samedi 16 janvier 2010

Nouvelles ( 3 )

C O U P L E S


Il a proposé ça comme ça, un soir, tranquillement, juste au moment d’aller se coucher...
- Et si on faisait de l’échangisme ?…
- Quoi?!... Non, mais ça va pas, Bruno?!... T’es pas bien?... Tu parles pas sérieusement, j’espère?
- Oh, mais il y en a plein des couples qui le font ça aujourd’hui!... Faut vivre avec son temps!...
- Oui, ben compte pas sur moi pour ça, alors là!

Violaine a écarquillé des grands yeux stupéfaits
- Ah oui!?!... Bruno! Eh ben dis donc!... Pourtant quand on vous voit comme ça!... Tout le monde le dit, hein! Si il y a un couple qui tient la route c’est bien vous...
- Je comprends pas!... Non, j’arrive pas à comprendre... J’ai beau tourner ça dans tous les sens... Mais qu’est-ce qui peut bien lui passer par la tête!?...
- Oh, les types, tu sais!... Faut pas trop se poser de questions avec eux... Moi, il y a longtemps que... Mais ça va au lit au moins tous les deux?
- Ben oui... oui... Comme tout le monde... Il a l’air de trouver en tout cas…

- Bruno!... Ecoute-moi!... Tu m’écoutes?... Eh bien pose ça alors!... Ecoute!... Pour ce que tu m’as dit hier...
- Oui?
- Tu m’aimes plus, c’est ça?... Tu as quelqu’un d’autre? Je préfère encore savoir la vérité, tu sais... Et si... Il a éclaté de rire…
- Mais qu’est-ce que tu vas chercher?... Il a jamais été question de ça!... Au contraire...
- Au contraire!?... Tu as de ces...
- Au contraire, oui!... Réfléchis!... Tu les vois les couples autour de nous?... Tu les vois?... Sandrine et Rémi... Amandine et Didier... Gwenaëlle et Bastien... Et tant d’autres!... Ca se sépare de partout... Et si ça se sépare pas ça se prend la tête... ça s’engueule... ça se déchire... Et pourquoi? Toujours pour des histoires de cul... Toujours... Parce que personne peut rester fidèle à personne toute sa vie... personne... c’est impossible... T’as 23 ans... J’en ai 25... T’imagines baiser que l’un avec l’autre pendant 50 ans?!... Un jour où l’autre tu seras tentée... Forcément... Obligé... Moi aussi... On est pas des saints... Et ce jour-là... T’imagines qu’on tombe amoureux de quelqu’un d’autre?... Qu’on foute tout en l’air? On aura l’air malin... Tandis que là au moins c’est ensemble qu’on le ferait... On se tromperait pas... Non... On serait encore plus complices au contraire... encore plus amoureux si ça tombe!...
- Ben voyons!... Et puis quoi encore?

Violaine a hoché la tête…
- Il a pas forcément tort, remarque, si tu réfléchis bien... Ca peut se défendre son point de vue dans un sens, mais en tout cas ce qu’est sûr c’est que ça doit drôlement le travailler... Et à ta place, moi, je me méfierais quand même parce que... Ca va sûrement pas lui passer comme ça... Et si tu rentres pas dans son jeu il va se lancer dans des trucs tout seul derrière ton dos... Ca, c’est obligé...
- Non, mais attends, je vais quand même pas me laisser tirer par le premier venu sous prétexte que Bruno...
- Tu peux toujours faire semblant d’être d’accord... Pour garder un oeil sur tout ça... Pour pas perdre la main... Tu le laisses se dévoiler... Tu vois où il veut vraiment en venir... Ce qu’il a derrière la tête... Et puis tu gagnes du temps... Tu peux toujours gagner du temps...

- Bon, écoute, Bruno... J’ai bien réfléchi... Mais alors il faut qu’ils nous plaisent à tous les deux... Vraiment... C’est pas la peine sinon...
- Oui, ben évidemment... évidemment...
Et il a sorti tout un tas de revues du dernier tiroir de son bureau... Dont il avait corné des pages ici ou là...
- Ceux-là?
- Oh non, non, lui encore je dis pas, mais elle!... Un vrai sac à embrouilles... Ca se sent tout de suite ça...
- Eux alors?...
- Oui, oh, bof! Comment ils ont l’air mou...
- Et là à droite?
- Ah non!... Pas un blond!... Alors ça non!... J’ai horreur des blonds...
- Les jeunes en haut?
- Ils font nunuche... Tu trouves pas qu’ils font nunuche?
- T’es bien trop difficile... On y arrivera jamais...

- Tu verrais ça t’hallucinerais!... Tu verras... Je t’en amènerai un... Non, mais tout ce qu’ils sont pas capables d’inventer pour attirer l’attention, pour sortir du lot... ça te fait trop rigoler des fois... Parce que tu les as tous là à ta disposition... T’as plus qu’à te servir... Tu fais ton marché...
- Et alors?!...
- Oui... Oh ben alors ça te donne vraiment pas envie... Pas à moi en tout cas... Ca te dégoûterait plutôt tous ces gens qui s’étalent là à longueur de pages... Qui prennent la pose... Même pas beaux la plupart... Même pas séduisants... Non... Le seul truc positif c’est qu’on a jamais passé autant de temps ensemble tous les deux avec Bruno... Et on se couche à des heures impossibles...

- Ecoute... Ecoute : Couple, elle 43, lui 47, expérimenté, appréciant toutes les bonnes choses de la vie sans exception cherche relation échangiste amicale durable avec couple(s) d’âge indifférent, pas compliqué(s), heureux de vivre et prêt(s) à croquer dans le plaisir à belles dents ... - Qu’est-ce t’en penses?... Sympa, non?
- Ils sont vieux...
- Oh, pas tant que ça!... Ils font pas leur âge en tout cas... Tiens, regarde!... Ce serait pas mal pour une première fois, non?... Plus rassurant... Ils doivent avoir l’habitude... De toute façon faut bien qu’on finisse par se lancer... On va pas tourner en rond comme ça pendant des années... Allez, je leur écris...
- Attends, Bruno, il y a pas le feu!... On en trouvera d’autres... Qui nous plairont mieux... Qui seront plus...
- Ca nous engage à rien d’écrire n’importe comment!... Ca nous oblige à rien, mais au moins on saura à quoi s’en tenir avec eux...

- Fais voir!... Oh si, si!... Moi, je le trouve pas mal... Bien même... Et puis à cet âge-là ils savent y faire souvent... Ils sont pas pressés... Ils s’occupent de toi... Tu vas prendre ton pied, tu vas voir!...
- Oui, ben alors là il y a pas de risque!... S’il s’imagine qu’il va pouvoir me tirer comme ça simplement parce qu’il a mis sa tronche dans une revue!... Il a le droit de rêver... Non, mais il a de ces idées aussi Bruno!... Non, c’est bon, je joue pas... Et s’il y tient absolument il trouvera quelqu’un d’autre parce que moi...
- Fais gaffe qu’il te prenne pas au mot!... Tu joues gros en ce moment avec Bruno, moi j’trouve! - Qu’est-ce que j’y peux?... Je vais quand même pas...
- Ca te répugne vraiment tant que ça?...
- C’est pas que ça me répugne, c’est que j’ai pas envie, c’est tout…

- Séverine?!... T’es où?
- Là, sous la douche...
- Ca y est!... Ca y est!... Ils ont répondu... C’est elle qui a écrit... Deux pages il y en a... Ils ont reçu tout un tas de lettres, mais c’est nous qu’ils ont choisis... Ils disent qu’ils s’en fichent complètement l’âge... Ca leur est égal... Par contre ce qu’ils veulent c’est qu’on devienne vraiment amis... Ils y tiennent beaucoup... Qu’on fasse plein de trucs ensemble... ciné... resto... week-end... sorties... tout ça... C’est pas mal, non?... Comme boulot Magali elle est prof de Français pour les étrangers quand ils viennent s’installer chez nous et Damien, lui, il est musicien classique dans un orchestre... Jusqu’en Chine il va des fois... A Palaiseau ils habitent... Et ils nous invitent samedi soir pour qu’on fasse connaissance...
- Déjà!... Eh ben dis donc ils perdent pas de temps... Et tu comptes y aller?

- Allo!?... Séverine!?... Bonjour... C’est Magali... Tu sais, de l’annonce...
- Ah oui... oui... bonjour...
- Oui... Je t’appelle pour prendre un peu contact entre nous... entre femmes... avant samedi... parce que c’est jamais évident la première fois... On sait pas trop bien où on met les pieds, sur qui on va tomber... On y est passés, nous aussi... Et c’est vrai que quelquefois... Alors ce que je voulais te dire c’est qu’on n’est pas des sauvages... On vous sautera pas dessus... Si le courant passe eh bien tant mieux et si il passe pas chacun reprend sa route sans faire d’histoires et puis voilà... Personne doit se sentir contraint à quoi que ce soit... Hein, qu’est-ce t’en dis?
- Oh oui... oui...
- Tu appréhendes pas trop?... Si, hein?!... Bon, mais tu sais pas?... Le mieux la première fois chacun restera sagement avec son partenaire habituel, qu’on ait le temps de s’apprivoiser, de se sentir à l’aise... Ca rend les choses beaucoup plus faciles pour après, tu verras...

- Mais qu’est-ce qu’elle t’a dit alors au juste?... Pour la centième fois...
- Ben ça!... C’est tout!...
- Ouais... ouais... en fait ils chercheraient à se défiler que ça m’étonnerait même pas!... Chacun de son côté, ben voyons!... Tu paries qu’on va aller là-bas pour rien?!... Il y aura personne... Ou bien ils vont nous foutre dehors en nous riant au nez... Si notre tête leur revient pas ils feraient mieux de le dire carrément plutôt que de tourner comme ça autour du pot...
Il s’est planté longuement hésitant devant la penderie..
- Bon... Qu’est-ce que je vais mettre?... Ma chemise à jabot avec mon pantalon noir ou bien je m’habille plus cool?... A ton avis?... De toute façon qu’est-ce que tu veux que des gens comme ça en aient à foutre de nous?!... Franchement!... On est pas de leur monde... Alors peut-être que oui... sûrement même... ils vont nous tirer... Parce que ça les amuse... Parce qu’on est jeunes... Pour se foutre de nous... Et puis ils vont nous jeter comme des malpropres... alors là je suis bien tranquille!...
- Eh ben on reste là alors!... Si tu savais ce que je m’en fiche, moi!...


- Alors?!...
- Alors quoi?!...
- Vous y êtes allés? Eh ben raconte, quoi!
- Ils sont sympas, si!... Drôlement sympas ça... On peut pas dire le contraire... Tout de suite on s’est sentis à l’aise... Tout de suite... Drôlement à l’aise... Jamais on aurait dit qu’on était là pour ça... Plutôt pour discuter... De tout... De rien... De musique... De littérature... De ce qu’on pense... De ce qu’on aime... C’est fou tout ce qu’ils savent, mais pas le genre chiant... pas à t’en mettre plein la vue... à t’écraser... Non... ils t’écoutent... ils s’intéressent... ils font pas semblant... Deux heures... Trois heures... Quatre heures... je sais pas... je voyais pas le temps passer... on a parlé comme ça sans s’arrêter... Et puis encore à table après... une table superbe dans des tons mauves, roses, cassis... avec des chandelles... une multitude de chandelles... Que des chandelles... Et des vins fins... Et du sandre... Et du gibier... Il y a longtemps que je m’étais pas sentie aussi bien... Bruno aussi... Ca se voyait... Et eux aussi, je crois... Personne avait envie que ça s’arrête... Il a bien fallu finir par aller dormir pourtant... Ils nous ont conduits dans une grande chambre verte avec un lit immense... Ils ont parlé de rien... Ils nous ont laissés en nous souhaitant bonne nuit... On les a entendus à côté juste derrière notre tête... Et Bruno aussi a voulu…
- Mais alors vous l’avez pas fait ensemble !...
- Si!... Enfin non!... Parce que le lendemain matin ils sont arrivés avec des plateaux et on a déjeuné tous les quatre sur le lit en recommençant à discuter... Longtemps... Et puis ils se sont enlacés, embrassés, caressés, là, près de nous, sur le lit... Et Bruno aussi avec moi du coup... C’était à la fois très simple, très naturel et terriblement excitant... jamais j’aurais cru... Quand ça a commencé à venir, nous, Damien s’est penché juste au-dessus tout près, m’a caressé très doucement la joue... « - Chante-le ton bonheur, petite Madame, chante-le!... »… Et il m’a pas quittée des yeux pendant tout le temps tout tendre tout ému on aurait dit...
- Eh ben dis donc!... Quand je pense que tu voulais pas en entendre parler...

- C’est génial!... Ah oui!... Absolument génial!... Je regrette pas alors là... On est superbien tombés, tu trouves pas?... Et du premier coup en plus!... Comment ils sont sympas... C’est de la folie... Et Magali ce qu’elle est bien foutue pour son âge!... T’as vu ces seins qu’elle a?!... Et les fesses!... Tout... Tout... Depuis le temps que j’en rêve, moi, d’une femme comme ça!... Une vraie femme...
- Merci... C’est sympa pour moi ça!...
- Oh, mais toi, c’est pas pareil... Toi, c’est toi... Ca a rien à voir... Et puis d’abord vous avez pas le même âge... On peut pas comparer... En tout cas le prochain coup... C’est quand le prochain coup?... On les invite samedi?... Le prochain coup on échange vraiment, hein?... C’est pas la peine sinon... non... ces week end qu’on va passer maintenant, t’imagines!... Au lieu de rester là à s’emmerder... Et puis tu sais pas quoi?... Je pensais à un truc pour les Vacances... Si on partait ensemble quelque part tous les quatre à la mer ou en Italie?... T’imagines comment on s’éclaterait?!... Hein?... Si on leur proposait?... Ils auront qu’à choisir où... on s’en fout... Du moment que...
- Attends, Bruno, attends!... T’emballe pas comme ça!... On les connaît à peine et puis on a l’air de se jeter à leur tête...

- Allo... Séverine!?...
C’était Magali...
- Qu’est-ce tu fais?
- Oh, rien de spécial... je mettais un peu d’ordre...
- On va faire un tour?... Je passe te chercher?...
- Si tu veux... oui...si tu veux...
Un peu les magasins... un peu le nez au vent par les rues dans la douceur d’Avril... Et puis à une terrasse de café avec les gens autour qui passaient en flot léger, tranquille, étourdissant...
- Vous avez pas été trop déçus?
- Hein?!... Oh non!... Non... Au contraire! Il y a longtemps qu’on avait pas passé une soirée comme ça!
- Nous aussi...ça... Damien était ravi... enthousiaste... Enfin!... il arrêtait pas de répéter... enfin!... enfin un couple avec qui tu as envie de parler, de passer du temps, de pas frimer... Ils sont adorables... Et puis elle!... Alors elle!... Ah ça, tu lui as fait de l’effet, tu sais!
- Oui, ben toi aussi à Bruno... T’entendrais comment il parle de toi!...
- Tu es jalouse?
- Oh non... non... il aime les femmes comme toi... il y a longtemps que je le sais... les femmes-femmes... bien plus âgées que lui... Et que moi... C’est important ça pour lui... Beaucoup plus qu’il le croit... De toute façon...
- De toute façon?
- De toute façon j’ai toujours su qu’un jour ou l’autre ça finirait avec Bruno... Ca pourra pas durer... Je l’ai toujours su, mais en même temps je fais tout ce que je peux pour pas le perdre... Je suis pleine de contradictions...
- Comme beaucoup de monde... Et c’est tant mieux!... Tu verras si ça tombe dans 50 ans ça tiendra encore...
- Je crois pas, non... Je voudrais bien, mais je crois pas...
- Il y a longtemps que vous êtes ensemble?
- Vraiment ensemble trois ans... mais on s’est connus j’avais 14 ans... depuis on a pas arrêté de se quitter, de se reprendre... On peut pas se passer l’un de l’autre, mais dès qu’on est ensemble...
- Vous vous engueulez?
- Oh non... non... pas ça... non... mais c’est pas ce que je voudrais... je voudrais autre chose... je sais pas vraiment quoi, mais en tout cas que ce soit différent nous deux... mais peut-être que je suis trop exigeante...
- Ou bien que vous êtes trop dans votre bulle... un couple qui se coupe de l’extérieur il se dessèche... il a plus rien pour s’alimenter... mais tu vas voir… ça va changer maintenant… on s’est rencontrés...

- Ben oui... oui... cette fois ça y est... oui...
- Et alors? Bien?
- C’est rien de le dire!... Comment il était câlin Damien!... C’est même pas câlin qu’il faut dire... il y a pas de mot... il te caresse comme si t’avais tellement d’importance... t’es une merveille... c’est complètement fou dans ses yeux... c’est tout embrumé... tout implorant... Comme si c’était la première fois qu’il le faisait... T’aurais vu...
- C’était la première fois avec toi...
- Oui... On était sur le lit, lui avec Magali, moi avec Bruno comme l’autre jour et à un moment je l’ai senti qui respirait dans mon cou tout près... Il m’a effleuré les seins doucement si doucement juste du bout des doigts et ça te faisait une sensation comme jamais comme si t’avais tout ton corps rassemblé là, qu’il l’absorbait avec sa peau ou qu’il passait à travers je sais pas comment dire... c’était inouï... Et il m’a demandé à l’oreille « - Tu veux? Tu veux bien?.. ». Oh oui, je voulais... Si je voulais!... Et il est venu en moi... Et alors là! Alors là!...
- Et Bruno?
- Il était avec Magali...
- Eh ben dis donc!... Et ça te fait pas peur?
- Peur? Non... Non... Pourquoi?
- Non... je sais pas... comme ça...

- Ils nous trouvent comment à ton avis?
- Comment ça comment?
- Ben comment... ce qu’ils pensent de nous...
- Si on les écoute...
- Oui, mais enfin ça... ce qu’ils disent... Non... parce que tu sais pas ce que je commence à me demander, moi?... C’est s’ils en ont pas déjà marre de nous...
- Hein?!... Mais pourquoi?... Qu’est-ce qui te fait dire ça?...
- Je sais pas... une impression...
- Attends, Bruno!... Tous les week end on est ensemble... et c’est eux qui réclament en plus!... Alors s’ils en avaient marre... Et tu vois bien comment ça se passe!...
- Oui, ben justement!... Justement!... Elle s’emmerde Magali avec moi... Et pas qu’un peu...
- Je crois pas, non!
- Ah si, si! Pas une fois je l’ai fait jouir depuis qu’on se voit... pas une fois!... Toi non plus d’ailleurs!... Pas une fois t’as pris ton pied depuis qu’on est ensemble...
- Tu dis n’importe quoi! Tu sais très bien que...
- Non... Pas comme tu jouis avec Damien... Ca a rien à voir... Rien du tout... Je suis pas aveugle... Je suis pas idiot... Oh, mais je te reproche rien... C’est moi qui l’ai voulu tout ça... Et puis que tu t’éclates tant mieux!... Tant mieux pour toi... Et tant pis pour moi qu’ai jamais été foutu de te mettre dans un état pareil... Mais comment tu veux aussi?... Quand on s’est connus j’avais 14 ans... A part toi j’ai jamais eu personne... enfin si... Cécilia... mais ça compte pas Cécilia... Alors c’est forcé que je sois pas à la hauteur... Ca peut pas être autrement... C’est pour ça tu vas voir qu’un jour ou l’autre ils vont nous larguer... parce que qu’est-ce que je peux lui apporter à Magali?... Même pour le reste... Qu’est-ce qu’on peut leur apporter à eux?... Quand tu vois tout ce qu’ils savent... tout ce qu’ils connaissent... Même s’ils le disent pas - ils sont polis - ils doivent nous trouver complètement cons... c’est obligé... et ils vont sûrement pas continuer à perdre leur temps pendant des mois comme ça avec nous...

- Tu sais pas ce qu’il est allé se mettre dans la tête Bruno?... Que vous allez plus vouloir nous voir... Parce qu’il arrive pas à te donner du plaisir...
- Ca... Faut reconnaître qu’il est pas franchement doué... Même pour toi ça doit... C’est toi qui as voulu faire des rencontres?
- Non... C’est lui...
- Ah oui?!... Qu’est-ce qu’il voulait?... Se rassurer?... Voir comment s’y prennent les autres?...
- Je sais pas... Ca l’a pris comme ça d’un coup...
- Tu sais pas ce qu’il faudrait maintenant?... Eh ben c’est qu’on se voie deux par deux... Pas à chaque fois... Pas systématiquement... De temps en temps... Toi avec Damien... Vous serez plus à votre main, plus libres... Et moi avec Bruno... Je le rassurerai... Je lui apprendrai... Sans regards sur nous... Il y a des choses qu’il n’osera jamais faire devant toi parce qu’il les a jamais faites avec toi... Tu verras dans trois mois tu le reconnaîtras pas...

- Toute seule avec lui, oui!... Et alors là!... Tu peux pas savoir!... D’abord on est allés au resto... Un truc de poissons au Châtelet... On a discuté, mais discuté... J’avais jamais discuté comme ça, moi, avant!... Avec personne... A la fin ils ont été obligés d’éteindre pour nous faire partir tellement on avait pas vu l’heure passer... Dehors on s’est promenés... Longtemps... Il me tenait la main... On était bien... En rentrant on a écouté de la musique... Il a joué du violon pour moi... Rien que pour moi... C’est extraordinaire quand il joue. Et puis après il a voulu que je me déshabille... lentement... doucement... complètement... en prenant bien mon temps... Tout le temps que je l’ai fait je me réfléchissais dans ses yeux... l’importance que ça avait... que j’avais pour lui... Il m’a fait allonger... il m’a effleurée... caressée... embrassée... Partout... Longtemps... Et tu peux pas savoir... Ca peut pas se dire... Comme si j’étais enfin femme... Tu comprends?
- Ce que je comprends c’est que tu es amoureuse, oui!
- Mais non, c’est pas ça!... C’est...
- Tu parles!... Qu’est-ce tu veux que ce soit d’autre ?…

- Ca va quand même nettement mieux, hein, tu trouves pas?
- Quoi donc?
- Nous deux au lit...
- Ah oui... oui... Ca, c’est l’effet Magali... Elle est vraiment fabuleuse cette femme... Et je t’assure elle me ménage pas... J’en prends plein la tête des fois, mais je suis bien obligée de reconnaître... elle a raison... elle a toujours raison... C’est fou ça... Tu sais ce qu’il aurait fallu finalement?... C’est que je la rencontre avant... Avant toi... Ca aurait été complètement différent nous deux après... On aurait pas perdu tout ce temps...
- Mais on l’a pas perdu enfin Bruno!... Qu’est-ce tu racontes?
- Si!... Quand même!... Tu aurais été plus heureuse...
- Oui... alors si je comprends bien pour toi il y a que par le cul que je...
- J’ai pas dit ça, mais quand même ça compte...
- C’est pas ça l’essentiel...
- Mais c’est quoi alors pour toi l’essentiel?
- Mais plein de choses... je sais pas... Qu’on s’aime... Qu’on ait envie de faire des trucs... Qu’on soit bien ensemble...
- Ben justement... justement... T’es pas bien avec moi... T’es triste... Toujours t’as été triste... Depuis le début... Presque... Il y a des fois - souvent - je me demande pourquoi tu restes... On dirait que tu te forces... Que tu voudrais être ailleurs... T’es pas heureuse... non... T’es pas heureuse...

- Ben oui... il a pas tort... Est-ce que t’es heureuse avec lui?
- Je sais pas en fait... j’en sais rien...
- Est-ce que tu l’aimes au moins? Il se pose la question, tu sais, et il me la pose à moi...
- Mais bien sûr que je l’aime, mais...
- Mais?
- Il y a un truc... ça me bouffe la tête... même si on en parle pas... parce que c’est pas la peine... ça avance à rien... c’est que... il peut pas avoir d’enfant Bruno... il a fait tous les examens... il pourra pas... il pourra jamais... alors... même que je l’aime j’en veux des enfants, moi!... Ca, c’est quelque chose... et alors je me dis que forcément un jour je vais le quitter... et du coup je me mets à voir tous ses défauts... je lui en invente même... Et c’est clair que je peux pas rester avec un type comme ça... c’est évident... Qu’est-ce que je fous encore avec?... Et puis d’autres fois c’est exactement l’inverse... Je pourrai jamais me passer de lui... il est adorable... Si délicat... Si attentionné quand il s’y met... c’est pas de sa faute en plus ce truc... et c’est vraiment dégueulasse d’avoir des idées comme ça... et au bout du compte je sais plus où j’en suis... ce que je vais faire... enfin si je sais!... j’arriverai jamais à le quitter... je vais jouer pendant des années avec l’idée de le faire... un jour... plus tard... jusqu’à ce que ce soit plus possible les enfants... que je sois trop âgée... Et le reste de ma vie je regretterai de pas l’avoir fait quand c’était le moment... Voilà ce qui va se passer à moins qu’il arrive quelque chose.... je sais pas quoi...

- Eh ben dis donc la petite Séverine ce soir!
- Parce que c’est toi, Damien!... Avec toi je peux tout faire... Tout...
- Ca!... J’ai vu...
- Je suis si bien avec toi... Si bien... Jusque tout au fond de moi...
- Moi aussi!... Je t’aime, tu sais!... Je t’aime tellement...
- Non, Damien, non!... il faut pas dire ça... Et Magali?
- Parce que tu crois qu’elle le sait pas Magali?!... Qu’on en a pas parlé?... On se dit tout... On s’est toujours tout dit...
- Et elle?!
- Elle est ravie. Pour toi. Pour moi. Ben fais pas cette tête-là... Et elle est persuadée que toi aussi tu m’aimes... Non?... Elle se trompe?
- On peut pas Damien... On a pas le droit... Il faut pas... Il y a Magali même si elle... Il y a Bruno…
- Et alors?! Pourquoi est-ce qu’on pourrait pas aimer plusieurs personnes à la fois?... C’est des préjugés ça... Personne n’est à personne... Il y a tant de gens différents partout qui peuvent t’apporter tant de choses différentes... T’épanouir. T’enrichir. Te grandir.... Une relation réussie elle nourrit toutes les autres. Elle te donne une plénitude que tu emportes partout avec toi. Se montrer exclusif, possessif, jaloux tu crois que c’est vraiment aimer? Enfermer l’autre... vouloir qu’il ne soit qu’à soi... vouloir être tout pour lui t’appelles ça de l’amour?... c’est ce qu’on veut à tout prix nous faire croire... oui, mais en réalité...
- Je sais pas, Damien... J’en sais rien... C’est trop compliqué... Tais-toi!... Parle plus! Prends-moi seulement dans tes bras... Je suis si bien avec toi... Tellement bien...

- Si on arrêtait, Bruno?... Avec Damien et Magali... si on arrêtait?...
- Hein?... Mais pourquoi?... Qu’est-ce qui te prend?
- Ca me fait peur... Je me demande où on va là comme ça tous les quatre...
- Où veux-tu qu’on aille?... Ca va continuer pareil et puis c’est tout... et même aller de mieux en mieux... Pour tout le monde... Et d’abord pour nous... Tu reconnais toi-même que...
- Oui, oui, je sais bien, mais...
- Mais quoi?... T’es pas possible, toi, dans ton genre!... Il y a jamais rien qui te va... T’es jamais contente de rien... A chaque fois c’est pareil!... Pour tout... Tu sais quoi?... Eh ben t’as pas vraiment envie d’être heureuse au fond... C’est ça ton problème... Tu t’en donnes pas le droit... Dès que quelque chose va bien ça t’angoisse... Tu te sens pas à ta place... C’est pas pour toi... Tu le mérites pas... Pas assez bien... Et tu te débrouilles pour tout foutre par terre à chaque fois... D’une façon ou d’une autre... Pour ça t’es vraiment très douée... seulement cette fois... écoute-moi bien!... Tu fais ce que tu veux, mais moi je continue... jamais je me suis senti aussi serein... aussi harmonieux... alors c’est sûrement pas maintenant que je vais arrêter... et c’est le meilleur service que je puisse te rendre en plus... peut-être que ça finira par te forcer à être heureuse... malgré tout... malgré toi...

- Tu sais, Séverine, ce que tu m’as dit l’autre jour... pour Bruno et toi... si j’ai pas vraiment réagi sur le moment c’est que ça venait taper à un endroit beaucoup trop sensible parce que... parce que on est exactement dans la même situation que vous Damien et moi... depuis des années... une maladie que j’ai eue à 18 ans... il y a rien eu à faire... On en a souffert tous les deux... énormément... on en souffre encore... même si on évite d’en parler... si on fait semblant de pas y penser... Damien a toujours été d’une délicatesse là-dessus... d’un tact... Si ça avait pas été lui... il y a longtemps que...
- Et Bruno n’est pas Damien... ça je le sais!... On va avoir des tas de problèmes tous les deux... je me fais pas d’illusions... On aura sacrément de la chance si on arrive à s’en sortir…
- Il y aurait bien une solution...
- Une solution?... Une solution pour quoi?
- Pour nous quatre... Pour avoir un enfant...
- Quelle solution?!... Qu’est-ce que tu... Non.. Non... Ca c’est pas possible... non...
- Pourquoi pas possible? Tu n’aurais plus besoin de te poser toutes ces questions... Et pour nous... Pour Damien... Pour moi ce serait... Personne le saurait... Que nous... Ce serait notre secret à tous les quatre...
- Oh non... non...
- Qu’est-ce qui te gêne?... Que ça se fasse pas d’habitude?... Ca, c’est sûr... ça se fait pas, mais ça n’a rien de conventionnel nous quatre, avoue!... Dès le début ça l’a pas été... ça l’est de moins en moins... Et puis les conventions, tu sais!
- C’est pas ça, non, c’est pas ça, mais... tu te rends compte tout ce qu’il faudrait qu’on¼
- Légalement ce serait votre gamin à vous... évidemment... ça se discute même pas.... et t’imagines la chance que ce serait pour lui?... On serait quatre à s’occuper de lui... A l’élever... Et le jour où on disparaîtra Damien et moi...
- Il en dit quoi, lui, de tout ça?... Vous en avez parlé?
- Bien sûr!... Ca le rendrait fou de joie... Surtout avec toi... Il parle plus que de ça...
- De toute façon il voudra jamais Bruno!... alors ça!... Il y a pas de risque...
- Bruno?!... Je m’en occupe de Bruno...

- Ben alors!... Ca fait une éternité!... Je te vois plus... Qu’est-ce tu deviens?
- Oh... plein de choses... D’abord je suis enceinte...
- Ah oui!?... C’est super ça!... Il est content Bruno?
- Ravi... A ce point-là j’aurais pas cru...
- Et c’est pour quand?
- Mi-avril... En principe... Si tout se passe bien...
- Il y a pas de raison... Aujourd’hui tu sais...
- Et puis on a déménagé... la semaine dernière...
- Où ça?
- A Palaiseau... Chez Magali et Damien...
- Chez?... C’est pas vrai... Eh ben dis donc!...
- On s’entend super bien tous les quatre, tu verrais ça!... Jamais un mot plus haut que l’autre... jamais une embrouille...
- Pour le moment... Parce que forcément un jour ou l’autre ce genre de situation... C’est complètement fou votre truc... Surtout maintenant qu’il va y avoir le bébé... Non, mais tu te rends compte tous les problèmes que ça va vous poser?¼ T’y as pensé au moins?
- Bien sûr qu’on y a pensé, mais il y a pas de raison... au contraire...
- Ben voyons!... On en reparlera... Ca peut pas marcher ce genre de choses... Tous les gens que je connais qui...
- Tu peux pas comprendre!... Faut être dedans pour comprendre... Le vivre de l’intérieur...
- Et en plus je parie que vous continuez à... Ben oui... évidemment... forcément... vous continuez... même maintenant... Non, mais tu te rends compte?... Ils t’ont envoûtée, ma parole!...

- Ecoute!... T’as entendu?... T’as senti?
- Non...
- Il a bougé... Si, si, je t’assure!... Il a bougé!... Ecoute!... Ecoute bien!...
Leurs deux têtes - Damien, Bruno - réunies rassemblées soudées l’une à l’autre là en bas sur son ventre... Ils se sont redressés ensemble, l’ont regardée avec infiniment de tendresse, de bonheur... - Il bouge!... Si, il bouge!...
Et ils ont replongé... Seulement leurs crinières... la foncée... la claire... la bouclée... la drue... En haut Magali a contourné, enrobé, soupesé ses seins des deux côtés... A souri...
- Ils changent déjà... ils deviennent lourds... ca te rend encore plus belle...
Elle n’a pas retiré sa main... Elle l’a laissée en frôlements doux sur la peau... Et puis elle s’est penchée, a pris une pointe doucement entre ses lèvres... En bas une bouche l’a effleurée, s’est éloignée, est revenue... L’autre l’a rejointe... Elle s’est abandonnée, ouverte, offerte... Elle a haleté, gémi, battu l’air de ses bras autour d’elle
- Je vous aime!... Je vous aime tant... Oh, comme je vous aime... On l’a redressée, basculée, relevée... Tout a chaviré... Tout s’est emmêlé... Elle n’a plus su... Plus rien su... Tout ce qu’ils voulaient... Tout... Tout plaisir... Toute attente... Toute jouissance... Il y en a d’abord eu un en elle et puis l’autre... tous les deux... en même temps... ils n’ont fait qu’un... tous les deux... tous les trois... tous les quatre...







L A G R A N D E M A I S O N


- Cette baraque!…
Vu le prix des loyers on avait décidé de prendre quelque chose ensemble, Corentine et moi… C’était le seul moyen de s’en sortir… Et on prospectait…
- Non, mais t’as vu cette baraque ?…
Immense… Avec une salle de bains de rêve… Et un jardin !…
- On croirait presque un parc…
- Il nous la faut !…
- 1400 euros de loyer… Sans compter les charges… Tu veux qu’on trouve ça où ?…
- Il y a quatre piaules… Et pas des petites… Suffirait de trouver deux autres nanas… Royales on serait… Ma collègue Sofiane déjà je suis sûre que ça l’intéresserait… Quand tu vois ce qu’elle paie pour un truc minable…
- Et Sandra ?… Mais oui, Sandra !… Il reprend son appart le proprio… Elle est à la rue…

- Bon, les filles… Mais alors une chose faut qu’on soit bien d’accord tout de suite… On n’amène pas de mecs… Ca va être le bordel sinon…
- Même pour une nuit ?…
- Même… Parce que je vois le truc d’ici… Il viendra une fois le type… Deux fois… Vingt fois… Il commencera par laisser des affaires… Il en amènera d’autres… Petit à petit… Et au final il sera installé là… On voudra toutes faire pareil… Forcément… Et ce sera des histoires de cul à n’en plus finir… Et le mec de celle-ci il tourne autour de celle-là… Et l’autre salope elle allume le mien… Elle arrête pas de se balader à poil devant… Je suis sûre qu’ils couchent derrière mon dos… Et talali… Et talala… On s’entend bien… Alors si on veut que ça dure…

C’est vrai qu’on s’entendait super bien toutes les quatre… Jamais d’engueulades… Pas des vraies en tout cas… Pour le fric tout le monde était nickel… Et on se tapait des mega soirées délire… Finalement on pouvait très bien s’en passer des mecs !…
- Non, vous trouvez pas ?…
Elle trouvait pas Sandra, non…
- C’est quand même con d’avoir un chez soi génial et d’être obligée d’aller se faire tirer dehors…
Corentine, elle, elle s’en foutait…
- Oh, moi, je les aime bien les mecs… Mais j’aime aussi m’amuser toute seule… Alors je m’adapte…
Quant à Sofiane elle a levé lers yeux au ciel, soupiré…
- Bien obligée de faire avec…

C’est la semaine suivante qu’elle a annoncé qu’elle partait…
- Hein ?… Mais pourquoi ?… Tu te plais pas avec nous ?…
Oh si, si, c’était pas la question… Ben, c’était quoi alors ?… C’était son petit ami… Qui se demandait pourquoi il pouvait pas venir… Qui se faisait tout un film… Qui s’imaginait qu’elle avait quelqu’un d’autre… Alors elle préférait prendre quelque chose de plus petit, mais au moins…
- Ils sont chiants ces mecs !… Ils sont là ils nous emmerdent… Ils sont pas là ils nous emmerdent quand même… Bon… Mais si on faisait une exception ?… Si on la laissait l’amener ?… Non, non, c’était gentil, mais ils avaient déjà pris leurs dispositions… Et puis de toute façon ça passerait pas avec elles… Il était persuadé qu’elles lui montaient la tête…

C’était clair qu’on allait le retrouver ce problème… Forcément… Chaque fois qu’il y en aurait une qu’aurait quelqu’un… Non… C’était une connerie de pas vouloir les laisser venir les types… On allait toutes finir par se casser… Les unes après les autres… D’autant que nous elle savait pas, mais elle, Sandra, elle avait besoin de baiser… Tous les jours… Si elle baisait pas…
Oui, bon, c’était pas tout ça, mais fallait la remplacer maintenant Sofiane… Qui ?… Ben oui, qui ?… On voyait pas… Non, on avait beau chercher… On voyait pas… A moins que… Elle avait peut-être une idée Corentine, mais…
- Dis toujours !…
- Alex…
- Alex ?!…
- Alex, oui… On le connaît… Il est cool… Et question de baiser il assure… Sans prise de tête… On sera plus obligées de courir ailleurs… On aura tout ce qu’il faut sous la main… Sandra a voulu savoir…
- Vous l’avez essayé ?…
- Ben oui…
- Toutes les deux ?…
- Ben oui…
- Et il est beau gosse ?…
- Pas mal, oui…
- Bon, ben vous me le laissez alors…
- C’est ça !… T’as qu’à y croire… Non, non, non, on partage…

Et on a partagé… Une fois l’une… Une fois l’autre… Comme ça se trouvait… Comme ça tombait… Quelquefois deux dans la même soirée…
- Heureusement qu’il a la santé…
Il l’avait, oui… Mais enfin il avait des limites…
- Si Sandra était pas toujours après lui aussi…
- Tu peux parler, toi !… Qui c’est qui fonce dans son lit le matin dès qu’on a le dos tourné ?… - Ben forcément !… Forcément !… Le soir il y a jamais moyen… Tu te l’accapares aussitôt qu’il rentre…
- Bon, les filles, les filles !…
Corentine a claqué la porte…
- Elle m’agace, tiens !… Il y en a jamais que pour elle…

- Elle est partie Sandra…
- Partie ?… Comment ça partie ?…
- Ben partie… Elle a pris ses affaires et elle est partie…
- Qu’est-ce qui s’est passé ?…
- Oh, rien !… On s’est engueulées…
- Engueulées ?…
Elles se sont carrément battues, oui !… Comme des chiffonnières… Je peux te dire que ça volait…
- Et la raison ?…
Alex a haussé les épaules…
- Devine !…

- Si on restait que tous les trois ?…
- Financièrement ça va ramer…
- Et puis enfin… je fatigue, moi, à force, les filles…
- Tu vas plus en avoir que deux à t’occuper…
- Oui, mais deux sacrées gourmandes…
On a ri…
- Tu proposes quoi alors ?…
- J’ai un bon copain que sa nana vient de foutre dehors… Qui sait pas où aller…
- Quelqu’un dans ton genre ?…
- Copie conforme… Enfin presque…
- Invite-le à bouffer… Qu’on voie à quoi il ressemble…

- Pas mal, hein ?!…
- Tu m’étonnes qu’il est pas mal…
- On le garde alors ?…
- Un peu qu’on le garde !…
Il s’est installé le lendemain… Et on s’est organisé notre petite vie tranquillement tous les quatre…
- Lequel tu veux ce soir ?…
- Et toi ?…
- Ca fait trois fois de suite Quentin… Je me prendrais bien un doigt d’Alex…
- Eh bien allez !…
Eux ça leur convenait toujours…
- On vous aime autant l’une que l’autre !…
Pour le reste aussi ça se passait nickel chrome… Ils faisaient les courses, la cuisine, le ménage… Ils étaient pas chiants… Ils aimaient pas le foot… Et on écoutait la même musique… On regardait les mêmes films…
- On aurait dû s’installer avec eux dès le début, tiens…

Corentine était en larmes…
- Qu’est-ce qui se passe ?…
- Il se passe que je suis mutée… En Guyane… Et que je peux pas refuser… Et c’est tout de suite en plus !… J’ai juste le temps de me retourner…

Et je me suis retrouvée toute seule avec Alex et Quentin… Je choisissais… Une fois l’un… Une fois l’autre… Et puis les deux ensemble un soir… Ben oui, forcément !… Et alors là !…Comment c’était trop leurs bouches et leurs mains à courir en même temps partout !… De la folie !… Toute la nuit… Ca a duré toute la nuit… Et ça a toujours été tous les trois ensemble après…

- Je voudrais pas tirer la sonnette d’alarme, mais…
Il avait sorti le gros cahier de comptes Alex…
- Mais ?…
- Mais on est dans le rouge là… Si on trouve pas une solution…
- Elle est toute trouvée la solution… Faut quelqu’un dans la quatrième piaule… Vous avez pas un bon copain sympa ?…
- Ou une fille plutôt, non ?…
- Oh non, non, un mec !… Un mec !…
- T’es vraiment infernale, toi !… Insatiable…
- Ben oui !…







L A G I F L E


- Je suppose, Frémont, que cette année encore vous allez nous faire faux bond?!…
- Je ne skie pas, Monsieur le Directeur…
- Vous savez, aussi bien que moi, que ce n’est pas là l’essentiel… Si j’ai décidé - quoi qu’il doive en coûter à notre société - « d’offrir », chaque hiver, une semaine de détente à la neige à mes collaborateurs c’est pour qu’ils puissent se retrouver hors du contexte habituel, pour que se tissent entre eux, à cette occasion, des liens différents… Ils n’en sont par la suite - l’expérience l’a prouvé - que beaucoup plus efficaces… Or, vous occupez, au sein de l’entreprise, des fonctions éminentes et je ne vous cacherai pas que vos esquives systématiques, sous des prétextes divers, font, en haut lieu, le plus fâcheux effet… Vous pourriez, à terme, avoir à en subir les conséquences… Vous m’êtes très sympathique, Frémont, et je n’ai eu jusqu’à présent qu’à me louer de vos services… C’est pourquoi il me semble de mon devoir de vous mettre en garde et de vous conseiller, en toute amitié, de penser à reconsidérer votre position…

Ils sont arrivés les uns après les autres, le samedi soir, équipés de pied en cape, la mine réjouie, bien décidés à en découdre avec une neige qui était tombée en abondance… Le directeur nous a présenté Lucile, sa fille…
- Qui rejoindra notre effectif comme stagiaire en Janvier… Elle a échangé avec chacun une brève poignée de mains et s’est dirigée résolument vers la porte…
- Tu vas où ?…
- Je sors… Je vais en boîte… Il l’a couvée d’un regard attendri…
- Il faut bien qu’elle s’amuse… C’est de son âge…
Et on est passés à table…
- Bon… Bon… Mais avant tout on est bien d’accord… On parle pas boulot…
On n’a parlé que de ça… Jusque tard dans la nuit…

Dès l’aube ils étaient prêts à s’élancer sur les pistes…
- Vous voulez pas essayer, Frémont, vous êtes sûr ?…
Il n’a pas insisté…
- Je vous laisse en compagnie de ma fille, alors !…
Qui s’est levée à quatre heures, a englouti coup sur coup trois hamburgers, sans m’adresser le moindre mot, et a couru s’enfermer dans la salle de bains dont elle n’est ressortie, resplendissante, que trois heures plus tard…
- Je vais au resto… Et puis en boîte… Vous lui direz ?…

Le lendemain, à la première heure, ils étaient de nouveau opérationnels…
- On est venus pour skier… On va skier…
Et j’ai profité tout à loisir de ma journée… J’ai lu, flâné, respiré l’air, à pleins poumons sur le balcon, contemplé le paysage par la grande baie vitrée, vaguement somnolé… Comme la veille Lucile s’est extirpée de sa chambre sur le coup de quatre heures, a fait un bref passage éclair par la cuisine avant de disparaître dans la salle de bains dont elle a bruyamment refermé la porte… J’ai résisté cinq minutes… dix minutes… et puis la tentation a été la plus forte… Je me suis approché, à pas de loup, et, le cœur battant, j’ai collé mon œil à l’antique serrure désaffectée qu’avait remplacée, à l’intérieur, un énorme verrou en acier… Juste en face c’était la baignoire… Elle s’y douchait, de dos : un petit derrière en pente douce, au sillon largement creusé entre les fesses, que j’ai longuement savouré… Elle s’est retournée, a enjambé le rebord de la baignoire… Juste l’instant furtif de la toison bouclée sur l’encoche entrouverte… C’était fini…

Et je n’ai plus vécu mes journées que dans l’attente de ce moment-là… Sans pouvoir penser à rien d’autre… Sans pouvoir rien faire d’autre… Elle apparaissait enfin, me concédait un vague bonjour du bout des lèvres, avalait n’importe quoi - ce qui lui tombait sous la main - et prenait la direction de la salle de bains… Le verrou claquait… Je patientais quelques instants et je la rejoignais… Agenouillé, pour être à bonne hauteur, je me repaissais de son corps… Je l’explorais, je le fouillais, je m’en emparais… Je décomposais à l’infini chacun de ses gestes, de ses mouvements, de ses attitudes… Elle était à moi… Pour quelques précieux instants… J’étais heureux…

C’est arrivé le jeudi… J’attendais… J’attendais, agenouillé, l’œil rivé au trou de la serrure, le pantalon baissé, dressé… J’attendais qu’elle escalade la baignoire… J’ai attendu… Longtemps… Beaucoup plus longtemps que d’habitude… La porte s’est brusquement rouverte… Dans son regard la stupéfaction… l’incrédulité… et puis - presque aussitôt - quelque chose de dur, de froid, de métallique… Et elle a giflé… A toute volée… De toutes ses forces… Quatre fois… Gauche… Droite… Gauche… Droite… Elle m’a toisé… Ses yeux se sont portés en bas et elle a éclaté d’un large rire, interminable, offensant qui m’a poursuivi jusque dans ma chambre…

Elle m’y a rejoint deux heures plus tard… Sans frapper…
- Et essaie de recommencer pour voir, espèce de vieux dégoûtant !… Ah, il serait content mon père s’il apprenait ça !… Et les autres !… Quand ils vont savoir… Je me suis fait implorant…
- Vous direz rien ?… Dites rien !…
Elle a haussé les épaules, tourné les talons et refermé violemment la porte sur elle…

- Bon… On a un petit problème d’intendance…
Tout le monde était réuni pour le repas autour de la grande table de la salle à manger…
- Il faudrait aller faire quelques courses… Pour faire le joint jusqu’à dimanche… Ses yeux se sont portés sur moi…
- Frémont, vous qui ne skiez pas… Vous vous en chargez ?… Lucile vous accompagnera…
Elle lui a lancé un regard excédé auquel il n’a pas prêté la moindre attention…

On était en train de déposer tous les deux nos achats sur le tapis de caisse… Elle a penché le buste au-dessus du chariot au moment même où j’y plongeais la main pour saisir un pack de bière et je lui ai, de façon parfaitement involontaire, effleuré le bout du sein… La gifle est aussitôt partie… Sonore… Cuisante…
- Non, mais alors là cette fois !…
Je n’ai pas pu m’empêcher de relever la tête… Tous les regards étaient braqués sur nous… Une petite fille a interrogé sa mère…
- Pourquoi elle l’a tapé la dame le monsieur ?… Il a pas été gentil ?…
Et tout le monde a éclaté de rire…

Je prenais le soleil sous la véranda…
- Je peux vous dire deux mots, Frémont ?…
Il a approché une chaise longue, s’y est installé…
- C’est au sujet de ma fille…
- Votre fille ?!…
Ca y était… Ca y était… Elle avait…
- Ma fille, oui !… J’ai eu une longue - très longue - conversation avec elle hier soir… Il y a beaucoup été question de vous…
- De moi ?!…
- De vous, oui !… Ca vous étonne ?…
- Oui… Enfin non… Pas vraiment… Mais ce n’est pas aussi simple que…
- Elle a un caractère de cochon, ça, je vous l’accorde… Je suis bien placé pour le savoir… Elle n’en fait qu’à sa tête… Si vous saviez les trésors d’énergie que j’ai dû dépenser pour la convaincre de se mettre enfin au travail… A 25 ans !… Et encore !… Elle n’a fini par se laisser fléchir qu’à la condition que ce serait dans mon entreprise… Ce que j’ai accepté… Et directement sous mes ordres… Ca, c’est hors de question… Je vois trop bien où elle veut en venir… Profiter de notre lien de parenté pour faire ce qui lui chante… Quand ça lui chante… J’ai dû batailler ferme et elle s’est finalement rendue à mes arguments… A condition d’être placée sous votre seule et unique responsabilité… Je suppose que vous n’y voyez pas d’inconvénient ?… J’en étais sûr… Je ne vous cacherai pas que ce ne sera certainement pas de tout repos… Je la connais… Mais je compte sur vous… Je compte sur vous pour la cadrer, pour la placer face à ses responsabilités puisqu’elle ne jure que par vous… Je vous donne carte blanche… entièrement carte blanche…

Elle a fait irruption dans ma chambre juste au moment où je finissais mes valises…
- Mon père m’a dit que j’allais travailler avec vous…
- Oui…
- Alors mettons les choses au point tout de suite… Pour éviter tout malentendu… Et pour ne pas vous exposer à des déboires à n’en plus finir… Quand les choses commencent à se savoir on ne sait pas jusqu’où ça peut aller…
Et elle m’a lancé une vigoureuse paire de claques…








L E M A R R O N N I E R



Il y va tous les jours… Tous les après-midi… Il s’installe en face du grand marronnier… Sur leur banc … Comme avant… Comme quand elle était encore avec lui… Comme si elle était encore avec lui… Il y reste jusqu’au soir…

- Qu’est-ce qu’il fout là comme ça sans bouger pendant des heures celui-là ?…
- Il va finir par prendre racine, ça, c’est sûr…
- Camille !… Non, mais elle a le diable dans la peau cette gamine…

Quand elle en avait encore la force, que la chimio ne l’avait pas encore trop fatiguée c’est dans ce square qu’ils descendaient tous les deux… « Que je profite au moins des mes derniers beaux jours… Du peu de temps qui me reste… »… Il lui restait trois mois…

- Pour être bizarre il est bizarre…
- Ca, c’est le moins qu’on puisse dire…

Longtemps il avait été incapable de remettre ses pas dans leurs pas… Et puis, peu à peu, tout doucement, il s’était réapproprié leurs lieux à eux… Un à un… Tous… Celui-là aussi…

- C’en serait un que ça m’étonnerait même pas…
- Il y en a partout n’importe comment maintenant !…
- Et il en a la tête en plus !…
- Viens ici, Livie !… T’approche pas du monsieur… Tu écoutes ce que je te dis ?!…

Comme elle l’aimait ce marronnier !… Des heures et des heures elle avait passées les yeux perdus dans ses branches, déjà réfugiée, ailleurs, dans des pensées auxquelles il n’avait plus vraiment accès…

- Il va nous emmerder encore longtemps comme ça ?…
- C’est vrai que l’avoir là, tout le temps, à côté des gamins… On a beau surveiller, on sait jamais…

Il change… Imperceptiblement… Ce n’est plus tout à fait l’arbre qu’elle a connu… Ce le sera de moins en moins… A travers lui elle continue à mourir… Chaque jour un peu plus… Il faudrait pouvoir le retenir, le fixer au plus près de ce qu’il a été… Pour toujours…

- Photographier les arbres… Tu parles !… C’est cousu de fil blanc son petit manège… Il fait semblant, oui, et il nous photographie nos gamins en douce…
- Oui, ben moi, cette fois je vais chez les flics… On peut pas laisser passer un truc comme ça… C’est bien trop grave…

Le lieutenant est revenu, s’est rassis…
- Le labo vient de m’envoyer les photos… Ce sont bien des arbres…
- Ah, vous voyez… Qu’est-ce que je vous disais !…
- Oui, mais vous auriez sans doute fini par y venir, non ?… Votre attitude, d’après les différents témoins, était on ne peut plus suspecte… Et quand on passe ses journées, comme ça, à proximité des enfants, il y a forcément des raisons…
- Mais pas du tout !… Pas du tout !… Comme je vous disais : avec ma femme on…
- Oui, oh… De toute façon aucune charge ne peut être retenue contre vous, mais je vais quand même vous donner un petit conseil amical… Entre nous… Ne retournez pas là-bas… Dans votre intérêt… Et puis voyez un psy… Vous vous en trouverez très bien, vous verrez…








P R O I E

Le conquérant. Sûr de lui. De son charme. Sûr d’être irrésistible. Il a procédé, sur le pas de la porte, à un rapide tour d’horizon… Ca allait, oui… Ca allait… Il y en avait trois ou quatre de baisables… Il a lentement traversé la salle, s’est adossé au comptoir et, un verre de whisky à la main, a entrepris d’arrêter son choix. Son regard s’est posé sur elle, a insisté. Elle l’a soutenu, une fraction de seconde, avant de détourner la tête…

A l’autre bout, là-bas, José était en grande discussion avec ses copains… Les filles ne comprenaient pas… « - Qu’est-ce que tu peux bien fabriquer encore avec ?… Un type qui t’emmène en boîte et qui te plante là sans t’adresser la parole de toute la soirée… Et jaloux comme c’est pas possible en plus… A ta place il y a longtemps qu’on aurait viré ça vite fait… »

- Qu’est-ce que vous faites là ?…
- Pardon ?…
- Ben oui, une belle fille comme vous dans un endroit aussi minable… A moins que ce ne soit délibéré : ici vous risquez pas la concurrence…
Elle a ri…
- Merci…
- Je vous offre un verre ?.. Par dessus son épaule, José ne s’était aperçu de rien. Ne semblait s’être aperçu de rien…

- On danse ?…
Elle l’a suivi sur la piste. S’est laissé attirer contre lui. S’y est abandonnée. Il a respiré dans son cou, lui a posé les mains sous les reins. Son désir d’homme s’est dressé contre son ventre. S’y est solidement maintenu.

Il s’est assis à côté d’elle sur la banquette, a passé un bras autour de ses épaules. José a regardé dans leur direction. Elle n’a pas repoussé le bras. Il lui a effleuré un sein, posé une main sur un genou. José s’est levé.

- Non, mais faut pas se gêner !…
Il a relevé la tête…
- Qui c’est celui-là ?… Qu’est-ce que t’as, toi, t’as un problème ?…
- J’ai un problème, oui… C’est ma meuf… Alors tu lui fous la paix et tu dégages…
- Elle est assez grande pour savoir ce qu’elle a à faire, non ?… Elle a pas besoin de toi…
- Le prends pas sur ce ton-là…
- Je le prends comme je veux…
Il s’est levé. Ils ont avancé l’un vers l’autre. Front contre front…
- Sors, si t’es un homme…

Le parking était désert. Dans la lumière crue du projecteur extérieur ils se sont rués l’un sur l’autre. A coups de poing. A coups de pied. Ils ont roulé par terre. Pour elle. Pour elle leur combat. Pour l’avoir. Un combat abrupt, plein… Qui a duré… Ils prenaient tour à tour le dessus. Se relevaient. Roulaient à nouveau à terre. Quand l’autre n’a plus bougé José s’est redressé…
- Il a son compte…
Il a allumé une cigarette. Sa main tremblait. Elle s’est lovée contre lui. Dans l’odeur de sa mâle transpiration. Elle a ondulé contre lui. Il l’a poussée contre le mur et il l’a prise, là, pressé, emporté, farouche…

L’autre s’est relevé, a disparu là-bas derrière les arbres. Un jour José sera battu. Un jour José sera forcément battu. Il y aura un autre vainqueur…










D E S S I N S



Fabienne, c’était le tissage… Paul, la ferronnerie d’art… Elisa, la poterie… Et moi, la peinture et le dessin… On avait fini par conjuguer nos talents et nos finances tous les quatre pour ouvrir une petite échoppe, en plein centre ville, où on avait rassemblé, pour les exposer et les vendre, nos productions respectives…

J’assurais la permanence de fin de journée… On entrait, on sortait, on regardait, on commentait, on achetait parfois… J’en profitais pour dessiner et un visiteur venait parfois se pencher avec curiosité, par dessus mon épaule…

Elle s’est aventurée début octobre… Elle a un peu tourné, au hasard, et puis elle s’est plantée devant ma table… Trois heures durant elle a suivi, avec une attention intense, fascinée, subjuguée, la course du crayon sur le papier, jusqu’au moment où…
- Je dois fermer…
Elle s’est enfuie sans un mot…

Elle est revenue le lendemain… Elle a repris aussitôt sa place…
- Tu t’appelles comment ?…
- Isis… Moi aussi, je dessine…
Elle s’est tue… J’ai abandonné ce que j’avais en cours… J’ai pris une autre feuille et j’ai esquissé son portrait… L’ovale du visage… Les mèches brunes… Les yeux noir intense qui s’effilaient sur le côté, qui s’enfuyaient vers les tempes en éternel et mystérieux sourire…
- Ca y est ?… C’est fini ?…
Elle a tendu la main… Et elle l’a emporté comme un précieux butin…

Toute la semaine je l’ai dessinée… Chaque jour sous un angle différent… Une perspective différente… Un éclairage différent… Chaque jour je saisissais une nouvelle expression… Un autre moment d’être… Un imperceptible mouvement d’âme… Chaque fois une autre Isis dont elle s’emparait aussitôt, qu’elle enlevait serrée contre son cœur…

Le lundi suivant je l’ai imaginée nue… Inventée… Rêvée… Devinée… Lentement caressée, amoureusement façonnée de courbes élancées douces, de remords et de reprises… Elle s’est regardée naître sans un mot…
- C’est ressemblant ?…
Elle a longuement examiné le dessin, le sourcil froncé, la moue dubitative…
- La figure !… Seulement la figure !…
Et elle a plongé ses yeux dans les miens…

Je me suis levé… J’ai donné deux tours de clé à la porte…
- Viens !…
Elle m’a suivi… Je n’ai pas eu besoin de le lui demander… Elle l’a fait d’elle-même… La robe par dessus la tête… Le soutien-gorge blanc… La culotte… Elle a tout retiré… Elle m’a fait face… Et j’ai été en regards pleins… D’elle à la feuille… Et de la feuille à elle… A ses seins si exactement seins… A son ventre en pente douce… A son encoche tout à la fois proclamée et dérobée sous la toison résillée…

J’ai reposé le crayon… Elle s’est approchée… Elle s’est penchée… Elle a souri, hoché la tête…
- Tu es belle !…
J’ai pris ses mains entre les miennes, l’ai attirée contre moi… Elle s’est assise sur mes genoux, a lancé éperdûment ses bras autour de mon cou… J’ai effleuré ses cuisses… Je les ai lissées, parcourues, reparcourues… De plus en plus haut… De plus en plus près de la fêlure soyeuse… Une brève incursion… Je me suis éloigné… Je suis revenu à caresses lentes et rêveuses… Elle a frémi, elle s’est ouverte, elle s’est abandonnée…

- Faut que j’y aille !…
Elle s’est rhabillée en toute hâte, s’est emparée du dessin sur le petit burau…
- Oh non !… Laisse-le moi celui-là !…
- T’en referas un autre demain !…
Et elle a dévalé l’escalier… Son pas a claqué sur le trottoir…

Le lendemain on s’est d’abord doucement aimés et on a séjourné longtemps dans les yeux l’un de l’autre, ivres de reconnaissance et de volupté… J’ai voulu encore la dessiner… Elle a voulu me dessiner aussi… Nus face à face… On relevait la tête, on replongeait, absorbés, concentrés… Nos crayons avalaient, dévalaient le papier…

- Tu fais voir ?…
- Non…
Elle finissait de se rhabiller… J’ai voulu le lui arracher… On a lutté, par jeu, mais elle n’a pas cédé… Elle s’est enfuie… Son rire a résonné longtemps…

Je ne l’ai jamais revue…







S O I R E E E N T R E F I L L E S

Pendant quinze jours il y avait eu des affiches partout pour l’annoncer: un spectacle de strip-tease masculin au Fletwood Mac, une boîte, dans la vallée où on allait danser à l’occasion…

C’est Ophélie qui l’a proposé :
- On monte y faire un tour ?… Histoire de rigoler…
Et on a embarqué toutes les trois dans la voiture de Stéphanie…

Il y avait du monde… Plus que d’habitude… Une estrade de fortune avait été dressée au bout de la piste de danse… Juste à côté un groupe d’une quinzaine de filles surexcitées réclamait les Bolero Boys sur l’air des lampions… Le DJ faisait régulièrement monter la pression…
- Qu’est-ce qu’on attend les filles, hein ?!… Qu’est-ce qu’on attend ?…
Et elles hurlaient…

On a fini par trouver une place… On a pris nos consos…
- Mauvaise nouvelle, les filles !… Les Bolero Boys ont eu un empêchement… Le spectacle est annulé…
Et le DJ s’est fait huer… La tension dans la salle était à son comble, l’attente physiquement palpable…

Tout s’est éteint… Dans l’obscurité presque complète un frémissement d’impatience et d’excitation a pris corps, a couru de groupe en groupe, s’est infiltré partout… De puissants projecteurs ont brusquement éclairé l’estrade… Ils étaient trois, en strings moulants… La grappe des filles agglutinées au premier rang a lancé les bras vers eux en poussant des cris stridents… Ils ont esquissé quelques pas de danse tout en se caressant lascivement d’une main passée sous l’élastique de leurs minuscules cache-sexe… Ils avançaient, reculaient, avançaient chaque fois un peu plus près du bord de la scène… Les filles se tendaient vers eux, penchées en avant, étirées, éperdues…Ils ont fait mine de retirer leurs strings… Encouragements… Clameurs d’approbation… Alors ils nous ont tourné le dos et, à tour de rôle, ils les ont lentement descendus, retirés et lancés par-dessus leurs épaules au beau milieu du groupe qui, chaque fois, ondulait, faisait des vagues et se refermait dessus… Et ils sont restés là, immobiles, leurs trois fessiers musclés alignés côte à côte…

- Voilà, les filles, c’est fini !…
- Oh non !… Non !…
- Non ?… Vous voulez voir quoi alors ?…
Elles se sont déchaînées…
- Leurs queues !… Leurs queues !…
- C’est pas prévu au programme…
- Hou !… Hou !…
- Bon, mais comme vous êtes toutes très sympathiques ce soir les Bolero Boys vont faire une exception pour vous… Il y en a un des trois qui va se retourner, mais un seul… Et c’est vous qui allez le choisir… Alors attenton !… Qui veut que ce soit Pedro ?… Quelques filles se sont manifestées…
- Lazario alors ?…
Guère plus de succès…
- Ludo ?…
Une immense clameur s’est élevée…

Ludo a pris tout son temps en réticences et remords multiples et simulés sous les encouragements enthousiastes des filles du premier rang… Quand il nous a enfin fait face il avait les deux mains ramenées, en coquille, sur son bas-ventre…
- Les mains !… Les mains !…
Il les a très lentement retirées, en a ramené une sous les couilles comme pour les offrir aux regards… Les filles n’en pouvaient plus… Ophélie m’a poussée du coude…
- Pas mal, hein !?…
Il a fait demi-tour, rejoint les autres… Les projecteurs se sont éteints… La piste de danse s’est rallumée…
- On va prendre l’air ?

On a fait quelques pas sur le parking…
- C’est le camping-car de Ludo là-bas au fond…
- Comment tu sais ça, toi ?…
Ophélie a haussé les épaules…
- Il en descendait quand on est arrivées…
On s’est approchées… On en a fait le tour avec curiosité… On s’est éloignées…
- Je passerais bien la nuit avec, moi, ce type !…
- Moi aussi !…
- Et moi donc !…
On est revenues sur nos pas et on a attendu à côté de la portière…
- Il va bien finir par se pointer à force… obligé…

- Bonsoir !…
- Bonsoir !…
- Vous voulez quelque chose ?…
- Non !… Enfin,si !… Si vous avez envie… une de nous trois… vous pouvez !… Il nous a détaillées, à tour de rôle, attentivement…
- Pas facile de faire un choix… Vous êtes plus mignonnes les unes que les autres…
On a ri…
- La seule solution, c’est de vous essayer…
Et il a attiré Ophélie contre lui… Il l’a embrassée à pleine bouche… Un long moment… Puis Stéphanie… Et puis ça a été mon tour… il embrassait bien… A la fois léger et insistant… Sucré et acide… Il m’a lâchée, s’est un peu reculé…
- Non, je sais vraiment pas laquelle… Il faut encore approfondir les recherches… Et il a repris Ophélie… Tout en l’embrassant il a glissé une main dans son soutien-gorge, l’autre sous sa robe… Stéphanie aussi… plus longtemps… Moi, il a dégrafé mon pantalon… Il est entré dans ma culotte…
- Mais c’est que tu mouilles comme une vraie petite cochonne !…
Et pourtant c’est Stéphanie qu’il a emmenée… Elle nous afait signe de la main, sur le marchepied, juste avant de disparaître à l’intérieur…

On est allées l’attendre dans la voiture garée là-bas, à l’écart… Ophélie devant et moi derrière, comme à l’aller…
- Je sens qu’il va y en avoir pour un moment !…
Elle a soupiré…
- Qu’est-ce qu’il m’a donné envie ce salaud !…
On s’est tues… Longtemps… Et puis je l’ai entendue respirer plus fort.. plus vite… Sa main s’activait sous la robe remontée haut sur les cuisses… Alors la mienne aussi avec impétuosité Plus rien d’autre que nos chuintements humides… Que nos doigts à la conquête effrénée de notre soulagement…
- Tu penses à quoi ?…
Sans se retourner..
- Rien de spécial… Je laisse flotter… La soirée… Le climat… Sa main sur moi tout à l’heure… Et toi ?…
- Moi ?… A sa bite… Je peux penser qu’à ça… Que je l’ai vue… Au bout rose qu’on apercevait juste un peu sous la peau… Comment j’aime ça quand ils se décalottent les mecs !… Ou quand moi je leur fais…
Et elle a joui, cabrée, la tête renversée en arrière, avec un imperceptible râle de fond de gorge… Moi aussi, juste après… meilleur que jamais…

Stéphanie a ouvert la portière, s’est installée au volant…
- Quel pied, les filles !… Quel pied !… Je peux vous dire : ça valait le coup…
- Nous aussi… C’était pas mal non plus !…







L’A P P A R T E M E N T


Sabrina passait sa vie calfeutrée chez elle, volets fermés, rideaux tirés…
- A cause de l’autre con, là, en face !… Il arrête pas de mater avec ses jumelles… A longueur de journée… Il a que ça à foutre… Ce que ça peut m’énerver… Tu peux même pas être tranquille chez toi…

Elle me l’a montré un jour qu’il passait sur le parking en bas…
- Regarde-le cet obsédé !…
C’était un bel homme avec de la prestance, la quarantaine séduisante…
- On croirait jamais pourtant à le voir comme ça…
Elle a haussé les épaules…
- C’est les pires…

En Juin elle m’a demandé de lui garder son appartement quelques jours, le temps qu’elle aille régler la succession de son père à Lorient…
- Je préfère… Avec tout ce qui se passe… Je serai plus tranquille…

Il faisait un temps magnifique… J’ai commencé par tout ouvrir en grand… L’autre en face j’en avais rien à foutre… Je le connaissais pas… Et puis j’étais pas censé savoir…

Quand on n’est pas chez soi on manque de repères… On vient toujours buter sur quelque chose… Les objets ne sont jamais là où on les aurait mis soi-même… J’étais obligée de multiplier les allées et venues… Il m’observait, il m’épiait – je le sentais, j’en étais sûre – avec une attention extrême… Ce n’était pas vraiment désagréable d’ailleurs ce regard suspendu à moi en permanence… Ca me conférait une importance particulière, différente…

J’ai dîné sous haute surveillance… Quand l’obscurité est tombée j’ai allumé un peu partout… J’ai erré… Il attendait – je le savais – il attendait que je me déshabille… Il espérait de tout son être que j’allais le faire, là, en pleine lumière… J’ai commencé : j’ai déboutonné ma robe et puis, avant de continuer, j’ai tout refermé, j’ai éteint et j’ai senti – physiquement – sa déception…

Il a passé la journée du lendemain à m’observer… Sans m’accorder le moindre répit… Et c’était un peu comme si nous la vivions ensemble cette journée… Comme s’il était avec moi, près de moi… Au fil des heures se nouait entre nous une complicité forte, pleine… Vers le soir j’ai quitté ma robe : sa patience méritait bien une récompense… La mienne c’était l’intensité de son regard, c’était sa gratitude palpables quelque part dans l’atmosphère autour de moi… J’ai vaqué à mes occupations en petite culotte et soutien-gorge… Avant de me coucher j’ai laissé descendre complètement la nuit…

Le lendemain matin, le mercredi, j’ai dû descendre faire quelques courses au Super Marché d’à côté… Le temps que je prenne un chariot et il était là, entre les rayons, l’air faussement affairé, à me croiser chaque fois qu’il le pouvait, comme par hasard, à me déshabiller tant et plus du regard… A distance c’était moi qui menais le jeu, mais là, si près, cette attention qui s’était emparée de moi et qui ne voulait pas me lâcher me mettait profondément mal à l’aise… Je me suis dépêchée… A la caisse il a poussé son chariot derrière le mien et il m’a regardée décharger gauchement mes achats, fébrile et empruntée… Fuir… Fuir le plus vite possible… Dans ma précipitation j’ai oublié la moitié des articles sur le tapis de caisse… C’est lui qui m’a rappelée d’une voix grave et envoûtante…
- Mademoiselle !… Mademoiselle !…
Qui m’a aidée à rassembler mes affaires…
- Faut toujours finir ce qu’on a commencé… Toujours !…
Je me suis enfuie écarlate…

Je suis remontée là-haut furieuse… Puisque c’était comme ça il allait voir !… C’était fini… Il pouvait toujours attendre alors là !… Et j’ai tout refermé… Je me suis calfeutrée, moi aussi, comme Sabrina, avant de tout rouvrir presque aussitôt… Non, mais attends !… Il allait quand même pas m’obliger à vivre dans le noir, ce con !… De toute façon… non… il allait payer plutôt… J’allais faire gonfler son attente toute la journée jusqu’aux limites du supportable… J’allais l’allumer, oui, l’allumer… et puis, le soir venu, me coucher sans lui avoir rien accordé, rien… J’ai joué avec la salle de bains… Entrées… Sorties… Sans arrêt… Avec les tenues… J’en ai changé vingt fois… J’ai indéfiniment étiré la soirée et puis j’ai éteint avant de me déshabiller, de me coucher, intérieurement ravie : comme il devait être déçu !…

La sonnerie du téléphone a presque aussitôt retenti… Je n’ai pas bougé… Un copain à Sabrina sûrement… Il rappellerait quand elle serait là… Longtemps… Ca s’est arrêté… Ca a recommencé… Encore arrêté… Repris… Insisté… Et si c’était important ?… Et si c’était elle ?… J’ai allumé, bondi, traversé l’appartement, décroché…
- Allo… oui ?…
- C’est moi !…
Je l’ai aussitôt reconnu… cette voix… cette voix qui te prenait aux tripes…
- Qui ça, moi ?… Qui êtes-vous ?…
- Tu le sais très bien… Je te vois, tu sais !…
Raccroche, mais raccroche, espèce de folle !… Qu’est-ce que t’attends ?…
- Comment t’es bien foutue ?… Si, c’est vrai, on se lasse pas de te regarder…

Il s’est tu… Il respirait régulier, profond… Enlève ta culotte !… Ni suppliant ni impérieux… Non… Sur le ton de la simple demande… Comme si ça allait de soi… Avec la tranquille conviction que j’allais le faire… Et je l’ai fait… Mécaniquement… Sans réfléchir… Dans une sorte d’état second… Le soutien-gorge aussi… Il me dirigeait maintenant, péremptoire, sûr de lui…
- Mets-toi dans le fauteuil !… Juste à côté du téléphone… J’ai obéi…
- Les jambes… Par-dessus les accoudoirs les jambes… Allez !… De chaque côté, ouverte, obscène… Et ce silence… éprouvant ce silence… si lourd… si plein… Longtemps…
- Branle-toi !…
Et je lui en ai offert le spectacle…

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