samedi 6 novembre 2010

Escobarines: Rééducation





Vendredi 15 Octobre 2049
Une parodie de procès. On a été condamnées. Il fallait s’y attendre. Toutes les quatre. Pour activités antisociales. Activités antisociales !… C’en est bouffon… Mais en attendant on a pris deux ans de centre rééducatif. Celui de Verninay… Le pire de tous… S’ils s’imaginent qu’ils nous casseront comme ça !

Lundi 18 Octobre 2049
Ca n’a pas perdu de temps. On nous a transférées ce matin à six heures. La fouille. La douche. On nous a fait revêtir la tenue-maison. Une horrible robe-blouse marron. Avec des godillots informes et de grosses chaussettes qui retombent dessus. On ressemble plus à rien. C’est bien évidemment voulu…
On ne nous a pas mises dans la même cellule. Il fallait s’y attendre. Je me suis retrouvée avec cinq « droit commun » en pleine effervescence parce que deux gardiennes venaient de flanquer une magistrale fessée à l’une d’entre elles…
- Une fessée ?… Mais elles ont pas le droit !…
Elles ont éclaté de rire. Toutes en chœur…
- On voit que tu viens d’arriver… Elles ont tous les droits…
- Mais c’est pas légal !…
- Un conseil… si tu veux pas aller au-devant de très très gros ennuis… Ici oublie ce mot-là… Elles font ce qu’elles veulent… Mets-toi bien ça dans la tête… Tout ce qu’elles veulent…
Et il y en a une qui a cru bon de préciser…
- On n’est plus en 2010…

Elles ont voulu savoir… J’avais fait quoi pour être là ?… J’ai commencé à expliquer. Elles m’ont tout de suite interrompue…
- Oui… T’es une politique, quoi !…
Pas vraiment, non… C’était pas vraiment ça…
- Ca revient au même… Tu la fermes là-dessus… On veut pas savoir… On tient pas à avoir des emmerdes…
Je n’ai pas insisté. Et elles ?… Pourquoi elles étaient là ?… Elles ont éludé. Elles étaient devenues méfiantes d’un seul coup. Presque hostiles…

Je venais à peine de m’endormir quand la cellule s’est brutalement éclairée, la porte violemment ouverte…
- Alors ?!… Avec qui on va s’amuser nous deux ce soir ?!
Elles ont tiré des couvertures, soulevé des têtes par les cheveux…
- Mélanie, tiens !… Oui… Mélanie… Allez, amène-toi, ma chérie…
La fille s’est levée, les a suivies sans un mot. Le cliquetis des clefs. Tout s’est réteint…
- Qu’est-ce qu’elles lui veulent ?
- Faut te faire un dessin ?
- Mais faut pas se laisser faire… Faut se défendre…
- Oh, ta gueule !… Dors et fous la paix…

Mercredi 20 Octobre 2049
Une gardienne est venue m’extraire de ma cellule…
- On te réclame… Corvée de pluches…
Penchées sur un bac, dans la cour, devant la porte des cuisines, elles étaient là, toutes les trois, sous la surveillance d’une garde-chiourme armée d’un martinet…
- Si je me suis arrangée pour que vous soyez toutes les quatre réunies, les filles, c’est que je suis à 100% avec vous… Mais soyez discrètes… Aussi discrètes que possible… Dans votre intérêt… Et dans le mien… Je risque ma place… Et beaucoup plus…

Lundi 25 Octobre 2049
On se retrouve tous les jours en bas. Elle nous laisse parler. Autant qu’on veut. Ca nous fait un bien fou. On se remonte mutuellement le moral. Parce que deux ans !… Dans des conditions comme celles-là. Sans le moindre contact avec l’extérieur. Sans aucune nouvelle de nos camarades qui, eux, continuent à lutter pour le rétablissement des libertés élémentaires. Ils nous manquent. Ils nous manquent tellement…

Là-haut, en cellule, on me bat froid. On considère que j’ai obtenu un passe-droit injustifié alors que je viens tout juste d’arriver. Manifestement on se méfie de moi. On se demande quel est mon véritable statut ici et si je n’ai pas des liens privilégiés avec la direction. En clair on me soupçonne d’être une moucharde. Alors on chuchote derrière mon dos et on évite soigneusement de me faire quelque confidence que ce soit. Même m’adresser tout simplement la parole semble leur coûter un effort surhumain. Je n’insiste pas. A quoi bon ? Plus j’essaierai de les convaincre de ma bonne foi et plus je m’enfoncerai à leurs yeux…

Mardi 26 Octobre 2049
Ils ont pris et condamné Lionel…
- Mais surtout, les filles, vous ne bronchez pas… Rien, dans votre attitude, qui puisse laisser supposer que vous êtes au courant… Je vous rappelle qu’il y a des caméras de surveillance partout, qu’on est constamment épiées…
Lionel est là. Du côté des hommes. De l’autre côté des grilles. A cinquante mètres de nous. On en aperçoit, souvent, à dix heures et demi, pendant leur promenade. On les entend. On les écoute. Lionel est là maintenant. Avec eux…

Mercredi 27 Octobre 2049
Marlène s’est élancée aussi vite qu’elle a pu. Le temps que la gardienne réalise et réagisse elle était déjà presque arrivée aux grilles…
- Lionel !… Lionel !… C’est moi, Marlène !…
Auxquelles elle s’est accrochée…
- Lionel !… Lionel !…
La gardienne a eu toutes les peines du monde à la détacher, à la ramener…
- Espèce de folle !… Ah, tu nous mets dans de beaux draps !… Je suis obligée de te punir maintenant… Et comme il faut !… En espérant que ça va suffire… Que je vais pas, moi aussi, devoir payer les pots cassés…
Elle était furieuse. Elle lui a arraché sa robe et elle a cinglé. Une vingtaine de coups vigoureusement appliqués qui l’ont fait tomber à genoux. Elle s’est relevée. Elle a cherché sa robe du regard tout autour d’elle…
- Non !… Tu restes comme ça…
Elle a repris sa place et murmuré avec un sourire attendri…
- J’m’en fiche !… J’m’en fiche !… Je l’ai vu…
Derrière les grilles des hommes s’étaient massés… Qui regardaient… Que les gardiens ont pris tout leur temps pour disperser…

Elles ont surgi à cinq dans la cellule…
- Alors comme ça on passait ses matinées à comploter à qui mieux mieux !…
- Mais non, mais…
- Inutile de nier… On sait tout… Allez, à ton tour !… Viens avec nous !… On va s’occuper de ton petit derrière…
Les filles m’ont regardée partir avec un sourire ravi…

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