Marine, Aurore et moi on a été les premières. Parce qu’on en avait marre des mecs. Mais vraiment marre !… Plus que marre. Ca te vous mène en bateau tant que ça peut les mecs. Ca te fait semblant d’avoir des sentiments et ça pense juste à tremper sa queue. Ca joue avec toi. Ca te prend. Ca te jette. Ca te démolit. Et ça en a rien à foutre… Alors bon !… Ca suffisait. Ils allaient voir ce qu’ils allaient voir. Chacun son tour…
Et un soir qu’Aurore venait encore de se faire larguer, on a fait un pacte toutes les trois. Un pacte secret d’assistance mutuelle. Chaque fois qu’il y en aurait une qui entamerait quelque chose avec un type les deux autres elles tâcheraient aussitôt de savoir de quoi il retournait vraiment. En enquêtant discrètement. En faisant parler ses copains. En le draguant à fond, histoire de voir si ça l’empêchait pas d’aller tenter quand même sa chance à droite et à gauche. En utilisant tous les moyens possibles et imaginables pour le percer à jour. Et pas seulement… Parce que dès qu’il serait clair qu’il y en avait un qui s’était carrément foutu de notre gueule alors là !… Là il avait pas fait le plus dur… On te lui concocterait une de ces petites vengeances à notre façon… Qu’il risquait de s’en souvenir un moment… On manquait pas d’imagination quand on voulait…
- Ca marchera jamais…
- Et pourquoi ça marcherait pas ?
- Parce que tout le monde sait qu’on est copines… Ils se méfieront…
Eh bien la solution alors c’était de plus l’être copines…
- Ca va pas, non ?…
Mais si !… On allait se disputer ostensiblement. Pour tout le monde on serait brouillées à mort. On se parlerait plus. On se verrait plus. Mais en réalité on serait plus soudées que jamais. En cachette…
- Mais c’est que ça peut être drôlement rigolo en plus !…
Ca l’a été. Parce qu’on venait nous trouver. De tous les côtés. Des filles surtout… « - Paraît que vous vous êtes disputées ?… » Et qu’on nous débinait tant qu’on pouvait les unes aux autres… « - Ca devait arriver… Ca devait forcément arriver… Non, mais franchement qu’est-ce que tu pouvais bien fabriquer avec des filles pareilles ?… Qu’ont rien pour elles… Rigoureusement rien… Inintéressantes comme c’est pas possible… De véritables sacs à embrouilles… En plus !… »
- Au moins on sait à quoi s’en tenir !…
Avec les mecs en tout cas ça fonctionnait du feu de Dieu notre petit système. On jouait le jeu à fond et on feignait de se haïr à mort. Ils ne nous en confiaient que plus aisément leurs véritables intentions. Le plus souvent dans des termes d’une délicatesse !… « - Marine ?… Je vais la faire couiner une semaine ou deux… Et puis je vais passer à autre chose… C’est vraiment pas le genre de truc dont t’as envie de t’encombrer Marine… »… « - Aurore ?… Tout ce que je lui demande c’est d’écarter les cuisses… S’il faut lui raconter des salades pour qu’elle le fasse je vais lui en raconter des salades… Et des belles… C’est pas franchement moi que ça va déranger… »
Elle en arrivait presque à regretter avant Aurore…
- Quand on savait pas ce qu’ils avaient dans la tête… Qu’on pouvait encore se bercer d’illusions…
- Oui… Mais au moins le jour où ce sera le bon le type ce sera sûr que c’est lui…
- Le bon… Mouais… Mais pour combien de temps ?…
Marine, elle, elle était bien décidée à profiter à fond de la situation…
- On sait… Et on est en position de force quand on sait… Ils croient me baiser ?… Non, c’est moi qui les baise… Ils croient se servir de moi ?… Non, c’est moi qui me sers d’eux… Qui tire les ficelles… Qui en fais des marionnettes pour m’amuser comme j’ai envie… Quand j’ai envie…
Longtemps on n’a été que toutes les trois. Et puis il y a eu Eloïse. Parce qu’elle était au trente-sixième dessous Eloïse. Qu’elle savait pas sur quel pied danser avec son Antoine. Qui était amoureux comme un fou le mardi et complètement désinvesti le mercredi. Elle y comprenait rien. Bon, mais on allait s’en occuper… On lui a fait jurer le secret et on l’a prise avec nous. Trois jours après on savait : il en avait deux autres son Antoine…
Avec le temps on était devenues redoutablement efficaces et performantes. Il aurait été vraiment dommage de ne pas en faire profiter des filles qui nous étaient sympathiques et qu’on voyait désespérément engluées dans des situations sentimentales sans issue. Alors on a été cinq… Puis huit… Puis dix… Pour tout le monde nous n’entretenions aucune relation les unes avec les autres. Nous nous ignorions. Nous étions, en réalité, en contact permanent. Soit par téléphone soit par Internet. Et nous nous retrouvions, tous les mardis soirs, dans la propriété des parents de Natasha dont le parc – immense – nous offrait les indispensables garanties de discrétion et de confidentialité. Quand nous en repartions la nuit était bien souvent depuis longtemps tombée…
Ca devait arriver. Ca devait forcément arriver. Plus on était nombreuses et plus on courait le risque que notre fructueuse complicité finisse – trahison ou imprudence – par s’éventer. Et c’est arrivé. Elle en était profondément désolée Gaia… Peut-être, mais le mal était fait. Bon, mais ça s’était passé comment au juste ?
- Je me suis emportée… A voir comment il continuait à se foutre de ma gueule l’autre… Ca a été plus fort que moi… Je lui ai tout balancé… Tout ce que je savais… Et que je ne pouvais savoir que parce que Katia et Eloïse… Je les ai grillées… Auprès de lui je les ai complètement grillées…
Il y avait deux ou trois filles qui étaient d’avis qu’il fallait l’exclure. Tout de suite. Parce que qu’est-ce qu’il pouvait y avoir de plus grave ?…
- Et de toute façon elle recommencera… Si elle est incapable de se contrôler… Et comment on pourrait avoir confiance en elle maintenant ?…
Mais d’autres étaient d’avis qu’il fallait lui laisser sa chance. Parce qu’elle s’était dénoncée d’elle-même… Que vu tout ce qu’il lui avait fait subir l’autre animal on pouvait comprendre qu’elle ait disjoncté… C’était humain… Qu’elle n’avait impliqué personne d’autre que Katia et Eloïse… Qu’il suffirait de laisser quelque temps sur la touche…
Par contre – là-dessus tout le monde était d’accord – par contre il fallait malgré tout une sanction. Ca s’imposait. Oui, mais laquelle ?…
- Une fessée ?
Tout le monde a fait chorus…
- Oh oui, oui, une fessée !… Elle avait bien mérité ça… C’était la moindre des choses…
Et elle Gaia ?… Elle en pensait quoi ?… Qu’on fasse ce qu’on voulait… Qu’on décide… Oui, une fessée, si on voulait… Ca lui était égal… Tout lui était égal pourvu qu’on la mette pas dehors… Qu’elle continue à être avec nous…
- Bon, ben viens là alors !…
Marine s’est agenouillée, l’a fait basculer sur sa cuisse, l’a déculottée…
- C’est moi qui commence, les filles !… Mais après ce sera votre tour… Vous aurez toutes votre tour…
Et elle a levé la main…
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