. Varine aussi, de l’autre côté.
Ça s’arrête enfin.
– Là ! Et maintenant vous vous remettez au travail.
Sérieusement, cette fois. Sinon…
On regagne nos places en toute hâte.
9 -
Je
suis brutalement tiré de mon sommeil par tout un remue-ménage au
cœur de la nuit. Des cris. Des hurlements. Des claquements de fouet.
Alrich
se redresse sur son lit, allume.
– Qu’est-ce
qu’il se passe ?
– Qu’est-ce
que tu veux que j’en sache ?
Ça
se rapproche.
– Sortez !
Sortez des cellules ! Les mains sur la tête. Allez !
Se
rapproche encore.
– Elles
ont l’air furieuses.
– Elles
ont pas l’air. Elles le sont.
Elles
font brutalement irruption dans notre cellule.
– Debout !
Et on se dépêche ! Dehors !
Elles
nous gratifient, au passage, l’un et l’autre, d’une bonne
cinglée sur les cuisses.
– Vous
restez là. Vous bougez pas.
Près
de la porte. Mains sur la tête. Comme les autres. Comme tous les
autres.
On
les entend s’activer à l’intérieur. Vider sans ménagement les
placards. Renverser les lits.
– Mais
qu’est-ce qu’elles cherchent ?
Alrich
a un haussement d’épaules d’ignorance désabusée.
On
nous rassemble au bout du couloir.
– Allez,
en route !
– Mais
elles nous emmènent où comme ça ?
Derrière,
Gamelot veut faire de l’humour.
– Au
réfectoire, sûrement. Deux heures du matin. Il commence à faire
faim.
Ce
qui lui vaut aussitôt une dizaine de cinglées particulièrement
appuyées.
– On
la ferme.
L’escalier
B. La cour. Elles nous y font mettre en rangs. Toujours les mains sur
la tête.
– Et
on ne bouge pas.
Elles
ne nous quittent pas des yeux.
Yrvert
me pousse légèrement du coude.
– Il
y en a deux qui se sont fait la malle. C’est pour ça, tout ce
cirque.
– Qui ?
– On
sait pas.
Je
fais, à mon tour, discrètement passer l’info à Alrich.
Elles
nous laissent longtemps dans cette position. Une heure. Deux.
Peut-être trois. Je ne sais pas. Je ne sais plus. J’ai totalement
perdu la notion du temps. Il nous est formellement interdit de
bouger. Le moindre mouvement se paie cash. Tous mes membres se sont,
les uns après les autres, engourdis. La nuit de juin est
inhabituellement froide. Je grelotte. On grelotte
Il
finit par apparaître des lumières sur la droite. Un groupe. Des
Cythriennes. De grosses huiles. Des projecteurs s’allument, nous
aveuglent. Elles nous passent lentement en revue, nous tiennent
longuement sous leurs regards. Et puis une voix forte s’élève,
celle d’une cythrienne vêtue d’une longue tunique rouge.
– Il
y a des complicités parmi vous. Nous le savons.
Elle
marque un long temps d’arrêt.
– J’attends
que les coupables se dénoncent.
Un
autre.
– Vous
avez trente secondes.
Personne
ne pipe mot.
– Très
bien. Vous l’aurez voulu.
Et
elles s’éclipsent.
Les
gardiennes nous ramènent dans nos cellules.
– Ce
champ de bataille !
On
remet nos matelas en place.
– Quant
au reste, on verra demain.
On a
à peine le temps de se glisser entre les draps qu’elles surgissent
à nouveau, qu’elles nous les arrachent, que les fouets s’abattent.
– Vous
rangez tout ça. Vous dormirez après.
Dans
le car qui nous emmène au stade tout le monde est plus ou moins
amorphe.
– Deux
heures de sommeil ! Et encore ! Ah, ça va être beau à
l’entraînement !
Elles
passent et repassent dans le couloir central pour nous empêcher de
nous endormir.
Là-bas,
on est accueillis par des huées.
– Qu’est-ce
qui leur prend ?
– À
tous les coups, c’est à cause des deux évadés de cette nuit.
– Dont
on sait d’ailleurs toujours pas qui c’est.
– Des
types d’un autre groupe, sûrement. On est tellement nombreux à
l’amillon trois.
Plus
on approche et plus les cris se font hargneux, les vociférations
agressives.
– On
n’y est pour rien, nous, s’il y en a qui se sont barrés.
– Va
leur expliquer…
Je
saute et resaute. Dans un semi-brouillard. Pour des résultats
pitoyables.
– Mais
qu’est-ce t’as, aujourd’hui ?
J’essaie
d’expliquer. La nuit sans sommeil. La longue immobilité
tétanisante dans le froid.
Elle
hausse furieusement les épaules.
– Prétextes !
Dégage, tiens, tu m’agaces…
Je
prends, tête basse, la direction des douches. Aussi discrètement
que possible.
Une
femme au sourire carnassier m’aborde devant la porte.
– Tu
me reconnais pas ?
– Si !
C’est
celle qui, le jour de la générale, avait espéré pouvoir me
fouetter.
– Mais
tu ne t’es pas montré très coopératif.
Je
bafouille lamentablement quelque chose à propos d’entraînement,
de résultats, des jeux pancythriens qui approchent.
Elle
hausse les épaules.
– Oh,
mais tu vas avoir droit à une petite séance de rattrapage. Viens !
À
l’entrée, les gardiennes nous arrêtent.
– On
ne passe pas.
Elle
leur brandit sous le nez une carte barrée de jaune et de vert.
Elles
s’écartent aussitôt.
– Excusez-nous !
Allez-y !
On
est seuls.
– Tu
t’es mis Vassilène à dos.
– Moi ?
– Toi,
oui ! Parce que voilà une dirigeante – et une des plus
haut placées – qui a la bonté de jeter son dévolu sur toi.
Qui, en attendant de pouvoir te prendre à son service, t’offre
généreusement des cours de cythrien. Et toi, en guise de
remerciement, tu trouves rien de mieux à faire que de te laisser
embrigader par Korka.
– Mais
non, mais…
– C’est
pas vrai, peut-être ?
– On
m’a pas demandé mon avis. On m’a emmené. J’ai obéi. Le moyen
de faire autrement ?
– Oui,
ben ça, tu tâcheras d’en trouver un, de moyen. Et vite. Parce
que, sinon, tu risques d’aller au-devant de très très gros
ennuis.
J’essaie
de discuter. Elle me fait sèchement taire.
– En
attendant, on va t’offrir un petit acompte.
Elle
extirpe un martinet de sa tunique.
– Tu
vas danser, mon garçon ! Et tâche de faire ça bien. Vassilène
te regarde.
Je
danse. Longtemps. Et de plus en plus haut.
10-
Alrich
rassemble ses affaires. Toutes ses affaires.
– Tu
vas où ? Il se passe quoi ?
– Si
seulement je le savais…
Les
gardiennes l’emmènent.
– Allez !
Et
reviennent, presque aussitôt, en compagnie de Germie.
– Bon,
ben voilà. Apparemment que je suis ton nouveau colocataire.
Il
jette un coup d’œil par la fenêtre, fait la grimace.
– Question
paysage, je gagne pas trop au change, dis donc !
– Et
Alrich ? Elles en ont fait quoi ?
– Elles
l’ont mis avec Bardolle. C’est le grand chambardement. Rapport
aux deux autres qui se sont barrés. Paraît que ça nous donne des
idées de rester trop longtemps ensemble dans la même cellule. Alors
elles rebattent les cartes. Et sont, paraît-il, maintenant décidées
à les rebattre souvent.
– C’est
qui, ces types qui se sont enfuis ? On sait ?
– Un
perchiste et un lanceur de poids. Groupe B. Je crois vaguement voir
de qui il s’agit. Ils étaient à la générale. Forcément.
– Ils
ont pris de sacrés risques quand même !
– À
ce qu’il paraît qu’ils avaient des complicités à l’extérieur.
Des Cythriennes qui seraient tombées folles dingues amoureuses
d’eux. Il y en a qui disent que tout a été minutieusement préparé
et qu’ils ont déjà passé la frontière. Et d’autres qu’elles
les cachent chez elles. Mais, si ça tombe, c’est tout-à-fait
autre chose. Parce que souvent moins ça sait et plus ça parle.
Samedi.
Les mêmes gardiennes. Qui me remmènent là-bas.
J’essaie
de protester. D’expliquer que…
– La
ferme ! On t’a pas demandé ton avis.
Guizwa
m’accueille sur le perron. Tout sourire.
– C’est
le grand jour. Et je peux te dire qu’il y en a une qui t’attend
avec une impatience… Quant à toi, tu vas pas être déçu, tu vas
voir, parce que l’heureuse élue…
Elle
s’arrête.
– Ça
va pas ? T’en fais une tête !
– Je
me suis pris une fouettée. Et une sacrée…
– C’est
pas la première. Et ce sera pas la dernière. C’était quoi le
motif ?
– Que
je viens ici.
Elle
fronce les sourcils.
– Comment
ça ?
– Soi-disant
que Vassilène m’a choisi. Que je suis à elle. Et que, quand je
sortirai des SIB, c’est à son service que je serai.
Elle
m’attrape par le bras.
– Viens !
Il faut mettre Jartège au courant. Tout de suite. C’est trop
grave.
Laquelle
Jartège, derrière son bureau, s’arrête d’écrire.
– Je
t’écoute…
Je
lui raconte. La femme dans les douches. Ses menaces. Le martinet.
– Vassilène
n’a pas plus de droits sur toi que Korka. À qui je vais en référer
immédiatement. Mais, sauf contre-ordre formel de sa part, c’est à
elle que tu appartiens.
Et
elle nous congédie d’un geste de la main.
Je
soupire.
– Ça
va forcément me retomber dessus, tout ça… D’une façon ou d’une
autre.
– Pas
nécessairement.
– Tu
parles !
– Laisse-les
se dépatouiller entre elles. Pour le moment, t’as beaucoup mieux à
faire. La petite Manaïa. Qui doit être sur des charbons ardents.
Encore
des couloirs. Des escaliers. Une porte. Une petite pièce. Avec un
lit pour seul ameublement.
– Le
théâtre des opérations. Vous serez bien là. Vous serez
tranquilles. Même si…
Un
bref regard vers les murs, le plafond.
– Il
y aura des yeux partout. Faut bien qu’elles voient ce qu’elles
ont loupé. Que ça les motive pour une prochaine fois. Et il faut
bien aussi que d’autres, dans l’ombre, en profitent tout leur
saoul.
Dans
la cuisine règne un silence intense. Elles sont là, une
quarantaine, regroupées près des fourneaux, qui me dévorent des
yeux.
– Manaïa,
allez !
Elle
se précipite vers moi. Une jolie petite brunette au regard de
braise, aux seins voluptueux, qui me saisit la main, la porte à ses
lèvres.
– Bon.
Et les autres, au travail !
Elles
s’éclipsent à regret.
– Prenez
votre temps ! Tout votre temps…
Et
Guizwa referme sur nous la porte de la petite chambre.
On
est dans les bras l’un de l’autre. Elle se presse contre moi. Mon
désir vient palpiter contre son ventre. Ses mains s’approprient
mes fesses, les malaxent, s’y agrippent.
– Comment
tu t’appelles ?
– Hervain…
– J’ai
envie, Hervain ! Non, mais comment j’ai envie ! C’est
de la folie…
On
roule sur le lit. Où elle s’empare de moi, m’enfouit résolument
en elle. Son plaisir, éperdu, surgit presque aussitôt. Et puis le
mien.
On
reste rivés l’un à l’autre.
Elle
soupire.
– Trois
ans. Tu te rends compte ? Ça fait trois ans que… rien. Plus
rien. Jamais. Je croyais pas que ça reviendrait un jour.
– Plus
rien. Même entre vous ?
– Si,
bien sûr ! Comme vous entre mecs, forcément. Mais c’est pas
pareil. Ça pourra jamais être pareil.
Elle
lève un œil vers les caméras.
– Elles
regardent. J’ai eu ta semence. Elles ont vu que j’ai eu ta
semence. Comme elles doivent m’envier !
Me
picore le visage de tout un tas de petits baisers.
– Tu
m’as fécondée, si ça tombe.
– Et
il se passera quoi alors si c’est le cas ?
– Je
sais pas. J’en ai parlé à Guizwa hier. Elle a rien voulu me dire.
Juste de pas m’inquiéter. Plusieurs fois elle l’a répété.
« T’inquiète pas ! » Et elle m’a même souri.
Alors sûrement qu’ils vont me le laisser. Peut-être même qu’il
y a un endroit spécial où ils mettent celles qui sont enceintes ?
Il y a des filles, dans le groupe, elles pensent que oui.
Elle
se presse plus fort contre moi.
– Ce
serait trop bien que tu m’aies fait un bébé.
Me
sollicite, du bout du pouce.
– T’en
es encore ! Et pas qu’un peu… Attends ! Attends !
Elle
se met à quatre pattes, derrière levé.
– Prends-moi
comme ça ! Que ça me coule mieux dedans. Plus loin. Qu’on
mette toutes les chances de notre côté.
11-
Germie
veut savoir.
– Tu
sors d’où ?
– Je
n’en ai pas la moindre idée.
– Tu
te fiches de moi ? On t’emmène. Tout le monde se demande où
t’es passé. On te ramène six heures après. Et toi tu me viens
dire, la bouche en cœur, que tu sais pas où t’étais ?
Prends-moi bien pour un imbécile !
Je
n’ai pas le temps d’inventer une explication plausible. Qui
ménage les susceptibilités. Qui ne porte pas les jalousies des uns
et des autres à incandescence. Parce que deux autres gardiennes
surgissent.
– Amène-toi !
Allez, grouille !
Ce
n’est pas la route qui mène chez Korka. On se dirige plus au sud.
– Vous
m’emmenez où ?
– Tu
verras bien. Ferme-la !
C’est
encore plus cossu que de l’autre côté. Une succession de
gigantesques villas enchâssées dans des parcs immenses. On roule.
Longtemps. Une grille. Qui s’ouvre devant nous. Les gardiennes
m’abandonnent à l’entrée d’une allée.
– C’est
là-bas. En face. Vas-y !
Une
cythrienne me regarde approcher.
– Comme
on se retrouve !
C’est
la femme de la douche. Du fouet dans la douche.
– Tu
te crois très fort, hein !
– Non,
jevous jure. Seulement…
– Seulement
une occasion de baiser, ça se laisse pas passer.
Je
ne réponds pas. C’est pas la peine. De toute façon…
– Tâche
de bien en profiter. Tant qu’il est encore temps.
Elle
me saisit brusquement en bas. À pleines mains.
– Parce
que, quand tu appartiendras définitivement à Vassilène, – et
c’est à elle que tu finiras par appartenir, ça ne fait pas
l’ombre d’un doute – elles vont sauter ces jolies petites
prunes.
Elle
éclate de rire.
– Ben,
fais pas cette tête-là ! De toute façon, t’en auras plus
besoin. Ici, on baise pas. C’est pas le genre de la maison. Et puis
Vassilène veut la paix chez elle. La Sainte paix. Elle y tient
absolument. Et le seul moyen de l’avoir, c’est d’obliger les
assujettis mâles qu’elle recrute à laisser leurs couilles à
l’entrée. Oh, mais ça se passera très bien, tu verras !
D’autant que c’est moi qui m’occuperai de ton cas. Et que
j’adore ça faire sauter les bijoux de famille des petits
récalcitrants dans ton genre. Ça les calme radicalement. De ton
côté, t’y trouveras ton compte, tu verras. Si, si, je t’assure !
Tu te sentiras plus détendu. Plus serein. Apaisé. Heureux.
D’ailleurs, tiens, viens ! Je vais te faire faire la
connaissance de tes futurs petits camarades. Ils t’expliqueront
tout ça beaucoup mieux que moi.
Elle
m’installe sur un banc, sous une petite tonnelle.
– Attends
là !
J’attends.
Un oiseau s’épuise en trilles enchanteresses juste au-dessus de
moi. Des senteurs de roses et de seringat se poursuivent et
s’entrecroisent dans la douce brise de juin.
Des
voix. Des rires. Ils sont quatre. Qui s’approchent. Qui me
rejoignent.
Et
c’est vrai. C’est vrai. Ils sont coupés. Tous les quatre.
– Salut !
Alors comme ça, c’est toi, le nouveau…
– J’espère
bien que non.
Ils
hochent la tête, haussent les épaules.
– Te
fais pas trop d’illusions… Vassilène obtient toujours ce qu’elle
veut.
J’essaie
de me rassurer.
– Il
y a Korka.
– Qui
ne fait absolument pas le poids.
Ils
coupent court.
– Tu
verras bien n’importe comment…
Et
suivent mon regard. Qui saute inlassablement de l’un à l’autre.
– Oui,
hein, ça surprend quand on n’a pas l’habitude.
– Ça
fait mal ?
– Pendant,
non. Elle a le coup, Xarma. Et puis elle t’anesthésie. Mais après,
si, un peu, le temps que ça cicatrise. Comme toutes les plaies en
fait.
– Vous
regrettez pas ?
Ils
soupirent.
– Qu’est-ce
que tu veux qu’on te dise ? Bien sûr que oui, dans un sens.
Mais on nous a pas demandé notre avis. Alors…
– Oh,
et puis en même temps, c’est pas si dramatique que ça finalement.
– Pas
aussi dramatique que ce que t’imagines avant qu’on te l’ait
fait en tout cas. Tu les as plus. Bon, ben voilà ! C’est
comme ça. Et il y a pas de quoi en faire toute une histoire.
– Et
l’avantage après, c’est que ça te tracasse plus. Parce que,
quand tu les as, tu penses plus qu’à ça en fait. Sans arrêt. Ça
te bouffe la vie.
Il y
en a un– un petit brun tout en muscle – qui finit par
protester.
– Ah,
non, les gars, non ! Moi, je suis pas d’accord. Il y a des
jours, j’en crève de plus les avoir. J’en crève vraiment.
Il
soupire. Le silence s’installe. Il y a des appels au loin. Deux
assujetties nues remontent l’allée.
– Et
votre rôle à vous, ici, c’est quoi alors au juste ?
– Amuser
la galerie.
Les
autres confirment.
– C’est
à peu près ça, oui. Quand Vassilène donne des réceptions, – en
général, c’est le mardi soir –, on sert d’attractions.
Ses invitées nous examinent sous toutes les coutures. Font toutes
sortes de commentaires entre elles. Se moquent ouvertement de nous.
– Comment
j’aimerais pas ça, moi !
– Nous
non plus, j’te rassure ! D’autant qu’on est obligés de
faire contre mauvaise fortune bon cœur. Parce que ça dure parfois
des heures et que, si on manifeste le moindre signe d’agacement, on
se prend aussitôt une bonne fouettée. Et elles le savent, ces
garces. Alors il y en a qui font tout pour nous pousser à bout.
– Et
le reste du temps ? Vous faites quoi ?
– Le
reste du temps, on est avec les assujetties filles. On aide aux
cuisines. Au ménage. Au service. À tout ce qu’il y a à faire en
fait. On n’est ni plus ni moins qu’elles.
– Elles
sont nombreuses ?
– Une
vingtaine. Sympas, pour la plupart, tu verras. Même s’il y en a
deux ou trois, dans le tas… Mais ça, ça peut pas être autrement.
– Alors,
ça y est ? On a fait connaissance ?
Elle.
Xarma. Qu’on a pas entendue arriver.
– Vous
vous entendrez très bien tous les cinq, je suis sûre ! Non ?
Ils
font signe que oui. Oh, oui.
– Et
toi ? T’es pas de leur avis ?
– Si !
Du
bout des lèvres. Qu’est-ce que je peux dire d’autre ?
– Ah,
ben tu vois ! Tu commences enfin à faire des progrès.
Elle
lève son fouet, me l’abat sur les fesses.
– Pour
t’encourager à persister dans la bonne voie.
Et
ça tombe. Ça tombe à toute volée.
12-
Je m’effronde sur
mon lit.
Germie me jette un
regard effaré.
– Mais
qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que t’as ? T’es
complètement décomposé.
– Laisse-moi,
s’il te plaît ! Laisse-moi !
– Sûrement
pas, non !
Il
s’approche, s’assied à mes côtés, me pose une main sur le
ventre, me le caresse du bout du pouce.
– Vide ton
sac, va ! Ça te fera du bien.
Il descend plus bas.
– Non ?
Tu crois pas ?
Encore
plus bas. Il m’effleure la queue, s’en éloigne, y revient, me la
fait dresser. Je m’abandonne. Germie est orfèvre en la matière.
Il n’a pas son pareil pour donner du plaisir avec les doigts. Je
ferme les yeux. Il me fait surgir, s’allonge à mes côtés.
– Là !
Ça va mieux ? Eh bien, raconte maintenant !
Et
tout sort. D’un coup. En vrac. Vassilène. Guizwa. La fille qui
veut que je l’engrosse. Korka. Xarma. Les types sous la tonnelle
qui n’en sont plus. Tout.
– T’es
dans de sacrés beaux draps.
– Ça,
c’est le moins qu’on puisse dire.
– Faut
que tu gagnes du temps. Que tu restes SIB. Le plus longtemps
possible.
– C’est
bien mon intention. Et je fais ce qu’il faut pour. Seulement…
Il
se tourne vers moi.
– Faut
que je te dise un truc. Faut vraiment que je te dise un truc.
– Ben,
vas-y ! Je t’écoute.
– Le
grand jour approche. Dans un peu plus d’une semaine, c’est leurs
fameux jeux.
– Je
sais bien, oui.
– À
cette occasion, on aura droit à des plateaux-repas personnalisés.
Le menu de chacun sera établi en fonction de ses paramètres
biologiques, du sport qu’il pratique et de tout un tas d’autres
critères plus ou moins obscurs.
– Oui.
Et alors ?
– Et
alors rien de plus facile que de verser, dans tes aliments à toi,
une substance quelconque qui te ferait perdre tous tes moyens.
– Pour ?
Me virer des Sib, c’est ça, hein ! C’est dégueulasse.
C’est vraiment dégueulasse.
– Si
je t’en parle, c’est que c’est déjà arrivé. Et pas plus tard
que l’an dernier. Et, très vraisemblablement, à l’instigation
de Vassilène.
– Je
refuserai de bouffer
– Les
gardiennes t’y forceront.
– Et
ma prestation sera lamentable. Et je serai plus SIB. Et après…
Mais après peut-être que Korka arrivera à prendre le dessus.
– J’en
doute. Parce que Vassilène dispose d’un atout majeur. Elle peut
imposer une situation de fait. Qu’elle te les fasse couper,
d’autorité, et, par la force des choses, tu seras à elle. Parce
que qu’est-ce t’irais faire chez Korka une fois que tu les auras
plus ?
– Quelle
salope ! Ouais, je suis cuit, quoi !
– Pas
forcément.
– Et
tu vois quoi comme solution ?
– Je
te dirai. Laisse-moi réfléchir ! Je te dirai.
Ça
s’agite de tous les côtés. Aux sautoirs. Sur la piste. Aux
lancers.
Et
ça braille. Gardiennes et entraîneuses arrêtent pas de brailler.
– C’est
mou, tout ça, c’est mou. Allez, on se bouge !
Et
d’abattre leurs fouets à qui mieux mieux.
L’entraîneuse
en chef court dans tous les sens.
– Jamais
on sera prêts pour le douze. Jamais. Mais faites-moi bosser tout ça,
nom d’un chien ! Faites-les bosser…
On
redouble d’efforts. Et elles redoublent de coups de fouet.
Les
spectatrices, un peu plus nombreuses encore que d’habitude,
s’amusent comme des petites folles. Encouragent les gardiennes.
Leur dénoncent les tire-au-flanc.
– Celui-là,
là-bas, qui traîne la patte. Qui fait semblant.
Mes
supportrices habituelles sont là. Fidèles au poste. Fidèles à mon
sautoir. Et déchaînées.
– Allez,
vas-y ! Montre-nous ce que tu sais faire…
– Mais
pas trop non plus. Qu’on les voie te caresser les fesses. Parce
qu’elles en sont aujourd’hui de vous les chauffer.
– Allez !
À la une, à la deux, à la trois…
Et
je m’étale de tout mon long pendant ma course d’élan. Elles
applaudissent à tout rompre.
Les
gardiennes se ruent sur moi.
– Dix
minutes de pause. Profitez-en pour vous désaltérer.
Germie
s’approche.
– Ici,
il y a pas de micros. On peut parler. Alors que je te dise :
Alrich va se barrer.
– Comment
ça ?
– Tu
l’as vu courir ? Il restera pas Sib, c’est certain. Alors
foutu pour foutu, il a décidé de tenter le tout pour le tout. Et de
foutre le camp.
– Comme
ça ? La fleur au fusil ? Il aura pas fait trois cents
mètres qu’on l’aura ramassé.
– Non.
Parce qu’il a minutieusement préparé son départ. Et qu’il
bénéficie de la complicité d’une cythrienne qui lui est toute
dévouée.
– Vu
comme ça… Et il part quand ?
– Pendant
la dernière journée de compétition. Le dimanche. Il y aura foule.
Et une monumentale pagaille. L’occasion ou jamais d’en profiter.
– Il
y a quand même des risques.
– Ah,
ça, c’est sûr. Mais le jeu en vaut la chandelle. Et j’ai pas de
conseils à te donner, mais, à ta place, je partirais avec. Parce
que ta situation n’est guère plus florissante que la sienne. Et
même…
– Sauf
que cette dame n’aura pas forcément envie de s’encombrer de moi.
– J’en
ai touché deux mots à Alrich. Ça ne pose pas le moindre problème.
Disons que la dame est très gourmande et que la perspective d’avoir
deux mâles sous la main ne sera pas pour lui déplaire.
– Dans
ces conditions…
– Bon,
alors je t’explique vite fait. Parce qu’on n’a pas beaucoup de
temps. Et qu’il est hors de question de pouvoir parler de ça dans
notre cellule. À cinq heures précises ça se passera. Au moment où
la victoire commencera à se dessiner pour l’un ou l’autre des
amarillons. Où tout le monde aura les yeux rivés, le cœur battant,
sur les différentes épreuves. Où personne ne fera attention à
vous. Vous passerez discrètement, l’un après l’autre, lui
d’abord, derrière les douches. Le grillage aura été sectionné.
Une voiture vous attendra. Vous vous y engouffrerez.
– Et
on ira où ?
– Chez
elle. Où vous resterez cachés le temps que tout se calme. Qu’on
abandonne les recherches. Et le temps qu’elle profite un peu de
vous.
– Et
ensuite ?
– Elle
vous fera passer la frontière.
– À
moins qu’elle préfère nous garder définitivement sous le coude.
– Éventualité
qui n’est pas à exclure. Mais il n’y a pas d’autre choix que
de lui faire confiance. Et ce serait de toute façon moindre mal que
ce qui vous attend, l’un comme l’autre, en restant ici. Non ?
Les
fouets claquent.
– Bon,
allez ! On reprend. Tout le monde en piste.
13-
Au
réfectoire, il n’y a plus qu’un seul et unique sujet de
conversation : les jeux. Et chacun de se demander, avec plus ou
moins d’inquiétude, si ses résultats seront à la hauteur, s’il
ne va pas être reversé au tout venant.
Tiercelin
crie haut et fort qu’il ne le supportera pas.
On
hausse les épaules.
– Parce
que t’imagines qu’on va te laisser le choix ?
Gamelot,
lui, s’efforce de plaisanter.
– Dommage
que les filles ne concourent pas en même temps que nous. Ça nous
motiverait.
– Ça
s’est déjà fait dans le temps.
Tous
les regards convergent vers Taltu. C’est le plus ancien d’entre
nous, Taltu. Il y a douze ans qu’il est SIB. Lanceur de poids.
– C’est
vrai ? Eh bien raconte, quoi !
– Ça
remonte à mes tout débuts ici. Huit ans. Peut-être neuf. Ou bien
dix, je sais plus au juste. Toujours est-il que oui, je sais pas ce
qui leur était passé par la tête, mais les compétitions avaient
eu lieu au même moment, au même endroit. Hommes et femmes ensemble.
Ils n’ont jamais renouvelé l’expérience. Et pour cause !
Non, mais imaginez ! Des types sevrés depuis des mois et des
mois, qu’on balance, comme ça, à poil, au milieu de tout un tas
de nanas, elles aussi à poil. Résultat ? Ben, ça bandait à
qui mieux mieux. Pour la plus grande joie des spectatrices dans les
gradins. Et au grand désespoir des officielles : plus personne
n’était concentré sur les épreuves. Une vraie catastrophe au
niveau des résultats. Et une hécatombe après : plus des trois
quarts d’entre nous ont été exclus des SIB.
Le
silence s’installe. Chacun s’absorbe dans ses pensées.
Les
entraînements se font de plus en plus longs. De plus en plus
intensifs.
– Trois
jours… C’est dans trois jours… Alors on se sort les tripes.
Et les spectatrices
de plus en plus nombreuses. De plus en plus passionnées.
Xarma aussi est là.
Qui ne me quitte pas des yeux. Qui m’arrête sur le chemin des
douches.
– Tu es d’une
incorrection !
Je la regarde sans
comprendre.
– Ben,
oui ! Oui. Vassilène, dans sa grande bonté, t’offre
généreusement des cours de Cythrien. Tu aurais au moins pu avoir la
politesse de la remercier.
Je
bafouille lamentablement.
– Je
savais pas… Que c’était elle… Je savais pas.
Elle
me pose la main sur le bras.
– Je
vais te donner un petit conseil. Entre nous. Parce que je t’aime
bien. Tes deux charmantes compagnes d’étude, là, eh bien tu
devrais t’occuper un peu d’elles. Parce que c’est peut-être
l’une des dernières occasions que tu auras avant que…
Elle
jette un regard appuyé en bas.
– Avant
que ça saute, tout ça.
Et
elle me tourne le dos.
Deux
gardiennes m’attendent à la sortie des douches, m’entraînent.
– Par
ici !
Je
ne pose pas de questions. Je les suis.
La
salle de classe. Varine et Marla. Tout excitées. Volubiles.
– On
a eu des infos.
– Oui.
On peut si on veut.
Elles
lèvent la tête vers les caméras.
– Il
y en a même une, quelque part, qu’attend que ça, à ce qu’il
paraît. Nous voir faire.
– Mais
on s’en fout. Elle peut bien reluquer tant qu’elle veut. On s’en
fout.
Marla
se presse contre moi, jette ses bras autour de mon cou.
– Comment
c’est bon un mec qui bande ! Non, mais comment c’est bon !
Varine
écrase ses seins contre mon dos, me picore le cou de tout un tas de
petits baisers, me malaxe ardemment les fesses.
Le
regard de Marla est ivre de désir.
– Viens !
Viens ! J’ai trop envie.
Elle
m’enfouit en elle. Nous nous lançons furieusement à l’assaut
l’un de l’autre. À grands coups de reins éperdus. Très vite,
elle sanglote son plaisir dans mon cou. Et je répands le mien.
– À
moi, maintenant ! À moi !
Varine
se fait pressante, me sollicite d’une main impatiente. Et habile.
– Ah,
ça y est, ça y est ! Elle reprend vie.
Elle
l’engloutit entre ses lèvres. Finit de lui redonner consistance.
Derrière
son bureau, la prof de Cythrien ne nous quitte pas des yeux. Sa main
s’active entre ses cuisses.
Varine
me veut en elle. M’exige. Son plaisir est tumultueux. En grandes
vagues rugissantes. Celui de la prof nous accompagne en sourdine.
Marla
veut encore.
– Une
fois ! Juste une fois. Oh, si, va !
Les
gardiennes me ramènent dans ma cellule. J’ai à peine le temps de
reprendre mes esprits que deux autres surgissent.
– Allez,
en route !
En
route. Direction… Korka.
Guizwa
m’attend sur le pas de la porte.
– J’espère
que tu es en forme…
– Ben,
justement… Pas trop, non !
– Va
falloir ! Parce que c’est toi qui dois assurer le spectacle ce
soir. Allez, vite, dépêche-toi, tout le monde nous attend.
Tout
le monde. Une trentaine de personnes. Que des femmes. Et Korka que je
reconnais aussitôt sans l’avoir jamais vue. Tous les regards
convergent vers moi. On m’examine. On me jauge. On me soupèse.
Sur
la gauche une superbe assujettie, à la longue chevelure d’ébène,
aux yeux d’un bleu improbable, me tend les bras. Je m’y réfugie.
Elle
chuchote.
– T’occupe
pas d’elles. Elles n’existent pas. On n’est que tous les deux.
Et fais-moi du bien. Beaucoup de bien.
Lui
faire du bien ? Je demande pas mieux, moi ! Seulement il
vient d’y avoir Marla. Et Varine. Et encore Marla. Alors avec la
meilleure volonté du monde… J’ai beau me pencher sur ses seins.
Qui sont magnifiques. En suçoter la pointe dressée. Les solliciter
tant et plus. Rien. J’ai beau enfouir ma tête entre ses cuisses. Y
fourrager avec mes doigts, avec ma bouche, avec mes lèvres. Rien.
Strictement rien.
De
son côté, elle ne ménage pas ses efforts. Elle palpe. Elle
décalotte. Elle enserre. Elle branle. Elle descend lécher. En vain.
Derrière
nous commencent à s’élever des rires. De plus en plus forts. De
plus en plus moqueurs. Et des commentaires. Dont il est évident,
bien que je n’en comprenne pas le sens, qu’ils sont fort
désobligeants à mon égard.
Un
ordre claque. On se saisit de moi. On me jette dehors.
Guizwa
me raccompagne jusque sur le perron.
– Là,
j’ai bien peur que t’aies gagné le gros lot.
14-
Germie hoche la
tête.
– Elles
t’ont tendu un piège. Et t’as sauté dedans. À pieds joints.
– Le
moyen de faire autrement ?
– Je
sais bien, oui. T’avais pas le choix. Sauf que maintenant, Korka,
pour toi, c’est mort. Vassilène s’est ouvert un boulevard. Il ne
lui reste plus qu’à faire en sorte que, ce week-end, tes résultats
soient catastrophiques. Et c’est dans la poche. Dans quinze jours,
tu es à elle. Sauf imprévu, bien entendu…
Et
il m’adresse un discret sourire entendu.
Des
vivats retentissent soudain dans le couloir. Des applaudissements.
Des cris de joie.
– Deuxièmes !
Les filles ont fait deuxièmes !
On
rejoint les autres, agglutinés autour de l’entraîneuse en chef.
– Oui.
Deuxièmes. Juste derrière celles de l’amarillon quatre.
– Et
de douze points seulement il s’en faut.
– Oh,
ça se rattrape douze points. Et on va les rattraper. C’est moi qui
vous le dis !
– On
va gagner ! Pour l’amarillon trois, hip, hip, hip !
Un
grand hourra s’élève. Les gardiennes sourient complaisamment. Des
conversations animées s’engagent.
Germie
et moi, nous rejoignons notre cellule.
– Gagner,
ça va les avancer à quoi, gagner ? C’est les Cythriennes qui
y trouveront leur compte. Pour nous, ça ne changera strictement
rien.
Au
réfectoire, on guigne dans les plateaux les uns des autres.
– T’as
quoi, toi ? Oh, mais dis donc, on t’a soigné !
On
m’a soigné, oui ! Des noix de Saint-Jacques. Du colin.
Je
mange, du bout des lèvres, sous la surveillance de deux gardiennes
qui ne quittent pas notre table des yeux. Et qui semblent me
surveiller tout particulièrement.
– Il
fait une chaleur !
– On
est au mois de juin.
– T’appréhendes
pas, toi, Alrich ? Parce qu’un dix mille mètres dans ces
conditions !
Bien
sûr qu’il appréhende.
– Mais
tout le monde sera logé à la même enseigne.
Il
évite de me regarder.
Un
fouet claque derrière moi.
– Tu
finis ton assiette, toi ! Et tu te dépêches !
Dans
le car, une douce somnolence s’empare de moi.
Mon
voisin me pousse du coude.
– Eh,
c’est pas le moment de s’endormir !
Je
lutte. Je lutte désespérément contre le sommeil.
Au
stade, il fait une chaleur moite, suffocante. Les tribunes sont
pleines à craquer. Des femmes. Beaucoup de femmes. Qui portent les
couleurs de leur amarillon. Quelques hommes.
On
nous distribue des brassards. Rouges. L’amarillon trois, c’est le
rouge.
Un
éblouissement me saisit. Je me raccroche à Gamelot.
– Ça
va pas ?
– Si,
si ! C’est rien. Ça va passer.
Une
dirigeante claironne.
– Ceux
qui ne concourent pas tout de suite, vous allez attendre votre tour
là-bas.
Là-bas,
derrière les barrières, sur le grand espace herbu contigu aux
douches. On nous y rassemble. Les sauteurs en longueur adverses
m’observent du coin de l’œil. Les vertiges se succèdent, de
plus en plus nombreux. De plus en plus violents. Je m’efforce, tant
bien que mal, de ne rien en laisser paraître.
Sur
la piste on court. On saute. Dans les gradins, on crie. On encourage.
On acclame. Tout cela ne me parvient qu’à travers un épais
brouillard.
Alrich
vient s’effondrer à mes côtés.
– Je
suis cuit. Dans tous les sens du terme. Je suis cuit.
– Allez,
à nous !
Je
titube jusqu’au sautoir.
Les
autres s’élancent. Un vert. Un rouge. Dont les sauts sont salués
par un tonnerre d’applaudissements.
À
mon tour. Je mords largement au-delà de la planche d’appel.
Les
essais se succèdent. Les rouges. Les bleus. Moi. Les verts. Mon
partenaire blanc. Tout cela ne me parvient que de très loin.
– Tu
m’écoutes ?
Mon
entraîneuse. Je l’écoute, oui.
– Eh
bien, on dirait pas. C’est ton dernier saut. Alors concentre-toi.
Et te loupe pas.
Je
me concentre. Malgré l’étau qui m’enserre les tempes. Malgré
les petits papillons brillants qui voltigent obstinément devant mes
yeux.
Je
me concentre. Je m’élance. Je saute. Je retombe. Trois mètres, à
peine. On me siffle copieusement. On me hue.
Tête
basse, je vais me réfugier derrière les barrières. Je me laisse
tomber dans l’herbe. Plus rien ne m’atteint. Dormir. Seulement
dormir. Une gardienne surgit qui ne m’en laisse pas le loisir.
– Non,
mais tu te crois où, toi ?
Elle
me cingle le dos, les fesses. M’oblige à me relever.
Autour
de moi on commente. On commente à tout-va.
– Il
est devant, Jerfaut. Il est devant. Pourvu qu’il tienne.
– Il
est parti trop tôt. Huit cents mètres, ça a pas l’air, mais
c’est long.
– Ça
va le faire ! Ça va le faire ! Regarde, Hervain, mais
regarde.
Et
on me bourre les côtes de coups de coude.
Ils
laissent éclater leur joie.
– Il
a gagné, putain ! Il a gagné.
Je
reprends peu à peu mes esprits. Ça va mieux. De mieux en mieux.
Beaucoup mieux.
Le
stade se vide. On nous ramène aux cars. Entre deux haies de
spectatrices enthousiastes.
– Oui,
les rouges ! Super. Vous avez assuré.
Moi
seul, au passage, essuie des réflexions désobligeantes. Quelques
horions.
– Gros
nul !
– Salopard !
À
deux ou trois reprises, on me bouscule avec hargne. Je feins
l’indifférence.
Xarma
est à la porte du car. Elle me regarde approcher, un sourire
sardonique au coin des lèvres. Avec son index et son majeur, elle
fait le geste de ciseaux qui coupent. À plusieurs reprises. Tout en
me regardant en bas.
– Couic !
Et
elle éclate de rire.
15-
Au
petit déjeuner, le lendemain, ils calculent et recalculent
inlassablement.
– Six
points à rattraper. Six points.
– Avec
le poids et les relais, ça devrait le faire.
– Ça
risque quand même d’être juste.
Personne
ne m’a reproché ma contre-performance d’hier. Personne ne m’a
parlé de rien, mais je ne peux m’empêcher de penser que, si
j’avais pu pleinement m’exprimer, à mon vrai niveau, nous
serions en tête.
De
le penser et de le dire à Germie. Qui hausse les épaules.
– Et
alors ? Ça changerait quoi pour toi ? Rien. Strictement
rien. Ni pour toi ni pour nous.
Et
il me glisse à l’oreille
– Merde
pour tout-à-l’heure.
En
me serrant le bras à le broyer.
Cinq
heures. Amarillon quatre et amarillon trois sont à quasi égalité.
Les concurrents du relais quatre fois quatre cents mètres prennent
place. Le stade est une véritable bouilloire. Qui mugit et rugit,
les yeux fixés sur eux. Je me sens étrangement calme. Je me laisse
lentement dériver vers les douches. Le plus lentement possible. Le
plus naturellement possible. Encore vingt mètres. Derrière moi la
clameur enfle. Encore dix mètres. Je touche au but. J’y suis. Une
voiture est bien là. À deux pas. Je me faufile à travers
l’ouverture dans le grillage. C’est Alrich qui, de l’intérieur,
m’ouvre la portière. Il pleure.
– Ça
y est, Hervain, ça y est ! On a réussi.
Je
croise, dans le rétroviseur, les yeux de la conductrice. Qui tempère
son enthousiasme.
– Pas
encore ! C’est en bonne voie, mais pas encore !
Elle
prend à droite.
– Qu’il
s’habille ! Qu’il s’habille ! On sait jamais. Si on
tombe sur une patrouille…
Alrich
me tend des vêtements
Gauche.
Droite. Droite. Gauche.
– Je
nous rallonge, mais, par là, je suis à peu près sûre d’éviter
les contrôles.
Une
cour. Un garage. Dont elle va refermer la porte, de l’intérieur,
avant de nous laisser descendre. De nous introduire chez elle. Dans
son séjour, un séjour dans des tons gris meublé simplement d’un
canapé, d’une petite table basse, d’une bibliothèque. Un séjour
dont la décoration consiste, en tout et pour tout, en deux tableaux
qui se font face, l’un représentant une rue commerçante animée
et l’autre un gros paquebot s’apprêtant manifestement à prendre
la mer. Tout cela nous semble le comble du luxe à nous qui n’avons
jamais connu, ni l’un ni l’autre, le moindre confort.
Elle
nous sourit. C’est une petite femme brune, l’air énergique, la
coupe au carré, les yeux d’un noir ardent. Elle s’approche
d’Alrich
– Bon,
mais d’abord, avant toute chose…
Elle
déboutonne sa chemise, en écarte les pans, lui picore le torse
d’une multitude de petits baisers. Elle descend, descend encore,
promène ses lèvres à la lisière du pantalon dont elle déboucle
la ceinture. Qu’elle fait lentement glisser. Dont elle extirpe la
queue orgueilleusement dressée. Alrich se fait ardent, pressant, la
pousse vers le canapé sur lequel ils basculent tous les deux.
Elle
se tourne vers moi, me tend la main.
– Viens,
toi aussi ! Viens !
Je
m’agenouille à leurs côtés, me penche, lui caresse un sein, du
bout du pouce, agace le téton de l’autre entre mes dents.
Juché
sur ses avant-bras, Alrich galope frénétiquement à la poursuite de
son plaisir. Il pousse un long cri de bête blessée, retombe.
– Je
suis désolé. J’ai pas pu attendre. Il y avait si longtemps…
Elle
lui tend un baiser
– Ça
fait rien. Ce sera mieux tout-à-l’heure.
Elle
le repousse doucement, m’attire contre elle, referme ses bras
autour de mon dos. On ne se quitte pas des yeux. Son plaisir monte
lentement, déferle en longues plaintes voluptueusement modulées. On
reste longuement rivés l’un à l’autre.
Et
puis elle se tourne vers Alrich.
– Tu
reveux ?
Il
reveut. Et ils ont, cette fois, leur plaisir en même temps.
Il y
a des mois et des mois qu’on n’a pas bu d’alcool. On est tous
les deux un peu gris.
Elle
repousse tout ce qui encombre la table. Sauf les verres.
– Bon,
parlons peu, mais parlons bien… Vous pensez bien que si j’ai pris
autant de risques pour vous faire sortir de là-dedans, ce n’est
pas uniquement pour le plaisir de m’offrir une partie de jambes en
l’air avec vous. Même si ce n’est pas à négliger. Parce que,
comme l’immense majorité d’entre nous, je n’ai jamais, au
grand jamais, l’occasion de mettre un homme dans mon lit. C’est
là une denrée dont nos dirigeantes se réservent l’exclusivité.
En faisant d’ailleurs en sorte, par la vertu de mesures
appropriées, qu’elle soit aussi rare que possible.
– Ce
qui les avance à quoi ?
– Plus
un produit fait défaut et plus il a de valeur. Et plus, par
ricochet, en ont celles ou ceux qui le possèdent. Plus cela leur
confère un statut d’exception. Plus cela renforce le pouvoir. Que
nos gouvernantes se sont par ailleurs arrogé. Il y a ELLES, la caste
des nanties, qui décide, qui légifère, qui impose à son gré et
puis il y a nous, le menu fretin, qui devons subir, obéir et en
passer par le moindre de leurs caprices. Alors nous sommes
quelques-unes qui avons décidé de ruer dans les brancards, de
bousculer un ordre des choses qui laisse tous les pouvoirs entre les
mains d’une minorité arrogante qui édicte les lois en fonction de
ses seuls intérêts.
– Et
vous allez faire quoi au juste ?
– Là-dessus
vous me permettrez de ne pas vous dévoiler quoi que ce soit. Pour
des raisons évidentes. Sachez seulement que, si nous réussissons,
ce sont les fondements mêmes de notre organisation sociale actuelle
qui seront ébranlés. Les passe-droits seront supprimés. Les
assujettis seront intégrés au reste de la population. Et il sera
évidemment totalement exclu d’aller en recruter d’autres comme
cela se fait actuellement de façon tout-à-fait inacceptable.
– Bon,
mais alors… tu attends quoi de nous finalement ?
– J’y
arrive. Nous ne pourrons mener notre entreprise à bien si nous ne
disposons pas, à l’extérieur, de soutiens prêts à intervenir à
nos côtés le moment venu.
– Et
plus précisément ?
– La
politique de nos dirigeantes consiste à nous isoler, autant que
faire se peut, de l’étranger. À fermer les frontières. Et pour
cause ! Elles n’ont pas du tout envie qu’on sache ce qui se
passe exactement ici. Votre rôle à vous va donc consister, dans un
premier temps, à raconter ce que vous avez vu, ce que vous avez
vécu. Le plus souvent possible. Au plus de monde possible. De façon
à susciter un intérêt, à choquer, à scandaliser, bref, à
amorcer quelque chose. À créer un état d’esprit qui nous soit
favorable.
– S’il
n’y a que nous deux…
– Il
n’y aura pas que vous deux. On en a envoyé d’autres avant vous.
On en enverra après.
– Et
c’est tout ? On aura que ça à faire ?
– Au
début, oui. Il faut d’abord que la mayonnaise prenne.
– Et
après ?
– On
n’en est pas encore là. On trouvera moyen de vous faire savoir.
Quand il le faudra.
– On
partira quand ?
– Demain
matin. Inutile que vous restiez là à courir des risques. Et à nous
en faire courir. Mais, en attendant, on a toute la soirée pour nous.
Venez !
Sur
le canapé. Tous les trois.
16-
Au
petit matin, elle nous fait monter à l’arrière d’une
camionnette. Nous remet à chacun un sac de provisions.
– Bon
courage ! On compte sur vous, hein !
Elle
referme les portières, échange quelque mots avec la conductrice.
Dont nous n’avons pas vu le visage. Et en route !
Alrich
ne fait que répéter, sur tous les tons.
– Tu
te rends compte ? On se tire. J’y crois pas. Non, mais j’y
crois pas. On se tire.
On
s’arrête.
– Déjà !
Il y
a des voix. Plusieurs. Toutes féminines.
On
repart.
– Et
si tu me racontais ?
Je
lui raconte. Korka. Vassilène. La rivalité entre elles. Les menaces
sur mon intégrité physique. La drogue dans mon plateau-repas.
– Tu
l’as échappé belle.
– Et
toi ?
– Oh,
moi ! J’allais être viré des SIB. C’était couru. Et même
clairement annoncé. On allait m’envoyer je sais pas trop où.
Heureusement qu’il y a eu Germie pour me sortir de là.
– Comment
il a eu ce filon, lui ?
– Tu
penses bien que je lui ai posé la question. Il n’a rien voulu
dire. J’ai pas insisté.
On
s’arrête à nouveau. Une vieille femme à l’air revêche, nous
fait descendre. Au milieu des bois.
– Si
vous voulez prendre vos précautions, c’est le moment.
On
nous transfère dans une autre camionnette.
– Tu
vas faire quoi, toi, une fois rentré ?
Il
ne sait pas.
– Reprendre
ma vie d’avant, ça me tente pas vraiment. C’était trop galère.
Je vais essayer autre chose. Autrement. Ailleurs. Mais j’ai pas la
moindre idée de quoi.
– Il
va encore falloir se battre pour trouver à bouffer.
– Les
choses ont peut-être changé.
– Oui,
oh, alors ça !
On
se tait. Le roulis de la camionnette nous berce. Chacun s’absorbe
dans ses pensées. Et moi ? Je vais faire quoi, moi ? Je
n’en ai pas la moindre idée non plus. Je ne veux pas y penser. Je
verrai bien.
Encore
un arrêt. Et encore un changement de véhicule. La femme qui nous
prend cette fois en charge est plus loquace.
– On
approche. Il y a encore de la route à faire, mais on approche.
Elle
casse un bout de croûte avec nous.
– Il
y a pas de danger. Il passe jamais personne ici. De toute façon,
maintenant, vous êtes quasiment tirés d’affaire.
On a
dormi. Il a fait nuit. C’est à nouveau le matin.
– T’en
penses quoi, toi, de leur projet de révolution, là ?
Il
fait la moue.
– Je
suis sceptique. Très. Pour autant que j’aie pu en juger, les
dirigeantes en place tiennent solidement en mains les rênes du
pouvoir. Ça va pas être facile de les déloger. Pour ne pas dire
impossible.
– Si
ça peut les aider à supporter leur condition de croire qu’elles
vont pouvoir la changer… En tout cas, elles investissent beaucoup
sur nous, c’est le moins qu’on puisse dire.
– Elles
se rendent pas compte, mais on ne peut de toute façon pas leur être
d’un grand secours. Vu l’état de désorganisation qui règne
chez nous…
Elle
nous fait descendre.
– Vous
êtes arrivés. Bonne chance !
Et
elle repart sur les chapeaux de roues.
On
est arrivés, oui. Nous, on veut bien, mais on est arrivés où ?
Parce que là, on est carrément au milieu de nulle part.
– Ça
sent la mer.
– Oui.
Elle n’est pas loin.
La
Méditerranée, sûrement. Vu la chaleur qu’il fait. Et la
végétation.
On
marche au hasard. Sans rencontrer âme qui vive. De temps à autre on
longe un bâtiment en ruine.
– Et
ben dis donc, ça a pas l’air de s’être vraiment arrangé.
Une
maison. Qui a l’air de tenir à peu près debout. On frappe. On
appelle. Sans obtenir la moindre réponse.
La
porte n’en est pas fermée à clef. Les occupants l’ont
manifestement abandonnée depuis un certain temps déjà : la
poussière s’est accumulée sur le sol et sur les meubles. La
cuisine semble à peu près en état bien que les placards soient
vides de toute denrée alimentaire. Dans l’une des deux chambres,
il a manifestement abondamment plu. L’autre, par contre, est encore
équipée d’un lit dont matelas et sommier n’ont pas l’air trop
détériorés.
– On
s’installe là ?
– Faute
de mieux.
On
s’installe et on fait le point. La priorité des priorités, c’est
de trouver de quoi se nourrir. Ce qui implique de se mettre à la
recherche d’une ville, d’un village. Enfin bref, d’une
concentration humaine quelconque.
– Ce
qui va en outre nous permettre de nous faire une idée de la
situation.
Aussitôt
dit, aussitôt fait.
– De
quel côté on va ?
– Vers
la mer plutôt, non ? Ne serait-ce que pour attraper quelque
chose à manger.
– Tu
sais pêcher ?
– Je
me débrouille.
On
suit un chemin. Un autre. On se faufile sous des barbelés. Ça
descend. Ça descend toujours.
– On
approche.
Deux
femmes au bord de la route.
– On
pourrait peut-être leur demander.
Je
hurle.
– Attention !
Trop
tard. Leurs mains se lèvent simultanément dans notre direction,
pointent vers nous quelque chose de rouge et de sphérique. Comme la
première fois. Comme la fois où… Quelque chose qui nous force à
nous arrêter. Nos jambes ne nous obéissent plus. Nos bras ne nous
obéissent plus. Impossible de bouger la tête. Elles s’approchent.
Tout près. Piégés. Repris. Elles débouchent un flacon dont elles
nous font respirer le contenu. Tout chavire. On perd connaissance…
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