samedi 5 février 2011

Escobarines: Mademoiselle Collignon





- Zut !… Mon savon… Il a filé de ton côté par en-dessous… Tu me le refais passer ?… Merci… Bon, mais alors du coup tu rentreras jamais chez toi le week end si t’habites si loin… Tu resteras ici…
- Ben oui…
- Tant mieux !… J’aurais encore été toute seule sinon… Comme l’année dernière… Qu’est-ce que je pouvais m’emmerder !… Je passais mon temps à attendre le lundi que les autres reviennent et que les cours reprennent… C’est quand même con, avoue !… Bon, mais et toi ?… Raconte !… Comment ça se fait qu’on t’a envoyée ici, toi ?…
- Je foutais rien de rien… Et j’ai fait des conneries en plus… Et pas des petites… C’est pour me visser qu’ils ont dit…
- Oui… Oh, tu verras… Y a quand même pas trop à se plaindre… Ca pourrait être pire… Le tout c’est de te faire oublier… Si tu les emmerdes pas elles t’emmerderont pas…
- C’est vrai qu’elles ont le droit de nous donner la fessée ?…
- Ah ben oui… Oui… Les lois elles sont comme ça dans ce pays ici… C’est même écrit dans le règlement… Tu l’as pas lu ?…
- Si… Justement…
- Elles ont le droit, mais elles le font pas… Depuis que je suis là – ça fait deux ans – j’ai encore jamais vu une fille en recevoir une… Peut-être qu’il y en a qui en prennent quand elles sont convoquées chez la directrice et qui s’en vantent pas… Ca, c’est possible – je sais pas – mais autrement… T’en as qui t’en menacent, oui… Comme la Duclos… Ou la Vaissier… Et là tu te tiens à carreau… Parce qu’elles rigolent pas ces deux-là et que tu sais qu’elles hésiteraient pas à te le faire… Ou bien la Collignon, mais elle !…
- C’est qui, celle-là ?…
- Celle de Maths…
- Ah oui… Et c’est elle qu’est restée pour nous surveiller vu qu’on part pas en week end…
- Voilà, oui… Vingt fois par jour elle te cause de son martinet… Qu’on va voir ce qu’on va voir quand elle va le sortir… Qu’on a intérêt à préparer nos fesses… Qu’elles vont s’en souvenir… Sauf que personne l’a jamais vu ce fameux martinet… Que personne le verra jamais… Parce qu’il existe pas… Et tu sais ce qui se dit ?… Que elle c’est autre chose qu’elle a jamais vu…
- Quoi donc ?…
- La queue d’un homme… Elle est toute neuve, il paraît…
- Hein ?… Mais quel âge elle a ?…
- Cinquante… Sûrement quelque chose comme ça…
- Et… Non, c’est pas possible ça… Je te crois pas…
- Si je te le dis !… Du coup tu sais pas ce qu’on lui a fait un jour ?… Mais tu le répètes pas, hein ?…
- Oh ben non, non…
- On s’est mises à trois et on lui a écrit une belle lettre comme si ça venait d’un homme qui aurait été amoureux fou d’elle…
- Et alors ?…
- Et alors rien au début… Sauf qu’elle devait sacrément se demander qui ça pouvait bien être… On a attendu un peu et on lui en a renvoyé une autre… Où il disait qu’il était sûr qu’elle savait qui il était… Encore une autre… Et pourquoi elle lui répondait pas ?… C’était cruel… Elle était cruelle… Alors que lui nuit et jour il ne pensait qu’à elle… Il n’en dormait plus… Il n’en mangeait plus… Il ne vivait plus que pour le bonheur de l’apercevoir quelques instants, le dimanche, à la messe… Et patati et patata… On s’est prises au jeu… On lui en a envoyé de plus en plus… De plus en plus chaudes… Torrides… Tous les jours elle en recevait à la fin… Et elle se dépêchait de filer à la récré de dix heures pour aller chercher son courrier… Comment ça nous faisait rigoler !… Pour finir le type il lui a soi-disant donné rendez-vous un dimanche dans le parc derrière la mairie… Et évidemment moi je suis allée me planquer pas loin pour voir si elle allait venir… Et ce qu’elle allait faire…
- Elle est venue ?…
- Evidemment qu’elle est venue…
- Oh, la vache !… Comment vous avez dû vous marrer…
- Une heure en avance elle était… Et elle avait sorti le grand jeu : une robe à fleurs comme il s’en fait plus depuis un siècle et demi et un espèce de chapeau que le type il aurait explosé de rire s’il avait existé et s’il avait vu ça… Elle l’a attendu trois heures avant de se décider à rentrer en se retournant tous les deux mètres pour voir s’il était pas en train d’arriver… Mais tu sais pas le plus beau ?…
- Non…
- C’est qu’elle y est retournée le dimanche suivant… Parce qu’on l’avait fait s’excuser… Il avait eu un empêchement… Sa pauvre mère était tombée gravement malade… Mais là il allait venir… C’était sûr et certain…
- Et il est pas venu…
- Il risquait pas…
- T’as pas entendu quelque chose ?…
- Non… Quoi ?…
- Comme quelqu’un qui essayait de se retenir de tousser…
- Mais non !… Tu te le seras imaginé… Bon, mais je sors, moi, j’ai fini…

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