dimanche 25 octobre 2009

Mémoires d'une toute petite queue ( 4 )

Les années Véronique




1- Solitude

Le départ de Mathilde m’avait beaucoup plus affecté que je ne me l’étais avoué… J’y avais cru… J’avais cru que nous ferions – sinon toute la route – du moins un bon bout de route ensemble… Je cédais au découragement… Qui, mais qui, avec l’infirmité dont j’étais accablé, pourrait un jour vouloir de moi ?…

- Hein ?!… Mais personne !… Quand est-ce que tu vas enfin arrêter de te raconter des histoires ?… Personne !… Ca fait des années que je me tue à te le répéter… Prends-en ton parti une bonne fois pour toutes… T’es comme ça et alors ?… Ca t’empêche pas de profiter de tas de trucs… Je suis bien placée pour le savoir… Alors profite !… Tant que tu peux… Et arrête de t’apitoyer sur ton sort…

Irina était rentrée rayonnante…
- Un peu que ça va !… Ca a rarement été aussi bien … Tu verrais comment il est redevenu amoureux Loïc… C’est de la folie !… Tu verras… Parce qu’on t’attend, hein !…

J’ai vu… J’ai vu leurs photos de vacances… Des paysages… Des châteaux… Du ciel bleu… Et puis eux… Des dizaines de fois… Eux… Enlacés, enamourés, les yeux dans les yeux…
- Lui, c’est Gilbert…
C’était un grand brun à l’allure athlétique…
- Un ami… On a fait sa connaissance là-bas…
Irina s’est levée…
- C’est pas tout ça, mais demain le réveil oubliera pas de sonner…

- Oui… Un ami…
Il a baissé la voix…
- Un ami qui nous a bien rendu service… Elle a de gros besoins, Irina… De très gros besoins… Je défie n’importe quel type normalement constitué d’arriver à la satisfaire… Alors un ami… Gilbert est vigoureux… Et il a de l’expérience… Beaucoup d’expérience… Je peux te dire qu’elle y a trouvé son compte… Moi aussi d’ailleurs !… Parce que regarder sa femme s’envoyer en l’air avec un autre tu peux pas savoir, toi, t’es pas marié, tu peux pas savoir quel pied tu prends…

- Ben voyons !… Tu le vois pas venir, là, avec ses gros sabots ?… Je donne pas quinze jours avant qu’il te propose de faire un truc à trois… Le seul problème pour toi, c’est que… Mais je veux pas remuer le couteau dans la plaie…

J’ai reçu – quelques jours après mon retour – une longue lettre de Véronique… Je lui avais proposé de l’écouter… Elle avait bien l’intention d’en profiter…
- Surtout que c’est à toi que j’ai envie de parler… Et à personne d’autre… Je sais pas pourquoi, parce qu’on n’a jamais été vraiment très proches jusque là tous les deux, mais c’est comme ça… Ses Vacances lui avaient laissé un goût amer…
- Je l’ai découvert encore sous un autre jour Pierre-Antoine… Un de plus… Qui m’écoeure… Tu verrais ces photos qu’il a ramenées !… Qu’il montre à qui veut les voir… Des fermes délabrées… Des dépôts d’ordures sauvages… Des pépés en guenilles… Ca existe… Bien sûr que ça existe… Il y en a partout… Mais il y a pas que ça… Le reste il l’a pas vu… Ou il a pas voulu le voir… Et cette façon qu’il a d’en parler !… Comme s’il revenait d’une dangereuse expédition chez les primitifs… Il nous méprise… Mais c’est de là que je sors, moi, merde !… C’est de là qu’on sort… Non… Jamais j’aurais dû l’amener là-bas… Jamais… Et je suis pas près de recommencer…

- On va pas la regarder ici… C’est trop dangereux… Si jamais elle se relève et qu’elle nous surprend elle va vraiment pas apprécier… Non… Je te la confie… Emmène-la !… Mais t’y fais attention, hein !… Et tu tardes pas trop à la rapporter…

C’était mis bout à bout… Irina et Gilbert… Gilbert dans Irina nouée à lui… Irina à grands coups de bassin contre Gilbert… Irina gorgée de plaisir, éperdue, hurlant des mots obscènes… Dix fois… Vingt fois… A l’infini…

Et, au magasin, Irina me parlait, me souriait… Irina prenait appui contre moi – je sentais ses seins contre mon dos – pour s’emparer d’un livre auquel je faisais écran… Sa main rencontrait parfois rapidement la mienne dans la caisse… Je respirais son parfum… Je me baignais dans ses yeux… Je rentrais… Je m’installais devant elle… Je la retrouvais…Jusque tard dans la nuit…

Véronique ne supportait plus Pierre-Antoine…
- C’est physique… Tout m’agace chez lui… Tout… Il me hérisse… Dès qu’il me touche… Tiens, rien que d’en parler tu peux pas savoir ce que ça me fait… J’ai les poils qui se dressent de partout… Non, mais comment j’ai pu aller me marier avec ça ?… Tu fais de ces trucs des fois !… Et maintenant il veut que je lui fasse un gamin… Il parle plus que de ça… Mais je veux pas, moi !… Pas avec lui… C’est moche, Gabriel, tout ça !… C’est moche !… Et le pire, c’est que je vois vraiment pas comment je peux en sortir…

J’ai gardé la cassette aussi longtemps que j’ai pu, mais il a bien fallu que je finisse par la rendre à Loïc…
- Ah oui, merci… Ca donne, hein !… Faut pas lui en promettre… Et il assure Gilbert… Je peux t’assurer qu’elle attend l’été prochain avec une impatience !… Mais je la connais… Elle tiendra jamais jusque là… Moi non plus d’ailleurs… Oh, mais on va bien lui trouver quelqu’un en attendant… Ce sont pas les candidats qui manquent…

- Et ça, c’est pas un appel du pied peut-être ?…

- La corvée !… L’insupportable corvée… A laquelle je m’efforce d’échapper aussi souvent que je peux… Je suis capable de déployer des trésors d’imagination pour ça… Mais hier soir pas moyen de faire autrement… J’ai dû y passer… Tu sais que j’ai jamais eu de plaisir avec lui ?… Jamais… Pas une seule fois… J’en ai même seulement jamais approché… Je vois pas comment je pourrais d’ailleurs… Vu la façon dont il s’y prend… T’es vraiment qu’une vide-couilles pour lui… Il y a pas d’autre mot… C’est gratifiant, hein ?… Enfin… Il a eu ce qu’il voulait… Et, dans trois jours, il va me demander, d’un air attendri, si je suis enceinte… Il y a pas de risque… Je prends la pilule en douce…

A mon avis elle avait un amant Irina ?… Il voulait dire… Quelqu’un pour qui il serait pas au courant… Hein ?!… Mais j’en savais rien, moi !… J’aurais pu... J’aurais pu remarquer quelque chose… Des coups de téléphone… Des regards lourds de sens furtivement échangés avec un collègue ou un prétendu client… Autre chose… Mais non !… Non !… J’avais rien remarqué du tout… Parce qu’il sentait que ça la travaillait en ce moment… Qu’elle avait envie de vivre quelque chose en dehors de lui… Et de Gilbert… Il y avait des indices… Beaucoup d’indices concordants… Elle n’allait pas tarder à sauter le pas, c’était évident… Oh, mais il en ferait pas une maladie, hein !… Au contraire même !… Au contraire ?!… Au contraire, oui… Ca allait peut-être me paraître bizarre, mais l’idée qu’elle puisse avoir, en cachette, un ami de cœur – et de corps… parce qu’évidemment… la connaissant… ça va de soi… – n’était pas pour lui déplaire… Il la trouvait même extrêmement troublante…
- Ah, si je pouvais me trouver un complice… Un complice en qui j’aurais toute confiance, qui la séduirait et qui me raconterait tout… Jusque dans les moindres détails… Ca te dirait pas ?…
- Moi ?!…
- Toi, oui !… Elle te plaît pas Irina ?…
- Oh, si, si !…
- Eh bien alors !… Toi aussi tu lui plais en plus !… Et pas qu’un peu !… T’entendrais comment elle parle de toi… Il suffirait que tu te montres un peu entreprenant…

- Et toi, t’as accepté !… Mais t’es vraiment le roi des cons !… T’as vraiment le don de te mettre dans des situations impossibles… Tu vas te ridiculiser, c’est couru… Une fois de plus… Mais je te plains pas… Non, je te plains pas… Tu l’auras bien cherché…

- Pourquoi j’ai épousé Pierre-Antoine ?… A cause de Patrice… C’est le seul que j’aie jamais aimé Patrice… A en crever… Le jour où j’ai enfin compris – j’avais joué mon va-tout… il s’est montré très clair – qu’il n’y avait pas le moindre espoir mon univers s’est effondré… Plus rien n’avait d’importance… Pierre-Antoine passait par là… Il était convaincu que nous étions faits l’un pour l’autre… Il était poli, courtois… Il me couvrait de cadeaux… Lui ou un autre je m’en fichais… Et ça a été Pierre-Antoine… Ca aurait pu être n’importe qui…

- Alors !… Raconte !… Tu as avancé ?…
- Un peu… Oui…
- Un peu ?… C’est-à-dire ?…
- C’est-à-dire que je l’ai invitée au restaurant hier à midi…
- Et elle a accepté… Evidemment elle a accepté… Elle m’en a pas parlé… Et alors ?… Après ?…
- Après… Ca a suivi tout doucement son cours… En regards qui disent… En mots qui explorent…
- Tu lui as tenu la main ?…
- Pressé… Deux fois…
- Tu l’as embrassée ?…
- Effleuré les lèvres sur le trottoir en sortant…
- J’en étais sûr… J’en étais sûr… Avant la fin de la semaine tu l’auras emmenée à l’hôtel, c’est couru…

- Et c’est là que les ennuis vont commencer…

- Et sa mère !… Ah, sa mère !… Tout un poème sa mère !… Parce qu’evidemment on l’a sans arrêt par les pieds… On a notre aile à nous… Oui… Bien sûr… Indépendante… Il paraît… Mais on mange avec eux… Et elle dispose toujours d’un excellent prétexte pour nous tomber dessus dix fois par jour… Figure-toi qu’elle s’est mis en tête de me dégrossir… Me dégrossir, oui… C’est son mot… Parce que, selon elle, je n’ai aucune éducation… Je ne sais même pas mettre la table… Eh non !… Je sais pas mettre la table… La queue des petites cuillères ça se tourne vers le couteau… Et pas de l’autre côté… Quant aux verres… Ah, les verres !… T’en as quatre à chaque repas… Tous différents… Et ça se dispose pas n’importe comment les verres… C’est toute une organisation les verres… Et c’est comme ça pour tout… Absolument tout… Mais qu’est-ce que je suis allé faire dans cette galère, moi ?…

- Ca y est, hein ?… Je suis sûr que ça y est…
- Ca y est, oui !…
- Vous êtes allés où ?…
- Dans le petit hôtel près de la pharmacie avenue de la République…
- Ah oui, je vois, oui… Et alors ?…
- Ben et alors elle avait très envie… Moi aussi…
- Il y a eu des préliminaires ?…
- Pas beaucoup, non… Elle s’est déshabillée…
- Oui… Elle a horreur qu’on la déshabille… Elle trouve ça humiliant… Et après ?…
- On s’est un peu embrassés… un peu caressés… Elle m’a voulu presque tout de suite en elle… C’est elle qui m’y a mis…
- Elle a joui ?…
- Deux fois… Et ça a été très… tempétueux…
- Ca… avec elle… j’imagine… Et t’es pas au bout de tes surprises…

- J’en crois pas un mot… T’arrives pas à rentrer… T’as tout inventé… Oui, j’avais inventé… Bien sûr que j’avais inventé… Et alors ?!… L’imaginer, le lui raconter à lui, c’était un peu comme si ça avait vraiment eu lieu… Comme si j’étais comme tout le monde… Je pouvais bien avoir droit au moins à ça, non ?…
Tout était faux alors ?…
- Sauf le restaurant… On y est vraiment allés, mais bon…
- Et s’il s’en rend compte ?…
- Faudrait qu’il lui en parle… Il le fera pas… Ca l’excite trop qu’elle sache pas qu’il sait…

- J’en peux plus, Gabriel !… J’en peux plus… J’étouffe… J’ai besoin d’air… De respirer… Respirer… Ils m’étouffent… Si t’avais ton chez-toi tu me verrais débouler… Pour une bonne semaine… Ca me ferait du bien… Mais il y a ton père… Qui va me prendre la tête avec la maison de grand-mère… Que les papiers sont toujours pas faits… Qu’il faudrait quand même bien qu’on finisse par se mettre d’accord… Et j’ai vraiment pas besoin de ça en ce moment…

- Oui… C’est vrai ça !… Pourquoi t’as pas ton appart à toi ?.. A trente ans passés il serait temps quand même, non ?…





2- L’appartement


- Paraît que tu cherches un appart ?…
C’était Morgane… Une BTS en alternance du rayon Luminaires… Venue me trouver au milieu des bouquins… Je cherchais, oui…
- J’en connais un… Juste en face du mien… Sur le même palier… Il est nickel… Et pas cher… Je te fais visiter si tu veux… C’est moi qu’ai les clés… Ca t’engage à rien de toute façon…

Une salle de séjour spacieuse avec une baie vitrée qui donnait sur un parc… Deux grandes chambres claires… Une cuisine fonctionnelle équipée dernier cri…
- Et attends… Attends… T’as encore rien vu… Qu’est-ce tu dis de ça ?…
La salle de bains… Avec une immense baignoire…
- On tient à quatre là-dedans si on veut… Et ça te fait des remous… Ca te masse… Il y a des tas de trucs que tu peux régler… Et regarde pour le dos… C’est prévu… C’est creusé… Tu peux y rester des heures à bouquiner si ça te chante… Elle me laissait y venir des fois Sarah quand c’était elle qu’habitait là… J’arrivais jamais à en sortir…
- C’est l’ancienne locataire Sarah ?…
- Non… La propriétaire… Elle est rentrée aux Etats-Unis… En janvier…
- Et elle en demande combien ?…
- 750… C’est donné, avoue !…

Je me suis installé le samedi suivant avec l’aide de quelques collègues et celle de Morgane qui, le soir, m’a proposé de venir dîner chez elle…
- T’as eu le temps de rien préparer… Et puis au milieu des cartons c’est pas trop le top…
On a parlé du boulot…
- Je sais pas toi, mais moi ça va… C’est pas trop chiant de mon côté… De toute façon faut bien bosser… Alors ça ou autre chose…
Des voisins…
- Dans l’ensemble c’est calme… Il y a juste le type du sixième qui pique sa crise de temps en temps, tu sais pas pourquoi… Il s’en prend à tout le monde à tour de rôle… Le mieux, c’est de pas s’en occuper… De le laisser gueuler… Quand il en a marre il s’arrête…

Elle est repassée le lendemain…
- Alors, tu t’en sors ?… Non, hein !… C’est encore un sacré bordel… Tu veux un coup de main ?…
Elle n’a pas attendu la réponse… Elle a déballé, réparti dans les différentes pièces, rangé…
- Là… C’est pas encore ça, mais on y voit quand même plus clair… Bon… Tu viens manger à côté ?… Mais rêve pas, hein !… Ca deviendra pas une habitude…

Véronique était aux anges…
- C’est vrai ?… Ca y est ?!… T’es chez toi ?!… Super !… J’arrive… D’ici deux jours… Trois maximum je suis là… Je te dirai exactement… Je te préviendrai…

- Elle a voulu voir ton nouvel appart, je parie !…
- Oui…
- Ca non plus elle s’en est pas vantée… Et… vous avez étrenné ton lit… C’est ça, hein ?…
- Non…
- Non ?…
- Non… On a parlé… Elle m’a dit qu’elle regrettait pour l’autre jour… Que c’était une erreur… Qu’on risquait de gâcher nos excellentes relations de travail… Et notre amitié à laquelle elle est très attachée… Elle était désolée, mais elle préférait qu’on s’en tienne là… Qu’on oublie tout… Qu’on fasse comme s’il n’y avait jamais rien eu…
- Hein ?!… Mais qu’est-ce qui lui prend ?… Quand on voit comment elle te porte aux nues… Mais insiste !… Insiste !… Elle a toujours adoré ça se faire supplier…

- Et à toi qu’est-ce qui te prend ?… Ca t’amuse déjà plus ?!…
- C’est pas ça, non, c’est pas ça… Mais j’ai envie que ce soit le plus vrai possible… Et si ça se passait vraiment c’est sûrement comme ça que ça se passerait… Elle hésiterait… Elle aurait toutes sortes de réticences…
- C’est pas elle qui les aurait… C’est toi… C’est toi qui les as… Et il y a de bonnes raisons à ça… Tu sais très bien lesquelles…

- Il y avait un paquet pour toi ce matin… Je te l’ai pris…
Un gros colis qu’elle a déposé dans l’entrée…
- Merci…
- Et ça va ?… Tu t’y fais à ici ?…
- Oh, pour ça oui !… Je n’ai qu’un regret, c’est de pas être venu m’y installer plus tôt…
- Ben moi, il y a un truc qui me manque depuis que t’es là…
- C’est quoi ?…
- La salle de bains… Elle est trop top cette salle de bains… Et j’avais tellement pris l’habitude d’y venir quand c’était Sarah…
- Oh, si c’est que ça !… Ca va s’arranger…
- Je voudrais pas t’envahir… Ni que tu t’imagines des trucs… Parce que j’ai un copain… Et c’est sérieux tous les deux…
- Je m’imagine rien du tout… Tu viens quand tu veux… Sans te poser de questions inutiles… - Bon, ben d’accord alors… Merci… C’est plutôt le matin que tu te laves, toi, ou plutôt le soir?…
- En général le matin…
- Je viendrai le soir alors… De temps en temps… Mais t’inquiète pas !… J’abuserai pas…

Elle a profité de l’autorisation le soir même…
- C’est que moi !… Te dérange pas…
Elle a verrouillé la porte… Ca a coulé… Clapoté… Le silence… Plus d’une heure durant…

Irina m’a rejoint en réserve, une pile de retours sur les bras…
- Tu sais que Loïc se demande ce qu’il peut bien t’avoir fait ?… « On le voit plus… On n’a pas de nouvelles… »…
- Hein ?!… Oh, mais rien !… Rien du tout !… Seulement avec le déménagement j’ai plus une seconde à moi… Et ma cousine débarque demain en plus !…

Elle est arrivée tard dans la soirée, enthousiaste…
- Ah, je peux te dire que je vais en profiter… Une semaine !… Une semaine sans eux !… Une semaine sans être obligée de dormir à côté de lui… Une semaine sans l’avoir sur le dos, elle !… Sans me demander à quel moment elle va silencieusement surgir pour s’offrir le plaisir de me prendre en défaut… « Ce n’est pas parce que vous ne travaillez pas, Véronique, que vous devez pour autant vous livrer complaisamment aux délices de l’oisiveté… Venez !… Venez !… Je vais vous trouver une occupation… »… Tu sais qu’elle me pourchasse jusque dans ma chambre ?… Et qu’elle ne prend seulement pas la peine de frapper ?…
- Et tu dis rien ?… Tu la laisses faire ?…
- Mais bon, allez !… Je suis pas venue ici pour parler d’eux… On les oublie… Tu travailles demain ?…
- Ben oui… Oui… J’aurais bien aimé pouvoir prendre des jours, mais…
- Ca fait rien !… J’irai me promener… Faire les magasins… Je rentrerai tôt… Je te mitonnerai un de ces petits plats à ma façon… Tu m’en diras des nouvelles…

Elle est rentrée juste après moi, encombrée de sacs et de paquets…
- Tu sais pas ce qui m’arrive ?… Patrice… Tu te rappelles bien Patrice ?… Je l’ai appelé à tout hasard… Il a été charmant… Ravi de m’entendre… On a passé une heure au téléphone… Et… Et il m’invite ce soir au restaurant… Alors ça m’embête de te laisser tomber, mais, d’un autre côté, c’est l’amour de ma vie Patrice… Je peux pas laisser passer une occasion pareille… T’imagines si ça le fait !…
- Vas-y !… Fonce !… Et te tracasse surtout pas pour moi…
- Faut que je me fasse belle !… Que je sorte le grand jeu !… J’ai pas beaucoup de temps en plus !… Tu viens avec moi pendant que je me prépare ?… Ca t’ennuie pas ?… Ca m’ennuyait pas, non !… Oh non !…
- Qu’on soit au moins un peu ensemble… Qu’on puisse bavarder… Que tu m’aides à y voir clair… Parce que je joue une sacrée partie là !…


- Ca a pas grand chose à voir avec la buanderie de chez grand mère ici, dis donc !… C’est le grand luxe…
Elle s’est voluptueusement laissé glisser dans l’eau, a fermé les yeux…
- J’ai la trouille !… Comment j’ai la trouille !…
- De quoi ?…
- J’ai peur d’être nulle… De pas être à la hauteur… Qu’il ait pas envie de moi… Qu’il se défile quand il me verra… Qu’il me trouve moche maintenant…
Elle s’est redressée… Relevée…
- Il est myope ?…
- Non… Pourquoi ?…
- Alors c’est impossible qu’il te trouve moche… Personne peut te trouver moche…
- C’est gentil, mais je sais pas… Tu peux me passer mon gel douche là-bas s’il te plaît ?… Merci… Non… Et puis pourquoi ce changement d’un seul coup… Il m’a toujours fuie… Il a toujours repoussé toutes mes avances – et Dieu sait si j’en ai fait, c’en était même indécent quand j’y repense – et là, d’un seul coup, on dirait qu’il ne jure plus que par moi… Tu l’aurais entendu tout-à-l’heure au téléphone… C’était de la folie…
Elle s’est longuement savonnée… Partout…
- Ce qu’il y a c’est que je suis mariée… Elle est là la différence… Avant j’étais dangereuse… Un piège… J’étais amoureuse… Je le chantais sur tous les tons… Il avait peur que je le colle… De pas pouvoir se débarrasser… Mais maintenant que je suis casée il y a plus de risque… Il peut me tirer en toute tranquillité…
- Je vois vraiment pas ce que ça change !… T’es toujours aussi amoureuse… Il le sait… Tu le lui as redit tout à l’heure, je suppose ?…
- Ben oui !…
- Et d’être mariée ça va t’empêcher de t’accrocher ?…
- Ben non !…
- Ca aussi il le sait… Et qu’il peut avoir tout un tas de problèmes avec ton mari… En plus !… Et ça l’arrête pas…
- Je sais plus quoi penser…
- Eh bien pense pas !… C’est pas le moment de toute façon… Ca fait des années que t’attends ça, que t’en rêves et juste au moment où ça arrive il faut que tu te gâches tout avec des tas de questions…
Elle est sortie de la baignoire…
- T’as raison… Oui, t’as raison…
- Evidemment que j’ai raison…

- Et pendant tous ces beaux discours, toi, tu te rinçais l’œil tant que tu pouvais… Et t’avais du temps à rattraper parce que, si j’ai bonne mémoire, depuis la buanderie, quand vous étiez gamins, tu l’avais pas vue toute nue…
- T’as bonne mémoire…
- T’as dû trouver du changement…
- Dans un sens, oui… Et dans un sens, non… Parce qu’elle est toujours toute lisse en bas… Comme avant…

Morgane a passé la tête…
- Je peux y aller quand même?… Ca craint pas pour ta copine ?…
- C’est pas ma copine, c’est ma cousine…
- Ah bon, je croyais, moi !… T’en as pas de copine ?… Non, forcément t’en as pas… Quand on voit dans quel état tu laisses ton appartement !…
Et elle a filé jusqu’à la salle de bains…

Au soir du troisième jour il y avait un message sur mon répondeur… « Ne t’inquiète pas… Tout va bien… Très bien… Tellement bien… Je suis heureuse, Gabriel… Si heureuse… »

- Ah, t’as fait du rangement… Franchement ça s’imposait… Pas seulement pour les gens qui viennent te voir, mais même pour toi… Je me demande comment tu pouvais vivre dans un fouillis pareil…

- T’es où ?…
- Là !…
Elle s’est assise sur le rebord de la baignoire…
- J’en peux plus !… Il m’a épuisée… Complètement lessivée… Cinq jours… Cinq jours à faire que ça… Et… Et tu peux pas savoir !… Jamais j’aurais pu imaginer… A ce point-là je pensais même pas que ça pouvait exister…
Elle a baîllé, s’est longuement étirée…
- Je vais prendre un bain avec toi, tiens !… Ca me fera du bien…
Elle s’est déshabillée, a enjambé, s’est installée en face de moi…
- Quand je pense à toutes ces années qu’on a perdues… Quel gâchis !…
- Et maintenant ?…
- Quoi « et maintenant » ?…
- Qu’est-ce que tu vas faire ?…
Elle a haussé les épaules…
- Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?… Je vais remonter là-haut… J’ai pas le choix… Pour le moment je vais remonter là-haut… Et revenir ici le plus souvent possible… T’as pas fini de me voir… Enfin non !… Tu me verras pas beaucoup…




3- Morgane


Morgane avait fini par venir tous les jours… Tous les soirs elle m’empruntait ma salle de bains qu’elle ne me restituait que deux à trois heures plus tard… Qu’elle habitait longtemps encore après l’avoir quittée… De sa présence, de ses parfums, de la serviette toute humide d’elle qu’elle suspendait au-dessus de la mienne…
- Et si tu me prêtais une clé ?… Tu serais pas obligé d’attendre que j’aie fini pour aller te coucher… Merci… T’inquiète pas !… J’y ferai attention…

- Tu baisses, mon cher !… Tu baisses vraiment !… Parce que voilà une fille qui séjourne tous les jours dans ta baignoire et t’as pas encore trouvé le moyen, depuis le temps, d’y jeter un œil ?!…
Elle en avait de bonnes, elle !… Elle croyait que c’était facile ?… Elle s’enfermait à double tour Morgane là-dedans… Et c’était un verrou, pas une serrure… Quant à la fenêtre on était au quatrième étage… Alors à moins de louer un hélicoptère…
- Oui… Oui… Mais je t’ai connu beaucoup plus imaginatif…

La déception de Loïc faisait peine à voir…
- Alors elle campe toujours sur ses positions ?!…
- Plus que jamais…
- C’est incompréhensible… Tu mets le paquet au moins ?… Il faut qu’elle sente que t’as envie d’elle… Qu’il y a plus que ça qui compte pour toi… Un type qui la désire comme un fou elle peut pas résister Irina… Elle a jamais pu…
- Je peux bien m’y prendre comme je veux… Il y a rien à faire… Il y a pas prise…
- Insiste !… Insiste !… Tu l’auras à l’usure… On finit toujours par l’avoir à l’usure…

- Et tu comptes faire quoi au juste ?… Laisser ça en suspens pendant des semaines ?… Oui… C’est ce que tu vas faire… Parce que même seulement imaginer tu peux pas… Faut être un homme pour ça… Et tu l’es pas… Physiquement… Bon… Ca tout le monde le sait… Mais dans ta tête non plus… Encore moins dans ta tête…

- Je suis encore toute pleine de lui… Dans ses bras… Femelle comblée jusqu’au plus profond d’elle-même… Rien d’autre n’existe… Rien d’autre n’a d’importance… Je suis revenue… Je suis là… Je ne suis pas là… Ils virevoltent autour de moi toujours aussi petits, aussi mesquins, aussi pitoyables… Je ne les vois pas… Je ne les entends pas… Ils m’indiffèrent… Ils n’existent pas… Je suis ailleurs… Avec lui… Patrice…

- Eh ben dis donc !… Ca a pas duré longtemps !… C’est à nouveau le bazar… C’est plus fort que toi, hein !… Tu peux pas t’empêcher…
Elle a éclaté de rire…
- Oh, mais fais pas cette tête-là !… On dirait un petit garçon pris en faute… Je vais pas te punir… Moi, ce que j’en dis, c’est pour toi… J’m’en fiche complètement…

- Et qu’est-ce que t’as fait ?…
- Comment ça qu’est-ce que j’ai fait ?…
- Ben oui… Qu’est-ce que t’as fait ?… Elle avait à peine passé la porte que tu t’es précipité pour tout remettre en ordre, je parie !… Comme un bon petit garçon bien obéissant justement… Rien qui dépasse… Pas le moindre petit grain de poussière qui traîne… C’est pas vrai peut-être ?… Avoue !…
- Ben oui !… Mais elle avait pas tort… Tu te laisses vite déborder si tu fais pas gaffe…
- Elle me plaît bien cette fille… Oui, décidément elle me plaît bien… Elle a pas mis longtemps à te percer à jour… Et elle prend le pas sur toi… En beauté…

Véronique me submergeait de lettres interminables où il n’était question que de Patrice…
- Tu es le seul à qui je peux parler de lui… Il y a que toi qu’es au courant…
Elle me décrivait en long en large et en travers les trois jours - et les trois nuits – qu’ils avaient passés ensemble… J’avais droit à tout… Ce qu’il avait dit… Ce qu’elle avait répondu… Ce qu’elle avait dit… Ce qu’il avait répondu… Ce qu’ils avaient mangé… Et surtout – surtout – ce qui s’était passé au lit… Elle ne me faisait grâce d’aucun détail…
- Tu comprends, te le raconter, c’est un peu une façon de le revivre… Encore et encore…

Pour Irina Loïc a finalement préféré qu’on laisse tomber…
- On n’arrivera à rien… Il y a quelque chose qui coince… Je sais pas quoi, mais il y a quelque chose qui coince avec toi… Peut-être parce que vous êtes collègues… Ou que tu t’y prends mal… De toute façon j’ai quelqu’un d’autre en vue… Que je vais mettre sur le coup… Et là… Là… Ca va marcher… C’est obligé…

- Mais oui !… Il a raison… Laisse la place aux autres… Quelle idée aussi de vouloir aller jouer comme ça dans la cour des grands… Même en faisant semblant… T’as pas la pointure…

- Tu pourrais pas me dépanner d’une pomme ou deux ?…
Des pommes ?… Mais j’avais pas ça, moi !… Ben autre chose alors !… Des poires ou des bananes… N’importe quoi, mais des fruits… J’avais pas… J’avais pas, non !…
- Tu manges jamais de fruits !… J’aurais dû m’en douter, remarque !… Et de légumes non plus évidemment !… T’es le candidat idéal pour le cancer du côlon, toi, dis donc !… Mais tu manges quoi alors ?!… Fais voir !…
Elle n’a pas attendu la réponse… D’autorité elle a ouvert le frigo…
- Ah, ben d’accord !…
Et le compartiment congélateur au-dessus…
- Encore mieux !… C’est vraiment du n’importe quoi !… T’achètes toujours tout tout près comme ça ?… Evidemment… Oui… Evidemment… Je suis sûre que t’es même pas fichu de te faire cuire un œuf à la coque…

- Et alors ?… T’as couru acheter des fruits ?…
- Non…
- Mais tu vas le faire… Evidemment que tu vas le faire… T’as bien trop peur qu’elle te tape encore sur les doigts…

Je ne l’ai pas fait… Je ne l’ai pas fait parce que, le soir même, Morgane a surgi avec un plein sac de provisions… Elle en a extirpé des courgettes, des aubergines, des tomates, des poivrons…
- Tu connais le proverbe chinois ?… « Donne un poisson à un homme et il mangera aujourd’hui… Apprends-lui à pêcher et il mangera toute sa vie… » Alors première leçon… La ratatouille… Tu vas voir, c’est enfantin…

Véronique était effondrée…
- Dès qu’il y a une connerie à faire tu peux être sûr que je la fais… Je le savais pourtant… Je le savais… Et je m’étais bien juré de ne pas tomber dans le panneau… Seulement va t’empêcher, toi, quand tu penses sans arrêt à lui, que tu voudrais tout le temps être dans ses bras… T’as besoin de quelque chose… Au moins de ça… De mots… De sa voix… J’en ai trop eu besoin… De plus en plus… Je me suis pas rendu compte… Et… « - T’en as pas marre de me téléphoner comme ça sans arrêt ? »… T’aurais entendu le ton sur lequel il a dit ça… J’en ai pas marre, non !… Mais lui, si !… Et pas qu’un peu !… Et maintenant ?… Je vais faire quoi ?… Je veux pas le perdre, Gabriel !… Je veux pas… Je ne lui téléphonerai plus puisque ça l’ennuie… Mais si je lui téléphone plus il va croire que j’en ai plus rien à foutre de lui… Je sais plus quoi faire… Je suis perdue… Tu ferais quoi, toi, à ma place ?

- Oui, c’est bon… Tu t’es pas trop mal débrouillé… Peut-être pas assez épicé à mon goût, mais ça !… Tu vois que c’était pas bien sorcier… Je t’en apprendrai d’autres, tu verras… Plein d’autres… La jardinière de légumes… Et puis des recettes de poisson… Tu mangeras plus sain… C’est important de manger sain et puis comme ça le jour où tu rencontreras une fille tu pourras lui faire la cuisine… Jamais t’as vécu avec une fille ?…
- Si !… Une fois…
- Et ça a foiré… Ca arrive… A moi aussi ça m’est arrivé… Trois fois déjà… Et j’ai que 22 ans… Faut pas te décourager pour autant, hein !… Il y en a d’autres des filles… Plein… Mais si tu restes enfermé chez toi ça pourra pas le faire… Ca, c’est obligé…

- Et si tu l’amenais en vacances cette Morgane ?… Que je fasse enfin sa connaissance…
- Elle risque de trouver ça louche… De se demander ce que je lui veux…
- Tu parles !… Elle vient se prélasser tous les jours dans ta salle de bains… Tu penses bien qu’il y a longtemps qu’elle a compris qu’avec toi elle avait rien à craindre, que t’étais complètement inoffensif…

Loïc était aux anges…
- Ca y est !… Ca y est Irina… J’en étais sûr… Et ça a pas mis trente ans… Tu vois que t’as pas su y faire avec elle… Et le type je peux te dire que pour entrer dans le jeu il entre dans le jeu… Et pas qu’un peu…

- On s’est expliqués… C’est lui qui a appelé… On a tout mis à plat… Je suis heureuse, Gabriel !… Heureuse… On va se revoir… Dès qu’il pourra… Il me dira… Je me ferai discrète… Tout ce qu’il veut… Tout ce qu’il voudra… Pourvu que je le voie… Pourvu qu’il me laisse l’aimer… Pourvu que je sois, de temps en temps, dans ses bras… Je ne demande rien de plus… Je ne demande rien d’autre…

J’étais en train – une fois de plus – d’essayer de mettre de l’ordre quand Morgane m’est tombée dessus…
- Comment tu veux y arriver ?!… L’appartement a beau être grand t’as bien trop de trucs… Et c’est pas en entassant tout, comme tu fais, dans la chambre d’amis que ça va résoudre le problème… Non, la seule solution, c’est d’en virer… T’as vraiment besoin de tout ça ?… Les petites bagnoles, là, par exemple… Ca te tient une place… C’est plus maintenant, à ton âge, que tu vas jouer avec quand même !…
- C’est des souvenirs… C’est…
- On vit pas au milieu des souvenirs… Ca te retient les souvenirs… Ca t’empêche d’aller de l’avant… Et tout ce fatras, là !… Ca te sert vraiment à quelque chose ?…
- Pas vraiment, non…
- Tu vois bien !… Allez, va chercher des sacs poubelles… Des grands… On va faire du tri… Tu y verras beaucoup plus clair…

- Tu vas chez grand mère cet été ?…
- En principe… Comme d’habitude…
- Moi, non !… Pas question que je ramène Pierre-Antoine là-bas… Je suis vaccinée… Et puis Patrice ne part pas… Alors si je veux le voir j’ai pas d’autre solution que de débarquer chez toi… Tu es mon seul alibi possible… Seulement si t’es pas là il tombe à l’eau…
- Pierre-Antoine viendra pas vérifier si je suis là ou pas…
- Non, mais il saura que t’es chez grand mère puisque Thibaud descend là-bas…
- Thibaud ?!… Quoi faire ?…
- Ben retrouver Eva, tiens !… T’es pas au courant ?…

- J’ai pas de comptes à te rendre… Manquerait plus que ça !… Je te parlerai de Thibaud seulement si j’ai envie… Et au moment que moi, j’aurai choisi…

- Tu pars quand alors finalement ?…
- Je pars plus…
- Tu pars plus ?…
- Non, j’ai des tas de trucs à faire… Et puis j’ai plus vraiment envie…
- Bon… Eh bien on en profitera pour te faire faire encore des progrès en cuisine alors…

- Merci, Gabriel… Merci… Je te revaudrai ça un jour… D’une façon ou d’une autre je te revaudrai ça… Mais dis, ça te poserait un problème si je venais avec lui chez toi de temps en temps ?… Parce que chez lui c’est plus possible… Je t’expliquerai… Et l’hôtel je supporte pas… Pour ça je supporte pas… Ca me coupe toutes mes envies…





4- Patrice


Juste le temps de déposer ses sacs de voyage dans l’entrée…
- Il va venir Patrice… Je l’ai eu au téléphone… Il arrive… C’est vrai, ça t’ennuie pas ?… Il y a qu’ici que je peux le voir… Et seulement l’après-midi… Parce que… Parce que… Il a été très honnête avec moi… Il a quelqu’un maintenant… C’est son droit… On ne se doit rien… Je ne lui demande rien… Juste de venir me retrouver chaque fois qu’il le pourra…
Elle a tendu l’oreille… On a sonné…
- C’est lui !… C’est lui !…

Morgane était impressionnée…
- Eh ben dis donc, tu caches bien ton jeu, toi !… Dans quel état tu l’as mise la fille !… Tout l’immeuble en tremblait… C’était qui, si c’est pas indiscret ?…
- Ma cousine…
- Ta cousine !…
- Oui… Non… Enfin oui… Avec quelqu’un…
- Ah bon, je préfère… Mais elle est là alors ?… Elle est revenue ?… Elle est où ?…
- Partie le raccompagner…

Elle est rentrée en larmes…
- C’est pas vrai que j’accepte, Gabriel !… C’est pas vrai… J’accepte, oui !… Parce que je peux pas faire autrement si je veux l’avoir un peu à moi… Mais j’en crève… Je m’étais fait une telle fête de nous deux… Lui et moi… Rien que lui et moi… Quinze jours à nous… Et je n’ai que des miettes… Et c’est si bon pourtant !…

- Il cuisine bien, hein ?!…
Véronique a approuvé…
- Oui… J’avoue que je le connaissais pas sous ce jour-là…
- C’est moi qui lui ai appris… Et c’est tout bénéfice… Je me fais inviter tous les jours… Ou presque… Je dis ce que j’ai envie de manger et il prépare… J’ai plus qu’à me mettre les pieds sous la table… Le dessert, par contre, c’est moi qui l’ai fait… Parce que, là-dessus, il est pas encore trop opérationnel… Tu vas voir… Tu vas m’en dire des nouvelles… C’est une recette que…
Véronique s’est levée d’un bond…
- Patrice… Excusez-moi !… C’est Patrice…
Ils se sont enfermés dans la chambre…

Elle s’est laissé glisser tout au fond de la baignoire…
- Je suis dans un piège, Gabriel !… Un véritable piège… Parce que lui dire ce que j’éprouve vraiment pour lui c’est impossible… C’est le meilleur moyen de le perdre, je le sais… Alors je me tais… Je fais semblant d’en avoir rien à foutre… Je le lui dis même… Pour le rassurer… Pour qu’il s’imagine pas que je vais le coller… Pour pas qu’il s’éloigne… Et, du coup, c’est comme ça qu’il me voit… Forcément… Comme une femme que son mari satisfait pas, qu’est en manque et qu’a besoin de sa ration… Mais c’est pas ça !… C’est pas ça du tout !…

- Tu parles que c’est pas ça !… Je la connais Véronique depuis le temps !… C’est la seule chose qui l’intéresse… S’envoyer en l’air… Seulement elle a jamais voulu l’admettre… Il a toujours fallu qu’elle habille ça avec des grands sentiments… Tous les mecs qui ont défilé dans son lit – et Dieu sait s’il y en a eu – ils ont toujours été le grand amour de sa vie… A chaque fois… Alors !…

- Elle va rester longtemps ?…
- Une quinzaine… En principe… Pourquoi ?…
- Parce que c’est lourd… On n’est plus à notre main… Et puis, franchement, l’entendre meugler comme ça tous les après-midi !…

- Tu sais pas ce qu’il est allé imaginer ?… Non, mais tu sais pas ?… D’amener un copain avec lui… Et qu’on fasse ça à trois… Tu te rends compte ?… Il est vraiment pas bien il y a des moments !… C’est complètement hors de question… Quitte à le perdre… Tant pis… Non, mais pour qui il me prend ?…

- T’étais dans la salle de bains avec ta cousine tout-à-l’heure… Je vous ai entendus…
- Ben oui… Oui…
- Vous vous lavez ensemble ?…
- Depuis toujours… Depuis qu’on est tout petits… Pourquoi tu demandes ça ?…
- Non… Pour rien… Pour rien…

C’est moi qui leur ai ouvert… Patrice… Patrice et un grand brun à carrure d’athlète…
- Salut !… Elle est là Véronique ?…
- Elle est dans sa chambre, oui, mais…
- C’est Patrice ?… Viens, Patrice !… Viens !…
Le type l’a suivi…

- Je suis écoeurée… Je m’écoeure… A un point, mais à un point que tu ne peux même pas imaginer… Non, mais comment j’ai pu ?!… Comment j’ai pu ?…
- Ca avait pourtant pas l’air de vraiment te déplaire !…
- C’est ça le pire !… C’est que j’ai pris un pied comme c’est pas possible… J’ai honte… Je me sens humiliée, salie… Et je ne peux m’en prendre qu’à moi-même… J’ai tout accepté… Tout… Même des choses dont je m’étais juré que je ne les ferais jamais… Avec personne… Parce qu’il a voulu… Parce que je suis incapable de lui refuser quoi que ce soit… Non, mais comment est-ce que j’ai pu tomber aussi bas ?…

Morgane était outrée…
- Deux à la fois… Et demain ce sera peut-être trois… Tant qu’à faire… Un de plus un de moins… Mais faut que tu m’expliques quelque chose là… Je comprends pas tout… Elle est bien mariée ta cousine ?…
- Elle est mariée, oui !…
- Et elle vient se faire tringler en douce chez toi… Parce que j’imagine qu’il est pas au courant le mari ?…
- Evidemment qu’il est pas au courant…
- Et t’acceptes ça ?!…
- C’est leur problème… Ca me regarde pas…
- Le jour où le pot-aux-roses sera découvert et que ça te retombera sur le coin de la figure – ce qui arrivera forcément – on verra si ça te regarde pas… T’es trop, toi, dans ton genre… Tu fais vraiment n’importe quoi…

- Bonjour !…
Son visage me disait vaguement quelque chose, mais quoi ?…
- Elle est là, Véronique ?…
Elle n’a pas attendu la réponse… Elle m’a filé sous le nez et a foncé droit vers la chambre…
- Eh là, attendez !… Mais attendez !… Vous allez où ?…
Véronique s’est enfouie sous les couvertures… Elle les a arrachées…
- Prends ça pour commencer !…
Deux gifles…
- Et vous deux, foutez-moi le camp !…
Ils n’ont pas demandé leur reste… Ils ont rassemblé leurs vêtements en toute hâte et ils ont disparu dans le couloir… La porte d’entrée a claqué…

- Habille-toi !… Et vite…
Véronique a obéi… Elle est sortie du lit… Elle a remis sa robe, ses chaussures…
- T’as pas de culotte ?…
Une culotte ?… Ah oui, oui !… Si !… Elle avait, oui… Elle l’a cherchée du regard tout autour d’elle, s’est penchée sous le lit, a fouillé dedans, est finalement restée plantée à côté, indécise… Elle la lui a montrée du doigt, suspendue dans le lustre où elle avait dû atterrir au cours de leurs ébats… C’est moi qui suis monté la décrocher…
- Merci… Elle lui a laissé le temps de l’enfiler, l’a agrippée fermement par le bras…
- Bon… Eh bien maintenant en route…

- C’était qui cette femme ?…
- Sa belle-mère…
- Ah oui !… Elle sait ce qu’elle veut en tout cas et l’autre, à mon avis, elle va passer un sacré quart d’heure… Mais je la plains pas… Reconnais qu’elle l’a pas volé…

- Eh ben il va y avoir de l’animation là-bas !… Parce que moi, de mon côté, je viens de virer Thibaud… Je le supportais plus… Mais viens du coup !… La route est libre… Des deux côtés… Je te raconterai…

- Et moi alors ?… T’y penses à moi ?… Je peux pas te suivre… Je reprends demain… Et tu vas me laisser là toute seule à m’emmerder le soir comme un rat mort ?… Juste au moment où l’autre elle vient de dégager et où on pourrait enfin être tranquilles… Quand je pense à toutes les heures que j’ai passées à t’apprendre à faire la bouffe, à te ranger ton bordel et toi… T’es vraiment qu’un salaud, tiens !…

- De quoi elle s’est mêlée cette petite conne ?… En quoi ça la concerne ma vie ?… De quel droit elle s’est permis d’appeler ma belle-mère ?… Je lui ai fait quoi, moi ?… Je te dis pas dans quelle situation je suis maintenant !… « Elle » m’a promis de ne rien dire à Pierre-Antoine… Sous réserve que mon comportement soit désormais irréprochable… Irréprochable !… Ce sont ses mots… Et elle me traite comme une gamine de quinze ans irresponsable… Je n’ai plus une seconde de répit… Je dois tout justifier… Elle épluche mon courrier… Elle écoute mes conversations téléphoniques… Elle filtre mes sorties… D’autres choses aussi trop insupportables pour que je puisse te les dire… C’est irrespirable… J’étouffe… Foutre le camp ?… Je ne pense qu’à ça… Trois fois par semaine je prépare minutieusement mon départ… C’est décidé… C’est pour demain… Rien ni personne ne me fera changer d’avis… Trois fois par semaine je diffère… Je recule… A quoi bon ?… Pour quoi faire ?… Pour aller où ?… Je ne partirai pas… Je le sais… J’en suis incapable… A moins que Pierre-Antoine ne me foute dehors… A ça aussi j’y pense… A tout lui dire… A m’arranger pour qu’il apprenne… Advienne que pourra… De toute façon elle est foutue ma vie… Alors un peu plus un peu moins…

- Ben bien sûr que c’est moi… Il fallait bien que quelqu’un le fasse… Parce que si on avait attendu après toi… Bon, mais c’est pas tout ça… Je voulais te dire… J’attaque les peintures à côté… Ca va être le chantier… Ca va puer… Alors le temps que ça va durer je vais te squatter ta chambre d’amis… Elle est libre n’importe comment maintenant…

- A quelque chose au moins malheur est bon… Parce qu’avec Patrice cette fois c’est fini… Définitivement fini… Je n’aurai plus de nouvelles… Il fallait en sortir… D’une façon ou d’une autre il fallait en sortir… Ca n’avait aucun avenir… Je me détruisais… Il me détruisait… Quand je pense à ce qu’il a été capable de me faire faire… A ce qu’il avait envisagé de me faire faire… Non… Il fallait que ça s’arrête… Que quelqu’un m’arrête… Ca a été ta voisine… Ca aurait pu être n’importe qui… Reste que maintenant je sais plus où je vais… Il occupait toute la place Patrice… Il était mon horizon… Sans lui… Sans lui je ne suis plus rien…

Morgane a surgi dans la salle de bains au moment où je sortais de la douche…
- Mon pauvre !… Oh la la, mon pauvre !… T’as toujours été comme ça ?… Oui ?… Mais faut faire quelque chose !… Faut absolument faire quelque chose…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire