samedi 23 octobre 2010

Escobarines: Princesse de lumière





« … pratique malheureusement fort courante à l’époque. C’est ainsi que le célèbre écrivain espagnol Cervantes, capturé en mer sur la galère Sol, fut attribué, en tant qu’esclave, au renégat grec Dali Mami. Il ne dut sa libération, cinq longues années plus tard, après quatre tentatives d’évasion et diverses péripéties, qu’au versement d’une rançon réunie par l’ordre religieux des Trinitaires qui s’était fait une spécialité de l’élargissement des captifs.
On ne se contentait d’ailleurs pas d’aller « se servir » en mer : de véritables raids étaient organisés sur les côtes espagnoles ou italiennes dans le but clairement avoué de se procurer des esclaves : les hommes capturés étaient vendus pour constituer une main-d’œuvre gratuite. Quant aux femmes les sultans les acquéraient pour s’en faire des concubines ou pour les mettre au service de leurs épouses. Nur-Banu ( Princesse de lumière ), de son vrai nom Cecilia Venier-Baffo, la nièce du doge de Venise, enlevée à Paros, devint, après avoir été intégrée au harem de Topkapi, la favorite de Selim II auquel elle offrit une descendance… »

Elle a fermé le livre… Puis les yeux… Et elle l’a vue… Nur-Banu… Mollement alanguie sur un sofa. Entourée de femmes prévenant, avec empressement, ses moindres désirs. D’eunuques qui l’éventaient, la rafraîchissaient et lui présentaient toutes sortes de friandises sur des coussins de velours ornés de pierres précieuses… On a annoncé, à son de trompes, la venue du sultan. Tout le monde s’est éclipsé…

« - Ils arrivent !… Sauvez-vous !… Cachez-vous !… »… Elle a tranquillement continué à cheminer vers la plage, croisant des groupes d’hommes et de femmes affolés qui couraient à perdre haleine, la bousculaient au passage sans la voir ou l’exhortaient à fuir… « - Mais va-t-en, espèce de folle !… Retourne !… »… Ils étaient une quinzaine. Ils ont fondu sur elle. Elle n’a pas opposé le moindre semblant de résistance. On l’a ligotée, enchaînée, à fond de cale, en compagnie de dizaines d’autres captives et captifs qui gémissaient et pleuraient à qui mieux mieux…

Nue sur une estrade. Entièrement nue sous un soleil brûlant. Autour on allait et on venait. Autour d’eux. Autour d’elle. On l’a examinée. A l’intérieur de la bouche. Sous la plante des pieds. On lui a tâté les cuisses. On les lui a fait écarter. On a voulu voir. On lui a soupesé les seins. On a essayé d’en faire dresser les pointes. On lui a mis un doigt entre les fesses. Un autre. Quelqu’un a compté des pièces. Qui ont changé de mains. Qu’on a recomptées. On lui a passé une corde autour du cou. On l’a emmenée…

Le luxe. Le grand luxe. Du marbre. De l’or. Des tentures. D’immenses cours intérieures fleuries. Des pépiements d’oiseaux. Le babillage ininterrompu des femmes dans une langue inconnue. Leur course effrénée soudain. Elle a suivi. Tout s’est arrêté. Tout s’est tu. Agenouillées, elles ont silencieusement regardé approcher le sultan. Qui s’est arrêté. Qui a posé les yeux sur elle. Qui a dit quelque chose qu’elle n’a pas compris. On l’a poussée. Jusque devant lui. Jusqu’à ses pieds. Il a encore dit quelque chose. Elle a fait signe qu’elle ne comprenait pas. Il a souri. Il lui a posé la main sur la tête. Il s’est éloigné…

Elles l’ont entourée, volubiles. Se sont emparées d’elle. L’ont conduite au bain. Lavée. Ointe d’huile d’aloès. Parfumée. Coiffée. Habillée. Parée de bijoux magnifiques. Elles se sont reculées, ont contemplé leur œuvre, l’ont fait allonger, satisfaites, sur un divan dans lequel elle s’est voluptueusement enfoncée…

Un eunuque est venu la chercher, l’a guidée, à travers un dédale de couloirs, jusqu’au pied d’un luxueux sofa sur l’occupant duquel elle ne s’est pas permis de poser le regard…
- C’est donc toi !…
Surprise, elle a levé la tête. Nur-Banu l’examinait d’un œil inquisiteur…
- Qui es-tu ?… Que fais-tu là ?…
- Je… Mais rien… On m’a enlevée… Capturée… Vendue…
- Et pour une bouchée de pain, m’a-t-on dit… Une somme vraiment dérisoire… Pourquoi ?…
- Je ne sais pas…
- Mets-toi nue !…Tourne-toi !… Approche !… Tourne-toi encore !… Oui… Tu as été très largement sous-évaluée… C’est incontestable… Il y a forcément une raison à cela… Une raison que tu connais…
- Non !… Je vous jure que…
- Ne fais pas l’innocente !… Il y a à peine vingt-quatre heures que tu es arrivée et tu as déjà joué des pieds et des mains pour essayer de t’insinuer dans les bonnes grâces du sultan… Ca aussi pourquoi ?…
- Hein ?!… Mais je n’ai jamais…
- J’ai mes informateurs… Tout a été prémédité… Minutieusement préparé… Mes ennemis t’ont recrutée – et, je suppose, grassement payée – pour que tu me supplantes… Pour définitivement m’évincer… Ose dire le contraire !… Seulement ce qu’ils n’avaient pas prévu… Bon, mais je m’occuperai d’eux en temps voulu… Pour le moment toi, tu vas être punie…

Un signe de la main et trois vigoureux eunuques sont venus se saisir d’elle, l’ont allongée à plat ventre sur le tapis. L’un lui a solidement maintenu les jambes, l’autre les bras. Sorties de partout et de nulle part des femmes se sont approchées, ont fait cercle, la mine gourmande, sur deux rangs. Le premier coup de fouet, appliqué avec vigueur, l’a cueillie par surprise, lui a arraché un hurlement strident. Quelque part quelqu’un a ri. Et c’est tombé. Ca a continué à tomber. Ca a sifflé, claqué, mordu. Comme si ça ne devait jamais s’arrêter…

- Relève-toi !… Relève-toi et viens là !…
Chancelante… Pantelante…
- Plus près !… Et à genoux !…
Elle l’a agrippée par les cheveux, lui a attiré la tête, a plongé ses yeux dans les siens…
- Que je révèle au sultan que tu as comploté contre moi, que tu as voulu attenter à ma vie et je ne donne pas cher de ce gentil petit minois…
Elle lui a passé un doigt tout au long du cou…
- Couic…
Un tremblement lui a secoué tout le corps…
- Oui, ce n’est pas une perspective très exaltante, hein ?!… Mais j’ai mieux pour toi… Beaucoup mieux… J’obtiens tout ce que je veux de lui… Et il m’a fait cadeau de toi… Alors j’ai décidé de te mettre au service de mes servantes… Avec toute latitude de te traiter, pour se faire obéir, comme elles l’entendent… Et tu verras qu’elles ne manquent pas d’imagination…

Elle a dit quelque chose et elles se sont toutes mises à parler en même temps. Elles l’ont entourée, voulu l’entraîner…

Des coups à la porte. Elle a prestement dissimulé ses doigts luisants de mouille sous l’oreiller…
- Qu’est-ce que c’est ?
- Dis, t’as vu l’heure ?… Si tu ne te dépêches pas tu vas encore arriver en retard au boulot… Une fois de plus…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire